Écrire l’histoire du droit français : science du politique, histoire et géographie chez Henri Klimrath (1807-1837)
p. 113-131
Texte intégral
1 Que faire de Henri Klimrath ? Génie méconnu de la science du droit ou précurseur de l’école scientifique ? « Étoile filante de l’histoire du droit » ou « Évariste Gallois de la science juridique » ? Les catégories mobilisées pour décrire traditionnellement la place particulière du jeune juriste dans l’histoire juridique rendent difficiles à penser son originalité. Henri Klimrath apparaît le plus souvent sous les traits d’un héros romantique : persécuté, isolé, avant-gardiste, inspiré. Ainsi brossé, le portrait remplit une fonction stratégique dans le grand récit de la science juridique contemporaine. Il s’agit moins d’éclairer l’œuvre doctrinale de Klimrath en elle-même que de dénoncer le travail et la méthode des commentateurs officiels du Code civil dans le premier XIXe siècle. De Laboulaye à Bonnecase, les critiques de « l’école de l’exégèse » ont élevé le juriste strasbourgeois au rang de « mauvaise conscience » de toute une génération d’auteurs de la doctrine française. Toute une tradition historiographique s’est, en définitive, plus préoccupée de peindre Klimrath en anti-modèle de l’exégèse que de saisir les ressorts spécifiques de son œuvre1.
2Pourtant, nul ne le conteste : l’entreprise de Klimrath échappe, avec une agilité insolente, aux pesanteurs et aux routines de la science juridique de son temps. Et chacun de s’étonner du détachement qu’il affecte vis-à-vis des réflexes de la communauté des juristes, de la hauteur de vue qu’il professe. L’originalité et l’inventivité du jeune juriste demeure cependant un angle mort de l’histoire de la science juridique. L’historiographie romantique se satisfait, il est vrai, du mystère entourant son champion. L’étrangeté est ici une garantie supplémentaire de la pureté et de la profondeur des intentions de Klimrath. Tout juste reconnaît-on que son œuvre est le produit de l’interculturalité franco-allemande. Ses adversaires ne se contenteront pas, à cet égard, de souligner l’étrangeté de sa démarche ; ils dénonceront une démarche étrangère à la tradition nationale : la « secte des germanistes ». En somme, pour toute explication, les analystes se contentent le plus souvent de souligner la distance qui sépare l’œuvre de Klimrath des travaux et des méthodes de ses contemporains. Mais, le nouveau territoire de l’histoire du droit qu’il s’est efforcé de tracer, articles après articles, pendant sa brève carrière, demeure, en réalité, particulièrement difficile à localiser ; les contours en sont encore quelque peu flous pour l’historiographie contemporaine. La nature exacte de son projet scientifique et les conditions de sa réalisation n’ont sans aucun doute pas suscité l’intérêt qu’il mérite2. Il y a donc bien, de ce point de vue, une « utopie Klimrath » : le rêve persistant d’un territoire idéal de l’histoire du droit, certes utile à la critique des formes contemporaines du savoir juridique, mais que nul ne parvient encore à situer avec précision dans l’espace des savoirs juridiques.
3On a souvent attribué à Klimrath la paternité de l’introduction de la méthode historique dans la science du droit. Pourtant, se fondant exclusivement sur un face à face entre deux méthodes irréductibles, une telle présentation ne rend nullement compte de la démarche du jeune juriste. Car, chez lui, nulle opposition entre histoire et exégèse. Le projet de Klimrath est surtout de proposer une manière d’articuler l’une et l’autre, seule démarche susceptible de satisfaire sérieusement les besoins de l’interprétation juridique. Surtout, une telle originalité s’explique autant par les doutes que le juriste nourrit à l’égard des méthodes traditionnelles des facultés de droit que par l’enthousiasme que suscitent chez lui les travaux de juristes allemands et d’intellectuels français engagés dans la promotion des sciences morales et politiques. De ce point de vue, c’est à tort que l’historiographie a confiné Klimrath derrière les murs de la faculté de droit : ce qui le caractérise principalement c’est sa formidable capacité à traverser les différents champs du savoir (histoire, géographie, philosophie, histoire naturelle) pour nourrir sa réflexion de jurisconsulte et offrir les instruments nécessaires à une écriture renouvelée de l’histoire du droit. C’est au prix de plusieurs déplacements historiographiques importants que l’histoire devient la base de l’interprétation juridique.
I – « Science sociale » : Henri Klimrath, les sciences morales et la vocation politique du juriste.
4Né à Strasbourg le 1er février 1807 dans une famille de négociants, Henri Klimrath fait ses études à Paris au Collège Louis Le Grand. À la suite d’une grave maladie, il retourne en 1821 à Strasbourg où il devient élève au collège royal de la ville. Quelques années plus tard, il débute ses études académiques à la Faculté de droit de Strasbourg et obtient sa licence en droit en novembre 1828. Il décroche également une licence ès lettres en août 1829. Entre 1829 et 1832, attaché comme gouverneur de la famille de Serre, Klimrath partage son temps entre Paris et Metz. Il quitte cette place pour se rendre pendant un an à Heidelberg (mai 1832-Pâques 1833). Il revient en Alsace soutenir sa thèse de doctorat, Essai sur l’étude historique du droit et son utilité pour l’interprétation du Code civil (1833).
5Pendant toute cette période de formation intellectuelle, Klimrath se passionne pour le mouvement des idées et les questions politiques. Comme d’autres jeunes intellectuels de sa génération, il pourra dire que « la monarchie de Juillet combla, au-delà de toute attente, nos vœux les plus chers »3. Espoirs déçus, il est vrai. Cependant, il porte haut et loin les couleurs de la « jeune France libérale ». Lors de son voyage en Allemagne, il s’efforce de rendre compte auprès de ses interlocuteurs français de la progression du constitutionnalisme libéral pendant la période du Vörmaz. Très sensible aux thèses du libéralisme organique, il témoigne à l’inverse d’une vive hostilité contre les thèses du libéralisme rationaliste de Charles de Rotteck4. Il juge également ses professeurs de l’Université de Heidelberg à l’aune de leur « caractère politique ». Les enseignants les plus recommandables sont, à ses yeux, ceux qui sont animés par d’authentiques convictions libérales. D’où les jugements positifs portés sur Carl Joseph Anton Mittermaier, « connu de tous, décrié même chez plusieurs pour ses opinions libérales » ou même sur Anton Friedrich Justus Thibaut, esprit aristocratique, dont les idées « n’en renferment pas moins le germe d’un libéralisme véritable »5. À l’inverse, il n’hésite pas à pointer les dangers politiques qui menacent l’école historique allemande. Si elle a bien initié l’intelligence du passé, elle présente le grave défaut d’être « préoccupée du passé, ne donnant aucune règle pour le présent et l’avenir ; elle condamne la science et la vie à l’immobilisme »6.
6Henri Klimrath se refuse, dans toute son œuvre, à séparer la science juridique de ses implications politiques et sociales. À la charnière de la théorie et de la pratique, le rôle du jurisconsulte est de prendre une part active dans l’organisation et le progrès de la société7. Il ne peut se retrancher derrière les murs de la faculté de droit et le travail d’interprétation pour prétendre échapper à sa mission civilisatrice. Fort explicitement l’un de ses articles les plus importants s’intitule « Importance scientifique et sociale d’une histoire du droit français ». On ne s’étonne guère d’apprendre que, pour la réalisation de sa thèse, l’approche historique du droit lui a été suggérée par le professeur strasbourgeois Georges-Philippe Hepp, titulaire de la chaire de droit des gens et auteur d’un Essai sur la théorie sociale et du gouvernement représentatif pour servir d’introduction à l’étude de la science sociale ou du droit et des sciences politiques (1833)8. Klimrath soutient également que la science juridique est une branche de la « science sociale », de la « science morale ». Comme quelques autres jurisconsultes libéraux, il adhère à ce mouvement de promotion des « sciences morales et politiques » qui voit notamment renaître en 1832, à l’initiative de Guizot, une académie du même nom. Il devient alors indispensable de rationaliser l’activité politique en dotant le gouvernement des savoirs adaptés à son action publique. Attentive aux données certaines et positives, la science politique devient un instrument d’ingénierie capable de moraliser les rapports sociaux. La science sociale est une science de l’organisation sociale9. Klimrath partage cette croyance en la nécessité d’un gouvernement animé par une « religion des faits », adossant son action quotidienne à une pratique « désintéressée » de la science10. Une telle approche est la plus à même de satisfaire les besoins profonds exigés par la direction de la Cité. « Positive et concrète de (sic) sa nature, la vraie science sociale adapte ses préceptes à une situation donnée et les modifie suivant les faits qu’elle est appelée à régir »11. À l’inverse, le jeune juriste condamne violemment ceux qui réduisent « le droit et la politique et la science sociale toute entière » à des « impuissantes abstractions » plutôt que de chercher la « vérité féconde de leur nature concrète »12.
