Le procès du maréchal Ney la justice politique sous la restauration
p. 73-148
Texte intégral
1Le 14 mars 1815, le maréchal Ney quitte les troupes royalistes de Louis XVIII et rejoint Napoléon qui marche sur Paris pour s’emparer du pouvoir au terme d’un coup d’État irrépressible. La nouvelle aventure napoléonienne ne dure que trois mois, et l’échec des Cent-Jours ramène en France le représentant des Bourbons et ses partisans zélés, pressés d’en découdre avec l’opposition bonapartiste. Accusé de haute-trahison, le maréchal Ney devient l’objet d’un procès intimement lié aux circonstances politiques et historiques de la nouvelle Restauration qui illustre les crises qu’il est censé résoudre. Instrument et produit de la lutte politique, son procès, comme toutes les affaires de crimes d’État, ne juge pas seulement une cause noble : il rassemble les peurs et les ambitions du temps, il nourrit les frustrations et assouvit les désirs de vengeance. Dans la paix trompeuse du secret, il restitue tous les tourments d’une époque, dans la valse des intérêts privés et du salut public.
2La première Restauration (1814-1815) s’était ouverte dans un esprit de pardon à l’égard des hommes de la Révolution et de l’Empire. En l’absence de toute continuité politique, institutionnelle et juridique avec l’Ancien Régime, elle ne pouvait dénoncer 1789 et le 18 Brumaire comme des coups d’État contre la monarchie. Aussi, si elle jette un pont par-dessus la Révolution et l’Empire, elle ne peut ignorer que ces vingt-cinq dernières années ont produit des valeurs et une société nouvelles. En 1814, Louis XVIII sait qu’il ne gouverne pas la France de Louis XVI1.
3L’épisode des Cent-Jours vient bouleverser la délicate réconciliation commencée un an plus tôt. L’éviction de Louis XVIII par Napoléon constitue un réel coup d’État contre un seul et même régime, dont la continuité est affirmée dès le retour du roi en juin 1815. Mais Louis XVIII retrouve une monarchie affaiblie : son pouvoir est non seulement limité par les pressions des puissances européennes, exaspérées par les dernières turbulences de la France, mais aussi fragilisé par le zèle des royalistes impatients de savourer une revanche dont voulait les priver la première Restauration. Pour démentir les accusations de faiblesse qui l’accablent, il cède aux cris de vengeance qui s’élèvent autour de lui. Le 25 juin 1815, il déclare à Cambrai : "Je dois pour la dignité de mon trône, pour l’utilité de mes peuples, pour le repos de l’Europe, exempter du pardon les instigateurs et les auteurs de cette trame horrible"2. Les poursuites dépassent en fait les seuls responsables du complot bonapartiste : un arsenal législatif, réglementaire et judiciaire complet (lois de sûreté générale, cours prévôtales, listes de proscription, répression des écrits et discours séditieux) est mis à l’entière disposition d’une justice politique inflexible. C’est dans ce contexte que, le 24 juillet 1815, Fouché, ministre de la police, rend à Louis XVIII la liste des pairs à déchoir de leur qualité et des chefs militaires à déférer devant les conseils de guerre. Sanctionnée dans l’ordonnance royale du même jour, cette liste porte le maréchal Ney en tête des ennemis de l’État3
4Mais il ne suffit pas, en droit, que l’ordonnance renvoie le maréchal devant un conseil de guerre pour que celui-ci soit compétent. Ces tribunaux sont des juridictions d’exception et ne poursuivent que certaines infractions militaires déterminées par la loi. Dès son arrestation au château de Bessonie, le 3 août 1815, le maréchal Ney prévient ses contradicteurs qu’il ne cessera de contester la compétence du tribunal militaire pour juger ses actes. Il s’appuie sur sa qualité de pair du royaume et de maréchal de France pour fonder l’incompétence du conseil et refuse cette "conception commode, voire simpliste, où, comme on l’a dit, la couleur du costume emporte la compétence du tribunal"4. Pourtant, une ordonnance royale5 constate le licenciement de l’armée et la dissolution des états-majors consécutivement à la réorganisation générale des troupes et désigne le conseil de guerre de la première division militaire de Paris pour juger tous les proscrits de l’ordonnance du 24 juillet.
5Après plusieurs incidents relatifs à sa composition et à sa réunion6, le conseil entend finalement le compte-rendu d’instruction7 de son rapporteur, le maréchal de camp-comte Gründler, les 9 et 10 novembre 1815. Les débats qui suivent ne portent pas sur l’instruction du procès mais sur le déclinatoire de compétence présenté par les défenseurs de Ney, les avocats parisiens Berryer père et Dupin8. Un débat juridique passionnant s’ouvre alors entre les défenseurs du maréchal et le procureur général Joinville, chargé de soutenir l’accusation. Les arguments de droit public et de droit pénal sont discutés par chaque partie avec une hauteur de vue que n’atteindra pas la Chambre des pairs lorsqu’on lui confiera ce procès.
6Au terme de plusieurs heures, Berryer a passé en revue la France judiciaire en rappelant le droit exclusif de l’ancien Parlement à juger les crimes d’État, la France nobiliaire et ducale, par le souvenir de l’origine et des privilèges des pairs du royaume, et la France militaire, à travers l’histoire de ses maréchaux. Tout, selon lui, renvoie le maréchal Ney devant la Chambre des pairs, constituée en cour de justice : l’article 33 de la charte qui réserve à cette haute-cour la connaissance des crimes d’État, l’article 34 qui organise le privilège de juridiction des pairs au sein de cette chambre, et le silence des lois militaires qui ne donnent pas compétence aux conseils de guerre pour juger les maréchaux de France. Trop heureux de déguiser sous des raisons légales leur embarras à statuer sur le sort d’un maréchal illustre, les juges militaires prononcent l’incompétence de leur tribunal après une demi-heure de délibération en donnant raison à Berryer sur chaque point de son plaidoyer.
I – La compétence de la Chambre des pairs
7Le changement de juridiction indique une tournure nouvelle du procès. La Chambre des pairs, avant d’être une cour de justice privilégiée demeure en effet le premier corps politique de l’État. Ney quitte donc l’enceinte d’un tribunal militaire pour se livrer à la conscience et à l’intime conviction de juges qui, à l’inverse des maréchaux du conseil de guerre, ne peuvent pas perdre de vue les enjeux politiques de leur verdict.
8Berryer et Dupin qui avaient tout tenté pour dissuader le maréchal de décliner la compétence des juges militaires, ont immédiatement conscience de cette nouvelle dimension du procès et des difficultés qu’elle soulève dans leur tâche. Cette erreur de stratégie souligne le paradoxe de ce procès : la victoire des avocats devant le conseil de guerre était d’abord celle du droit et des principes généraux de la défense, mais elle fragilise du même coup la position de l’auguste prévenu.
9La compétence est pourtant fondée sur le texte même de la Charte constitutionnelle ; les réclamations du maréchal sont donc légitimes, dans un régime qui n’a pas aboli les privilèges. Saisie par Richelieu au nom du roi et du gouvernement, la Chambre des pairs s’est empressée d’accepter cette attribution de jugement exceptionnelle.
A – Les dispositions de la Charte relatives à la compétence de la Chambre des pairs en matière judiciaire
10Des trois cas de compétence retenus par les rédacteurs de la Charte, deux s’appliquent à la situation du maréchal Ney. L’article 33 réserve la connaissance des crimes d’État à la chambre haute ; l’article 34 lui défère les pairs accusés en matière criminelle.
1 – La compétence ratione materiae
11La Charte dispose que "la Chambre des pairs connaît des crimes de haute trahison et des attentats à la sûreté de l’État qui seront définis par la loi". Peu importe ici la qualité du prévenu : qu’il soit pair de France ou simple citoyen, il relève, à raison de la nature du crime qu’il a commis, de la juridiction de la Chambre des pairs. Le pouvoir judiciaire attribué à cette assemblée par la Charte l’associe, en plus de sa participation à la puissance législative, à la perpétuité de la monarchie et détermine son rang parmi les institutions publiques de l’Etat. Cette puissance fait de la chambre haute "l’arbitre souveraine non seulement de la culpabilité ou de l’innocence des individus auxquels on impute ces grands crimes politiques, et de l’exactitude ou de la témérité de l’accusation relativement aux prévenus, mais encore de l’existence même des attentats et des actes de haute trahison qui lui sont dénoncés"9. Ainsi, il appartient à la Chambre d’apprécier si les faits reprochés par le gouvernement sont de nature à compromettre réellement la sûreté de l’État ou s’ils relèvent au contraire d’accusations intempestives. Par ce biais, c’est elle qui définit ce qu’est la sûreté du royaume et s’en fait la gardienne.
12Au terme de l’article 33, si l’instruction établit que le prévenu a commis un crime d’État portant atteinte à la sûreté du pays, à l’existence du gouvernement légal ou à l’ordre de successibilité au trône, il ne fait pas de doute que son renvoi devant la Chambre des pairs est juridiquement fondé. Mais la lecture qu’opérait Berryer de cet article devant le conseil semble contestable sur un point : l’indicatif utilisé dans cette disposition constitutionnelle ne pose nullement que la Chambre soit seule compétente pour connaître des crimes d’État.
13Comme le note Legraverend : "Une compétence exclusive aussi générale, s’exerçant sur tous les citoyens, à raison de certains crimes, ne nous paraît conforme ni à l’esprit de la Charte, ni au texte même de ses dispositions"10. Juridiction spéciale, la Chambre des pairs doit veiller à la stricte limitation de son champ de compétence. Son extension à d’autres que les pairs de France représenterait selon l’auteur, ancien membre de diverses commissions de réforme du droit criminel, un danger certain pour les justiciables ordinaires. Il suggère donc de ne réserver la juridiction de la Chambre en matière de crime d’État qu’aux personnes influentes, de rang supérieur et de grande autorité. Cette combinaison de la nature du crime et de la qualité des prévenus fut aussi le vœu que consacra la Chambre dans sa résolution de 1816 : les pairs votèrent en effet une disposition attribuant le jugement des crimes d’État à la chambre haute lorsque leurs auteurs étaient revêtus de certaines dignités dont la résolution établissait la liste. Dans le même sens, en 1820, la Cour de cassation annula sur la base de l’article 33 le jugement de la cour royale de Paris qui renvoyait Planzeau, Combes et leurs complices accusés de complot contre l’État et contre le duc d’Angoulême devant la Chambre des pairs. L’arrêt fonde sa décision ainsi : "L’article 33 n’a point dépouillé, par le seul effet de sa disposition, les cours d’assises de l’attribution générale qu’elles ont sur tous les faits qualifiés de crimes"11.
14L’article 33 ne pose en effet aucun principe d’exclusion et rien n’empêche une cour d’assises de juger les prévenus d’un complot ou d’un attentat. Toutefois, on touche ici à l’essence même de la justice politique. Convoquer la Chambre des pairs n’est pas seulement une décision judiciaire, c’est aussi et surtout un acte politique, un acte de pouvoir, de démonstration par l’État de sa puissance et de sa permanence malgré les atteintes et les bouleversements dont il est victime.
2 – La compétence ratione personae
15D’après l’article 34 de la Charte, "aucun pair ne peut être arrêté que de l’autorité de la Chambre, et jugé que par elle en matière criminelle". Cet article ne pose apparemment pas de difficulté majeure. Le principe est clair : les pairs de France, ainsi que les princes, élevés à cette dignité par droit de naissance, échappent à toute autre juridiction en matière de délit et de crime. Il suffit donc à la Chambre de vérifier si l’inculpé jouit ou non de la qualité de pair.
16Une première difficulté peut surgir néanmoins si le prévenu est revêtu de la qualité de pair sans avoir encore le droit de siéger à la Chambre, en raison de son âge. La Charte ne résout pas la question de savoir s’il suffit d’être revêtu de cette dignité ou s’il faut en plus en exercer les fonctions. Ce cas s’est présenté tardivement, en 1831, lorsque Montalembert fut traduit devant la Chambre. Il avait acquis le titre de pair du royaume par la mort de son père mais n’avait pas encore atteint la majorité requise pour siéger dans l’assemblée. Un débat s’éleva au Luxembourg et la Chambre rendit un arrêt de compétence le 19 septembre 1831 établissant que "le droit de n’être jugé que par la Chambre en matière criminelle est attaché à la qualité de pair, du moment que cette qualité est acquise"12.
17L’autre incertitude que laisse peser l’article 34 concerne le cas des pairs qui ont encouru la déchéance personnelle de cette qualité par démission ou par refus de serment. Ce cas aurait pu intéresser le maréchal Ney puisque l’accusation avait considéré devant le conseil de guerre que sa présence dans la chambre haute des Cent-Jours équivalait à une démission. Mais on verra que l’ordonnance d’attribution ne s’est pas fondée sur l’article 34, évitant ainsi de résoudre cette question.
18Enfin, la compétence à raison de la qualité des personnes s’étend également aux complices des pairs traduits devant la Chambre. "Il est un grand principe de droit criminel qui tend essentiellement à faciliter aux juges la recherche de la vérité ; c’est que l’indivisibilité du délit entraîne l’indivisibilité de la poursuite"13 Cette règle peut donc amener devant la Chambre des prévenus non revêtus de la qualité de pair et n’ayant pas commis de crime d’État. La Chambre doit alors prendre garde à séparer dans son arrêt les dispositions relatives au pair et celles concernant les complices, simples citoyens. En effet, ses arrêts ne sont susceptibles d’aucun recours ni d’aucune révision. Il ne faut donc pas qu’un même fait soit requalifié par un autre tribunal, dans le cas où elle déciderait qu’il n’y a pas lieu à poursuivre un pair. Dans l’hypothèse où les complices ne seraient pas pairs de France et n’auraient pas commis de crime d’État, elle doit donc séparer le non-lieu, qui ne concerne que le pair, et les dispositions relatives aux complices, renvoyés devant les tribunaux ordinaires. Elle doit enfin éviter de se prononcer sur les faits, afin que les autres juridictions puissent statuer sans la contredire, c’est-à-dire sans réviser son jugement. Le cas s’était présenté en 1818 : le tribunal de première instance de la Seine s’était déclaré incompétent à juger les assassins présumés de Saint-Morys en raison de la présence du duc de Grammont, pair de France, parmi les complices désignés par la famille de la victime. Afin de sauvegarder le privilège de juridiction de Grammont, tous les accusés furent traduits devant la Chambre des pairs. Celle-ci jugea le 31 janvier 1818 que les faits reprochés au duc, même s’ils étaient prouvés, ne constitueraient pas un délit ni un crime ; en conséquence, elle rendit un non-lieu à son égard et renvoya les autres prévenus devant les juges ordinaires14.
19En dehors de ces dispositions constitutionnelles, aucun autre texte n’intéresse la Chambre des pairs en matière judiciaire. Cette assemblée a été restaurée en 1814 mais, tout en s’inspirant de règles séculaires, elle fut créée selon des principes plus récents, dont certains étaient même hérités de la Révolution française ou de l’exemple du parlementarisme britannique. Il était donc impossible de se référer aux textes antérieurs, les législations monarchique, révolutionnaire et impériale relatives aux hautes cours ne pouvant s’appliquer exactement à la Chambre des pairs pour compléter les articles de la Charte constitutionnelle. C’est donc sur la seule base de ces dispositions que le roi rendit son ordonnance du 11 novembre afin d’attribuer le jugement de Ney à la Chambre haute de la Restauration.
B – La saisine et la déclaration de compétence de la Chambre des pairs
20À l’instar des autres juridictions spéciales, la Chambre des pairs a dû examiner sa compétence afin de vérifier les fondements juridiques de sa convocation et de sa puissance nouvelle. Elle a consacré peu de temps et d’attention à cette question, si bien qu’elle a accepté de juger le maréchal sur la seule base de l’article 33 de la Charte, sans considération de sa qualité de pair de France, illégalement retirée par le gouvernement.
1 – L’attribution de jugement
21Le duc de Richelieu, président du Conseil des ministres, ouvre la séance exceptionnelle du 11 novembre en prononçant un discours15 sévère devant les pairs, et en présence des membres du gouvernement et du procureur Bellart, spécialement nommé commissaire du roi pour soutenir l’accusation16.
22Richelieu expose à l’assemblée que le conseil de guerre s’est déclaré, la veille, incompétent à juger le maréchal Ney. Il refuse de donner aux pairs les raisons qui ont conduit les juges militaires à rendre une telle décision. "Il suffit de savoir que l’un des motifs est que ce maréchal est accusé de haute trahison"17. Les premières phrases de son discours indiquent donc sans ambiguïté que le renvoi du maréchal devant la Chambre n’est motivé que par la nature du crime qui lui est reproché. Richelieu demande aux pairs de ne pas considérer le prévenu comme un des leurs. D’ailleurs, tous les actes officiels de la Chambre qui mentionnent les dignités et les titres du maréchal lui accordent ceux de prince de la Moskowa et de duc d’Elchingen mais précisent chaque fois "ex-pair de France".
23Richelieu poursuit ensuite son discours en soulignant l’urgence à juger le maréchal. Il fait valoir à l’assemblée que trop de temps a passé depuis l’arrestation du prévenu jusqu’à la réunion d’un tribunal compétent. La gravité de son crime exige une célérité de nature à faire cesser l’impunité inadmissible dont jouit, pour l’instant, le maréchal Ney. "Nous osons dire que la Chambre des pairs doit au monde une éclatante réparation : elle doit être prompte, car il importe de retenir l’indignation qui de toute part se soulève. […] Les ministres du roi sont obligés de vous dire que cette décision du conseil de guerre est une victoire pour les factieux. Il importe que leur joie soit courte, pour qu’elle ne leur soit pas funeste"18. On ne saurait mieux presser un tribunal de rendre un arrêt de condamnation sévère et rapide. Le ton du discours ne laisse pas de surprendre si l’on considère que l’accusation ne présente pas là son réquisitoire final mais seulement un acte de plainte.
24Mais le passage le plus choquant de ce discours est sans conteste celui qui fonde l’accusation sur les vœux des puissances étrangères et décharge les pairs des obligations ordinaires qui s’imposent aux magistrats. Quelle surprise de voir un chef de gouvernement avouer devant la pairie du royaume, symbole de l’indépendance du trône de France, que la condamnation d’un prévenu français rendrait justice non seulement à la France mais aussi à l’Europe ! "Ce n’est pas seulement, messieurs, au nom du roi que nous remplissons cet office, c’est au nom de la France, depuis longtemps indignée et maintenant stupéfaite. C’est même au nom de l’Europe que nous venons vous conjurer et vous requérir à la fois de juger le maréchal Ney"19. On pressentait déjà que le refus du nouveau régime d’amnistier les instigateurs des Cent-Jours indiquait une certaine faiblesse du pouvoir, incapable d’asseoir la réconciliation du royaume sur le pardon et l’oubli des fautes commises, mais les propos de Richelieu renforcent davantage, dans l’enceinte du premier corps politique de l’État, le sentiment que la France sort affaiblie et surveillée par l’Europe des tourments de 1815. Les craintes que Moncey avait dévoilées à Louis XVIII s’avéraient finalement exactes. Il avait alors compris la véritable nature du procès en s’interrogeant ainsi : "Les Alliés ne pardonneront-ils jamais à leurs vainqueurs ? C’est leur honte qu’ils veulent effacer, et non l’affermissement de votre trône qu’ils désirent, quand ils l’ébranlent plus par leur conduite qu’ils ne sauraient l’affermir par leur vengeance. […] Il ne reste plus à ma malheureuse patrie qu’une ombre d’existence et j’irais associer mon nom à celui des oppresseurs ? Le trône des Bourbons est menacé par ses propres alliés"20.
25Mais Richelieu ne se contente pas de cette maladresse politique et rajoute à l’odieux du procès le cynisme de la justice politique : "Il est inutile, messieurs, de suivre la méthode des magistrats, qui accusent en énumérant avec détail toutes les charges qui s’élèvent contre l’accusé ; elles jaillissent de la procédure qui sera mise sous vos yeux […] Il n’est donc pas besoin de définir les différents crimes dont le maréchal Ney est accusé"21. En d’autres termes, le chef du gouvernement demande aux pairs un blanc-seing, un vote de confiance, pour accepter de juger le maréchal sans connaître avec exactitude les faits qu’on lui reproche. Demander à la Chambre des pairs, gardienne des institutions, de violer les règles élémentaires de procédure indique assez, à ce stade du procès, combien l’accusation serait prête à s’affranchir par la suite des garanties juridictionnelles ordinairement reconnues aux accusés. Quant à la Chambre des pairs, son absence d’objections témoigne de sa docilité et de sa soumission au pouvoir accusateur.
26Dambray, président de la Chambre des pairs, donna acte aux ministres du roi de la communication qu’ils venaient de faire et demanda aux pairs de se prononcer sur la compétence de l’assemblée.
2 – La déclaration de compétence
27Un pair prend immédiatement la parole pour exposer à la Chambre que la compétence de leur juridiction était incontestablement fondée. Sans examiner les raisons qui ont conduit le conseil de guerre à décliner sa compétence, il suffit à ses yeux de citer l’article 33 de la Charte pour établir celle de la Chambre des pairs, et de le comparer aux termes de la plainte communiquée précédemment par le gouvernement. Il propose alors à l’assemblée, après avoir rappelé la gravité des circonstances qui entourent le procès, de faire la déclaration suivante : "… qu’elle reçoit avec respect la communication qui vient de lui être faite au nom du roi par les ministres de Sa Majesté ; qu’elle reconnaît les attributions qui lui ont été données par l’article 33 de la Charte constitutionnelle, et qu’elle est prête à remplir ses devoirs"22. Il ne semble pas, d’après les Archives parlementaires, que son intervention soit suivie d’un débat au sein de l’assemblée. Ce pair est approuvé par un grand nombre de ses collègues et les Archives ne font état d’aucune objection majeure, même si Lucas-Dubreton rapporte dans sa biographie de Ney la stupeur dont furent frappés plusieurs pairs à l’audition du discours de Richelieu, et leur hésitation à accepter aussi promptement les fonctions qu’on leur attribuait avec autant de vivacité. "Je ne pouvais en croire mes oreilles"23, affirma Molé quelques temps après cet événement.
28Mais apparemment, les accusateurs de Ney et l’orateur qui venait de s’exprimer firent impression sur la Chambre puisque celle-ci adopta la proposition de ce pair, mise aux voix par le président Dambray.
29Pour autant, plusieurs questions laissées sans réponse auraient dû retarder le moment de cette déclaration de compétence.
30En premier lieu, l’empressement de la Chambre à accepter ses fonctions judiciaires s’est déroulé au détriment de la discussion relative à la loi "promise" par l’article 33 qui devait définir les crimes de haute trahison et d’attentat à la sûreté de l’État. Il eût été nécessaire, en effet, qu’avant de prononcer sa compétence sur la foi de ce seul article, la Chambre examinât s’il pouvait réellement être appliqué, compte tenu que cette loi n’avait pas encore été votée. La question restait donc de savoir dans quelle loi les pairs rechercheraient la définition des crimes de l’article 33. La doctrine adoptée par la Chambre est implicitement contenue dans l’arrêt que celle-ci rendit le 17 novembre. Le sixième paragraphe de cet arrêt est ainsi conçu : "Attendu les charges existantes contre Michel Ney, maréchal de France, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa, ex-pair de France, accusé de haute trahison et des attentats et complots contre la sûreté intérieure et extérieure de l’État prévus par les articles 77, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 94, 96 et 102 du Code pénal, ainsi que par les articles 1er et 5 du titre Ier, et par l’article 1er du titre III de la loi du 21 brumaire an V"24. Il ressort de cet attendu que, faute de loi spéciale définissant les crimes de l’article 33, la Chambre s’est référé au Code pénal pour définir les infractions reprochées à Ney. Ce raisonnement s’appuie sur la combinaison des articles 33 et 68 de la Charte, ce dernier établissant que toutes les lois conformes à la Constitution étaient maintenues en vigueur. Le Code pénal entrait donc dans cette catégorie, et la Chambre considéra que la loi à laquelle se référait l’article 33 pouvait correspondre, compte tenu de l’article 68, aux dispositions du Code pénal. C’était, sur ce point également, suivre l’avis du pair qui avait pris la parole après Bellart et avait fait valoir à la Chambre que "le Code pénal a prévu, il a défini, de la manière la plus étendue, les crimes dont on accuse le maréchal Ney"25
31Ce raisonnement a été suivi par la Chambre des pairs chaque fois qu’elle a été saisie sur la base de l’article 33. Sa meilleure expression date de 1834 et revient à Portalis. Le 19 décembre 1834, à la veille du procès de l’attentat d’Avril, il s’exprima ainsi, résumant la jurisprudence inchangée de la Chambre depuis le procès du maréchal Ney : "L’article 28 [ancien article 33 de la Charte de 1814] est formel à cet égard, et s’il y est parlé d’une définition légale des crimes d’attentat, cette disposition doit être combinée avec cette autre disposition de la même Charte, qui maintient les lois en vigueur : or, le Code pénal de 1810 définit les attentats à la sûreté de l’État. […] Les mots "qui seront définis par la loi" ne se rapportent pas nécessairement à une loi future. […] La compétence de la Chambre des pairs n’est donc point une compétence éventuelle, soumise à l’intervention d’une loi à venir ; c’est la compétence actuelle d’un tribunal en activité"26. Au terme de ce raisonnement juridique, la Chambre se reconnaissait compétente pour les crimes déjà définis par des lois antérieures à la Charte, malgré le temps employé dans l’article 33.
