La mission du conventionnel Albitte dans l’Ain 28 nivôse An II -11 floréal An II
p. 155-167
Texte intégral
1La mission du Conventionnel Albitte dans l’Ain, fait partie de la "structure de la Terreur en province"1, avec l’envoi par la Convention de quelques-uns de ses membres dans les départements.
2Colin Lucas, dans sa thèse sur l’Oeuvre de Javogues dans la Loire, commente très bien ce système "qui consiste avant tout à imposer aux autorités constituées, aux institutions d’exception et à la population, une uniformité administrative"2 ; pour le cas d’Albitte dans l’Ain, il s’agit de "l’exécution des mesures de Salut Public, et l’établissement du Gouvernement Révolutionnaire"3. Cette mission a lieu juste après les grandes vagues déchristianisatrices de frimaire et brumaire An II, au moment où le Comité de Salut Public tente de resserrer des liens avec les représentants, jusque là assez lâches, faisant d’eux de véritables autorités autonomes.
3Cette période et le nom d’Albitte restent, aujourd’hui, dans la mémoire collective de l’Ain comme synonyme de Terreur. En effet, depuis l’An III, Albitte est vu comme un "sultan d’Asie avec des hussards pour janissaires"4. L’historiographie départementale sur le sujet, faite par quelques auteurs et érudits locaux, aborde très rarement le sujet avec rigueur et objectivité ; et ce jusqu’à récemment, où dans l’article anonyme, "la maladie secrète d’Albitte"5 la mission d’Albitte est vue avec un "sévère ressentiment que les archéologues ne lui pardonneront jamais, .., d’avoir amputé notre patrimoine artistique de ses clochers romans, de ses tours, féodales mais innocentes".
4Heureusement, l’historiographie révolutionnaire départementale possède avec le travail d’Eugène Dubois6, une très bonne source d’érudition, mais plus qu’une étude approfondie de l’époque, "ce sont les textes, soigneusement répertoriés, qui intéressent l’auteur"7. L’Histoire de la Terreur dans l’Ain passe donc par la mission qu’y effectua Albitte.
5Antoine-Louis Albitte est né le 30 décembre 1761 à Dieppe. Sa famille est de la bourgeoisie urbaine typique d’Ancien Régime, "aspirée par le service anoblissant du Roi"8. Son père François-Antoine Albitte, sieur d’Orival, est un ancien garde du Roi. Comme Fouché, Robespierre et d’autres futurs terroristes, il suit l’enseignement des Oratoriens à Dieppe, puis suit des cours de droit et devient avocat.
6Quand la Révolution éclate, Albitte y adhère en créant dès le 25 juillet 1789 une société populaire, qui sera l’embryon de la Garde Nationale de Dieppe, et en devient chef de compagnie.
7Le 5 septembre 1791, alors qu’il est conseiller municipal de Dieppe, il est élu représentant à l’Assemblée Législative. À Paris, il s’inscrit au Club des Jacobins, et à la Législative, participe aux comités de la Marine et Militaire. En 11 mois il prononce 131 discours9. Il ne participe pas à la journée du 10 août mais ses discours le 19 juin 1792 au "district des Enfants-Trouvés du faubourg Saint Antoine"10 y contribuent beaucoup. Le 29 août, il est nommé, avec Lecointre, commissaire chargé d’accélérer la levée des volontaires, dans l’Eure et la Seine-Inférieure. C’est dans ces départements qu’il est élu à la Convention le 4 septembre.
8Nommé au Comité Militaire, il prend part à l’organisation de la nouvelle armée. Lors du procès de Louis Capet, il vote la mort sans appel, et en mars s’oppose à la mise en accusation de Marat. Le 30 avril il est nommé commissaire à l’armée des Alpes avec Dubois-Crancé, laissant semble-t-il, plus souvent l’initiative des actions à son collègue.