7Comment un observateur peut-il accéder à cette nature concrète d’une société particulière ? Il convient de reconnaître qu’elle résulte « de tout le développement social et politique d’un peuple, de ses mœurs, de ses besoins, et, pour appeler les choses par leur nom, de son histoire »13. Très tôt, le jeune Henri s’est d’ailleurs passionné pour l’histoire et la géographie, guidé notamment par les conseils de l’aumônier au Collège Louis-le-Grand, Charles Cuvier, futur professeur d’histoire à la faculté des Lettres de Strasbourg qui le mettra notamment en relation avec Michelet14. « L’histoire, rappelle Klimrath, et en particulier l’histoire des institutions, l’histoire du droit, qui éclaire l’état présent par la déduction du passé, est donc l’auxiliaire indispensable de la science sociale : sans elle il n’y a plus de point de départ assuré, parce que seule elle peut faire comprendre quelle est véritablement la chose nécessaire »15. Pour pénétrer la « physionomie morale d’un peuple »16, l’homme de science ne doit donc pas se complaire dans des récits pittoresques ou des détails dramatiques. « Tout l’art de l’historien consistera, insiste le jeune strasbourgeois, donc à choisir, d’une manière naturelle et vraie, les points de repos où les sentiers divers qu’il aura successivement parcourus, viendront se rejoindre et se rallier à la grande voie de la progression générale »17. Bref, à la suite des perspectives tracées par Guizot, Mignet ou Thierry, la vocation de l’histoire est de pénétrer la loi du progrès de la civilisation, du développement des mœurs et des institutions18. Encore convient-il d’ajouter qu’une telle « histoire philosophique » ne peut faire l’économie d’une recherche approfondie sur l’histoire du droit : « Sans l’histoire du Droit, la science sociale court grand risque de n’aboutir jamais qu’à des abstractions creuses ou à de brillantes utopies »19. Car le droit, comme le langage, est une des formes principales de l’activité du peuple. En faire l’histoire, c’est pénétrer le génie de ce peuple, révéler son caractère national. À cette condition, il devient alors possible de s’assurer de ce que le droit peut et doit être au temps présent, en vertu même du développement qui a précédé. En 1840, Firmin Laferrière, fidèle au programme tracé par Klimrath, brandit fièrement ce même étendard : « La science du droit est la science sociale par excellence »20.
8« L’histoire du Droit est à faire » : tel est le credo de Klimrath. En d’autres termes, il est indispensable de faire pour l’histoire du Droit ce que le siècle a commencé à faire pour l’histoire générale21. Le mouvement de régénération historique doit porter aussi bien sur l’histoire politique (les grands ressorts de l’organisation politique de la société, la condition des personnes et des biens) que sur l’histoire du droit (le « détail des institutions civiles pour elles-mêmes »)22. Ce mot d’ordre récurrent est, en réalité, particulièrement polémique : il vise à disqualifier l’histoire du droit telle qu’elle se pratique alors par quelques juristes érudits. Car, bien loin d’être un domaine déserté, l’histoire du droit continue de retenir, après la promulgation du Code civil, l’attention de professionnels du droit. Ainsi, Louis-Barnabé Cotelle, professeur à la Faculté de Paris, peut légitimement écrire en 1813 : « On connaît assez bien l’histoire du droit romain et celle du droit français ; ni l’une ni l’autre n’ont manqué d’être écrites, et de l’être par différentes plumes et de différentes manières »23. Les travaux d’Alexandre Cérésa-Bonvillaret (Précis historique de législation française, 1811), de Joseph-Dominique Eléazar de Bernadi de Valernes (De l’origine et des progrès de la législation française, 1816) ou encore de Thomas Pascal Boulage (Introduction à l’histoire du droit français et à l’étude du droit naturel, 1821), pour ne prendre que trois exemples, illustrent bien un tel intérêt pour la démarche historique. Mais, cette dernière est encore très fortement marquée par la tradition historiographique et érudite de l’Ancien Régime. On ne s’étonne donc guère de voir l’avocat André Dupin rééditer et compléter en 1818 les Lettres sur la profession d’avocat et bibliothèque choisie d’Armand Gaston Camus offrant un panorama complet des travaux consacrés aux grands monuments du droit romain, canonique et français, publiés par les mauristes, les bollandistes, les historiens officiels ou non de la monarchie24. La persistance de cette tradition des antiquités du droit explique également le succès rencontré, dans les premières décennies du XIXe siècle, par le petit opuscule de l’abbé Claude Fleury, Histoire du droit français, ouvrage imité par certains juristes-historiens. À partir de 1817, Claude-Emmanuel Pastoret, figure importante du monde académique, consacre son énergie à la rédaction d’une monumentale Histoire de la législation25. Édouard Gans, lors d’un voyage en France en 1825, ne cache pas la déception que l’entreprise historique de cet ancien professeur au Collège de France lui inspire : « nous découvrîmes que nous avions tous les deux entrepris ce travail [i.e. une histoire universelle du droit] à partir de points de vue différents : lui afin de satisfaire une tendance littéraire, moi afin de combler une lacune dans le développement du droit. Telle est bien la raison pour laquelle son histoire en est toujours restée à l’Antiquité, sans réussir à en franchir le seuil »26. C’est bien une telle « tendance littéraire » que Klimrath ne cesse de dénoncer dans les travaux historiques de Fleury et de Bernardi, ses cibles privilégiées27. Ces derniers réduisent, à ses yeux, l’histoire à une « sèche chronique sans intelligence et sans animation », un « squelette des faits » alors même qu’il convient de restituer « la progression vivante des événements, le développement organique des institutions »28. Car, l’historien du droit se doit impérativement de travailler à la réconciliation du fait et de l’idée, d’établir les faits et d’en reconstituer le sens précis29. Soucieux du « développement providentiel de l’humanité entière »30, l’historien du droit ne saurait donc pour autant se dispenser de patientes recherches érudites dans les archives. Elles sont une condition indispensable pour écrire cette histoire totale du droit français. Klimrath forme le projet, resté inachevé par son décès prématuré, de donner « un corps complet des coutumiers français au Moyen Âge »31. Cependant, il ne prend pas moins une part active à l’effort de publication des monuments de l’histoire juridique française et présente ainsi en 1835 et 1837 à François Guizot, ministre de l’Instruction publique, deux mémoires sur les monuments inédits de l’histoire du droit français au Moyen Âge32. Le juriste décide également de préparer l’édition de plusieurs manuscrits originaux, trouvés notamment parmi les richesses de la Bibliothèque royale, en vue de leur publication dans la Collection des documents inédits sur l’histoire de France33.
9Le « cas Klimrath » bouscule très sérieusement l’historiographie traditionnelle de la science juridique. Évolutionniste, cette dernière décrit le plus souvent la lente découverte, par les juristes français, du continent historique dans le premier XIXe siècle. Étrangère, voire purement et simplement hostile, à l’histoire, la science française du droit se serait convertie, à la suite de la révélation de l’école allemande, à la méthode historique. Une telle présentation a notamment été popularisée par les thuriféraires de « l’école scientifique ». Elle est également de nature à satisfaire les historiens du droit désireux, tout au long du XXe siècle, de rappeler leur rôle dans la rénovation des méthodes juridiques. Mais, cette vision héroïque méconnaît aussi bien la perpétuation, après l’ouverture des écoles de droit, d’une tradition attachée à l’exploration des antiquités du droit que le succès rencontré parmi les juristes par les sciences morales et politiques. En réalité, les années 1830 manifestent plutôt le passage d’un « régime de savoirs » à un autre34, c’est-à-dire l’apparition d’une nouvelle manière d’articuler analyse juridique et méthode historique. Jusqu’alors, les commentateurs du Code civil ne méconnaissent certes pas l’histoire. Mais, entre leurs mains, elle est un agréable récit, une ornementation. Car le juriste qui s’y livre se dépouille de ses attributs de professionnel du droit pour endosser les habits de l’homme de lettres. Entre la science du juriste et celle de l’historien, il faut choisir. Attaché à la reconstitution de frontières disciplinaires et institutionnelles, Napoléon Bonaparte a, il est vrai, impulsé un mouvement de distanciation et de spécialisation des savoirs35.