32Un second obstacle fut ignoré par la Chambre. Comme le soulignait le discours de Richelieu, on lui demandait d’examiner sa compétence à la seule vue de la plainte communiquée par le gouvernement. Cela l’amenait seulement à comparer les termes de l’accusation et l’article sur lequel elle se fondait pour établir si les faits relevaient bien de sa juridiction. Cette procédure méconnaît donc la consigne qu’avait donnée le ministre de la Justice au conseil de guerre lorsqu’il avait rappelé qu’il ne pourrait examiner sa compétence qu’après avoir entendu le rapport du commissaire instructeur. En effet, et surtout lorsque la compétence d’une juridiction spéciale est fondée sur la nature d’un crime, il est normalement impératif que cette juridiction ait fait procéder à l’instruction complète du procès avant de se prononcer sur sa compétence. C’est là le seul moyen pour elle de savoir si les actes reprochés au prévenu relèvent bien de la catégorie des crimes particuliers dont la connaissance lui est attribuée. Or, aucun pair n’a réclamé de nommer un pair instructeur et d’entendre son rapport avant l’examen des questions de compétence. Au contraire, ils ont donné satisfaction sur ce point à Richelieu qui demandait à la Chambre de se déclarer compétente sans connaître l’ensemble des charges retenues contre le maréchal Ney.
33Enfin, si rien n’indique dans les actes du gouvernement les raisons qui l’ont poussé à traduire Ney devant la Chambre des pairs en vertu du seul article 33, on peut remarquer que retirer sa qualité de pair au maréchal faisait habilement disparaître un moyen de nullité de la procédure. L’article 34 dispose en effet que les pairs ne peuvent être arrêtés "que de l’autorité de la Chambre". Or, celle-ci n’a jamais réclamé l’arrestation du maréchal puisque la liste du 24 juillet a été rédigée par Fouché, au nom du Conseil des ministres. Conserver sa qualité de pair au maréchal Ney aurait inévitablement amené la défense à plaider la violation de la disposition de l’article 34 et à demander l’annulation de la procédure. Mais il n’empêche que sa qualité ne lui a pas été retirée par un jugement de la Chambre et que le considérer comme un "ex-pair de France" en vertu de sa présence dans la Chambre des pairs de Napoléon ou sur la base de l’ordonnance du 24 juillet, relève encore d’une violation de ses droits. N’ayant pas été destitué par un jugement dans les formes, Ney demeure donc pair de France. Son arrestation et tous les actes qui en découlent, jusqu’au 11 novembre et même jusqu’à la fin de son procès, méconnaissent donc la Charte constitutionnelle. Mais la Chambre des pairs ignora superbement cette question et s’employa avec rigueur à le désigner comme "ex-pair de France" chaque fois qu’elle en eut l’occasion. Une fois déclarée compétente, elle n’avait plus à craindre d’objection sur ce point.
34En somme, le renvoi du maréchal Ney devant la Chambre des pairs est une victoire en demi-teintes. C’est d’abord, devant le conseil de guerre, un succès des avocats qui ont rappelé aux juges l’ensemble des droits de la défense et des privilèges dont les ordonnances des 24 juillet et 2 août 1815 privaient leur client ; c’est aussi une étape importante du point de vue constitutionnel puisque la décision du conseil s’est fondée sur la primauté de la Charte sur tous les autres textes juridiques, fussent-ils d’origine royale ; c’est enfin, et dans le même esprit, une pierre de plus apportée au parlementarisme qui s’érige lentement pendant ces premières années de la Restauration : la décision du conseil consacre encore timidement la théorie sur la séparation des pouvoirs mais limite tout de même l’Exécutif dans sa prétention à légiférer.
35Mais la victoire reste amère pour le maréchal Ney. Il n’a pas obtenu d’être traduit devant la Chambre des pairs en tant que pair de France. Sa dignité lui est refusée, et il sait désormais que les pairs n’ont pas les meilleures intentions à son égard. En outre, la déclaration de compétence de la Chambre s’est faite au mépris du respect de règles de procédure importantes. Les premières violations des lois pénales à l’occasion de cette première journée laissent augurer des nombreux affranchissements que risque de s’offrir la Chambre des pairs. Il n’en reste pas moins que la Chambre s’est déclarée compétente : légale ou non, la procédure du maréchal Ney est donc enclenchée, et son procès peut enfin avoir lieu.
II – Les audiences préparatoires
36Le 11 novembre au soir, la France entière peut se rassurer : le maréchal n’est pas sauvé, il sera bel et bien traduit en justice. Son affaire passionne en effet le public et son procès s’instruit devant l’opinion. Les ultra-royalistes ne s’avouent qu’à demi confortés par la déclaration de compétence de la Chambre des pairs. Peu versés dans les procédures criminelles, ils s’étonnent des formes que doit observer la Chambre. Les nouveaux juges du maréchal Ney leur paraissent bien timorés.
37La haine vouée au maréchal se déverse avec autant de violence sur ses défenseurs. Les papiers publics soupçonnent Berryer de sympathies bonapartistes. Le célèbre avocat parisien compte pourtant dans sa famille plusieurs victimes de la guillotine révolutionnaire qui ont définitivement ancré son attachement notoire au roi et aux institutions monarchiques. Mais sa modération est devenue son crime. Plusieurs avocats l’exhortent sans ménagement à abandonner la cause de Ney. On le compare aux régicides Ravaillac et Damiens. On le supplie "au nom de l’honneur, au nom de votre famille, au nom de votre Ordre"27. Inquiété par cette violence, il écrit au roi pour faire part de son trouble ; Louis XVIII répond alors à son fils, devant plusieurs membres de la cour : "Dites à votre père d’être bien tranquille et de faire son devoir"28.
38La stratégie de Berryer père et Dupin s’est appuyée sur des moyens de droit tirés de la Charte constitutionnelle et de la législation pénale ordinaire. Les questions préjudicielles, notamment, devaient démontrer l’inconstitutionnalité du procès et la nullité de la procédure. La plaidoirie prévoyait également d’invoquer la convention militaire signée le 3 juillet 1815 entre Davoust, Blücher et Wellington. Ce texte, fondamental pour la défense de Ney, organisait la capitulation de Paris et garantissait que nul ne serait inquiété ni recherché relativement à ses fonctions, à sa conduite et à ses idées pendant les Cent-Jours.
39Mais les avocats de Ney s’adressaient à une assemblée politique, et non à des magistrats professionnels. Les débats austères des questions de procédure, pourtant protectrices de l’innocence et de la légalité, n’eurent pas d’écho parmi l’auditoire des défenseurs. Les juristes avertis comme Lanjuinais, ou les esprits libres, comme le jeune duc de Broglie, ne firent pas d’émules, malgré la qualité de leurs interventions.
40La Chambre des pairs résolut l’affaire en neuf séances, entre le 11 novembre et le 6 décembre 1815. L’absence de règles d’organisation et de procédure relatives à la haute juridiction a conduit le gouvernement et la Chambre à pallier les lacunes constitutionnelles et législatives de la Restauration. Munis de quelques normes minimales, les pairs ont entendu le rapport d’instruction inspiré du travail du conseil de guerre. Ils ont ensuite voté sans difficulté la mise en accusation du maréchal Ney. Cette dernière question paraissait tellement évidente qu’elle fut tranchée au mépris des règles élémentaires en matière de mise en accusation et de devoirs du ministère public.
A – L’improvisation des règles d’organisation
41Après l’éviction d’un débat de fond sur les lacunes de la Charte à propos de la compétence de la Chambre, l’improvisation à la hâte de normes pénales nouvelles constitue un deuxième aspect du caractère illégal et arbitraire du procès du maréchal Ney. En matière criminelle plus que dans tout autre domaine du droit, parce que la vie d’un prévenu est en jeu, il importe particulièrement que les règles dont il fait l’objet et qui soumettent les juges à un ordre juridique précis ne soient pas édictées spécialement pour une affaire ou un homme mais avant le procès censé les appliquer. La sécurité juridique des citoyens dépend étroitement de ce principe de légalité, et c’est dans ce sens que le droit pénal moderne a posé qu’un individu ne pouvait être jugé que selon le droit sous l’empire duquel il a commis un acte délictueux. Les règles postérieures ne peuvent s’appliquer, à moins d’être plus favorables à l’accusé, indiquant par là un changement dans les valeurs qu’une société entend défendre.
42Or, la plupart des règles que dut observer la Chambre des pairs ont été fixées spécialement pour le procès du maréchal Ney. Elles perdaient d’un seul coup leur caractère général, ordinairement attaché à toute norme juridique, et leur objectivité, étant entendu qu’on les adaptait spécialement au cas soumis à la chambre haute.
43Une partie de la haute juridiction, offusquée par le discours de Richelieu, n’avait pas voulu se contenter de l’ordonnance du 11 novembre pour établir les règles de procédure. Un de ces pairs avait même l’intention de soumettre à la Chambre un projet d’arrêté éclaircissant les doutes que laissait planer l’ordonnance. Ce texte établissait en six articles les règles nécessaires au fonctionnement de la Chambre : sa constitution en haute cour de justice, la publicité des débats, l’assistance d’un conseil pour la défense de l’accusé, l’adjonction à la Chambre, avec voix consultative seulement, de cinq membres de la Cour de cassation, de cinq de la cour royale de Paris et de deux du tribunal de première instance ; deux autres dispositions intéressaient le choix d’un local plus convenable à la notoriété et à la solennité du procès, et le droit de la Chambre de faire, pour sa police interne, les règlements qu’elle jugerait utiles.
44Mais le gouvernement rédigea une nouvelle ordonnance le 12 novembre rendant sans objet l’intervention de l’orateur. En effet, conscient de l’hostilité sourde qu’inspiraient ses paroles vigoureuses et sentant qu’il avait commis une faute, Richelieu demanda le 11 au soir à plusieurs juristes d’élaborer une nouvelle ordonnance, complétant la première et rétablissant des règles plus proches de celles qui organisent les tribunaux ordinaires. Bâclé dans la nuit, le nouveau texte permit au duc de faire amende honorable devant la Chambre et de rassurer ceux qui, à l’instar de Molé, s’inquiétaient de l’impatience du gouvernement. Les deux textes conféraient le minimum de règles nécessaires au fonctionnement de la nouvelle juridiction.
45Pour que la Cour des pairs pût fonctionner comme un tribunal, il était indispensable de lui adjoindre un ministère public, un greffe et des officiers ministériels chargés de signifier les ordres de la Cour aux témoins et aux accusés.
46Les ordonnances des 11 et 12 novembre 1815 s’attachent en premier lieu à organiser la création d’un ministère public auprès de la Chambre des pairs, chargé de soutenir l’accusation et de rendre des réquisitoires au nom du roi. Le procès du maréchal Ney s’est pourtant ouvert sur une certaine confusion entre les fonctions législatives et judiciaires de la Chambre ; et la place que le gouvernement occupa au sein de la Cour s’explique par cette improvisation de dernière minute29. Richelieu avait demandé aux pairs dans la séance du 11 novembre de procéder au jugement du maréchal Ney "en suivant pour cette procédure les formes qu’[ils] observaient pour la délibération des lois, sauf les modifications portées par l’ordonnance de Sa Majesté"30. L’ordonnance du 11 confirme la confusion des attributions juridictionnelles et des fonctions législatives de la Cour en précisant toutefois que la Chambre n’a pas à se diviser en bureaux31
47Le résultat de ces dispositions aboutit à l’association complète du gouvernement au ministère public. Puisque les ministres pouvaient siéger à l’assemblée législative, il apparut évident aux rédacteurs des ordonnances de les nommer tous commissaires du roi avec le procureur général Bellart. Envisageant le vide constitutionnel relatif au parquet de la Cour, Richelieu expose aux pairs que "personne ne peut vouloir que le jugement soit retardé par le motif qu’il n’existe pas auprès de la Chambre des pairs un magistrat qui exerce l’office de procureur général. […] Les ministres sont les organes naturels de l’accusation, et nous croyons bien plutôt remplir un devoir qu’exercer un droit en nous acquittant devant vous du ministère public"32. Richelieu présente habilement les lacunes de la Charte comme la volonté de ses rédacteurs d’octroyer une certaine marge de manœuvre à l’accusation en matière de crime d’État.
48Si l’ordonnance du 11 donne force légale à la volonté gouvernementale, en stipulant notamment que le texte serait porté à la connaissance des pairs "par nos ministres secrétaires d’État et notre procureur général près notre cour royale de Paris, que nous chargeons de soutenir l’accusation et la discussion"33, l’ordonnance du 12 novembre en revanche apporte une légère modération à cette confusion des genres. C’est en effet renier l’utilité et le fonctionnement du parquet que de confier le ministère public aux ministres du gouvernement. L’institution du ministère public trouve au contraire sa signification dans la distance qu’elle impose entre le pouvoir et le tribunal. Associer aussi directement les ministres de Louis XVIII à l’accusation du maréchal Ney prive ses juges de cette protection destinée à leur épargner les pressions gouvernementales. Il ne suffisait donc pas que le parquet en France ne fût pas absolument indépendant du ministère de la Justice : Richelieu faisait de chacun de ses ministres des procureurs du roi, au même titre que Bellart.
49L’ordonnance du 12 novembre n’a pu remettre complètement en cause ces dispositions contraires à l’esprit du droit français. Mais en précisant le texte de la veille, elle semble isoler quelque peu le procureur général des ministres commissaires pour renforcer sa position au sein du parquet. Ainsi, conformément à l’ordonnance du 11, elle consacre l’association du gouvernement au ministère dans son article 4, selon lequel "l’instruction étant terminée, sera communiquée à nos commissaires, qui dresseront l’acte d’accusation"34. Mais à plusieurs reprises, le procureur général se détache de l’ensemble des parquetiers, en limitant ainsi l’implication personnelle des ministres dans l’accusation de Ney. L’article 1er de l’ordonnance dispose que "la procédure sera introduite sur le réquisitoire de notre procureur général de la cour royale de Paris, l’un de nos commissaires délégué"35 par l’ordonnance du 11. L’article 7, sans nommer le procureur Bellart, prévoit en outre qu’un seul des commissaires sera chargé de présenter les réquisitoires du parquet à la Chambre des pairs. De la combinaison de ces deux dispositions, il a résulté que la parole au sein du ministère public appartenait à Bellart seul, les ministres n’étant associés qu’à la préparation des actes d’accusation. Il n’empêche que la place des représentants du pouvoir au sein de la Cour des pairs renforce davantage le caractère politique du procès en laissant peser sur les juges de lourdes pressions et de sournoises exigences de démonstrations de fidélité au roi et à son gouvernement. L’ordonnance du 12 novembre n’amène qu’une faible modération, la "convenance", selon l’expression de Cauchy, de faire instruire la procédure par un parquetier étranger au gouvernement36.
50Les ordonnances royales comblent ensuite le vide juridique de la Charte sur d’autres aspects de l’organisation de la Cour. Le secrétaire archiviste de la Chambre est nommé greffier, en raison de la similitude des fonctions. Les pairs jugent en outre que cette charge ne le soumet à aucune obligation nouvelle, ce qui le dispense de prêter un nouveau serment. Dans le même esprit, les pairs arrêtent que les huissiers ordinaires de la Chambre signifieront les ordres de la Cour aux témoins et aux inculpés.
51La Cour des pairs s’est donc dotée des rouages minimum nécessaires à son fonctionnement. Mis à part le cas du procureur général Bellart, qu’elle n’a pas choisi, elle a veillé scrupuleusement à ce qu’aucune personne étrangère à la pairie ne siège en son sein. Elle a notamment repoussé la proposition de s’adjoindre douze magistrats issus de la Cour de cassation, de la cour royale de Paris et du tribunal de première instance. Elle entendait par là sauvegarder l’entier exercice du privilège de juridiction à ses justiciables et rappeler ses caractères de distinction. Ces questions résolues, elle put ordonner l’instruction du procès.
B – L’instruction du procès et la mise en accusation du maréchal Ney
52L’ordonnance du 12 novembre 1815 énumère les phases essentielles du procès en indiquant les actes et les mécanismes indispensables à tout contentieux criminel. Si elle s’inspire largement de la législation pénale relative aux cours d’assises, elle n’en reproduit pas tous les éléments et fait l’économie de la précision ordinaire des textes qui fixent la procédure des juridictions répressives de droit commun.
53D’après le Code pénal, la procédure criminelle ordinaire comporte quatre phases distinctes. L’instruction en premier lieu est confiée à un magistrat attaché au tribunal de première instance, et non à la juridiction chargée de juger le prévenu. La chambre du conseil, dans un deuxième temps, s’occupe de la mise en prévention, au vu du rapport d’instruction. La mise en accusation, ensuite, n’appartient pas au tribunal de première instance mais à la cour royale, qui examine à nouveau les charges réunies contre le prévenu. Enfin, sur l’ordre d’un arrêt ou d’une ordonnance de renvoi rendu par cette dernière chambre, l’accusé est déféré à la cour ou au tribunal compétent pour le juger.
54Cette procédure assure ainsi à l’accusé la garantie de deux degrés d’examens préparatoires : un au niveau du tribunal de première instance, l’autre à celui de la cour royale. Il existe toutefois des affaires à propos desquelles les cours royales peuvent user du droit d’évocation que leur confère l’article 235 du Code pénal. Dans ce cas précis, la délibération de la chambre du conseil et celle de la chambre des mises en accusation se confondent, réduisant l’examen préparatoire au seul degré de la cour royale. L’instruction est alors confiée, elle aussi, à un magistrat délégué par cette cour.
55Le gouvernement calque la procédure criminelle de la Chambre des pairs sur ce dernier modèle, en confiant l’ensemble de tous les actes à la seule juridiction des pairs. Il respecte ainsi l’hostilité des pairs à laisser intervenir au sein de leur assemblée des personnes étrangères à la Chambre et leur refus catégorique, lié au privilège de juridiction, de soumettre une part du procès à l’appréciation d’un autre tribunal.
56Au terme de l’ordonnance du 12 novembre, il appartint donc à un pair de France de mener l’instruction du procès pour en rendre compte à la Chambre, afin que celle-ci pût débattre et prononcer la mise en accusation de Ney.
1 – L’ouverture de l’instruction
57Le 13 novembre, la Cour se réunit pour entendre le réquisitoire du procureur général. Conformément aux réclamations de Bellart, elle rend ensuite un arrêt ordonnant l’instruction du procès, confiée au président Dambray ou à l’un des pairs qu’il voudra nommer. Le chancelier charge alors le baron Séguier de réunir les informations nécessaires résultant de la plainte déposée par les commissaires du roi contre le maréchal Ney. Le 16, le pair instructeur peut mettre sous les yeux de l’assemblée les résultats de ses investigations. Laurens et Mavidal ne reproduisent pas dans les Archives parlementaires les propos du baron Séguier. Mais compte tenu du délai très bref, trois jours, qui lui a suffi pour achever l’instruction du procès, et vu la liste des témoins qui ont été cités à la Cour par la suite, on peut penser, comme plusieurs historiens, que la Chambre des pairs a reproduit l’intégralité du travail effectué par le rapporteur Gründler auprès du conseil de guerre. En conséquence, l’intérêt d’une étude de l’instruction du procès se limite à la présentation des débats de la Chambre, après l’ouverture du procès par le réquisitoire de Bellart, et aux formes observées pour rendre l’arrêt ordonnant l’instruction et fixant l’étendue et la durée des pouvoirs du pair instructeur.
a – Le réquisitoire introductif
58L’article 1er de l’ordonnance du 12 novembre dispose que "la procédure sera introduite sur le réquisitoire de notre procureur général de la cour royale de Paris, l’un des commissaires délégués par notre ordonnance susdite"37. À l’ouverture de sa première séance judiciaire, la Cour, réunie en chambre du conseil, doit d’abord entendre une nouvelle fois la lecture de l’ordonnance royale d’attribution de jugement, puis donner audience au procureur général, afin de recevoir la plainte qui justifie sa constitution en cour de justice.
59Plusieurs membres de la Cour veulent, le 13 novembre, retarder le réquisitoire du procureur pour lancer un débat plus poussé sur les formes à observer et sur les motifs de la compétence de la Chambre. Barbé de Marbois, garde des Sceaux, objecte que la Chambre ayant déclaré sa compétence, elle n’a aucune raison de repousser le commencement de la procédure ; en outre, il fait remarquer à ses contradicteurs que les deux ordonnances royales déposées par les commissaires du roi garantissent à la Chambre les règles principales de son organisation et de sa procédure. Il demande donc à Dambray d’ordonner l’audition du réquisitoire. Le président se range à son avis et met un terme définitif à la question soulevée.
60Le réquisitoire de Bellart est à la hauteur des sentiments du gouvernement dont il ne trahit ni l’impatience ni la détermination farouche à faire condamner le maréchal Ney. Oubliant qu’il a été un conseiller personnel de la maréchale, devenu l’organe de l’accusation et de la vindicte publique par les caprices du temps, Bellart remplit sa fonction avec le dévouement, le zèle et l’acharnement qui plaisent à ses maîtres. Il commence son intervention en présentant le ralliement de Ney comme "un attentat […] inconnu jusqu’ici dans l’histoire de la loyauté militaire de toutes les nations"38. Comme Richelieu, Bellart rappelle à son auditoire la pression des puissances européennes qui pèse sur cette affaire. La culpabilité de Ney s’apprécie selon le procureur d’après les circonstances dont son crime fut entouré et selon les conséquences qu’il a pu produire. S’il refuse d’énumérer les faits délictueux reprochés au maréchal, le commissaire du roi soutient la thèse de l’appartenance de Ney au complot responsable de la préparation et du succès du débarquement de Napoléon. Il ne fait pas de doute, à l’entendre, que le maréchal fut un traître de la première heure qui exprima sa surprise au roi, le 7 mars, à l’annonce de l’entreprise de Napoléon, "dans un mouvement d’indignation factice"39. Bellart laisse deviner à ce point du réquisitoire la ligne que suivra l’accusation : considérer le maréchal Ney comme un instigateur dont chaque crime était prémédité depuis des mois. Quant aux conséquences de sa défection, le procureur se borne à n’en citer que deux : le ralliement de l’armée entière à Napoléon et les malheurs du pays depuis le 5 mars 1815. On ne saurait être plus imprécis, plus vague que Bellart. On ne saurait mieux, non plus, travestir la vérité pour l’adapter à un cas précis qu’on cherche à "caser" dans un contexte pourtant beaucoup plus complexe. La défection de l’armée avait précédé celle de Ney ; l’indignation déguisée restait à prouver ; quant aux malheurs du pays, Bellart refusait d’en préciser les liens avec l’accusé. À l’issue de son réquisitoire implacable, le procureur général laisse croire que Ney a tout fait, tout organisé, tout manigancé, à tel point qu’il arrive à faire disparaître Napoléon derrière le maréchal Ney. "Les désastres de la patrie sont le seul résultat de la trahison du maréchal Ney et du petit nombre de ses complices : en sorte que c’est lui et que ce sont eux seuls que chaque Français peut justement rendre responsable des maux publics ou domestiques qu’il a soufferts et qu’il souffre encore"40.
61Zélé, soucieux de satisfaire le gouvernement, Bellart exige que le procès ne s’éternise pas et pose une question surprenante : "Et pourquoi faudrait-il des délais ? Est-ce pour rassembler des preuves ?"41. D’après lui, les preuves sont partout et la Chambre n’a pas besoin de retarder le procès pour compléter l’instruction. "Quand l’évidence est complète, l’excès de preuves ne sert plus qu’à la curiosité publique"42. D’ailleurs, il fait valoir à la Cour que le maréchal ne nie pas son crime. Si des délais supplémentaires ne servent pas l’accusation ni l’instruction, c’est qu’ils ne peuvent avoir d’utilité que pour la défense. Or, il refuse de croire que Ney ait encore besoin de temps avant de se présenter devant ses juges. Si le conseil de guerre s’était déclaré compétent, les avocats de Ney auraient eu à défendre leur client ; Bellart en déduit que Berryer et Dupin sont tout préparés à contredire devant la Cour l’accusation de leur client.
62Ce dernier argument paraît néanmoins quelque peu spécieux dans la mesure où le système de défense aurait sans doute été différent devant le conseil de guerre et devant la Cour des pairs. Bellart termine enfin l’exposé des faits en insistant auprès des juges pour leur signifier "qu’un retard inutile pour [le maréchal Ney] ne serait dès lors qu’un scandale et qu’une sorte de prime accordée, par un étrange renversement d’idées, à l’espèce de forfait dont l’intérêt public réclame justement la prompte punition"43.
63Après ce résumé des motifs de la convocation de la Cour des pairs en cour de justice, Bellart communique ses requêtes à la Cour. Il demande à la Chambre de prendre acte du réquisitoire qu’il vient de prononcer devant elle et de le considérer comme une addition à la plainte contenue dans l’ordonnance du 11 novembre. Il requiert également que la Chambre donne acte aux commissaires du roi du dépôt qu’ils font de cent quatre-vingt-dix-neuf pièces relatives à l’affaire du maréchal. Enfin, il demande l’ouverture de l’instruction et la fixation du jour où la Chambre s’assemblera pour entendre le rapport du pair délégué à cet effet. Il souhaite que, le même jour, la Chambre décide s’il y a lieu de décerner une ordonnance de prise de corps contre Ney et indique, dans l’affirmative, le jour d’ouverture des débats, "lesquels, quand ils seront ouverts, seront continués sans désemparer"44.
64Le procureur compte sur l’effet produit par ses réquisitoires pour obtenir une issue rapide du procès. Son dévouement est pourtant déçu puisque la Chambre décide de modérer l’empressement des commissaires en différant l’ouverture des débats au 21 novembre. Lucas-Dubreton rapporte, à propos de l’incapacité de Bellart à faire accélérer les procédures, ce mauvais mot qui courait alors au palais du Luxembourg : "L’éloquence est un bel art mais Bellart n’est pas l’éloquence".
b – L’instruction du procès
65À l’issue du réquisitoire du procureur général, un débat s’élève au sein de la Chambre portant sur la qualification juridique des différents actes que les commissaires du roi lui ont communiqués depuis le 11 novembre.
