Préface
p. 9-14
Texte intégral
1Les actes du colloque du 24 octobre 2008 ici rapportés attestent autant de la forte implication scientifique et citoyenne des doctorants de l'Université Toulouse 1, que du vaste éventail de compétences réunies autour de la question du droit des étrangers. En effet, sortant des sentiers battus du contentieux administratif (lequel demeure une dimension centrale bien présente ici), les intervenants ont déployé d’autres champs et d’autres outils encore peu exploités par les nombreux autres travaux dans ce domaine. Sans cesse en mutation, le droit des étrangers enregistre autant les variations de la politique de l’immigration que les nouvelles limites assignées au gouvernement par les droits fondamentaux et l’européanisation désormais assise du contentieux.
2Le présent ouvrage n’a pourtant pas l’ambition d'une synthèse, il offre différents “regards” déterminés par la considération d’enjeux particuliers ou de disciplines juridiques à croiser. Ainsi la lecture de ce droit par les acteurs associatifs côtoie des comptes-rendus plus académiques quoique parfois non dépourvus d’engagement éthique ou politique. Les coordinateurs de l’ouvrage ont ainsi choisi de l’organiser non pas en fonction des objets étudiés, mais des regards portés. Les “universitaires” y déploient leurs analyses avant que les “praticiens” n’évoquent leurs difficultés. Mais le thème de l’étranger a suscité encore, in fine, le “regard atypique” porté sur le système de l'extraterritorialité de certaines règles pour ouvrir sur une nouvelle dimension : celle qui voit les Etats les plus puissants imposer leur droit aux autres et qui permet d’envisager le fait que les politiques migratoires des Etats développés s’exerceront désormais sur le territoire des Etats d’émigration, faisant du droit des étrangers un droit transnational, à l’image de l’aspiration même des migrants. Le droit des étrangers, statocentré, deviendrait aussi un droit étranger. Ainsi commence la politique de “maintien au pays” actuellement prônée par certains pays européens.
3Au fur et à mesure de l’ouvrage, l’”étranger” apparaît toujours comme une figure fragile, réalité humaine toujours singulière aux prises avec de multiples difficultés pour intégrer les cadres standardisés de notre droit. Pour autant, ce même droit, sur fond traditionnel de souveraineté et de distinction de ce qui est “national” et de ce qui s’en éloigne, est aussi décrit comme porteur de secours et de garanties. Etrange étranger que celui qui questionne la lucidité de nos catégories classificatoires (I) ; étrange système juridique que celui qui génère des droits génériques pour un étranger aux mille visages (II).
I – L’ÉTRANGER ET LES CATÉGORIES DU DROIT
4L’étranger pour le droit se résume à une définition lacunaire et négative. Il se résume à celui qui n’appartient pas à la communauté nationale. L’étranger reste dehors et sert de repoussoir à l'identité de notre système. La définition juridique de l’étranger ne constitue alors, qu’une simple porte d’entrée d’un vaste couloir aux multiples “cases”, en nombre insuffisant pour rationaliser d’innombrables situations de fait.
5Des classifications, l’histoire de l'approche juridique de l’étranger, n’offre que cela. Caroline JAVANAUD présente ce point, complexe et diachronique. Hommes libres contre barbares, hommes du lieu contre voyageurs, les summae divisiones se subdivisent pour laisser apparaître des étrangers “utiles”, aux prérogatives accrues : marchands, diplomates, ecclésiastiques. L’immigration semble depuis toujours, pour la collectivité qui reçoit, essentiellement choisie, donc rationalisée et exploitée sous la forme juridique de catégories de migrants plus ou moins bien loties. Mais ces distinctions n’empêchent pas une forme de solidarité entre étrangers soumis aux mêmes créances vis-à-vis de la communauté du lieu ; ils se voient ainsi ramenés à une qualité commune par delà leurs différences. D’autant que l’étranger ne se définit pas par une caractéristique propre mais selon l’état du pouvoir (Seigneur ou monarque) et le pouvoir de l’Etat (de l’assimiler à ses sujets ou non, de lui accorder des prérogatives communes ou non). La situation interne commande ainsi la position que l’Etat adoptera. Une autre comparaison, contemporaine celle-ci, menée par Moda DIENG, s’attache ici à décrire la situation au Congo-Zaïre et en Côte-d’Ivoire. La question foncière y tient lieu d’alibi à une politique d'ostracisation. “Etranger” devient le nom de toute victime potentielle du nationalisme, cet autre qui vient et qui veut prendre ou demande à partager et que peu de choses incitent à accueillir, pas même les raisons qui le poussent à quitter sa terre. Parfois ces raisons nous paraissent pertinentes comme celles qui conditionnent l’asile, d’autres sont des menaces que l’on ne veut pas subir par eux.