9Sa clémence vis-à-vis des fédéralistes marseillais, en septembre 1793, lui vaut d’être dénoncé comme modéré par Barras et Fréron. Le 18 octobre il est délégué de l’armée des Alpes à Commune Affranchie, avec la mission de ravitailler l’armée en siège devant Toulon. Là, il retrouve ses collègues Fouché et Collot d’Herbois, orateurs écoutés et politiques habiles, qui "durent certainement exercer une grande influence sur le caractère faible d’Albitte"11. Bien "qu’étranger à ce qui se passe à Ville-Affranchie"12, il remplit sa fonction avec un zèle permanent et s’intéresse au sort de la ville. C’est à cette période qu’Albitte est pris "d’une affection artérique chronique"13. Désirant changer d’air, il demande à suivre l’armée des Pyrénées, et se retrouve le 19 nivôse An II, par arrêté du Comité de Salut Public, envoyé en mission dans l’Ain et le Mont Blanc. Il part pour Bourg en compagnie de "clubistes parisiens pris dans l’entourage de Collot d’Herbois"14. Ces jacobins, proches des représentants à Commune-Affranchie sont :
Philippe Antoine Dorfeuille, ex-comédien dramatique, président de la Commission de Justice Populaire & Tribunal Révolutionnaire de Lyon du 30 vendémiaire An II au 9 frimaire An 1115, puis commissaire national, "vieux compagnon de beuverie"16 de Javogues dans la Loire et journaliste dans le Père Duchêne de Lyon sous le pseudonyme de Damane17,
Millet, lui aussi ancien acteur, commissaire national dans la Loire de fin brumaire et début frimaire et journaliste,
Vauquoy, commissaire national dans le district de la Tour du Pin, Vauquoy se dit "adjoint et membre de la commission temporaire"18,
Se joignent à eux Bonnerot, acteur et commissaire national,
ainsi que Darasse secrétaire d’Albitte,
Arrive aussi avec Albitte, le général de brigade Lajolais, commandant militaire du département de l’Ain à la place du général d’Oraison, mis en état d’arrestation.
10Dorfeuille, Millet, Bonnerot et Vauquoy se disent "commissaires nationaux nommés par Fouché, Collot d’Herbois, Albitte et Laporte"19. On peut donc penser qu’ils jouent plus le rôle de garde-fou ou d’adjoint, que de simples commissaires civils. Durant leur séjour dans l’Ain ils sont les animateurs d’une presse jacobine, voir "sans-culottine" très inspirée de la presse populaire parisienne, où ils racontent à la manière d’Hébert, leurs missions. Dorfeuille lui-même, lors d’un discours au Temple de la Raison de Bourg, dira "qu’il était le Père Duschèsne le cadet"20. Cette presse, regroupant "le père Duchêne le cadet" – animé par Dorfeuille, Vauquoy et semble-t-il Alban21 alors maire de Bourg – et "le cousin du père Duchêne" – écrit par Millet et Bonnerot sur leur commission dans le district de Trévoux – était largement distribuée dans le département de l’Ain. En effet, elle était distribuée aux sociétés populaires et à tous les comités de surveillance, les journaux étant envoyés avec les paquets de correspondance officielle22.
11Albitte, jacobin convaincu mais homme influençable et malade qui n’a jamais fait preuve d’excès et qui a toujours occupé des fonctions dans les armées, se voit donc confier une mission de Salut Public dans un département qu’il ne connaît pas ; avec un entourage très influencé par les idées de la Commune de Paris et aguerri par des fonctions et des missions exécutées dans le cadre répressif qui a suivi la crise fédéraliste, à Lyon, dans la Loire et dans l’Isère.
12La mission que se voit confier Albitte, a un but politique. En effet, la crise de juillet 93 qui évince les jacobins du Conseil général de la commune de Bourg, oblige deux des plus fervents jacobins bressans, le notaire Convers et l’ex-comédien Blanc-Désisles23, à monter à Paris, où ils sont "illuminés" à la manière de Challier, par la politique de la Commune et par l’intense vie politique des faubourgs et des clubs.
13De Paris, ils écrivent à leurs amis restés à Bourg "et les invitent à réunir quelques Citoyens afin de former le noyau d’une seconde société populaire"24 afin de doubler celle des Amis de la Constitution. Cette dernière augmente (très rapidement) le nombre de ses sociétaires par des discours populaires, et adopte le "Père Duchêne". La Société des Sans-Culottes de Bourg durant la période de la Terreur va être un organisme prépondérant, "entendant être dans l’Ain ce que le Club des Jacobins était en France ; elle entendait s’imposer aux autres sociétés, et dicter leur conduite aux administrateurs"25. Réintégrés dans leurs fonctions le 4 octobre 1793 par Bassal et Bernard, les sans-culottes – "il saproprie le nom de san culote"26 – (sic), n’ont de cesse de combattre leurs ennemis politiques (surtout d’anciens fédéralistes) afin de mettre en place une politique de répression et de Terreur qui leur est suggérée par leurs correspondances avec la Commune de Paris27 et certains proches d’Hébert, comme le comédien Grammont28, ainsi que par la répression mise en place à Lyon.
14En effet, lors de la présence de Javogues à Bourg le 21 frimaire An II, celui-ci "nomme à la demande des factieux une commission populaire"29. Les sans-culottes se font nommer aux postes de juges, président, accusateur public. Mais l’arrivée du conventionnel Gouly, suspend la mise en place de la commission populaire.
