La persécution des religieuses en Anjou selon le code pénal de 1791
p. 59-68
Texte intégral
1Le code pénal donné à Paris le 6 octobre 1791 complète les dispositions prises dans la Constitution (chapitre V titre III), concernant l’oeuvre judiciaire de l’Assemblée constituante. Ce code de 39 pages1 forme la loi du 25 septembre-6 octobre 1792 rapportée par Lepelletier de Saint Fargeau ancien conseiller au parlement de Paris. La trahison, les contrefaçons du papier monnaie, l’incendie volontaire, et l’assassinat, sont des crimes punis de mort. Pour les femmes, les peines encourues se purgent dans des "maisons de force". Les prisons sont placées sous la surveillance des administrations municipales et départementales qui nomment les geôliers.
2En 1789, l’Église d’Anjou est riche de 900 femmes consacrées, moniales, religieuses et filles séculières confondues. Ces femmes persévèrent dans leur vie communautaire même si on les dépouille de leurs biens. Elles sont encore tolérées dans leurs maisons d’où elles seront expulsées, au plus tard le 1er octobre 1792 pour les ordres et les instituts réguliers. Le 18 août les dernières congrégations vouées à l’enseignement et à l’assistance avaient été abolies. Quelques unes d’entre elles2, et les filles séculières continuent leur service, attachées à l’hôpital ou à l’école, individuellement comme des fonctionnaires, elles touchent un traitement, à condition de prêter serment, l’État désirant s’assurer leur fidélité.
3 L’Anjou au coeur des régions insurgées contre la république sera traitée en rebelle : sur cette terre, il ne peut y avoir que des suspects, des fanatiques, des contre-révolutionnaires. À cette situation d’exception correspondra une juridiction d’exception avec l’installation d’une commission militaire. La commission "Félix", constituée à Angers le 10 juillet 1793, condamnera sans appel la plupart des religieuses arrêtées.
4La Terreur envers les religieuses naît avant la Terreur pour tous les autres citoyens. La persécution des religieuses commence très tôt avec la suppression des voeux et les inventaires des biens. Puis les soeurs privées de leurs aumôniers qui n’avaient pas prêté serment, à trois exceptions près, s’organisent. Dans un premier temps, elles essaient de concilier la fidélité à leur état et à l’Église romaine, avec la France nouvelle. Livrées aux tracasseries, brimades et persécutions de toute nature, et pour être en paix avec leur conscience, elles deviennent des résistantes à l’ordre nouveau. Leur courage, leur intransigeance, et leur témérité les conduira en prison, en exil, ou à la mort.
5Le 19 février 1790 les voeux monastiques ne sont plus reconnus. À Beaufort, les Hospitalières de Saint Joseph, contraintes d’ouvrir leur monastère aux autorités municipales venues pour l’inventaire, et connaître leur intention de rester ou de sortir de la communauté, renouvellent leurs voeux. Le secrétaire inscrit sur le procès-verbal le 14 septembre 1790 : "Toutes confirment et renouvellent à Dieu, les voeux qu’elles lui ont fait pour toute leur vie de pauvreté, de chasteté, d’obéissance et de servir les pauvres en union de charité en la Congrégation des religieuses hospitalières de Saint Joseph voulant vivre et mourir dans leur communauté"3. Chez les Servantes des Pauvres de la Providence de Saumur, entrées de postulantes et voeux seront enregistrés jusqu’au mois de mai 1792. Les Filles de Sacré Coeur de Marie, à Baugé, se recrutent durant toute la Révolution, et renouvellent leurs voeux, chaque année à la Pentecôte.
