Considérations historiques sur l’unification du droit Européen
p. 485-498
Texte intégral
1 Ma communication sera divisée en deux parties, consacrées respectivement au droit privé et au droit constitutionnel.
I – L’unification du droit privé.
2Les mots « considérations historiques » dans le titre de ma communication se rapportent au passé, mais l’unification du droit européen appartient à l’avenir plus ou moins lointain. Je me sens donc un peu comme l’ancien roi romain Janus, qui fut doué par le dieu Saturne d’une sagacité si merveilleuse que l’avenir aussi bien que le passé étaient présents à ses yeux. Cette double faculté l’a fait représenter, comme il est bien connu, avec deux visages dans son temple romain.
3En effet, je ne m’intéresse pas seulement aux siècles passés, mon propre terrain d’historien, mais aussi à l’avenir de l’Europe et de son droit, ce qui me préoccupe comme citoyen du vieux monde. Nous savons d’ailleurs que le passé et l’avenir forment un processus continu, ou, comme l’a dit Marguerite Yourcenar, poétesse aussi bien que romancière : « nos ancêtres sont déjà ce que nous sommes »1.
4Quand je parle du droit européen, je ne pense pas aux règles de droit promulguées par les autorités de l’Union Européenne et appliquées par la Cour de Justice de Luxembourg et qui ne constituent qu’un système restreint, qu’on appelle Europarecht en allemand, par contraste avec europäisches Recht. Ce qui m’occupe ici c’est le champ beaucoup plus vaste du droit privé classique (droit civil et procédure civile), c’est-à-dire le droit des biens, des personnes et des obligations ; quant à la procédure, l’unification a fait de bons progrès grâce aux Draft rules on civil procedure, rédigés par une commission européenne fondée en 1984 et dirigée par mon collègue gantois, le professeur Marcel Storme.
5C’est le 26 mai 1989 que le Parlement européen a voté une résolution historique invitant les États membres et les institutions européennes à entamer les travaux préparatoires menant à la rédaction d’un code commun de droit privé européen. Cette option politique mettait la science juridique devant une tâche herculéenne, dont les chances de succès font l’objet en ce moment même d’un débat vigoureux.
6Il était clair, dès le début, qu’il ny aurait pas d’obstacle insurmontable en ce qui concerne le droit des pays continentaux. La France, l’Allemagne, l’Italie et d’autres encore appartiennent à ce que René David a appelé la famille romano-germanique, consistant de droit romain savant et de droit coutumier d’origine germanique et féodale. Les proportions des ingrédients diffèrent – et le Bürgerliches Gesetzbuch est paradoxalement plus romain que le Code civil français – mais ils parlent fondamentalement la même langue, qui est le produit de l’ancien jus commune, le droit savant à base de droit romain qui était le droit commun de tous les juristes du continent européen2. La création – une sorte de renaissance – d’un droit romano-européen du vingt-et-unième siècle, dont rêvent certains juristes à notre époque, est une proposition plausible3.
7Il y a toutefois sur cette route un obstacle – et il est de taille – c’est évidemment le common law anglais4. Ce vénérable fruit de l’histoire anglaise n’appartient nullement à la famille romano-germanique, puisqu’il est aussi ignorant du droit romain que les droits continentaux sont imprégnés de ce célèbre héritage de l’Antiquité. Comment donc l’Angleterre (je ne parle pas de l’Ecosse) peut elle participer à l’unification du droit européen ? Le problème est grave, puisque nous ne nous trouvons pas en face de quelques aspects techniques ou de telle ou telle confusion terminologique qui se résout aisément, mais d’une divergence fondamentale dans l’envisagement même du droit et d’un raisonnement basé sur un système non-codifié et sur des milliers de précédents (judge made case law). L’abîme est si profond que la possibilité même de trouver un terrain commun est mise en doute par le monde savant. Il existe, en effet, deux écoles opposées que j’aimerais présenter au lecteur (tout en m’excusant de cette simplification) et que j’appellerai les optimistes et les pessimistes.
8Le chef de file des optimistes est sans doute le professeur Reinhard Zimmermann qui, après avoir enseigné à Regensburg, est devenu directeur du Max-Planck-Institut de droit comparé à Hambourg. Après avoir étudié à fond le code civil allemand basé sur le droit romain, il a travaillé en Afrique du Sud où il s’est familiarisé avec le common law. Il a publié nombre de livres et d’articles de haute qualité, notamment sur le droit des obligations5, qui révèlent une connaissance approfondie du common law autant que du civil law. Un de ses articles, qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, est intitulé « Le caractère européen du droit anglais », paru en 1993, où il a montré avec conviction que les juristes anglais se sont familiarisés au cours des siècles, en commençant avec Bracton, avec l’érudition continentale, qu’ils tenaient en haute estime6. Il est indubitable que des savants anglais étaient à la hauteur de la doctrine du jus commune. Deux mises en garde sont toutefois indiquées. En effet, tandis que l’Angleterre suivait avec intérêt ce qui se passait sur le Continent, l’inverse n’était pas le cas : les juristes du jus commune ignoraient totalement ce qui se passait dans les rangs des common lawyers, leur droit étant aux yeux des continentaux une anomalie bizarre. Il faut aussi se rendre compte que l’approche anglaise constituait un intérêt de savants pour des doctrines savantes, plutôt que d’une connaissance de la jurisprudence continentale de la part des praticiens anglais.
