L’histoire du droit à la faculté de Bordeaux au xixe siècle
p. 163-192
Texte intégral
1Dans l’histoire de l’implantation des facultés de droit françaises au XIXe siècle, la création de la Faculté de droit de Bordeaux apparaît comme l’une des plus tardives. Sa fondation est en effet consécutive au décret du 15 décembre 1870, bien après celles de Nancy (1864) et de Douai (1865). En outre, le moins que l’on puisse affirmer, est que cette nouvelle faculté de droit voit le jour sous de bien sombres auspices, et dans un environnement particulièrement perturbé. C’est ainsi que sur le plan politique, la France est en plein désarroi au moment de la défaite contre la Prusse, de l’effondrement du Second empire et des débuts hésitants de la IIIe République. Le gouvernement de la Défense Nationale s’est d’ailleurs réfugié à Bordeaux dès le début du siège de Paris. Sans doute s’agit-il là de l’un des éléments ayant favorisé la naissance de la faculté bordelaise, puisque Jules Simon, ministre de l’Instruction publique, était aussi député de la Gironde depuis l’année précédente1. On peut donc légitimement penser que la Faculté de droit de Bordeaux est fille de la République naissante, dans une ambiance peu propice à la sérénité des études2.
2Mais ces troubles caractéristiques des temps de sa fondation rejaillissent sur les difficultés internes que rencontre le nouvel établissement à peine érigé. Il n’y a pas de locaux, et, jusqu’en 1873, les cours auront lieu dans des salles provisoires et souvent mal adaptées, comme la Bibliothèque municipale. Il n’y avait guère de professeurs. Ce n’est que par décrets des 10 et Il février 1871 que le gouvernement donne un doyen à la nouvelle faculté, Amédée Couraud, auparavant doyen à Grenoble, et nomme les premiers professeurs, dont beaucoup sont des avocats bordelais. Mais il y a peu d’agrégés, et la nouvelle faculté ne compte que sept chaires.
3De plus, dès sa création, l’Ecole de droit de Bordeaux, comme on la désignait à cette époque, entre de plain-pied dans toute une série de débats agitant depuis longtemps le petit monde des juristes universitaires. Sans les évoquer tous3, il faut rappeler que depuis le début du XIXe siècle, les facultés de droit françaises s’interrogent sur la réforme des études de droit, celle de l’agrégation des facultés, et enfin sur l’opportunité d’introduire de nouvelles matières dans le cycle des études, c’est-à-dire de créer de nouvelles chaires au sein des facultés de droit. Ce dernier point est particulièrement délicat, car il touche non seulement la question de l’adaptation des études à l’évolution scientifique et sociale, mais aussi celle des rapports entre enseignement supérieur et monde politique4.
4Enfin, le dernier quart du XIXe siècle connaît le fléchissement de l’omnipotence du droit civil et du droit romain. Le positivisme, les découvertes scientifiques, les progrès de la pensée sociale sapent le monolithisme du Code de Napoléon. La science juridique est désormais perçue comme beaucoup plus complexe que ne le laisse supposer le seul Code civil. Certaines disciplines tentent de s’ériger en matières autonomes5. C’est ainsi, par exemple, que les discussions sont vives en ce qui concerne l’introduction de l’économie politique, de l’histoire du droit et du droit international au sein des programmes des facultés juridiques. Beaucoup pensent que ces trois enseignements nouveaux sont vraiment scientifiques, et permettraient aux facultés de droit de délivrer autre chose qu’une formation purement pratique, n’ayant comme objectif qu’une simple éducation professionnelle préparant aux métiers judiciaires6.
5Les premières années d’existence de la jeune Faculté de droit de Bordeaux illustrent parfaitement ces préoccupations, particulièrement en ce qui concerne les débats relatifs à l’histoire du droit. On sait qu’en France l’histoire du droit n’acquiert son autonomie en tant que discipline qu’à la fin du XIXe siècle, plus particulièrement avec l’arrivée des républicains au pouvoir7, c’est-à-dire au moment précis de la création de la Faculté de droit de Bordeaux. Or, l’« Ecole de droit de Bordeaux » a la chance de posséder des archives quasiment intactes, certes très dispersées8, mais dont le rapprochement et la confrontation nous permettent de suivre pas à pas l’implantation de l’histoire du droit au sein de l’établissement. À l’aide de ces sources documentaires, nous constatons que l’histoire du droit devient certes une discipline spécifique dès les premières années de fonctionnement de la jeune faculté. Mais cette autonomie fait-elle pour autant de l’histoire du droit une véritable science ? La distance est en effet fort grande entre la simple matière et la véritable science. Or, à Bordeaux, nous constatons que si l’histoire du droit se hisse au rang de discipline indépendante (I), elle n’en demeure pas moins une science balbutiante (II).
I – Une discipline indépendante.
6C’est en février 1871 que la Faculté de droit de Bordeaux connaît sa première rentrée. En attendant d’occuper son emplacement définitif, qui ne sera achevé qu’en 1873, le nouvel établissement fonctionnait avec sept chaires : trois de droit civil, une de droit romain, une de procédure civile et de législation criminelle, une de droit commercial et une de droit administratif et constitutionnel. Une telle composition reflète bien la domination du droit civil. Mais le doyen Couraud était à la fois romaniste et féru d’économie politique. Dès l’année suivante, il obtenait une seconde chaire de droit romain. Mais l’historien qu’il était ne pouvait que réclamer aussi une chaire d’histoire du droit. C’est lors du discours d’inauguration des bâtiments de la nouvelle faculté de droit, le 20 novembre 1873, qu’il exposera publiquement les raisons de cette exigence. Lors de cette occasion solennelle, son allocution tourne très rapidement à l’éloge dityrambique de l’histoire du droit. Son analyse, démesurément longue, aura beau indisposer l’assitance, rien n’y fait : pendant plus d’une heure, il développe sa conception du rôle de l’histoire du droit, et livre sa vision du cours idéal9. Quelques mois plus tard, il obtiendra la fondation d’un cours complémentaire, prélude à la création d’une chaire définitive.
1 – Une vision pragmatique de l’histoire du droit.
7Selon le doyen Couraud, l’enseignement de l’histoire du droit est une nécessité absolue, au moins pour deux raisons principales. La première est pédagogique, et peut paraître classique à la fin du XIXe siècle, où beaucoup de facultés réclament une chaire d’histoire du droit. Mais la seconde est franchement politique, et fait directement référence à la défaite de 1870-1871. Ici, l’histoire du droit reçoit une mission rédemptrice du patriotisme français et de la fierté nationale bafouée.
L’histoire du droit : un impératif pédagogique.
8Laissons parler le doyen Couraud : « le cours d’histoire du droit, pour avoir toute l’importance qu’il comporte, devrait successivement s’adresser à deux sortes d’auditeurs. On ferait deux leçons par semaines aux étudiants de première année pendant toute l’année, et, à partir de Pâques une troisième leçon destinée aux docteurs et à l’élite de l’Ecole. Ce cours ainsi distribué servirait à la fois de préliminaire aux études juridiques et en constituerait aussi le complément ». Dans la pensée du doyen, l’histoire du droit représente le meilleur lien possible entre les études secondaires qui s’achèvent, et les études supérieures qui commencent. Voilà pourquoi il considère également que l’introduction de ce cours d’histoire du droit doit absolument être philosophique : « [...] cet enseignement serait, pour ainsi dire, acéphale s’il n’était précédé d’une introduction générale philosophique. Philosophie et histoire, tel est, pour ainsi dire, le portique de la science »10. L’étudiant issu des études secondaires a suivi un enseignement philosophique. En retrouvant la philosophie dans l’introduction du cours d’histoire du droit, il n’est pas dépaysé, et la transition entre le lycée et la faculté s’opère harmonieusement. À l’appui de sa démonstration, Amédée Couraud appelle Michelet, Rossi et Victor Cousin à la rescousse. S’appuyant sur ces grands esprits, il considère que le cours d’histoire du droit est d’autant plus indispensable qu’il doit avoir pour objectif à la fois de délivrer à l’étudiant une vue d’ensemble des sources du droit, mais aussi de lui inculquer le respect de ce droit. L’histoire du droit aurait donc un aspect vertueux, ce qui sublimerait la tâche de l’enseignant chargé du cours.
9A propos de ce cours d’histoire du droit proprement dit, le doyen Couraud se plaît à le décrire à ses auditeurs, nous dévoilant ainsi la structure idéale dont il rêve. Au titre de la philosophie... « on peut, en premier lieu, rechercher l’origine logique du droit, en rattachant les faits juridiques à un ordre d’idées fondamental et antérieur, aux spéculations philosophiques. On peut, en second lieu, examiner comment le long travail des siècles a préparé dans les éléments multiples des législations humaines, le droit moderne, et en particulier le droit français... Je reprends l’élément philosophique, et j’y rencontre trois grandes questions : Qu’est ce que la loi ? Quelle est son origine ? Quel est son domaine ? »11 Et Couraud de répondre à ces trois questions, au grand dam de l’assistance...
10Cette union de la philosophie et de l’histoire n’est pas véritablement une idée neuve en 1873. Elle remonte en fait au début du XIXe siècle. On la trouve établie chez Athanase Jourdan dès 1820, et plus tard chez Lerminier et Klimrath à partir de 1830. Et lorsqu’on sait que Lerminier est très influencé par la pensée philosophique de Victor Cousin, que Couraud cite volontiers, on découvre aisément les sources de la pensée du doyen bordelais12. Ces sources peuvent d’ailleurs être étendues à l’œuvre de Savigny, tant il est vrai que Jourdan Lerminier et Laferrière comptaient parmi ses disciples. Il paraît également certain que Couraud a lu les ouvrages de Klimrath, qui, dès 1833, trouvait beaucoup d’avantages à l’alliance de l’histoire et de la philosophie. On voit donc que les propos du doyen Couraud s’inscrivent dans le droit fil d’une pensée bien connue dès la première moitié du XIXe siècle, pensée qui se prepétuera plus tard grâce à Laboulaye13.
11À la suite de l’introduction philosophique, l’orateur parvient enfin au contenu historique proprement dit de ce cours idéal d’histoire du droit dont il rêve pour sa faculté bordelaise. Il se place aussitôt sous l’autorité de l’illustre Firmin Laferrière, qui, à ses yeux, possède de multiples mérites. Il est tout d’abord charentais, comme le doyen Couraud. Il fut ensuite avocat à Bordeaux, et il reste enfin l’un des plus grands historiens du droit du siècle, professeur à Rennes avant d’être inspecteur général des facultés de droit, conseiller d’État, recteur et académicien14. Admirateur inconditionnel de Laferrière dont il était proche, Couraud place l’enseignement de l’histoire du droit sous son patronage, ainsi que sous celui de Charles Giraud, inspecteur général des facultés de droit, qui fit beaucoup pour le jeune établissement bordelais15. De la sorte, le cours d’histoire du droit devra comprendre l’analyse détaillée des sources du droit français. Mais il conviendra également d’en illustrer les variations au cours des âges. Le professeur doit aussi brosser un tableau général du droit coutumier, du droit féodal, du droit royal et de la jurisprudence des parlements jusqu’à la Révolution française. L’orateur admet qu’il s’agit là de développer ce que l’instruction du 19 mars 1807 prescrivait déjà16. Mais, selon lui, il est avant tout question, dans l’étude détaillée de l’histoire du droit français, de démontrer comment l’esprit national a pu se former pour aboutir à l’œuvre majeure de codification entreprise par Napoléon au début du XIXe siècle : « Quel tableau. Messieurs, que celui qui se dégage de nos coutumes locales, de la jurisprudence des différents parlements, de ce grand droit romain parlementaire [...]. Quel spectacle que celui de tant de législations, d’origines, de principes et de buts si divers se réunissant pour former la substance de notre droit moderne »17.
12Cette question de l’unité nationale scellée par la codification napoléonienne paraît décisive à l’orateur. C’est ce qu’a bien compris l’Allemagne, dont les savants historiens Savigny et Zachariae ont beaucoup fait pour l’unité. Et c’est cette unité allemande que les hommes politiques français n’ont pas su empêcher. Ici, l’allocution du doyen Couraud prend un tour résolument politique. Après avoir démontré l’utilité pédagogique du cours d’histoire du droit, il en fait un outil politique au service du réveil national et du patriotisme, mis à mal par la récente défaite de 1870-1871.
Un outil politique.
13Comment Amédée Couraud aurait-il pu éviter d’évoquer l’humiliation de 1870- 1871 à Bordeaux, en 1873, ville ayant abrité le Gouvernement de la Défense nationale ? La fin de son discours inaugural verse dans l’esprit de revanche. Pour lui, l’histoire du droit doit être l’élément déclencheur d’un sursaut patriotique. C’est grâce à l’exemple français que l’Allemagne a pu réaliser son unité, ce que Couraud déplore. Le droit français, et particulièrement l’œuvre de Montesquieu a beaucoup aidé le nationalisme allemand. Mais c’est la France seule qui reste la terre privilégiée du droit, en particulier du droit civil. Dans cette optique, «... ces grandes études historiques sur notre droit doivent avoir un dernier résultat, le plus précieux de tous pour la jeunesse, c’est de lui faire aimer de bonne heure la patrie, de lui faire connaître et aimer l’âme de la France à travers sa longue vie, de lui montrer que tout ne date pas d’aujourd’hui, que tout s’enchaîne et se lie dans cette glorieuse existence ; qu’il y a dans ce pays des mœurs, des traditions anciennes et un grand culte national ; qu’il faut aimer tout cela comme choses française au moins ; qu’il y a aussi l’esprit indestructible de la race qui s’appelle l’esprit français, dont l’esprit moderne n’est que la grande expression ». On ne saurait mieux dire. Les propos du doyen Couraud deviennent alors franchement raciaux lorsqu’il rejette ce qu’il appelle le cosmopolitisme, c’est à dire en fait l’idée de fraternité internationale. Cette idée est la ruine des races (sic). Seul le patriotisme peut éviter d’y sombrer, et les Allemands le savent bien : « Et cette race allemande s’y connaît, Messieurs. Elle n’a pas la générosité sublime de la nôtre, générosité que nous ne dépouillerons jamais entièrement, mais qu’il faut contenir par un patriotisme un peu plus ferme... »18. L’étude attentive de l’histoire du droit fortifie donc l’amour de la patrie. Et cet amour de la patrie passe avant la tolérance et la patience.
