La place de l’histoire du droit dans l’œuvre des juristes toulousains du xiiie au xve siècle
p. 23-31
Texte intégral
1Du XIIIe au XVIe siècle, le rapport des juristes toulousains à l’histoire en général et à l’histoire du droit en particulier a considérablement évolué.
2Dans les dernières années du XIIIe siècle (aucune de leurs œuvres conservées n’est antérieure aux années 1280), le recours à l’histoire n’est certainement pas le premier de leurs soucis. Ils appliquent les textes du Corpus juris civilis aux institutions ou aux situations juridiques de leur temps sans éprouver aucunement le besoin d’entrer dans quelque explication sur les différences qui pouvaient exister entre l’institution romaine visée et l’actuelle. Ainsi, Guillaume de Ferrières, commentant l’interdiction par Valentinien et Valens de toute autorisation de port d’armes sans leur accord exprès, affirme au passage : Comes et praeses aequiparantur », ce qui lui permet d’assimiler les comtes aux gouverneurs de province1. Le même Guillaume de Ferrières note, à plusieurs reprises, que les consuls des cités de son temps ont pris la place des décurions romains2. Et s’il tente d’expliquer que les décurions sont ainsi appelés parce que, lors de la fondation d’un bourg, la dixième partie de ceux qui voulaient y habiter étaient choisis comme conseillers, il ne fait que reprendre une explication élaborée par Pomponius au IIe siècle3. L’identification des consuls et des décurions est reprise à la même époque par Pierre de Ferrières dans deux consultations, l’une insérée dans le recueil connu sous le nom de Responsa doctorum Tholosanorum4 , l’autre conservée en original aux Archives municipales d’Albi5.
3On peut cependant trouver dans l’œuvre de Guillaume de Ferrières quelques passages où il fait appel à l’histoire pour montrer les différences entre les institutions romaines et celles de son temps. Ainsi, commentant le titre de decurionibus du Code de Justinien6, il se pose la question de savoir si les consuls « de notre temps » jouissent des privilèges qu’avaient autrefois les décurions, notamment celui de ne pas être soumis à la question, et il remarque que, autrefois, certaines solennités s’observaient chez les décurions dans une forme qui n’a plus cours aujourd’hui7. Parmi les différences existant entre décurions et consuls, il note que les premiers étaient perpétuels alors que les seconds n’exercent leurs fonctions que pendant un an ; d’autre part l’État était appelé à recueillir les biens des curiales décédés intestat sans héritier8, disposition qui ne concerne pas les consuls actuels.
4Ainsi encore, arrivé au commentaire de la loi Instar9 où il est fait mention de tabulariii auxquels la loi interdit d’intervenir dans la reddition des comptes, Guillaume de Ferrières récuse l’opinion de certains auteurs qui légitiment cette intervention en considérant que ces tabularii sont des assesseurs. Qualité qu’il refuse à ces personnages dont le rôle est simplement de signaler aux comptables la nature et la quantité des dettes.
5Dans son traité des actions10, dans son exposé sur la loi Aquilia, le même auteur constate que le deuxième chef de cette loi est tombé en désuétude, mais que, au contraire, le troisième « et olim et hodie locum habet »11. Enfin, dans son traité de la coutume12, pour justifier la théorie qui veut que la coutume repose sur le consentement tacite du peuple, Guillaume de Ferrières réfute l’opinion de ceux qui nient que le consentement est un élément nécessaire en arguant du fait que, dans le système mis en place par l’Empire romain, le peuple a perdu le pouvoir législatif qui avait été le sien sous la République ; le consentement populaire ne fonde plus la loi et, s’il ne fonde plus la loi, il ne saurait davantage fonder la coutume. Mais Guillaume de Ferrières observe que seul le pouvoir de faire la loi appartenait en propre au peuple romain ; celui-ci n’a donc pu remettre à son prince que les pouvoirs dont il avait la libre disposition comme celui d’octroyer des honneurs, de gouverner, d’édicter la loi. Il n’a pas pu abandonner les prérogatives qu’il partageait avec d’autres, au premier chef celle de créer la coutume.