9Le chef de file des pessimistes est sans doute le professeur Pierre Legrand, qui après avoir enseigné à Tilburg, dans les Pays-Bas, est actuellement professeur à Paris. Il est un Canadien qui s’est familiarisé dans son pays d’origine aussi bien avec le droit des francophones, avec ses racines historiques françaises, qu’avec le common law de ses compatriotes anglophones. Il était donc bien placé pour sonder la profondeur de l’abîme qui sépare les deux systèmes. Il en a tiré la conclusion que les différences sont fondamentales au point d’être insurmontables. Dans un article paru en 1996 sous le titre « Les systèmes juridiques européens ne convergent pas », il est arrivé à la conclusion que lesdits systèmes « en dépit de leur proximité dans la Communauté européenne, n’ont pas convergé, ne sont pas en train de converger et ne convergeront pas »7. Et l’auteur d’ajouter : « Une telle convergence, même si elle était désirable (ce qu’à mes yeux elle n’est pas) est impossible parce que les différences entre les mentalités du Common law et du Civil law sont irréductibles au niveau épistémologique » (p. 62). Et de conclure que « la mentalité du common law n’est non seulement différente, mais irréductiblement différente de la mentalité du civil law telle qu’on la trouve sur le Continent européen » (p. 63).
10La tension entre le désir d’unification et la diversité existante est analysée par Heinz Mohnhaupt, qui souligne les différences culturelles en Europe et leur effet sur les systèmes juridiques. Il croit néanmoins en la coexistence entre une science juridique commune et la multiplicité des normes juridiques. Il attire l’attention sur le fait que le recul du latin et du ius commune a causé la perte d’un ancien moyen de communication8.
11Réfléchissant sur tous ces arguments, j’ai essayé de me former une opinion personnelle, que je donne pour ce qu’elle vaut. À première vue, je me sentais pessimiste. C’était surtout le cas quand j’écoutais des juristes de la pratique qui étaient aux prises avec la diversité internationale des règles de l’assurance et aussi quand je pensais à ce que sont advenus les plans pour l’unification du droit civil des trois pays du Benelux. Une commission d’experts fut nommée après la Deuxième Guerre mondiale pour rédiger un projet et durant les dernières cinquante années d’éminents juristes se sont régulièrement rencontrés pour mener des discussions intéressantes mais hélas stériles, car, comme vous le savez, le royaume des Pays-Bas vient de promulguer un nouveau code de droit civil, qui est exclusivement néerlandais. Si donc la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg ne parviennent pas à unifier leur droit, quel espoir peut-on avoir pour l’Europe ? Par moments, j’étais près de désespoir et je me demandais, avec Christian Joerges, si un code civil européen « ne dépassait pas la capacité d’étude et l’imagination productive des juristes concernés »9.
12Mais par contre, ce n’est pas parce que trois petits pays voisins ont échoué que l’Union Européenne est vouée à l’échec. La volonté politique qui soutient le plan européen est d’un autre ordre que la source d’inspiration pour les agréables rencontres de quelques juristes éminents sur les rives de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin. En effet, m’appuyant sur des considérations juridiques aussi bien qu’historiques, j’aperçois de solides raisons d’être optimiste.
13Parlant comme juriste, je remarque que le common law classique, si cher aux juges conservateurs, a subi à partir des années soixante du siècle passé, un certain nombre de modernisations qui l’ont approché du modèle continental, dont voici un ou deux exemples. L’ancienne règle d’exclusion (rule of exclusion) a pratiquement été abandonnée. En effet, tandis qu’auparavant – et ce depuis le dix-huitième siècle – il était inadmissible qu’un juge cherchât à découvrir l’intention du législateur, en usant des débats parlementaires et d’autres matériaux « politiques », à présent cette pratique est généralement appliquée et acceptée officiellement. Les juges continentaux ont depuis longtemps eu recours aux textes pertinents afin de découvrir, en cas d’interprétation douteuse, ce qu’avait été l’intention du législateur. Les juges anglais, par contre, s’en tenaient traditionnellement à la lettre de la loi (Act of Parliament) et l’interprétaient selon leurs propres règles très strictes, se méfiant de toute autre source parlementaire, de peur d’être entrainés dans le maelström des luttes politiques et ne croyant pas qu’il fût possible de découvrir l’intention précise du législateur. Ils se demandaient, en effet, qui pourrait réellement dévoiler les considérations et calculs, obscurs ou même contradictoires, des 400 ou 500 députés qui avaient voté la loi en question10.
14Mon deuxième exemple concerne l’atténuation de l’ancienne règle du stare decisis, qui à la fin du XIXe siècle avait atteint un paroxysme extraordinaire et intenable lorsque la Chambre des Lords se déclarait liée par ses propres précédents (déclaration révoquée en 1966).
15La facilité avec laquelle le common law s’adapte aux valeurs nouvelles m’a été révélée – si on me permet une brève digression dans le domaine de la procédure criminelle – en 1985, quand j’ai assisté à un débat à la Chambre des Lords sur l’introduction de l’appel a minima, c’est-à-dire l’appel par le ministère public (Crown Prosecution) contre une condamnation jugée trop légère. Plusieurs lords rejetaient cette innovation, introduite par la Chambre des Communes, parce qu’elle était contraire à un principe ancien et sacré du common law. La House of Commons passa outre, la nouvelle procédure devenait loi et fut acceptée aisément par l’opinion publique et le monde juridique.
16Un facteur important dans le rapprochement entre le common law et le droit continental pourrait être ce qu’on appelle la Verwissenschaftlichung du droit anglais, c’est-à-dire le progrès de l’élément académique, savant et théorique dans l’étude et l’application des normes juridiques11. Les juristes continentaux, qui depuis plusieurs siècles ont obtenu leurs diplômes dans les facultés de droit et leurs universités et qui ont consulté couramment les grands commentateurs professoraux comme Savigny, Windscheid, Geny, Planiol et Laurent, sont frappés d’incroyance lorsqu’ils découvrent qu’aussi tard que le milieu du XIXe siècle l’Angleterre ne connaissait ni des facultés de droit ni un enseignement du common law dans des universités ou d’autres institutions d’enseignement supérieur. Juges et avocats en herbe acquéraient les rudiments de leur profession dans la pratique et par le biais d’un apprentissage et nullement à travers une analyse théorique apprise ad pedes magistri et en écoutant son explication ex cathedra du Corpus Juris ou du Code civil. Cette situation a changé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, mais c’est seulement après la Deuxième Guerre mondiale que l’état de choses actuel s’est établi, où les futurs juges et avocats obtiennent presque invariablement – même s’il n’existe aucune obligation légale – un diplôme en droit auprès d’une université. Il s’ensuivait que pendant des siècles l’impact des professeurs de droit était négligeable, surtout si on le compare au prestige dont jouissaient les juges.12 Cette situation évoluera nécéssairement à mesure qu’une génération de juristes s’élève qui ont obtenu des diplômes en droit et qui ont été instruits par des juristes savants, qui enseignent dans les facultés de droit. Il s’ensuivra, je présume, que les mentalités se ressembleront de plus en plus des deux côtés de la Manche13.
