Quel droit pénal pour l’activité économique ?
p. 157-162
Texte intégral
1Le commerce et le droit pénal ne se sont jamais totalement ignorés mais historiquement leur relation n’était qu’occasionnelle. Au début du XIXe siècle, le rôle du droit pénal au regard de l’activité économique était très limité, ce qui se justifiait par la volonté de laisser libre cours à l’initiative économique et à la liberté des échanges. Il appartenait seulement à la loi pénale de veiller au respect d’un ordre public de protection, ce qui cantonnait le droit pénal dans un rôle mineur. Le code pénal de 1810 ne contenait que quelques infractions ciblées relatives à la délinquance commerciale qui sanctionnaient les commerçants malhonnêtes. Ainsi étaient incriminées les infractions de banqueroute simple ou frauduleuse, la variation frauduleuse du cours des marchandises et bien sûr les agissements classiques mais non spécifiques au commerce tels que l’escroquerie et l’abus de confiance.
2Ce rapport entre le commerce et le droit pénal s’est profondément transformé au fur et à mesure des évolutions liées tant à la maturation du droit pénal qu’aux transformations des activités économiques et au développement du droit des affaires. L’essor des activités économiques, le développement des sociétés ont inévitablement entraîné la multiplication de comportements déviants qui devaient être sanctionnés afin d’assurer la sécurité des relations d’affaires. Mais au-delà de la stricte sanction des agissements malhonnêtes, le droit pénal des affaires est devenu progressivement un instrument qui permet au législateur d’imposer ses choix de politique économique en sanctionnant la transgression de la norme établie, c’est-à-dire à la valeur essentielle du moment que le législateur entend faire respecter.
3Le champ d’intervention du droit pénal s’est considérablement étendu par le passage de la délinquance commerciale à la délinquance économique et financière, ce qui traduit la plus profonde mutation du droit pénal contemporain. Le commerce tel que perçu dans le code de commerce, a cédé sa place à un concept beaucoup plus compréhensif et vaste : les activités économiques telles qu’appréhendées par le droit des affaires. Ce passage du commercial à l’économique a eu une répercussion majeure sur le droit pénal. En effet, le droit pénal est le seul droit qui prête la sanction dont il détient le monopole, la sanction pénale, à toutes les branches du droit et cela est très marqué en droit des affaires. Par conséquent, les transformations du droit des affaires entraînent inévitablement une évolution du droit pénal qui lui est appliqué.
4L’évolution du droit des affaires et la récupération de cette évolution par le droit pénal ont conduit pendant de très nombreuses années à une pénalisation massive de la vie des affaires certainement excessive, dans la mesure où le législateur ne se départissaît pas d’un réflexe pénalisant. Chaque réforme était accompagnée de son lot de sanctions pénales afin d’assurer l’effectivité de la norme économique. Le droit pénal des affaires est ainsi instrumentalisé par le législateur économique qui s’appuie sur la fonction de dissuasion de la peine pour assurer le respect de ses choix.
5Mais cette fonction sanctionnatrice classique du droit pénal des affaires se double d’une fonction plus récente, plus moderne qui est de réguler la vie économique et financière. Le droit pénal est alors un instrument utilisé par le législateur, moins pour sanctionner directement les opérateurs de la vie économique que pour influer sur les orientations de celle-ci et sur les comportements de ses acteurs.
6Lorsque la question “Quel droit pénal pour l’activité économique ?” est posée, il apparaît que l’on part du postulat que le droit pénal est indispensable à l’activité économique. Il semble en effet, inenvisageable que l’activité économique soit libérée de tout contrôle et laissée dans un état de liberté sans frein. Mais à partir de ce postulat, il faut se demander quelle doit être la fonction de ce droit pénal. Deux modèles pénaux s’imposent et influent directement sur le contenu du droit pénal des affaires. Pour encadrer l’activité économique, le droit pénal peut être conçu comme un droit sanctionnateur (I) ce qui en fait un instrument de répression pur et simple ; mais il peut aussi être utilisé comme un droit pénal régulateur (II) ce qui en fait un outil de la politique économique.