14Cet esprit revenchard, cet éloge emphatique de la patrie française sont caractéristiques des dernieres années du XIXe siècle, particulièrement dans les milieux universitaires. La victoire de l’Allemagne n’est-elle pas celle de la science allemande ?19 L’université française doit montrer l’exemple du renouveau et du redressement par la réforme de ses enseignements. Cet état d’esprit est particulièrement vif à Bordeaux, et le discours d’Amédée Couraud n’est que le reflet d’une tendance générale qui perdurera au moins jusqu’à la fin du siècle20. Comment, dans ces conditions, peut-on refuser la création d’un enseignement d’histoire du droit au sein de la jeune faculté bordelaise ? Le doyen Couraud n’y songe même pas. Dès l’année suivante 1874, il obtiendra un cours complémentaire d’histoire du droit, prélude à l’installation définitive d’une chaire officielle21.
2 – L’implantation de l’enseignement.
15On sait que la Faculté de droit de Bordeaux a été fondée avec sept chaires. Dans ce cadre, les cours sont assurés par des professeurs rétribués par l’État. Mais rien n’empêchait la tenue de cours complémentaires, dont la charge incombait au fondateur. Et comme la ville de Bordeaux finançait la faculté de droit, c’est vers elle que le doyen Couraud se tourne naturellement pour ouvrir des enseignements complémentaires. Dans la mesure où la charge financière de ces cours incombait à la ville, l’État ne voyait aucun inconvénient à leur création. Ce qui explique qu’à peine les nouveaux locaux de la place Pey Berland inaugurés, Amédée Couraud obtient, dès 1874, l’autorisation d’ouvrir deux cours complémentaires. Le premier est un cours d’économie politique22, dont il se chargera lui-même sans exiger la moindre indemnité. Mais le second concerne l’histoire du droit. Il réalise ainsi le vœu largement exprimé dans son discours inaugural du 20 novembre 1873. Mais cette étape préliminaire du cours complémentaire ne constitue que le prélude de la consécration définitive de l’histoire du droit. En 1879, une chaire officielle sera installée à Bordeaux.
Etape préliminaire : le cours complémentaire d’histoire du droit.
16En fait, dès 1873, le doyen Couraud avait décidé de proposer aux étudiants bordelais un enseignement complémentaire d’histoire du droit. En effet, dans son discours inaugural des bâtiments de la faculté de droit figure une phrase sibylline, qui ne s’éclairera que quelques mois plus tard. Lorsqu’il traite des qualités nécessaires qu’un professeur doit posséder pour enseigner l’histoire du droit, il glisse : « [...] le jeune collègue que nous envoie la Normandie, nourri dans les fortes traditions de la Faculté de Caen, montrera une fois de plus ici ce que valent les hommes de ce vieux pays... »23. Or, le 27 avril 1874, un arrêté ministériel crée un cours complémentaire d’histoire du droit à la Faculté de Bordeaux, à la condition que la ville en supporte tous les frais financiers24. Mais en avril 1874, cet arrêté ministériel ne venait que confirmer en droit ce qui existait déjà en fait. En effet, une lettre du doyen Couraud au recteur de l’Académie de Bordeaux, datée du 22 décembre 1873, nous apprend que le leçon inaugurale du cours d’histoire du droit a été donnée ce jour même à 15h.30, par Camille Levillain, professeur agrégé25. Or, Camille Levillain est un pur normand. Né le 21 mars 1844 à Orbec (Calvados), il accomplit toutes ses études à Caen. Licencié en droit le 22 novembre 1866, il sera docteur de la Faculté de droit de Caen le 30 janvier 1868. La même année, il est agrégé (30 mai), et nommé à la Faculté de droit de Douai. Il y restera jusqu’en 1873 pour venir à Bordeaux (arrêté du 30 juin). Il entame alors une longue carrière bordelaise en devenant chargé du cours d’histoire du droit26. La phrase mystérieuse du discours d’Amédée Couraud s’éclaire alors parfaitement. Dès 1873, le doyen avait décidé d’ouvrir un cours complémentaire d’histoire du droit à Bordeaux. Il en connaissait déjà le titulaire, et n’a pas attendu la confirmation officielle du ministère pour l’offrir aux étudiants. Le « jeune collègue normand de la Faculté de Caen » n’est autre que Camille Levillain, premier professeur d’histoire du droit qu’ait jamais connu la faculté bordelaise. Toutefois, Levillain ne devait guère persévérer dans ce cours d’histoire du droit. En réalité, il ne le conservera que deux années : 1873-1874 et 1874-1875. En effet, le 18 octobre 1875, il abandonne l’histoire du droit pour devenir chargé du cours de droit maritime. C’est d’ailleurs sur la chaire de droit maritime qu’il sera titularisé le 28 octobre 1879. Mais il terminera sa carrière en enseignant le droit commercial, puisqu’il sera nommé professeur dans cette discipline le 2 février 189627.
17Il est remplacé dans le cours complémentaire d’histoire du droit par Alphonse Marandout. Né à Parthenay (Deux-Sèvres) le 29 juillet 1843 et agrégé en 1872, Marandout est tout d’abord affecté à Grenoble et chargé d’un cours de procédure civile et de législation criminelle. Il ne restera qu’une seule année en Dauphiné (1872- 1873). Transféré à la Faculté de droit de Bordeaux par arrêté ministériel du 30 juin 1873, il y retrouve son enseignement de procédure civile. Mais la matière de prédilection de Marandout était le droit criminel. Et c’est sur la chaire de droit criminel qu’il terminera sa carrière à Bordeaux. Le 16 décembre 1879, il quitte l’histoire du droit et la procédure civile pour devenir professeur de droit criminel28. Mais un doute subsiste sur cette réalité officielle. Alphonse Marandout a-t-il véritablement enseigné l’histoire du droit à Bordeaux entre 1875 et 1879 ? Il semble en fait que non. Plusieurs indices concordants nous montrent que concrètement, le cours d’histoire du droit avait été confié à Paul-Emile Vigneaux, l’un des enseignants fondateurs de la faculté bordelaise. Un renseignement confidentiel inscrit au dossier personnel d’Alphonse Marandout indique pour les années 1875 et suivantes : « Enseigne l’histoire du droit, mais on lui fait faire le droit criminel : M. Vigneaux fait l’histoire du droit ». Toujours dans le même dossier, une autre notice confidentielle, datée du 31 mai 1878, indique à propos de Marandout : « On le verrait avec plaisir devenir professeur de droit criminel quand M. Vigneaux sera nommé professeur d’histoire du droit ». Cette situation bizarre était d’ailleurs connue des autorités. En 1874, Charles Giraud, alors inspecteur général des facultés de droit, écrit qu’il... « voudrait bien que Paul-Emile Vigneaux occupe cette belle chaire d’histoire du droit dans laquelle il ferait merveille ». En 1878, le recteur de l’académie de Bordeaux admet que « Vigneaux devrait être nommé titulaire d’une chaire d’histoire du droit, car nul n’est plus capable que lui. Il est d’ailleurs déjà chargé de cours dans cette discipline, en plus de ses autres enseignements »29.
18On voit donc que Marandout n’a jamais enseigné l’histoire du droit à Bordeaux en dépit de sa nomination officielle. On en sera définitivement persuadé lorsqu’on saura que nous possédons le plan du cours d’histoire du droit pour l’année 1878- 1879. Or ce plan est l’œuvre de P.E. Vigneaux, et non pas de Marandout, qui aurait dû, en principe, professer la matière. En réalité, il n’aimait guère l’histoire du droit, tout comme Levillain, alors que Paul-Emile Vigneaux, qui avait commencé sa carrière en enseignant la législation criminelle, était passionné par la discipline historique. Il était donc plus commode pour les deux hommes d’échanger leurs enseignements, ce qui leur permettait de travailler leur matière favorite, fût-ce au prix d’une fiction administrative, couverte par les autorité de tutelle locales. Sur le plan pédagogique, il n’y avait guère de difficulté, puisque jusqu’à l’arrêté du 23 juillet 1896, le concours d’agrégation des facultés de droit n’était pas fractionné en diverses spécialités. Les professeurs de droit étaient donc censés pouvoir enseigner n’importe quelle discipline. Mais cette situation curieuse, devait disparaître totalement en 1879, avec la création d’une chaire officielle d’histoire du droit à Bordeaux.
La consécration : la chaire bordelaise d’histoire du droit.
19C’est le décret du 28 octobre 1879 qui porte création à la Faculté de droit de Bordeaux d’une chaire d’histoire du droit ainsi que d’une autre de droit maritime30. Le même jour, Paul-Emile Vigneaux, jusqu’alors professeur de droit criminel, est transféré sur la nouvelle chaire d’histoire. Il délaisse son enseignement de droit criminel au profit de Marandout, qui sera installé dans sa matière favorite le 16 décembre 187931. Mais de son côté, Alphonse Marandout abandonne la procédure civile, qui échoit à Charles le Coq de Kerland. On voit donc que le premier effet de la fondation de la nouvelle chaire d’histoire du droit est de régulariser la situation bancale antérieure à 1879. Grâce au décret du 28 octobre, chaque enseignant professe désormais la matière de son choix. En ce qui concerne l’histoire du droit, Paul-Emile Vigneaux, qui l’enseignait déjà de manière officieuse depuis 1875, est titularisé sur une chaire qu’il espérait depuis longtemps. Né à Bordeaux le 4 octobre 1839, c’est à Toulouse qu’il étudie le droit, puisqu’il n’existe pas de faculté à Bordeaux. Il obtient sa licence le 13 août 1864. Mais c’est à Paris qu’il sera docteur en droit, le 9 août 1867. Dès l’obtention du grade de licencié, il s’était inscrit au barreau de Bordeaux, mais poursuivait néanmoins ses études juridiques. En 1868, il fait partie de ce groupe d’avocats bordelais qui décident d’ouvrir des cours libres et gratuits de droit. Cet engagement constitue l’une des origines de la création de la Faculté de droit de Bordeaux en 1870. Il en devient l’un des premiers professeurs l’année suivante, et commence par enseigner la procédure pénale. Toutefois, il n’est pas agrégé. Il se présente au concours de 1872, et triomphe dès sa première tentative, sortant premier de l’épreuve. Il est affecté sur place, à Bordeaux, et obtient la chaire de droit criminel. On connaît la suite. Passionné d’histoire, il laisse sa chaire de droit criminel à Marandout lors de la création de celle d’histoire du droit en 187932. Paul-Emile Vigneaux est un professeur particulièrement brillant. En 1867, sa thèse de doctorat avait obtenu la médaille d’or du concours national des thèses organisé par l’Académie de législation de Toulouse. En 1880-1881, il devient membre de l’Ecole française de Rome, à l’initiative du doyen Couraud, très fier de l’éclatant succès de l’un de ses enseignants au concours d’agrégation. Paul-Emile Vigneaux séjournera à Rome un an, au palais Farnèse, et en ramènera un livre sur la Praefectura urbis. On peut considérer P.E. Vigneaux comme le premier véritable spécialiste bordelais d’histoire du droit, puisque Camille Levillain n’a conservé la matière que deux ans. Paul-Emile Vigneaux enseignera à Bordeaux pendant 39 ans, dont 34 seront consacrées à l’histoire du droit33.
20Le doyen Couraud obtenait donc satisfaction. Voulant rester modeste, il affectait de penser que la visite de la nouvelle Faculté de droit de Bordeaux par Jules Ferry en cette même année 1879 avait tellement satisfait le ministre, que la chaire d’histoire du droit était en quelque sorte une récompense, un témoignage de satisfaction. En fait, en attribuant cette chaire à Bordeaux, le décret du 28 octobre 1879 ne faisait qu’anticiper d’une année environ celui du 28 décembre 1880, établissant dans toutes les facultés de droit françaises un cours annuel obligatoire d’histoire générale du droit français, public et privé en première année de licence34. Quoi qu’il en soit, le cours complémentaire des années 1874-1879 se trouvait consacré par l’État, qui en prenait les frais à sa charge. Pour le coup, Amédée Couraud, désireux de ne pas perdre la dotation financière que la ville de Bordeaux accordait jusqu’alors au cours complémentaire, réclame un second cours d’histoire du droit, mais en doctorat cette fois. Très complaisante, la municipalité bordelaise accepte, et un cours complémentaire d’histoire du droit apparaît en fin d’études. Ce nouveau cours complémentaire est bien entendu confié à Paul-Emile Vigneaux. Ici encore, il faut saluer le côté visionnaire de la politique d’Amédée Couraud. En effet, deux ans plus tard, une lettre du 28 juillet 1882 adressée par Jules Ferry au recteur de l’Académie de Bordeaux indique que le ministre souhaite instituer trois cours nouveaux en doctorat : histoire du droit (distincte du cours général de première année), pandectes et droit constitutionnel. Ces cours seraient de quarante heures par an. C’était donc vouloir généraliser ce qui existait à Bordeaux depuis deux ans35.