66Un membre de la Cour remarque une contradiction de nature à annuler la procédure : le réquisitoire de Bellart est présenté comme un acte additionnel de plainte, mais il n’y a pas de plainte initiale. Il en veut pour preuve que le discours de Richelieu et l’ordonnance du 11 novembre sont, en fait, des actes contenant une accusation et non une plainte. Mais la Cour s’indigne que l’on puisse encore gêner son action pour des questions de procédure. Elle décide qu’il ne faut pas entendre le mot "accusation" de ces deux textes dans leur acception strictement juridique et rend un arrêt qui remet artificiellement un peu d’ordre dans cette confusion. Le discours de Richelieu et l’ordonnance du 11 sont qualifiés d’actes de plainte ; le réquisitoire de Bellart constitue donc un acte additionnel de plainte, conforme aux prescriptions de l’ordonnance du 12 novembre. La Chambre est donc légitimement requise d’ordonner l’ouverture de l’instruction. Berryer ne manquera pas de signaler ces contorsions pour démontrer la nullité de la procédure.
67Plusieurs raisons expliquent qu’aucune instruction ne peut avoir lieu devant la Cour sans que celle-ci le prescrive dans un arrêt. La première tient au fait qu’aucune loi n’a délégué auprès de la haute juridiction de magistrat spécialement chargé de remplir les fonctions de juge d’instruction. Cela rend donc indispensable l’intervention d’un arrêt de la Chambre nommant un pair instructeur et ordonnant l’ouverture de l’instruction. Mais surtout une seconde raison dévoile la nécessité de cette procédure. Comme juridiction privilégiée, la Cour des pairs ne peut connaître que certains faits, déterminés de façon précise, qu’ils soient commis par des pairs de France ou par des individus quelconques. Pour ne pas étendre inconstitutionnellement son champ de compétence, elle doit donc veiller à ce que tous les faits dont elle se trouve saisie ressortissent réellement de sa juridiction. Ainsi, l’arrêt qui ordonne une instruction résout en principe toutes les questions de compétence : la Chambre peut donc refuser de connaître une affaire même si elle a préalablement accepté l’attribution de jugement dont elle faisait l’objet ; en outre, ce mécanisme lui permet de rejeter des plaintes dont le caractère mal fondé est manifeste au simple énoncé de la plainte : elle sauvegarde ainsi la dignité de ses membres en ne poursuivant pas davantage les pairs impliqués dans des procédures contentieuses45.
68L’arrêt du 13 novembre 1815 ordonnant l’instruction du procès de Ney donne acte au procureur des dépôts qu’il a faits à la Chambre : réquisitoire et pièces d’information. Il s’appuie ensuite sur les dispositions du Code pénal et les motifs de plainte allégués par Bellart pour reconnaître le bien-fondé de sa requête et ordonner l’instruction de l’affaire. L’attendu le plus important de cet arrêt dispose que la Cour, "en conséquence et attendu que les faits énoncés auxdits actes de plainte sont prévus par les articles 77, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 94, 96 et 102 du Code pénal et constituent le crime de haute trahison, ordonne qu’il sera incontinent procédé à l’instruction écrite du procès selon les formes du Code d’instruction criminelle telles qu’elles sont appliquées par l’ordonnance du roi du jour d’hier"46. Reconnaissant que les infractions évoquées par le procureur appartiennent à la catégorie des crimes qui lui sont déférés et accueillant la plainte des commissaires du roi comme suffisamment fondée, la Chambre accepte de procéder à l’instruction du procès afin d’établir la réalité et les circonstances des faits allégués et de passer outre à l’ouverture des débats et au jugement de Ney.
69L’article 2 de l’ordonnance du 12 novembre pose une règle qui est devenue un usage invariable de la Chambre tout le long de son existence. Il ressort de cette disposition que "les témoins seront entendus et le prévenu sera interrogé par notre chancelier, président de la Chambre des pairs, ou par celui des pairs qu’il aura commis"47. L’arrêt de la Cour du 13 novembre rappelle le pouvoir ainsi confié au président Dambray. Ce dernier n’exerça pas personnellement cette fonction et commit le baron Séguier pour la remplir. Le choix du commissaire instructeur n’était pas innocent : Lucas-Dubreton rapporte que "Séguier, premier président de la cour royale tenait à faire oublier "sa servilité sous l’empereur et tremblait qu’on ne découvrît toutes ses lâchetés pendant les Cent-Jours"48. C’est en effet un principe bien connu qu’il n’est pas de plus docile serviteur que celui qui veut faire oublier ses fautes à ses nouveaux maîtres. Séguier et Bellart sont deux figures différentes de la Restauration. Le premier destine son zèle à l’oubli de ses reniements passés ; le second, ancien avocat, touche les dividendes de sa violence exprimée à partir de 1814 contre les ennemis du roi.
70Séguier termine l’instruction du procès en trois jours. La liste des témoins qu’il fait citer et le très bref délai qui fut nécessaire à son "travail" révèlent qu’il s’est contenté de reprendre l’instruction du conseil de guerre menée par Gründler. Deux traits principaux relatifs à la conduite de Ney se dégagent d’une lecture objective du rapport49 : informé le 6 mars 1815 qu’il doit se rendre auprès du ministre de la Guerre, Ney reçoit l’ordre, le lendemain, de partir en Provence arrêter Napoléon qui remonte la vallée du Rhône ; jusqu’au 13 au soir, il sert fidèlement la cause du roi et donne des ordres réellement préjudiciables à l’empereur. Puis, dans la nuit du 13 au 14, découragé par l’avancée irrépressible de Napoléon, soutenu par les populations locales et rejoint par une grande partie des troupes royalistes, il rallie l’expédition de Bonaparte et participe à sa marche sur Paris.
71Plusieurs témoins confirment les protestations de loyauté du maréchal jusqu’au soir du 13 mars : son notaire, maître Batardy, et l’aide de camp du ministre de la Guerre croient en la sincérité de l’étonnement de Ney à l’annonce du débarquement de Napoléon. Ils détruisent ainsi la thèse d’un complot fomenté depuis trois mois, soutenue par l’accusation et retenue par la Cour. La correspondance de Ney avec le maréchal Soult souligne la conformité de ses ordres avec les instructions qu’il avait reçues. Plusieurs soldats aux ordres de Ney, comme Colbert, Lefèvre-Desnouettes ou Ségur, ou d’autres aux ordres du duc de Berry, comme le duc de Maillé, ont témoigné de l’énergie du maréchal à mobiliser ses troupes contre Napoléon. D’autres ont même déposé que sa défection était un acte personnel, qu’il n’avait obligé personne à l’imiter, pas même son propre aide de camp.
72Ney résume ainsi son ralliement : "Ce que j’ai fait est un grand malheur, j’ai perdu la tête, je n’ai jamais fait le complot de trahir le roi"50. Les circonstances de sa défection ne font pas la même unanimité parmi les témoins. Les mauvaises dispositions des troupes à continuer de défendre la cause des Bourbons ne font pas de doute : depuis le 10 mars, les dépêches accumulent les comptes-rendus sur les nouvelles désertions. Le général Lecourbe a pu témoigner à Gründler : "Je ne puis assurer si le maréchal Ney, avec ses troupes, eût pu arrêter le torrent ; je crois qu’il n’était plus temps"51. Mais le général de Bourmont, plus violent à l’encontre de Ney tout au long de ses dépositions, attribue l’invincibilité de l’entreprise napoléonienne à des erreurs tactiques du maréchal et laisse planer des doutes sur le caractère volontaire de ses fautes ; il ne peut, pourtant, citer aucun fait positif démontrant ses allusions tacites.
73La personnalité de l’empereur est une autre explication majeure du ralliement : les réponses de Ney au préfet de police Decazes et au rapporteur Gründler soulignent la profonde fascination exercée par Napoléon. On ne manque pas de sentir une admiration irrationnelle pour cet empereur qui a élevé le maréchal, fils de tonnelier, aux plus hautes dignités de l’Empire, avec la fulgurance propre à ce régime. Il n’est pas étonnant, alors, que Ney ait été ébranlé par son entrevue avec Bertrand et Bonaparte. Ceux-ci lui prédisent une guerre civile sanglante si les troupes royalistes ne les rejoignent pas ; ils l’assurent d’une alliance européenne où l’Autriche soutiendrait Napoléon en contrepartie du respect, par ce dernier, des frontières définies en 1814. Enfin, le maréchal Ney attribue aux émissaires de l’empereur l’affichage d’une proclamation signée "Le maréchal d’Empire, Prince de la Moskowa", incitant les soldats à rallier Napoléon. Il donne pour preuve de son ignorance de cette déclaration qu’il n’a jamais signé de cette façon, mais par son seul nom, Michel Ney.
74Les entrevues avec les représentants de Napoléon ont toujours eu lieu en secret, si bien qu’il fut impossible pour la défense de citer des témoins des manœuvres de l’empereur : seule la parole du maréchal Ney devait en attester. Autant dire que le baron Séguier fit aisément l’économie de toutes les circonstances qui atténuaient la responsabilité du maréchal.
2 – La mise en accusation et ses préalables
75La mise en accusation du maréchal Ney est précédée d’une discussion relative à la présence des pairs aux séances de la Cour. Après avoir réglé cette question, ordinairement fixée par un acte législatif, la Chambre peut passer à la mise en accusation du maréchal, selon les formes prescrites par les ordonnances royales. Ces dernières s’inspirent de la législation pénale, à cette différence près que la Cour des pairs exerce à la fois les fonctions de chambre des mises en prévention et de chambre des mises en accusation.
a – L’assiduité des pairs aux séances judiciaires
76Consciente de l’importance particulière de la séance du 17 novembre qui doit aboutir à la mise en accusation de Ney et à la prolongation de son incarcération, la Chambre règle elle-même des points de procédure que les ordonnances royales n’ont pas envisagés. La gravité des discussions sur le vote d’une ordonnance de prise de corps à l’encontre du prévenu impose que les questions relatives à la présence des pairs aux audiences soient définitivement résolues avant de statuer sur le sort de Ney.
77Le duc de Richelieu avait déjà indiqué le 13 novembre qu’il ferait son possible, ainsi que ses collègues du gouvernement, pour manquer le moins possible aux séances judiciaires de la Chambre. En outre, il demandait aux pairs de suivre le cours entier des débats, sans quoi ils ne pourraient participer au jugement de l’affaire. Il souhaitait à cet effet que la présence des pairs fût constatée par des feuilles d’inscription. Dambray consulte l’assemblée le 16 novembre sur la manière de contrôler l’assiduité des pairs à toutes les séances de la Chambre. Plusieurs pairs proposent alors de confier au secrétaire archiviste le soin de procéder à un appel nominal à l’ouverture de chaque séance. Le marquis de Frondeville évoque ensuite l’ordonnance de 1667 selon laquelle un juge ne peut se déporter sans un motif légitime, jugé tel par le tribunal auquel il appartient. La Chambre prend alors un arrêté selon lequel aucun pair ne peut se récuser ou s’absenter avant que la Chambre n’ait déclaré fondées les raisons de son départ. Une cinquantaine de pairs s’est absentée de la Chambre pendant le procès du maréchal Ney, et les Archives parlementaires font état de la lecture par le président Dambray de leurs lettres d’excuses52, majoritairement fondées sur leur état de santé et sur l’éloignement imposé par leurs fonctions.
78Par cet arrêté, la Cour impose donc une obligation nouvelle aux pairs du royaume. L’assistance aux séances législatives est un des premiers devoirs des pairs ; mais la Chambre laisse à chacun le soin d’apprécier la nature et la gravité des causes motivant leur absence. Elle ne soumet ses membres à aucune formalité particulière pour prendre congé de leurs collègues. En revanche, par l’arrêté du 16 novembre, elle pose un principe inflexible, selon lequel les pairs ont l’obligation stricte de siéger à chaque séance judiciaire pour participer au vote final emportant le jugement de la Cour. Et même si l’arrêté semble limiter ses effets au seul procès du maréchal Ney, il a fait jurisprudence pour régler définitivement cette question jusqu’à la disparition de la Chambre des pairs.
79Enfin, l’arrêté, même s’il emploie le terme générique de "déport", désigne aussi bien les excuses que les récusations. Les premières comprennent les absences de pairs qui, en droit, pourraient siéger mais ne le souhaitent pas ou ne le peuvent pas dans les faits. Les récusations s’entendent en revanche des abstentions des pairs qui ne peuvent assister aux séances pour des raisons juridiques, liées directement aux fonctions judiciaires de la Chambre.
80Dans ce dernier cas, on parle plus précisément de déport quand la question est soulevée par le président de la Chambre ou un membre de l’assemblée, et de récusation lorsqu’elle est invoquée par l’accusé. À la différence des motifs d’excuse, examinés seulement par le président, les motifs de déport et de récusation sont soumis à l’appréciation de la Chambre entière.
81Dans l’affaire du maréchal Ney, les causes légitimes d’empêchement interdisant à un pair d’être juge furent nombreuses. Là aussi, ce procès constitue un précédent et a fait jurisprudence pour les affaires suivantes.
82Le défaut d’âge, en premier lieu, a exclu du jugement un certain nombre de pairs. En effet, ces derniers peuvent siéger, une fois revêtus de leur qualité, à partir de vingt-cinq ans mais n’ont voix délibérative qu’à trente ans. Ils n’ont donc le droit de voter, comme juge ou comme législateur, qu’à trente ans. Jusque là, ils n’appartiennent pas à la cour de jugement mais, au titre de leur qualité, peuvent assister sans jamais se prononcer aux séances judiciaires publiques. Le duc de Broglie illustre le mieux ce mécanisme. Il n’a atteint l’âge de trente ans que le 28 novembre 1815. Du 11 au 28 novembre, il n’avait donc pas le droit d’intervenir en tant que juge dans le procès du maréchal ; le 2 décembre, le président vérifia son acte de naissance pour excuser son absence à la Cour jusqu’au 28 novembre et l’admettre parmi les juges du maréchal.
83Le défaut d’assistance non justifié aux séances judiciaires est une autre cause d’empêchement, conformément à l’arrêté du 16 novembre. Mais cette règle d’apparence si rigoureuse est appliquée plus ou moins strictement selon les phases du procès. En fait, l’arrêté est interprété comme s’il n’imposait l’assiduité des pairs qu’à chaque étape du procès, chaque phase étant indépendante des autres. Ainsi, l’absence d’un pair à l’instruction préparatoire ne l’empêche pas de participer au jugement dans la mesure où il a régulièrement assisté à la mise en accusation et aux débats. De même, il peut être présent à l’instruction et aux débats et s’absenter pendant la mise en accusation. La phase des débats et des délibérations définitives semble être la seule au cours de laquelle cette règle d’exclusion était appliquée avec une extrême rigueur. Le chevalier Cauchy attribue cette libre interprétation de l’arrêté au "zèle des pairs de France [qui] a su mettre en défaut, dans ces graves circonstances, toutes les prévisions de calcul"53.
84La fonction d’accusateurs de certains pairs est une cause importante de déport. "Quiconque peut avoir à requérir la mise en accusation d’un prévenu ou la condamnation d’un accusé, paraît devoir rester étranger à la délibération des juges"54 Cette question n’intéresse pas le procureur général Bellart, qui n’est pas revêtu de la qualité de pair de France. Mais les ordonnances des 11 et 12 novembre nomment tous les ministres du gouvernement commissaires du roi, chargés "de soutenir l’accusation et les discussions"55 En conséquence, ceux des ministres qui sont aussi pairs de France ne peuvent à la fois-requérir au sein du parquet et juger parmi les autres pairs. Richelieu, Feltre et Barbé de Marbois ont donc soumis leur déport du jugement à la Chambre dès le 13 novembre en vertu de l’article 17 du titre 24 de l’ordonnance de 1667 s’opposant à ce qu’une même personne soit à la fois juge et accusateur d’un prévenu56. Le 16, trois autres déports sont présentés à la Cour : Talleyrand, Jaucourt et Gouvion-Saint-Cyr, tous pairs de France, prétextent pour s’abstenir de participer au jugement, leur présence dans le précédent ministère sur la proposition duquel les ordonnances du 24 juillet et du 2 août ont été rendues. La Chambre examine leur demande et les autorise à ne pas prendre part au procès, considérant que l’accusation du maréchal Ney est "en quelque sorte leur ouvrage, d’après l’unité du ministère, établie, en principe, par Sa Majesté"57. Il faut toutefois préciser que l’exclusion de ses six ministres ou anciens ministres s’explique par le fait que le gouvernement est associé directement au ministère public. Le 28 décembre 1820, à propos de la conspiration Nantil, Dambray fit remarquer qu’à la différence du procès du maréchal Ney, les ministres ne soutenaient pas dans cette affaire l’accusation contre les comploteurs du 19 août ; évoquant la position des ministres pairs, il précisa : "Ils n’ont fait qu’un acte de gouvernement ; ils ne sont intervenus que pour le maintien de la tranquillité publique. Il n’y a donc aucune parité à établir"58. L’exclusion des ministres pairs ne vaut que pour les cas où ces derniers soutiennent eux-mêmes l’accusation.
85Une autre cause de déport tient ensuite à la qualité de pairs de certains témoins au procès. Cette question n’a soulevé aucune difficulté, au moins jusqu’en 1826 et l’affaire des marchés de Bayonne. Dans le procès de Ney, cinq pairs se sont déportés pour cette raison, en vertu du principe général de législation criminelle selon lequel un individu ne peut être juge et témoin d’une même affaire.
86La participation d’un pair à un procès précédent relatif à la même affaire a paru être un motif légitime de déport. Ainsi, la Cour accepte le 16 novembre la demande d’abstention du maréchal Augereau, duc de Castiglione et pair de France, nommé le 29 août 1815 membre du conseil de guerre de la première division militaire pour juger le maréchal Ney.
87Enfin, la Cour a admis une dernière cause de déport, régulièrement acceptée ensuite à l’occasion de chaque procès : l’absence fondée sur le caractère ecclésiastique des pairs. Sept membres du clergé ont pu ne pas assister, pour cette raison, au jugement du maréchal Ney : le cardinal de Bayanne, Beausset, ancien évêque d’Alais, Bourlier, évêque d’Evreux, Clermont-Tonnerre, évêque et comte de Châlons, La Luzerne évêque et duc de Langres, l’abbé de Montesquieu et Talleyrand, archevêque et duc de Reims. Ce motif de déport ne vaut toutefois que pour les affaires criminelles les plus graves, comme les assassinats, les crimes de haute trahison, les complots et attentats à la sûreté du royaume. Au petit criminel et dans les affaires correctionnelles, comme celle des marchés de Bayonne, la Cour n’a pas autorisé les pairs ecclésiastiques à exciper de leur qualité pour se déporter d’un procès.
88Les nombreuses causes d’excuse, de récusation et de déport admises par la Chambre ont privé la cour de jugement d’une cinquantaine de pairs. Le 9 octobre 1815, Louis XVIII en avait nommé deux cent onze59 ; le nombre de membres présents au procès a oscillé régulièrement entre cent cinquante-huit et cent soixante et un. Dans tous les cas, les pairs s’en rapportent à leur conscience pour savoir s’ils doivent demander à la Cour l’autorisation de s’abstenir. Mais une fois la décision rendue, celle-ci est obligatoire : ils doivent s’y soumettre même si la solution heurte leur conscience60
89L’examen de ces questions avant la réunion de la Cour en chambre des mises en accusation était absolument indispensable pour respecter les formes observées pour les déports. Les récusations présentées par les accusés ne peuvent intervenir qu’après la prononciation de l’accusation par arrêt : le prévenu, devenu accusé, sait alors qu’il va être jugé et peut connaître l’identité de ses juges et soumettre les motifs nécessaires à leur récusation. "La récusation est en quelque sorte une allégation d’incompétence partielle, ou plutôt la récusation est pour les juges pris individuellement ce que l’exception connue sous le nom de déclinatoire est pour le tribunal entier"61.
90Au contraire, quand un pair connaît une cause de déport en sa personne, il doit en faire part à la Cour en chambre du conseil. Son intervention doit avoir lieu dès les premiers actes de la procédure. Il doit se rendre en personne à la séance afin de pouvoir siéger dès la première réunion dans le cas où son déport serait rejeté ; il ne peut pas non plus différer sa demande afin de ne manquer aucun débat au cas où il serait admis à siéger. L’examen des formes et des causes de déport après l’instruction alors que la Cour était déjà réunie en chambre des mises en accusation paraît donc tardif dans la mesure où on a laissé certains pairs assister à trois séances, dont celle relative à l’instruction. Ces lenteurs montrent à la fois l’impréparation de la Chambre à instruire et à mener un procès, et le laxisme de l’instruction, non assujettie à la même rigueur de formes que les autres phases du procès. Enfin résolue, cette question permit aux pairs de consacrer la journée du 17 à son objet principal : la mise en accusation de Ney.
b – La Cour des pairs : chambre des mises en accusation
91Il appartient au président de la Cour de juger si la procédure est suffisamment complète pour convoquer les pairs afin d’entendre le rapport d’instruction. Cette audition terminée, il consacre les séances suivantes de la Chambre aux délibérations relatives à la mise en accusation du prévenu. La haute juridiction cumule donc toutes les fonctions qui sont ordinairement fractionnées entre plusieurs cours et tribunaux et confiées à différents magistrats. Elle est à la fois chambre du conseil, chambre des mises en accusation et jury de jugement.
92Le 17 novembre, la Cour se réunit en chambre des mises en accusation afin de délibérer d’après le rapport d’instruction du baron Séguier sur la question de savoir s’il fallait faire passer le maréchal Ney de l’état de prévenu à celui d’accusé. La séance commence par un appel nominal du secrétaire archiviste constatant la présence de cent cinquante-neuf pairs.
93La parole est ensuite donnée au procureur général, chargé de lire devant l’assemblée l’acte d’accusation et un nouveau réquisitoire dressés par les commissaires du roi62. Cette procédure n’a été adoptée par la Chambre que pour les premiers procès qu’elle a dû instruire. En 1820, le procureur général Jacquinot-Pampelune décida de s’écarter de cet usage dans l’affaire de la conspiration Nantil et fit valoir à la Cour qu’il n’appartenait pas au ministère public de dresser cet acte avant qu’elle n’eût prononcé elle-même la mise en accusation du prévenu : "Ne semble-t-il pas que l’acte d’accusation, qui, dans les principes de la justice criminelle, n’est que l’exécution du jugement qui fait passer le prévenu à l’état d’accusé, ne puisse précéder en bonne règle ce jugement ?63. Dans le procès du maréchal Ney, ce principe de droit commun n’a pas été respecté : le ministère public a dressé l’acte d’accusation lui-même, avant que la Chambre ne rende son arrêt. Cet acte, selon les prescriptions de l’article 241 du Code d’instruction criminelle expose la nature du délit formant la base de l’accusation et le fait ou les circonstances qui peuvent aggraver ou diminuer la peine.
94L’acte d’accusation du 17 novembre contient d’abord un exposé très étendu sur les faits imputés au maréchal Ney. Le ministère public se refuse à croire l’ignorance dans laquelle se trouvait Ney en arrivant à Paris, à propos du débarquement de Napoléon. Il défend que l’aide de camp du ministre de la Guerre connaissait l’objet et les raisons du pli qu’il amenait à Ney, lui ordonnant de prendre son commandement à Besançon. "Il est bien invraisemblable […] que le maréchal ait manqué de curiosité sur les causes qui lui faisaient ordonner de partir soudain pour son gouvernement, et n’ait pas interrogé l’aide de camp, qui n’eût pu alors se défendre de répondre"64. Le parquet soutient que Ney connaissait l’intention des bonapartistes d’aider Napoléon à revenir en France pour reprendre le pouvoir. "Cette ignorance n’est pas naturelle […], elle est plus prompte à accroître qu’à dissiper les soupçons sur la possibilité que le maréchal ait trempé dans les manœuvres dont ce débarquement a été le funeste résultat"65.
95L’acte d’accusation reproduit à l’appui de cette thèse plusieurs témoignages compromettants. Le comte de la Genêtière rapporte que le maréchal lui aurait confié que "le retour de Bonaparte était arrangé depuis trois mois"66, sans toutefois préciser si Ney y était associé ou s’il venait de l’apprendre. Plus graves, les déclarations du comte de Faverney citent les propos du général Lecourbe selon lequel Ney se serait vanté d’avoir "pris toutes les mesures pour rendre plus nécessaire et plus inévitable la défection de ses troupes"67, afin de renforcer l’effet produit par sa déclaration.
96Les autres témoignages contenus dans l’acte d’accusation tendent de la même façon à associer personnellement le maréchal Ney à la préparation du coup d’État. Pourtant, le parquet ne craint pas de se contredire en admettant en quelques phrases que Ney parut de bonne foi jusqu’au 13 mars au soir. Mais il revient à la charge en soulignant la mauvaise volonté de Ney à réprimer l’indiscipline de ses soldats. Ney punit les déserteurs et les traîtres trop tard, si bien qu’il n’y avait rien à faire pour rétablir l’ordre. "Aveuglement ou mauvaise disposition du maréchal"68, le ministère public ne veut pas trancher : ce qui compte, c’est le résultat : le débarquement victorieux de Napoléon.
97Or, justement, ce succès suppose des appuis certains et précieux dans l’armée du roi. Et le maréchal Ney, en donnant l’exemple de la défection et du ralliement à l’empereur, a trahi sa propre armée : il lui a désigné un ennemi nouveau, l’a découragée et incitée à la trahison. Le ministère public dément ensuite que le maréchal n’ait pas rencontré l’ennemi : "Il ne l’avait vu que trop : non pas, il est vrai, comme il convient aux braves, en plein jour et au champ d’honneur, pour le combattre et le détruire, mais, comme c’est le propre des traîtres, au fond de sa maison et dans le secret de la nuit, pour contracter avec lui une alliance honteuse, et pour lui livrer son roi, sa patrie, et jusqu’à son honneur"69. Il ne pouvait y avoir de reproche, d’accusation plus infamants et plus blessants pour le maréchal Ney. Lui qu’on appelait le Brave des Braves, qui sauva l’armée française dans le passage de la Bérézina, qui se battit à Waterloo avec l’énergie du désespoir70 passait pour un petit intrigant, un comploteur lâche et sans honneur. La suite de l’acte d’accusation explique la position du ministère public : il fallait oublier le passé de Ney, sa gloire, ses services, ses actes de bravoure et ses victoires offertes à la France. Il fallait oublier que le duc de Berry, neveu du roi, était alors le cavalier de la maréchale, et que le pays s’enorgueillissait volontiers des exploits de ses maréchaux. "Tous les maux dont la patrie est désolée sont dus à une poignée d’hommes qui, parce qu’ils se distinguent par quelques beaux faits militaires, ont cru qu’ils avaient le droit de se mettre au-dessus des lois, de se jouer des sentiments les plus sacrés, de la fidélité elle-même à leur roi et à leur pays et d’y faire impunément toutes les révolutions… "71.