I – Un droit penal sanctionnateur
7Cette finalité classique du droit pénal s’est traduite depuis une quarantaine d’années par une pénalisation massive de la vie des affaires, les dispositions pénales pénétrant l’ensemble de la vie économique. Il faut cependant, distinguer les comportements qui ont été incriminés entre les agissements graves révélant une intention criminelle caractérisée et les irrégularités formelles dans le fonctionnement sociétaire par exemple. Autant il est inconcevable de remettre en cause des infractions aux conséquences majeures telles que l’abus de biens sociaux, la corruption, le délit d’initié ou le blanchiment de capitaux, autant le foisonnement d’infractions pénales censées inciter au respect de législations techniques qui stigmatisent des actes purement matériels détachés du support de l’intention frauduleuse est contestable.
8Cette inflation d’infractions pénales purement matérielles en droit des affaires a été très largement dénoncée par les opérateurs économiques qui y voient un frein à l’initiative économique et à la liberté d’entreprendre qui ne se justifie pas ou plus dans la société contemporaine. Le droit pénal est dans ce cas inadapté et la conséquence est que les chefs d’entreprise intègrent la probabilité de commettre une ou plusieurs infractions –non intentionnelles bien entendu, c’est-à-dire la violation de législations techniques que très souvent ils ignorent– dans un calcul de risque pénal lié à leur activité. La doctrine critique aussi depuis longtemps cette pénalisation systématique car le foisonnement des incriminations nuit à l’efficacité de la sanction. Nul ne peut contester la nécessité d’un droit pénal sanctionnateur pour réprimer les comportements les plus graves préjudiciables à la vie des affaires, et tout le monde est d’accord pour admettre que les autres agissements devraient échapper au droit pénal. La difficulté est donc de trouver le juste équilibre entre pénalisation excessive et sanction nécessaire. Il faudrait arriver à un cantonnement du droit pénal à la sanction des agissements frauduleux afin de punir ceux qui nuisent à l’activité économique, ce qui permettrait de libérer les autres du poids écrasant de la responsabilité pénale.
9Le législateur contemporain a amorcé dans les lois récentes un mouvement de réforme en ce sens afin de procéder à un recentrage du droit pénal des affaires sur les infractions les plus graves qui révèlent une véritable intention criminelle de la part de leurs auteurs. Cinq textes successifs depuis 2001 ont libéré le droit des sociétés de l’emprise du droit pénal, une centaine d’infractions ont disparu car elles étaient inadaptées à l’évolution de notre droit des affaires1. Le recul du droit pénal dans ce domaine est considérable en nombre d’incriminations, ce qui était souhaitable.
10Le choix opéré par le législateur entre les textes abrogés et ceux conservés n’est pas neutre. Ces dépénalisations traduisent la volonté de supprimer l’incrimination de tous les comportements matériels, certes préjudiciables à la structure sociétaire, mais qui ne révèlent pas une faute dont la nature et la gravité appellent la sanction pénale2.
11La dépénalisation ne doit pas ouvrir cependant, la porte à tous les abus et afin d’encadrer les obligations des professionnels la sanction civile remplace souvent efficacement la sanction pénale3. Cette dépénalisation doit être approuvée puisqu’elle réserve la sanction pénale aux infractions graves, qui ne sont plus noyées dans un océan d’incriminations. Elle renforce également la valeur symbolique de la sanction puisque parallèlement à la suppression de certaines infractions, le législateur a choisi d’aggraver la sanction des agissements frauduleux les plus graves tels que le délit d’initié, la corruption, le blanchiment de capitaux. Cette politique devrait se poursuivre, les pouvoirs publics ont la volonté de dépénaliser encore le droit des affaires afin de relancer l’initiative économique, tout en ne remettant pas en cause la nécessité de sanctionner les pratiques qui nuisent aux intérêts collectifs de notre pays.