21Au début des années 1880, le doyen Couraud peut donc jubiler. Son programme du discours inaugural du 20 novembre 1873 est entièrement réalisé. La Faculté de droit de Bordeaux affiche deux cours d’histoire du droit : l’un en première année de licence, portant sur l’histoire générale du droit public et privé, et l’autre (cours complémentaire) en doctorat, consacré plus spécialement à l’histoire du droit français. Comme le souhaitait Couraud, l’histoire du droit encadre les études juridiques. Elle accueille les étudiants débutants, elle perfectionne les juristes confirmés36.
22Le service d’enseignement de Paul-Emile Vigneaux était donc constitué par ces deux cours. Le décret de 1889, amputant d’un semestre le cours d’histoire du droit de première année au profit du droit administratif n’affectera pas le service de P.-E. Vigneaux : il conservera toujours le cours d’histoire générale du droit en première année tout au long de sa carrière. En revanche, celui de doctorat a pu parfois être confié à d’autres enseignants. En 1896-1897 et 1897-1898, c’est le romaniste Henri Monnier, futur doyen de la faculté, qui se chargera du cours complémentaire en doctorat. Peut-être ce changement est-il la conséquence de la grande réforme du doctorat en droit opérée par le décret du 30 avril 1895, qui scinde le doctorat juridique en deux parties : sciences juridiques et sciences politiques et économiques ? Le cours complémentaire d’histoire du droit sera rattaché au doctorat de sciences juridiques37. Par la suite, le décret du 1er août 1905 rajoutera un semestre d’enseignement au cours d’histoire générale du droit en première année, rétablissant ainsi la situation antérieure à 1889. Les facultés de droit auront une année pour s’adapter à ces nouvelles dispositions. Mais dès la parution de ce texte, Paul-Emile Vigneaux décide d’abandonner le cours complémentaire de doctorat, pour ne conserver que celui de première année. Sans doute le professeur était-il fatigué, après 35 ans d’activité, et à quatre années de son départ à la retraite ? Le cours de doctorat est alors confié à Léon Duguit, déjà célèbre à cette époque pour ses travaux de publiciste, mais dont on oublie trop volontiers qu’après son agrégation en 1882, il commence sa carrière à Caen en enseignant l’histoire du droit pendant trois ans, avant de revenir dans sa faculté d’origine38. Duguit ne conservera ce cours d’histoire que peu de temps, puisqu’on 1906-1907, le livret-guide de l’étudiant de l’Université de Bordeaux nous apprend qu’Henri Monnier reprend ce cours qu’il avait déjà assuré entre 1896 et 1898.
23Au tournant du XXe siècle, l’enseignement de l’histoire du droit à la faculté de Bordeaux repose essentiellement sur Paul-Emile Vigneaux. Il ne tardera pas à faire oublier les cours de l’éphémère Levillain. Agrégé en 1872, il appartient à cette première génération de professeurs d’histoire du droit issu d’un concours d’agrégation « généraliste », dont le modèle remonte à 185539. Ce concours, dépourvu de toute spécialisation, faisait la part belle au droit romain et au droit civil. Si bien que l’enseignement de l’histoire du droit se trouvait fortement marqué par ces deux disciplines reines. Aucun professeur n’était véritablement spécialisé dans la nouvelle matière. On le voit bien à Bordeaux : Vigneaux avait commencé par enseigner le droit criminel, et le cours complémentaire d’histoire du droit français en doctorat était souvent confié à un romaniste, voire à un publiciste comme l’illustre Léon Duguit. Dans ces conditions, si l’histoire du droit se hisse au rang de discipline autonome, peut-on affirmer qu’elle constitue une véritable science ? Pour cette époque de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, on peut en douter, tout au moins à Bordeaux, où l’histoire du droit n’est qu’une science balbutiante.
II – Une science balbutiante.
24Consacrée de manière officielle par le décret du 28 décembre 1880, l’histoire du droit contribue à la mutation opérée par la science juridique à la fin du XIXe siècle. Celle-ci se diversifie et accompagne l’évolution des sciences sociales. Parallèlement, les méthodes d’enseignement du droit évoluent, annonçant le déclin des techniques de l’Exégèse40. Dans quelle mesure l’histoire du droit bordelaise participe-t-elle à ce vaste mouvement ? L’inauguration de deux cours nouveaux à Bordeaux entraîne-telle l’apparition de méthodes innovantes ? Et quel fut le rôle de P.-E. Vigneaux dans cette évolution ? Pour l’apprécier concrètement, nous disposons de deux éléments essentiels : le contenu des cours et l’état de la recherche en histoire du droit. Enseignement et recherche sont, en effet, deux critères fondamentaux pour évaluer le niveau scientifique de l’histoire du droit à Bordeaux à la fin du XIXe siècle.
1 – L’enseignement de l’histoire du droit.
25Il est toujours malaisé de connaître le contenu de l’enseignement d’un universitaire. Non seulement la structure même de ses cours peut varier au fil d’une longue carrière, mais il reste généralement peu de traces de ses leçons après la fin de son activité. Cette remarque se vérifie pour le XIXe siècle, particulièrement pour les facultés de province. En dehors de maigres notes éparses, nous ne possédons que de rares bribes des cours dispensés au sein des facultés. Il faut souvent se contenter de la découverte fortuite de quelques notes de cours prises par des étudiants pour combler ce vide frustrant41. Fort heureusement, la Faculté de droit de Bordeaux échappe en partie à cet inconvénient, notamment pour l’enseignement de l’histoire du droit. Pour la période 1873-1886, non seulement de nombreux plans de cours d’histoire du droit ont été conservés, mais également des lettres concernant ces cours, émanant des professeurs chargés de cette matière. C’est le décret du 22 août 1854 qui, dans son article 18, impose aux doyens des facultés de transmettre le contenu des cours de leurs établissements au Ministère, via le recteur de l’académie. Ces cours étaient ensuite examinés par les inspecteurs généraux des facultés, qui délivraient une appréciation sur leur contenu42. Mais beaucoup de ces précieux documents n’ont pas été conservés. En outre, l’inspection générale des facultés ayant été supprimée en 1888, les établissements fondés à la fin du Second empire ne disposent que de quelques fragments clairsemés relatifs aux programmes suivis par les professeurs. En ce qui la concerne, la Faculté de droit de Bordeaux a au contraire conservé beaucoup de documents relatifs au contenu de ses cours. Et l’histoire du droit est fort bien représentée. Le premier cours de cette matière, assuré par Camille Levillain pendant deux ans, existe. Pour sa part, Paul-Emile Vigneaux nous a laissé quatre plans très détaillés de ses enseignements. Pour le cours d’histoire générale du droit de première année de licence, nous avons pu retrouver les années 1878-1879, 1882-1883 et 1883- 1884, et pour celui d’histoire du droit français de doctorat, l’année 1883-1884. Très souvent, ces plans sont assortis de lettres explicatives, dévoilant des indications fort précieuses sur le déroulement des leçons. Si bien que le rassemblement et la confrontation de ces documents nous permet de couvrir la période 1873-1886, c’est-à-dire les treize premières années d’enseignement de l’histoire du droit à Bordeaux43. L’ensemble de cette documentation nous autorise une analyse du contenu des cours, mais également de leur portée.
Le contenu des cours.
26Pour les deux années au cours desquelles il enseigne l’histoire du droit à Bordeaux (1873-1875), Camille Levillain propose à ses étudiants de première année de licence un enseignement strictement chronologique, allant de la chute de l’Empire romain à la période révolutionnaire. Dans son introduction, il insiste sur l’utilité des études historiques, et donne un aperçu des travaux scientifiques auxquels elles ont donné lieu, en particulier en Allemagne et en France. Puis, dans un chapitre préliminaire, il traite des éléments générateurs de la société et de la législation françaises. Ensuite, le cours proprement dit comprend cinq chapitres : époque barbare ou gallofranque, époque féodale, période coutumière, période monarchique, et période révolutionnaire. À l’intérieur de chacun de ces chapitres, on découvre des sections, plus ou moins nombreuses, mais toujours consacrées aux mêmes thèmes, qui reviennent sans cesse dans le même ordre : état de la société civile, état de la société religieuse, organisation judiciaire, sources du droit. Lorsque la matière l’exige par son importance ou sa densité, ces sections se découpent en paragraphes, mais cette subdivision n’est que rarement utilisée par le professeur. Ce sera par exemple le cas pour les chapitres III et IV (période coutumière et période monarchique), dans lesquels l’examen des sources du droit nécessite l’emploi de quelques paragraphes. On le voit donc : une structure linéaire, parfaitement chronologique. Il ne semble pas que Levillain ait modifié son cours pour l’année 1874-1875, la seconde et dernière de son activité historique.
27Nous savons que son successeur officiel, Alphonse Marandout, ne fut qu’un historien du droit virtuel, puisqu’entre 1875 et 1879, c’est Paul-Emile Vigneaux qui fut chargé du cours d’histoire générale en première année de licence. Nous ne possédons pas le plan des cours de Vigneaux pour les années 1875-1878. Son premier plan détaillé date du millésime 1878-1879, et se présente sous la forme d’un imposant mémoire de 100 pages manuscrites, détaillant minutieusement le contenu de son enseignement. L’envoi de ce plan aux autorités de tutelle était accompagné d’une lettre qui résume parfaitement à la fois l’esprit et le contenu du cours44 :
28« [...] Je me propose de prendre pour sujet : l’Histoire de l’Ancien droit français, depuis l’invasion des barbares jusqu’à la Révolution. Nos jeunes auditeurs assisteront ainsi, dans les siècles qui séparent l’Antiquité romaine de notre droit moderne (ces deux objets habituels de leurs études) à la formation progressive de notre droit national.
29En introduction, je résumerai l’histoire des temps antérieurs à l’invasion, période celtique et période romaine.
30J’exposerai ensuite plus en détail l’histoire de notre ancien droit (du Ve au Xe siècle) ; période féodale (du Xe au XVe siècle) et période monarchique (du XVe à 1789).
31En appendice, je présenterai un aperçu sommaire sur le droit intermédiaire, depuis la Révolution jusqu’à la promulgation des codes.
32Le cours, dans son ensemble, se trouvera donc divisé comme suit : période celtique, période romaine, période barbare, période féodale, période monarchique, période de la Révolution.
33Si le petit nombre de leçons consacré aux Gaulois, aux Romains et surtout à la Révolution paraissait trop disproportionné, l’on voudrait bien se rappeler que le sujet, bien assez vaste déjà pour une année, est seulement l’Histoire de l’Ancien droit français. Le reste ne sera qu’effleuré en forme d’introduction ou d’appendice.
34Chaque période sera subdivisée en un certain nombre d’époques.
35Chaque époque s’ouvrira par un aperçu sur l’histoire générale, à laquelle l’histoire du droit est si intimement liée. Encore, bien que ces leçons retardent un peu la marche du cours, l’expérience n’en a que trop démontré la nécessité. En fait d’histoire, les meilleurs même de nos étudiants en sont réduits aux souvenirs effacés du baccalauréat, dont les programmes actuels les dispensent de remonter au delà de Henri IV.
36On passera ensuite à l’Histoire du droit proprement dite. D’abord les sources et les monuments, c’est-à-dire l’histoire externe. Ensuite l’histoire interne. Alors on parcoura successivement les diverses branches du droit : droit public, constitution, administration, organisation judiciaire, législation criminelle, droit privé, droit civil, droit commercial, procédure civile. Les exemples seront de préférence empruntés soit à l’Histoire de Bordeaux, soit à celle de la région qui nous envoie nos auditeurs. Je m’arrêterai, dans des tableaux d’ensemble, sur quelques grands règnes qui sont l’expression de tout un ordre social : Charlemagne pour l’époque germanique, Saint-Louis pour le moyen âge féodal ; Louis XIV pour l’ancienne monarchie. Chaque époque se terminera par un résumé, où j’insisterai surtout sur les origines des institutions modernes, et par un jugement général.
37Chaque leçon sera précédée de la dictée d’un sommaire assez détaillé et suivie d’indications bibliographiques précises qui renverront les étudiants studieux à nos grands historiens, aux meilleures monographies, parfois aux publicistes et aux articles spéciaux des collections et des revues savantes dont je désignerai jusqu’aux pages à consulter. Je voudrais pouvoir éclairer aussi cet enseignement par la vue de cartes historiques murales.
38Vous pouvez du reste, Monsieur le Doyen, vous en référer au programme détaillé par chapitre que je vous adresse aujourd’hui même. Vous y trouverez, idée par idée, toute la suite de mon enseignement. Plus d’une fois, l’étendue des matières ou les exigences pratiques du professorat m’obligeront à diviser un seul chapitre en plusieurs leçons. C’est néanmoins à ce programme que, dans l’ensemble, je compte rester attaché.
39Je conserverai à un enseignement qui a ses tentations son véritable caractère juridique, et je m’appliquerai surtout à faire ressortir dans l’histoire avec la plus haute moralité qu’elle enseigne, les origines explicatives du droit actuel.
40Veuillez agréer, Monsieur le Doyen, l’hommage de mon respect.
41P.-E. VIGNEAUX »
42Beaucoup moins sommaire que celle de Camille Levillain, la structure du cours de Paul-Emile Vigneaux pour l’année 1878-1879 laisse apparaître trois grandes parties : les Temps anciens (des origines à 476), le Moyen Âge (476-1453), et les Temps modernes (1461-Louis XI- 1789). Chaque partie se subdivise en périodes. Par exemple, la première partie est découpée en deux périodes : période celtique (des origines à 51 ap. J.C.), et période romaine (de 51 à 476 ap. J.C.). Avec la seconde partie viennent les époques, qui fractionnent les périodes. C’est ainsi que la première période de l’étude du Moyen Âge s’intitule : période barbare ou germanique, et cette tranche de cours est subdivisée en époque mérovingienne et époque carolingienne. À l’intérieur de chaque époque, les thèmes traités par le professeur sont toujours identiques. Il expose d’abord et avant tout l’histoire générale de l’époque considérée. Puis il en étudie l’histoire juridique externe, c’est-à-dire essentiellement les sources du droit : il présente alors les principaux monuments législatifs et judiciaires du temps. Il aborde ensuite l’histoire interne du droit, qu’il scinde toujours à l’aide des mêmes rubriques : droit public, organisation politique et administrative, organisation judiciaire, droit privé, condition des personnes, propriété, Église et droit canonique. On trouve enfin quelques incursions au sein des législations des autres parties de l’Europe45.