6À la même époque, Arnaud Arpadelle, le commentateur de la coutume de Toulouse, fait, encore que bien petite, une plus large place à l’histoire. Commençant son traité13 par une longue dissertation sur le terme de consul, il énumère les principaux privilèges des consuls romains : le consul fils de famille est exonéré de la puissance paternelle et peut donc faire seul un testament ou ester en justice sans l’assistance de son père ; le consul, même sorti de charge, ne peut être soumis à la torture. De même. Arpadelle rapporte que d’après certaines chroniques, « consules in civitate Romana vel Constantinopolitana tenebant equum »14 et, voulant expliquer le mot capitol, il note que dans l’antiquité il y avait trois Capitoles, à Rome, Constantinople et Toulouse15. Mais il ne se borne pas à des allusions aux institutions romaines et prend soin de se référer à l’histoire locale en donnant, par exemple une liste des comtes et des évêques de Toulouse ou en racontant les circonstances qui ont été à l’origine de la rédaction des coutumes de la ville : un notaire, Guillaume de Narayna, qui possédait un recueil privé des coutumes, falsifia son texte pour obtenir gain de cause dans un procès où il jouait le rôle de conseiller juridique. Un bourgeois de Toulouse, non payé de son loyer, voulait saisir la laine que sa locataire avait déposée dans l’immeuble loué ; Guillaume, « qui portait toujours les coutumes dans son sein » exhiba son exemplaire sur lequel il avait ajouté à l’article qui prévoit le droit de rétention du bailleur d’immeubles sur les objets garnissant le local loué les mots : excepta lana filata. De même encore, sous la rubrique de foro competenti, Arpadelle note un changement important dans la jurisprudence du tribunal consulaire : autrefois les consuls prétendaient avoir compétence pour juger des contrats ou des délits des habitants du comté de Toulouse même si ces contrats ou délits étaient passés ou commis hors de la ville, au prétexte que Toulouse était « capud et domina et magistra tocius comitatus » ; mais, ajoute-t-il, « hodie vero servatur contrarium », parce que les consuls acceptent dans ce cas les déclinatoires de compétence des hommes du comte.
7Les auteurs toulousains de la première moitié du XIVe siècle adoptent vis-à-vis de l’histoire une attitude aussi réservée que celle de leurs prédécesseurs.
8Dans son traité des appels composé vers 131816 Hugues de Cairols a consacré un très court paragraphe à l’origine historique de l’appel. Il rapporte que l’appel était inconnu à Rome au temps de la royauté et qu’il est apparu avec la constitution républicaine pour tempérer le pouvoir des consuls. Mais il faut remarquer que lui aussi puise ses renseignements historiques dans le fragment de Pomponius inséré au Digeste au titre de l’origine du droit et des magistrats17. Vers la même époque, Guillaume de Cunh, dans sa lecture sur le Code de Justinien, ignore l’histoire. Pour définir les notions d’alleu et de fief, il utilise les Libri feudorum mais il ne se livre à aucune enquête historique sur l’origine des fiefs et des alleux18. Et quand il se pose la question de savoir si les consuls sont tenus de payer les impôts, il applique à leur cas les textes sur les décurions sans se préoccuper de savoir s’il y a des différences entre ces personnages de l’antiquité et les consuls de son temps19.
9Avec le XVe siècle la situation commence à changer. L’histoire commence à fonder le raisonnement juridique. Ainsi, dans la première moitié du siècle, Bernard de Rosier20, titulaire pendant vingt ans d’une chaire à la faculté de droit qu’il cumule avec une maîtrise en théologie et qui exerce de multiples fonctions ecclésiastiques (chancelier de l’église de Toulouse, prévôt de la cathédrale, référendaire en cour de Rome, pour finir archevêque de Toulouse), recourt à maintes reprises à des arguments historiques, théologiques voire littéraires. C’est alors qu’il était référendaire que Bernard de Rosier est appelé à intervenir dans les questions posées par le remariage du dauphin de France, le futur Louis XI, avec la sœur de Marguerite d’Ecosse, son épouse décédée à Châlons le 16 août 1445. Ce remariage était évidemment souhaité par le roi de France, car, à l’époque, la guerre de Cent ans n’était pas encore terminée et le roi de France avait un intérêt primordial à maintenir l’alliance écossaise puisque cela lui permettait de prendre à revers l’ennemi commun, à savoir le roi d’Angleterre.