6L’année 1791, circule dans les couvents un écrit anonyme de neuf pages intitulé : "Consultation juridique pour les religieuses au sujet des évesques élus dans les départements"4. En fait, cette brochure dépasse largement son titre. Par référence aux articles 1,4 et 10 de la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen”5, les religieuses ont droit de refuser l’aumônier ou le confesseur jureur qu’on leur impose, puisque la loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société, et que nul ne peut être contraint à ce que la loi n’ordonne pas. Elles n’ont pas à accepté l’évêque élu car "nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loy établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée"6. Leur communauté est devenue pour l’État "la réunion de plusieurs citoyennes qui toutes libres de se séparer, préfèrent vivre ensemble tant qu’il leur plaira"7, le fait de désigner une nouvelle supérieure et une dépositaire n’est donc pas contraignant. Elles sont également libres de se vêtir comme elles le souhaitent, et de fixer un règlement à l’intérieur de la communauté. Les religieuses se sentent rassurées par cet avis, elles s’appuient sur lui, en particulier pour refuser les intrus.
7Dès le 4 avril 1791 le directoire du département de Maine-et-Loire exige le serment des membres de communautés en rapport avec le public. Hospitalières et enseignantes l’ignorent. Le 17 avril, il interdit aux établissements religieux d’ouvrir leurs églises et oratoires au public, de sonner les cloches et de laisser officier les prêtres insermentés. Le 4 novembre, il prend un nouvel arrêté renforçant le précédent et fixant des sanctions. "Les chefs des maisons religieuses qui n’ont pas obtempéré à l’arrêté du 17 avril seront dénoncés aux tribunaux des districts à la requête du procureur général syndic des districts et poursuivis comme perturbateurs de l’ordre public"8. Les contrevenants seront alors passibles de jugements et de peines prévus par le code pénal. Les religieuses s’exécutent. Les moniales de Nioyseau ferment la porte de leur chapelle, même à leurs domestiques. Les fidèles, eux, font circuler des pétitions pour se rendre dans les églises conventuelles où les aumôniers insermentés exercent encore le ministère, pour quelques semaines...
8Les femmes consacrées de l’Anjou se manifestent par au moins 250 pétitions adressées au département, concernant la dégradation de la situation qui leur est faite. S’appuyant sur la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen", elles demandent la liberté de garder les aumôniers réfractaires, ceux-ci devant se rendre à Angers à partir du 1er février 1792. Elles essaient de protéger les biens qui leur appartiennent. La puissante abbaye du Ronceray se déclare faussement "maison de charité", car elle reçoit les filles nobles, mais pauvres, des provinces voisines. Certaines expliquent qu’elles sont propriétaires des lieux qu’elles habitent, elles ont payé leur couvent avec leur dot. C’est le cas du Carmel d’Angers et de la Visitation. Les Bénédictines du Ronceray font retirer 27 plaques de cheminées et une chaudière, avant la vente du mobilier de l’abbaye, à la fin du mois d’octobre 1792. Par représailles, leur traitement est supprimé, elles protestent. À la fin du mois d’août 1792, les Visitandines d’Angers subtilisent avec l’aide de domestiques, du mobilier, de la vaisselle, des étoffes. Elles sont privées de traitement et protestent. Elles commettent des délits mineurs, il n’y a pas de jugement, la sanction tombe, sans plus. Elles agissent cependant en citoyennes responsables, se conformant à la loi, tant qu’elles ne sont pas victimes d’injustices, elles consentent par exemple au don patriotique.
9Après les lois, décrets et arrêtés, les femmes consacrées subissent les méfaits de la délation des populations, des intrus, et des autorités. Les religieuses refusent les prêtres assermentés dans les maisons d’éducation. Ainsi les Ursulines de Saumur faisant la classe à 170 petites filles, ne mènent pas les élèves à la messe, ce qui provoque le scandale. On leur rappelle leur devoir. Une Ursuline meurt en refusant les derniers sacrements. Le 23 mars 1792, les autorités municipales somment les parents de retirer leurs filles, ferment l’école et écrivent : "Les principes des Ursulines sont contraires à ceux de la Constitution"9. Elles sont considérées comme mauvaises citoyennes.