43Cette organisation structurelle est quasiment immuable, et ne varie que fort peu jusqu’à la fin des années 1880, et probablement au-delà. Tantôt Vigneaux supprimait les trois parties de son cours pour ne retenir que cinq, six ou sept périodes, tantôt il choisissait de ne pas traiter le consulat et l’Empire ou au contraire d’aller jusqu’à cette époque. Ainsi, en 1881-1882, il répartit son enseignement autour de six périodes, sans faire appel aux trois parties traditionnelles : périodes celtique, romaine, barbare, féodale, monarchique et révolutionnaire, chacune découpée en époques, comme il se doit. L’année suivante 1882-1883, on ne relève aucun changement dans ce programme, sauf l’adjonction d’une septième période, intitulée « Période contemporaine », dans laquelle il intègre le Consulat et l’Empire46. En 1883-1884, on retrouve les trois parties de 1878-1879, mais avec seulement un intitulé différent pour la première. Elles se dénomment Antiquité (et non pas Les temps anciens...) Moyen Âge et Temps Modernes. Mais au sein de ces trois parties, les périodes se répartissent de la manière que l’on sait : la Révolution française se trouve simplement intégrée à la fin des Temps modernes en compagnie du Consulat bonapartiste. Mais la trame interne du cours ne connaît aucune variation. Cependant, cette année là, Paul-Emile Vigneaux déclare vouloir insister davantage sur l’histoire externe du droit, dans le but d’apporter un complément utile aux études de droit romain et de droit civil qui constituent l’essentiel de la première année de droit47. Enfin, en 1885-1886, il rassemble dans l’introduction de son cours les périodes celtique et romaine, et traite la matière à l’aide des quatre autres périodes (barbare, féodale, monarchique et révolutionnaire). On voit donc que les cours de Paul-Emile Vigneaux ne diffèrent d’une année sur l’autre que par leur forme, et encore de manière peu sensible. Mais le fond reste toujours identique48.
44Nous ne possédons pas le détail des cours de Paul-Emile Vigneaux pour la fin du XIXe siècle. De toutes les manières, les envois au Rectorat ou au Ministère n’auraient pas dépassé l’année 1888, puisque l’inspection générale des facultés disparaît cette année-là. Malgré tout, après examen des programmes d’histoire du droit développés par Vigneaux entre 1878 et 1886, on peut légitimement penser que les années manquantes n’auraient pas apporté de grands bouleversements à ce que nous connaissons du contenu de son enseignement. Celui-ci nous apparaît très traditionnel, tout au moins en première année. Si l’on s’en réfère aux manuels d’histoire du droit publiés à cette époque, on constate que le cours de Paul-Emile Vigneaux n’introduit aucun élément novateur, tout au moins en la forme. Il est certes difficile de savoir dans quelle mesure le cours du professeur bordelais s’inspire de ces ouvrages, mais quelques indices nous incitent à penser que les traités publiés par ses collègues toulousains ont sans doute influencé ses propres cours. C’est en 1884 que Ginouilhac publie son Cours élémentaire d’Histoire générale du droit public et privé des origines jusqu’à la publication du Code civil. Or, Vigneaux est l’auteur d’un compte-rendu critique du travail de Ginouilhac, paru en cette même année 1884 dans la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence. Et en 1904 Jean-Baptiste Brissaud imitera son aîné toulousain : comment les différents volumes de son Cours d’histoire générale du droit français public et privé n’ont-ils pas pu retenir l’attention du professeur bordelais ? Il faut savoir en effet qu’avant d’enseigner à la Faculté de droit de Toulouse, Brissaud avait effectué toutes ses études juridiques à Bordeaux, où il avait reçu les leçons de P.-E. Vigneaux ! Sa thèse obtint même en 1878-1879 la médaille d’or décernée par la ville de Bordeaux, l’année même de la titularisation de Vigneaux sur la chaire d’histoire du droit créée cette année49. Il est cependant certain que les ouvrages novateurs d’Henri Beaune, parus entre 1880 et 1889 n’infléchissent aucunement les méthodes de Vigneaux50.
45On remarque ensuite que l’enseignement de Vigneaux ne remplit pas exactement le programme idéal imaginé par le doyen Couraud lors de son discours inaugural de 1873. La philosophie est en effet totalement absente des préoccupations de Vigneaux, comme de celles de son prédécesseur Levillain d’ailleurs. En outre, le côté conventionnel de l’articulation des cours bordelais d’histoire du droit ne doit pas nous échapper. Ce découpage en périodes et en époques, dans lesquelles on étudie toujours les mêmes thèmes, renvoie au moins à Klimrath51, et se trouve consacré par le concours d’agrégation depuis la première moitié du XIXe siècle52. Quant à la distinction entre histoire externe et histoire interne, qui constitue l’un des aspects fondamentaux des programmes, elle prouve l’influence de l’école allemande sur Vigneaux. Mais on ne peut cacher qu’elle remonte au moins à Gustav Hugo, et peut-être à Leibniz, c’est-à-dire au XVIIIe siècle !53 Toutefois, si la forme choisie par Paul-Emile Vigneaux reste traditionnelle, on doit relever qu’il est, semble-t-il, peu gêné par la barrière quasiment infranchissable que constituait la Révolution de 1789. A plusieurs reprises, son cours traite de cette période, et poursuit même jusqu’au Consulat et à l’Empire. Pour lui, 1789 n’est pas une date fatidique, et le décret de 1880 n’est pas ressenti comme une sorte de codification sclérosante du contenu de la matière historique54. Faut-il pour autant faire de P.-E. Vigneaux un adepte des idées d’Adhémar Esmein ? Rien n’est moins sûr55.
46Par comparaison avec ce cours de première année, nous ne savons que peu de choses du cours complémentaire d’histoire du droit français proposé aux étudiants bordelais de doctorat. La raison en est simple : il ne s’agit en effet que d’un cours complémentaire, dont la charge financière revient au fondateur, en l’occurrence la mairie de Bordeaux. Le ministère est moins intéressé par la surveillance de ces cours, et n’en contrôle pas le contenu avec la même attention que les cours financés par l’État. Ceci explique que les inspecteurs généraux des facultés de droit n’exigent pas l’envoi du programme des cours complémentaires avec la même rigueur que pour les cours d’État. Ce relâchement était d’ailleurs considéré comme du laxisme par certains, car un contrôle distant, voire inexistant, laissait au professeur une grande liberté dans le choix des thèmes qu’il étudiait56. En ce qui concerne la Faculté de droit de Bordeaux, nous savons qu’en 1881-1882, Paul-Emile Vigneaux choisit de traiter « du droit civil au Moyen Âge » Mais nous ne possédons pas le détail de son enseignement57. Les fonds d’archives n’ont conservé que le cours d’histoire du droit français de doctorat pour l’année 1883-1884. Dans le résumé de ce cours, P.-E. Vigneaux reproduit les titres des 43 chapitres qu’il compte proposer à ses étudiants, chaque chapitre correspondant à une leçon. Ce cours du millésime 1883-1884 porte sur le « Tableau du dernier état de l’ancien droit français avant 1789 ». Mais la lecture du résumé des chapitres nous montre qu’il ne s’agit là que du développement d’une partie du cours de première année. La matière est seulement plus approfondie, mieux détaillée. Mais on retrouve toujours la même méthode d’exposition : histoire externe du droit, histoire interne, droit privé, condition des personnes, propriété, droit public, etc.58. En dépit de l’absence de tout autre plan détaillé, nous savons qu’en 1891-1892, le même Vigneaux traitera « Des origines du droit canonique », ce qui posera problème, comme nous le verrons. Enfin, nous n’ignorons pas que P.-E. Vigneaux ne fut pas toujours investi de ce cours complémentaire d’histoire du droit français en doctorat. Nous avons vu que vers la fin du siècle, Henri Monnier a pu se charger de la matière. De la même manière, Léon Duguit pouvait enseigner l’histoire du droit en doctorat, comme il le fera à partir de 1905 notamment. Mais nous ignorons malheureusement tout de la substance des cours de Monnier et de Duguit.
47Il est donc évident que l’histoire du droit enseignée à la faculté de Bordeaux l’est de la manière la plus traditionnelle. Ni Levillain ni Vigneaux ne remettent en cause les méthodes d’enseignement de cette matière ou son contenu. Dans ces conditions, nous pouvons légitimement nous poser la question de l’impact de ces cours d’histoire du droit. Comment étaient-ils professés ? Comment étaient-ils perçus ? Etaient-ils appréciés, non seulement par les étudiants, mais par la hiérarchie universitaire ? En d’autres termes, il convient de s’interroger sur la portée des cours d’histoire du droit à Bordeaux à la fin du XIXe siècle.
La portée des cours.
48Plusieurs sources archivistiques nous permettent d’émettre un jugement de valeur sur l’influence exercée par l’enseignement de l’histoire du droit. Quelques lettres de la main de Paul-Emile Vigneaux nous décrivent le déroulement de ses cours. Il existe en outre un certain nombre de statistiques sur la fréquentation des cours par les étudiants. De plus, nous disposons des rapports des différents doyens, adressés chaque année au recteur de l’Académie. Les dossiers individuels des professeurs contiennent aussi des fiches de renseignements confidentiels, émanant souvent des recteurs eux-mêmes. Enfin, les rapports d’inspection périodiquement rédigés par les inspecteurs généraux des facultés constituent un autre témoignage non négligeable59.
49Depuis les débuts de la faculté de droit de Bordeaux, les cours duraient une heure et demie, et se divisaient en deux parties. Dans la première demi-heure, le professeur dictait un texte à ses étudiants, texte qu’il commentait et expliquait pendant le reste de la séance. Cette technique était directement issue de la méthode exégétique, pratiquée jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les cours d’histoire du droit n’y échappaient pas, et Paul-Emile Vigneaux lui-même se plaisait à décrire le déroulement de ses cours : « Chaque leçon sera précédée de la dictée d’un sommaire assez détaillé et suivie d’indications bibliographiques précises qui renverront les étudiants studieux à nos grands écrivains, aux meilleures monographies, parfois aux publicistes et aux articles spéciaux des collections et des revues savantes, dont je désignerai jusqu’aux pages à consulter »60. La substance même du cours se trouvait donc encadrée par ce que Vigneaux appelait un sommaire, qui pouvait être soit un plan détaillé de la leçon, soit un texte dicté, et par une bibliographie minutieuse, relative à la matière enseignée. Cet enchaînement se répétait à chaque leçon, jusqu’à la fin du cours. Une leçon formait donc un tout. L’idéal consistait à traiter un chapitre par leçon. C’est en tous cas l’avis de Paul-Emile Vigneaux, qui s’excuse de devoir parfois consacrer plusieurs leçons à un même chapitre61. Mais on sait qu’avec l’abandon de l’Exégèse, la dictée préliminaire disparaît à l’aube du XXe siècle, et avec elle la durée traditionnelle du cours, qui sera désormais d’une heure. À la faculté de droit de Bordeaux, les cours étaient encore d’une heure et demie en 1898, mais se trouvaient réduits à une heure seulement en 1910, sans que nous puissions préciser l’année exacte de ce changement. On ne sait pas non plus si Paul-Emile Vigneaux a suivi cette transformation. S’il le fît, ce fut sans doute à l’extrême fin de sa carrière, puisqu’il partit à la retraite en 1909.
50Quel était le public de ces cours ? Il est difficile de répondre avec certitude à une telle question, mais pour Bordeaux, nous pouvons tenter une approche plus précise de ce problème. Entre 1875 et 1877, le doyen Couraud a dressé un état statistique du nombre des étudiants assistant aux cours, matière par matière, sans doute pour tenter de juguler un mal qui rongeait déjà son jeune établissement : l’absentéisme estudiantin62. On constate que ce tableau ne concerne que les trois premières années de l’enseignement historique de Vigneaux, et nous laisse ignorer le volume du public de Levillain. En 1875, 34 étudiants ont suivi le cours d’histoire du droit de P.-E. Vigneaux, 21 en 1876, et 27 en 1877. La même statistique nous apprend qu’en 1875, le cours d’histoire de première année a nécessité 63 leçons, 64 en 1876, alors que 29 leçons étaient déjà effectuées au moment du recensement de 1877. Rapportés au nombre total des étudiants pour les années considérées, ces chiffres sont instructifs. En 1875, il y avait 465 étudiants inscrits à la faculté de droit de Bordeaux, 445 en 1876, et 400 en 1877. Ces étudiants se répartissent sur les quatre années d’études, jusqu’au doctorat. Si l’on tient compte du fait que les étudiants sont toujours plus nombreux en première année de licence, on comprend que le cours d’histoire du droit n’était guère fréquenté, avec seulement une trentaine d’auditeurs en moyenne. Il est cependant juste de rappeler qu’entre 1875 et 1877, il ne s’agissait encore que d’un cours complémentaire. À partir de 1879, devenu cours d’État, et surtout à la suite du décret du 28 décembre 1880 le rendant obligatoire, il est vraisemblable que le cours attira une assistance accrue. Quant au cours complémentaire d’histoire du droit français spécifique au doctorat, il ne rassemblait guère que quelques individus. Mais aucun témoignage certain ne vient étayer cette estimation, qui demeure malgré tout vraisemblable.