15Gouly durant son séjour va tenter de calmer l’ardeur des sans-culottes, de purger le département des fédéralistes encore en place et de s’attaquer au fanatisme qui "a besoin de grandes mesures et de beaucoup de prudence pour être anéanti sans commotion"30. Cette prudence fait défaut aux sans-culottes, qui commencent à s’attaquer au représentant du peuple à la société populaire trouvant ce dernier trop modéré. Ce dernier pensant rétablir la concorde fait intégrer à la société des Sans-Culottes "un grand nombre de citoyens qui avaient fait partie de la Société populaire dissoute"31. Cette mesure n’étant pas du goût des jacobins, ceux-ci intensifient leurs attaques contre le représentant. Gouly menace d’épuration la société, voire de dissolution. A Belley, la même tension entre sans-culottes et modérés règne. Gouly dissout la Société des amis de la Constitution au profit de celle des Sans-culottes.
16Mais les agitations des "ultra-révolutionnaires"32 bressans et belleysiens, amènent Gouly à prendre l’arrêté du 17 nivôse, mettant en état d’arrestation Blanc-Désisles administrateur du département, Convers membre du comité de surveillance de Bourg et Rollet-Marat agent national dudit district. À Belley, Thorombert et Bonnet33 sont incarcérés.
17Dans le même temps, les représentants à Lyon après l’envoi de "deux commissaires dans le district de Gex... et dans le district de Montluel"34, dénoncent le 16 nivôse, à Collot d’Herbois, donc au Comité de Salut Public, "le plan rétro-révolutionnaires et liberticide... (qui se passe) dans un département qui est confié à notre surveillance"35. Les représentants à Lyon, Fouché, Laporte et Albitte contestent les pouvoirs de Gouly.
18Le 19 nivôse au soir, Alban, maire de Bourg et serrurier, se rend à Lyon auprès des représentants du peuple pour obtenir le rappel de Gouly et la libération de ses collègues. Quand il revient à Bourg le lendemain, il annonce à Gouly son rappel et l’arrivée prochaine d’Albitte.
19Albitte et son entourage lyonnais arrivent à Bourg le 28 nivôse, Dorfeuille retrouve ainsi le citoyen Merle, accusateur public du tribunal de Bourg36. Ainsi donc sans-culottes et Lyonnais peuvent fraterniser.
20Dès le 1er pluviôse, des pétitions sont faites pour demander la libération des "trois citoyens, leur incarcération fatigue les patriotes"37 de même, Rollet fait parvenir un mémoire qui montre bien son anticléricalisme et l’arbitraire de son incarcération. Après avoir fait prendre des renseignements par Dorfeuille, Millet et Bonnerot auprès du district, de la municipalité, de la société et du comité de surveillance (donc auprès de leurs amis et Merle notamment) "qui... ont soutenus"38 Blanc-Désisles, Rollet-Marat et Convers, Albitte par arrêté du 3 pluviôse, fait libérer et réintégrer dans leurs fonctions les trois hommes "qui n’ont pas perdu la confiance du représentant"39. Le soir même, les sans-culottes "viennent à la société demander, ..., une dénonciation à la Convention et aux Jacobins de Paris contre Gouly"40. Par cet arrêté Albitte, poussé par les sans-culottes et les Lyonnais, prend le contre-pied de la politique de Gouly. Les arrêtés suivants vont dans ce sens et ont une portée départementale. Les révolutionnaires locaux voient dans Albitte l’instrument pour pouvoir, enfin, (ils avaient déjà essayé avec Javogues) se débarrasser des fédéralistes et des modérés ("profitons du séjour de ce vrai Montagnard pour purifier notre département et qu’il marche à jamais ou pas"41) et insuffler au département une politique "hébértisante", influencée par leur correspondance avec la Commune de Paris, et par la présence des commissaires nationaux (qui eux entretiennent une correspondance avec les clubs parisiens et la Commune). Albitte entretient aussi un courrier suivit avec ses "collègues et amis à Commune Affranchie"42 auxquels il rend compte de ce qu’il fait et demande de "juger de (ses) intentions"43 ; et par eux, il correspond avec "Paris, au comité de salut public, aux jacobins, à la municipalité et aux Cordeliers"44.
21Installé à Bourg le 28 nivôse au 25 pluviôse à l’Hôtel de Bohan proche de l’Hôtel de ville, Albitte est entouré "à sa table et dans ses bureaux" par les sans-culottes qui "ferment aux citoyens tout accès auprès de lui"45.