98Enfin, l’acte d’accusation reproduit intégralement la déclaration accablante du maréchal Ney exhortant les soldats à servir "la dynastie légitime que la nation française a adoptée"72 : celle de l’empereur Napoléon. Le parquet oppose à cette proclamation les déclarations de bon nombre d’officiers qui préférèrent quitter les rangs par fidélité au roi.
99Le ministère public n’accuse donc pas seulement Ney de trahison : le crime est trop évident pour être nié ; il ajoute au ralliement la préméditation, le complot, la préparation. Au terme du récit des faits, il rédige ainsi les chefs d’accusation :
100"En conséquence de tous ces différents faits, Michel Ney, maréchal de France, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa, ex-pair de France, est accusé devant la Chambre des pairs de France par les ministres du roi et par le procureur général près la cour royale de Paris, commissaires de Sa Majesté,
101"D’avoir entretenu avec Bonaparte des intelligences à l’effet de faciliter à lui et à ses bandes leur entrée sur le territoire français, et de lui livrer des villes, forteresses, magasins et arsenaux, de lui fournir des secours en soldats et en hommes, et de seconder le progrès de ses armes sur les possessions françaises, notamment en ébranlant la fidélité des officiers et soldats ;
102"De s’être mis à la tête de bandes et troupes armées, d’y avoir exercé un commandement pour envahir des villes dans l’intérêt de Bonaparte, et pour faire résistance à la force publique agissant contre lui ;
103"D’avoir passé à l’ennemi avec une partie des troupes sous ses ordres ;
104"D’avoir, par discours tenus en lieux publics, placards affichés, et écrits imprimés, excité directement les citoyens à s’armer les uns contre les autres ;
105"D’avoir excité ses camarades à passer à l’ennemi ;
106"Enfin d’avoir commis une trahison envers le roi et l’État, et d’avoir pris part à un complot dont le but était de détruire et changer le gouvernement et l’ordre de successibilité au trône ; comme aussi d’exciter la guerre civile en armant ou portant les citoyens ou habitants à s’armer les uns contre les autres ;
107"Tous crimes prévus par les articles 77, 87, 88, 89, 91, 92, 93, 94, 96 et 102 du Code pénal, et par les articles 1er et 5 du titre Ier, et par l’article 1er du titre III de la loi du 21 brumaire an V.
108"Fait et arrêté en notre cabinet, au palais de la Chambre des pairs, le 16 novembre 1815, à midi.
109"Signé : Richelieu, Barbé de Marbois, le comte D U Bouchage, le duc de Feltre, Vaublanc, Corvetto, de Cazes, Bellart" 73.
110Dans un second réquisitoire, Bellart demande à la Chambre des pairs de décerner une ordonnance de prise de corps contre le maréchal Ney, et de fixer au jour le plus prochain l’ouverture des débats. La Cour accepte de délibérer après une deuxième lecture de l’acte. Elle répond favorablement, et à l’unanimité à chaque requête du parquet. Elle décrète également que les voix des pairs "ne seront comptés que pour une voix dans le recensement des suffrages, en cas d’opinions conformes (entre) père et fils, frères, oncles et neveux propres, beaux-pères et gendres, et beaux-frères, en observant de ne pas regarder comme tels ceux qui ont épousé deux sœurs"74. Par cette décision, la mise en accusation est votée par cent cinquante-neuf voix ramenées à cent quarante-cinq.
111Mais surtout, elle est votée en violation de l’article 222 du code d’instruction criminelle qui prescrit au greffier de "lire toutes les pièces du procès avant la délibération". Le chevalier Cauchy, qui aurait dû s’acquitter de cette tâche, a expliqué que cette formalité avait été considérée comme une perte de temps inutile75. De même aucun rapport écrit n’a été distribué aux juges avant la délibération. L’impression de tels comptes-rendus permet pourtant de mieux fixer, dans la mémoire de chaque juge, les détails de faits nombreux et d’une instruction très longue. Il faut attendre le 3 janvier 1831 pour que la Cour des pairs accepte de se soumettre à cet usage, dans l’intérêt des accusés.
112L’arrêt de mise en accusation du 17 novembre rappelle les faits constitutifs du fait de haute-trahison, et les lois qui fondent l’action du ministère public. Cette qualification juridique des faits est particulièrement importante, dans la mesure où c’est à ce stade du procès seulement qu’elle intervient pour servir de base à l’acte d’accusation – d’où l’incohérence relevée par Berryer, d’avoir laissé le parquet dresser l’acte d’accusation avant la mise en accusation du maréchal. Cette dérogation à la procédure criminelle ordinaire tient au fait que l’arrêt est ambigu : comme l’a soutenu Berryer, et comme l’a reconnu Bellart lorsque cet acte ne pouvait plus être annulé, l’arrêt de mise en accusation se contente de décréter la prise de corps. Il ne dispose pas en termes clairs que Ney passe de l’état de prévenu à celui d’accusé.
113Comme la Cour des pairs exerce à la fois les fonctions de chambre des mises en accusation et de jury, la charge lui incombe d’indiquer le jour d’ouverture des débats. Cette fois, elle répond favorablement à l’empressement du ministère public en fixant la date du 21 novembre, "sauf au maréchal Ney à proposer ses moyens préjudiciels, si aucuns il a…"76. En fait, les débats n’ont commencé que le 4 décembre, après deux séances consacrées aux questions préjudicielles.
C – Les moyens préjudiciels
114Le 21 novembre, le président Dambray réunit la Chambre des pairs en séance préliminaire. Le secrétaire archiviste lit à l’assemblée les procès-verbaux de la séance publique du 17 et se retire. Un secrétaire de la Chambre, pair de France, communique à son tour le procès-verbal de la séance secrète du même jour. Le président prend alors la parole et livre à l’assemblée un discours solennel pour inaugurer l’ouverture prochaine des débats.
115Il rappelle en premier lieu, dans ce jugement particulier, l’impartialité attendue de l’éminence des fonctions qu’exercent les pairs de France. Pour cela, il souligne la stricte obligation de se soumettre aux lois du royaume et aux formes qu’elles ont établies. Il nuance pourtant cette assertion d’apparence rigoureuse pour convenir que la Cour doit surtout s’attacher à respecter l’esprit de la législation : "Si ces formes ne sont pas pour nous de stricte rigueur, elles sont au moins d’étroite convenance"77. Dambray admet donc que la Cour peut s’écarter de certaines normes pénales lorsqu’elle estime que son statut privilégié ou le caractère singulier des crimes qu’elle connaît exigent que les lois ordinaires, votées pour tous les citoyens, ne peuvent s’appliquer. Mais il insiste auprès des pairs pour souligner qu’avant d’être accusé de crime d’État, le maréchal Ney est un citoyen, dont les principes protecteurs de l’innocence doivent être garantis. La défense de l’accusé doit être libre : "Ni lui, ni son conseil ne doivent être interrompus, et nous devons soigneusement nous interdire, par respect pour nous-mêmes et pour le public, témoin pour la première fois de nos délibérations, tout signe extérieur d’impatience ou d’improbation"78. La rigueur de ces recommandations est à la mesure de l’amnésie dont sera frappé le président Dambray le jour où il empêchera la défense d’invoquer une convention militaire qui eût pu, peut-être, sauver le maréchal Ney.
116Dambray prescrit ensuite aux pairs les règles qu’ils doivent observer pour le déroulement des discussions. Soucieux de maintenir l’ordre au sein de l’assemblée, il interdit à chacun de prendre la parole sans le lui demander préalablement. Une fois autorisés à s’exprimer, les pairs ne peuvent qu’interroger l’accusé ou faire des interpellations aux témoins. Aucune remarque ou réflexion personnelles n’est admise. Il demande en outre aux pairs de réclamer "très sobrement ce droit d’interpellation, dont l’usage trop multiplié fatiguerait l’accusé, et prolongerait indéfiniment les débats"79
117Enfin, il met en exergue les fonctions particulières qu’il doit remplir comme président. La direction des débats lui appartient exclusivement, impliquant qu’il ne peut agir en matière criminelle comme il le fait à l’ordinaire, quand la Chambre exerce ses fonctions législatives. Dans ce dernier cas, il a le pouvoir de consulter les pairs lorsqu’une difficulté s’élève ; il est l’organe des volontés de la Chambre, et le concours de tous les membres de l’assemblée s’associe à son rôle. Il en va autrement lorsque la Chambre est constituée en cour de justice : "En matière criminelle, j’ai des devoirs personnels"80. Les articles 268, 269 et 270 du Code d’instruction criminelle, en attribuant au président la direction des débats, lui confient un pouvoir discrétionnaire très étendu, en vertu duquel il décide seul pour donner les ordres nécessaires à la découverte de la vérité.
118Son discours terminé, le président entend les remarques de certains pairs. Quelques membres soulignent l’inconvénient, pour la spontanéité et la rapidité des débats, de l’obligation faite aux pairs de poser leurs questions à l’accusé ou aux témoins par l’organe du président. Ils souhaitent donc limiter cette mesure à l’accusé et pouvoir en revanche interpeller directement les témoins. D’autres pairs font valoir au contraire les risques de désordre que ferait courir cette dernière proposition au sein d’une assemblée de cent soixante personnes. Ils proposent plutôt de se ranger à l’opinion de Dambray : les pairs autorisés à prendre la parole posent leurs questions à voix haute au président qui interrogera ensuite l’accusé ou le témoin concerné. Mise aux voix par Dambray, cette dernière proposition est finalement adoptée.
119Le président ouvre ensuite la séance publique : les ministres du gouvernement prennent place face au chancelier ; à droite, face au bureau du président, se trouve le fauteuil du procureur général ; à gauche, s’installent le greffier en chef et son adjoint. Entre ces derniers et le procureur, plusieurs bancs sont prévus pour les témoins ; à la barre, un fauteuil est destiné à l’accusé et, de chaque côté, les places des défenseurs. Quelques bancs sont réservés à la presse et d’autres au public, parmi lequel les femmes n’ont pas été admises mais où l’on distingue de nombreux uniformes russes, anglais et prussiens. A l’extérieur, une foule imposante s’est massée autour du palais du Luxembourg ; la garde nationale veille au maintien de l’ordre et loge sous des tentes où l’on a disposé neuf cent soixante-quinze bottes de paille pour servir de lits.
120Dambray prévient le public qu’il doit observer le silence le plus complet tout le long des débats et s’interdire toute remarque, toute manifestation d’opinion, d’approbation ou d’indignation. Les personnes qui manqueraient à ces obligations seraient immédiatement désignées par les huissiers de la Chambre et arrêtées par les commandants de la force armée. Il demande ensuite que les témoins soient introduits, puis les ministres du roi et enfin l’accusé. Le maréchal Ney entre dans cette auguste assemblée, où il a siégé, escorté de grenadiers royaux et accompagné de ses avocats. Cauchy procède alors à l’appel nominal et constate la présence de cent soixante pairs.
121Le président interroge ensuite Ney sur ses nom, prénoms et qualités. A cette question, Ney énumère l’ensemble des titres dont il est revêtu et contredit la désignation d’ex-pair de France : "Mes qualités sont : maréchal de France, pair de France, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa. Mes décorations : chevalier de Saint-Louis, de la Couronne de Fer, de l’ordre du Christ et grand-cordon de la Légion d’honneur". Le président ordonne ensuite que le greffier lise devant l’accusé les ordonnances des 11 et 13 novembre 1815 et l’acte d’accusation du 17 novembre. À l’issue de cette lecture, il résume les faits qu’on reproche à Ney et rassure l’accusé sur l’impartialité de la Cour : "Ce n’est pas dans la Chambre que vous avez des haines à craindre, vous y trouverez plutôt des intentions favorables dans les souvenirs glorieux attachés à votre nom"81. Il lui conseille donc de parler sans crainte et lui demande s’il a des moyens préjudiciels à proposer avant l’ouverture proprement dite des débats. Le maréchal répond qu’il en a plusieurs ; Bellart intervient alors pour demander qu’ils soient présentés cumulativement mais le président ne répond pas et donne la parole aux avocats du maréchal.
122Le système de défense adopté par Berryer depuis la convocation du conseil de guerre se révèle alors : il veut faire valoir en premier lieu que la Chambre n’a pas été convoquée conformément à la Charte constitutionnelle, dont l’article 34 n’est pas visé par les ordonnances, et qu’elle ne peut s’organiser qu’en vertu d’une loi qui n’a pas encore été votée ; la stratégie de l’avocat était donc de soustraire le maréchal Ney aux juges militaires pour le renvoyer devant les pairs, seuls compétents pour le juger, puis de faire valoir à ces derniers que leurs pouvoirs n’étaient pas organisés. En l’absence d’autres juridictions compétentes, aucun tribunal ne pouvait donc juger le maréchal Ney. Prévoyant le cas où ce moyen serait rejeté par la Chambre, Berryer et Dupin ont relevé d’autres irrégularités, présentées elles aussi au titre des questions préjudicielles.
1 – L’inconstitutionnalité du procès
123Les questions préjudicielles sont l’occasion pour les défenseurs du maréchal Ney de faire valoir, entre autres, des arguments relatifs à la compétence de la Chambre des pairs. Lorsque celle-ci accepta le 11 novembre de recevoir du roi les nouvelles fonctions qu’il lui attribuait, Ney et ses défenseurs ne se trouvaient pas à la Chambre. Les avocats n’avaient donc pu établir un débat contradictoire avec l’accusation pour mettre en valeur les lacunes de la législation pénale. Le 21 novembre, Berryer et Dupin peuvent enfin s’exprimer sur ce sujet, avant que les débats ne soient ouverts par le président Dambray.
a – L’argumentation des défenseurs de Ney
124Berryer commence l’exposé de ce premier moyen en attribuant le renvoi de Ney devant la Chambre des pairs à la prudence et à la sagesse du roi, qui a bien voulu sanctionner dans son ordonnance du 11 novembre la décision d’incompétence du conseil de guerre. Le maréchal Ney a été rendu à ses juges naturels, et la Charte a été respectée. Mais l’avocat regrette que justice ne soit rendue qu’à moitié : il eût souhaité que Ney fût traduit devant la Cour en vertu de sa qualité de pair, dont il était revêtu le 14 mars 1815, jour de la trahison du maréchal.
125Il fait donc valoir en premier lieu que les ministres ont nié implicitement aux pairs du royaume leur compétence juridictionnelle sous le rapport de la qualité de l’accusé. Cette dénégation est non seulement illégale au regard des droits acquis par le maréchal mais elle jette en outre une ombre inquiétante sur les garanties reconnues à toute la Chambre. Berryer montre habilement aux pairs qu’ils ne peuvent accorder au gouvernement le droit de retirer seul sa qualité à un membre de la Chambre, à moins d’abandonner leurs privilèges, cette protection accordée à chacun "contre les entreprises ministérielles, contre l’esprit de parti qui ont tant de fois attaqué et renversé les institutions les plus utiles"82. Il exhorte alors les pairs à ne jamais oublier la qualité du maréchal, quelque dénomination que puisse lui donner le gouvernement. Ainsi, ils se garderont de ne jamais "séparer l’intérêt de l’accusé d’avec l’intérêt de la pairie engagée dans l’affaire"83
126Berryer cherche d’abord à faire respecter l’usage selon lequel un pair de France n’est privé de cette qualité que par un jugement de la Chambre des pairs. Mais au-delà, et dans le cas où la Cour considérerait valable la destitution prononcée par le gouvernement, il tient à replacer le maréchal Ney parmi ses juges. Il leur rappelle qu’ils ne jugent pas seulement un homme accusé de crime d’État mais qu’ils statuent surtout sur le sort d’un des leurs. Il espère ainsi ranimer l’esprit de corps qui pourrait inciter les pairs à la clémence. Faire du maréchal Ney un égal de ses juges, voilà le seul intérêt de l’avoir soustrait à la juridiction militaire. Le gouvernement l’a bien compris en ne le renvoyant devant la Chambre des pairs qu’en raison de la nature du crime ; il revient aux défenseurs de rappeler ce que l’accusation veut faire oublier. La méconnaissance de l’article 34 de la Charte est donc la première inconstitutionnalité du procès, examiné sous le rapport de sa compétence.
127Une deuxième atteinte à la Charte réside d’après Berryer dans la confusion des pouvoirs qui préside aux ordonnances royales des 11 et 12 novembre : les ministres sont à la fois membres de l’exécutif, législateurs et magistrats du parquet. Il ne convient pas aux garanties des accusés que les ministres seuls soient chargés de fixer le mode d’instruire et de juger, en recherchant quelques exemples dans le passé, d’autres dans la législation ordinaire, d’autres encore dans les règles des tribunaux spéciaux. Pour Berryer, ces emprunts ne sont pas faits par une autorité suffisante. Il ne revient pas aux ministres de régler ce qu’une loi doit fixer, selon les dispositions de la Charte. L’avocat consacre alors quelques passages de son plaidoyer à d’utiles développements de principes politiques : "Il faut une ligne de démarcation fortement tracée pour que les pouvoirs ne soient pas confondus dans leur exercice, pour qu’il y ait entre le prince qui fixe la punition et le coupable qui doit la subir, des pouvoirs intermédiaires qui l’appliquent ; autrement, plus de monarchie constitutionnelle"84. Cette confusion des pouvoirs est présentée sous un double aspect par Berryer.
128Une première atteinte tend à associer les ministres au procureur général pour soutenir l’accusation et les discussions. Berryer conteste cette dérogation particulièrement grave aux principes de la jurisprudence criminelle selon lesquels les ministres ne peuvent être accusateurs. Cette règle paraît d’autant plus impérative que, dans l’affaire Ney, ils sont chargés par le roi de la poursuite d’une offense envers sa personne. La puissance que leur confient les ordonnances des 11 et 12 novembre ruine les principes d’existence du ministère public, porte atteinte à la conscience des juges et prive l’accusé de la distance qui sépare ordinairement le pouvoir et les tribunaux.
129La seconde confusion réside dans le pouvoir inconstitutionnellement accordé aux ministres pour fixer les règles d’organisation et de procédure de la Chambre. Seule une loi générale, complétant la Charte constitutionnelle, octroyée à "tous les membres de la cité et pour tous les temps"85, pouvait constituer la pairie en tribunal. Ce principe, contenu en outre dans l’article 33 de la Charte, suppose d’une part que ce texte soit l’émanation de la volonté du pouvoir législatif et d’autre part que les règles édictées ne visent pas un accusé en particulier mais l’ensemble de la société. Or, en contrevenant à ces deux obligations, le gouvernement a érigé la Cour des pairs en juridiction arbitraire. Berryer s’inquiète en ces termes auprès des membres de la Chambre : "Il ne faut pas qu’on se laisse aller à aucune idée, même éloignée, que le tribunal qui a prononcé était un tribunal d’une institution transitoire, extraordinaire, momentanée. Il ne faut pas que l’on réveille ces réflexions de la censure, qu’il y aurait là l’image d’une commission. Il ne faut pas que vous ayez à concevoir la moindre inquiétude qu’on [vous] assimile, vous, membres du premier corps de l’État, à des commissaires ; votre dignité en serait trop blessée"86.
130Une fois encore, Berryer lie le sort de Ney aux intérêts de la pairie. Juger le maréchal d’après la législation en vigueur est impossible : elle n’organise pas suffisamment les pouvoirs des pairs magistrats ; accepter de le juger d’après deux ordonnances est inconstitutionnel : la chambre haute commencerait sa carrière judiciaire par une procédure arbitraire, comme le font toutes les commissions soumises au gouvernement. La dignité et l’indépendance de la Chambre ressortiraient bafouées de ce procès si les pairs acceptaient de fonder l’exercice de leurs pouvoirs sur les seules ordonnances royales. Quant aux arrêtés de la Cour, ils ne sauraient suffire à pallier le vide législatif : aucun tribunal ne peut remplacer les chambres pour fixer les règles qu’il doit appliquer.
131Berryer énumère alors les nombreuses questions laissées sans réponse par le gouvernement et par la Chambre. Rien n’indique en effet si la décision de la Cour est susceptible de recours ; aucun texte ne tranche la question de savoir si elle se prononce comme un tribunal réuni à des jurés ; aucune disposition ne détermine si elle est aussi juge de l’intention, appréciant les circonstances atténuantes, ou si, comme les conseils de guerre, elle ne juge que les faits ; le mode de délibération n’a toujours pas été fixé, le 21 novembre, et l’on ignore si la Chambre décidera à la majorité simple ou si on exigera d’elle une majorité qualifiée. Tous ces aspects doivent être réglés avant l’exercice de ses pouvoirs par n’importe quel tribunal : sa procédure en dépend ; l’accusé y adapte son système de défense ; l’accusation s’y soumet. Aussi Berryer fait-il valoir aux pairs l’impossibilité pour eux de juger son client : "Il faut que l’exercice de vos pouvoirs soit régularisé"87. L’acte d’accusation range la Chambre des pairs dans la classe des cours criminelles spéciales. "Quoi ! Le maréchal Ney se trouverait, en réclamant la faveur signalée que lui accorde la Charte, avoir échangé l’inflexible pouvoir militaire contre une sorte de pouvoir prévôtal ? […] Vous avez principalement à vous défendre, messieurs, de créer un tribunal d’exception"88.
132Berryer fait alors remarquer que la puissance législative s’exerce collectivement par les trois pouvoirs créés par l’article 15 de la Charte89. Un seul de ces trois pouvoirs ne suffit donc pas : le roi ne peut légiférer seul par ordonnance, et la Chambre des pairs ne peut voter ses propres lois comme s’il s’agissait de son règlement intérieur. Un seul et même texte doit être voté par les deux chambres sur proposition du souverain. Berryer passe en revue les articles de la Charte qui imposent l’intervention d’une loi pour modifier l’organisation judiciaire de l’État et en préciser le fonctionnement. Ainsi, l’article 5990 maintient les cours et tribunaux existants et prévoit qu’il n’y sera dérogé qu’en vertu d’une loi. De la même façon, l’institution des jurés est conservée, et l’article 65 de la Charte91 dispose que tout aménagement que l’expérience fera sentir, sera apporté par une loi. L’esprit de la Charte s’attache donc à ce que toute dérogation à la législation en vigueur procède exclusivement d’une loi. "Je demande une loi organique. […] Il faut un pouvoir qui règle les rapports entre l’accusateur et l’accusé. Il faut au premier un titre, au second une sauvegarde"92
133Avant de rendre la parole au président, Berryer prévient deux objections. La première avait été pressentie par le commissaire Joinville au conseil de guerre : la défense chercherait à retarder le procès, voire à le rendre impossible tant que la loi promise par la Charte ne serait pas votée. Berryer assure que son client ne veut pas se soustraire à la sentence des magistrats : il suffit de voter la loi, et "le jour de la justice arrivera". Pour cela, les autorités compétentes n’ont qu’à régulariser le cours de la justice. L’avocat anticipe ensuite sur une seconde objection : celle qui soupçonnerait la défense de vouloir faire voter cette loi pour en dénoncer, ensuite, le caractère rétroactif. Et de fait, elle ne pourrait se cacher derrière un tel sophisme : la loi qu’elle réclame n’est qu’une loi supplétive, déjà prévue par la Charte, antérieure aux faits incriminés. "Quand la loi constitutrice du droit est établie, la loi régulatrice ne peut être arguée de rétroactivité"93.
134Berryer termine alors son exposé en donnant un aperçu rapide des autres moyens préjudiciels qu’il développera si celui-ci n’est pas retenu. Bellart prend la parole pour s’indigner de cette démarche : non seulement, le premier moyen préjudiciel requiert le vote d’une loi qui prolongerait le procès mais en plus, la défense présente ses moyens séparément et demande à la Cour de statuer à la fin de chaque exposé, après les objections du procureur. Il demande donc au président d’ordonner à la défense de présenter ses moyens préjudiciels cumulativement. Dupin s’oppose alors à Bellart et fait valoir que les différents moyens que les avocats se proposent de soumettre à l’appréciation de la Chambre n’ont pas de lien entre eux : une présentation simultanée de tous les moyens préjudiciels nuirait à l’intelligence de leur exposé. En outre, il fait remarquer à la Chambre et au ministère public que l’absence même de la loi dont parlait Berryer les conduit à différer la proposition des autres moyens : ils ne les plaideront que lorsqu’une loi organique en indiquera la procédure. "Il est vrai qu’en termes ordinaires et de droit (et nous ne demandons, hélas ! qu’à rentrer dans les termes du droit), on doit devant une cour souveraine plaider à toutes fins. Si le mode de procéder n’est pas fixé, comment proposer des moyens de nullité ?"94.
135La Chambre se retire alors en séance secrète pour délibérer sur cette question. Elle arrête que ce premier moyen peut être proposé isolément et que le procureur général doit donc faire valoir ses objections avant la présentation des moyens suivants.
b – Les réfutations du ministère public
136Bellart commence à présenter ses conclusions sur le premier moyen préjudiciel en s’indignant du manque de reconnaissance du maréchal Ney pour ses juges. La magnanimité du roi a consenti à traduire Ney devant la haute juridiction, et les défenseurs du maréchal veulent retirer aux pairs leurs pouvoirs et leurs privilèges.