10Les religieuses Hospitalières de Saint Joseph, à Beaufort, sont dénoncées le 28 mars 1792 par le procureur de la commune. Elles négligent l’éducation des enfants pauvres, en ne leur inspirant pas l’amour de la religion, car elles ne les emmènent pas à la messe des intrus, et ne les instruisent pas. Elles les élèvent dans le mépris des lois, et de l’administration. "Cette conduite de la part des dames hospitalières vous paraîtra sans doute répréhensible puisqu’on nourrissant l’esprit de ces innocents des préjugés du fanatisme et des erreurs de l’irréligion elle ne tend à rien moins qu’à faire de ces infortunés autant de citoyens rebelles et de sujets sans probité et sans moeurs"10. Un peu plus loin le procureur ajoute : "Ces religieuses portent la haine de la nouvelle constitution considérée sous tous ses rapports et leurs dédains affectés pour tous les pouvoirs qui en émanent, dédain quelles ne manquent pas d’inspirer aux enfants confiés à leurs soins. Que dans l’espace de 20 ans elles n’en corrompent que 10, ce sont 10 citoyens perdus pour la chose publique"11. Au regard du code pénal, les Hospitalières de Saint Joseph ont commis un délit, en ne remplissant pas leur devoir, et en s’opposant au nouveau pouvoir. Elles se sont rendues coupables "Des délits des particuliers contre le respect et l’obéissance dus à la loi et à l’autorité des pouvoirs constitués pour la faire exécuter"12 et sont passibles de deux années de détention, ou mieux, elles pourraient être punies de 6 années de gêne puisqu’étant considérées comme fonctionnaire public "qui, par abus de ses fonctions, et sous quelque prétexte que ce soit provoquerait directement les citoyens à désobéir à la loi ou aux autorités légitimes"13. On entre alors dans ce qui est appelé : "Crimes des fonctionnaires publics dans l’exercice des pouvoirs qui leur sont confiés”14. Le procureur Lecluze veut faire "murer" les religieuses, et les remplacer par d’honnêtes citoyennes ayant des principes constitutionnels. À cette date, l’administration n’a pas les moyens de sa politique. Les Providencières de Baugé, les Filles séculières de Martigné-Briand, sont dénoncées par les patriotes et les intrus pour les mêmes raisons, elles dirigent "en sens inverse de la Constitution".
11Plus grave, les hospitalières sont accusées de lourdes fautes professionnelles dans le soin des malades et en particulier dans le service des malades républicains, elles les laissent mourir sans secours spirituels. La pétition des habitants de Martigné-Briand affirme que les hospitalières ont vu mourir sept malades sans leur avoir procuré le saint viatique "seulement Extrême-onction pour avoir attendu au dernier moment toujours pour se conformer au catéchisme des prêtres réfractaires qu’elles ont et fait distribuer dans tous les villages de la paroisse en cachette et noctumement"15. Les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Saumur sont dénoncées par la lettre d’un capitaine de grenadiers de la garde nationale et l’intrus. Elles ne vont plus à la messe, ce qui fait murmurer les gens du canton, un malade est mort sans les derniers sacrements, elles installent les malades patriotes dans les courants d’air et leur dorment du bouillon maigre. Après enquête, on apprend que le bouillon maigre est meilleur que le gras, car moins rance, que la pléthore de malades dans les salles, exige que certains soient placés près des fenêtres, le 19 avril 1792, les administrateurs de l’Hôtel-Dieu décident que les soeurs "qui y troublent le bon ordre soient tenus de sortir"16. Le ministre de l’Intérieur Roland, alerté, écrit au directoire du département le 11 juin en acceptant la fermeture de la communauté des Augustines : "mais je vous prie de recommander au district de Saumur ainsi qu’à la municipalité d’apporter la plus grande modération dans l’exécution de l’acte rigoureux que des circonstances rendent nécessaire, vous voudrez bien m’informer le plus tôt possible de tout ce qui aura été fait à cet égard"17. Les autorités nationales à cette date sont plus clémentes que les autorités locales.