12Cependant, il faut veiller à ne pas tomber dans l’excès de la formule générale. Lorsque l’on entend le chef de l’Etat déclarer “La pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur, je veux y mettre un terme”, la formule est excessive. La pénalisation en soi n’est pas une erreur, lorsqu’elle vise des agissements frauduleux ; ce n’est pas une erreur non plus lorsqu’elle sanctionne des pratiques préjudiciables à l’économie en général. En revanche, qu’il soit encore nécessaire de dépoussiérer le code de commerce et certaines législations relevant du droit des affaires sans aucun doute. Car dans ce cas, le droit pénal n’est pas à sa place et il n’a pas d’utilité. Ce recul de la fonction sanctionnatrice du droit pénal dans cette limite des infractions matérielles doit se poursuivre mais il faut souhaiter que pour une fois la France s’engage dans une vraie réflexion sur la dépénalisation, ce qui nécessite une analyse globale de la politique criminelle et une évaluation des incriminations existantes pour apprécier leur utilité et leur opportunité. Il faut souhaiter qu’une fois de plus on ne dépénalise pas ponctuellement. Cette réflexion globale a lieu puisqu’une commission de réflexion sur la dépénalisation du droit des affaires a été créée auprès de la Ministre de la justice afin de lui remettre un rapport qui orienterait les futures réformes4.
13La fonction sanctionnatrice du droit pénal des affaires est indispensable mais elle doit être limitée. Cependant, on peut constater que l’évolution du rôle du droit pénal qui se manifeste par une autre fonction : celle de régulation qui vient renforcer l’importance du droit pénal dans l’activité économique.
II – Un droit penal regulateur
14Cette fonction plus moderne de régulation permet au droit pénal de dépasser “sans la négliger la simple répression des comportements, pour aller jusqu’à influer sur les orientations de la vie économique et financière… participant ainsi à l’élaboration de la politique des affaires”5. L’objectif premier de ce droit pénal nouveau n’est pas de sanctionner les opérateurs économiques, mais d’aménager voire de répartir les responsabilités de façon juste et équilibrée. Ce rôle de régulation conféré au droit pénal se démarque des autorités dites de régulation que sont les autorités administratives indépendantes et donne à ce droit pénal un rôle régulateur sans équivalent. En effet, une différence majeure les oppose : la fonction de régulation du droit pénal porte sur la responsabilité des personnes physiques ou morales, alors que celle des autorités indépendantes ne porte que sur les activités économiques.
15Deux exemples témoigneront de cette fonction de régulation du droit pénal au regard de l’activité économique : l’introduction dans notre droit de la responsabilité pénale des personnes morales et la nouvelle procédure de sauvegarde des entreprises issue de la loi du 26 juillet 2005.
16Jusqu’en 1994 –date de la réforme du code pénal– seules les personnes physiques pouvaient être poursuivies pénalement quand bien même l’infraction était commise par un dirigeant pour le compte de la personne morale. La personne morale au plan pénal, se dissociant ainsi des autres droits, n’était pas un sujet de droit. L’admission de ce nouveau responsable pénal dans notre droit est un instrument de régulation pénale de l’activité économique qui devait permettre d’adapter la réalité juridique à la réalité économique, donc de faire de notre droit pénal un droit moderne.
17L’objectif du législateur en 1994 était d’alléger le poids de la responsabilité des dirigeants personnes physiques, engagée pour des infractions imputables en réalité à la personne morale. En consacrant la responsabilité pénale des personnes morales, l’objectif du législateur n’était pas d’élargir le domaine d’intervention du droit pénal mais de mieux répartir le poids des responsabilités. Il ne s’agissait pas de “faire plus de pénal, mais au contraire d’en faire mieux”6 en poursuivant et sanctionnant non pas systématiquement le dirigeant mais le véritable responsable. La loi permet donc, bien que l’infraction imputable à la personne morale soit nécessairement commise par une personne physique organe ou représentant, de faire une application distributive des responsabilités en fonction du rôle de chacun. Le texte est donc conçu pour que la personne morale puisse être seule poursuivie supprimant ainsi la responsabilité quasi-automatique attachée à la qualité de dirigeant. Cette nouvelle disposition peut donc être analysée comme un instrument de régulation de la responsabilité pénale.