22Le 1er pluviôse, Albitte déléguant ses pouvoirs, nomme "pour commissaires examinateurs dans les maisons de détentions de la commune de Bourg les citoyens Dorfeuille et Millet, commissaires nationaux, Frilet officier municipal et Bonnerot attaché à la commission"46 afin de prendre des renseignements sur les prisonniers.
23Ces visites se font avec brutalité, Dorfeuille jugeant plus qu’il ne se renseigne, "voilà comme juge le père Duchêne, foutre, il n’a besoin ni de procédure, ni d’avocat ni de greffier il n’écoute que sa raison"47. Des listes de détenus sont établies.
24Les commissaires d’Albitte vont dès lors se conduire comme si le département de l’Ain était en état de rébellion et les révolutionnaires locaux vont se séparer de leur soutien populaire, petit à petit, en entrant dans la logique erronée et exagérée des Lyonnais.
25Albitte, le 5 et 6 pluviôse épure de façon théâtrale (Blanc-Désisles et Dorfeuille sont d’anciens acteurs) à grand renfort de serment, les administrations situées à Bourg, municipalité, district, comité de surveillance et directoire du département. Pour cela il prend conseil auprès des sans-culottes qui lui soufflent, sur une liste, les personnes à nommer, se faisant nommer aux postes clefs. Puis le représentant, avec les conseils de son entourage, s’attaque le 7 pluviôse et jusqu’au 28 pluviôse "à détruire le fanatisme, à écraser les prêtres, à dompter MM. les cydevants et surtout à les rendre des sans-culottes (sic) dans toute la force du terme"48. Pour cela il prend jusqu’au 25 pluviôse des arrêtés qui ont une portée départementale qui s’enchaînent avec une logique cartésienne, mais à des intervalles irréguliers, semblant dépendre de la maladie du représentant. Ces arrêtés pris sous l’influence des commissaires civils et des sans-culottes, notamment de Dorfeuille, Blanc-Desisles, et Rollet-Marat ; sont les plus révolutionnaires que le représentant prend durant son séjour.
26Le 7 pluviôse, pour répondre aux impératifs de la guerre, de la politique religieuse de déchristianisation et poussé par un entourage qui veut prévenir une nouvelle Vendée donc d’un soulèvement dont le son du Tocsin serait le signe de ralliement (le son des cloches était le signal des sacrés calotins de la Vendée49), Albitte décrète la descente des cloches. Et comme un clocher sans cloches est inutile, il arrête aussi leur démolition. Au total près de 800 cloches sont envoyées à la fabrique de canons de Pont-de-Vaux, les cordes et bois à l’arsenal de Toulon, et le fruit de la vente des matériaux est distribuée aux indigents.
27La descente des cloches et la démolition des clochers sont à ce moment les seuls moyens de trouver des matériaux gratis et qui convient bien à une politique antireligieuse et punitive et éminemment militaire. Cet arrêté est obéi avec réticence, les descentes se faisant surtout quand les commissaires d’Albitte sillonnent le département.
28Dans cette même logique, l’arrêté du 8 pluviôse grande pierre d’angle du travail de déchristianisation des sans-culottes, qui impose aux prêtres le fameux serment d’Albitte, est certainement pris sous l’influence du très antireligieux Rollet-Marat50. Serment dont le texte n’est pas du représentant, étant donné la spécificité des termes employés, mais certainement de Jules Juvanon administrateur du département et ancien prêtre. En floréal An II, 361 prêtres ont abjuré leur foi. Avec cet arrêté, Albitte détruit surtout le clergé constitutionnel. Mais c’est surtout la première fois durant la Révolution, qu’avec un tel arrêté on ne cherche plus à détruire le culte mais aussi ses agents. Toujours le 8 pluviôse, il prend un arrêté qui ordonne la démolition des tours, remparts, fortifications pigeonniers et châteaux. L’Ain étant un département frontière, cette mesure en cas d’invasion s’explique très bien.
29Le 11 pluviôse, il fait réintégrer en prison toutes les personnes libérées par Gouly. À cette date la situation du département est ramenée à ce qu’elle était quand Javogues était là en frimaire. Les sans-culottes ont, par Albitte, détruit le travail de Gouly et avec la liste de prisonniers établie par Dorfeuille, Millet, Bonnerot et Frilet, ils vont pouvoir se débarrasser "d’individus... entachés de fédéralisme et d’aristocratie"51.