10À l’inverse, la monarchie de Juillet offre un visage fort différent. Marqués par le souvenir de « l’Encyclopédie vivante », Guizot et ses amis réactivent le rêve d’une science unitaire de l’homme au service du gouvernement de la cité, incompatible avec des barrières disciplinaires trop étroites. Certes, cet idéal ne mord encore que modérément sur le territoire des facultés de droit. Il ouvre néanmoins la voie à des pratiques scientifiques moins préoccupées de mettre des distances entre les savoirs et de dresser des murailles entre eux que de les faire converger en vue de rationaliser l’exercice du pouvoir et l’administration de la population. Dans ce processus de « caméralisation » des savoirs, l’histoire occupe la première place puisqu’elle est susceptible de révéler l’essence du peuple. Plutôt que de discipliner le droit et l’histoire, de les maintenir à bonne distance l’un et l’autre, Klimrath propose de nouer une alliance entre les deux : « l’histoire seule peut devenir la base d’une exégèse plus large, plus sûre, plus scientifique. Pour qui sait les lire, les textes comme les discussions ramènent constamment à l’histoire »36.
11Nulle opposition donc entre méthode historique et méthode exégétique mais un réaménagement complet des savoirs commandé par les impératifs de l’action politique et sociale. Surtout, ce nouveau « régime de savoirs » rend acceptables certaines orientations définies par l’école historique allemande. Klimrath accorde, comme celle-ci, le premier rang à la méthode historique. Mais, retenant les leçons de la nouvelle historiographie, il inverse la valeur du présent dans le discours historique37. À l’aune des nécessités présentes, l’histoire est un instrument de construction de l’avenir et non le ressassement nostalgique du passé. De fait, passé au filtre de l’historiographie libérale (valeur positive du présent), la méthode historique, fût-elle inspirée par son prestigieux modèle allemand, devient utile entre les mains du juriste sincèrement attaché au Code civil.
II – « Méthode historique » : de l’unité du code civil à la recherche de l’identité juridique nationale.
12La méthode historique se développe sur le terreau des sciences morales et politiques. Chez Klimrath, l’intérêt pour Savigny et ses disciples est provoqué et consolidé par l’effervescence autour de la « science sociale ». À cet égard, sans mystère, il reconnaît, dans sa thèse, les mérites de la doctrine de Saint-Simon dans le domaine de la philosophie de l’histoire38. Plusieurs saint-simoniens contribuent, autour de 1830, d’une manière décisive, à l’introduction des thèses de l’école allemande en France : Eugène Lerminier, Henri Lagarmitte ou encore Jules Lechevalier, tous trois germanophiles déçus de l’éclectisme. Klimrath, non converti au saint-simonisme, n’en évolue pas moins dans des milieux fortement marqués par son enseignement39. En 1834, lorsque Henri Lagarmitte, très affaibli par une grave maladie, se trouve dans l’impossibilité de diriger seul le Journal du Haut et du Bas-Rhin, un des organes de la diffusion de la doctrine de Saint-Simon, Klimrath lui apporte son concours40. Le jeune historien du droit confie également des contributions à plusieurs périodiques animés par d’anciens saint-simoniens (la Revue du progrès social fondée par Jules Lechevalier et la Revue encyclopédique rachetée par Pierre Leroux). Les saint-simoniens français reconnaissent dans les travaux de Savigny et ses disciples une ressource salutaire pour penser l’historicité des sociétés humaines et l’identité nationale.41
13Toutefois, à l’instar de Lagarmitte, Klimrath ne manque pas non plus de se rendre en Allemagne pour observer sur place les bienfaits de cette école historique sur le développement de la science juridique. Il part à Heidelberg, à partir de mai 1832, pendant une année et suit, à l’université, les cours de Mittermaier, de Thibaut et de Zachariae42. De retour en France, il expose, en 1834, aux lecteurs de la Nouvelle revue germanique les raisons de la supériorité du système des études juridiques en Allemagne43 et leur donne un aperçu d’un cours sur le droit romain de Savigny fait à Berlin en 183244. Klimrath ne manque jamais de reconnaître aux Allemands la paternité du travail historique appliqué au droit. « C’est, insiste-t-il dans sa thèse, le mérite incontestable de l’École historique d’Allemagne, d’avoir montré en quoi consistait véritablement l’utilité de l’histoire politique, comme de l’histoire du Droit »45. Tous les efforts du jurisconsulte tendent à faire de l’histoire une « source féconde d’interprétation », à « tirer parti des moyens d’interprétation qu’elle procure ». Rompant avec « l’interprétation grammaticale et logique »46, Klimrath invite, par conséquent, les juristes français à adopter cette démarche qu’il nomme « institution historique au Droit français »47. Accueillir une telle proposition méthodologique suppose une démystification de la Loi en reconnaissant notamment le caractère incomplet du Code civil48. Le Code « n’a point répudié des principes transmis par l’histoire, éprouvés par l’expérience et produits par le libre développement des mœurs nationales »49. À la différence des premiers commentateurs, le Code civil n’a donc pas seulement une origine (la « volonté du législateur ») ; il a également des sources historiques50. Autrement dit, le Code civil est l’œuvre du Législateur au sens où ce dernier hérite de dispositions de l’ancien droit qui ne sont pas « nées au hasard, sans causes et sans antécédents » et qu’il lui faut reconnaître51. L’œuvre codificatrice ne marque donc pas une rupture entre un avant et un après dans le développement juridique ; elle prend elle-même place dans la « chaîne du temps » qui contraint à reconnaître toute chose comme le produit d’une nécessité historique. Cette constatation est si vraie qu’il convient d’admettre honnêtement que les rédacteurs du Code « se sont bornés [...] à de simples changements de rédaction, respectant les usages établis et les habitudes locales, malgré le désir d’uniformité »52. Ainsi, puisque l’histoire fait la matière même du Code, c’est par l’histoire que la science juridique en explique les dispositions obscures et supplée à toutes les lacunes.
14Une telle position méthodologique soulève, en réalité, plus de difficultés qu’elle n’en résout. Car, l’exégèse a incontestablement le mérite de la cohérence. La rationalité de la Loi trouve son fondement dans son unité et sa complétude. Ces dernières sont assurées par la « volonté du législateur » qui s’exprime notamment à travers la parole professorale. Mais, Klimrath, plus préoccupé des « sources » que de « l’origine », abandonne aussitôt le terrain stable de l’unité du Code pour celui, plus mouvant, de la pluralité de ses sources. Insister sur une telle pluralité, n’est-ce pas prendre le risque d’un retour du multiple si redouté, d’une dislocation de cette unité du Code et de son interprétation si patiemment construite ? Ce qui justifie, aux yeux de Klimrath, une telle attention à la multiplicité des sources, c’est que celles-ci ne peuvent masquer l’esprit commun qui les anime et en forme la substance. Les lois doivent être interprétées « de la même manière, c’est-à-dire historiquement, parce que toutes dérivent d’une source commune qui est l’histoire »53. Elles sont toutes le produit d’une histoire commune, plus précisément encore de l’histoire de la nation française. Au-delà de leurs différences parfois profondes, il y a pourtant entre toutes les dispositions du Code civil une identité spécifique dérivant de leur commune inscription dans le creuset national. En somme, au couple origine/unité structurant la démarche de l’exégète-logicien, l’historien du droit substitue le couple sources/identité qui légitime sa démarche et écarte les dangers dénoncés par ses adversaires. Le succès de « l’institution historique au droit » est subordonné à l’écriture d’une histoire du droit national qui démontre la pérennité de l’identité juridique française. Les temps sont, il est vrai, à l’histoire de la nation. Les modèles d’inspiration ne manquent assurément pas. Certes, l’école historique française54 et les « germanistes » figurent, chez Klimrath, au premier rang des influences. Mais le jeune juriste est également un lecteur attentif de Jean-Charles-Leonard Simonde de Simondi, de Jean de Müller, le « Thucydide allemand » (proches l’un de l’autre, tous les deux liés au groupe de Coppet)55 ou encore de Heinrich Luden, élève critique de Müller et auteur d’une Histoire de la nation allemande56. Pourtant, les travaux existants n’offrent guère de réponses précises à la question suivante : « comment écrire l’histoire du droit français ? ». Henri Klimrath se voit contraint de tracer lui-même le cadre méthodologique indispensable à une telle entreprise. C’est, en définitive, à cette opération historiographique majeure qu’il consacre la majorité de son œuvre.