17Le mouvement anglais dans la direction du Continent n’est nullement en sens unique. En effet, la jurisprudence (case law), considérée jadis comme le droit définissant du common law, a acquis une importance énorme sur le Continent. On n’a qu’à regarder la masse de case law produite par l’application et l’interprétation des fameux articles 1382 et suivants du Code civil pour s’en convaincre. C’est une jurisprudence volumineuse qui est tout à fait comparable aux centaines de cases qui forment le droit anglais du tort.
18Pareillement les juristes continentaux s’intéressent de plus en plus au trust, une des constructions les plus anciennes et typiques du common law14. Et tandis que l’Angleterre s’éloigne de la liberté absolue du testateur et tend à protéger les droits des enfants15, certains juristes continentaux, et notamment la Fédération des notaires belges, mettent en question la réserve légale du Code civil (art. 913 suiv.). Tout récemment, lors de la rédaction du nouveau code civil néerlandais, des voix se sont élevées – mais sans succès – en faveur de l’abolition pure et simple de la réserve légale.
19N’oublions d’ailleurs pas que la condification a fait des progrès considérables dans le droit anglais soi-disant non-codifié : plusieurs domaines du droit civil ont fait l’objet de codifications partielles sous la forme d’Acts of Parliament compréhensifs. Je pense au Sale of Goods Act (vente des biens) (1893), le Married Women’s Property Act (1882) et le Marriage Act (1949) (concernant le mariage et le régime des biens) et d’autres datant de 1938, 1925, 1989 et 1969 concernant le droit des successions, les biens immeubles et le divorce, qui sont comparables aux grandes ordonnances de Louis XIV et Louis XV en France. La Law Commissions Act de 1965 a établi deux commissions – l’une pour l’Angleterre et le Pays de Galles et l’autre pour l’Ecosse – afin de « réviser le droit en vue de son développement systématique et sa réforme, plus particulièrement sa codification et sa modernisation »16.
20Le droit européen futur, étant une synthèse de civil law et de common law, peut être considéré comme un « système mixte ». Le phénomène n’est pas nouveau, car certaines régions ont déjà expérimenté ce genre de système de droit. C’est notamment le cas de l’Afrique du Sud et de l’Ecosse, dont le droit a été déduit comme « un exemple particulier de symbiose de droit anglais et de droit continental »17, tandis que le droit sud-africain est le résultat d’une symbiose du droit romano-hollandais et du common law anglais18. Je vois une autre raison d’optimisme dans le fait que les juristes ont déjà travaillé dur pour préparer le terrain d’un droit commun européen futur. Je me borne ici à quelques brèves références. Il y a les Principles of European Contract Law, le fruit de la « Commission Lando », qui a travaillé entre 1982 et 1990, le « Projet de Trente » d’un Code commun de droit privé européen, entamé en 1994, la Commission von Bar sur un Code civil européen, fondée en 1998, le projet UNIDROIT, qui envisage un terrain global, et plusieurs autres19.
21Mais il est temps de me transformer en historien et d’expliquer pourquoi, à long terme, j’aperçois des raisons d’optimisme. En tant qu’historien, je sais très bien que l’homme a réalisé certains plans et rêves qui à première vue semblaient utopiques, aussi vains et absurdes qu’une fois réalisés ils semblaient évidents et longtemps attendus. L’historia magistra vitae est pleine d’exemples et je me limiterai à un seul cas. Je veux parler d’une dramatique réalisation du XIXe siècle : l’unification de l’Allemagne et de son droit civil. Lorsqu’au début du XIXe siècle le peuple allemand se mit à parler et à rêver d’une patrie unifiée, d’un État-nation classique à l’instar de la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne et doté d’un système juridique commun, ce n’était qu’un mirage. L’Allemagne du XIXe siècle était une mosaïque d’un empire (si on compte l’Autriche comme faisant partie de la nation allemande), de cinq royaumes (Prusse, Saxe, Württemberg, Bavière, Hanovre) et d’une poussière de principautés et de villes libres. Cette situation politique entraînait une multiplicité de régimes juridiques, avec des racines dans les coutumes médiévales, les codes prussien et autrichien datant de l’époque des Lumières, le droit du Sachsenspiegel (qui devait mener au cours du XIXe siècle à un code civil pour le royaume de Saxe), le code civil français de 1804 qui était en vigueur dans les pays rhénans et, last but not least, le droit savant des professeurs – le jus commune ou Pandektenrecht – qui culminait dans les ouvrages de Bernard Windscheid. Qu’on puisse jamais amalgamer ce fatras, le résultat de forces centrifuges séculaires, en un système unique, s’étendant du Rhin au Memel était, à vrai dire, inimaginable. Et pourtant c’est exactement ce qui est arrivé. En 1871 l’Empire allemand fut fondé – le roi de Prusse étant proclamé empereur allemand – et en 1900, la dernière année du siècle, le Bürgerliches Gesetzbuch entrait en vigueur dans tout l’Empire. Sans entrer dans le détail des discussions savantes et du débat au Reichstag qui ont précédé le vote final de 189620, j’aimerais poser la question ce que c’est qui a rendu cet étonnant succès possible.