137Il réfute en premier lieu l’assertion selon laquelle le maréchal Ney aurait dû être traduit devant la Chambre en vertu de l’article 34 de la Charte, c’est-à-dire en raison de sa qualité de pair. L’accusation n’est pas tenue par les termes du jugement d’incompétence rendu par le conseil de guerre. Il importe peu que ce dernier n’ait pas jugé Ney parce qu’il le considérait encore revêtu de sa qualité : la juridiction militaire n’avait à se prononcer que sur sa compétence, et sa décision n’a d’autorité que sur ce seul point. Le ministère public soutient donc que le maréchal Ney a perdu le droit de siéger à la Chambre et les privilèges qui s’y rattachent, par l’ordonnance royale du 24 juillet. Mais il admet, au regard de l’expérience, qu’une simple ordonnance puisse ne pas suffire à retirer sa qualité à un membre de la pairie. Il considère alors que "c’est par sa volonté personnelle que [le maréchal Ney] a été exclu de cette auguste assemblée"95. Comme Joinville, Bellart assimile la présence de Ney dans la Chambre des pairs de Napoléon à une démission de la pairie de Louis XVIII. Il n’évoque pas plus que son prédécesseur la nécessité d’un jugement de la Chambre pour entériner toute démission et préfère considérer que la question est "trop simple et trop facile à résoudre pour [s’y arrêter] plus longtemps"96
138L’essentiel de son réquisitoire est ensuite consacré aux problèmes d’organisation de la Chambre. Bellart soutient habilement qu’en admettant la démonstration de Berryer, les pairs abandonneraient une partie de leur puissance et avoueraient que leur corps est inconstitutionnel : "Mais à quoi se réduit la grande discussion qui s’est élevée et qui vous est soumise ? à ceci : il y a manque de pouvoirs dans la Chambre, vous n’êtes pas légalement établis"97. Bellart s’indigne qu’on puisse à ce point contester les fondements juridiques des pouvoirs du premier corps de l’État. La Chambre existe d’après la Charte, qui l’organise suffisamment. Le vote d’une loi n’est pas nécessaire ; il est même dangereux.
139Une loi complétant et précisant les articles 33 et 34 de la Charte n’est pas indispensable. Bellart requiert ici contre la volonté même des rédacteurs de la Charte qui ont pourtant consacré l’utilité d’un texte dans l’article 33. Les crimes visés dans cet article sont connus, définis par d’autres lois ; il est donc possible d’après le Code pénal de qualifier les faits reprochés au maréchal Ney. De la même manière, l’article 34 prévoit la compétence de la Cour pour juger tout crime ou délit commis par un pair : or, l’ensemble de ces infractions est déjà contenu dans le Code pénal. La Charte ne crée pas de crimes nouveaux ; la législation pénale ordinaire suffit donc pour que la Chambre puisse y trouver les fondements juridiques des qualifications opérées par le gouvernement.
140Mais surtout, Bellart s’inquiète des risques que ferait courir l’intervention obligatoire d’une loi pour fixer les formes des jugements de la Chambre des pairs. Comme l’a rappelé Berryer, le processus législatif de la Restauration associe les trois pouvoirs : proposée par le roi, la loi doit être votée par les deux chambres dans les mêmes termes. Il suffirait donc qu’une des branches du pouvoir législatif refuse d’adopter le texte pour que la Chambre des pairs ne puisse jamais exercer son pouvoir judiciaire et qu’une classe de la société, la pairie, soit assurée d’une impunité totale. Le parquet ne peut envisager une telle hypothèse : du point de vue du ministère public, ce risque pourrait soustraire le maréchal Ney au jugement qui l’attend ; quant au gouvernement, il refuse d’accorder ce gage supplémentaire d’indépendance à la Chambre des pairs. L’issue d’un processus législatif sur une telle loi comporte trop d’aléas : l’équilibre des pouvoirs et le sort de la justice se trouveraient subordonnés à la seule volonté des pairs qui ne manqueraient pas de renforcer leur position par le biais de leur droit constitutionnel à ne pas adopter un projet de loi. "Si vous refusiez constamment votre approbation à cette loi qu’on demanderait, il en résulterait, d’après le système de l’accusé, qu’il ne pourrait jamais être jugé. […] Le pouvoir législatif voudra s’assurer la plus grande indépendance, en refusant la loi vous jouirez de l’impunité"98.
141Les inquiétudes de Bellart sont réellement fondées. La Charte de 1814 n’a prévu aucun mécanisme qui permette de passer outre l’opposition d’une des branches du pouvoir législatif pour adopter une loi contre sa volonté. Le gouvernement craint donc à juste titre, en ces temps où les assemblées veulent asseoir davantage leur pouvoir, que la Chambre voie là quelque avantage à paralyser l’adoption de cette loi. Mais Bellart a aussi conscience d’insulter quelque peu la conscience et la probité de son auditoire, en supposant sa malhonnêteté et son désir de se soustraire à la justice criminelle. Par une interprétation singulière de la Charte, et juridiquement irrecevable, il soutient alors aux pairs qu’ils peuvent régler entre eux la procédure de la Cour, dans la mesure où ils ont, à eux seuls, le pouvoir d’empêcher le vote de la loi.
142Bellart expose en effet que la Charte permet à la Chambre des pairs de bloquer le processus législatif qu’elle définit. Cela revient donc à reconnaître implicitement que la Chambre peut refuser seule en dernier ressort les règles qu’elle ne souhaite pas consacrer, surtout lorsque ces règles la concerne. Bellart assimile donc ce pouvoir de blocage à un droit indirect de la Chambre à décider seule les règles qui l’intéressent. Il conclut devant les pairs : "Vous avez donc en vous-mêmes tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice des fonctions qui vous sont confiées par la Charte. […] Je soutiens qu’il n’est pas besoin de loi et que c’est à vous seuls à régler de quelle manière vous jugerez ; et vous ferez bien, puisque vous réglerez pour vous-mêmes"99. En quelques phrases, Bellart, qui craignait que Berryer ne ruinât les pouvoirs de la Chambre, vient, lui, de nier l’édifice législatif entier érigé par la Charte, et retire à la Constitution elle-même son utilité et son autorité. Il y a quelque étonnement à voir le commissaire du roi prétendre avec les ministres du gouvernement qu’en certaines matières, contrairement à ce qu’indique la Charte, une loi ne doive pas être votée selon les dispositions constitutionnelles mais par une seule chambre, sous la forme de simples arrêtés. Si l’on suit son raisonnement, le processus législatif organisé par la Charte n’a plus de raison d’être : il suffirait à une branche du pouvoir législatif de s’opposer aux deux autres pour régler seule la matière faisant l’objet de son improbation. Ainsi, le roi disposerait pour le pouvoir exécutif ; la Chambre des députés organiserait seule ses pouvoirs, et la Chambre des pairs, comme on l’y incite, légiférerait seule sur ses prérogatives, comme s’il s’agissait d’un simple règlement intérieur.
143Or, l’affaire est plus grave que cela : il y va de l’organisation judiciaire du royaume, des pouvoirs d’une cour criminelle et du sort de la société entière, dans la mesure où non seulement les pairs, mais tout individu convaincu de crime d’État, ressortissent de sa juridiction. Bellart sacrifie par un raisonnement indéfendable l’architecture des pouvoirs publics organisée par la Charte et l’ensemble des principes de légalité et de sécurité juridique ordinairement respectés par tout Etat de droit. Sa démonstration demande aux pairs de violer les dispositions de l’article 33 de la Constitution, et représente une véritable négation du système institutionnel de la Restauration.
144Dupin s’élève contre le réquisitoire du procureur général. Il souligne en premier lieu que le parquet fonde sa démonstration sur l’hypothèse où les pairs ne voteraient pas la loi pour se soustraire à cette justice criminelle : "C’est une injure gratuite qu’on a faite à la Chambre"100. Il rappelle ensuite les atteintes particulièrement graves à la Charte que suppose le mode de procéder de Bellart : "La Chambre, ni à elle seule, ni avec le gouvernement, [n’a] le droit de faire un règlement de procédure en matière criminelle, puisqu’elle ne l’a pas en matière civile. Ne faut-il pas l’intervention des trois pouvoirs pour faire même la moindre modification au Code de procédure civile ; la plus légère modification apportée à une loi est un acte des trois branches du pouvoir législatif"101 . Il se défend de vouloir retarder le procès du maréchal Ney et s’appuie sur les dispositions de l’article 33 pour demander le vote de la loi qui spécifie la nature des délits et en détermine la poursuite. La Charte constitutionnelle et les principes généraux du droit pénal l’exigent ; aucune volonté ne peut se hisser au-dessus de ces autorités pour indiquer d’autres façons de procéder.
145À l’issue de l’intervention de Dupin, la Chambre interrompt sa séance et se réunit en chambre du conseil pour délibérer en secret sur ce premier moyen. Le président pose les questions et ouvre la discussion. Au terme des débats, un seul membre vote pour les conclusions de l’accusé ; les autres appuient celles du procureur général. La Chambre pensait donc défendre le trône au mépris de la Charte et de sa propre indépendance.
146Le président réunit à nouveau la Cour en séance publique pour lire le jugement sur le premier moyen préjudiciel : "La Chambre, faisant droit sur les conclusions du commissaire du roi, sans s’arrêter ni avoir égard aux moyens présentés dans l’intérêt de l’accusé, s’ajourne à jeudi prochain 23 novembre…"102. L’arrêt poursuit en ordonnant que les moyens suivants soient présentés cumulativement. Berryer fait observer à Dambray que le délai imparti est trop court pour que le maréchal puisse faire assigner les témoins à décharge. Le président réplique à l’avocat : "Vous avez entendu l’arrêt"103 et demande aux huissiers de faire retirer l’accusé et le public.
2 – La nullité du procès
147Malgré les arguments de Dupin sur les inconvénients pour la compréhension de leur exposé, d’une présentation simultanée de tous les autres moyens préjudiciels, la défense dut respecter le 23 novembre les dispositions de l’arrêt du 21. Berryer se propose de faire valoir à la Cour plusieurs vices de forme qui doivent conduire les pairs à annuler la procédure. Cinq moyens sont présentés par la défense, tous combattus par le procureur général.
a – Les vices de procédure
148Conscient de soulever devant les pairs des moyens de nullité qui risquent d’être taxés de pointillisme juridique, Berryer livre en premier lieu un extrait du chapitre II du livre VI de L’Esprit des lois de Montesquieu : "Si vous examinez les formalités de la justice par rapport à la peine qu’a un citoyen à se faire rendre son bien, ou à obtenir satisfaction de quelque outrage, vous en trouverez sans doute trop ; si vous les regardez dans le rapport qu’elles ont avec la liberté et la sûreté des citoyens, vous en trouverez souvent trop peu. […] Mais dans les États modérés, où la tête du citoyen est considérable, on ne lui ôte son honneur et ses biens qu’après un long examen…"104. Berryer demande donc aux juges du maréchal Ney de ne pas regarder les moyens qu’il va présenter comme des détails inutiles mais au contraire comme des garanties reconnues par les États de droit aux accusés présumés innocents.
149Le premier moyen de nullité tient à un défaut de signature : l’arrêt de la Chambre du 13 novembre qui ordonne de procéder à l’instruction écrite du procès n’est pas revêtu de la signature de tous les membres qui y ont concouru. Or, l’article 234 du Code d’instruction criminelle impose que tous les magistrats de la chambre du conseil signent leurs décisions, à peine de nullité. Cette disposition a lieu de s’appliquer puisque l’article 2 de l’ordonnance du 12 novembre fixe que "tous les actes d’instruction [seront dressés] dans les formes établies par le Code d’instruction criminelle"105. Berryer précise en outre à Bellart que l’arrêt du 17 s’est conformé à cette exigence. Il résulte donc de la législation et de la façon dont les pairs ont voulu procéder le 17 que le défaut de signature vicie l’arrêt du 13 novembre qui se trouve frappé de nullité.
150Un deuxième moyen résulte de ce que la Chambre n’a rendu aucun arrêt qui prononce in terminis la mise en accusation du maréchal Ney. Berryer conteste à l’acte du 17 novembre sa nature d’arrêt de mise en accusation. Ce texte ne contient d’après lui que l’ordonnance de prise de corps ; la Cour s’est contentée de donner satisfaction aux conclusions du parquet sans mettre expressément le prévenu en accusation.
151En effet, l’arrêt du 17 novembre rappelle dans une première partie que la Chambre a entendu le rapport du pair instructeur, l’acte d’accusation et le réquisitoire du procureur général ; dans sa seconde partie, il donne quatre ordres : le premier alinéa impose l’annexion de l’acte d’accusation et du réquisitoire à la minute de l’arrêt ; le deuxième ordonne que "ledit Michel Ney […] sera pris au corps et conduit à la maison de justice près la cour d’assises de Paris" ; le troisième fixe l’ouverture des débats au 21 novembre 1815 et le quatrième ordonne l’exécution de l’arrêt106. Aucun alinéa ne met le maréchal Ney en accusation. L’arrêt aurait dû statuer sur chaque chef d’inculpation et disposer explicitement que le maréchal Ney passait à l’état d’accusé. Or, le seul effet de ce texte est d’ordonner la prise au corps du maréchal Ney et son incarcération dans une maison de justice. Berryer précise que la prise de corps n’est que la mesure secondaire d’un objet principal : la mise en accusation.
152Il rappelle alors à la Cour que cette prescription est si rigoureuse que le législateur a prévu dans l’article 122 du Code d’instruction criminelle que le tribunal peut prononcer des peines contre le magistrat qui aurait requis contre un citoyen "avant qu’il ait été préalablement mis en accusation". Le procureur général ne peut donc poursuivre un individu que lorsque la Chambre a textuellement statué sur la mise en accusation, "à peine de nullité et de prise à partie". Berryer reproche ainsi à la Cour de statuer sur le sort d’un homme qui n’est pas légalement accusé.
153Cette irrégularité lui paraît d’autant plus grave que les décisions de la Cour des pairs ne sont susceptibles d’aucune révision. Là où, pour les juridictions ordinaires, l’article 568 du Code d’instruction criminelle confie à la Cour de cassation l’annulation des procédures où la mise en accusation fait défaut, il appartient à la Chambre seule de reconnaître son erreur et d’y remédier. "Daignez réfléchir que vous confondez tous les pouvoirs, et qu’ainsi aucun pouvoir réviseur n’existe au-dessus de vous. Combien, messeigneurs, ce moyen devient imposant ! Il est impossible d’être décrété de prise de corps sans accusation préalable ; il est impossible d’être jugé sans une mise en accusation antécédente !"107. Selon l’avocat, l’absence d’accusation entraîne l’illégalité de la prise de corps et la nullité de la procédure.
154Un troisième moyen de nullité tient à ce que l’acte d’accusation a été dressé avant l’arrêt du 17. On a vu que cet usage a été abandonné par la Cour des pairs en 1820 sur les recommandations du procureur Jacquinot-Pampelune. Mais, dès le procès de 1815, cette subversion des règles posées par les articles 241 et 242 du Code d’instruction criminelle a été dénoncée par les avocats du maréchal Ney.
155Berryer soutient que "ce n’est qu’après la mise en accusation que le ministère public doit s’occuper de la rédaction de l’acte d’accusation, et non antérieurement"108. Les motifs écrits dans l’arrêt servent alors à diriger les rédacteurs de l’acte. Cette règle, prescrite par le Code criminel, a été suivie invariablement depuis 1810. Il n’appartient pas à la Cour de s’en écarter à moins d’entacher sa procédure de nullité.
156Berryer demande ensuite aux pairs de la Cour de ne pas attribuer le quatrième moyen préjudiciel à un "esprit minutieux et puéril". Il fonde une nouvelle cause de nullité sur l’acte d’accusation qui n’a pas été valablement signifié à l’accusé. L’article 567 du Code d’instruction criminelle fixe en effet des délais pour la communication des actes à l’accusé et les recours qui lui sont ouverts. Or, l’acte d’accusation du 17 novembre ne porte aucune date, ni de jour ni de mois. Il insiste alors sur l’entrave à l’exercice des droits de la défense que représente cet oubli : "Tous les délais sont de rigueur. […] L’accusé aura envoyé sa copie à son défenseur sans que la date soit énoncée, et, trompé par le silence de l’acte, le défenseur laissera écouler des délais qui sont irréparables"109. Si la Chambre veut appliquer rigoureusement les délais impartis par la loi, il importe donc qu’elle exige avec la même fermeté que les dates soient notées sur les actes, selon les dispositions du Code d’instruction criminelle.
157Le dernier moyen de nullité soutenu par Berryer repose sur la violation des articles 296 et 415 du Code d’instruction criminelle qui accordent un délai de cinq jours à l’accusé après la signification de l’acte d’accusation pour citer les témoins à décharge et préparer les moyens préjudiciels. Berryer se plaint que la Cour n’ait pas informé son client de cette disposition : "Voilà des précautions, de scrupuleuses précautions ; elles sont restées sans effet ; on n’en a pris aucune ; on n’a point averti [le maréchal] de cette concession de cinq jours"110. Mais surtout, Berryer dénonce la réduction de ce délai à trois jours, laissant au maréchal Ney le court intervalle du 17 au 21 novembre pour préparer les débats sur les questions préjudicielles et citer ses témoins, la plupart éloignés de Paris.
158Or, sur ce dernier point, l’article 415 du Code d’instruction criminelle est formel : l’accusé n’a pas besoin de se justifier pour faire citer à la barre les témoins qu’il veut faire entendre. Berryer s’indigne donc des brefs délais accordés à Ney qui ont empêché de faire venir au palais du Luxembourg les vingt personnes qu’il avait indiquées. Leur témoignage avait principalement pour but d’infirmer les propos accusant le maréchal de préméditation et de trahison avant le 14 mars 1815. "C’est là une partie de l’attaque tellement grave, que le maréchal ne peut transiger sur les moyens de la faire disparaître, et cependant nous n’avons pas ici les témoins… "111.
159Berryer se trouve toutefois dans une situation délicate : les décisions et les actes de la Cour ne sont susceptibles d’aucune révision ; pour que la nullité de la procédure soit prononcée, il faut donc que les pairs acceptent de reconnaître les irrégularités dont ils sont les auteurs et les illégalités qu’ils ont laissé commettre au ministère public. La position du parquet est alors nettement plus confortable : il lui suffit de rassurer la Cour sur la validité des procédures qu’elle a mises en œuvre.
b – Les réfutations du ministère public
160Avant de rendre ses conclusions sur chaque moyen soulevé par la défense, Bellart livre un exposé général sur la procédure qui a été suivie par la Chambre. Il tient d’abord à s’expliquer sur ses propos tenus le 21 novembre lorsqu’il réservait à la Chambre le soin de régler elle-même l’exercice de ses pouvoirs. Les journaux parus le lendemain se sont choqués des atteintes aux principes constitutionnels suggérées par Bellart. Assuré de l’irrévocabilité du jugement de la Chambre sur ce premier moyen, il se permet donc de nuancer la teneur de son discours : il prétend n’avoir pas reconnu un droit nouveau à la Chambre des pairs mais seulement posé une question de droit public, qu’il ne convenait pas de résoudre, en tout état de cause, dans l’enceinte de cette juridiction. "Nous avons laissé reposer dans l’incertitude cette question résolue par le parti que vous avez pris d’accepter purement et simplement l’ordonnance du roi. […] Je vous devais cette explication, messieurs les pairs, pour empêcher la consécration d’un principe dangereux"112. C’est pourtant sur la base de ce principe, présenté comme certain, que la Chambre des pairs a rejeté le moyen soulevé par les défenseurs du maréchal Ney. Bellart reconnaît à demi-mot la mauvaise foi de ses arguments, juridiquement infondés.
161Après cet aveu déroutant, il s’attache à rassurer les pairs sur la régularité de la procédure qu’ils ont engagée et suivie depuis le 11 novembre. "Vous avez procédé comme il convenait"113, affirme-t-il en comparant la Chambre aux conseils de guerre. Parmi les différentes catégories de juridictions -cours et tribunaux ordinaires, commissions spéciales, cours spéciales constitutionnelles- celles des tribunaux militaires s’apparentent le plus, par leur procédure, à la Chambre des pairs. L’organisation est simple, unique, sans échelon ; la procédure est écrite et il n’y a ni prévention ni mise en accusation puisque tout est soumis à la fois au conseil lorsque les témoins sont entendus et les accusés interrogés. La marche suivie par la Chambre des pairs respecte la procédure de cette "grande et noble magistrature" militaire. La Chambre a reçu les plaintes et ordonné l’instruction du procès ; les conclusions du pair instructeur ont été communiquées au ministère public, qui a dressé l’acte d’accusation, et la Cour a ensuite décerné une ordonnance de prise de corps contre l’accusé. Elle lui laisse soulever les moyens préjudiciels qu’il juge nécessaires et l’autorise à citer des témoins à décharge.
162Tout cela respecte d’après Bellart l’organisation et le fonctionnement de tribunaux tels que les conseils de guerre ; il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter puisque la Chambre s’y conforme. Bellart omet cependant une précision utile : il n’indique pas pourquoi au cinquième jour du procès, il calque soudain la procédure de la Chambre des pairs sur celle des conseils de guerre. Rien dans les ordonnances royales ni dans la Charte ne rapproche les deux juridictions. Au contraire, l’ordonnance du 12 novembre impose de procéder à l’instruction selon les formes ordinaires. Une fois encore, il rassure les pairs sur leurs pouvoirs et l’exercice de leurs fonctions par des arguments abusifs et des comparaisons sans objet.
163Sa démonstration devient plus sérieuse lorsqu’il passe à l’examen des nullités proposées. Ainsi, le premier moyen, fondé sur le défaut de signature pour l’acte du 13 novembre, lui paraît futile : l’article 234 imposant la signature par tous les membres du tribunal ne s’applique qu’à l’arrêt de mise en accusation et non à celui qui donne acte des dépôts de plainte.
164Le deuxième moyen est combattu avec moins de rigueur. Bellart soutient en effet que la Chambre n’avait pas à prononcer la mise en accusation. Berryer s’était plaint que l’arrêt du 17 novembre ne comporte pas de mise en accusation et se limite à la prise de corps du maréchal ; mais Bellart juge cette procédure conforme à la simplicité des formes et à l’unité de la composition de la Cour. La procédure des conseils de guerre donne un exemple utile à la Chambre sur ce point. Les pairs n’avaient donc pas selon Bellart à mettre le maréchal Ney en accusation : il s’y trouvait depuis le début, prévenu et accusé à la fois. Il répète sans cesse aux pairs qu’ils ont agi comme le voulait le roi, et que l’arrêt du 17 novembre n’avait d’autre objet que la prise de corps et la fixation du premier jour des débats.
165Si la comparaison avec les tribunaux militaires reste fondée sur la seule volonté du procureur, ce dernier fait valoir en revanche un autre argument, plus sérieux, pour justifier cette manière de procéder. Il était difficile, selon lui, de confier la mise en accusation à une cour composée de cent cinquante-neuf membres. Il aurait fallu qu’elle se divisât en bureaux ou en sections et qu’une partie minoritaire de la Cour soumît l’arrêt de mise en accusation à l’approbation de la Chambre. "L’accusé aurait donc perdu la plus grande des garanties, celle d’être jugé par la totalité de la Chambre"114.
166Il résulte en outre de l’impossibilité pour les pairs de voter un arrêt de mise en accusation que le moyen fondé sur l’antériorité de l’acte d’accusation ne tient plus. Tout a été dicté par la nécessité et les exemples fournis par les juridictions similaires. Les ordonnances royales peuvent être interprétées dans ce sens, aux dires du procureur.
167Une objection demeure cependant. À supposer que l’ordonnance du 12 novembre se prête à une telle lecture, la procédure n’en est pas moins illégale, car, alors, c’est l’ordonnance elle-même qui serait inconstitutionnelle en arrêtant pour la Chambre des règles propres à des juridictions spéciales. Or, la Charte interdit la création de tribunaux extraordinaires. En l’absence d’une loi organique, repoussée le 21 novembre par le ministère public et la Cour des pairs, c’est dans la législation ordinaire qu’il faut rechercher les règles de la Chambre si on ne veut pas en faire une commission spéciale.
168Le procureur général réfute ensuite rapidement les dernières objections de la défense : il considère que le délai de trois jours ne s’impose qu’au ministère public chargé de signifier l’acte d’accusation ; quant à l’absence de date sur cet acte, il refuse d’y voir un moyen de nullité. Il fait remarquer que la date ne manque que sur la copie de la signification présentée à l’accusé : "La copie ne prouve rien, [elle] pouvait avoir été échangée, par une complaisance peu honnête…"115 Il montre à la Chambre le document original, dûment daté et signé par le maréchal Ney. Il omet de préciser que ce n’est pas l’original qui a été laissé au maréchal, mais sa copie. Ainsi, la défense avait besoin que les dates fussent portées sur les deux actes ; l’original n’a été présenté à l’accusé que pour recueillir sa signature, attestant qu’on lui avait remis les pièces à la Conciergerie.
169En conclusion de son réquisitoire, Bellart demande à la Chambre des pairs de déclarer irrecevables les moyens présentés par les défenseurs du maréchal Ney. Un débat s’ouvre alors entre Bellart, Berryer et Dupin sur les délais réclamés par l’accusé pour faire appeler les témoins à décharge. Bellart s’oppose à une prolongation supplémentaire du procès et fait valoir à la Cour que Ney avait eu le temps de préparer sa défense devant le conseil de guerre. Il en déduit que ses moyens et ses témoins devraient être prêts. Berryer lui rappelle que le ministre de la Justice et le ministre de la Guerre avaient alors intimé l’ordre au conseil de ne pas statuer au fond tant que la question de sa compétence n’était pas réglée. Les avocats n’avaient donc préparé la défense du maréchal que sur les questions de formes sans s’occuper du fond de l’affaire. Mais, désormais, la situation de Ney devant la Chambre des pairs est différente : il va avoir à s’expliquer sur les faits reprochés ; des témoins seront cités par le ministère public ; la préméditation de son crime va lui être imputée. Il est donc indispensable pour sa défense de faire venir à la Chambre ses propres témoins.