10Dans deux consultations destinées à prouver qu’il était loisible au pape d’octroyer dispense en vue de ce remariage, Bernard de Rosier entend écarter l’interdiction que le droit canonique avait établie au concile d’Elvire, prohibition qui était passée dans la législation des empereurs chrétiens et avait été maintes fois réitérée par les Conciles. Mais le texte de base de cette interdiction était le Lévitique. XVIII, 18 : « Sororem uxoris tuae in pellicatum illius non accipies nec revelabis turpitudinem ejus adhuc ilia vivente ».
11Pour écarter l’objection tirée de ce texte, Bernard de Rosier faisait remarquer, à la suite de Nicolas de Lyre, que la prohibition d’un tel remariage remontait au temps où la polygamie était pratiquée par le peuple juif et que le Lévitique se bornait à interdire d’épouser la sœur du vivant de la première épouse. Et il va brosser un très large tableau de l’évolution historique des empêchements à mariage ; d’Adam à Moïse, une seule interdiction fut observée : les enfants ne pouvaient épouser leurs parents. Après Moïse, certaines prohibitions furent édictées au Lévitique XVIII. Les variations qu’ont connues ces dispositions au cours de l’Ancien Testament prouvent jusqu’à l’évidence que la loi mosaïque a toujours été susceptible de modification quand l’intérêt du peuple hébreu l’exigeait. Dans la suite, aucun précepte évangélique ou apostolique n’interdit les conjunctiones consanguineorum. Aussi bien saint Jean-Baptiste que saint Marc, condamnant les débordements d’Hérode, ont correctement interprété le Lévitique XVIII et ont seulement reproché à ce monarque d’avoir épousé sa belle-sœur du vivant de son frère. Et Bernard de Rosier poursuit son historique des empêchements à mariage reposant sur la consanguinité et l’affinité en citant les dispositions des papes Innocent III et Honorius III qui s’interdisaient théoriquement de donner dispense aux degrés interdits par la loi divine, mais qui avaient, à plusieurs reprises, rendu des décisions contraires à cette affirmation21.
12Dans une autre de ses consultations datant de 1432, Bernard de Rosier compare le chancelier au questor candidatus principis chargé d’aller lire au Sénat les projets de loi édictés par l’empereur22.
13Si nous passons maintenant à la fin du XVe siècle, nous trouvons Guillaume Benoît23 et son célèbre commentaire de la décrétale Raynutius de testamentis24. Dans cet ouvrage, il a un des premiers reconnu que l’histoire pouvait fonder le raisonnement juridique : histoire antique, histoire du royaume, événements quasi contemporains lui permettent de vérifier et d’alléguer son enseignement : « Je n’omettrai pas les « exemples » anciens des Romains et des autres peuples, surtout les « exemples » du royaume de France25 », déclare-t-il dans la préface de la Repetitio. Et ces exemples, il ira les chercher chez les historiens latins qu’il cite à profusion : César, Tite-Live (lacteus eloquentiae rivus), Suétone, Quinte-Curce, Florus, Eutrope et bien d’autres. Mais aussi chez les philosophes comme Sénèque, les poètes (Ovide, Virgile, Lucain). Il ne néglige pas les auteurs grecs : Hérodote, Diodore de Sicile, Strabon26.
14Pour le Moyen Âge, Benoît s’appuie sur un certain nombre de chroniqueurs : Pierre le Mangeur, Hélinand de Froimont, Vincent de Beauvais et sur des auteurs plus récents tels Antonin de Florence ou le Fasciculus temporum de Werner Rolevinck qui lui a donné des indications sur l’origine des Francs, Clovis, Clotilde, Pépin et Charlemagne27. Mieux encore, Guillaume Benoît est un véritable érudit et n’a garde d’ignorer les documents conservés dans les bibliothèques et les dépôts d’archives. À Blois, en 1507, il a fréquenté la bibliothèque du roi et y a consulté le manuscrit du procès de la réhabilitation de Jeanne d’Arc28. Naturellement, après sa nomination au Parlement de Toulouse, il prend des notes sur les arrêts et sur les recueils d’ordonnances royales ; il fait mention des archives des Etats de Languedoc et de la ville de Toulouse au Capitole ; le fonds de l’archevêché de Toulouse lui a été ouvert. Il a, peut-être même, au cours d’un séjour à Paris, eu accès au Trésor des Chartes.