30Le 24 pluviôse au soir, après un souper sans doute copieux et révolutionnairement arrosé, Blanc-Désisles, Alban, Juvanon, Laymant, Convers, Duclos et Dorfeuille se retrouvent chez le représentant, pour envoyer à la Commission de Lyon des détenus. La liste qui est établie est de 40 personnes à faire comparaître, après beaucoup de débats où "le représentant reconnut... que les gens qui l’entouroient mettoient beaucoup de passion et de vengeance"52, elle est réduite à 18. Albitte le même jour "se rend à la société populaire et y parle avec fermeté et simplicité des 18 détenus envoyés à Lyon"53, discours à la société des Sans-culottes, qui est une des rares fois où le représentant se rendit à celle-ci.
31Le 24 pluviôse, Albitte nomme des commissaires chargés de parcourir différents districts pour faire exécuter ses arrêtés. Le 25 pluviôse, 15 des 18 prévenus sont guillotinés. Albitte le 25, se met en route pour Belley, accompagné de Dorfeuille et Blanc-Désisles.
32Albitte reste à Belley du 25 au 29 pluviôse, où sur l’avis des sans-culottes belleysiens soutenu par son entourage, il fait visiter les prisons et établir des listes de prisonniers et réorganiser les autorités constituées. Mais le 28 pluviôse, Albitte reçoit du Comité de Salut Public une lettre lui interdisant de faire juger des habitants de l’Ain à Lyon. Dès lors il ne prend plus que des arrêtés qui n’ont que des retombées locales. À la lecture de cette missive il se rend à Lyon, auprès de ses collègues pour s’expliquer avec eux de cette affaire. Il revient sur Bourg, en passant par Belley et Trévoux, où il réorganise les autorités. Puis de Bourg, il repart pour Belley où il séjourne du 9 au 12 ventôse, d’où il part pour Chambéry avec Lajolais.
33Pendant l’absence d’Albitte du département de l’Ain, ce sont ses commissaires qui vont imprimer la Terreur dans les campagnes, où Vauquoy et Convers dans les districts de Saint-Rambert, Pont de Veyle, Chatillon et Montrevel (où ils n’avaient aucun pouvoir) impriment une démarche la plus "hebertisante" ; ils prônent la loi agraire, mettent en détention, libèrent des détenus en utilisant des papiers en-tête d’Albitte, réorganisent les autorités, prélèvent des amendes, conseillent la fréquentation des cabarets. De tous les commissaires, ils sont les seuls à rendre compte au représentant une fois les choses faites, tant et si bien qu’ils sont dénoncés en germinal par Juvanon et Blanc-Desisles à la société populaire de Bourg. Ce qui a pour conséquence, que "Convers est rejeté de la Société des Sans-Culottes"54. Cette dénonciation, si elle tente de sauvegarder la ligne de légitimité politique des sans-culottes, apporte aussi un fractionnement qui les rendra plus faibles en thermidor. Millet et Bonnerot à Trévoux se contentent, eux, de prendre des renseignements et de faire exécuter les arrêtés d’Albitte.
34Pendant qu’Albitte est à Chambéry, sans-culottes et Lyonnais dénoncent à la Convention les représentants de l’Ain, allant même jusqu’à dire à la tribune de la société populaire de Bourg que "toute la Députation du département de l’Ain à l’exception de Jagot étaient de mauvais patriotes, qu’ils trahissaient la Nation... Qu’il fallait demander à la Convention l’extrait mortuaire des membres de cette députation"55. Suivent-ils la politique des Cordeliers de Paris, contre les Indulgents et les Endormeurs ?
35Durant son séjour à Chambéry, Albitte ordonne aux "agents nationaux, près les districts... (de) rendre compte aux représentant du peuple, dans le délai d’une décade de l’exécution des arrêtés"56, de même le 12 ventôse il ordonne la séparation des prisonniers des deux sexes dans les prisons. Le 23 ventôse, alors qu’il est à Chambéry, Albitte arrête que tous les nobles de 18 à 70 ans doivent se rendre en maison de détention. Le 25 ventôse, il arrête qu’un seul comité de surveillance doit subsister par canton, ceci au grand mécontentement de plusieurs comités communaux, intéressés par leur travail (surtout les communes frontalières). Albitte modère le mouvement qu’il avait initié par ses arrêtés du mois de pluviôse, ramenant à lui le centre de décision et de jugement des actes des agents du gouvernement révolutionnaires (agents nationaux et comités de surveillance).
36Depuis son départ de Chambéry le 15 germinal il n’est pas revenu à Bourg, parcourant la Haute-Savoie (Rumilly-Carrouges), le pays de Gex (Versoix) et retournant à Carrouges, restant donc aux frontières, pressant les municipalités frontalières de lutter contre l’exportation de numéraire57. Quand intervient l’arrestation des sans-culottes de la municipalité de Bourg le 1er floréal An II par le Comité de Salut Public et le Comité de Sûreté Générale, Albitte s’en montre "fort mécontent dans la lettre qu’il écrivit aussitôt au Comité"58. Albitte on le voit, après pluviôse et loin de Bourg, se montre plus prudent, à nouveau plus réfléchi.