22Les conditions permettant l’unification juridique étaient l’unité nationale et la nécessité économique. Les divisions internes avaient condamné la nation allemande à une impotence sans dignité, des pertes territoriales et des occupations étrangères (sous Louis XIV et Napoléon). Le morcellement économique, les barrières douanières internes et la diversité monétaire bloquaient le chemin de la prospérité et d’une expansion digne des possibilités de l’âge industriel. Mais la nécessité n’est pas automatiquement couronnée de succès. Il fallait en outre que l’unification ne fût ni trop radicale ni trop destructive pour les institutions et sensibilités existantes. En effet, en 1871 on n’a pas créé un État unitaire construit sur les ruines des royaumes et principautés abolis. Il n’y avait pas eu de révolution et aucune tête couronnée n’était tombée. Les cinq royaumes restaient en place, avec leurs dynasties traditionnelles, mais ils furent coiffés d’institutions supranationales, avec un empereur, un gouvernement central, un parlement national et une monnaie commune : situation comparable dans une certaine mesure à ce qui se passe en Europe aujourd’hui21.
23Et l’unification du droit allemand comment s’est-elle faite ? La volonté politique et la nécessité économique étaient les forces motrices, mais qu’en était-il des obstacles techniques ? Il y avait évidemment un substrat commun de coutumes germaniques et de doctrine romaine, comme partout sur le continent européen. Ce qui était plus important toutefois c’était le rôle éminent depuis le XVIe siècle dans toute l’Allemagne du jus commune savant, qui en 1495 était déclaré le droit commun allemand (la Rezeption) et était un facteur d’unification, d’abord sous la forme du usus modernus pandectarum et ensuite, au XIXe siècle, comme le Pandektenrecht des professeurs, que j’ai déjà mentionné. C’est ce dernier qui est devenu la pièce maîtresse du Bürgerliches Gesetzbuch, tout comme un nouveau jus commune pourrait un jour devenir l’ingrédient dominant d’un futur code européen.
24Comment ce nouveau code pourrait-il se présenter ? Il n’est pas difficile de deviner qu’il y aura un substrat de doctrine romaine, cette alma mater de la science européenne depuis plus de deux mille ans. Le code préférera des principes généraux (du type de l’article 1382 du Code civil) au traitement détaillé (comme le code prussien de la fin du 18e siècle) et il laissera le champ libre aux variantes nationales, où le common law et le civil law sont par trop divergents (comme c’est déjà le cas dans le code européen de procédure civile). Il serait amusant si la procédure commune devenait le pionnier du droit civil, tout comme au XIIe siècle la procédure des brefs royaux était la source du common law, qui selon la phrase de Henry Maine était « du droit substantif... sécrété dans les interstices de la procédure »22. Les Européens pourraient trouver une source d’inspiration dans la vaste entreprise connue comme le Restatement of the Law, où les juristes américains ont formulé les traits communs du droit des États-Unis. Les résultats de leurs travaux constituent une sorte de droit commun américain et ont été promulgués comme lois par plusieurs états. Le lecteur se souviendra aussi du Uniform Commercial Code américain de 1964.
25Que les droits anglais et continental s’accordent mal est un fait bien établi. Les origines de cette diversité sont par contre très discutées. L’Angleterre et le Continent ont tous les fondements de la culture européenne en commun. Le christianisme, l’Antiquité gréco-romaine, le catholicisme et le protestantisme, l’architecture, les arts, la science moderne, les Lumières, le constitutionalisme et le parlementarisme font intégralement partie de leur héritage commun. Ils ont le même A.D.N. Le droit seul échappe à cette règle. Il s’agit d’un état de choses très ancien et d’une déviation du modèle occidental commun qui demande une explication. Certains s’imaginent, assez naturellement, que c’est le Volksgeist qui détient la clef du secret : le droit anglais est si différent parce que le caractère anglais est distinct. Il était normal que la nation anglaise ait produit, comme l’expression de son génie propre, un système juridique correspondant à son caractère spécifique. Cette explication me semble toutefois assez simpliste et le Volksgeist ressemble plutôt à un fantôme qu’à une réalité, étant un instrument d’explication vague et franchement inutile et qu’on a appelé « un postulat au mieux romantique et au pire métaphysique » et même « le chapeau du prestidigitateur dont on peut retirer tout ce qu’on y a mis auparavant »23. De nos jours, nous préférons mettre l’accent sur les circonstances concrètes et précises qui ont entraîné la naissance du common law. Ce faisant, on découvre tout d’abord que celui-ci a, pendant des siècles, été un droit foncier et plus précisement un droit féodal. Or la féodalité n’était pas un produit indigène du sol anglais, mais une importation du Continent, introduite par Guillaume le Conquérant et son armée normande.
26Nous notons ensuite que la naissance du common law peut être datée avec précision du règne du roi Henri II (1154-1189), créateur des cours royales qui administraient un ensemble de normes nouvelles, commun à tout le pays et à base d’une procédure fonctionnant avec les brefs royaux et le jury. Sa grande innovation conduisant à la modernisation du droit a été effectuée deux ou trois générations avant que les monarchies continentales prennent, elles aussi, le chemin d’un droit évolué, en abandonnant les techniques archaïques du « premier âge féodal ». C’est à ce moment que le droit romain entre en scène. Au XIIe siècle les universités, sous l’égide de Bologne, ont découvert la grande compilation de Justinien et ont pris le Corpus Juris comme base de recherche et d’enseignement. Ce droit néo-romain des savants a lentement pénétré la pratique des cours de justice en commençant par celles de l’Église, et a conduit au cours des siècles au droit de la famille romano-germanique. C’est ici que l’importance de la chronologie saute aux yeux. La modernisation d’inspiration romaine n’a pas affecté les cours de justice continentales avant le XIIIe siècle, à une époque où les cours royales de Henri II et leur common law avaient déjà pris racine et étaient établis solidement. L’Angleterre avait entamé sa modernisation sans l’apport du droit romain tout en se détournant de ses anciennes coutumes locales. La conclusion inéluctable, c’est que la naissance du common law résultait d’un accident de chronologie. Si la modernisation du roi Henri II était arrivée deux ou trois générations plus tard, elle aurait probablement suivi le modèle romain comme en France au XIIIe siècle24.