12Les religieuses sont soupçonnées de gaspiller et même de voler l’argent des pauvres. À Angers elles sont dénoncées par le club de l’ouest. Les soeurs des Renfermés causent "des abus révoltants". Les administrateurs protecteurs des religieuses seront révoqués. Les religieuses sont accusées de cacher des prêtres réfractaires, les Hospitalières de Saint Joseph à Baugé gardent leurs deux vieux aumôniers, les Filles du Sacré Coeur de Marie hébergent jusqu’à six prêtres insoumis à la fois. À Saumur, les Servantes des Pauvres les cachent parmi les aliénés. Toutes recevront de nombreuses visites domiciliaires.
13Les Filles séculières de Doué-la-Fontaine sont les plus diffamées, la dénonciation du 19 avril 1792 indique : "Elles n’assistent plus à la messe paroissiale ni à celle de leur maison dite par l’aumônier assermenté. Elles ne cessent de tenir des conciliabules où des prêtres réfractaires s’assemblent, tiennent dans la ville des propos incendiaires et laissent les malades pour aller assister au loin à la messe des prêtres non-conformistes"18. Leurs méfaits sont considérés comme crimes politiques d’après le code pénal. Elles ont attenté à la sûreté de l’État en "ébranlant la fidélité de citoyens par leurs propos", en s’élevant contre "l’exercice de l’autorité civile", en commettant des fautes "contre la liberté individuelle, base essentielle de la Constitution française". Elles seront déchues.
14Les moniales et les religieuses expulsées de leur couvent le 1er octobre 1792 ne devaient pas rétablir de communautés. Elles bravent l’interdiction, habitent à trois, cinq ou huit dans les familles amies tout près du monastère, les autorités laissent faire quelques mois seulement.
15La Révolution avance, la Terreur s’installe. L’obligation du deuxième serment dit "Liberté-Égalité", formulé le 3 septembre 1792 pour les religieuses touchant une pension de l’État, n’avait pas été respecté. En septembre 1793 il est ordonné de remplacer les hospitalières insermentées. Le 3 octobre un nouveau décret vise toutes les religieuses. "Les filles attachées aux ci-devant congrégations qui n’ont pas prêté le serment déterminé par la loi, sont déclarées déchues de toute fonction et privées de la pension de retraite"19. La sanction est immédiate, le trésorier-payeur d’Angers refuse le traitement du troisième trimestre 1793 à toutes celles qui ne présentent pas le certificat de civisme délivré seulement à celles qui prêtent le serment, le décret du 29 décembre oblige les autorités locales à considérer toutes les soeurs insermentées comme "suspectes" ce qui suppose un état d’arrestation imminent, dix jours de délai sont accordés.
16Les trois filles séculières de Martigné-Briand n’ont pas à se prononcer, elles ont été destituées depuis le 7 octobre 1792. Vingt et une Servantes des Pauvres de la Providence de Saumur avec leur supérieure prêtent serment pour précisément continuer le service des pauvres, sept refusent, la supérieure les inscrit sur le registre des pensionnaires de l’hospice, elles n’ont plus rien à craindre. Un tiers des Augustines jure, les quatre hospitalières de Candé refusent et démissionnent. À Angers, trois Filles de la Charité sur trente acceptent le serment, les soeurs de l’hôpital général et des Incurables le refusent. Quarante pour cent des moniales et des religieuses appartenant aux instituts issus de la Contre-Réforme prêtent serment, surtout pour la pension. Ces religieuses se cachent, elles connaissent la peur des visites domiciliaires qui ont pour but de découvrir précisément les religieuses insermentées, correspondant avec les prêtres réfractaires.
17À partir du 27 mars 1793, la Convention confie le soin aux tribunaux ordinaires de juger "révolutionnairement". De nouveaux délits politiques sont définis, en particulier tout acte qui porterait atteinte à la légitimité, et à l’unité du gouvernement républicain. Le code pénal de 1791 est largement dépassé, une législation révolutionnaire d’exception, concernant essentiellement les crimes politiques et contre-révolutionnaires, est mise en place. La commission militaire d’Angers sera responsable de l’emprisonnement, de la mise à mort, et de la déportation de plus d’une centaine de religieuses.