15Remonter à l’origine de toute chose, tel est le point de départ de son enquête. « On ne connaît bien un principe ou une institution que lorsqu’on sait l’origine, le développement et les modifications successives »57. Au commencement sont les invasions barbares. Un tel mot d’ordre est une arme de guerre dirigée contre l’obsession romanistique et les rêveries gauloises58. Au Ve siècle, les différentes composantes du droit français (lois romaines, coutumes gauloises et germaniques, christianisme59) sont mises en présence sur la terre des Francs. « L’histoire du droit français est, rappelle-t-il, l’histoire de leur lutte et de leurs transactions successives »60. L’époque barbare, scène inaugurale, est le syllabaire de tous les possibles : « c’est de tous ces éléments divers [qui se rencontrent à ce moment], combinés entre eux, développés par des besoins nouveaux, par le génie moderne, principalement par les usages du commerce et l’esprit de famille, que notre Droit actuel s’est formé »61. Le moteur de l’histoire du droit est bien moins la guerre entre les races, fussent-elles antagonistes, qu’une lutte entre des principes. C’est ainsi qu’il faut reconnaître que les « principes germaniques ont toujours eu une large part, peut-être la plus large dans le développement de nos institutions »62. La mission de l’historien est de repérer des combinaisons renouvelées des principes originels ainsi que leurs traductions juridiques concrètes. De ce point de vue, on comprend combien l’histoire du droit proposée par les juristes-historiens contemporains de Klimrath ne peut le satisfaire puisqu’ils la réduisent à un enfilement successif des grands monuments du droit, c’est-à-dire une chronique des volontés royales et seigneuriales. Bien loin de s’adosser à la seule temporalité politique (celle des règnes, voire des races royales), l’histoire du droit français doit rendre compte des « périodes » qui scandent son évolution spécifique. « Des périodes bien faites sont la première condition, aussi difficile qu’indispensable, de la méthode historique »63. C’est bien son absence de rigueur dans la fixation des « périodes » qui entraîne la sévère condamnation par le juriste strasbourgeois du travail de J.-P. Brewer64. Klimrath définit quant à lui quatre périodes : la France barbare ou l’empire des Francs (486-888) ; la France féodale (888-1461) ; la monarchie française (1461-1789) ; l’ère nouvelle65. Pourquoi une telle attention portée aux « périodes » ? La « période » est un opérateur historiographique qui doit rendre visible la cohérence juridique d’une époque donnée66. Il n’est, par exemple, besoin que de consulter les écrits de Bernardi pour mesurer combien l’abandon de « l’ordre des textes » au bénéfice de cet « ordre des périodes » introduit une véritable révolution historiographique. Les périodes sont des durées pendant lesquelles « le caractère permanent et conservateur prédomine, tandis qu’à leur limite, c’est le changement novateur qui l’emporte »67. À chaque période, son agencement particulier des principes gaulois, romains, germaniques et ses institutions adaptées à l’esprit de son temps. Il appartient à l’historien de descendre dans le détail des faits et des événements sans perdre « l’esprit objectif » qui les ordonne. Klimrath ne dissimule cependant pas que certaines périodes exercent, dans l’évolution historique, une influence plus importante que d’autres. À cette époque d’incertitude et d’anarchie qu’est la période barbare succède le Moyen Âge où toutes les « tendances si diverses savaient s’harmoniser dans une unité merveilleuse »68. Tous les efforts du Moyen Âge ont convergé vers une tentative de résoudre le problème social : « unité sans uniformité, sans nivellement et sans despotisme »69. En somme, les « périodes organiques » (organisatrices) chassent les « périodes critiques » (destructrices). L’influence de la Doctrine de Saint-Simon70 est ici patente. On ne saurait pour autant opposer d’une manière excessive les différentes périodes entre elles. Car, avec cette notion de « période », l’historien ne se contente pas d’insister sur la cohérence de l’esprit du droit français, il souligne, par la même occasion, la continuité juridique de la France. Car, chaque période réaménage l’héritage passé en fonction de ses besoins présents. Penser par « périodes », c’est pour l’historien s’attacher à expliciter cette tension constante entre réception d’une tradition juridique et usages présents de cette matière qui en renouvelle le sens. L’ordre des « périodes » permet, en définitive, d’appréhender le passé comme un « présent en glissement »71. Et, comme le souligne fortement Klimrath, il donne les moyens de mettre en lumière « cette persistance dans le changement qui caractérise l’histoire du droit à la différence de toute autre histoire »72. Or, qu’est-ce que la « persistance dans le changement » sinon la définition même de l’identité73 ?
16Chez Klimrath, la « période » est également pensée comme le cadre adapté à une histoire totale du droit français. Le jeune juriste s’interroge, en effet, sur la meilleure façon d’exposer l’état du droit français pour chacune des périodes étudiées. Les préoccupations méthodologiques accompagnent, une fois encore, chacun de ses pas. Dans son enquête, il se révèle un lecteur assidu des juristes allemands en cherchant à évaluer les méthodes d’exposition retenues pour certaines questions de droit74. Klimrath s’engage, quant à lui, dans une voie particulièrement ambitieuse : l’histoire du droit se doit à l’avenir de rendre compte de « tout le droit et rien que le droit ». « Sources du droit, droit politique, droit civil, droit criminel, droit canon, ni plus ni moins, voilà l’objet de nôtre étude à chaque époque »75. Reprenant la distinction de Leibniz, généralement admise en Allemagne, entre « histoire externe (ou extérieure) » et « histoire interne (intérieure) », Klimrath rappelle à plusieurs reprises que le véritable progrès est de ne jamais séparer ces deux parties. Pour chaque période, il est indispensable, en premier lieu, de présenter les sources du droit (« lois, codes et ordonnances, ouvrages des jurisconsultes, arrêts des tribunaux ») ainsi que les grands événements, faits politiques et sociaux qui en expliquent la formation. Il s’agit là de « l’histoire externe ». Klimrath condamne, à cet égard, fermement les travaux contemporains exclusivement centrés sur une telle histoire, introductions décevantes et inutiles aux sources du droit. Les efforts de l’historien doivent également s’orienter vers le « droit lui-même, [les] diverses formes qu’il a successivement affectées, [les] modifications qu’il a subies »76. Toutes les branches du droit (droit politique, droit civil, droit criminel et droit canon), leurs dispositions respectives ne doivent être omises dans cette partie de « histoire interne ». De cette histoire totale seule peut émerger la compréhension de « l’esprit profond, la signification véritable du droit actuel, dernier produit de cette histoire »77.
17Retracer la « physionomie propre de chaque siècle et le développement simultané de toutes les parties du droit, d’époques en époques »78 : telle est, en définitive, la tâche à poursuivre inlassablement. De sa réalisation dépend le succès futur de « l’institution historique au droit ». Le programme ainsi tracé ne sera malheureusement pas exécuté par son concepteur. La mort le frappe, le 31 août 1837. Klimrath a néanmoins livré, de novembre 1833 à mai 1834, une première illustration de sa démarche dans un cours libre d’histoire du droit français ouvert à Strasbourg. Devant les auditeurs, il explique cette « condition de l’histoire » propre aux institutions sociales79. Recommandé par le professeur Jacques Frédéric Rauter et son collègue, le député du Haut-Rhin Hartmann, un proche de Lagarmitte80, Klimrath obtiendra d’ailleurs, peu de temps avant son décès, de Guizot et Salvandy la promesse de la création d’une chaire d’histoire droit français. Il faut attendre 1843 pour découvrir une version élaborée, malheureusement incomplète, de son projet historiographique. L.A. Warnkœnig, rencontré à Heidelberg, et la mère du défunt, H.L. Schertz, publient à cette date les deux premiers livres (« Les origines » et « Les Barbares et l’empire franc ») de son Histoire du droit public et privé de la France81.
III – « Géographie de la france coutumière » : décrire et représenter l’identité du droit coutumier.
18Quelques mois avant son décès, Klimrath décide de suspendre la rédaction du troisième livre de son Histoire du droit public et privé afin d’achever prioritairement ses « Études sur les coutumes ». Dès sa thèse, cet attachement à la coutume se révèle pleinement. Non parce que celle-ci serait dotée du pouvoir d’exprimer directement la conscience populaire ou de traduire un droit spontané des groupes. De ce point de vue, sa conception de la coutume est fort peu « sociologique »82. Plus simplement, pour le jeune juriste, « la coutume est le produit de l’histoire ; c’est l’histoire elle-même résumée en maximes générales abstraites »83. Une filiation unit les mœurs primitives des Germains, les lois barbares, les institutions féodales, les coutumes du XVIe siècle. « L’ensemble de ces formes compose le système historique du droit coutumier »84. Le Code civil lui-même, modelé en grande partie sur le Droit coutumier. est « le chef-d’œuvre du génie coutumier français »85. Sa thèse s’efforce ainsi d’établir que, dans le Code, les dispositions intéressant le droit des biens et le droit de la famille sont d’origine coutumière86. Une telle affirmation permet opportunément de réduire, voire de neutraliser purement et simplement, l’influence du droit romain – en pleine opposition avec la perspective de Savigny.