51Lorsqu’on cherche à connaître l’ambiance de ces cours d’histoire du droit, les renseignements deviennent très ténus. Nous ne disposons pour cela que des fiches confidentielles incluses dans les dossiers administratifs des professeurs, fiches qu’il faut utiliser avec les précautions susdites. C’est ainsi que le doyen Couraud et son successeur Baudry-Lacantinerie considéraient que Camille Levillain était doté d’une élocution « convenable » et qu’il était « bon professeur ». L’opinion de l’inspecteur général Calixte Accarias est tout aussi neutre. En février-mars 1886, il inspecte la Faculté de droit de Bordeaux pour la seconde fois, et note dans son rapport : « En 1882, j’avais entendu M. Levillain dans des conditions défavorables : il était souffrant. J’ai été plus heureux cette fois. Son cours est bon, sans être remarquable. Il possède à fond son sujet, l’expose avec ordre et clarté dans un langage exact »63. À cette époque, Camille Levillain n’enseignait plus l’histoire du droit, mais nous pouvons nous faire une idée de ses dons oratoires. Telle n’était pourtant pas l’opinion du recteur de l’Académie de Bordeaux, G. Bizos, qui estime en 1898 qu’il « manque d’autorité et n’a pas su s’imposer à ses auditeurs ». Au début du XXe siècle, le même recteur Bizos se retient péniblement d’affirmer que Levillain est l’archétype du parfait imbécile, lorsqu’il écrit le 20 avril 1901 : « Que dire de M. Levillain, sinon qu’il est l’indolence et la médiocrité mêmes ? ». Il renouvellera cette opinion détestable l’année suivante, en déclarant que « M. Levillain n’a aucune autorité sur les étudiants. C’est un homme indolent et un professeur sans portée »64. Près de trente années se sont certes écoulées entre les cours d’histoire de Levillain (1873-1875) et les appréciations du recteur Bizos. Mais, en combinant tous les témoignages le concernant, on devine que ce professeur n’a certainement jamais été un modèle de dynamisme.
52En ce qui concerne Paul-Emile Vigneaux, les fiches de renseignements confidentiels insistent davantage sur sa science d’historien du droit que sur son talent pédagogique. Cependant, en 1882, l’inspecteur général Calixte Accarias avait trouvé son débit monotone. À son retour en 1886, il relève un léger mieux dans l’expression orale du professeur. Mais il semble qu’avec le décès prématuré de son épouse en 1892, le goût de Paul-Emile Vigneaux pour l’enseignement se soit quelque peu émoussé. Tous les rapports le décrivent comme replié, effacé, isolé. Son enseignement s’en ressent. En 1901, le sévère recteur Bizos, tout en reconnaissant sa douleur personnelle, dépeint Paul-Emile Vigneaux comme un professeur « retiré du monde après de grands malheurs domestiques, ne sortant de sa solitude que pour donner à la faculté un enseignement un peu sec et froid, mais consciencieux et solide ». L’année suivante, le recteur dépeint « un vieux maître maladif et morose, mais exact et laborieux ». Vers la fin de son activité professorale, les cours d’histoire du droit de Paul-Emile Vigneaux nous apparaissent assez relâchés. À la veille de sa retraite, le successeur du recteur Bizos, R. Thamin, signale en 1907-1908 que « Vigneaux est fatigué : ses élèves font du bruit dans ses cours »65.
53Mais en dehors des qualités personnelles et des défauts formels des enseignants et de leurs cours, comment la substance de la matière était-elle perçue ? Il s’agit ici d’essayer de juger le fond des cours, leur valeur intrinsèque. Or, on relève à ce sujet une nette différence entre Camille Levillain et Paul-Emile Vigneaux. Professé entre 1873 et 1875, le cours du premier n’a jamais été véritablement apprécié par ses supérieurs hiérarchiques. Le 20 juin 1874, alors que s’achève la première année d’enseignement historique de Levillain, le doyen Couraud, dans une lettre au recteur accompagnant l’envoi des programmes suivis dans sa faculté, décerne une mention particulière au cours de Camille Levillain : « [...] j’estime que certains de ces programmes ressemblent un peu trop à une table des matières : que celui d’histoire du droit, excellent du point de vue de l’histoire externe, n’est pas assez nourri d’histoire interne, je crois même que ce n’est pas, à ce point de vue, ce qu’a voulu M. le Ministre »66. Cet avis passablement négatif est à peine adouci par l’opinion de l’inspecteur général Charles Giraud, qui, après avoir lu le plan détaillé du cours de Levillain pour l’année 1874-1875, inscrit en marge de la première page : « Il y a de l’étude dans ce programme. Mais la direction du cours ne s’y manifeste pas assez. Approuver sans difficulté ». Sans doute reprochait-on à Levillain le manque de profondeur de son enseignement ? Peut-être le trouvait-on insuffisamment savant en histoire du droit ? Mais on sait que cette discipline n’était pas vraiment la matière de prédilection de Camille Levillain. Quoi qu’il en soit, ces reproches vont disparaître à partir de 1875- 1876, lorsque Paul-Emile Vigneux reprendra le cours d’histoire de première année. Dès lors, les réserves laissent place à la dityrambe. Le cours de Vigneaux ne suscite que des éloges, voire une cascade de louanges. En 1878, la fiche de renseignements rédigée à l’attention du recteur déclare que « nul n’est plus capable que lui d’enseigner l’histoire du droit » (tant pis pour Levillain...). Et lorsqu’il envoie le détail de son cours de 1878-1879 au Ministère, l’inspecteur général Giraud, dans une note manuscrite, s’extasie sur ce « très excellent programme [sic...] pour lequel il y a lieu de témoigner à M. Vigneaux la satisfaction du Ministre »67. On mesure par conséquent l’abîme qui sépare la réception du cours de Levillain de celle du cours de Vigneaux. On peut d’ailleurs s’interroger sur le fait de savoir si un tel écart se justifie pleinement. Nous connaissons le détail des cours de Levillain et de Vigneaux. Or, il n’y a pas une énorme différence de fond entre les deux. L’enseignement de Vigneaux peut sembler plus complet, plus savant, moins superficiel. Mais le plan général des deux cours demeure très comparable, et les méthodes d’exposition restent identiques. Il est vrai que le plan détaillé fourni au ministère par Levillain est infiniment moins travaillé que les envois successifs de Vigneaux. Mais cette nuance ne peut à elle seule expliquer les appréciations très opposées entre les deux enseignements, tant de la part du doyen Amédée Couraud que des recteurs ou des inspecteurs généraux.
54Nous avons dit qu’il était beaucoup plus difficile de connaître le cours complémentaire d’histoire du droit français en doctorat. L’absence de contrôle hiérarchique, consécutive à sa qualité de simple cours complémentaire, entraîne la raréfaction des témoignages concernant ce cours, et l’inspecteur général Lyon-Caen s’en était désolé en 189268. Cependant, son rapport d’inspection pour cette année 1892 nous dévoile le thème choisi par P.-E. Vigneaux : les origines du droit canonique. Ce choix déchaîne les critiques de Lyon-Caen, et renforce sa conviction de la nécessité d’un contrôle étatique sur les cours complémentaires : « Le professeur d’histoire du droit a traité, en 1891-1892, dans son cours de doctorat, des origines du droit canonique. C’est là un sujet tout spécial, et il est profondément fâcheux d’exiger, pour l’examen, des aspirants au doctorat, qu’ils apprennent des matières aussi restreintes, qu’on peut qualifier de matières de pure érudition, quand ils ignorent les choses nécessaires et fondamentales »69. On peut s’étonner que cette seule raison constitue l’unique motif du courroux de l’inspecteur général. En 1892, au lendemain de la laïcisation républicaine des années 1880, comment ne pas avoir relevé qu’enseigner le droit canonique dans une université juridique d’État constituait une monstruosité ? Sans doute les encycliques Rerum novarum de l’année précédente 1891, et celle « Au milieu des sollicitudes » du 12 février 1892, appelant les catholiques français au ralliement à la République, ont-elles beaucoup fait pour tempérer les critiques de l’inspecteur général à l’égard du cours de doctorat de P.-E. Vigneaux70. Quoi qu’il en soit, il s’agit là du seul avis négatif connu concernant l’historien du droit bordelais dans toute sa carrière.
55Si l’on excepte les deux années 1873-1875, le sort de l’histoire du droit à Bordeaux repose donc sur Paul-Emile Vigneaux, qui enseignera cette matière sans interruption (tout au moins en première année) entre 1875-1876 et 1908-1909, soit pendant 34 ans. Si l’on part du principe que le fond du cours de Vigneaux est considéré à l’époque comme quasiment parfait, cela ne suffit pas pour hisser l’histoire du droit au rang d’une science. Pour cela, le support que constitue la recherche demeure absolument indispensable. Qu’en est-il à la faculté de droit de Bordeaux ?
2 – La recherche en histoire du droit.
56Evacuons immédiatement le cas de Camille Levillain : il n’a rien écrit en histoire du droit. En l’occurrence, il ne détonne pas au sein de la première génération d’enseignants de la faculté de droit de Bordeaux71. Les premiers maîtres bordelais n’étaient pas vraiment des chercheurs, à l’exception de quelques uns, et beaucoup n’auront qu’une activité scientifique fort limitée. Pourtant, toutes les conditions se trouvaient réunies au sein de la faculté pour mener à bien une œuvre scientifique. Le doyen Couraud avait consacré une énergie considérable et des moyens financiers importants pour doter son établissement d’une magnifique bibliothèque contenant absolument tous les ouvrages et toutes les revues souhaitables. Le bibliothécaire lui-même, Georges Platon, était un savant. Il avait abandonné une carrière d’enseignant prometteuse pour suivre les cours de l’Ecole des Hautes Etudes. Il avait préféré un poste de bibliothécaire pour mieux se consacrer à la lecture, au commentaire des ouvrages, et a ses travaux personnels72. Parmi les professeurs les plus laborieux, on trouve Paul-Emile Vigneaux, mais avec neuf publications seulement pour 39 années de service. Cependant, l’examen des ouvrages et travaux de l’historien du droit bordelais ménage quelques surprises. En effet, nous constatons que sa production scientifique concerne essentiellement le droit romain. C’est ailleurs qu’on découvre la recherche scientifique en histoire du droit, ce qui constitue un véritable paradoxe bordelais.
Le poids du droit romain.
57Paul-Emile Vigneaux a publié neuf études scientifiques au cours de sa vie universitaire (en comptant sa thèse). Or, nous remarquons qu’une seule concerne, très partiellement, l’histoire du droit. C’est en effet dans sa thèse, soutenue à Paris en 186773, que l’on découvre les seules lignes de son œuvre écrit relatives à l’histoire du droit. Comme toutes les thèses de l’époque, celle-ci comprend deux parties : droit romain (Du mariage) et droit positif contemporain (De la communauté réduite aux acquêts). Dans cet ensemble de 311 pages, 105 sont consacrées au droit romain, et 196 au droit positif. L’histoire du droit est réduite à 46 pages, et n’est utilisée que comme introduction historique au second volet de la thèse. Après cette thèse de 1867, Vigneaux n’écrira plus rien en histoire du droit. Se destinant tout d’abord à la profession d’avocat, il est l’auteur du discours de rentrée du barreau de Bordeaux pour l’année 1868, et produit à cette occasion un travail biographique sur un illustre avocat bordelais, qui ne contient pas un seul mot d’histoire du droit74. En 1881, il donne un compte-rendu d’à peine trois pages relatif à une publication de textes, suivi en 1882 d’une notice portant sur trois manuscrits de la Bibliothèque Vaticane75. Mais, pour remarquables qu’elles sont, ces deux publications n’intéressent que le droit romain médiéval. C’est encore dans le domaine du droit romain qu’il réalisera son travail majeur : Essai sur l’histoire de la Praefectura urbis à Rome. C’est de son séjour à l’Ecole française de Rome, en 1880-1881, qu’il ramènera la matière de ce livre. La publication s’effectuera tout d’abord par livraisons régulières dans la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence. Il ne faudra pas moins de douze années consécutives (1885-1896) pour venir à bout de l’entreprise. La dernière année de livraison, les fascicules seront réunis et édités en un volume unique76. Il s’agit là d’un travail monumental, unanimement salué, qui suffira à asseoir la réputation scientifique de son auteur pour le restant de sa carrière. Mais on conviendra qu’il ne s’agit pas d’histoire du droit. En 1884, pendant que se poursuit la parution de son Essai sur la Praefectura urbis, Paul-Emile Vigneaux donne à la Revue générale du droit, un compte-rendu critique du Cours élémentaire d’histoire du droit français public et privé depuis les premiers temps jusqu’à la publication du Code civil, du professeur toulousain Ginouilhac. Il s’agit ici incontestablement d’histoire du droit. Mais, analyser les travaux d’un collègue, n’équivaut assurément pas à une production personnelle. La critique de Vigneaux, souvent acerbe sous un aspect onctueux, montre certes toute l’étendue de son savoir, mais il est évident que l’on ne peut tenir ce compte-rendu pour une œuvre originale77. Affectionnant décidément les analyses d’ouvrages. Vigneaux entreprend ensuite un commentaire analytique et critique de la traduction du Manuel des antiquités romaines de Mommsen et Marquardt, sous la direction de Georges Humbert. Quatre livraisons seront nécessaires pour triompher de ce labeur78. Mais ici encore, toujours du droit romain. Puis, de 1896 à 1909, année de son départ à la retraite, on ne trouve plus aucune publication de P.-E. Vigneaux pendant 13 ans. Ce silence scientifique est-il dû au traumatisme causé par le décès de son épouse, déjà responsable de son effacement, de son repli et de sa morosité signalés par les rapports le concernant ? On ne sait. Mais, au moment de quitter la carrière universitaire, il signe un ultime travail sur la date de l’édit de Nantes79. Il s’agit essentiellement d’une étude archivistique exhaustive, dans laquelle Paul-Emile Vigneaux démontre une maîtrise totale des sources et une connaissance parfaite de la littérature de son temps sur ce sujet. Mais il ne s’agit toujours pas d’histoire du droit, puisque ce travail concerne la chronologie, et s’efforce de déterminer la seule véritable date à retenir pour cet édit fondamental.