15C’est au cours de ce voyage à Paris, vers 1490, qu’il avait pu consulter le Compendium de origine et gestis Francorum, encore manuscrit, de Robert Gaguin auquel il fait de multiples emprunts29. Cela lui permet de reconstituer l’histoire de France. Il consacre quelques paragraphes aux Gaulois, relate leur itinéraire de Troie en Pannonie, puis en Sicambrie, les fait enfin pénétrer dans l’empire ; de même il reconstitue le portrait des rois de France depuis Clovis jusqu’à Charles VIII. Il se fonde encore sur Gaguin pour retracer l’origine et l’histoire du Parlement. Il se lance même à ce propos dans un parallèle sur les origines du Sénat romain d’après Tite-Live. Et quand il examine les privilèges des parlementaires, il cite César affirmant que les druides déjà étaient exempts de toute taxe, cum olim in praesenti regno haberent authoritatem30.
16Abordant l’étude du chancelier, Benoît pose d’abord qu’on doit le considérer loco questoris. Mais il se demande cependant s’il ne vaudrait pas mieux l’assimiler au préfet du prétoire, encore qu’il remarque qu’il a existé plusieurs préfets du prétoire. Il dresse ensuite une longue liste de personnages qu’il qualifie de chanceliers, depuis la Bible (avec Josaphat, chancelier du roi David) en passant par l’antiquité romaine (Sénèque, chancelier de Néron ; Ulpien, chancelier de Justinien) jusqu’à Pierre de Belleperche, garde des sceaux de Philippe le Bel31. S’intéressant aux questions fiscales, il décrit avec précision l’apparition et le développement des finances extraordinaires. Dans d’autres passages, Benoît s’étend sur l’histoire du droit. Il indique à ses étudiants que le droit romain a sans cesse changé, qu’il a connu plusieurs époques. Ainsi, le régime de la succession ab intestat a été soumis à la varietas et intricata legum diversitas. On peut y distinguer l’empreinte de quatre droits successifs : le jus antiquissimum (loi des XII Tables) ; le jus praetorium (droit prétorien) ; le droit impérial (senatus consultas Tertullien et Orfitien) ; le jus novissimum (droit des authentiques dont on use aujourd’hui, à savoir la novelle 118). Et Guillaume Benoît reprend ses explications historiques dans la plupart de ses développements sur les diverses parties du droit successoral : codicille, institution d’héritier, exhérédation32.
17Mais c’est peut-être dans les très longs développements consacrés à l’étude de la succession royale que Guillaume Benoît utilise l’histoire systématiquement. Après avoir produit le texte de la loi Salique, il rappelle les circonstances de son élaboration, œuvre de quatre prudents délégués par le roi Pharamond, entérinée par les Grands du royaume et promulguée la dernière année du règne de ce monarque. À propos de la loi, il compare sa rédaction avec celle de la loi romaine des XII Tables et rappelle, après Tite-Live, que les Romains avaient obtenu des Grecs une loi des « Dix Tables » qu’ils avaient complétées par deux autres Tables. Il signale aussi que l’empereur Charlemagne, qui a reçu le droit romain, a maintenu les dispositions de la loi Salique33.
18Quelques années après la disparition de Benoît s’ouvre la grande époque de la Faculté de droit de Toulouse. L’étude de l’attitude des professeurs les plus illustres vis-à-vis de l’histoire et plus précisément de l’histoire du droit appellerait de très nombreuses remarques. Les Jean de Boyssoné, les Arnaud du Ferrier et tant d’autres ont tous consacré des développements considérables à cette histoire. Il sera envisagé ici un seul d’entre eux : Jean de Coras34, en examinant la part de l’histoire dans ses commentaires sur le Digeste Vieux qui ont fait l’objet de cours prononcés par lui à Toulouse au début des années 1540, à Valence entre 1545 et 1549 et révisés par lui à Ferrare en 155035.