19Offrant une illustration remarquable de cette identité du droit français à travers l’histoire (le « système historique du droit coutumier »), la coutume soulève toutefois une difficulté supplémentaire que l’historien ne peut méconnaître : la diversité coutumière. Sans aucun doute, la rédaction officielle des coutumes à la fin du Moyen Âge a marqué une étape importante dans l’unification du droit français. Mais, devant le spectacle de cette diversité jamais réduite, comment parler d’un droit coutumier ? Ne doit-on pas soutenir, par exemple, que telle disposition du Code civil a sa source dans telle ou telle coutume particulière plutôt que dans le droit coutumier français ? L’identité juridique française ne risque-t-elle pas de se briser sur les récifs de la variété des coutumes ? Il est singulier, à cet égard, d’observer Klimrath, pour ancrer l’identité du droit français sur un autre fondement que le droit romain (à la fois « un et uniforme »), mobiliser une source dont l’extraordinaire diversité menace, à chaque instant, la réussite de son entreprise. Quoi qu’il en soit, il est animé par la farouche conviction que « c’est sur cette unité, cette identité du Droit coutumier, que se fondait l’espérance que la France se pourrait enfin réduire à la conformité, raison, équité d’une seule loi, coutume, poids et mesure, comme dit Loisel »87. Bref, les différences entre les coutumes ne peuvent masquer « un air de famille par lequel elles se ressemblaient toutes »88. Ses « Études sur les coutumes » (1837) veulent administrer la preuve de cette « unité des coutumes », de « l’identité de leur esprit »89. Le jeune Strasbourgeois jette alors les bases d’une « géographie coutumière de la France ». Cette conception est l’illustration éclatante d’un intérêt pour la géographie qui s’est manifesté précocement90. Dès son plus jeune âge, il étudie plusieurs géographes anciens ainsi que les travaux cartographiques de Joseph Guadet et de Pierre Armand Dufau. Il fréquente assidûment Hérodote et. plus encore que dans l’école historique allemande, y puise très certainement son modèle ethnographique attaché à donner une description géographique des différents nomoï91. Ultérieurement, il confie à la Nouvelle revue germanique plusieurs comptes-rendus sur des ouvrages de géographie et traduit des extraits de la Géographie générale comparée de Carl Ritter (1779-1859) dont il est un grand admirateur. Il avoue avoir caressé l’espoir de proposer la traduction complète de cet ouvrage fondateur92. Il partage d’ailleurs une telle passion de la géographie avec les saint-simoniens93 et quelques juristes de son époque comme l’avocat François André Isambert qui participe à la fondation de la Société de géographie de Paris.
20Klimrath reconnaît sans détour qu’il est « porté par [ses] sympathies et par [ses] études à une préférence nullement déguisée pour les principes coutumiers »94. Il ne conteste pas naturellement la distinction entre pays de droit écrit et pays coutumiers95. Mais, l’Histoire a, à ses yeux, rudement jugé le droit romain : presque partout les solutions coutumières ont prévalu contre lui, comme le Code civil le démontre. Cette victoire finale du droit coutumier, peut-être même du droit commun coutumier, prouve rétrospectivement la faible implantation du droit romain sur le sol national. Klimrath peut logiquement écarter du champ de ses préoccupations l’étude du droit romain : « vous savez, dit-il à Warnkönig, que je ne me suis occupé de droit romain que d’une manière secondaire »96. Tous les efforts du jeune juriste portent donc sur les « pays coutumiers de France », et tout particulièrement sur ceux régis par la coutume de Paris, où l’esprit juridique national se manifeste avec le plus de pureté. Comment démontrer cette identité coutumière constamment alléguée sinon en menant une enquête empirique à partir des coutumiers rédigés97 ? Klimrath entreprend alors le dépouillement attentif du Nouveau coutumier général de Charles Bourdot de Richebourg (1724), instrument imparfait mais irremplaçable.
21Dans un premier temps, Klimrath cherche à présenter « le territoire des différentes coutumes générales, en ajoutant l’énumération des coutumes locales qui y dérogeaient »98. Le territoire de la France est divisé en quatre régions coutumières (1° les pays coutumiers du nord et du milieu de la France ; 2° les pays de Droit écrit du midi de la France ; 3° les Pays-Bas ; 4° les terres d’empire). Les pays coutumiers de France sont l’objet d’une attention particulière. Pour ceux-ci, Klimrath distingue la région du nord-est, la région du milieu, la région du nord et la région de l’ouest, la région du sud-ouest. Il détaille pour chacune d’entre elles le ressort des coutumes applicables en nommant, à profusion, les lieux qu’elles régissent99 et, à cet effet, mobilise l’outillage cartographique disponible100. Animé par une logique purement énumérative, Klimrath ne cherche nullement, comme le regrettera Jean Yver, à « pénétrer jusqu’à l’esprit des divers groupes de coutumes »101. Seul le critère géographique de proximité ou de contiguïté semble justifier le rattachement d’une coutume à une région plutôt qu’une autre. Dans cette opération descriptive, Klimrath ne se contente pas d’illustrer, au-delà même de l’enchevêtrement coutumier, la remarquable étendue de l’espace coutumier (qui régit par ailleurs le cœur historique de la France). Devant la masse textuelle, il hiérarchise opportunément la documentation qui sera à traiter dans la seconde étape de l’enquête géographique. Les coutumes locales y sont négligées « à cause de leur grand nombre ». Les coutumes des Pays-Bas, des terres d’Empire et celles des pays de droit écrit du midi de la France sont exclues. Enfin, l’exploration est « renfermée sévèrement dans les limites du droit civil »102.
22Klimrath se livre, dans le second temps de son étude, à une lecture méticuleuse des dispositions contenues dans les coutumes générales. Sur plusieurs questions de droit privé (la capacité personnelle, les biens, la famille, les successions), il relève la ou les solutions retenues par chacune des coutumes et examine les « systèmes » qui s’en dégagent. Par exemple, concernant la majorité féodale, l’étude des coutumes révèle « deux systèmes distincts ». Dans le premier, la majorité féodale est fixée à 20 ans sans distinction de sexe ou oscille, pour les mâles, entre 18 et 21 ans, pour les filles, entre quatorze et dix-huit ans. Dans le second, la « fin de la garde noble ou du bail et la majorité féodale coïncident toujours, et sont fixées, pour les mâles à quatorze ou quinze ans, pour les filles à onze ou douze »103. Mais cette investigation sur les « systèmes coutumiers » ne dévoile, en réalité, aucune logique territoriale. En effet, la majorité féodale à vingt ans concerne aussi bien la Normandie, la Bretagne, la Haute-Marche que l’Auvergne. La dispersion règne en maître. Ce qui fonde l’unité des différents systèmes n’est justement pas leur « localisation géographique ». Ces « systèmes » ne sont aucunement un moyen de valoriser l’inscription locale du normatif et les formes juridiques autochtones. Curieux Klimrath qui convoque la géographie pour mieux en répudier la puissance explicative ! De ce point de vue, on comprend parfaitement la réticence du Strasbourgeois à prendre comme objet d’étude cet « esprit des divers groupes de coutumes » (Jean Yver) qui pouvait apparaître comme une valorisation nostalgique du « provincialisme juridique ». Faire retour vers la coutume n’est donc pas une invitation à creuser un peu plus le fossé qui pourrait séparer identité locale et identité nationale. « La diversité des coutumes écrites, souligne très justement Louis Assier-Andrieu, ne vaut pas en soi mais pour ce qu’elle révèle de modes autochtones d’organisation sociale, de régimes de dominations politiques, de schèmes culturels »104. De fait, le travail ne Klimrath n’a pas d’autre but que de révéler l’unité coutumière de la France. Comment passe-t-il de la description des « systèmes coutumiers » à l’affirmation d’une telle identité ? Il faut bien reconnaître qu’il se montre fort peu explicite sur ce point laissant son lecteur faire, seul, le chemin. Une première solution consiste sans doute à affirmer que l’unité des coutumes se démontre justement dans la capacité de dispositions identiques à émerger n’importe où sur le territoire. Une façon de rappeler qu’elles sont adaptées à tout l’espace national et à l’esprit français dont elles en expriment adéquatement la substance. A moins que, autre solution, Klimrath ne considère tous ces systèmes, historiquement construits, comme d’une valeur équivalente, comme traduisant légitimement l’esprit national.