27Nos observations sur ses origines lointaines ne diminuent en rien le caractère distinctement anglais du common law, qui est devenu au cours des siècles l’orgueil des Anglais et le fondement de leurs fortunes. Est-ce à dire que l’abandon du common law signifierait la perte d’un élément essentiel de l’identité anglaise (comme l’abandon de la livre sterling pour l’euro signifierait la perte de la souveraineté nationale) ? C’est une question qui mérite qu’on s’y attarde. Qu’est ce que l’histoire nous apprend au sujet du droit et du caractère national ? Elle montre que les legal transplants ne nuisent nullement aux réussites de l’histoire nationale : un système juridique étranger peut être absorbé à cause de sa qualité intrinsèque sans dommager la vie de la nation.
28Qu’il me soit permis de présenter un exemple qui confirme ma thèse. Le droit romain classique, comme il est présenté dans le Corpus Juris, résultait des efforts d’une galaxie cosmopolitaine de juristes, dont seulement un petit nombre étaient Romains de naissance, la grande majorité étant originaires de régions excentriques de l’Empire. Son aboutissement, le Corpus Juris, n’a pas du tout été rédigé à Rome, mais à Constantinople, dans une ambiance grecque et non romaine. En passant par les écoles médiévales, cette compilation byzantine est devenue, à la fin du Moyen Âge, le droit national de l’Allemagne, remplaçant les coutumes anciennes, considérées archaïques. Dans cette quatrième demeure le jus commune et son successeur le « droit des Pandectes » ont produit le code allemand de 1900. Mais ce n’était pas encore la fin de l’histoire, car le Japon de la Révolution Meiji a repris le dit code allemand comme le droit adapté à ses ambitions de modernité, de sorte que ce droit romano-byzantino-allemand trouvait sa cinquième demeure au pays du soleil levant.
29Il est clair que les legal transplants ne sont pas un problème insurmontable et qu’un droit européen nouveau pourrait naturellement devenir le droit d’une nouvelle Europe réunie. Il est toutefois indiqué de considérer cette situation dans la lumière du débat courant sur le globalisme et le nationalisme25. L’internationalisme est une attitude positive, puisqu’elle est basée sur notre humanité commune ainsi que sur la technologie et l’économie globales qui déterminent notre vie de tous les jours. Mais la fraternité universelle n’exclut ni le nationalisme ni le régionalisme. Si nous appartenons à l’humanité entière, nous conduisons également notre vie quotidienne dans le contact immédiat avec nos compatriotes qui partagent nos racines historiques et culturelles. Le sentiment national est une valeur naturelle et positive aussi longtemps qu’il ne soit pas un obstacle aux constructions politiques et juridiques qui surmontent nos anciennes divisions : on pourrait citer Edmund Burke qui encourageait les Anglais « à être patriotes sans toutefois oublier d’être des gentlemen ».
II – L’unification du droit constitutionnel.
30L’Europe connaît un passé commun tellement riche qu’il « apparaît que la Providence avait décidé qu’un héritage si propre et convenable pour une bande de frères... ne devait jamais éclater en une quantité de souverainetés asociales, jalouses et étrangères l’une à l’autre ». Il nous appartient dès lors de convaincre nos concitoyens européens que dans une future constitution fédérale « ils n’abandonneraient nullement la souveraineté de leurs États et ne compromettraient aucune de leurs libertés politiques mais, qu’au contraire, ils les garderaient en sauvant leurs nations de l’anarchie », qu’ils ont connue au cours de deux guerres mondiales. Le lecteur sera étonné d’apprendre que les phrases que je viens de citer entre guillemets et qui se rapportent si bien à l’Europe de nos jours et ses problèmes, sont dues, non à un politicien du vieux continent mais à John Jay, écrivant dans The Federalist Papers au sujet de la loi fondamentale américaine de 1787. En effet, le leader américain cherchait à convaincre les électeurs de New York qu’une nouvelle constitution fédérale, créant des instances centrales fortes pour l’ensemble des États-Unis, était nécessaire, en vue des déceptions causées par l’union lâche et faible établie par les Articles of Confederation de 177626.
31La similitude entre la présente situation européenne et celle de l’Amérique il y a deux siècles est frappante. Dans les deux cas il y avait un ensemble d’États qui partageaient un passé commun et venaient de former une union – les Américains à l’époque de leur Déclaration d’indépendance et les Européens après la Seconde Guerre Mondiale – mais désiraient aller plus loin, achevant une « union plus parfaite ». Les Américains cherchaient tout particulièrement une politique étrangère plus éfficace : comment pouvaient-ils espérer, comme le disait un de leurs chefs, établir une union avec la France contre la Grande-Bretagne, s’ils n’étaient pas capables d’en établir une entre eux-mêmes ? Pour les Américains en 1787, comme pour les Européens de notre époque, la question se posait comment on pouvait établir une union solide et efficace sans sacrifier la diversité, l’identité et l’autonomie des États existants et sans créer un super-État oppressif et hypercentralisé27. La solution était – et reste – le gouvernement de forme fédérale, où l’on trouve une entité politique qui réunit dans une unité nouvelle un nombre d’États (partageant un gouvernement, un parlement, une constitution et une cour suprême) et qui est compétente pour les affaires étrangères, la monnaie, la défense, les libertés constitutionnelles et le bien-être public. Ce pays fédéral abandonne toutes autres matières aux citoyens des États ou des régions qui le composent, chacun gardant sa propre identité, gouvernement, parlement, lois et cours de justice28.