37Jusqu’au 11 floréal, date de l’arrivée de Méaulle à Bourg et du départ d’Albitte auprès de l’Armée des Alpes, le conventionnel fait réorganiser toutes les municipalités et administrations constituées du département par les agents nationaux des districts. Mais loin de Bourg et des sans-culottes, il ne s’engage pas personnellement dans leur défense, à l’encontre de Dorfeuille qui prend à coeur de faire libérer les patriotes bressans.
38Suite à sa mission dans l’Ain et par la marche révolutionnaire que sa présence a exercée sur le comportement des sans-culottes locaux soutenus par les commissaires civils, Albitte après l’An II devient la cible favorite (avec Claude Javogues) des Thermidoriens et des victimes de la Terreur dans l’Ain. Il poursuit néanmoins une carrière militaire honorable au sein de la division Desaix, sous l’Empire, après avoir été maire de Dieppe. Il sera décoré de la Légion d’Honneur, (ce qui prouve sa valeur militaire) et mourra durant la retraite de Russie, à une semaine de ses 51 ans.
39Les sans-culottes locaux et les commissaires nationaux, seront à leur tour victime de la Terreur de 1795, la Terreur Blanche sévissant autour de Lyon.
40Dorfeuille lui, se voit proposer le poste d’administrateur du département de l’Ain le 15 floréal An 1159, mais il préfère partir à Paris pour prendre la défense des officiers municipaux. De retour à Lyon en 1795, il est détenu à la prison de Roanne, où il est assassiné le 16 floréal An III.
41Vauquoy est jugé et supplicié pour ses missions dans le district de la Tour-du-Pin après thermidor An IL
42Les officiers municipaux sont relâchés après le 9 thermidor. De retour à Bourg, ils sont mis en détention sur ordre du représentant Boisset le 24 thermidor An II, pour être jugés des faits survenus dans le département depuis septembre 1793. mais leur procès n’aura jamais lieu, car le 30 germinal An III, Blanc-Desisles, Rollet-Marat, Merle, Chaigneau, Ducret et Juvanon sont assassinés par les membres mêmes de la Garde nationale qui les escortaient dans le Jura, ainsi que par les habitants de Bourg, dont certains seront reconnus comme Compagnons de Jéhus.
43Albitte a donc exercé son pouvoir dans un département frontalier, sous la tutelle avisée des représentants à Commune-Affranchie, avec l’expérience des commissaires civils "professionnels". Mission auprès de populations civiles, qu’Albitte n’avait vu exercer qu’à Commune-Affranchie. Cette mission démontre l’aspect non conforme au schéma classique que l’on se fait du représentant tout-puissant. En effet, celui-ci, suivant sa force de caractère, ou suivant le moment, peut voir sa fonction et son rôle devenir moteur dans la Terreur en Province, ou un additif précieux pour des révolutionnaires locaux qui attendent du représentant un rôle précis dans la conduite révolutionnaire de leur département.
44Albitte lui-même dans une conversation qu’il eut plus tard avec Lalande dit : qu’"il faut avoir pitié d’un homme qui fut enivré par des hommes plus astucieux que lui... plus furieux"60.
Bibliographie
Bibliographie additive à celle parue dans la communication
J. Tulard – J. F. Fayard – A. Fierro
Histoire et dictionnaire de la Révolution Française 1789-1799, Éditions Robert Laffont, Paris, 1987.
M. Vovelle
– La Révolution contre l’Église ; de la Raison à l’Être suprême, Éditions Complexe, Bruxelles, 1988.
– La Révolution Française 1789-1799, Armand Colin éditeur, Paris, 1992.
J. Sole
La Révolution en questions, Éditions du Seuil, 1988.
L. Trenard
La Révolution Française en Rhône-Alpes, Librairie Perrin, Paris, 1992.
E. Dubois
Histoire de la Révolution dans l’Ain, 6 tomes, Librairie Brochot, Bourg, 1931, réimpression éditions Verso, 1988.
Série L, classé et non classé, Archives Départementales de l’Ain.
Série L, classé, Archives Départementales du Rhône.
Notes de bas de page
1 Colin lucas, La structure de la Terreur : l’exemple de Javoques et du département et de la Loire, Traduction française CIEREC, travaux LXIX, Université Jean Monnet, Saint-Étienne, Réédition 1990, p. 183.