170La Cour se retire ensuite en délibérations secrètes et rend un premier arrêt rejetant l’ensemble des moyens préjudiciels soulevés par Berryer et ordonnant de passer outre à l’ouverture des débats. Bellart a voulu s’opposer une dernière fois à l’octroi d’un délai en faisant valoir à la Chambre que ce premier arrêt ouvrait les débats. Or, "quand les débats sont ouverts, il n’est plus possible de les interrompre"116. Dupin fit habilement remarquer que les débats n’étaient pas ouverts puisque le réquisitoire du procureur tendait à ce qu’ils commencent incontinent. La Chambre se retira une seconde fois et rendit un arrêt dans le sens de la défense en fixant le premier jour des débats au 4 décembre 1815 : le maréchal disposait de dix jours pour appeler ses témoins.
171Sans doute les arguments de Berryer eussent produit plus d’effet devant des magistrats professionnels, mieux rompus aux procédures criminelles par leurs études et l’expérience ; il était autrement plus difficile de demander à ces juges improvisés, ignorant les rouages précis de la législation pénale, d’entrer dans le détail des textes et des mécanismes judiciaires. Par l’arrêt du 23 novembre 1815, le maréchal Ney perdait sa deuxième bataille devant la Chambre des pairs : après le rejet de son moyen préjudiciel principal -celui fondé sur l’inconstitutionnalité du procès- il ne parvenait pas à faire annuler la procédure illégale dont il faisait l’objet. Il restait dix jours à la défense pour se préparer à affronter les réquisitoires et les témoins du ministère public.
III – Débats et jugement
172Le 4 décembre 1815, la Cour des pairs se réunit pour engager les débats, entendre les témoins et interroger l’accusé. À l’issue de deux journées consacrées à l’examen de l’affaire, la Cour donne ensuite la parole au ministère public et à la défense pour écouter, le 6 décembre, le réquisitoire et les plaidoiries afin de statuer définitivement sur le sort du maréchal Ney.
173Avant d’ouvrir les débats, le président Dambray réunit la Chambre en séance préliminaire afin de fixer, dès le 4 décembre, la majorité nécessaire à l’adoption du jugement de la Cour. Un pair fit valoir que l’article 8 de l’ordonnance du 12 novembre imposait qu’il fût procédé à l’audition des témoins, au débat et à l’arrêt "suivant les formes prescrites par les cours spéciales". Or, d’après l’article 582 du Code d’instruction criminelle, les cours spéciales, composées de huit membres devaient juger à la majorité des voix, soit cinq contre trois. Le pair proposait que l’arrêt de la Chambre fût adopté à la majorité des cinq huitièmes des suffrages. Malgré l’approbation d’une grande partie de la Cour, cette proposition fut combattue par un autre orateur qui fit remarquer que la majorité des cinq huitièmes exigée d’une cour de huit membres n’était pas une majorité qualifiée mais seulement absolue. Il souhaitait en conséquence que la Chambre pût aussi juger le maréchal Ney à la majorité absolue des suffrages. Un autre membre de l’assemblée objecta que, d’après la maxime favores ampliandi, lorsque deux interprétations d’une disposition législative sont possibles, on doit toujours préférer celle qui est favorable à l’accusé. La majorité des cinq huitièmes lui semble donc devoir être retenue des deux lectures possibles des dispositions relatives aux suffrages des cours spéciales. La Chambre des pairs adopta finalement cette dernière proposition et arrêta "comme une conséquence des ordonnances du roi des 11 et 12 novembre, qu’elle a acceptées, que le jugement des cours spéciales ne pouvant être formé qu’à la majorité de cinq voix contre trois, c’est-à-dire à la majorité des cinq huitièmes des voix, elle [suivrait] pour le jugement du procès du maréchal Ney, la même proportion dans le recensement des votes susceptibles d’être comptés"117.
174Par cet arrêt, la Chambre venait de régler l’une des dernières questions que la Charte et le gouvernement avaient laissées sans réponse. Le chancelier Dambray put ensuite ouvrir la séance publique afin d’engager les débats. Cette phase du procès est alors l’occasion pour les juges de former leur conviction sur la base de deux éléments principaux : les dépositions des témoins et l’interrogatoire de l’accusé. C’est aussi la seule opportunité offerte à ce dernier de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés et de répondre directement à l’accusation ou aux témoins.
175Il ne nous appartient pas de retranscrire intégralement les déclarations de toutes les personnes appelées à témoigner devant la Cour des pairs : non seulement leurs déclarations n’ont pas un intérêt juridique majeur mais surtout elles se répètent et rappellent ce que nous avons déjà exposé : la défection des troupes au fur et à mesure de l’avancée des troupes bonapartistes, les circonstances du ralliement et la fidélité de Ney jusqu’à la nuit fatale du 13 au 14 mars 1815. De même, la tournure particulière du procès, et les archives que nous tenons à notre disposition, limitent l’intérêt juridique d’une étude des plaidoiries et des réquisitoires : les avocats n’ayant pas été libres de fonder leur plaidoyer sur les textes de loi qu’ils avaient choisis, ils ne purent se livrer qu’à un exposé justificatif du maréchal Ney pour excuser les faits incriminés, sans plaider aucun moyen de droit.
176Face à cette situation singulière, il est apparu plus opportun de s’attacher à l’étude des formes des débats et du jugement, celle du fond ne constituant qu’une répétition inutile avec l’exposé des faits présenté devant le conseil de guerre et la Chambre des pairs118.
A – Les débats devant la Chambre des pairs
177Le Code d’instruction criminelle a fixé avec précision les règles d’audition des témoins et la manière de diriger les débats entre eux, les juges, le ministère public et la défense. Les ordonnances des 11 et 12 novembre imposent à la Cour de respecter les formes prescrites par le Code, et la Chambre a agi, pendant cette phase du procès, en conformité avec les lois générales des tribunaux répressifs.
178Ainsi, à l’instar des présidents des cours d’assises, le chancelier Dambray se trouve investi d’un pouvoir discrétionnaire et personnel très étendu : il dirige seul les débats et doit prendre toutes les décisions qui lui paraissent utiles à la découverte de la vérité. Il lui revient de faire prêter à chaque témoin le serment "de parler sans haine et sans crainte ; de dire toute la vérité et rien que la vérité". Il s’assure qu’il n’existe aucun lien de parenté ni de subordination hiérarchique entre les témoins et l’accusé, et autorise ce dernier à répondre à la fin de chaque déposition.
179Mais, en dépit des pouvoirs qui lui sont conférés, il peut arriver que le président ne résolve pas l’ensemble des difficultés soulevées devant la Chambre. Dès le premier procès de la Cour des pairs, Dambray a posé un principe qui a fait jurisprudence : la nature personnelle de ses pouvoirs ne l’empêche pas de s’entourer de l’avis de la Chambre, invitée à rendre des arrêts sur des matières que le président seul a le pouvoir de régler.
180Le procès du maréchal Ney offre un nombre assez réduit d’incidents liés aux témoins, à l’accusé ou aux défenseurs. Mais, parce qu’il fut le premier procès de la Chambre des pairs, il a fixé sa procédure. De ces journées du 4 au 6 décembre, la Cour a retenu l’ensemble des droits que ces trois classes de personnes doivent exercer dans tout débat criminel, et a rappelé dans le même temps les devoirs à remplir envers la société, la loi et la justice. C’est dans ce cadre que les pouvoirs du président trouvent la justification de leur étendue : la nature particulièrement grave des crimes jugés, la qualité souvent exceptionnelle des accusés et le nombre important des juges expliquent que le président se trouve investi d’un pouvoir discrétionnaire propre à faciliter la recherche de la vérité et la police des débats.
1 – Les protagonistes du procès
181Les ordonnances du 11 et du 12 novembre semblent se contredire sur les formes prescrites à la Cour pour procéder aux débats : celle du 11 novembre dispose que "les opinions seront prises suivant les formes usitées dans les tribunaux"119 alors que celle du 12 précise dans son article 8 qu’il "sera procédé à l’audition des témoins, à l’examen, au débat […] suivant les formes prescrites pour les cours spéciales par le Code d’instruction criminelle"120.
182Bellart s’est expliqué de cette situation devant les pairs le 23 novembre : "On a prétendu accuser les ministres d’incertitude dans leur marche, de variation dans leur conduite. On parle de la seconde ordonnance comme différant essentiellement de la première. […] La deuxième ordonnance n’annule point la première. Cédant à une bonté qu’on trouvera peut-être excessive, le monarque a rendu cette ordonnance, destinée, d’ailleurs, à achever ce que celle du 11 n’avait fait que commencer"121. Le procureur général suggère donc de ne pas relever de contradiction entre les deux actes mais au contraire d’envisager l’ordonnance du 12 comme une précision et un complément à celle du 11. La Cour a donc recherché dans le Code d’instruction criminelle et dans les dispositions relatives aux cours spéciales la nature et l’étendue des droits et devoirs des témoins, accusés et défenseurs, ainsi que les moyens de rappeler à l’ordre ceux qui s’en écartaient.
a – Droits et devoirs des témoins
183Les dépositions des témoins sont l’élément principal qui fonde la conviction des juges. Le Code d’instruction criminelle réserve donc à l’audition des témoins la quasi-totalité des dispositions relatives aux débats.
184Trois sortes de témoins peuvent être appelés au cours des débats : ceux assignés à la requête du procureur général, ceux assignés à la requête de l’accusé et ceux appelés pendant les débats en vertu du pouvoir discrétionnaire du président. L’article 315 du Code d’instruction criminelle reconnaît donc un droit égal à l’accusation et à la défense pour la citation des témoins.
185Le 4 décembre, le greffier en chef donne la liste des personnes appelées à témoigner devant la Chambre des pairs122 : trente-quatre sont assignés par le ministère public, quatre seulement par le maréchal Ney, sur la vingtaine qu’il voulait citer à la barre. L’éloignement de la plupart des personnes pressenties par la défense et le bref délai accordé par la Chambre expliquent le nombre réduit de témoins à décharge.
186Chaque partie au procès doit notifier vingt-quatre heures à l’avance au tribunal et à la partie adverse les noms, profession et domicile de ses témoins. Dans le cas des personnes assignées à la requête du procureur général, l’avance des frais est faite par le Trésor public ; en revanche, il revient à l’accusé de supporter les dépenses d’assignation et de taxe pour ses propres témoins, quelle que soit l’issue du procès. Cette distinction liée à l’origine de l’assignation est la seule admise par la loi.
187Cet inconvénient pour l’accusé, lié aux coûts d’assignation, renforce encore l’inexactitude de la qualification de "témoin à charge" attribuée ordinairement à ceux qui sont appelés par le ministère public : il peut arriver en effet que des témoins assignés par le procureur général soient en fait indiqués à ce dernier par l’accusé, celui-ci estimant que le témoignage ne sert pas plus une partie que l’autre mais contribue seulement à la découverte de la vérité. Ainsi, de nombreux témoins ont fait des dépositions qui n’ont pas éclairé les juges du maréchal Ney sur l’éventualité d’une préméditation de ses actes : leurs déclarations ont juste confirmé ou infirmé la relation de faits plus éloignés des crimes du maréchal Ney. Le duc de Duras, par exemple, est seulement entendu pour rendre compte de l’entrevue du maréchal Ney et de Louis XVIII, le 7 mars 1815123 ; son témoignage instruit la Cour sur les circonstances de l’affaire mais Duras n’est pas plus un témoin à charge qu’à décharge.
188Cette faculté accordée par l’article 321 du Code d’instruction criminelle a été respectée par la Cour des pairs, si bien qu’il serait inexact d’affirmer que le maréchal Ney n’a assigné que quatre témoins : on sait seulement qu’il a appelé quatre personnes, en qualité de témoins à décharge, mais sans doute la liste des témoins du ministère public contient-elle des noms de personnes assignées à la requête de l’accusé. Ainsi, maître Batardy, le notaire du maréchal Ney, est-il appelé par le ministère public, alors qu’il dépose que Ney était dans le plus grand étonnement en apprenant la nouvelle du débarquement de Napoléon, affaiblissant ainsi la thèse du parquet selon laquelle le maréchal connaissait depuis trois mois les intentions de l’Usurpateur.
189Le président Dambray a usé quelques fois de son droit propre à citer à la barre des témoins prévus ni par le ministère public, ni par l’accusé mais dont la nécessité et l’utilité des dépositions se sont fait sentir au cours des débats. Il a ainsi autorisé le procureur général à interroger un certain Casse : Bellart voulait que le capitaine d’infanterie Grison lui désigne dans l’assemblée une personne qui déposerait dans le même sens que lui ; Grison répondit que le capitaine Casse pourrait corroborer ses propos, et le président Dambray donna son aval à Bellart pour l’interroger124. Le chancelier appela une seconde fois un témoin non assigné par l’accusation ou la défense : les dépositions d’un aide de camp, nommé Dutour, présentaient selon lui un caractère suffisamment sérieux pour servir la vérité125. Dans les deux cas, selon les prescriptions de l’article 269 du Code d’instruction criminelle, les témoins n’ont pas prêté serment : leurs déclarations "ne sont considérées que comme renseignements".
190Deux classes de personnes ne peuvent être entendues en justice : les enfants âgés de moins de quinze ans et les condamnés à la dégradation civique ou aux autres peines criminelles qui, d’après l’article 28 du Code pénal, entraînent cette dégradation. D’autre part, le Code d’instruction criminelle donne la liste des témoins dont l’assignation doit recevoir l’approbation préalable du procureur général : il s’agit des ascendants ou descendants de l’accusé, de ses frères, sœurs ou alliés au même degré, du conjoint et des personnes qui auraient dénoncé l’accusé et en seraient récompensées pécuniairement par la loi. Ces restrictions à l’admission de tels témoins, en matière de crimes politiques, introduites dans le droit français par les codes napoléoniens indiquent un progrès dans le sens du rapprochement du droit pénal ordinaire et du droit pénal politique. Jusque là, on considérait les crimes d’Etat comme des infractions trop graves pour se permettre d’évincer ces témoins. Ainsi non seulement l’Ancien Régime les admettait en matière de lèse-majesté, mais la Révolution également a continué de les entendre dans les procès de lèse-nation.
191Enfin, les pairs de France appelés à témoigner peuvent se dispenser de cette obligation et demeurer juges s’ils ont été assignés par la défense ; s’ils l’ont été à la requête du ministère public, ils ne peuvent se soustraire à sa demande et sont obligés de déposer et de perdre leur qualité de juge. Cette distinction n’est contenue dans aucune loi mais a été définitivement fixée après le procès du maréchal Ney, en 1821, à l’occasion du jugement des auteurs de la conspiration du 19 août. Défavorable aux accusés, elle maintient parmi les juges des personnes qui connaissent les faits et les individus impliqués dans les affaires qu’on leur soumet, et elle prive les accusés de témoignages souvent utiles.
192Le premier devoir des témoins assignés à la requête du ministère public est d’être présents à l’heure et au jour indiqués et de ne pas s’absenter avant la fin des débats sans avoir obtenu de la Cour l’autorisation de se retirer. Le Code d’instruction criminelle punit d’une amende de cent francs au plus, au terme des articles 80 et 335, toute contravention à cette obligation ; en outre, les témoins qui ne voudraient pas comparaître peuvent être contraints par corps à venir donner leur témoignage.
193Les Archives parlementaires et les documents conservés aux Archives nationales ne semblent pas indiquer que les témoins aient fait l’objet de telles mesures. Pourtant, plusieurs personnes assignées par le procureur général, n’ont pas déposé devant la Chambre des pairs les 4 et 5 décembre 1815 : Tuméril de Lecourt, le baron Mermet, le baron Gauthier, Cayrol, le duc d’Albuféra, Bessières et Guy, tous annoncés dans la liste du 5 décembre, n’ont pas témoigné en dépit des assignations qui leur avaient été adressées. La Cour n’a fait aucune allusion à leur absence et rien n’indique s’ils ont fait l’objet de poursuites ; on peut supposer que non, dans la mesure où ni le président de la Chambre ni le ministère public n’ont dénoncé cette situation, et dans la mesure où aucun d’entre eux n’a été contraint par corps à comparaître devant les pairs.
194L’obligation de comparaître, principal devoir des témoins, n’existe qu’à l’égard des personnes assignées par le parquet. La loi n’accorde aucun moyen de contrainte pour obliger les témoins appelés par l’accusé à se présenter devant la Cour : "C’est à ces témoins à juger en conscience s’ils connaissent quelques faits sur lesquels ils puissent présumer que leur témoignage importe à l’accusé"126.
195La seconde obligation des témoins découle de celle de comparaître : elle impose de ne rien cacher qui pourrait éclairer la conscience des juges et de ne pas déguiser ou altérer la vérité. Il n’y a pas eu d’incident majeur dans le procès du maréchal Ney mais la Cour n’a jamais hésité à punir des témoins récalcitrants. Ainsi un arrêt de la Cour du 1er juin 1821 condamne à cent francs d’amende un témoin qui refusait de nommer une personne dont il parlait dans sa déposition.
196Si l’obligation de comparaître n’a pas la même force impérative selon que le témoin est assigné par l’accusation ou la défense, celle de ne rien celer aux juges est la même pour tous. Leur comparution les met à la disposition de la Cour et non à celle des accusés ; ils doivent donc répondre à toute injonction du président et n’ont pas d’ordre à recevoir du ministère public ou de la défense.
197L’altération de la vérité est plus grave encore que le silence : elle constitue une infraction définie par la loi et peut donner lieu, selon les circonstances, à une peine de faux témoignage. S’il présume cette éventualité, le président de la Cour peut alors ordonner, soit d’office, soit à la demande de l’une des parties, qu’il soit tenu note des termes dans lesquels a été faite une déclaration pour les comparer avec les dépositions du même témoin, consignées dans l’instruction écrite. Si l’hypothèse d’un faux témoignage se renforce ou se confirme, le témoin peut être arrêté sur ordre du président et la Cour délibère immédiatement sur sa culpabilité et sa peine s’il y a lieu.
198Le procès du maréchal Ney ne révèle aucun incident relatif à cette seconde obligation des témoins de ne pas cacher ni altérer la vérité. Mais la rigueur de la Cour des pairs à punir tout le long de son existence les manquements aux dispositions de la loi et au serment des témoins imposait d’en évoquer l’éventualité.
b – Droits et devoirs de l’accusé et des défenseurs
199L’accusation n’est pas une mise hors la loi de l’individu qui en est l’objet : celui-ci n’est pas dispensé des devoirs qui l’obligent à l’égard de la société qui l’accuse. Comme le note Cauchy : "C’est au contraire l’exercice du droit qui appartient naturellement à cette société de demander compte à ses membres des faits qui ont pu troubler l’ordre établi par elle"127. L’accusé a donc des devoirs à remplir à l’égard de la société ; il en a surtout à l’égard du tribunal devant lequel il est traduit.
200Sa première obligation est de comparaître devant ses juges. La loi a suffisamment prévu les moyens de récuser tel ou tel magistrat et de décliner la compétence d’un tribunal pour que l’absence d’un accusé devant ses juges ne soit regardée que comme une attitude irrévérencieuse et coupable. Cela explique que le maréchal Ney se soit présenté devant les juges militaires malgré l’incompétence du conseil de guerre et l’illégalité de sa composition.
201Un autre devoir de l’accusé, qui est aussi son intérêt, est de répondre au magistrat qui l’interroge. Ney avait refusé de répondre à d’autres questions que celles relatives à ses nom, prénoms, âge, qualité et domicile devant le tribunal militaire. Craignant que le fait d’accepter d’être interrogé par le conseil de guerre fût interprété comme une reconnaissance de compétence, il avait pris le parti de se taire et de laisser immédiatement la parole à ses défenseurs pour décliner la compétence du conseil. Devant la Chambre des pairs en revanche, désireux de s’expliquer enfin sur les crimes qu’on lui imputait depuis plusieurs mois, il n’a montré aucune réticence à répondre aux questions des pairs et du président.
202Il a donc pu s’expliquer, avant l’introduction des premiers témoins sur les chefs d’inculpation dont il faisait l’objet. Cet interrogatoire lui a permis de s’exprimer pour la première fois devant un tribunal, sur l’état d’esprit des troupes royalistes pendant les quinze premiers jours de mars 1815 ; il a également souligné aux juges la pression morale qui emporta son jugement et sa résolution de rejoindre l’armée de Napoléon, et les manœuvres de celui-ci, prétextant un accord unanime des puissances européennes, pour le convaincre. Conscient que le ministère public appuierait la thèse du complot et de la préméditation, le maréchal Ney a mis en valeur devant les pairs sa loyauté jusqu’au 13 mars au soir, date à laquelle Napoléon le convainquit de l’imminence d’une guerre civile. Persuadé qu’en continuant de défendre la cause des Bourbons, il aurait été "responsable du sang français inutilement versé", il insiste sur la sincérité de ses intentions : "Je défie qu’avant on puisse dire que j’aie jamais tergiversé"128. Les avocats de Ney ne sont pas intervenus pendant son interrogatoire. Il appartient au seul accusé de répondre aux questions du président et de présenter sa version des faits.
203Mais même si les défenseurs sont étrangers à toute discussion personnelle, ils doivent être considérés comme des protagonistes des débats, l’organe accordé à l’accusé pour présenter ses moyens de défense.
204La loi n’impose pas la présence d’un avocat pendant les phases préparatoires du procès. Elle n’accorde qu’une faculté au prévenu de se faire aider par un conseil pendant l’instruction, notamment pour rédiger des mémoires justificatifs qui, d’après l’article 217 du Code d’instruction criminelle, peuvent être soumis à la chambre des mises en accusation129, et pour préparer d’éventuels moyens préjudiciels. En revanche, l’aide d’un défenseur devient une obligation lorsque l’accusation est prononcée à l’encontre du prévenu. Ainsi, lorsque l’accusé est interrogé par le président de la Chambre immédiatement après son arrivée dans la maison de justice désignée par la Cour des pairs, il doit déclarer à son interlocuteur le choix qu’il a fait d’un conseil pour sa défense ; sinon, "le juge lui en désignera un sur-le-champ" d’après l’article 294 du Code d’instruction criminelle130. Dans ce cas, l’accusé ne perd pas pour autant le droit de choisir son défenseur et de se séparer de l’avocat nommé par le juge.
205L’article 295 du Code d’instruction criminelle dispose que "le conseil de l’accusé ne peut être choisi par lui, ou désigné par le juge, que parmi les avocats ou avoués de la cour royale ou de son ressort, à moins que l’accusé n’obtienne du président de la cour d’assises la permission de prendre pour conseil un de ses parents ou amis". Cette obligation n’a créé aucun incident dans l’affaire du maréchal Ney, celui-ci ayant choisi deux avocats du barreau de Paris. Toutefois, une difficulté n’a pas été résolue : la Cour des pairs ayant une compétence nationale, on pouvait se demander si l’étendue de son ressort autorisait les accusés à choisir leurs avocats dans la France entière. Il faut attendre une ordonnance royale du 30 mars 1835 contenant "Règlement sur l’exercice de la profession d’avocat devant la Cour des pairs" pour que cette question soit définitivement réglée. L’article 1er de ce texte dispose que "tout avocat inscrit au tableau d’une cour ou d’un des tribunaux du royaume pourra exercer devant la Cour des pairs. Néanmoins, les avocats près la cour royale de Paris pourront seuls être délégués d’office par le président de la Cour des pairs, conformément à l’article 294 du Code d’instruction criminelle"131.
206La même ordonnance confirme dans ses articles 2 et 3 la jurisprudence de la Cour à l’égard des avocats : ceux-ci sont tenus devant elle aux mêmes obligations que devant les cours d’assises, et la Chambre des pairs demeure investie à leur égard des mêmes pouvoirs que ces cours et leurs présidents. L’article 311 du Code d’instruction criminelle fait aux avocats deux injonctions qui résument leurs devoirs : la première est de ne rien dire contre leur conscience ou contre le respect dû aux lois ; la seconde est de s’exprimer avec décence et modération. Le corollaire de ces obligations suppose que les avocats puissent s’exprimer librement à l’intérieur de ces limites. Le procès du maréchal Ney montre alors combien la conscience, la décence et la modération sont des notions subjectives dont l’appréciation varie selon les personnes qui doivent en juger. Sur ce point, le président Dambray a usé avec force du pouvoir discrétionnaire que lui accorde la loi pour interdire aux avocats de Ney de faire valoir les moyens de droit qui devaient fonder leur plaidoirie.
2 – La direction des débats
207L’article 268 du Code d’instruction criminelle confie des pouvoirs étendus aux présidents des cours d’assises : "Le président est investi d’un pouvoir discrétionnaire, en vertu duquel il pourra prendre sur lui tout ce qu’il croira utile pour découvrir la vérité ; et la loi charge son honneur et sa conscience d’employer tous ses efforts pour en favoriser la manifestation"132. L’origine de ces droits réside dans la volonté du législateur de ne demander aux jurés des cours d’assises aucun compte sur la nature ou la qualité des preuves ou indices qui les auraient convaincus ; en contrepartie, afin de ne négliger aucun moyen de doute ou de conviction, la loi charge le président de diriger les débats et l’investit de tous les pouvoirs nécessaires à la recherche de la vérité pour éclairer la conscience des jurés.
208Les ordonnances des 11 et 12 novembre ont voulu imposer la même procédure à la Chambre des pairs. Le chancelier se trouve donc investi d’un pouvoir très étendu.
a – Le pouvoir discrétionnaire du président de la Cour des pairs
209Le 21 novembre, en séance préliminaire, Dambray rappelle aux pairs l’ensemble des pouvoirs que lui octroient les articles 268, 269 et 270 du Code d’instruction criminelle dans la direction des débats. Il souligne auprès de l’assemblée que les devoirs imposés par ces dispositions sont personnels, et qu’il ne peut associer à leur exercice le concours de la Chambre. "Il me serait plus commode sans doute, et sûrement plus doux, de n’agir que par votre impulsion, de remettre entre vos mains le pouvoir discrétionnaire que le Code m’attribue. Mais ce pouvoir n’est pas un droit… c’est un devoir. […] J’userai donc dans toute son étendue du pouvoir qui m’est confié…"133. Lorsqu’il exerce ce pouvoir discrétionnaire, le président de la Cour des pairs agit en vertu d’un droit propre et personnel : il cesse d’être l’organe de la volonté de la Chambre pour devenir "le délégué direct de la loi"134
210Le caractère discrétionnaire de ce pouvoir tient à l’impossibilité pour le législateur d’entrer, dans ce domaine, dans tous les détails d’application et de pratique. Le président de la Cour est donc seul juge de l’utilité des ordres qu’il donne pendant les débats et peut exiger tout ce qui lui paraît indispensable au procès. Toutefois, le Code d’instruction criminelle pose certaines règles qui indiquent le contenu de ce pouvoir. Un certain nombre d’entre elles concerne les moyens propres à découvrir la vérité.