19Le Digeste Vieux est la partie de la compilation justinienne qui permet le mieux à ses commentateurs des digressions historiques. D’abord, la loi 2 (necessarium) du titre 2 (de origine juris) est la reproduction d’un long extrait de l’Enchiridion de Pomponius dans lequel ce jurisconsulte a fait l’historique des lois qui ont régi au cours des âges le peuple romain ; comme les lois ne peuvent s’appliquer sans l’existence de magistrats, Pomponius donne une chronologie de l’apparition des magistratures de la République et de l’Empire qu’il a complétée par une longue liste de jurisconsultes. Nous avons déjà vu que c’est à ce fragment de Pomponius que se rapporte une bonne part des quelques notions d’histoire du droit que l’on peut trouver chez les Doctores Tholosani. D’autre part, tous les titres suivants du Digeste Vieux traitent des différentes magistratures apparues à Rome au cours des siècles et offrent par conséquent aux commentateurs de nombreuses occasions de rappeler l’histoire de ces institutions.
20Avant même d’aborder la loi première de ce titre 2, Coras énumère les législateurs qui ont donné leurs lois aux peuples de l’Antiquité. : Zoroastre pour les Perses, Trimégiste pour les Egyptiens, Minos pour les Crétois, Charondas pour les Carthaginois, Lycurgue pour les Lacédémoniens, Draco et Solon pour les Athéniens, Romulus et Numa pour les Romains36.
21Mais c’est la loi necessarium qui donne l’occasion à Coras d’apporter une multitude de précisions sur l’apparition et l’évolution des institutions romaines37. Il commence par évoquer la fondation de Rome, décrit les institutions de la Rome royale, raconte par le menu les circonstances dans lesquelles fut rédigée la loi des XII Tables38, signale que Cnaeus Flavius, scribe du censeur Appius Claudius, publia les formules des actions de la loi extraites d’un recueil qu’avait composé son maître et fut pour cela nommé tribun de la plèbe en 304 avant Jésus-Christ39. Parlant du Sénat, il note sa composition au temps des rois, discute l’origine de son nom, évoque l’âge des sénateurs, mentionne les différentes façons de recueillir les votes, énumère les différents types de senatusconsultes et décrit l’habit des sénateurs40.
22S’intéressant aux consuls, il constate la diminution de leurs pouvoirs au temps de l’Empire et leur multiplication à la même époque puisqu’ils ne siègent plus que durant deux mois, alors que leurs prédécesseurs exerçaient pendant une année entière. Il s’étend sur les insignes du consulat : le consul a droit à un siège d’ivoire, il porte une veste blanche bordée de rouge et se fait précéder de douze licteurs porteurs de verges garnies de haches41.
23Quand il en vient aux censeurs, il se livre à une évaluation de la population romaine qu’il fait passer de 84 700 citoyens, lors de l’instauration du premier cens sous Servius Tullius, à 292 334 lors du quatrième cens survenu l’an de Rome 47742. Il passe ensuite en revue les diverses magistratures apparues successivement, les républicaines comme les impériales, et compose même un petit traité de géographie historique sur la Gaule romaine qu’il termine par la citation du célèbre poème d’Ausone sur Toulouse43. Il y ajoute une histoire de Jules César et des empereurs des deux premiers siècles44.
24Arrivé à la dernière partie de la loi necessarium où Pomponius avait voulu faire l’histoire de la science du droit civil, Coras suit scrupuleusement son modèle en consacrant une notice, parfois fort longue, aux jurisconsultes cités par Pomponius, depuis Coruncanus qui passait pour avoir été le premier des jurisconsultes romains à interpréter publiquement les dispositions du droit45 jusqu’à Salvius Julien qui a rédigé l’édit perpétuel à la demande de l’empereur Hadrien dans le premier tiers du IIe siècle46. Il s’étend une nouvelle fois longuement sur Appius Claudius, dont il a parlé déjà à propos de la loi des XII Tables47, rédige une biographie de Cicéron48 et une biographie encore plus détaillée de Servius Sulpitius49 ; il s’attarde assez longuement sur Labeo qu’il distingue soigneusement de son père qui portait le même nom50.