18Quatre femmes consacrées sont comptées parmi les 99 martyrs d’Avrillé béatifiés le 19 février 1984. Une d’entre elles était Bénédictine du Calvaire à Angers. Mère Rosalie Céleste du Verdier de la Sorinière, à sa sortie forcée du couvent, se rend au Longeron chez sa belle-soeur veuve, marquise de la Sorinière, vivant avec ses deux filles. Pour fuir les troupes républicaines, au début d’octobre 1793, les dames de la Sorinière séjournent huit jours dans une de leurs fermes de La Romagne. Elles suivent l’armée vendéenne après son échec jusqu’à Saint Florent-le-Vieil, ne traversent pas la Loire, et rentrent au Longeron deux semaines plus tard. Elles sont dénoncées, arrêtées le dimanche 19 janvier 1794 avec leur domestique, et emmenées à Mortagne. Le lendemain on les traîne à Cholet, Mère Rosalie Céleste fait face au premier interrogatoire mené par Cambon. On voudrait l’accuser de correspondre avec les émigrés, on veut l’accuser d’avoir suivi l’armée catholique et royale, mais elle n’a pas passé la Loire, on l’accusera d’avoir assisté à la messe des prêtres réfractaires, et d’avoir fait de la propagande pour le rétablissement de la royauté. On prouve son refus d’adhérer à l’Église constitutionnelle. Celui qui mène l’interrogatoire est persuadé d’être en présence d’une contre-révolutionnaire car il écrit : "Cette fille, ci-devant noble, est entrée dans le pays quatre ou cinq mois avant l’insurrection en quittant Angers ce qui fait présumer quelle ne l’ignorait pas, elle ne l’a quitté que lorsque les républicains sont entrés." Mère Rosalie Céleste déclarée coupable est envoyée devant la commission militaire d’Angers le 23 janvier où elle est interrogée par le président Félix. Elle signe son arrêt de mort quand elle avoue sa présence à la messe des prêtres insermentés du Longeron. La lettre "G" est inscrite en marge des motifs de la condamnation20. On en veut davantage à sa condition d’aristocrate, au fait d’avoir suivi les brigands de Vendée, et d’avoir eu commerce avec les réfractaires, qu’à son état de religieuse. Elle est guillotinée le 27 janvier à quatre heures du soir place du Ralliement à Angers.
19Elle n’est pas martyre, mais elle meurt aussi guillotinée Marguerite de Gresseau, Bénédictine du Ronceray. Elle suit son abbesse au départ des Vendéens d’Angers en juin 1793, marche avec l’armée catholique et royale, passe la Loire, va à Granville, Laval et autres lieux. Arrêtée à La Flèche, elle est le 2 janvier 1794 à Angers, condamnée à mort et guillotinée le jour même. Les motifs de la condamnation reposent sur le fait d’avoir suivi "les brigands", la condition de religieuse n’est pas mentionnée. Renée-Jeanne Besnard du Percher hospitalière à Doué-la-Fontaine est une très mauvaise citoyenne, elle parcourt les rues en criant : "Vive le roi, la reine, le dauphin". Elle dit être saine d’esprit, son comportement lui vaudra la mort par la guillotine le 9 novembre 1793.
20Quatre religieuses ont été guillotinées, sept autres seront fusillées pour le seul motif du refus de serment. Les deux Filles de la Charité fusillées le 1er février 1794 à Avrillé, et reconnues martyres, ont fait face à un terrible interrogatoire mené par Vacheron et Brémaud. Un témoin oculaire raconte : "On demande à la soeur Marie-Anne, d’où es-tu ? Pourquoi es-tu là ? – Je n’en sais rien dit-elle si ce n’est d’avoir refusé de faire le serment. Pourquoi n’as-tu pas voulu le faire ? – Ma conscience ne me le permet pas. J’ai fait le sacrifice de quitter mes parents dès le bas âge pour venir au service des pauvres ; j’ai fait le sacrifice de quitter mon uniforme, et même celui de porter la cocarde nationale". À cette dernière phrase Vacheron s’emporta d’une manière de furie qui fit perdre la tête à cette soeur ; elle ne put que lui répondre : " – vous ferez de moi ce que vous voudrez". De nouveau sa violence recommença et il lui fit ôter la cocarde nationale par un gendarme et lui dit : "tu ne sais donc pas que l’on punit de mort les réfractaires à la loi ? Elle fit la même réponse"21. L’enlèvement de la cocarde est très symbolique, la religieuse est déchue de la citoyenneté.