23Pour renforcer sa thèse de l’unité coutumière, Klimrath recourt, enfin, à la cartographie et joint à ses « Études sur les coutumes » une « Carte de la France coutumière » de sa composition. On ne lui connaît alors aucun équivalent. Sous l’Ancien Régime, plusieurs géographes ont suggéré la réalisation d’une carte des coutumes. Le père Lubin reconnaît que « ce serait un grand soulagement pour les juges aussi bien que pour les avocats, si on faisait des cartes divisées par places de chaque coutume, dont on verrait en un moment toute l’étendue »105. Peu après, Louis de Dangeau imagine une carte des coutumes « qui distingue par l’enluminure les pays où l’on suit le droit écrit d’avec ceux où l’on suit les coutumes, avec des marges qui expliquent les différentes lois par lesquelles la France est gouvernée et qui montrent que de ces lois les unes sont générales et s’observent dans tout le royaume comme les ordonnances de nos rois, et les autres s’observent en de certains pays, comme le droit écrit qu’on suit dans les provinces du midi et les coutumes que l’on suit dans le reste du royaume. Elle fait voir aussi en quel temps on a commencé à mettre par écrit les coutumes et l’année où chaque coutume particulière a été rédigée par écrit »106.
24Cette carte ne verra jamais le jour. En réalité, dans la France d’Ancien Régime, la réalisation pratique d’une telle carte se heurte à des difficultés majeures. La première est d’ordre technologique et graphique. Certes, les cartes des limites et des centres administratifs et judiciaires (les « cartes spéciales ») ne sont pas inconnues. Mais, il faut attendre le XIXe siècle pour voir se développer en France la cartographie thématique dont le code graphique figure un sujet particulier (autre qu’une limite ou une frontière)107. Avant cette innovation, il demeure très malaisé de symboliser sur la carte même la diversité coutumière. Une carte de France « divisée selon l’ordre des Parlements et cours souveraines » (XVIIIe siècle) témoigne de cette difficulté à faire coïncider ressorts des juridictions et coutumes générales et locales. La variété des coutumes n’est pas projetée, recodée dans la carte mais listée dans le scriptogramme à côté de celle-ci. Un second obstacle est sans doute lié à la conception même de l’espace juridique. Sous l’Ancien Régime, évoquer une coutume suppose d’en saisir le ressort particulier mais aussi de désigner l’autorité chargée de son application. Non homogène, l’espace politique et judiciaire est fortement polarisé entre des lieux de pouvoir108. Lorsque Rizzi Zannoni trace en 1765 une carte « pour servir d’introduction à la grande Carte Légale considérée suivant l’étendue des Coutumes, Pouvoirs et Lois Territoriales qui régissent le Royaume », il marque donc les limites des divisions administratives et judiciaires et y positionne la multitude des sièges de l’autorité. Comme si la traduction cartographique des sources du droit était nécessairement médiatisée par la désignation d’une autorité instituée. Quelques décennies plus tard, Henri Klimrath recueille les transformations cumulées de la cartographie et des représentations de l’espace. La tendance est à la thématisation des cartes et à l’homogénéisation de l’espace territorial (substitution d’une logique de circonscription à l’ancienne logique de position). Les conditions étaient réunies pour que, sur fond d’une carte des ressorts de Parlements (ou, peut-être des gouvernements), il projette les coutumes de l’ancienne France.
25Pourtant, l’originalité incontestable de l’entreprise ne doit pas masquer sa signification et sa place dans l’œuvre de Klimrath. Contrairement à une idée répandue, le jeune juriste n’a jamais prétendu, par cette carte, donner une photographie de la France coutumière. Du moins pas au sens où sa carte chercherait à tracer avec une précision clinique l’étendue des coutumes, à la rivière ou au village près. Sa cartographie est une cartographie sans coordonnées précises. De ce point de vue, cette carte n’est pas une représentation graphique de l’énumération des coutumes générales et locales donnée dans cette même étude. Elle n’en est pas la « mise en image ». D’une manière significative, jamais les « Études sur les coutumes » ne commentent ni ne s’appuient sur la carte pour illustrer le propos. Cette carte s’ajoute tout simplement à la description des différents « systèmes » de dispositions pour rendre sensible l’unité juridique dans la diversité. Par un effet visuel, l’hexagone contient toute la diversité coutumière. Pour contenir toute cette diversité, la France juridique n’en est pas moins une. Géographie descriptive et cartographie sont deux stratégies argumentatives au service d’une politique du droit et de l’histoire. Sans doute, trouvera-t-on cet usage de la cartographie quelque peu décevant. Dans tous les cas, il est fort éloigné des vertus analytiques que les commentateurs lui ont souvent attribuées. Ses « Études sur les coutumes » n’en ouvriront pas moins la voie à une féconde anthropologie historique du droit que des travaux récents ne cessent encore d’alimenter109.
Notes de bas de page
1 Sur Henri Klimrath [désormais H.K.]. O. Motte, Lettres inédites de juristes français au XIXe siècle conservées dans les archives et bibliothèques allemandes, Bonn. Bouvier Verlag, tome 2, 1990, p. 1005-1107.
2 Malgré les travaux précurseurs de J. Poumarède, « Défense et illustration de la coutume au temps de l’exégèse (Les débuts de l’école française du droit historique) », C. Journès (dir.), La coutume et la loi. Études d’un conflit, Lyon, PUL, 1986, p. 95-107 et de L. Assier-Andrieu, « Coutume savante et droit rustique. Sur la légalité paysanne », Études rurales, 1986, 103-104, p. 105-137 et Le droit dans les sociétés humaines, Paris, Nathan, 1996, p. 127- 131. Plus récemment, à propos de la saisine chez Klimrath, la très brillante analyse de M. Xifaras. La propriété. Étude de philosophie du droit, Paris, PUF, 2004.
3 H.K., « Henri Lagarmitte », Nouvelle revue germanique, 1834. tome 17, 2e série, p. 173
4 H.K., « Pensées sur le but et les devoirs du libéralisme allemand par P.A. Pfizer », Nouvelle revue germanique, 48e n°, 1932, p. 333-344 ainsi que son compte-rendu sur « le Manuel du droit rationnel et des sciences politiques (tomes 3 et 4) par Charles de Rotteck, Stuttgart, 1834 », Nouvelle revue germanique, 2e série, tome 3, octobre 1834, pp. 186-196. H.K., « Lettres écrites de l’Allemagne. Première lettre. De l’état politique du midi de l’Allemagne », Nouvelle revue germanique., juin 1832, pp. 97-116 ; « Lettres écrites de l’Allemagne. Deuxième lettre. De l’état social du midi de l’Allemagne », novembre 1832, p. 193-210. Voir, sur cette question, J. Hummel, Le constitutionnalisme allemand (1815-1918) : Le modèle allemand de la monarchie limitée, Paris, PUF, 2002.
5 Sur le positionnement politique de ces professeurs : H.K., « Lettre au directeur de la Revue Encyclopédique sur l’Université de Heidelberg. Cours de droit de M. Thibaut », Revue Encyclopédique, juillet 1832, p. 107-125 ; « Deuxième lettre sur l’Université de Heidelberg. Zachariae, Mittermaïer, Morstadt », Revue encyclopédique, septembre 1832, p. 611 -631.
6 H.K., « Lettre au directeur de la Revue encyclopédique », op. cit., p. 110-111
7 Selon la conviction de Henri Klimrath, « la science peut beaucoup pour organiser » : Cours libre du droit français, Académie de Strasbourg. Leçon 23, 31 mai 1834, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, ms 3322, cours libre de Klimrath]désormais, BNUS cours Klimrath]
8 De l’aveu même de Klimrath lors de sa soutenance de thèse : lettre de Henriette Louise Schertz à Leopold August Warnkönig, 10 décembre 1842 (Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, fonds L.A. Warnkönig) [désormais, BNUS Warnkönig]
9 Sur l’institution des sciences morales et politiques en France, voir D. Damamme, Histoire des sciences morales et politiques et leurs enseignements des Lumières au scientisme, thèse pour le doctorat en science politique. Université Paris I, 1982 et C. Delmas, Les rapports du savoir et du pouvoir. L’Académie des sciences morales et politiques de 1832 à 1914, thèse pour le doctorat en science politique, Université Paris IX – Dauphine, Paris. 2000, 2 tomes.