211Ainsi, au cours des débats, le président peut "appeler, même par mandat d’amener, et entendre toutes personnes, ou se faire apporter toutes nouvelles pièces qui lui paraîtraient pouvoir répandre un jour utile sur un fait contesté"135. Il peut en outre réclamer aux accusés ou aux témoins des éclaircissements supplémentaires, et les articles 326 et 327 du Code d’instruction l’autorisent à faire retirer un ou plusieurs témoins ou accusés afin de les entendre séparément et de confronter leurs dépositions. Il lui appartient aussi d’ordonner, aux termes de l’article 330, l’arrestation d’office d’un témoin soupçonné de faux témoignage.
212Chargé d’assurer la police des débats, il reçoit le serment des témoins et leur adresse les diverses interpellations prévues par la loi136 ; il les autorise seul à se retirer137 et détermine l’ordre entre ceux qui demandent la parole pendant les débats138. Le président est seul juge de l’utilité des propos tenus par les différents intervenants : ni la défense, ni le ministère public ne peuvent faire taire un pair, un témoin ou la partie adverse. Ainsi, l’article 270 du Code d’instruction criminelle dispose que le président doit "rejeter tout ce qui tendrait à prolonger les débats sans donner lieu d’espérer plus de certitudes dans les résultats". Quant aux règles relatives à l’ordre à l’intérieur du tribunal, elles lui imposent de réclamer le silence et l’autorisent à faire arrêter sur-le-champ toute personne qui troublerait la paix des audiences.
213Le président Dambray a régulièrement usé de son pouvoir discrétionnaire au cours du procès du maréchal Ney : il a appelé à la barre des témoins qui n’avaient pas été assignés par le ministère public ni par l’accusé ; il a autorisé le public à assister aux séances de la Cour, afin de respecter la publicité des débats, mais a refusé la présence de femmes dans l’enceinte du tribunal ; il a jugé inutile le vote par la Chambre d’un règlement spécial relatif au maintien de l’ordre pendant les séances judiciaires de l’assemblée, estimant qu’il détenait tous les pouvoirs nécessaires à cette fin.
214Le Code d’instruction criminelle ne définit pas davantage le contenu des pouvoirs du président des cours d’assises ; la même imprécision vaut donc pour le chancelier, président de la Chambre des pairs. Les textes n’ont prétendu régler que quelques cas particuliers que le législateur pouvait prévoir et laissent donc le président libre d’apprécier les exigences liées aux circonstances de chaque affaire, imprévisibles au moment du vote des projets de loi. Aussi, malgré la distinction établie par la loi entre les droits de la Cour et ceux de son président, certaines difficultés ont poussé le chancelier Dambray à franchir cette frontière pour s’entourer de l’avis de ses collègues. Le président s’est notamment écarté d’un exercice personnel de ses droits propres lorsque le ministère public et plusieurs pairs ont voulu s’opposer à l’utilisation par les défenseurs du maréchal Ney d’une convention militaire signée le 3 juillet 1815. La question était particulièrement grave puisqu’il s’agissait d’accorder ou de refuser à la défense les moyens de droit qui devaient fonder sa plaidoirie.
b – La défense entravée
215Dès l’ouverture des débats, le 4 décembre 1815, le maréchal Ney informe le président de la Cour, avant de répondre à l’interrogatoire de Dambray, que ses défenseurs fonderont leur plaidoirie sur les conventions du 3 juillet et du 20 novembre 1815 : "Je vais répondre à toutes les inculpations, sauf la réserve de faire valoir, par mes défenseurs, les moyens tirés de l’article 12 de la convention du 3 juillet, et des dispositions de celle du 20 novembre 1815"139. Personne ne s’élève alors, parmi les pairs ou au sein du ministère public, contre les intentions de Berryer et Dupin.
216Le lendemain 5 décembre, lorsque les témoins assignés à la requête du maréchal Ney comparaissent devant la Chambre, le procureur général émet ses premières réserves sur le système de défense que comptent suivre les avocats de l’accusé. Avant de les interroger, Berryer précise à la Cour que les témoins n’ont pas été appelés par le maréchal pour déposer sur les faits contenus dans l’acte d’accusation mais sur la convention du 3 juillet 1815. Bellart objecte alors qu’"il suffirait d’observer que les quatre témoins ont été appelés pour déposer sur les faits de l’acte d’accusation, pour que les commissaires pussent s’opposer à ce qu’ils fussent entendus. C’est à l’appui d’un système qu’il est bien tard de présenter qu’on invoque la convention du 3 juillet"140. Pour autant, Bellart laisse s’exprimer les témoins du maréchal Ney devant la Chambre. Tous font en effet des déclarations liées aux conventions citées par l’accusé le 4 décembre. Le maréchal Davoust, prince d’Eckmühl, est appelé par Ney en tant que négociateur de cet accord signé avec Blücher et Wellington. Berryer lui demande précisément quel est le sens que lui-même et le gouvernement provisoire donnaient à l’article 12 de la convention selon lequel nul ne serait recherché pour ses opinions, attitudes et actions pendant les Cent-Jours. Bellart intervient alors : "Les commissaires du roi s’opposent à cette question indiscrète. La discussion, je le vois bien, roulera sur la capitulation, mais l’acte existe comme il existe. L’opinion du prince n’y peut rien changer"141
217Le maréchal Ney intervient alors pour que la Cour puisse entendre de la bouche du signataire français de la convention la déclaration du gouvernement qui précédait le dispositif de l’acte et révélait l’intention des autorités nationales. "La déclaration était tellement protectrice que c’est sur elle que j’ai compté"142. Ney explique par là qu’il a consenti à se rendre aux forces de gendarmerie le 3 août 1815 sans opposer de résistance, parce qu’il se croyait assuré des garanties contenues dans la déclaration du gouvernement provisoire et dans l’article 12 de la convention. Mais le président se range à l’avis du procureur général et clôt la discussion en affirmant que "c’est dans la capitulation écrite que son sens est renfermé ; peu importe l’opinion que chacun peut en avoir. En vertu du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, la question ne sera pas faite"143. Fort de son succès, le parquet empêche la défense de prétendre que la convention s’applique à tous, y compris aux instigateurs des Cent-Jours.
218Le 6 décembre, en séance préliminaire, le comte Tascher invite Dambray "à s’opposer définitivement, au nom de la Chambre, à toute discussion du moyen que le maréchal Ney prétendait tirer de la convention militaire conclue sous les murs de Paris, le 3 juillet 1815"144. Tascher demande au président d’exiger de la Cour qu’elle se prononce seulement sur les faits et l’existence matérielle des infractions relevées dans l’acte d’accusation ; il n’appartient pas à la Chambre, selon lui, d’interpréter les conventions militaires. Dambray répond alors qu’il est informé de l’intention du ministère public de s’opposer également à l’utilisation de cet accord. Il précise "qu’en vertu du pouvoir discrétionnaire dont la loi l’investit, il pourrait, sans aucune intervention de l’assemblée, empêcher cette lecture"145. Mais, sans craindre de contredire les propos qu’il a tenus le 21 novembre, il rajoute qu’il "est jaloux de s’environner en toute occasion des lumières de la Chambre, et de chercher dans son assentiment des motifs de sécurité"146. Si le 21 novembre, Dambray prévient les pairs qu’il exercera seul les pouvoirs personnels qui lui sont conférés, le 6 décembre, le président de la Chambre se rétracte et préfère partager avec les juges les lourdes charges qui lui incombent. Dès le premier procès qu’il préside, Dambray indique donc que le pouvoir discrétionnaire qu’il tient de la loi l’autorise paradoxalement à ne pas exercer personnellement des droits qui lui sont pourtant exclusivement réservés. Sa décision a fait jurisprudence et, jusqu’aux derniers procès de la Cour, les présidents ont préféré trancher les questions délicates en accord avec la Chambre147.
219Soucieux de ne pas résoudre seul le conflit d’autorité entre le Code pénal, les ordonnances royales et les conventions militaires, Dambray s’enquiert de l’opinion de la Cour dans la séance qui précède la plaidoirie des avocats. Le comte Garnier, comme Tascher, s’élève contre les intentions de la défense : le maréchal Ney aurait dû invoquer selon lui la convention du 3 juillet au titre des questions préjudicielles, le moyen qu’il en déduirait constituant une fin de non-recevoir. Il fait alors observer à la Cour que l’arrêt du 21 novembre 1815 imposait que tous les moyens préjudiciels fussent présentés cumulativement ; en outre, les questions préjudicielles ne peuvent être agitées qu’avant l’ouverture des débats. Garnier conclut que l’examen des dispositions de l’article 12 de la convention est impossible : il intervient trop tard et en contradiction avec les règles de présentation posées par la Cour.
220Lanjuinais objecte à Tascher et Garnier que "l’argument tiré de la convention du 3 juillet doit être regardé comme une exception péremptoire, et qu’à ce titre, il est admissible à toutes les époques de la procédure"148. Il fait valoir que, d’après les principes admis dans les tribunaux, la Chambre n’a pu être irrévocablement liée par l’arrêt du 21 novembre "qui n’est qu’un jugement interlocutoire"149
221Il est appuyé par un autre pair qui précise à la Cour qu’il n’existe pas de fin de non-recevoir en matière criminelle. La seule autorité de l’arrêt du 21 novembre se limite à éviter de retarder l’ouverture des débats après la présentation cumulative des moyens préjudiciels ; mais cet arrêt ne s’oppose en rien à ce que le maréchal Ney soumette ultérieurement à ses juges des moyens péremptoires qu’il aurait omis.
222Peu de membres, dans la Chambre, étaient assez versés dans les affaires contentieuses criminelles pour soutenir un tel débat. Beaucoup demeuraient étrangers aux détails de la procédure pénale et ignoraient l’utilité, les conséquences et la signification politique de chaque acte de procédure. Bellart, la veille, qualifiait lui-même ces discussions de "petits moyens de chicane"150 ; sans doute, l’ancien avocat devenu procureur oubliait-il qu’il avait eu recours à ces petits moyens lorsqu’il exerçait encore la profession d’avocat. Désireuse de sortir de ce débat technique, la Cour se range à l’avis du comte Molé qui fonde l’impossibilité d’invoquer la convention du 3 juillet sur un autre moyen : il soutient que cet acte n’est pas une convention diplomatique mais seulement un accord militaire signé entre chefs d’armées. "On ne peut les opposer au roi, qui n’a point été partie dans la convention dont il s’agit, et que par cette raison elle ne peut obliger"151. À l’appui de cet argument, Molé suppose que les puissances étrangères se seraient opposées aux ordonnances du 24 juillet, considérant qu’elles rompaient l’accord du 3 juillet en excluant de la pairie vingt-neuf membres de la chambre haute des Cent-Jours et en désignant à la sentence des tribunaux les chefs militaires de l’armée bonapartiste. L’absence de réaction de la part de l’Angleterre et de l’Autriche montre assez, selon Molé, que les trois souverains, français, anglais et autrichien, ne se sont jamais crus liés par la convention militaire du 3 juillet. Le raisonnement de Molé se fonde seulement sur les intentions des alliés ou plutôt leur absence d’intention et n’échafaude que des hypothèses desquelles il tente de déduire le défaut de force légale des conventions. En outre, même si elle a été signée par des chefs militaires, la convention produit malgré tout des effets juridiques.
223Mise aux voix par Dambray, la proposition tendant à l’interdiction de l’utilisation de la convention du 3 juillet 1815 est adoptée par la majorité de la Chambre. Priver le maréchal Ney de ce moyen de défense vide la plaidoirie de ses avocats de toute sa substance : invoquer la capitulation de Paris était sans doute le moyen le plus sûr d’arracher l’accusé à une sentence implacable. Napoléon lui-même l’avait bien senti. "On se trompe si on croit adoucir les juges de Ney en le présentant comme un ennemi, en rappelant sa conduite à Fontainebleau, dit l’empereur en apprenant le début du procès. Il n’y a qu’une manière de sauver Ney, s’il y en a une : c’est de faire éclater en sa faveur toute la force de la vérité. Ney n’a point conspiré, car personne n’a conspiré… Ni les Bourbons ni moi n’avons rien à lui reprocher que d’avoir succombé sous la violence des événements. Il doit dire à ses juges : Je n’ai point trahi, j’ai été entraîné et pour ce genre de délit si fréquent, si excusable dans les révolutions, une loi a été faite, c’est la capitulation de Paris"152.
224Le président ouvre la séance publique en donnant la parole aux avocats du maréchal Ney pour entendre leurs plaidoyers. Berryer parle devant les juges pendant plusieurs heures afin d’exposer les faits et les circonstances des crimes reprochés à son client et de justifier son attitude. Dupin demande à la fin de cette première partie de la plaidoirie l’autorisation de continuer le lendemain, faisant observer "que les avocats étaient épuisés de veille et de fatigue"153. Bellart s’indigne : "Ce qu’on vient de demander est sans exemple !"154, et un pair, le duc d’Uzès, interpelle Dambray : "Monsieur le président, veuillez rappeler l’avocat à l’ordre !"155. Le chancelier accorde une suspension d’audience d’une heure. Lorsque Berryer reprend la parole, il tente de développer ses moyens d’après la convention du 3 juillet 1815. Bellart l’interrompt aussitôt : "Je crois devoir épargner au défenseur le triste avantage de donner un scandale de plus en poursuivant ainsi la défense de l’accusé. […] C’est dans nos lois qu’il faut que le maréchal cherche sa défense, et non dans les traités des puissances étrangères. […] Les commissaires du roi, par suite de cette modération dont ils se sont fait un devoir, avaient souffert l’audition des témoins qui n’avaient été appelés que pour déposer sur la capitulation de Paris ; […] Les commissaires du roi requièrent qu’il plaise à monsieur le chancelier, président de la Chambre, leur donner acte de ce que, pour la dignité nationale, qui ne permet pas qu’on invoque dans les tribunaux français, contre l’autorité et la justice du roi, une convention faite par les agents d’un parti en révolte directe contre le roi légitime, avec les armées qui assiégeaient Paris […] ; s’opposent formellement tant à la lecture de ladite convention militaire, qu’à toute discussion qu’on en pourrait vouloir faire sortir ; ordonner en conséquence que le maréchal Ney et ses défenseurs se renfermeront dans la discussion des faits qui composent l’accusation"156
225Après la lecture de ce réquisitoire, Dambray répond favorablement au procureur général en lui lisant l’arrêt de la Chambre qui interdit aux défenseurs de se servir de ce moyen. Privés des textes juridiques qui fondaient leur système de défense, les avocats de Ney ne peuvent donc poursuivre selon leurs intentions. Dupin prend alors la parole pour assurer la Cour de leur respect et de leur entière soumission à sa décision. Mais il tente en même temps un "coup de force" imprévu : il fait observer que le maréchal Ney, sous la protection du droit des gens, doit bénéficier des dispositions du traité du 20 novembre 1815 qui trace une nouvelle frontière à l’est de la France. Selon ce traité, Sarrelouis, lieu de naissance du maréchal Ney, ne se trouve plus en territoire français. Dupin conclut sa courte démonstration par cette phrase extraordinaire : "Le maréchal Ney n’est plus Français"157. Des murmures se font entendre dans l’assemblée ; le ministère public demeure stupéfait par ce nouveau moyen. Profitant de la stupeur générale créée par sa déclaration, Dupin ajoute que "la Cour jugera le moyen"158 mais qu’elle ne peut juger un étranger sans lettre de naturalisation. L’orateur ne se fait aucune illusion sur le succès de sa tentative ; mais elle fait partie d’un coup de théâtre où le maréchal Ney joue son va-tout, car le fils de Berryer, assistant des défenseurs du maréchal, avait appris le matin même par quelque indiscrétion, l’intention de la Cour de refuser aux avocats la convention du 3 juillet. En effet, en sortant de la séance secrète, Lally-Tollendal, l’ancien constituant qui avait demandé à défendre Louis XVI, déclare au jeune Berryer : "Ça va mal…" et ajoute en grec : "Athéniens, peuple d’enfants…" Berryer s’enquiert immédiatement de la décision secrète de la Cour, et Lally-Tollendal lui annonce : "On va interdire à votre père de plaider sur la capitulation de Paris". C’est alors que le jeune assistant et Dupin ménagent une sortie théâtrale : ils conviennent que Ney déclamera un billet appris par cœur, rédigé par Berryer fils, après l’intervention spectaculaire de Dupin ; pour tranquilliser Ney, abasourdi par l’idée de réciter un discours, il est entendu que le jeune Berryer se tiendra derrière son fauteuil et lui touchera l’épaule pour l’avertir que l’instant est venu.
226Ney se prêta à cette entreprise, se leva comme indigné et s’écria avec force : "Oui, je suis Français et je mourrai Français ; jusqu’ici ma défense a paru libre ; maintenant on l’entrave. Je remercie mes défenseurs du dévouement qu’ils m’ont témoigné et qu’ils me témoignent encore. Mais qu’ils cessent ma défense plutôt que de la présenter incomplète. Je fais comme Moreau, j’en appelle à l’Europe et à la postérité"159.
227Ney livrait donc sa vie à la conscience des pairs de France en s’indignant des vices qui entachaient son procès et en se taisant sur une dernière parole patriotique. Il n’ignorait pas que les débats se refermeraient sur le réquisitoire final du procureur général et non sur la plaidoirie de la défense, qui a le dernier mot ordinairement. Rappeler son attachement à la France, s’insurger qu’on pût ne plus le considérer comme Français : le maréchal donnait son dernier coup de sabre, désespéré et incertain.
228L’absence de tout moyen de droit dans la plaidoirie de Berryer a dispensé le procureur Bellart de traiter d’éventuelles questions juridiques dans son réquisitoire. Celui-ci se résume donc à un dernier résumé des faits et à l’énumération des articles du Code pénal sur lesquels se fonde l’accusation. À l’issue de ce dernier réquisitoire, les pairs se retirent pour délibérer sur la culpabilité du maréchal Ney.
B – Le jugement du maréchal Ney
229Une fois retirée, la Chambre doit délibérer d’après les débats, le plaidoyer et le réquisitoire. L’indignation feinte par Ney a produit son effet : aux murmures de l’assemblée a suivi "un frémissement général"160, une réelle émotion se faisant sentir parmi le public et les juges. Mais le procureur général a parlé en dernier et s’est attaché à dissiper le sentiment de sympathie que devait suggérer la mise en scène de la défense. Déjà, parmi les pairs, certains ont remarqué le billet du jeune Berryer dans le chapeau du maréchal Ney et murmurent, sceptiques : "Comédie d’avocats… "
230Dans cette atmosphère tendue, à cinq heures, le maréchal Ney se retire, remercie et embrasse ses avocats : "Adieu, nous nous retrouverons là-haut"161. La Cour des pairs se réunit ensuite en séance secrète. Six heures et demie plus tard, les pairs du royaume ont fini de délibérer sur la culpabilité de Ney et la peine devant lui être appliquée ; à la première question, ils ont répondu affirmativement ; pour la seconde, ils ont choisi la mort.
1 – Les délibérations sur la culpabilité
231La séance du 6 décembre 1815 a consacré la distinction essentielle entre les fonctions de jurés et de juge qu’exerce la Cour des pairs. Elle a donc posé, pour le procès du maréchal Ney et pour tous ceux qu’elle a conduits jusqu’en 1848, que "la qualification du délit et la détermination de la peine devaient donner lieu à des délibérations séparées et consécutives"162. La première tâche des juges fut donc de se prononcer sur la culpabilité de Ney.
a – Le caractère discrétionnaire des questions relatives à la culpabilité
232Contrairement aux dispositions de l’article 337 du code d’instruction criminelle, le président Dambray a posé la question de la culpabilité du maréchal Ney en deux temps. Il a d’abord demandé aux pairs si l’accusé a commis matériellement les faits qui lui étaient reprochés ; il les a ensuite requis de déterminer si ces faits constituaient un crime rendant le maréchal coupable de haute trahison.
233Dans les cours d’assises, ces questions sont posées publiquement et s’appuient sur des actes débattus librement par la défense et le parquet. Dans l’affaire du maréchal Ney, aucune de ces deux règles n’a été respectée.
234Dambray tire en effet ses questions sur la culpabilité de Ney de l’arrêt de mise en accusation et du réquisitoire final de Bellart. Or l’arrêt de mise en accusation a été voté par la Chambre à l’occasion des audiences préparatoires. Les avocats n’étaient pas admis, pendant cette phase du procès, à assister aux séances de la Cour, ni à porter la contradiction aux accusateurs. Les faits reprochés au maréchal, et surtout leur qualification juridique, n’ont donc fait l’objet d’aucun débat contradictoire. De même, il n’y eut pas plus de discussion entre le parquet et les avocats à propos du dernier réquisitoire, puisque ces derniers, entravés dans leur liberté de parole, avaient préféré se taire plutôt que de se soumettre à un système de défense qu’ils n’avaient pas choisi. Il en résulte donc que ce réquisitoire n’a pas été discuté par la défense. C’est donc d’après deux actes présentés de façon univoque à la Cour, que le président demande aux pairs de se prononcer. Cet élément ne doit pas être perdu de vue car, plus que toutes les autres irrégularités du procès, il a contribué à nourrir une connaissance partisane et incomplète de l’affaire dans l’esprit des juges.
235De même les questions ont été posées dans le secret de la chambre du conseil, comme à l’insu de l’accusé et de ses défenseurs. Ce détail revêt une importance capitale car la liberté très lourde ainsi accordée au président lui permet immanquablement d’orienter la conscience et le jugement des magistrats, en insistant sur un point plutôt que sur un autre.
b – La culpabilité du maréchal Ney
236Le 6 décembre, Dambray ouvre la séance secrète de la chambre du conseil par une seconde lecture du réquisitoire de Bellart. Il demande ensuite aux pairs de se prononcer en premier lieu sur l’existence matérielle des faits allégués et ensuite sur la nature criminelle de ces faits et la culpabilité de l’accusé.
237À ce stade, le président n’est pas entièrement lié par le réquisitoire du procureur général. Ainsi, dans l’hypothèse où ce dernier modifierait ses conclusions par rapport à l’acte d’accusation, le président de la Chambre peut ignorer ces changements, refuser les nouvelles qualifications et fonder ses questions sur les chefs d’inculpation originaires. Il peut aussi se ranger à l’avis du procureur et accepter ces modifications ; mais dans ce cas, il suffit qu’un seul pair réclame la mise aux voix des chefs d’accusation initiaux pour que la Cour soit obligée de délibérer à ce sujet. "Si le ministère public a le droit de changer dans ses conclusions définitives la qualification qu’il a cru devoir donner du délit à l’origine de la poursuite, la Cour des pairs conserve également celui de maintenir les termes de ses premiers arrêts"163.
238Le président annonce aux pairs qu’il va leur donner lecture des questions de fait et de culpabilité qui résultent du réquisitoire du procureur général. Le comte Lanjuinais déclare préalablement qu’aucune loi et aucun règlement ne l’empêchent d’exprimer son opinion sur le procès. Il fait alors remarquer aux pairs que le jugement du maréchal Ney est illégal et contrevient aux dispositions de la convention du 3 juillet 1815. Répétant une fois de plus que le maréchal Ney pourrait déduire un moyen péremptoire de cette convention, présentable à tout moment de la procédure, il n’accepte pas de participer au jugement de l’accusé. Mais il ne se retire pas pour autant du jury : c’est en tant que juge qu’il veut refuser de s’exprimer et pas seulement comme pair du royaume. Lanjuinais s’est alors abstenu de voter sur chaque question posée par Dambray.
239Le président demande ensuite aux pairs si "l’accusé est convaincu d’avoir, dans la nuit du 13 au 14 mars 1815, accueilli des émissaires de l’Usurpateur"164. Sur cent soixante-et-un pairs, cent treize répondent par l’affirmative, quarante-sept par la négative et un, le comte Lanjuinais, s’abstient. Les quarante-sept pairs expliquent leurs votes par l’absence de preuves suffisantes sur ce point. Aucun témoignage n’a confirmé avec assez de force les propos du maréchal, si bien que les déclarations de l’accusé constituent la seule relation de l’entrevue entre le maréchal Ney et les émissaires de Napoléon. Les quarante-sept pairs jugent donc que son seul aveu "ne peut former contre lui une preuve suffisante"165
240Dambray pose ensuite la seconde question relative aux faits : "L’accusé est-il convaincu d’avoir, ledit jour 14 mars 1815, lu, sur la place publique de Lons-le-Saunier, département du Jura, à la tête de son armée, une proclamation tendant à l’exciter à la rébellion et à la désertion à l’ennemi ; d’avoir immédiatement donné l’ordre à ses troupes de se réunir à l’Usurpateur, et d’avoir lui-même, à leur tête, effectué cette réunion ?"166. La réponse de la Cour est sans appel : l’affirmative est prononcée à l’unanimité moins une voix.
241Le président se propose alors de poser la question relative à la culpabilité du maréchal Ney : "L’accusé est-il convaincu d’avoir ainsi commis un crime de haute trahison et d’attentat à la sûreté de l’État, dont le but était de détruire ou de changer le gouvernement et l’ordre de successibilité au trône ?"167 Cent cinquante-neuf voix reconnaissent le maréchal Ney coupable des crimes reprochés dans l’ordonnance du 24 juillet et dans l’acte d’accusation du 17 novembre. Seuls le comte de Lanjuinais et le duc de Broglie ne se sont pas rangés à l’avis quasi unanime de la Cour : le premier, fidèle à sa déclaration, a continué de s’abstenir ; le second a refusé de condamner le maréchal Ney.