32Est-il raisonnable de comparer notre Europe avec l’Amérique du dix-huitième siècle et même de tirer des leçons de l’expérience centenaire outre-atlantique ? Les pessimistes objecteront que « le passé est un pays étranger », que c’est un anachronisme pour l’homme moderne de tirer des leçons d’un passé ancien et que, comme disait René Descartes, la curiosité exagérée concernant les pratiques d’un âge révolu peut conduire à l’ignorance des problèmes du présent. Les optimistes répondront que nous n’avons pas affaire ici à un Moyen Âge ou une Antiquité lointains et exotiques, mais à des Américains progressistes du siècle des Lumières, dont la vision a une résonance familière pour les Européens de notre temps.
33Le fédéralisme américain, établi par la Constitution de 1787, signifiait une percée dans l’histoire mondiale. Dans le passé les grands royaumes et empires avaient été fondés sur la conquête et l’assimilation d’éléments existants, qui se trouvaient forcés dans l’uniformité des superstates historiques. On n’avait le choix qu’entre la diversité anarchique et l’unité (avec Gleichschaltung et oppression). Le fédéralisme était un moyen de combiner unité et sécurité avec liberté et diversité. L’expérimentation américaine – car telle elle était – n’avait des antécédents ni dans l’Antiquité ni dans les royaumes européens. Néanmoins elle ne constituait pas une innovation totale, car elle avait un modèle et un précurseur, dont les Américains avaient conscience, dans la République néerlandaise des Provinces-Unies. Lors de la Révolte des Pays-Bas contre l’absolutisme du roi d’Espagne, Philippe II, les provinces du nord (correspondant environ au présent Royaume des Pays-Bas) ont échappé à la reconquête espagnole et établi leur propre république, dont la souveraineté fut formellement reconnue par les grands pouvoirs en 1648. Cette république n’était pas une nation-État unitaire, avec un président, mais une république fédérale, comprenant sept « provinces unies », qui étaient souveraines, mais partageaient des institutions communes pour les affaires étrangères et maritimes, ainsi que la monnaie et la défense. La République a duré de la fin du seizième à la fin du dix-huitième siècle et fut un grand succès. Elle inspirait les révolutionnaires d’outre-Atlantique beaucoup plus que la Confédération suisse, qui groupait des cantons souverains et ne devint un État fédéral qu’en 1848, mais les Américains avaient noté les points faibles du modèle néerlandais et s’efforçaient consciemment à renforcer les organes centraux de leur jeune république.
34Le précédent néerlandais est instructif, puisqu’il va à l’encontre des remarques négatives faites par certains politiciens européens, que le fédéralisme est une invention américaine, une importation de l’étranger et par conséquent mal adapté au vieux continent.
35Certains lecteurs se demanderont d’où venait l’inspiration pour l’État fédéral hollandais. S’il faut en croire l’éminent auteur d’une histoire vraiment encyclopédique de la République des Provinces Unies, Jonathan Israel, l’État néerlandais fédéral est apparu à l’improviste, comme Ève d’une côte d’Adam ou la déesse Athéna de la tête du dieu Zeus29. Je crois, au contraire, que la République néerlandaise et son gouvernement fédéral étaient l’héritage et la continuation des Dix-Sept Provinces de l’empereur Charles Quint : fait historique qui ne diminue nullement les mérites de la République qui était une des gloires de l’Europe moderne. En effet, une analyse sans préjudice montre que celle-ci consistait simplement des sept provinces septentrionales des anciens Pays-Bas bourguignons et Habsbourg, qui avaient échappé à l’offensive de Philippe II. Les Sept Provinces conservaient leurs identités et leurs organes gouvernementaux et judiciaires propres, tout en partageant certaines instances centrales et un élément quasi-monarchique en la personne du stathouder de la maison d’Orange (fonction datant de l’époque de Philippe II). À l’exception de la monarchie sacrée de l’époque des Habsbourgs, la République continuait la forme fédérale du gouvernement des Dix-Sept Provinces de Charles Quint et de Philippe II. Ce nouvel État-nation, perçu comme tel par toute l’Europe, plongeait ses racines dans l’amalgame de duchés et de comtés dans le nord de la France et l’ouest de l’Allemagne que les ducs de Bourgogne (une ligne collatérale de la royauté française) avaient reunis à partir de la fin du quatorzième siècle. Aux origines, ces territoires – Flandre, Brabant, Hollande, Zélande, Hainaut, Luxembourg etc. – ne formaient qu’une union personnelle sous un prince commun appartenant d’abord à la Maison de Bourgogne et ensuite à celle de Habsbourg. Graduellement ces souverains communs créaient des institutions centrales qui coiffaient les provinces sans toutefois les abolir ou éliminer leurs anciennnes structures et droits coutumiers. Il n’y avait pas question d’un royaume unitaire des Pays-Bas, mais quand Charles Quint introduisait, par une Pragmatique Sanction, une loi de succession uniforme pour toutes ses terres d’en deça, il était évident qu’une nouvelle nation européenne, représentée par le Leo Belgicus dans les gravures de l’époque, était née.
36Les terres « belges » de Charles Quint consistaient en dix-sept provinces qui gardaient leur propre identité et nationalité (en Brabant les offices publics étaient réservés aux personnes nées dans le duché), leurs propres cours de justice, gouvernement et parlement (les états provinciaux). Mais l’ensemble était coiffé d’institutions communes, siégeant à Bruxelles ou Malines, notamment les trois conseils collatéraux créés par Charles Quint pour l’administration et le Grand Conseil de Malines comme cour d’appel suprême. Cet État fédéral était, à part le sommet monarchique, le précurseur complètement développé de la République septentrionale dont les « pères fondateurs » auraient préféré, soit dit en passant, garder la monarchie, mais avaient échoué dans leurs efforts pour trouver une personnalité de sang royal convenable.