21 Le deuxième trimestre 1794 détruit totalement les lambeaux de communautés qui tentaient de survivre. Condamnations à mort, déportation sont prononcées, le paroxysme de la persécution est atteint. Les 19 Filles de la Charité arrêtées le 10 mars 1794 sont internées dans la maison des Pénitentes, et au monastère du Calvaire. Au total 32 religieuses attendent la mort dans des prisons surpeuplées. Les 22 Hospitalières de Saint Joseph à Beaufort, sont arrêtées le mardi saint 15 avril 1794, et conduites au séminaire d’Angers. C’est à Angers que la grande rafle des religieuses s’organise le 13 avril fête des Rameaux. Les portes de la ville restent fermées, les logements investis. Ces pauvres femmes s’attendaient à leur arrestation, "leur petit paquet était fait depuis quelques semaines"22. Quarante et une soeurs insermentées sont présentées à l’église des Jacobins les lundi et mardi de Pâques pour interrogatoire et jugement. Toutes les religieuses rejettent le serment, la condamnation est prononcée : les détenues seront déportées à perpétuité hors du territoire français23. Le Code Pénal de 1791 où seuls les hommes récidivistes étaient déportés est oublié !
22Elles étaient 109 prisonnières, elles seront 97 déportées, (les condamnées à mort deviennent des bannies comme les autres), sept soeurs meurent dans les prisons, trois malades restent, deux sont oubliées. Le jour de la Saint Jean, à sept heures du matin, les proscrites sont attachées deux à deux et embarquées au port Ligny. Le 27 juin, elles sont à Nantes, le 3 juillet à Muzillac, le 4 à Vannes, le 6 à Hennebont. Toutes les populations les acclament, leur apportant nourriture et objets de piété. Les religieuses bretonnes ont été mieux traitées qu’elles. Elles arrivent à la grande Cayenne de Lorient après treize jours d’une voyage épuisant. Elles y séjourneront, en attendant le bateau pour Madagascar, placées sous la surveillance des officiers maritimes puisque jugées par une commission militaire. L’un d’eux se permet cette réflexion : "Des religieuses jugées et condamnées par la commission militaire pour leur seule opinion religieuse, n’est-ce pas aussi absurde que si des militaires étaient jugés et condamnés par un capucin pour des opinions militaires ?"24. Respectées, correctement logées et nourries, elles savent se rendre indispensables en s’occupant des malades parmi les détenus de droit commun. Le 25 juillet arrive l’ordre de les embarquer, les officiers refusent prétextant leur utilité, la mort de Robespierre les délivre.
23Persécution et résistance des femmes consacrées vont de pair. Il y a résistance car il y a persécution et réciproquement. Les religieuses ont été de mauvaises citoyennes. N’ayant pas prêté serment, elles se placent hors de la société, elles n’ont pas de certificat de civisme et de résidence, et sont accusées de tous les crimes. Elles ont ébranlé la fidélité des citoyens envers la Nation française, elles ont côtoyé les révoltés et les insoumis, Vendéens et réfractaires. Ainsi, elles ont conspiré contre la sûreté extérieure et intérieure de l’État, et contre la constitution. Enfin elles ont commis les crimes des fonctionnaires publics dans l’exercice des pouvoirs qui leur étaient confiés dans les écoles et les hôpitaux. Elles ont transgressé les lois de 1791, mais elles n’ont pas été jugées par les tribunaux appliquant les peines contenues dans le Code Pénal, elles n’auraient été ni déportées, ni condamnées à mort.