2 Ibidem, p. 183.
3 Arrêté d’albitte du 1er pluviôse An II, A. D. A, fonds non classé.
4 B.M. L, fonds Coste, cote n° 114964, les citoyens de la commune de Belley réunis en société populaire à la Convention Nationale. Tableau succinct de la conduite publique et privée qu’ont tenu les représentants du peuple en mission dans le district de Belley, Belley An III, imp. Kindelem.
5 Article d’un certain P.J.G paru dans Visages de l’Ain, n° 76, novembre-décembre 1964, p. 23.
6 Histoire de la Révolution dans l’Ain, 6 tomes, Bourg Librairie Brochot 1931-1935, rééd., Ed. Verso, 1988.
7 Denis varaschin, "Albitte, l’image en héritage", Images et héritages de la Révolution dans l’Ain, colloques de Bourg en Bresse des 6 et 7 octobre 1989, imp. du Conseil Général, 1989.
8 Valérie Courtine, mémoire de maîtrise sous la direction de Claude Mazauric, "L’itinéraire révolutionnaire d’un représentant du peuple dieppois : Antoine-Louis Albitte", Université de Rouen, Institut d’Histoire, 1989.
9 J. Balteau, M. Barroux, M. Prévost, Dictionnaire de Biographie Française, Tome 1, Librairie Letouzey et Ané, Paris 1933, p. 1254.
10 C.F.L. Montjoye, Histoire de la conjuration de Louis-Philippe-Joseph d’Orléans, surnommé Égalité, Paris, sans nom d’imprimerie, 1796, tome 3, p. 175.
11 a. kuscinski, Dictionnaire des Conventionnels, 2 tomes, Librairie F. Rieder, 1916, Paris, fascicule A-C, pp. 2-4.
12 a. soboul, Dictionnaire Historique de la Révolution Française, P.U.F., Paris, 1989, p. 14-15.
13 Certificat de maladie fait par le premier médecin de l’armée d’Allemagne, le 16 juillet 1806, Archives du Ministère de la Guerre, dossier Albitte, sans côte.
14 l. meunier, "Albitte : conventionnel en mission", les Annales Historiques de la Révolution Française, 1986, p. 238.
15 m. glover, Collection complète des jugements rendus par la Commission Révolutionnaire de Lyon, Imprimerie du Salut Public, Bellon, 33 rue Impériale, Lyon,
16 j. lucas, Op. cit., p. 1, p. 60.
17 b. benoit-r. saussac, Guide Historique de la Révolution à Lyon 1789-1799, Édition de Trévoux, Lyon, 1988, p. 128.
18 "Pont de Vaux, "arrêté de Convers et Vauquoy pour l’arrestation de huit individus", 4 ventôse An II, A. D.A., 2L49
19 Le père Duchêne le cadet, Foutre "L’arrivée du père Duchêne à Bourg", brochure de 8p., in 8.
20 Cahier de dénonciation A, témoignage, n° 16 de fructidor An II, A. D.A., ancien L219.
21 "qu’Alban l’aîné & Duclos se qualifiaient aussi du titre de père Duchêne le cadet’, Témoignage de Sébastien Convers, Cahier de dénonciation A, n° 7 du 7 fructidor, An II, A. D.A., ancien L219.
22 Voir les accusés de réception, A.D.A., 1L91.
23 Désisles est alors notable et Convers agent national de la commune de Bourg, Pierre Blanc dit Désisles est originaire de Dijon, après être allé aux États-Unis, il revient en France et devient comédien à Paris, (semble-t-il). Là, il fait connaissance avec d’autres comédiens dont Grammont, adjudant général dans l’armée de Vendée. Il est un politicien habile et est considéré, à juste titre me semble-t-il, comme le chef des sans-culottes burgiens.
24 "Tableau analytique des manoeuvres et des crimes des principaux intriguants..." fait à la société populaire de Bourg, le 5 vendémaire An II, A. D.A., procès Désisles et consorts5’, anciens L219, p. 7.
25 e. dubois, "La société Populaire des amis de la Constitution et des Sans-Culottes de Bourg (1791-1794)’ ; Bulletin de la Sociétés des naturalistes et des archéologues de l’Ain, imprimerie Victor Berthod, Bourg, 1931, p. 253.
26 "Dénonciation contre Désisles, Alban, Laymant, Gallien et autres scélérats" lettre anonyme adressée au "digne représenten du peuple françois", Procès Désisles et consorts, A.D.A., ancien L219.
27 "Tableau indicatif des crimes commis dans le district de Belley, dépt. de l’Ain", A.D.A., série L, fonds non classé.
28 Blanc-Désisles était un ami de Grammont à qui il rendit visite durant son séjour à Paris. Témoignage de Convers, A.D.A., ancien L219.