10 H.K.. « Programme d’une histoire du droit français (1835) » dans Travaux sur l’histoire du droit français par feu Henri Klimrath, recueillis, mis en ordre et précédé d’une préface de L. A. Warnkönig, Paris-Strasbourg, 1843, tome 1, p. 90 [désormais, Programme]
11 H.K., « Importance scientifique et sociale d’une histoire du droit français (1834) », Travaux sur l’histoire du droit français par feu Henri Klimrath, recueillis, mis en ordre et précédé d’une préface de L.A. Warnkönig. Paris- Strasbourg, 1843, tome 1, P- 82 [désormais. Importance scientifique]
12 H.K., « Manuel du droit rationnel », ouv.cité, p. 188
13 Programme, p. 93
14 C’est dans le salon de son oncle, le Recteur Levrault, que Henri Klimrath rencontre Charles Cuvier et, plus tard, Edgar Quinet dont il devient un proche. Cuvier rendra hommage à son jeune ami décédé dans « Mes souvenirs sur Henri Klimrath », Nouvelle revue germanique, troisième série, année 1837, tome 12, p. 103-107. Sur Cuvier, on consultera le travail d’A.-L. Salomon (apparentée à Klimrath), Charles Cuvier, Strasbourg, 1922.
15 « Importance scientifique ». p. 82
16 Nouvelle revue germanique, mars 1832, p. 194
17 H.K., « Histoire du droit public et privé de la France (1836-1837) », Travaux sur l’histoire du droit français par feu Henri Klimrath, recueillis, mis en ordre et précédé d’une préface de L.A. Warnkönig, Paris- Strasbourg, 1843, tome 1, P-184 82 [désormais, Histoire du droit public et privé]
18 Sur la prééminence de « l’histoire philosophique » sous la monarchie de Juillet, Y. Knibiehler, Naissance des sciences humaines : Mignet et l’histoire philosophique au XIXe siècle, Paris, Flammarion, 1973, p. 337-349. Voir la synthèse de C. Delacroix, F. Dosse, P. Garcia, Les courants historiques en France. 19e-20e siècle, Paris, Armand Colin, 2002, p. 26-41.
19 « Importance scientifique », p. 67.
20 F. Laferrière, « Introduction », Revue bretonne de droit et de jurisprudence, volume 1, mai-août 1840, p. III. Sur cette revue et son programme, voir l’article de Y.-A. Durelle-Marc dans ce volume.
21 « Importance scientifique ». p. 66.
22 Programme, p. 95
23 L.-B. Cotelle, Cours de droit français ou du Code Napoléon approfondi, Paris, 1813, tome 1, p. XIII.
24 Cette édition est publiée à Paris en 1818. La Bibliothèque choisie figure dans le second volume ; il ne contient pas moins de 2447 références sur le droit naturel, le droit romain, le droit français, le « nouveau droit français », le droit canonique, le droit étranger. Dans la 5e édition publiée à Bruxelles en 1833 par ce même Dupin (réédition Georg Olms Verlag, 1976), on compte 3703 entrées
25 C.-E. Pastoret, Histoire de la législation. Paris, 1817-1837, 11 volumes.
26 É. Gans, Chroniques françaises, textes présentés et édités par N. Waszek, Paris, Cerf, 1993, p. 119.
27 « Importance scientifique », p. 66.
28 Programme, p. 94.
29 Sur cette difficile conciliation, M. Gauchet, « Les Lettres sur l’histoire de France d’Augustin Thierry. “L’alliance austère du patriotisme et de la science” », P. Nora (dir.), Les lieux de mémoire. II. La Nation. I. Héritage, historiographie, paysages, Paris, Gallimard, 1986. p. 266-282.
30 H.K., « Essai sur l’étude historique du droit et son utilité pour l’interprétation du Code civil », Travaux sur l’histoire du droit français par feu Henri Klimrath, recueillis, mis en ordre et précédé d’une préface de L.A. Warnkönig, Paris- Strasbourg, 1843, tome 1, p. 5-62 [désormais, Essai]
31 BNUS Warnkönig. Lettre de H. Klimrath à L.A. Warnkönig, 12 janvier 1837.
32 H.K., Mémoire sur les monuments inédits de l’histoire du droit français au Moyen Âge, Paris, Strasbourg, 1835 ; Mémoire sur les Olim et sur le Parlement, second mémoire sur les monuments inédits de l’histoire du droit français, Paris, 1837.
33 BNUS Warnkönig ; Lettre H.L. Schertz à L.A. Warnkönig, 29 mai 1838. Seul Li livres de jostice et de Plet est retenu pour être édité dans cette Collection par P.-N. Rapetti en 1850. Les autres sources sont les Assises de la Basse Court du royaume de Jérusalem, une copie de Pierre de Fontaines, l’ancien Coutumier de Picardie et seront publiées chez divers éditeurs à partir de 1839 par V. Foucher ou A.-I. Marnier.
34 Sur cette notion de « régime de savoirs », voir D. Pestre, Science, argent et politique. Un essai d’interprétation, Paris, INRA, 2003.
35 Sur ce mouvement de distanciation et de spécialisation des savoirs, la magistrale étude de J.-L. Chappey, La Société des Observateurs de l’homme (1799-1804). Des anthropologues au temps de Bonaparte, Paris, Société d’études robespierristes, 2002.
36 Essai, p. 18-19.
37 Sur cette grille libérale d’intelligibilité de l’histoire, M. Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France, 1976, Paris, Gallimard, 1997, p. 200-212.
38 Essai, p. 9. n.l.
39 H.K., « Henri Lagarmitte », op. cit., p. 173-174 : « Le saint-simonisme est jugé par l’événement ; comme secte, il n’existe plus, mais à plus d’un égard, la société entière est tout imprégnée de l’influence indirecte qu’il a exercé sur elle ».
40 BNUS Warnköenig, Lettre de H.L. Schertz à L.A. Warnkönig, 17 mars 1843. Voir M. Emerit, « Les saint-simoniens à Strasbourg », Annales de l’Est. 1976, sér. 5, a. 28, n° l, p. 73- 75.
41 P. Régnier, « Les saint-simoniens et la philosophie allemande ou la première alliance intellectuelle franco-allemande », Revue de synthèse, t. CIX, 4e série, 1988. n° 2, p. 231-245. Sur l’école historique allemande, O. Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918), Paris, PUF, 2005.
42 Klimrath profite de ce séjour pour faire un voyage à Vienne pendant l’été 1832. Il retourne, une seconde fois, à Heidelberg en 1836. Sur l’université d’Heidelberg et ses enseignants, voir les articles précités publiés dans la Revue encyclopédique ainsi qu’O. Motte, ouv. cité.
43 H.K., « De l’étude du droit en Allemagne », Nouvelle revue germanique, 2e série, tome 1, janvier 1834, p. 21-42 ; avril 1834, p. 305-337 ; tome 3, septembre 1834, p. 43-61 ; tome 3, octobre 1834, p. 145-163.
44 H.K., « Aperçu de l’histoire extérieure du droit romain d’après M. de Savigny », Nouvelle revue germanique, 2e série, tome 3, novembre 1834, p. 229-259 ; décembre 1834, p. 309-339 (il s’agit d’un cours fait à Berlin pendant l’été 1832).
45 Essai, p. 9.
46 Programme, p. 92.
47 Programme, p. 101.
48 N. Hakim, L’autorité de la doctrine civiliste au XIXe siècle, Paris, LGDJ, 2002.
49 Essai, p. 17.
50 Comme « système », le Code a une origine (la « volonté de législateur ») qui l’arrache à un passé révolu (« les sources »). Sur cette distinction entre « origine » et « sources », voir le commentaire lumineux de G. Navet, De l’usage de Vico en France : le problème de la légitimité du droit civil, thèse pour le doctorat en science politique. Université de Reims, 1987, p. 161-164.
51 Klimrath précise dans son Histoire du droit public et privé de la France, op. cit.. p. 183. : « En ce sens, le droit positif est un droit naturel. Le législateur le reconnaît plus ou moins et le déclare bien ou mal, mais il ne le crée jamais ».
52 Essai, p. 13.
53 Ibid., p. 19.
54 C. Nicolet, La fabrique de la nation. La France entre Rome et les Germains, Paris, 2006.
55 Voir l’article d’A. Escudier, « Entre ’pragmatisme’ des Lumières et ‘Historisme’ classique. Johannes von Müller et l’historiographie allemande de la première moitié du XIXe siècle », L’historiographie à l’aube du XIXe siècle autour de Jean de Müllier et du Groupe de Coppet, Paris, Honoré Champion éditeur. 2004, p. 45-77.
56 H.K., « Comment faut-il écrire l’histoire ? Entretien de M. Luden avec Jean Muller, raconté par le premier », Nouvelle revue germanique, 1830, n° 13, mars, p. 285-299 ; « Histoire de la nation allemande par M. Luden », Nouvelle revue germanique, avril 1831, p. 289-308 et mars 1832, p. 193-21.