25L’essentiel des notes historiques que Coras a introduites dans son commentaire du Digeste Vieux concerne l’histoire du droit romain. Cependant, de-ci de-là, apparaissent quelques références à celle du droit public français. Ainsi, par deux fois51, en des termes à peu près identiques, Coras traite de l’origine des Parlements français. Selon lui, il a existé en France des cours suprêmes appelées Parlements : quoique ces cours se plaisent à s’appeler Sénats, elles n’ont que peu de rapports avec ce qu’était le Sénat romain. C’est le roi Pépin le Bref qui, en 757, créa les Parlements ; mais ceux-ci ne ressemblaient en rien à ce que sont les Parlements actuels. C’étaient des assemblées réunies en un lieu quelconque deux fois par an, convoquées peu de jours avant leur session, un peu comme ce que l’on appelle aujourd’hui les Grands Jours. Les membres du Parlement suivaient d’abord le roi dans ses déplacements. Le roi Louis le Hutin créa deux Parlements : l’un à Paris qu’il installa dans le palais que venait de construire le roi Philippe le Bel, l’autre, établi à Toulouse en 1320 par Philippe le Long pour connaître des affaires intéressant les Toulousains52. Les deux cours devinrent ainsi pérennes et perpétuelles.
26Ainsi, au XVIe siècle, les auteurs toulousains s’attachent à élaborer une histoire des institutions romaines, histoire dont ils recherchent les éléments chez les historiens latins, remis en honneur par les érudits de la Renaissance. Ils s’intéressent peu, en revanche, à l’histoire du droit public français et ils ignorent celle du droit privé. Ce sera l’œuvre des siècles suivants d’ériger la véritable discipline de l’Histoire du droit.
Notes de bas de page
1 Glose sur C. 11, 47 (46), un., nulli : BNF, lat.4521 A, f.328.
2 Glose sur C.10, 31,46, nominatorum : BNF, lat.4437, f.215 v. : « consules cum sint in loco decurionum ». Glose sur C.10, 32 (31), de decurionibus : BNF, lat.4437, f.226 : « Olim decuriones hodie consules appellantur ».
3 D.50, 16, 239, §5.
4 E. M. Meijers, Responsa doctorum Tholosanorurn. Haarlem, 1938. xliv, p. 103 : « Loquitur enim de decurionibus castrorum vel villarum in quorum locum consules hodie subrogantur ».
5 A.M. Albi, FF 14, publiée par E. M. Meijers, Ibidem, ap.n° 3, p. 225-228. « Et sic est quasi idem officium et corpus decurionum et consulum licet vocabulum sit diversum ». Sur la date de cette consultation, cf. H. Gilles, « Les doctores Tholosani et la ville d’Albi », Mélanges Roger Aubenas, Montpellier, 1974, p. 314, n.4.
6 C.10, 32 (31), BNF. lat.4437, f.226.
7 II vise essentiellement les dispositions prévues au Digeste sur la hiérarchie établie entre les décurions (D.50, 3,1 et 2).
8 Disposition prévue par une constitution de Théodose et Valentinien reproduite C.6, 62.4.
9 C.10,1,2 ; BNF, lat.4437, f.215 v.
10 Connu sous le nom de Summa conceptionis libellorum, cité ici d’après le manuscrit BNF. lat.4604, f.150-159.
11 Ibidem, f. 155.
12 Conservé à la Bibliothèque Vaticane, manuscrit Vat.lat.2642, f. 159-163 ; il a été analysé par H. Gilles, « Le Traité de la coutume de Guillaume de Ferrières », Mélanges dédiés à Gabriel Marty, Toulouse, 1975, p. 587-599.
13 BNF, lat.9187. Publié par H. Gilles, Les coutumes de Toulouse (1286) et leur premier commentaire (1296), Toulouse. 1969.
14 On ignore de quelles chroniques l’auteur du commentaire a tiré ce renseignement sur le cheval des consuls. Il s’est vraisemblablement inspiré de la glose sur D.50, 4,14, v° cum sumptu qui affirme, sans référence précise, que les consules justitiae sont tenus d’avoir un cheval mais que les autres juges n’y sont pas obligés.
15 Arnaud Arpadelle a été le premier à signaler l’emplacement exact de ce Capitole « où fut jugé le premier évêque de Toulouse saint Saturnin ». Des fouilles récentes ont confirmé l’exactitude des indications données à ce sujet par Arpadelle.
16 Publié : H. Gilles, « Le traité des appels d’Hugues de Cairols », Mélanges offerts à Pierre Hébraud, Toulouse, 1981, p. 367-392.