29 Mémoire justificatif pour Aimé-Marie Alban, maire de la Commune de Bourg, chef lieu du Département ae l’Ain à ses concitoyens, de l’imprimerie de l’ami du peuple, quartier du Pont-Michel Paris, Brumaire An II, Procès Désisles et consorts, A.D.A., ancien L219, p. 10.
30 "Compte rendu à la Convention nationale et au peuple souverain du représentant Gouly", Archives Nationales, A. F. II.186, cité dans L’histoire de la Révolution dans l’Ain par e. dubois, tome 4, p. 89.
31 e. dubois, L’histoire de la Révolution dans l’Ain, tome 4, p. 97.
32 "Tableau analytique", A.D.A., ancien L219, p. 14.
33 bonnet est administrateur au district de Belley et "perpétuel président de la société populaire", sous albitte il est nommé agent national du district de Belley ; thorombert notaire devient membre du comité de surveillance de Belley.
34 e. dubois, L’histoire de la Révolution dans l’Ain, tome 4, p. 131.
35 Archives Nationales, A. F. II.37, ibidem, tome 4, p. 131-132.
36 merle de bage avait été nommé à Lyon, pour être accusateur public de la commission que dorfeuille présidait.
37 "Demande de Reydellet pour que Désistes Rollet et Convers ses amis soient mis en liberté", A.D.A., 2L56.
38 Arrêté du 3 pluviôse an II, A. D.A., série L, fonds non classé.
39 Idem.
40 e. dubois, Documents pour servir l’Histoire de la Révolution dans l’Ain, la société des amis de la Constitution et ses Sans-culottes de Bourg 1791-1794, Imprimerie Victor Berthod Bourg, 1930, pp. 49-50.
41 "Adresse de B. Desisles au citoyen Bonnet administrateur du district de Belley 9 ventôse An II", Procès B. desisles et consorts, A.D.A., ancien L219.
42 Lettre manuscrite d’Albitte à ses collègues de Lyon du 11 pluviôse An II, A.D.R., 1L203.
43 Ibidem.
44 Ibidem.
45 "Tableau analytique", pp. 19-20, procès b. desisles et consorts, A.D.A., ancien L219.
46 Arrêté d’Albitte du 10 pluviôse, A.D.A., série L, fonds non classé.
47 "Je suis le père Duchêne le cadet, foutre", Le grand jugement du Père Duchêne, brochure In 8, de 8 pages, signée dorfeuille.
48 Lettre manuscrite d’Albitte à ses collègues de Lyon du 11 pluviôse An II, A.D.R., 1L203.
49 Je suis le père Duchêne le Cousin, millet et bonnerot, 8 pages in 8, imprimerie, P. Bernard aux halles de la Grenette à Commune Affranchie, An IL
50 "Les constitutionnels comme les inconstitutionnels sont pour lui (rollet-marat) des animaux féroces" (mémoire justificatif de ROLLET-MARAT du 1er pluviôse An II), A.D.A., 2L57.
51 "Déclaration de Convers des 4èmes complémentaires de l’An II et le 1er vendémiaire de l’An III", procès Desisles et consorts ; A.D.A., ancien L219, p. 7.
52 Idem, p. 8.
53 e. dubois, "documents pour servir à l’Histoire de la Révolution dans l’Ain", La société populaire des Amis ae la Constitution et des Sans-culottes de Bourg 1791-1794, Bourg, Imprimerie Victor Berthod, 1930, p. 52..
54 Lettre de rollet-marat agent national du district de Bourg à albitte du 15 germinal An II, A. D.A., 2L49.
55 Témoignage de s. convers cafetier à Bourg du 7 fructidor An II, Cahier A, Procès et consorts, A.D.A., ancien L219.
56 Arrêté du 16 ventôse An II : compte des agents nationaux (sic) A.D.A., série L, fonds non classé.
57 Arrêté d’albitte fait à Chambéry le 28 ventôse, collationné par dorfeuille, imp. Ph. Jh. pinet à Villefranche An II.
58 e. dubois, Histoire de la Révolution dans l’Ain, Tome 5, p. 22, Bourg, 1935, librairie Brochot, réédition de 1988, éd. Verso.
59 "Registre de la Société des Sans-Culottes de Treffort", collection particulière, A.D.A., MS56, p. 118.
60 lalande, Éloge de M. de Bohan, lu à la société d’émulation de Bourg le 1er septembre 1805, réédité en 1977 par le Centre Culturel de Buenc.
Auteur
Étudiant en Maîtrise de la Révolution Française sous la direction de S. CHASSAGNE, Université Lumière Lyon II
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