37Notre regard sur le passé a montré que le fédéralisme américain a des racines dans l’expérience européenne plus profondes qu’on ne le soupçonne souvent30.
38En dépit de ces bases anciennes et du succès de la République des Provinces Unies, il est vrai que la forme fédérale n’a pas été reçue chaleureusement dans l’Europe de l’Epoque Moderne. Le Royaume des Pays-Bas, établi au début du dix-neuvième siècle, a renoncé à son passé fédéral et républicain pour devenir une monarchie unitaire. En France, le terme même de fédéralisme est suspect et est devenu, depuis la République jacobine, presqu’une injure, dénotant l’affaiblissement sinon la trahison de l’État et des « valeurs républicaines ». La France révolutionnaire connaissait un « crime de fédéralisme », expression qu’on trouve, par exemple, dans une instruction du 3 brumaire An III envoyée par le Comité de législation aux administrateurs du département de l’Orne à Alençon, expliquant qu’il n’y avait qu’une seule loi pour toute la République et que la référence aux anciennes coutumes consisterait à « rompre l’Unité, et serait un véritable crime de fédéralisme »31. Charles-Victor Langlois a mis le doigt sur la plaie lorsqu’il écrivait que le fédéralisme existait « pour les Anglo-Saxons » et qu’il n’avait « guère de chance pour des raisons historiques de s’acclimater en France »32. Ce qui est étrange, c’est que ce fédéralisme anglo-saxon était entièrement inconnu en Angleterre. Il n’y était pas décrié, comme en France, il y était inexistant. Dès le dixième siècle, l’Angleterre a été une nation-État unitaire. Au dix-huitième, le Royaume-Uni avait un roi, un gouvernement et un parlement. Et même de nos jours ce qui arrive en Ecosse et au Pays de Galles n’est pas appelé « fédéralisme » mais « devolution ». Ce qui rend les choses encore plus compliquées, c’est que le terme anglais federalism signifie exactement l’opposé du terme français fédéralisme. Pour les politiciens anti-européens anglais federalism dénote le grand superstate centralisé européen. La raison est qu’ils connaissent l’histoire américaine, où le Parti Fédéraliste favorisait un pouvoir central fort. Pour les Jacobins, au contraire, le fédéralisme était associé à l’autonomie provinciale et une perte de pouvoir de la part des clubs révolutionnaires parisiens. Il n’est dès lors pas étonnant que la présente polémique sur l’Europe fédérale ressemble fort à un dialogue de sourds.
39Il y a, en dépit de tout, quelques éléments positifs à signaler. Je pense notamment à la République Fédérale Allemande, un succès européen encourageant pour les adhérents du gouvernement fédéral. Le Saint Empire Romain – l’ancien Reich – n’était pas un État fédéral et personne ne sait ce qu’il était au vrai33. Mais la République de Weimar, inspirée par l’exemple américain, l’était sans aucun doute, et tel est le cas de la République Fédérale de nos jours, qui est peut-être appelée a jouer un rôle pionnier dans la discussion qui bat son plein sur l’avenir constitutionnel du vieux monde. Une future Europe fédérale ne sera pas une copie du modèle allemand, pour cela les histoires nationales sont trop divergentes, mais il serait étonnant si l’impact allemand n’était pas considérable. Le passé aussi bien que la réalité actuelle sont pleins de leçons pour les architectes qui tracent les plans d’une fédération européenne.
Notes de bas de page
1 Vidéo au Musée Yourcenar à St. Jans Cappel près de Bailleul.
2 Sur le contexte historique des codes français et allemand de 1804 et 1900 voir R. C. van Caenegem, Introduction historique au droit privé, Bruxelles, 1988.
3 On trouvera une présentation succincte du ius commune et de ses avatars dans l’histoire européenne dans P. Stein, « The lus Commune and its demise », Journal of Legal History, 25, 2004, p. 161-67. Pour une analyse plus détaillée on verra R. Zimmermann, « Ius Commune. Europäische Rechtswissenschaft, Vergangenheit und Gegenwart », D. Heirbaut et G. Martyn (eds.), Un héritage napoléonien. Bicentenaire du Code civil en Belgique, Malines, 205, p. 377-421.
4 On notera que, suivant l’argumentation du professeur G. Criscuoli (dans Rivista trimestriale di diritto e procedura civile de 1967), je parle du et non de la common law, puisqu’il s’agit du droit commun et non de la loi commune.
5 R. Zimmermann, The law of obligations. Roman foundations of the civilian tradition. Oxford, 1996.
6 R. Zimmermann « Der europäische Charakter des englischen Rechts. Historische Verbindungen zwischen civil law und common law », Zeitschrift für Europäisches Privatrecht, 1993, p. 4-51.
7 P. Legrand, « Les systèmes juridiques européens ne convergent pas », International and Comparative Law Quarterly, 45, 1996, p. 52-81.
8 H. Mohnhaupt, « Europäische Rechtsgeschichte und europäische Einigung. Historische Betrachtungen zu Einheit und Vielfalt des Rechts und der Rechtsentwicklungen in Europa », H. Lück et B. Schildt (eds.), Recht-Idee-Geschichte. Beiträge für Rolf Lieberwirth, Cologne. 2000, p. 657-79.
9 C. Joerges, On the Legitimacy of Europeanising Private Law, Maastricht, 2003 (Ius Commune Lectures on European Private Law, 6), p. 44. L’article cite un grand nombre de livres et d’articles récents sur le sujet.