17 D.1,2, 2.
18 Sur C.3, 36,14.
19 Sur C.1, 2,11.
20 Sur Bernard de Rosier, voir en dernier lieu P. Arabeyre, « Un prélat languedocien au milieu du XVe siècle : Bernard de Rosier, archevêque de Toulouse », Journal des savants, 1990. p. 291-326.
21 Sur cette consultation de Bernard de Rosier, voir H. Gilles, « Mariages de princes et dispenses pontificales », Mélanges offerts au Professeur Louis Falletti, Lyon, 1971. p. 295-308.
22 Bibl. Nat., Turin, G I 25, f. 127 v.
23 Étudiant à Toulouse, professeur à Cahors de 1482 à 1499, conseiller au Parlement de Bordeaux puis à celui de Toulouse, il le demeure jusqu’à sa mort, survenue le 4 septembre 1516.
24 Qui a fait l’objet de neuf éditions de 1523 à 1582. Sur la vie et l’œuvre de Guillaume Benoît, il convient de se reporter à l’œuvre magistrale de Patrick Arabeyre, Les idées politiques à Toulouse à la veille de la Réforme, Recherches autour de l’œuvre de Guillaume Benoît (1455-1516), Toulouse, 2003.
25 « Nec vetera Romanorum exterorumque praesertim regni exempla nec Francorum historiam tacebo ».
26 Voir la longue liste donnée par P. Arabeyre, p. 188-189.
27 Ibidem, p. 346.
28 Ibidem, p. 195.
29 Sur les rapports de Guillaume Benoît et de Robert Gaguin voir P. Arabeyre, p. 201-206.
30 La théorie de Benoît sur le Parlement a été longuement analysée par P. Arabeyre, p. 438- 447.
31 Sur le chancelier, voir Ibidem, p. 430-433.
32 P. Arabeyre, p. 361.
33 Sur la loi Salique, voir Ibidem, p. 232-240.
34 Sur Jean de Coras voir en dernier lieu H. Gilles, Université de Toulouse et enseignement du droit (XIIIe-XVIe siècles). Toulouse, 1992, p. 258-262.
35 Ils ont été publiés à Lyon par Antoine Vincent en 1558, sous le titre Ioannis Corasii Tolosatis iureconsulti clarissimi, Senatorisque regii Tolosae meritissimi, in titulum Pandectarum de iustitia et jure, ac sequentes legum iuris, magistratuumque titulos Commentarii : quibus, omnis publici privatique iuris potestas ad synceram antiquitatis fidem explicatur.
36 La liste figure à la page 34 de l’édition précédemment signalée.
37 Le commentaire de la loi necessarium s’étend sur deux cent six pages in folio de l’ouvrage de Coras.
38 Essentiellement d’après Tite-Live (p. 49-56 et p. 125-128).
39 Il s’appuie sur Cicéron, Tite-Live, Valère-Maxime.
40 Aux auteurs précédents, on peut ajouter Denis d’Halicarnasse, Suétone, Pline, Aulu-Gelle.
41 Dans le même ouvrage de Jean de Coras, édition citée plus haut. p. 88-90.
42 Ibidem, p. 95.
43 P. 152.
44 P. 157. Coras est revenu sur l’histoire de Néron p. 239.
45 Coras s’efforce de le distinguer de plusieurs homonymes (p. 169).
46 P. 243.
47 P. 171-176.
48 P. 197-199.
49 P. 203-208.
50 P. 211 et p. 213-217.
51 P. 74 et p. 426.
52 Cette affirmation de Coras est inexacte. Le parlement de Toulouse a été institué par le dauphin Charles, régent du royaume, par lettres patentes données à Carcassonne le 19 mars 1420 ; supprimé quelques années plus tard, il fut définitivement rétabli, à la prière des Etats de Languedoc, en 1444. Mais il est vrai qu’une tradition toulousaine, rapportée notamment dans la Chronique de Guillaume Bardin, parle de la création d’un parlement à Toulouse par Philippe le Bel au cours du séjour qu’il fit dans cette ville du 25 décembre 1303 au 25 janvier 1304.
Auteur
Professeur émérite de l’Université des sciences sociales de Toulouse.
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