57 Essai, p. 20. « Après la connaissance du pays, ce qui importe le plus pour l’histoire d’un peuple, c’est la connaissance de ses origines » (Importance scientifique, p. 68).
58 Voir les critiques adressées à F. Laferrière trop empressé de faire du droit romain le substrat du droit civil français. « Compte rendu de l’Histoire du droit français par M.F. Laferrière (1836) » dans Travaux sur l’histoire du droit français par feu Henri Klimrath, ouv. cité., volume 1, p. 113-131 [désormais Laferrière]
59 Les Gaulois, les Romains, les Germains et le Christianisme sont inclus dans l’histoire du droit français au titre de « moment pré-historique ». « L’histoire du droit français suppose l’histoire du droit romain mais ne la comprend point (Programme, p. 103).
60 Programme, p. 103.
61 Essai, p. 8.
62 Programme, p. 69. Dans son compte-rendu sur l’Histoire du droit de F. Laferrière, Klimrath note : « les germes déposés dans les mœurs germaniques se sont développés dans des situations diverses, sous des formes différentes appropriées aux besoins de chacune des époques franques, féodale et moderne ».
63 Histoire du droit public et privé, p. 185.
64 H.K.. « Compte rendu de l’Histoire des institutions judiciaires en France par M.J.P. Brewer (1836) », dans Travaux sur l’histoire du droit français par feu Henri Klimrath, ouv. cité., volume 1, p. 132-145 [désormais, Brewer],
65 Voir notamment les différents plans de son Histoire du droit public et privé, p. 171-181.
66 Sur l’opération de périodisation, K. Pomian. L’ordre du temps, Paris, Gallimard, p. 159- 156.
67 « Compte rendu par... Brewer », p. 135.
68 BNUS cours Klimrath (leçon I 1).
69 « Importance scientifique », p. 84.
70 Doctrine de Saint-Simon. Exposition. Première année, 1829. Paris, Marcel Rivière, nouvelle édition, 1924, p. 193-201. Cette influence saint-simonienne est particulièrement sensible dans son cours libre de 1834. Dans la 11e leçon. Kimrath affirme : « C’est une heureuse et féconde idée que cette distinction des époques organiques et critiques, pourvu toutefois qu’on n’en use qu’avec mesure et discernement ». BNUS cours Klimrath.
71 Selon la belle formule de B. Lepetit, « Le présent de l’histoire », B. Lepetit (dir.), Les formes de l’expérience, Paris. 1995, p. 296.
72 Brewer, p. 134.
73 P. Guenancia, « L’identité », D. Kambouchner (dir.), Notions de philosophie. II, Paris, 1995, p. 574.
74 Notamment dans ses articles sur « l’étude du droit en Allemagne », ouv. cité. On a également conservé les notes de Klimrath sur les plans des cours et/ou des ouvrages des historiens du droit allemands (BNUS Klimrath).
75 Programme, p. 107.
76 Nouvelle revue historique, 2e série, tome 3. septembre 1834. p. 46.
77 Histoire du droit public et privé, p. 187.
78 Programme, p. 111
79 Le cours est conservé à la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg (ms 3322).
80 Sur la création de cette chaire : lettre de Rauter à Warnkönig, 2 décembre 1842, O. Motte, Lettres inédites, op. cit., tome 2, p. 1513-14 ; BNUS Warnkönig, lettres de H.L. Schertz à L.A. Warnkönig, 29 mai 1838 et 17 mars 1843.
81 Initialement, F.F. Poncelet s’est proposé pour rédiger l’introduction aux Travaux sur l’histoire du droit français (BNUS Warnkönig, Lettre H.L. Schertz à L.A. Warnkönig, sd, ). Pour son Histoire du droit public et privé de la France, Klimrath prévoyait une publication en trois volumes composés de cinq livres. Warnkönig a vraisemblablement renoncé à publier les très nombreuses notes déjà rédigées pour la troisième partie consacrée au Moyen Âge et à la féodalité (BNUS Warnkönig, Lettre H.L. Schertz à L.A. Warnkönig, 30 janvier 1844).
82 Sur la conceptualisation de la coutume, on consultera prioritairement L. Assier-Andrieu, « Penser le temps culturel du droit. Le destin anthropologique du concept de coutume », L’Homme. Revue française d’anthropologie. n° 160, 2001, p. 67-90
83 Essai, p. 22.
84 Laferrière, p. 131.
85 Pour une analyse précise de cette thèse à partir de l’hypothèse de la saisine, M. Xifaras, ouv. cité, p. 429-477.
86 Essai, p. 26-62.
87 Essai, p. 36.
88 Essai, p. 34
89 H.K., « Études sur les coutumes (1837) », Travaux sur l’histoire du droit français, ouv. cité, tome 2, p. 133-337 [Désormais Coutumes]
90 C. Cuvier, « Mes souvenirs sur Henri Klimrath », ouv. cité, p. 103-107.
91 Sur cette démarche ethnographique et cartographique chez Hérodote. C. Jacob, Géographie et ethnographie en Grèce ancienne, Paris, 1991, p. 49-72.
92 C. Ritter, « Description d’une partie de l’Abyssinie. Extrait de la Géographie générale comparée » (traduction Henri Klimrath), Nouvelle revue germanique, tome 6, novembre 1830, p. 201-222, 301-333. Sur Ritter, P. Claval, Histoire de la géographie, Paris, 3e éd. 2001.
93 A. Picon, « Les saint-simoniens : espace géopolitique et temps historique », P. Musso (dir.), L’actualité du saint-simonisme. Colloque de Cerisy, Paris, 2004, p. 321-335
94 Laferrière, p. 119
95 Coutumes, p. 221
96 BNUS Klimrath, Lettre de H. Klimrath à L.A. Warnkönig, 12 janvier 1837,.
97 Sur la rédaction des coutumes, M. Grinberg, Écrire les coutumes. Les droits seigneuriaux en France, Paris, PUF, 2006.
98 Coutumes, p. 171.
99 Coutumes, p. 171-219
100 G. Delisle, Recueil de cartes géographiques avec une carte de Picardie et de l’Artois, Paris, 1710-1717 ; J.-B.-F.-N. Thieriot, Principes de la coutume de Chaumont-en-Bassigny, Chaumont, 1765 ; A. H. Jaillot, Les Estats du duc de Lorraine ou sont les Duchez de Lorraine et de Bar, Paris, 1781 et, du même, La province de Poitou et le pays d’Aunis, la généralité de Poitiers, Paris, 1732.
101 Voir le maître livre de J. Yver, Égalité entre héritiers et exclusion des enfants dotés. Essai de géographie coutumière, Paris, Sirey, 1966, p. 1 ainsi que P. Ourliac et J.-L. Gazzaniga, Histoire du droit privé français de l’An mil au Code civil, Paris, Albin Michel. 1985, p. 81- 120 (« Essai de géographie coutumière ») ainsi que J. Gilissen, La coutume, Brepols, Turhout-Belgium, 1982, p. 33-40.
102 Coutumes, p. 241-244
103 Coutumes, p. 247.
104 L. Assier-Andrieu, « Penser le temps culturel du droit », ouv. cité, p. 81. Par contre, il nous semble difficile de soutenir que le projet de Klimrath consiste à fonder « une sociologie générale de la différenciation des cultures juridiques » (Le droit dans les sociétés humaines, ouv. cité, p. 130). La diversité culturelle ne l’intéresse guère. L’entreprise du juriste nous paraît, à l’inverse, une sociologie historique des formes de l’identité juridique nationale.
105 RP. A. Lubin, Augustin (prédicateur et géographe ordinaire du Roi), Mercure géographique ou le guide du curieux des cartes géographiques, Paris, chez Christophe Remy, 1678, p. 387.
106 L. de Dangeau, Nouvelle méthode de géographie historique, Paris, 1696, f°80v°-f°81 r°
107 G. Palsky, Des chiffres et des cartes : naissance et développement de cartographie quantitative française au XIXe siècle, Editions CTHS, 1996. Voir également l’ouvrage classique de F. deDAinville, Le langage des géographes, 1500-1800, Paris, éd. 2002.
108 A. Guerreau, « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », N. Bulst, R. Descimon, A. Guerreau (dir.), L’État ou le Roi. Les fondations de la modernité monarchique en France (XIVe-XVIIe), Paris, Éditions de la MSH, 1996, p. 85-101.
109 Je remercie Messieurs les professeurs Jean Hilaire et Pierre Bonin, Madame Marie-Vic Ozouf-Marignier, Monsieur Gilles Palsky et Mademoiselle Céline Pauthier pour leur aide et leurs conseils précieux.
Auteur
Chargé de recherche au CNRS.
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