58Au total, sur les neuf travaux publiés par Paul-Emile Vigneaux, cinq sont consacrés au droit romain, et trois ne sont que des comptes-rendus d’ouvrages, que l’on ne peut considérer comme des œuvres personnelles, en dépit de leurs qualités. En définitive, Vigneaux n’a jamais écrit qu’une quarantaine de pages sur l’histoire du droit, isolées dans sa thèse80. Comment expliquer cette attirance marquée pour le droit romain, de la part d’un professeur se déclarant passionnné par l’histoire du droit ? Sans doute, la formation juridique délivrée dans les facultés de droit au XIXe siècle peut-elle apporter un élément de réponse. Toutes les études sont en effet concentrées autour du droit civil et du droit romain, considéré à la fois comme l’histoire du droit civil et comme outil méthodologique pour l’apprentissage de cette dernière discipline. En outre, les thèses de doctorat doivent obligatoirement faire place à l’un et à l’autre, et ce schéma restera immuable pendant longtemps. Il faut attendre un décret du 28 décembre 1878 pour voir le droit public et le droit commercial introduits en doctorat. Or, Paul-Emile Vigneaux est docteur de 186781. Enfin, ce n’est qu’en 1896 que l’agrégation des facultés de droit sera fractionnée en quatre sections, dont l’une spécialement vouée au droit romain et à l’histoire du droit. Avant 1896, l’agrégation en droit était globale, et la connaissance du droit romain et du droit civil déterminait le succès au concours. Paul-Emile Vigneaux, agrégé en 1872, appartient à cette génération de professeurs « généralistes ». Pour toutes ces raisons, la recherche juridique se tourne plus volontiers vers le droit civil et le droit romain.
59Paul-Emile Vigneaux participe donc médiocrement à la constitution de la science historique du droit. L’absence de véritables travaux dans ce domaine a d’ailleurs paru gêner quelque peu ses supérieurs et ses collègues. Tous louaient son immense savoir. Léon Duguit lui-même, avouait apprendre énormément en écoutant les conversations réunissant Henri Monnier. Paul-Emile Vigneaux et le bibliothécaire Georges Platon. Mais tous regrettaient que Vigneaux n’ait pas répandu sa science de l’histoire du droit dans le public. En 1901-1902, le doyen Baudry-Lacantinerie écrit qu’« il est incontestable que Vigneaux a réuni de très nombreux matériaux, fruits de ses longues et patientes recherches, mais il en fait profiter ses élèves en attendant d’en faire profiter le public »82. En 1922, Léon Duguit, évoquant la mémoire de son collègue et ami Vigneaux, disparu l’année précédente, estimera qu’il « a laissé des traces profondes dans l’enseignement de l’histoire du droit ». Mais il ajoute : « [...] son beau livre sur la Praefectura urbis fait profondément regretter que sa modestie (sic...) l’ait empêché de donner de plus nombreuses publications »83. Cependant, la quasi inexistence d’études d’histoire du droit ne fait pas de Paul-Emile Vigneaux un ignorant ou un paresseux. Bien au contraire, il était très savant, et tous ses travaux forcent l’admiration sur ce point. Il parlait plusieurs langues. C’était un excellent épigraphiste. Il possédait une connaissance quasi-exhaustive des sources et de la littérature scientifique. Il n’ignorait aucune publication concernant sa discipline. Mais en dépit de ces qualités éminentes et de sa passion pour l’histoire du droit, le poids de la tradition romaniste a paralysé sa production scientifique en histoire du droit. N’est-il pas significatif qu’il n’ait jamais donné le moindre article à la Revue Historique de Droit français et étranger, revue majeure s’il en est de la discipline qu’il enseignait ? Contraste étonnant avec, par exemple, l’activité déployée par les historiens du droit toulousains : Ginouilhac avait fondé sa propre revue, avant de participer à la création de la Revue Historique de Droit français et étranger. Brissaud écrit dans tous les périodiques importants de la fin du XIXe siècle, et dirige la Revue générale du droit : ses travaux sont traduits en anglais84. Pour autant, on travaillait l’histoire du droit à la faculté de Bordeaux. Mais ce n’était pas l’historien du droit local qui se chargeait de la besogne. Cette réalité constitue par conséquent un véritable paradoxe.
Le paradoxe bordelais.
60Pour apprécier la contribution de la faculté bordelaise à la science de l’histoire du droit, il faut se tourner vers les collègues de Levillain et de Vigneaux. Ce sont eux en effet, qui travaillent plus volontiers l’histoire du droit. Il convient d’expliquer cette singularité, qui, en réalité, n’est qu’un paradoxe apparent. En effet, à la fin du XIXe siècle, beaucoup d’universitaires considèrent encore que la véritable histoire du droit, c’est le droit romain. Dans la mesure où le droit civil constitue l’essentiel du droit positif, le droit romain est regardé comme l’histoire du droit civil, auquel il sert de base scientifique85. Dans ces conditions, l’histoire du droit n’est utilisée que comme introduction des autres cours enseignés. Chaque professeur travaille donc l’histoire juridique afin de nourrir le chapitre introductif de son cours86. Cet état d’esprit est parfaitement vérifiable, à Bordeaux. À la faculté de droit, Henri Barckhausen, professeur de droit administratif, est sans conteste l’enseignant le plus actif en matière d’histoire du droit. Il publie au moins sept travaux d’envergure entre 1876 et 1907, c’est-à-dire pendant le temps où Vigneaux occupe la chaire d’histoire du droit. Barckhausen est un grand connaisseur des institutions municipales de Bordeaux au Moyen Âge, ainsi que des coutumes de la ville, dont on lui doit la publication et l’analyse. L’œuvre juridique de Montesquieu n’a pas de secret pour lui. Il est enfin l’auteur de deux études sur les statuts de l’Université de Bordeaux au Moyen Âge et sur l’enseignement au XVIIIe siècle87. Très versé dans l’histoire du droit, comme on l’a dit, Léon Duguit se distingue également par sa production scientifique en ce domaine. À la différence de son collègue et ami Vigneaux, il livre à La Revue Historique de Droit français et étranger une magistrale étude sur le rapt de séduction, suivie d’une note sur la famille dans l’ancien droit. À la fin du XIXe siècle, il publie un travail sur la séparation des pouvoirs en 1789. Au début du siècle suivant, il travaille toujours la matière, en étudiant les rapports entre 1 Église et l’État avant la loi de 190588. L’économiste Joseph Benzacar n’est pas en reste, avec six ouvrages consacrés à l’Ancien Régime. C’est également à lui que l’on doit la publication (avec Marion et Candriller) des documents relatifs à la vente des biens nationaux en Gironde sous la Révolution89. Enfin, même le savant bibliothécaire Georges Platon travaillait l’histoire du droit et publiait les résultats de ses recherches. On lui doit au moins deux importantes études sur l’époque franque et le droit médiéval90.
61On comprend donc qu’en dehors du titulaire de la chaire d’histoire du droit, la faculté de droit de Bordeaux participe malgré tout à l’élévation scientifique de cette discipline. Mais il s’agit, pour les chercheurs, d’utiliser l’histoire juridique comme élément d’appoint pour leur propre matière. En ce sens, l’histoire du droit est employée de manière explicative au service d’autres spécialités (droit administratif, droit constitutionnel, économie politique), exactement comme le droit romain peut servir à illustrer la genèse du droit civil91. Dans l’esprit de ces universitaires bordelais, l’histoire du droit est à leur discipline ce que le droit romain est au droit civil. Mais leur démarche aura le mérite de contribuer à faire de l’histoire juridique un paramètre de l’organisation normative de la vie sociale, et non plus une simple succession de faits et de textes commentés chronologiquement. Grâce à eux, le champ d’investigation de l’histoire du droit s’élargit à l’activité humaine tout entière, diversifiant ainsi son domaine traditionnel.
62C’est donc de manière très contrastée que l’histoire de droit s’implante à la faculté de droit de Bordeaux à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Autant la création des différents cours et de la chaire se fait rapidement sans véritable difficulté, autant la science de l’histoire du droit suit un cheminement laborieux. L’autonomie, l’indépendance de la matière sont acquises très tôt, mais le niveau scientifique de la discipline tarde à s’élever. Il faut dire que la réglementation des études pouvait constituer un véritable handicap. Il faut attendre l’arrêté du 23 juillet 1896 et le sectionnement de l’agrégation pour que l’histoire obtienne un rang officiel au niveau le plus élevé. On peut d’ailleurs se demander si, loin de consacrer les historiens du droit, cette réforme de 1896 n’a pas contribué à les isoler en les coupant des évolutions contemporaines de la science juridique92. Mais jusque là, il n’existe pas de réelle préparation spécifique à l’histoire juridique. À Bordeaux, Paul-Emile Vigneaux, quoique très savant, appartient à l’ancienne génération des enseignants universitaires. Il restera en fonctions jusqu’en 1909, ce qui signifie que treize ans après la réforme de l’agrégation, rien n’avait véritablement changé pour l’histoire du droit au sein de la faculté bordelaise, en particulier pour le cours de première année de licence. Vigneaux ne nourrit aucun dessein pour l’histoire du droit, et son absence de vision globale contraste fortement avec celle d’un Adhémar Esmein, par exemple93. Pourtant, en 1906, apparaît André Ferradou, qui reçoit la charge du cours complémentaire de doctorat après Vigneaux, Monnier et Duguit. Il est le premier représentant issu de la nouvelle agrégation d’après 189694. Il sera rejoint en 1909 par Pierre Maria, qui s’installe sur la chaire laissée vacante par le départ à la retraite de Paul-Emile Vigneaux95. Mais tant que les études doctorales ne seront pas calquées sur l’organisation quadripartite des disciplines juridiques, rien ne changera vraiment. Ce n’est qu’en 1925 que le décret du 2 mai réformera le doctorat, et, du même coup les études historiques. En créant quatre diplômes d’études supérieures correspondant à chacune des sections établies en 1896 pour l’agrégation, le texte du 2 mai 1925 réalisait une adéquation parfaite entre les études et la recherche juridiques. Désormais, la formation doctorale coïncidait avec l’agrégation96. On pouvait former de véritables spécialistes des diverses disciplines juridiques. Dès lors, l’enseignement de l’histoire du droit disposera de tous les atouts souhaitables pour se hisser au rang d’une authentique science.
Notes de bas de page
1 Pour tout ce qui concerne l’histoire générale de la faculté de droit de Bordeaux, nous renvoyons à notre ouvrage : La Faculté de droit de Bordeaux (1870-1970), Presses universitaires de Bordeaux, 1996, 492 p.
2 Sur ces graves difficultés et l’action de Jules Simon, cf. Paul Gerbod, La condition universitaire en France au XIXe siècle, Paris, P.U.F., 1965, p. 516-519.
3 On trouvera une bibliographie relative à ces problèmes dans les Annales d’histoire des facultés de droit, 1984, n° 1, p. 63-95, et 1985, n° 2, p. 167-182.
4 Christophe Charle, La République des universitaires (1870-1940), Paris, éd. du Seuil, 1994, p. 319 s.
5 André-Jean Arnaud, Les juristes face à la société, du XIXe siècle à nos jours, Paris, P.U.F., 1975, p. 19-23, et Nader Hakim, L’autorité de la doctrine civiliste française au XIXe siècle, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002, p. 181-184 (avec une riche bibliographie).
6 Charles Turgeon, « L’enseignement des facultés de droit de 1879 à 1889 », Revue internationale de l’enseignement, t. 19. 1890, p. 276 et 284-293 pour le cas particulier de l’histoire du droit.
7 Jean-Louis Halperin, « L’histoire du droit constituée en discipline : consécration ou repli identitaire ? », Revue d’histoire des sciences humaines, 4, Paris, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 10 et 22.
8 Les archives de l’ancienne faculté de droit de Bordeaux sont réparties dans quatre dépôts principaux : l’actuelle Université Montesquieu-Bordeaux IV, les Archives municipales de Bordeaux, les Archives départementales de la Gironde, et les Archives nationales. En dépit de cet éparpillement, le fonds est complet, à l’exception de quelques lacunes.
9 Le discours inaugural du doyen Couraud est conservé aux Archives municipales de Bordeaux, Xa 267, et aux Archives nationales, F17 13200. Il représente 37 pages, dont 24 concernent l’histoire du droit ! Cette curiosité a déjà été relevée par Jacques Bouineau, « Un doyen en politique : Amédée Couraud (1827-1892) », dans Pensée politique et droit, actes du XIIe Colloque de Strasbourg (11-12 septembre 1997), Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1998, p. 449-450.
10 Archives municipales de Bordeaux, Xa 267, p. 15.
11 Ibid., p. 19 s.
12 Sur cette filiation intellectuelle, voir Georges Navet, « Eugène Lerminier (1803-1857) : la science du droit comme synthèse de l’histoire et de la philosophie », Revue d’histoire des sciences humaines, 4, Paris, Presses universitaires du Septentrion, 2001, p. 33-56.