10 Lord Lloyd of Hampstead, Introduction to Jurisprudence, Londres, 3e éd., 1972, p. 734.
11 Sur le droit comme un art et une science, tous deux compris dans le même terme de iuris prudentia dans l’ancien droit Romain on verra : J. Weitzel, « Recht und Spruch der Laienurteiler – zumindest eine Epoche der europäischen Rechtsgeschichte », Lück et Schildt. ouv. cité., p. 53.
12 II est dès lors tout à fait remarquable qu’un professeur de droit a récemment été appelé à siéger dans la haute magistrature britannique. Voir sur cette problématique : R. C. van Caenegem, Judges, legislators and professors. Chapters in European legal history, Cambridge, 1987, p. 87-88.
13 Récemment encore, citer un juriste vivant ne se faisait par dans une cour anglaise : seuls les savants décédés étaient considérés comme des « auteurs d’autorité ». Dans ce domaine aussi on constate un rapprochement avec le Continent.
14 Voir par exemple C. De Wulf, The trust and corresponding institutions in the civil law, Bruxelles, 1965. L’auteur est professeur émérite de l’Université de Gand.
15 L’Angleterre médiévale connaissait des restrictions en faveur des enfants, mais elles avaient disparu dès le 17e siècle. Voir R. H. Helmholz, « Legitim in English legal history »,. H. Helmholz, Canon law and the law of England, Londres, 1987, p. 247-62.
16 G. J. Hand et D. J. Bentley, Radcliffe and Cros. The English Legal System, Londres, 6e éd., 1977, p. 375.
17 R. Zimmermann, « "Double Cross" : comparing Scots and South African law », R. Zimmermann, D. Visser et K. Reid (eds.), Mixed legal Systems in comparative perspective. Property and obligations in Scotland and South Africa, Oxford, 2005, p. 1.
18 Voir pour plus de détails le volume Mixed Legal Systems, cité dans la note précédente.
19 Voir le tour d’horizon récent et détaillé de M. Van Hoecke, « L’idéologie d’un code civil européen », R. Beauthier et I. Rorive (eds.), Le Code Napoléon, un ancêtre vénéré ? Mélanges offertes à Jacques Vanderlinden, Bruxelles, 2004, p. 467-95. En 1991 la Faculté de Droit de l’Université de Maastricht a organisé une conférence pionnière consacrée à l’avenir d’un droit commun européen et dont les textes sont publiés dans B. de witte et L. Forder (eds.), The common law of Europe and the future of legal education, Maastricht, 1992. Le lecteur consultera aussi A.-J. Arnaud, Pour une pensée juridique européenne, Paris, 1991, J. Taupitz, Europàische Privatrechtsentwicklung heute und morgen, Tübingen, 1993 et M.G. Bauer, Grundfragen der Europäisierung des Privatrechts, Heidelberg, 1998.
20 Pour plus de détails on verra : R. C. van Caenegem, European law in the past and the future. Unity and diversity over two millennia, Cambridge, 2002, p. 90-103.
21 R. C. VAN Caenegem, An historical intriduction to Western constitutional law, Cambridge, 1995, p. 217-29.
22 H.J. S. Maine, Dissertations on early law and custom, Londres, 1883. p. 389, cité par F.W. Maitland, The forms of action at common law, éd. par A. M. Chaytor et W. J. Whittaker, Cambridge, 1962, p. 1.
23 J. H. Schrage, « Why is English law so different ? », M. Schermaier et al. (eds.), lurisprudentia Universalis. Festschrift für Theo Mayer-Maly, Cologne, 2002, p. 694.
24 C. van Caenegem, The birth of the English common law, Cambridge, 2e éd., 1988.
25 Voir l’intéressante collection de communications dans G. Therborn et al. (eds.), Globalizations and modernities. Experiences and perspectives of Europe and Latin America, Stockholm, 1999 (textes présentés lors d’une Conférence à Buenos Aires dans l’été des 1998 sous les auspices du Conseil Suédois pour la Planification et la Coordination de la Recherche). La section consacrée aux cultures juridiques est de la main du professeur K.-Å. Modéer
26 Paroles de Jay citées par T. Helfman, « The Law of Nations in The Federalist Papers », Journal of Legal History, 23, 2002, p. 107. Voir sa biographie récente dans W. Stahr, John Jay : Founding Father, Londres, 2005.
27 Pour un récent tour d’horizon par un éminent politicien et savant on verra M. Eyskens, « L’Europe : une fédération confédérale », Revue Générale, 138, janvier 2003, p. 17-32.
28 Voir l’analyse compréhensive par un éminent spécialiste de l’Union Européenne dans sa présente constellation post-nationale : W. van Gerven, The European Union. A polity of States and peoples, Stanford U. Press, 2005.
29 J. Israel, The Dutch Republic. Its rise, greatness and fait, 1477-1806, Oxford, 1995, p. 276.
30 Voir sur cette problématique R. C. van Caenegem, Historical considérations on judicial review and federalism in the United States of America with special reference to England and the Dutch Republic, Bruxelles, 2003 (Koninklijke Vlaamse Academie van België voor Wetensdchappen en Kunsten, Academiae Analecta, N.R. 13), p. 27-34.
31 Passage cité dans C. Bloch et J. Hilaire, « Interpréter la loi. Les limites d’un grand débat révolutionnaire », Etudes offertes au professeur J. Th. de Smidt, Amsterdam, 1988, p. 34.
32 Grande Encyclopédie, XVII, p. 117.
33 En septembre 2001, l’Institut d’Histoire Européenne à Mayence a consacré une conférence à la constitution de l’ancien Reich. Les textes des communications ont été publiés sous la direction de M. Schnettger dans un volume intitulé Imperium Romanum – irregulare corpus – Teutscher Reichs-Staat. Das Alte Reich im Verständnis der Zeitgenossen und der Historiographie, Mayence, 2002 (Veröffentlichungen des Instituts für europäische Geschichte, Mainz, Beiheft 57).
Auteur
Professeur émérite de l’Université de Gand.
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