18Malheureusement la pratique judiciaire de ce texte n’a pas toujours permis de faire produire à la régulation tous ses effets. Trop souvent encore, les parquets poursuivent cumulativement la personne physique auteur matériel de l’infraction et la personne morale. Le cumul des poursuites est souvent la règle même dans des cas où il apparaît que le délit a été commis pour le seul compte de la personne morale. La volonté de réguler la répartition des responsabilités ne sera véritablement accomplie que le jour où la pratique judiciaire admettra une véritable responsabilité personnelle de la personne morale, indépendante de la personne physique qui la représente. Les instruments sont fournis par la loi, il faut les utiliser efficacement
19Le second exemple de la fonction régulatrice du droit pénal peut être tiré de la loi de Sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005. Cette loi nouvelle institue une procédure de sauvegarde dont le but est de permettre aux entrepreneurs de révéler des difficultés sans qu’il y ait cessation des paiements, afin de trouver rapidement devant le tribunal une solution avant que la situation ne soit véritablement compromise. Afin de rendre cette procédure attractive et d’inciter les chefs d’entreprise à y recourir, le législateur a fait un choix très clair : aucune sanction pénale (sous réserve d’un cas de délits assimilés à la banqueroute), ni civile ne sera applicable dans le cadre de cette procédure. Si l’on admet que le rôle régulateur du droit pénal consiste en une influence sur les comportements des opérateurs économiques, l’exemple de l’absence de sanction notamment pénale dans la procédure de sauvegarde est clair. Si le chef d’entreprise répond aux attentes de la loi nouvelle et donc du législateur, en optant très précocement pour la révélation de ses difficultés, il échappera à toutes sanctions quelles que soient les fautes commises et leur gravité.
20Pour conclure, il apparaît et cela était induit par le titre de cette intervention, que le droit pénal est indispensable à l’activité économique. Les abus les plus graves devront toujours être sanctionnés lourdement, le droit pénal des affaires doit avoir encore de beaux jours devant lui, c’est une condition de la sécurité et de la loyauté des affaires.
21Cependant, son rôle évolue, son périmètre doit sans aucun doute être cantonné afin de lui conserver son efficience. Il faudra dans l’avenir arriver à trouver le juste équilibre pour concilier deux impératifs : la sécurité de l’activité économique et la liberté des acteurs économiques… Sécurité – liberté l’éternel couple infernal de la matière pénale !
Notes de bas de page
1 Les lois Nouvelles Régulations économiques, Initiative économique et sécurité financière, ainsi que l’ordonnance portant simplification du droit et des formalités des entreprises et celle sur la réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales1 ont supprimé de très nombreuses incriminations
2 Ainsi échapperont désormais à la sanction pénale les défauts de communication d’informations aux associés et actionnaires, l’absence de communication des documents sociaux avant les assemblées, le défaut de mise à disposition de la comptabilité, les différentes opérations relatives au capital (augmentation, émission d’obligations avant libération, amortissement), le fait pour le liquidateur de ne pas convoquer les associés pour les informer de la situation financière, ou de continuer ses fonctions à l’expiration du mandat...
3 Le législateur a prévu le remplacement de la sanction pénale par une mesure d’injonction de faire qui peut être demandée au président du tribunal statuant en référé et qui a pour effet, soit d’enjoindre sous astreinte le liquidateur ou les dirigeants sociaux de procéder à la formalité légale, soit de désigner un mandataire chargé de procéder à celle-ci.
4 Commission Coulon qui a remis officiellement son rapport au mois de février au Ministre de la justice.
5 Y. MAYAUD, “Le droit pénal, instrument de régulation de l’activité économique et financière”, Le code de commerce 1807-2007. Livre du bicentenaire, Dalloz, 2007, p. 625.
6 Y. MAYAUD, op. cit., p. 630.
Auteur
Professeur à l’Université de Toulouse. Responsable du DELFIN (Faculté de Droit, CDA - Groupe de recherche sur la délinquance financière, UT1)
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