24Les religieuses de l’Anjou ont été victimes des commissions militaires appliquant les lois de la Terreur. Les juges et bourreaux de 1793 et 1794 connaissaient parfaitement le Code Pénal de 1791 et ils relèvent les infractions faites par les religieuses dans les minutes des jugements. Cependant le refus de serment est presque toujours l’unique crime et la cause de la condamnation. Les religieuses de l’Anjou "désiraient vivre et mourir dans leur État", à sa manière à elle, la Terreur le leur a permis.
Notes de bas de page
1 Nous avons consulté l’édition imprimée à Nantes le 10 janvier 1792 sur les presses de A.J. Malassis, imprimeur-libraire du département de la Loire-Inférieure.
2 Les Hospitalières de Saint Joseph, les Filles de la charité, les Servantes des Pauvres de la Providence de Saumur.
3 Archives Départementales de Maine-et-Loire 1Q639 (13Q62).
4 Archives des Filles du Coeur de Marie à Baugé.
5 Les religieuses auront souvent recours à la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen" pour se justifier.
6 Op. cit. note 4. Egalement formulé dans le code pénal de 1791.
7 Op. cit. note 4 et 6.
8 Archives départementales de Maine-et-Loire 1L380.
9 Archives Départementales de Saumur P1239 "Plaintes contre les religieuses".
10 Archives de Maine-et-Loire 1L380.
11 Ibidem.
12 Code Pénal 1791, 4e section, titre I.
13 Code Pénal 1791, 5e section, titre I.
14 Ibid.
15 Archives Départementales de Maine-et-Loire 1L975.
16 Op. cit. note 9.
17 Ibidem.
18 Archives départementales de Maine-et-Loire 1L18.
19 Archives départementales de Maine-et-Loire 1L38.
20 Condamnation de Rosalie de la Sorinière : "1) Avoir eu des intelligences avec les brigands de la Vendée ; 2) Avoir servi leurs projets liberticides en restant constamment dans les pays qu’ils avaient envahis : et par sa présence, avoir excité et maintenu leur révolte ; soit par ses conseils ; écrits ou facultés pécuniaires ; 3) Avoir secondé les efforts du fanatisme et de la guerre civile qui a éclaté dans la Vendée en assistant exactement aux offices contre-révolutionnaires que les scélérats de prêtres y chantaient, sous l’étendard sanglant de la tyrannie ; 4) Avoir provoqué au rétablissement de la Royauté et à la destruction de la République . Archives départementales de Maine-et-Loire 81L13.
21 Déposition imprimée dans l’adresse envoyée par la société populaire d’Angers à la Convention le 25 novembre 1794 contre les membres de la commission militaire et du premier comité révolutionnaire d’Angers.
22 Journal de Mère Moutardeau. Anjou Historique, tome XII p. 15.
23 Jugement du 2 Floréal an II (21 avril 1794). "Considérant que par leur opiniâtreté a refuser de prêter le serment d’égalité et de liberté et l’authenticité qu’elles ont donnée ce refus formel. Elles se sont rendues indignes d’habiter le sol de la liberté. 1° Considérant qu’il résulte de leurs aveux et qu’il est de notoriété publique quelles ont toujours manifesté des sentiments fanatiques qui caractérisent l’incivisme le plus frappant. 2° Considérant encore qu’il résulte également de leurs aveux qu’elles préféraient la mort à l’obéissance à la loi du serment et au dévouement que tout français doit à la République30 Considérant enfin que leur présence sur le territoire de la République serait un sujet de troubles et d’agitation qui pourrait entraîner avec elle des malheurs incalculables en causant la perte de bons mais faibles citoyens qui pourraient suivre leurs exemples dangereux. En exécution de la loi du 7 juin 1793 sur la peine de la déportation portant La commission militaire les condamne à la déportation perpétuelle". Archives départementales de Maine-et-Loire 81L6.
24 Ibidem.
Auteur
Docteur en Histoire
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