13 Sur tout ce qui précède : Jean-Louis Halperin, « L’histoire du droit constituée en discipline [...]. », p. 16 à 18.
14 Pascale Gonod, Edouard Laferrière, un juriste au service de la République, Paris, L.G.D.J., 1997, p. 2 à 6.
15 Sur l’inspection générale des facultés de droit et sur Laferrière et Giraud en particulier, voir Alain Laquieze, « L’inspection générale des facultés de droit dans la seconde moitié du XIXe siècle (1852-1888) », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 1989, n° 9, p. 7-43, et plus spécialement p. 15 à 20 sur Laferrière et Giraud. Sur ces deux derniers personnages, on consultera également Jacques Bouineau, « Racines universitaires de Romuald Szramkiewicz (début XIXe siècle-1900) », Hommage à Romuald Szramkiewicz, Paris, Litec, 1998, p. 375-378. Ce même article contient une notice biographique sur le doyen Couraud (p. 394-395).
16 Voir cette Instruction pour les Ecoles de droit dans de A. de Beauchamp, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, t.l., Paris, éd. de Delalain, p. 160 à 168, et en particulier Chapitre V article 43, p. 165 : « Chaque professeur de droit français divisera son cours triennal sur le Code civil ainsi qu’il suit : la première année, après un précis historique des variations de notre droit français, il expliquera d’une manière purement élémentaire, la totalité des matières de notre Code civil. »
17 Archives municipales de Bordeaux, Xa 267, p. 33, discours du doyen Couraud.
18 Ibid., p. 40-41.
19 Christophe Charles, OUV. cité., p. 21 s.
20 Par exemple, en 1891, la faculté de droit de Bordeaux dépêche l’un de ses professeurs en voyage d’étude en Allemagne : Marc Malherbe, « L’influence germanique dans l’enseignement économique et juridique à Bordeaux (XIXe-XXe siècle) », Annales aquitaines d’histoire du droit, t.l, Bordeaux, C.E.R. H. LR., 1997, p. 89-104. Autre exemple, en 1898, le discours de rentrée de la faculté de droit de Bordeaux, prononcé par le doyen Baudry-Lacantinerie, successeur d’Amédée Couraud. n’est pas autre chose qu’une apologie de l’idée de patrie. Dernier témoignage de germanophilie, la faculté de droit d’Aix-en-Provence : Jean-Louis Mestre, « Les juristes aixois et la science juridique allemande au XIXe siècle », La coopération franco-allemande en Europe à l’aube du XXIe siècle, colloque du quarantième anniversaire du jumelage Aix-Tübingen, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1998, p. 105- 123. D’une manière générale, l’influence allemande est un phénomène européen à cette époque. C’est ainsi que beaucoup d’universitaires français entretenaient une correspondance avec des collègues allemands, à commencer par Edouard Cuq, professeur à la faculté de droit de Bordeaux entre 1876 et 1893 : Olivier Motte, Lettres inédites de juristes français du XIXe siècle, conservées dans les archives et bibliothèques allemandes, t.l, Bonn, éd. Röhrscheid, p. 14-15, et 563 à 569 pour les lettres de Cuq, en particulier à Mommsen.
21 Quelques années plus tard, dans son rapport annuel au recteur de l’Académie des activités de la faculté de droit, le doyen Couraud ajoutera un élément auquel il n’avait pas songé lors de son discours du 20 novembre 1873 : il pense que l’historien du droit pourrait puiser des exemples dans le passé des institutions politiques, civiles et administratives de Bordeaux et du Sud-Ouest. Il voudrait ainsi rassembler à Bordeaux les sources manuscrites et imprimées de l’histoire juridique du Sud-Ouest : Archives nationales, F17 13200 rentrée solennelle des facultés de Bordeaux, 25 novembre 1878, p. 46-47.
22 Sur le rôle moteur de l’économie politique dans l’introduction de nouvelles disciplines au sein des facultés de droit, voir Histoire des Universités en France (dir. J. Verger), Toulouse, Privat, 1986, p. 341-342, et surtout les travaux de L. Le van Lesmesle, en particulier : « La promotion de l’économie politique en France au XIXe siècle, jusqu’à son introduction dans les facultés », dans Revue d’Histoire moderne, 1980, p. 270 s.
23 Discours du 20 novembre 1873, Archives municipales de Bordeaux, Xa 267, p. 19.
24 Statistique de l’Enseignement supérieur, Paris, Imprimerie nationale, 1878, p. 21 1.
25 A.D. Gironde, T 92 (fonds du rectorat).
26 Dossier administratif de Camille Levillain, A.D. Gironde, VT 111, liasse 47.
27 Il partira à la retraite le 1er novembre 1914 après 45 ans d’activité dont 41 à Bordeaux. Mais il reprendra ses cours bénévolement pendant la guerre de 1914-1918, permettant ainsi un fonctionnement à peu près normal de la faculté de droit lors du premier conflit mondial.
28 Dossier administratif d’Alphonse Marandout, A.D. Gironde, VT 111, liasse 50. Marandout prendra sa retraite en 1913 après 41 années d’enseignement universitaire, dont 40 à Bordeaux.
29 Dossier administratif de Paul-Emile Vigneaux, A.D. Gironde, VT 111, liasse 76.
30 A de Beauchamp. Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, t. 3, Paris, 1884, p. 285.
31 Bulletin administratif du Ministère de l’Instruction publique, t. 22, Paris, 1879, p. 868 et 1036.
32 Dossier administratif de Paul-Emile Vigneaux, A.D. Gironde, VT 111, liasse 76.
33 Membre du jury de l’agrégation d’histoire du droit en 1898, il prendra sa retraite le 1er novembre 1909. Il décède à Bordeaux le 23 avril 1921, âgé de 82 ans.
34 Article 4 al. premier du décret du 28 décembre 1880, dans de A de Beauchamp, Recueil des lois [...], t. 3, Paris, 1884, p. 537. Norbert Rouland considère que ce texte de 1880 est le premier d’une série qui portera les enseignements historiques à leur niveau maximum en 1954 : « L’histoire des institutions : du hasard à la nécessité », Droit prospectif, 1, 1983, p. 19. Sur les implications socio-politiques de l’introduction de nouvelles disciplines au sein des facultés de droit, voir la synthèse de Jacques Poumarède : « Pavane pour une histoire du droit défunte (sur un centenaire oublié) », dans Procès, n° 6, 1980, p. 94.
35 A.D. Gironde, T 93 (fonds du rectorat).
36 Sur cette belle lancée, la faculté de droit de Bordeaux tentera, sous le décanat de Gabriel Baudry-Lacantinerie, d’obtenir l’ouverture d’un cours d’Histoire du droit romain, qui aurait été confié à Edouard Cuq. C’est dans une délibération du 22 juin 1888 que l’Assemblée de la faculté réclame sa création. Mais le Ministère faisait encore la sourde oreille en 1892. Le projet sera abandonné l’année suivante, car Edouard Cuq sera nommé à Paris, où il terminera sa brillante carrière de romaniste (Archives de la faculté de droit de Bordeaux, registres des délibérations de l’Assemblée de la faculté, n° 2 (22 juin 1888), et n° 3 (délibérations des 12 juin 1889, 27 juillet 1890, et 16 mai 1892).
37 Sur cette importante réforme du doctorat, voir Jean Imbert, « Passé, présent et avenir du doctorat en droit en France », Annales d’histoire des facultés de droit, n° 1, 1984, p. 25-26. Le régime du décret du 30 avril 1895 sera légèrement retouché par le décret du 8 août 1898 : J. Gatti-Montain, Le système d’enseignement du droit en France, Lyon, Presses universitaires, 1987, p. 83-85.
38 A.D. Gironde, VT 111, liasse 76. Le dossier administratif de Paul-Emile Vigneaux contient deux lettres, des 6 et 28 décembre 1905, dans lesquelles le Ministre de l’Instruction publique donne son accord à ce projet et charge Léon Duguit du cours complémentaire d’histoire du droit français en doctorat de sciences juridiques. Léon Duguit assurera même des conférences facultatives (ancêtres de nos travaux dirigés) d’histoire générale du droit français et de droit romain !
39 Jean-Louis Halperin « L’Histoire du droit constituée en discipline [...] », p. 23.
40 J. Gatti-Montain, ouv. cité, p. 81 s..
41 Voir par exemple Jean-Louis Halperin « L’enseignement du droit civil dans les années 1880 à travers les notes de Louis Stouff », Mémoires de la Société pour l’Histoire du Droit et des Institutions des anciens pays bourguignons, comtois et romands, 57, n° spécial sur l’histoire de l’enseignement, 2000, p. 197-208.
42 Alain Laquieze, « L’inspection générale des facultés de droit », art. cité, p. 28-29.
43 Les archives concernant les cours d’histoire de la faculté de droit de Bordeaux sont réparties dans deux dépôts. Pour la période 1873-1883, il faut consulter les Archives nationales, en particulier le carton F1713162. Mais les cours des années 1883-1886 sont conservés aux Archives départementales de la Gironde, T 93, fonds du rectorat.
44 Lettre au doyen Couraud du 19 juillet 1878, Archives nationales, F17 13162. Pour l’année 1879-1880, Vigneaux fera beaucoup mieux, en expédiant au Ministère son programme complet, c’est-à-dire son cours entier, sous la forme d’un véritable colis de 400 pages manuscrites. Les différents dépôts d’archives n’ont malheureusement pas conservé ce véritable monument, dont nous ne connaissons l’existence que par deux lettres de Paul-Emile Vigneaux, datées l’une du 8 juillet 1881, et l’autre du 2 juillet 1882 (F17 13162). Ce bel effort lui permettra de n’envoyer plus tard que des résumés de ses cours, en priant le destinataire de se reporter au cours complet de 400 pages pour plus amples détails.
45 Ce souci de comparaison n’est pas systématique chez P.-E. Vigneaux, et sa place est très réduite dans son cours. Cependant, à la fin du XIXe siècle, quelques parallèles avec le système anglais et le droit allemand sont inévitables. Mais on ne peut pas affirmer que Vigneaux s’inscrit dans le courant comparatiste qui se développe en France à la fin du Second Empire : Jean Hilaire, « La place de l’histoire du droit dans l’enseignement et la formation du comparatiste », Revue internationale de droit comparé, 50e année, n° 2, avril-juin 1998, p. 320-322.
46 Archives nationales, F17 13161,Plan détaillé du cours de 1882-1883 avec lettre d’accompagnement du 2 juillet 1882.
47 A.D. Gironde, T 93, fonds du rectorat. Plan du cours de 1883-1884 avec lettre jointe (datée du 9 août 1883). En 1884-1885, le cours de Vigneaux est extrêmement semblable à celui de l’année précédente : voir lettre du 1er août 1884, A.D. Gironde, même cote.
48 Pour le programme de l’année 1885-1886, voir A.D. Gironde, T 93, fonds du rectorat, lettre de P.-E. Vigneaux du 1er août 1885,.
49 Sur Ginouilhac et Brissaud, voir Jean Dauvillier, « Le rôle de la faculté de droit de Toulouse dans la rénovation des études juridiques et historiques aux XIXe et XXe siècles », Annales de l’Université des sciences sociales de Toulouse, t. XXIV, 1976, p. 366-367 et 374-375. Titularisé sur sa chaire d’histoire du droit le 28 octobre 1879, P.-E. Vigneaux ne fait pas partie du jury de thèse de Brissaud, thèse soutenue le 14 février précédent.
50 André-Jean Arnaud, Les juristes face à la société, du XIXe siècle à nos jours, ouv. cité, p. 114.
51 Henri Klimrath, Travaux sur l’histoire du droit français, t.l, Paris, 1843, p. 171-180. On trouve là trois plans pour un cours d’histoire du droit public et privé de la France, qui annoncent clairement la structure des cours de P.-E. Vigneaux.
52 Edouard Laboulaye, « La chaire d’Histoire du droit et le concours », Revue de législation et de jurisprudence, 28, 1847, p. 129-166.
53 Jean-Louis Halperin. « L’histoire du droit constituée en discipline [...] », p. 10. et Jacques Poumarède, « Pavane [...] », art.cité, p. 95-96.
54 Ces constatations permettent de tempérer quelque peu les conclusions de Pierre Legendre, « L’administration sans histoire : les courants traditionnels de recherche dans les facultés de droit », Revue administrative, 1968, p. 431.
55 Esmein a toujours indiqué qu’il comptait dépasser 1789 dans son enseignement. En 1896, il publie ses Eléments de droit constitutionnel, suivis en 1908 du Précis élémentaire d’histoire du droit français de 1789 à 1815 (Révolution, Consulat, Empire). Mais en 1896, Vigneaux était très proche de la fin de sa carrière, et il prendra sa retraite en 1909. D’autre part, le cours de Vigneaux n’englobait pas systématiquement la Révolution le Consulat et l’Empire. Il est donc difficile d’en faire un précurseur d’Esmein : sur ce point, voir Jacques Poumarède, « Pavane [...] »., p. 96.
56 Voir le rapport d’inspection de la faculté de droit de Bordeaux en juin 1892. Le professeur Lyon-Caen, membre du Comité consultatif des universités et inspecteur délégué à Bordeaux, déplore cette liberté de choix et l’absence de tout contrôle étatique, qui, selon lui, aboutit aux abus les plus criants : « [...] A Bordeaux, le mal s’est produit de la façon la plus grave pour le cours de Pandectes de M. Monnier : il parle grec tout le temps, langue que les étudiants n’entendent pas forcément. Il présente et expose des textes grecs, que les étudiants lisent et assimilent fort mal, en dépit de la traduction. Pour l’examen, ils apprennent la matière par cœur [...] » (Archives nationales, F17 13072, rapport daté du 29 juillet 1892, p. 3-4).