242Le président n’a pas posé d’autres questions relatives aux faits et à la culpabilité. Autant dire que se limiter à ces trois interrogations revenait à condamner d’avance le maréchal Ney : lui-même ne songeait pas à nier des faits évidents et connus de tous. Peu d’orateurs sont intervenus pour inviter le président à soumettre à la Chambre d’éventuelles circonstances atténuantes. C’était pourtant l’un des intérêts de ce procès, avec les nombreux moyens de droit qui laissaient eux aussi son issue incertaine. Les pairs auraient pu nuancer leur jugement par la considération des manœuvres dilatoires et trompeuses de Napoléon, des périls d’une guerre civile générale, de la mauvaise posture de l’armée royaliste et des nombreuses défections de ses soldats. Il n’y a dans les délibérations de la Chambre qu’une seule intervention réclamant que la Cour examine les circonstances atténuantes : "Où serait, sans cette faculté, les garanties que doit offrir à l’accusé un tribunal suprême dont aucune autorité ne réforme les décisions ?"168. Pas une fois en six heures et demie, la Cour n’a envisagé que le maréchal ait pu être poussé par les circonstances et l’erreur d’appréciation ; aucun autre pair confortablement installé dans les fauteuils du palais du Luxembourg n’a demandé à la Cour de s’interroger sur la situation d’un homme dépassé par les bouleversements politiques et historiques et les déconvenues militaires. Les pairs préféraient mettre l’attitude du maréchal sur le compte du calcul et du profit politiques plutôt que d’imaginer qu’un grand général d’armée peut aussi perdre son sang-froid et mal apprécier une situation infiniment complexe. Il ne s’agit pas ici de nier la culpabilité du maréchal : nous l’avons déjà écrit, elle est trop flagrante pour être contestée. Mais dans la mesure où l’inconstitutionnalité du procès et l’illégalité de sa procédure n’ont pas suffi à changer le cours de cette justice toute politique, on ne peut que regretter le rejet par la Chambre des moyens de fait qui expliquaient réellement les comportements qu’elle devait juger. Sans doute doit-on au recul historique les nuances de notre jugement ; le contexte historique du procès constitue alors, dans cette perspective, une circonstance atténuante au manque de courage et d’indépendance des pairs de France.
243La culpabilité du maréchal avérée, il ne reste plus à la Cour qu’à délibérer sur la peine qui doit le sanctionner.
2 – Les délibérations sur la peine
244En matière de pénalité, la Cour a hésité entre user de prérogatives étendues liées à son omnipotence et se conformer strictement aux prescriptions des articles du Code d’instruction criminelle assortissant chaque crime d’une peine définie. Dans le procès du maréchal Ney, elle s’en est tenue à une stricte interprétation des lois pénales, après avoir établi seule la procédure de détermination des peines. En outre, compte tenu de la qualité de grand-cordon de la Légion d’honneur du maréchal Ney, elle a dû procéder à des condamnations accessoires et nécessaires afin d’envoyer l’accusé à la mort.
a – La procédure de détermination des peines
245Plusieurs pairs se sont inquiétés pendant la séance secrète du 6 décembre des formes que devait suivre la Chambre pour décider la peine infligée à l’accusé. Ainsi, un membre propose qu’à l’instar de l’Angleterre, la Chambre se borne uniquement à délibérer sur les questions de fait et de culpabilité, laissant au président le soin de rechercher dans le Code pénal les peines correspondant aux chefs d’accusation votés par la Cour.
246Un autre membre confirme les incertitudes contenues dans les ordonnances des 11 et 12 novembre en matière de détermination des peines : celle du 12 notamment renvoie les juges aux formes prescrites aux cours spéciales par le Code d’instruction criminelle ; or, il fait remarquer que ce Code n’indique pas la procédure qu’on pourrait appliquer à la Cour des pairs. En effet, l’article 587 du Code d’instruction criminelle dispose seulement que si la Cour déclare l’accusé coupable des crimes énoncés dans l’acte d’accusation, "son arrêt prononcera la peine établie par la loi". Le Code n’indique pas la manière de procéder au choix de la peine : il ne dit pas si cette formalité relève des pouvoirs du seul président ou s’il appartient, au contraire, à la Cour entière de se prononcer sur la pénalité.
247Dambray fait observer que l’usage des cours spéciales est de voter d’abord sur les faits et ensuite sur la peine. Il faut donc comprendre que le choix des sanctions incombe à la Chambre, c’est-à-dire à tous les juges, et pas seulement au président de la Cour. L’exemple de l’Angleterre n’est donc pas transposable dans le droit français.
248D’autres membres font valoir que la Cour a tous les pouvoirs nécessaires pour régler elle-même la procédure qu’elle doit suivre. "La Chambre des pairs ne peut être astreinte à se conformer servilement aux dispositions du Code ; elle doit jouir sur le fond comme sur la forme d’un pouvoir discrétionnaire illimité"169. Ils soutiennent à la Chambre qu’elle peut ne pas regarder comme obligatoires à son égard les dispositions du Code pénal. Le comte Nicolaï demande néanmoins, quelle que soit la procédure arrêtée par le président ou par la Cour, qu’on ne regarde comme définitif le vote de chaque pair sur l’application de la peine qu’après un second appel nominal. Il souhaite faire bénéficier l’accusé d’une éventuelle révision par les pairs de leur jugement, dans l’hypothèse où ceux-ci passeraient dans un second temps à l’avis le plus doux. Dambray répond favorablement à cette dernière demande.
249Il est donc décidé que le président proposera les peines prévues par les lois citées dans les conclusions du réquisitoire définitif du procureur général et qu’il procédera à deux tours d’appel nominal.
b – Le jugement définitif du maréchal Ney
250Dambray déclare à la Chambre que d’après le résultat du vote sur la culpabilité du maréchal Ney, celui-ci se trouve désormais convaincu du crime de haute trahison et d’attentat à la sûreté de l’État ; il appartient alors à la Cour de délibérer sur l’application de la peine.
251Il précise que la culpabilité de l’accusé repose sur plusieurs textes mais que tous prévoient la peine capitale. Toutefois, il décide un principe que la Cour des pairs appliquera jusqu’à sa disparition : les dispositions du Code pénal ne sont pas obligatoires pour la haute juridiction lorsqu’elle doit prononcer une condamnation criminelle. Il donne ainsi satisfaction aux pairs qui, à l’instar du comte de Richebourg et du marquis de Lally-Tollendal, soutiennent que la Cour des pairs "doit se considérer comme un grand jury d’équité politique, comme une Cour suprême d’équité, investie par la nature des choses autant que par son institution même, d’un pouvoir discrétionnaire"170 propre à la soustraire aux dispositions du Code pénal en matière de pénalités. Cette décision du président reconnaît donc à la Chambre un pouvoir modérateur, l’autorisant à s’écarter du Code pénal pour proposer et voter des peines plus douces que celles prévues par la loi.
252Ainsi Dambray rappelle aux pairs que les dispositions du Code pénal et des lois militaires énoncées dans les conclusions du parquet ne prévoient que la peine de mort pour punir les crimes dont le maréchal Ney a été convaincu ; mais il ajoute, conformément à sa décision, que la Chambre aura à se déterminer sans que cette alternative préjudicie à la liberté d’opinion des membres qui n’adopteraient ni les unes ni les autres.
253À l’occasion du premier appel nominal, un seul membre vote la mort suivant le Code pénal ; cent quarante-deux voix déterminent la peine capitale selon les lois militaires ; treize voix préfèrent la déportation, non proposée par le président et non prévue par la loi pour punir les crimes du maréchal ; cinq membres s’abstiennent de voter. Au second tour de vote, dix-sept voix sont recueillies pour la déportation, cent trente-neuf pour la peine de mort selon les lois militaires, et cinq membres se sont abstenus.
254C’est donc une majorité écrasante qui se dégage pour condamner à mort le maréchal Ney. Certains qui s’enhardissaient auparavant à voter non finissent par se ranger à l’avis du plus grand nombre. D’autres, qui avaient souhaité un jugement sommaire par une commission militaire cachent à peine leur satisfaction. Quant aux esprits libres, ils ne sont pas parvenus à emporter le jugement de la Cour. Le juriste Lanjuinais n’a convaincu que quatre de ses collègues de s’abstenir, parmi lesquels le duc de Choiseul qui jugeait avoir vu la mort de trop près pour l’infliger à quiconque. La hardiesse du duc de Broglie n’a pas fait, non plus, beaucoup d’émules. Il a pourtant tenté de sauver l’honneur de la pairie en faisant valoir aux nobles chevronnés l’erreur de leur jugement : "Point de crime sans intention criminelle, point de trahison sans préméditation, on ne trahit pas de premier mouvement. Je ne vois dans les faits très justement reprochés au maréchal Ney ni préméditation, ni dessein de trahir. Il est parti très sincèrement résolu de rester fidèle. […] C’est une faiblesse que l’histoire qualifiera sévèrement mais qui ne tombe point, dans le cas présent, sous les définitions de la loi. Il est d’ailleurs des événements qui, par leur nature et leur portée, dépassent la justice humaine tout en restant très coupables devant Dieu et les hommes"171. Vaine tentative : sa voix solitaire se perdit dans les rangs de l’assemblée sans même provoquer la colère ou l’indignation des plus acharnés. Sans doute les pairs savaient-ils déjà que le maréchal Ney serait condamné et savaient gré, en secret, au benjamin de l’assemblée, de son audace et de son indignation.
255L’ironie de la justice politique conduisait la pairie de la Restauration à appliquer la peine selon les formes prescrites par un décret révolutionnaire, celui du 12 mai 1793, alors voté pour défendre la patrie en danger. "Ce fut un spectacle édifiant que celui de ces hommes grandis par l’Empire, rétablis en dignité par la Restauration, venant tour à tour prononcer le châtiment qu’en leur âme et conscience ils entendaient infliger à un soldat"172. Marmont, le maréchal Victor, les généraux Latour-Maubourg et Dupont votèrent la mort comme on remplit un devoir. Le comte Lynch oublia jusqu’à la décence et la respectabilité qu’on attendait de sa position, pour s’écrier au milieu de l’assemblée : "La guillotine ! La guillotine !"
256Pourtant, c’est dans une atmosphère tendue que les portes se rouvrirent au public à 11 h 30, le soir. "Rien, dit Molé, ne saurait peindre la solennité de cette lugubre nuit. Les consciences étaient tranquilles et les cœurs navrés"173. En l’absence de l’accusé et de ses défenseurs, dans le silence et la pénombre, le président lut l’arrêt qui condamnait le maréchal Ney à la peine de mort. Bellart rendit alors un dernier réquisitoire tendant à la radiation du maréchal des cadres de la Légion d’honneur, ce qui fut accordé sans difficulté par la Cour.
257L’arrêt du 6 décembre ne fonde pas la culpabilité et la condamnation de Ney sur l’ensemble des motifs présentés par Bellart. Il ne retient que les articles 77, 87, 88 et 102 du Code pénal, les articles 1er et 5 du titre 1er de la loi du 21 brumaire an V et l’article 1er du titre III de la même loi174. La haute trahison est donc constituée au terme de ses articles d’intelligences menées avec l’ennemi, d’attentats contre la vie ou la personne des membres de la famille royale, de discours et réunions publics destinés à inciter les citoyens à se révolter contre le gouvernement ; en outre, les lois militaires condamnent tout soldat qui passerait à l’ennemi et pousserait ses camarades à le suivre.
258La condamnation du maréchal Ney n’illustre pas le courage de la Chambre des pairs ni l’indépendance et la solidité du trône de France. Elle est intervenue pour rassurer "les honnêtes gens qui avaient eu peur – et rien n’est plus cruel que la peur"175 ; elle a satisfait les étrangers qui défiaient la France d’être généreuse et indulgente. Mais une fois prononcée, elle a donné l’occasion à la haine, à la violence et à la calomnie de redoubler de force contre le maréchal Ney et ses avocats.
259Seulement les effets de la justice politique sont inconstants. On a cru, en 1815, que la mort du maréchal, fusillé le 7 décembre, allait renforcer le régime ; mais d’année en année le retentissement des grands procès est retombé en laissant place à une large sympathie populaire pour ces hommes sacrifiés sur l’autel des calculs politiques. Engager un procès politique relève donc d’une stratégie à court terme, qui s’avère souvent décevante au fil des ans.
260Le lendemain de l’exécution du maréchal, troublés par l’irrégularité du procès qu’ils avaient mené, plusieurs pairs de France ouvrent, avec Lanjuinais, de longues discussions sur un projet de loi relatif à l’organisation et au fonctionnement de la Cour des pairs. Repris plusieurs fois sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, ces débats ont peu transformé la législation pénale politique, tantôt bloquée par le roi, tantôt paralysée par les chambres. Le procès du maréchal Ney a donc fixé involontairement les principes et les règles de la Cour de 1815 à 1848.
Notes de bas de page
1 Sur la difficile cohabitation de la société d’Ancien Régime et de celle issue de la Révolution et de l’Empire, lire ou relire Le Colonel Chabert d’Honoré de Balzac.
2 BERTIER DE SAUVIGNY (Guillaume de), La Restauration, éd. 1990, Paris, Flammarion, 1995, p. 113.
3 Le Moniteur Universel, n° 207, 26 juillet 1815.
4 GAZZANIGA (Jean-Louis), "À propos du privilège militaire de juridiction. L’évolution de la compétence des juridictions militaires en France (1789-1928)", in Mélanges offerts à Pierre Vigreux, t. II, Toulouse, Université des sciences sociales, 1981, p. 428-444 (p. 435).
5 Le Moniteur Universel, n° 218, 6 août 1815, ordonnance du 2 août 1815.
6 Notamment le refus du maréchal Moncey de siéger parmi les juges militaires, par reconnaissance pour la bravoure et les états de service du maréchal Ney. Il fut condamné par le roi à trois mois de prison. Voir : Lettre du maréchal de Moncey au roi Louis XVIII, A. N. 137 AP 15, fo 284 ; ordonnance du 29 août 1815, A.N. 137 AP 15, fo 285.
7 Inséré in Le Moniteur Universel, n° 314, 10 novembre 1815.
8 Plaidoyer de Berryer père devant le conseil de guerre sur la question de compétence du conseil, 10 nov. 1815, A.N. 137 AP 15, fo 291.
9 LEGRAVEREND (Jean-Marie), Des lacunes et des besoins de la législation française en matière politique et en matière criminelle, Paris, Pichon et Didier éditeurs, 1828, p. 320.
10 LEGRAVEREND (Jean-Marie), Traité de législation criminelle, Paris, Bêchet, 1823, p. 625.
11 Cass. 8 déc. 1820 "Sieurs Planzeau, Combes et autres", Sirey, 1840-1843, t. IV, p. 342.
12 Cité par CAUCHY (E.) in Les précédens [sic] de la Cour des pairs, Paris, Imprimerie royale, 1839, p. 9-10.
13 Ibid., p. 17.
14 Archives parlementaires, 2e série, t. XX, p. 569. Réquisitoire du commissaire du roi près la Cour des pairs sur les plaintes rendues par madame veuve de Saint-Morys et madame veuve de Gaudechard contre monsieur le duc de Grammont, pair de France, et autres, en homicide volontaire et complicité d’homicide volontaire, A. N. CC 501, fo 4.
15 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 214.
16 Voir ordonnance du 11 nov. 1815 in Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 215.
17 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 214.
18 Ibid.
19 Ibid.
20 Lettre du maréchal Moncey à Louis XVIII, 28 août 1815, A.N. 137 AP 15, fo 284.
21 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 214.
22 Ibid., p. 215.
23 LUCAS-DUBRETON (Jean), Le Maréchal Ney (1769-1815). Paris, Fayard, 1947, p. 289.
24 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 243.
25 Ibid., p. 215.
26 Cité par CAUCHY (E.) in Les précédons [sic] de la Cour des pairs, p. 28-29.
27 Correspondance de Charles de Lacombe, citée par LECANUET (Édouard), in Berryer, sa vie et ses œuvres (1790-1868), Paris, Bloud et Barral, s.d., p. 30.
28 LUCAS-DUBRETON (Jean), Le Maréchal Ney, p. 292.
29 On peut noter toutefois que l’ambiguïté n’a pas été levée par la suite, comme le montre l’arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 1820 dans lequel on trouve l’expression suivante à propos de la Cour des pairs : "Attendu que […] l’article 33 de la Charte constitutionnelle […] a renvoyé à une loi à intervenir la détermination des circonstances dans lesquelles cette branche du pouvoir législatif serait saisie…" (C. Cass. ch. crim. 8 déc. 1820).
30 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 214.
31 Ibid., p. 215.
32 Ibid., p. 214.
33 Ibid., p. 215.
34 Ibid., p. 223.
35 Ibid., p. 223.
36 Après le procès du maréchal Ney, un accord quasi unanime s’est dégagé sur la nécessité de mettre en place un parquet permanent auprès de la Chambre des pairs, organisé comme celui des autres cours souveraines. Mais aucune réforme n’a vu le jour, et le pouvoir politique a toujours nommé un procureur général près la Cour des pairs à l’occasion de chaque procès, désigné avant l’instruction de l’affaire et exerçant ses fonctions jusqu’au jugement seulement. Voir notamment les débats de la Chambre entre le 9 déc. 1815 et le 8 mars 1816 sur le projet de résolution voté par les pairs le 8 mars 1816 (Arch. parlement., 2e série, t. XV et XVI) et ceux provoqués par le comte Ferrand entre le 10 nov. 1821 et le 10 avril 1823 sur l’organisation de la Cour (Arch. parlement., 2e série, t. XXXIII, XXXIV, XXXV, XXXVIII, XXXIX).
37 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 223.
38 Ibid., p. 224.
39 Ibid.
40 Ibid., p. 225.
41 Ibid.
42 Ibid.
43 Ibid., p. 224.
44 Ibid.
45 Ainsi, en 1818, la plainte portée par madame veuve Saint-Morys et sa fille contre le duc de Grammont, accusé de complicité d’homicide volontaire, parut particulièrement infondée à la Cour. Celle-ci rendit un arrêt qui mit un terme à la procédure et renvoya les autres prévenus, non-pairs de France, devant les juridictions ordinaires. L’arrêt disposait que "les faits imputés à ce pair ne constitueraient, s’ils étaient prouvés, ni crime ni délit, et qu’ainsi toute instruction tendant à établir la preuve desdits faits serait inutile. […] La Chambre des pairs dit qu’il n’y a lieu à suivre contre le duc de Grammont" (arrêt du 31 janv. 1818, Arch. parlement., 2e série, t. XX, p. 569).
46 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 226.
47 Ibid., p. 223.
48 LUCAS-DUBRETON (Jean), Le Maréchal Ney, p. 290.
49 Le Moniteur Universel, n° 314, 10 novembre 1815.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 359.
53 CAUCHY (E.), Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 94.
54 Ibid., p. 101.
55 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 215 et 223.
56 Ibid., p. 224.
57 Ibid., p. 241.
58 Archives parlementaires, 2e série, t. XXXIII, p. 332.
59 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, annexe p. 42.
60 Ce principe a trouvé sa meilleure expression sous la monarchie de Juillet, dans la séance du 15 juillet 1835 où il fut déclaré qu"’un juge ne s’appartient pas à lui-même mais qu’il appartient à l’accusé dont le sort peut dépendre de son vote" (Voir CAUCHY (E.), Les précédens [sic] de la Cour des pairs).
61 CAUCHY (E.), Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 262.
62 Ordonnance du 12 nov. 1815, art. 4, Arch. parlement., 2e série, t. XV, p. 223.
63 Archives parlementaires, 2e série, t. XXXIII, p. 336.
64 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 256.
65 Ibid.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 Ibid., p. 257.
69 Ibid., p. 257.
70 "On sait quels prodiges de valeur Ney accomplit ce jour-là. […] Jamais son héroïsme ne fut plus sublime". ROBERT (Henri), in Les grands procès de l’histoire, Paris, Payot, 1934, t. IV, p. 188.
71 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 259.
72 Ibid., p. 258.
73 Ibid., p. 259.
74 Ibid., p. 244.
75 CAUCHY (E.), Les précédens (sic) de la Cour des pairs, p. 383.
76 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 244.
77 Ibid., p. 254.
78 Ibid.
79 Ibid.
80 Ibid.
81 Ibid., p. 260.
82 Ibid.
83 Ibid.
84 Ibid., p. 261.
85 Ibid.
86 Ibid.
87 Ibid.
88 Ibid., p. 262.
89 Charte constitutionnelle de 1814, art. 15 : "La puissance législative s’exerce collectivement par le roi, la Chambre des pairs, et la Chambre des députés des départements".
90 Charte constitutionnelle de 1814, art. 59 : "Les cours et tribunaux ordinaires actuellement existants sont maintenus. Il n’y sera rien changé qu’en vertu d’une loi".
91 Charte constitutionnelle de 1814, art. 65 : "L’institution des jurés est conservée. Les changements qu’une plus longue expérience ferait juger nécessaires, ne peuvent être effectués que par une loi".
92 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 262.
93 Ibid., p. 263.
94 Ibid.
95 Ibid., p. 264.
96 Ibid.
97 Ibid.
98 Ibid., p. 265.
99 Ibid., p. 265-266.
100 Ibid., p. 266.
101 Ibid.
102 Ibid., p. 267.
103 Ibid.
104 Ibid., p. 290.
105 Ibid., p. 223.
106 Ibid., p. 243-244.
107 Ibid., p. 291.
108 Ibid.
109 Ibid.
110 Ibid.
111 Ibid., p. 292.
112 Ibid.
113 Ibid., p. 293.
114 Ibid., p. 294.
115 Ibid.
116 Ibid., p. 295.
117 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 359-360.
118 On peut néanmoins renvoyer le lecteur aux dépositions particulièrement accablantes et décisives du général de Bourmont et à la discussion qui a suivi ses déclarations devant la Chambre des pairs (voir Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 365-368).
119 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 215.
120 Ibid., p. 223.
121 Ibid., p. 264.
122 Voir la liste des témoins in Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 361.
123 Témoignage in Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 363.
124 Ibid., p. 380.
125 Ibid., p. 385.
126 CAUCHY (E.), Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 495.
127 CAUCHY (E.), Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 506.
128 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 362.
129 Mémoire justificatif pour monsieur le maréchal Ney, rédigé par BERRYER père, A. N. CC 499, fo 187.
130 Visite du chancelier Dambray au maréchal Ney, A. N. CC 500, dossier 1, fo 45.
131 Cité par CAUCHY (E.) in Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 541.
132 Code d’instruction criminelle, art. 268, cité par CAUCHY (E.) in Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 469.
133 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 254.
134 CAUCHY (E.), Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 473.
135 Code d’instruction criminelle, art. 269.
136 Ibid., art. 317.
137 Ibid., art. 269.
138 Ibid., art. 267.
139 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 361.
140 Ibid., p. 385.
141 Ibid.
142 Ibid., p. 386.
143 Ibid.
144 Ibid., p. 391.
145 Ibid.
146 Ibid.
147 Ainsi, le président Pasquier tenait des propos similaires vingt ans plus tard, en 1835 : "Sans doute, une latitude inusitée et, sur certains points, presque sans limites a été donnée par les arrêts de la Cour, aux droits du président […] ; mais, en même temps, il ne peut s’empêcher de concevoir une sorte d’effroi en pensant à l’énormité des devoirs qui lui sont imposés. […] Pour supporter un fardeau si lourd, le président de la Cour des pairs a dû compter sur l’appui de ses collègues ; et le droit de leur de- mander quelquefois avis et conseil est un de ceux qui lui sont le plus précieux" (cité par CAUCHY (E.) in Les précédons [sic] de la Cour des pairs, p. 483).
148 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 391.
149 Ibid.
150 Ibid., p. 388.
151 Ibid., p. 391.
152 Cité par LUCAS-DUBRETON (Jean) in Le Maréchal Ney, p. 301.
153 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 409.
154 Ibid.
155 Ibid.
156 Ibid., p. 409-410.
157 Ibid., p. 410.
158 Ibid.
159 Ibid.
160 LUCAS-DUBRETON (Jean), Le Maréchal Ney, p. 304.
161 Ibid.
162 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 417.
163 CAUCHY (E.), Les précédens [sic] de la Cour des pairs, p. 551.
164 Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 417.
165 Ibid.
166 Ibid.
167 Ibid.
168 Ibid.
169 Ibid.
170 Ibid., p. 360.
171 Cité par LUCAS-DUBRETON (Jean) in Le Maréchal Ney, p. 305.
172 Ibid., p. 306.
173 LUCAS-DUBRETON (Jean), Le Maréchal Ney, p. 306.
174 Les articles du Code pénal et de la loi du 21 brumaire an V sont intégralement cités dans le réquisitoire du procureur général et dans l’arrêt du 6 décembre 1815. Voir Archives parlementaires, 2e série, t. XV, p. 411 et p. 415-416.
175 LUCAS-DUBRETON (Jean), Le Maréchal Ney, p. 307.
Auteur
Le C.T.H.D.I.P., Centre toulousain d’histoire du droit, des institutions et des idées politiques de l’Université des sciences sociales Toulouse I, regroupe tous les historiens de cette Université : les professeurs et maîtres de conférences, les agrégatifs, les docteurs et doctorants, les étudiants du D.E.A. d’histoire des institutions. Doté d’une belle bibliothèque et de locaux adéquats et bien équipés, le C.T.H.D.I.P. entend continuer l’œuvre des maîtres de l’école toulousaine d’histoire du droit, les regrettés Paul Ourliac, de l’Institut, Jean Dauvillier et Georges Boyer d’une part, Germain Sicard et Henri Gilles d’autre part, professeurs émérites de l’Université qui continuent de coopérer aux travaux du C.T.H.D.I.P.
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