57 A.D. Gironde, T 93 (fonds du rectorat).
58 A.D. Gironde, T 93, fonds du rectorat, avec lettre jointe de Paul-Emile Vigneaux, du 4 août 1883.
59 Il convient cependant de manier avec beaucoup de précautions les comptes-rendus des doyens sur l’activité de leur faculté et le talent de leurs professeurs. Un doyen a tout intérêt à présenter l’établissement qu’il dirige sous son meilleur jour. Dans ces conditions, rares sont les remarques négatives sur tel ou tel enseignant : il faut vraiment une situation de conflit d’une grande gravité pour qu’un doyen signale un dysfonctionnement dans sa faculté. En revanche, les recteurs sont enclins à une plus grande rigueur, et les renseignements confidentiels qu’ils transmettent au ministère sur les professeurs sont parfois extrêmement sévères. Enfin, les inspecteurs généraux ne passent qu’un temps très bref au sein des établissements, et leurs rapports ne constituent qu’un cliché valable pour la seule époque de leur inspection. L’objectivité se situe sans doute dans une juste moyenne.
60 Sous la plume de P.-E. Vigneaux, cette phrase deviendra vite une clause de style, ou si l’on préfère un leitmotiv. On la retrouve en effet systématiquement, d’année en année, dans chaque lettre accompagnant l’envoi au Ministère de son programme du cours d’histoire de première année. C’est ainsi que de 1878 à 1886, il la reproduit in extenso à sept reprises (Archives nationales, F17 13162 pour les années 1878-1882, et A.D. Gironde, T 93, fonds du rectorat, pour les années 1883-1886).
61 Lettre au doyen Couraud, du 19 juillet 1878 : « Plus d’une fois, l’étendue des matières ou les exigences pratiques du professorat m’obligeront à diviser un seul chapitre en plusieurs leçons [...] »
62 A.D. Gironde, T 93 (fonds du rectorat). Ce tableau statistique a sans doute été confectionné au printemps de l’année 1877. Sur les raisons de l’absentéisme à la faculté de droit de Bordeaux, Marc Malherbe, La faculté de droit de Bordeaux (1870-1970), p. 189-191.
63 Archives nationales, F17 13072.
64 A.D. Gironde, VT111 liasse n° 47, dossier administratif personnel de Camille Levillain.
65 Ibid., VT 111, liasse n° 76, dossier administratif personnel de Paul-Emile Vigneaux.
66 Archives nationales, F17 13162.
67 Ibid. Cette exclamation concerne le premier plan détaillé de Vigneaux, comptant une centaine de pages. On aurait aimé connaître la réaction de l’inspecteur général à la réception de celui en 400 pages, relatif à l’année 1879-1880... mais les archives n’ont pas conservé ce volumineux document.
68 Cf. supra, note 56.
69 Archives nationales, F17 13072, d’inspection de Lyon-Caen p. 5.
70 Très catholique, profondément croyant, Paul-Emile Vigneaux était membre du Conseil de fabrique de l’église Saint Paul-Saint François-Xavier à Bordeaux.
71 Décidément mal aimé, Levillain traîne une réputation d’oisiveté à longueur de fiches de renseignements confidentiels. Le 25 juin 1895, le recteur Couat estime « qu’il a trop peu travaillé pour la science, et n’a produit aucun ouvrage sur le droit maritime ». On ne redira pas les appréciations du recteur Bizos sur le malheureux Levillain. Il s’agit là d’un exemple typique du caractère aléatoire des opinions hiérarchiques concernant les professeurs. Tout d’abord, il est faux que Levillain n’ait rien écrit. Il est l’auteur d’une étude sur « Les caractères juridiques des conventions passées en vue de la construction des navires, et de la propriété des navires pendant la durée de la construction », publiée sous la forme de livraisons dans la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, t. 1 (1877), p. 586-606, t. 2 (1878), p. 57-68, 181-190 et 189-396, et t. 3 (1879), p. 277-289 et 469-479. Ce travail est cependant resté inachevé. Il a également publié quelques notes au Recueil périodique Dalloz. Il a donc beaucoup plus écrit que son collègue bordelais Alphonse Marandout, dont on chercherait vainement la moindre ligne signée de sa main en plus de 40 ans de carrière ! Pourtant, cette absence totale de travail n’a jamais soulevé la plus petite remarque de la part des recteurs, à l’exception d’une seule, en 1891 ! Même le recteur Bizos ne dira rien de cette carence absolue...
72 La bibliothèque de la faculté de droit de Bordeaux était si bien pourvue, qu’elle publiait chaque année un catalogue imprimé des périodiques disponibles. On trouve encore quelques uns de ces fascicules. A titre d’exemple, celui de 1917 répertorie près de 200 revues scientifiques du monde entier, auxquelles la faculté bordelaise était abonnée.
73 Du mariage en droit romain. De la communauté réduite aux acquêts. Le jury était particulièrement prestigieux : Colmet de Santerre, président. Demangeat, Bufnoir, Gérardin et Accarias, suffragants. L’inspecteur général Giraud assistait également à la soutenance.
74 Eloge historique de Romain de Sèze, Bordeaux, Lefraise, 1868.
75 Compte rendu des Studi e documenta di Storia e Diritto (publication de l’Academia di Conferenze storico-giuridiche) dans les Mélanges d’archéologie et d’histoire de l’Ecole française de Rome, I, 1881, p. 156-159, et « Notice sur trois manuscrits inédits de la Vaticane », dans la même revue, II, 1882, p. 309-355. Dans cette dernière notice. Vigneaux examine les manuscrits 8069, 8068 et 8070 de la Bibliothèque Vaticane (dans cet ordre). Il s’agit de fragments de consultations de jurisconsultes italiens du XIVe siècle, parmi lesquels Bartole. Pour chaque manuscrit analysé, l’auteur dresse un tableau des jurisconsultes cités, dont certains sont inconnus. Il publie aussi de larges extraits de ces manuscrits, qu’il commente. Le travail de Vigneaux est très érudit, voire savant. Il connaît toutes les publications de l’époque, en particulier les italiennes. Excellent paléographe, il maîtrise aussi le latin médiéval. Enfin, il rapproche les extraits qu’il étudie des compilations de Justinien, qui n’ont aucun secret pour lui.
76 Essai sur l’histoire de la Prefectura urbis à Rome, Paris, Thorin, 1896.
77 On trouvera cette étude critique dans la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, VIII, 1884, p. 461-472.
78 Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, XI (1887), p. 225-243, XII (1888). p. 258-272, XIII (1889), p. 163-171 et 556-566, et XV (1891). p. 273-276.
79 « La véritable date de l’édit de Nantes et des actes additionnels ». dans Revue des études historiques, 1909, 48 p.
80 Dans le dossier administratif personnel de Paul-Emile Vigneaux conservé aux A.D. Gironde (VT111 liasse n° 76), on trouve mention de quelques articles que le professeur bordelais aurait publiés dans le Journal des greffiers, sans autre précision. Nous avons consulté cette publication, difficile à trouver (elle n’existe qu’à la Bibliothèque Cujas -1er magasin, cote 24065-, et à la Bibliothèque Nationale de France -cote PER-8-F 3107, collections patrimoniales-). Cette revue paraît à partir de 1872, mais les articles qu’elle contient sont tous anonymes. Il existe des tables, pour les années 1872-1882 et 1891-1902 (seulement disponibles à la Bibliothèque Cujas). Mais ces tables n’offrent qu’un classement thématique des matières traitées dans la revue. Il n’existe pas de répertoire onomastique des auteurs. Il n’a donc pas été possible de repérer les contributions de Paul-Emile Vigneaux. Cependant, les pages de couverture des différents fascicules indiquent les noms des collaborateurs de la revue, et Paul-Emile Vigneaux apparaît à partir de 1891. Mais on ne sait en quoi consistait sa participation. Peut-être a-t-il rédigé quelques articles, mais ils sont impossibles à localiser, en raison de leur anonymat. En outre, les études publiées dans le Journal des greffiers sont toutes de droit positif. Paul-Emile Vigneaux ayant une formation d’avocat, inscrit au barreau dès l’obtention de sa licence en droit en 1864, a parfaitement pu produire des notes de droit positif, mais sûrement pas d’histoire du droit, puisque la revue n’en contient pas.
81 Sur l’évolution des études doctorales, voir Jean Imbert, « Passé, présent et avenir du doctorat en droit en France », Annales d’histoire des facultés de droit, I. 1984. p. 11-33.
82 A.D. Gironde, VT 111, liasse n° 76, Fiche de renseignements confidentiels, (dossier administratif personnel de Paul-Emile Vigneaux).
83 Léon Duguit, « La faculté de droit de l’Université de Bordeaux », Le Sud-Ouest économique, 3ème année, n° 34, 12 mai 1922, p. 573.
84 John M. Burney, Toulouse et son université. Facultés et étudiants dans la France provinciale au XIXe siècle, Paris-Toulouse, éd. du C.N.R.S.-éd. du Mirail, 1988, p. 124.
85 Jacqueline Gatti-Montain, ouv. cité, p. 33.
86 II s’agit là d’une pratique générale en France : Jean-Louis Halperin, « L’enseignement du droit civil dans les années 1880 [...] », p. 200.
87 Chronologiquement, les travaux d’histoire du droit de Barckhausen s’établissent comme suit : Arrêt du Parlement de Rouen (31 octobre 1686) dans un procès fait au cadavre d’un nouveau converti, Bordeaux, Gounouilhou, 1876, « Une enquête sur l’instruction publique au XVIIIe siècle », extrait des Annales de la faculté des Lettres de Bordeaux, Paris. Leroux, 1888, Note sur le texte et l’origine des statuts primitifs de la commune de Bordeaux, Bordeaux, Cadoret, 1889, Livre des coutumes. Archives municipales de Bordeaux, Bordeaux, Gounouilhou, 1890, « Essai sur le régime législatif de Bordeaux au Moyen Âge », dans le Livre des coutumes précité, p. XVII-XLVIII, Statuts et règlements de l’ancienne Université de Bordeaux, et enfin, Montesquieu : ses idées et ses œuvres d’après les papiers de La Brède, Paris, Hachette, 1907.
88 « Etude historique sur le rapt de séduction », dans Revue Historique de Droit français et étranger, 1886, p. 587-625, Quelques mots sur la famille primitive, Paris, Larose et Forcel. 1883, La séparation des pouvoirs à l’Assemblée nationale de 1789, Paris, 1893, et Le régime du culte catholique antérieur à la loi de séparation, et les causes juridiques de la séparation, Paris, Larose et Forcel, 1907.
89 « Travaux historiques de Joseph Benzacar : Règles économiques de l’administration d’Aubert de Tourny, intendant de Bordeaux », extrait du Bulletin des sciences économiques et sociales du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris. Imprimerie nationale, 1904 (81 p.), « Le pain à Bordeaux au XVIIIe siècle », extrait de la Revue philomatique de Bordeaux, Bordeaux, Gounouilhou, 1905, « Les jeux de hasard à Bordeaux », extrait de la même revue. Bordeaux, Gounouilhou, 1905, « Dom Devienne, historiographe de Guyenne (XVIIIe siècle) », dans Revue philomatique de Bordeaux, t. IX, 1906 (20 p.), « Enquête sur la banque royale de Law dans l’élection de Bordeaux », extrait du Bulletin des sciences économiques et sociales du Comité des travaux historiques et scientifiques, Paris, Imprimerie nationale, 1907 (24 p.), Documents relatifs à la vente des biens nationaux dans le département de la Gironde, Bordeaux, 1911 (avec M. Marion et Candriller), et Eclaircissements sur les finances de Bordeaux (XVIIIe s.-1701-1791), Bordeaux, Gounouilhou, 1918.
90 Le droit de propriété dans la société franque et en Germanie, Paris. Larose et Forcel, 1890, et « L’Hommage féodal comme moyen de contracter des obligations privées », dans la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, 1902 (33 p.).
91 Michel Villey, « Sur une maladie de la section d’histoire du droit », Religion, société et politique, mélanges en hommage à Jacques Ellul, Paris, P.U.F., 1983, p. 405.
92 C’est l’opinion de Pierre Legendre : Histoire de l’administration [...], ouv. cité, p. 17-19, reprise par Jacques Poumarede, « Pavane [...] », art. cité, p. 97.
93 Voir Jean-Louis Halperin, « Adhémar Esmein et les ambitions de l’histoire du droit », Revue historique de droit français et étranger, 1997, n° 3, p. 415-433.
94 Pur produit de la faculté de droit de Bordeaux, André Ferradou, né en 1872, était l’élève de Paul-Emile Vigneaux. Licencié en droit en 1891, docteur en 1896, il est agrégé deux ans plus tard. Il commence sa carrière à Rennes, où il reste six ans, jusqu’en 1904. Après un bref séjour de deux années à Toulouse, il rejoint Bordeaux en 1906. Il sera doyen de sa faculté d’origine de 1935 à 1940.
95 Né le 6 avril 1867, Pierre Maria étudie le droit à Poitiers, où il obtient la licence en 1889. Mais c’est à Paris qu’il est docteur en 1895, et qu’il reçoit les leçons de P.F. Girard et de A. Esmein. Agrégé en 1898 comme André Ferradou, il commence sa carrière la même année à Toulouse, et y demeure onze ans, avant d’être transféré à Bordeaux en 1909 sur la chaire de Paul-Emile Vigneaux. Il terminera sa carrière en Aquitaine en 1934.
96 Ce décret de 1924 est accueilli avec enthousiasme par Julien Bonnecase, professeur à la faculté de droit de Bordeaux : « Le décret du 2 mai 1925 sur la réforme du doctorat et la vie interne des facultés de droit », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, t. 51, 1927, p. 78-80.
Auteur
Maître de conférences à l’Université Montesquieu Bordeaux IV.
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