6Mais une autre menace paraît encore surpasser ces aspects traditionnels et appelle à créer une nouvelle catégorie juridique d’étrangers : le climat. Christel COURNIL creuse ici un sillon qu’elle connaît bien, celui des “réfugiés environnementaux”. Le XXème siècle, souvent baptisé “siècle des réfugiés”, a vu des populations massivement déplacées par les conflits armés. Désormais, montée des eaux et désertification poussent les sédentaires à devenir de modernes nomades, étrangers en quête de survie. Les instruments juridiques existants ne permettent pas de traiter la question, pas plus que les institutions internationales chargées des réfugiés. Nouveau visage de l’asile économique, “l’asile écologique” appelle une nouvelle mouture de droit international capable aussi de régir les situations d’urgence humanitaire pour des populations déplacées à l’intérieur d’un même Etat. L’imagination des juristes se trouve à nouveau sollicitée : nouvelle catégorie juridique ou extension de catégories existantes, pour quels effets de droit ? C’est ici que le regard qu’Anne-Laure DEBEZY porte sur l'extraterritorialité de la norme apparaît moins “atypique” qu’au premier abord. La question de l’application de la norme nationale à l’étranger pourrait être un début de réponse à certains problèmes de droit des étrangers. La comparaison avec le système de la compétence universelle des juridictions répressives semble pertinente. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu une décision importante en admettant qu’un Etat membre condamne un criminel, pourtant amnistié dans son pays, pour des actes ayant troublé l'ordre international des droits de l’homme. Il s’agissait d’un Mauritanien jugé, en France, coupable d'actes de torture commis dans son pays1. L’étranger se trouve soumis à une norme internationale applicable sur son territoire mais sanctionnée dès son arrivée en France. C’est au nom des droits de l’homme que cela se passe ainsi.
7L’européanisation des politiques d’immigration et d'asile comprend également une telle dimension. Mehdi MEZAGUER montre, qu’en même temps que l’étranger se redéfinit comme le tiers à l’Union, les Etats ont les plus grandes difficultés à s’entendre sur les catégories communes d’étrangers. L'harmonisation des politiques migratoires implique ainsi de se mettre d’accord sur les besoins collectifs et la capacité d’accueil de l’Union. Les catégories se multiplient au gré des accords bilatéraux que l’Union conclut avec divers Etats tiers, créant des degrés de proximité comme autant de cercles d’étrangers. Ceci correspond d’ailleurs à un développement de ce que la France opère en distinguant les étrangers selon de nombreux motifs tenant à l’objet et la durée du séjour. Le droit des étrangers se révèle en fait très complexe et, comme l’on dit “technique”, à rebours de la clarté nécessaire pour une lisibilité du système par l’étranger lui-même.
8Paradoxalement, la contrepartie de cette catégorisation résiderait dans l’octroi de droits, génériques pour tout étranger et spécifiques à chaque étranger, lesquels perdent quelque peu leur caractère fondamental. La notion d’étranger apparaît ainsi si floue qu’on ne s’étonne plus que des prérogatives banales lui soient ainsi refusées. On se souvient des interrogations nées des formulations certainement malheureuses de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, réservant aux ressortissants communautaires des droits non liés à la citoyenneté politique comme la bonne administration. L’étranger se voit reconnaître des droits.
II – L’ÉTRANGER ET SES DROITS
9C’est à l’aune des droits des étrangers que l’on mesure le niveau de civilisation d’une société. Plus exactement, le fait de refuser aux étrangers ou à certains d’entre eux, une frange des droits reconnus aux nationaux permet de mesurer le caractère réellement fondamental ou non d’un droit. Ces choix demeurent éminemment politiques même si parfois les juges s’en emparent, faisant mentir Futilité des qualifications juridiques. Ainsi la Cour constitutionnelle italienne qui a, dès 1962, appliqué le principe d’égalité à la comparaison entre étrangers et nationaux alors qu’il n’est, selon l’article 3 de la Constitution, applicable qu’entre citoyens2. Inversement les apatrides, qui bénéficient des droits des Italiens, peuvent aussi être soumis au service militaire au nom d’une même “communauté de droits et de devoirs”3. Comme le notait Michel REYDELLET en introduction d’un autre colloque relatif au droit des étrangers : “C’est presque tout le droit des libertés que l'on pourrait envisager à partir des contentieux des étrangers mais il faut se méfier de l’effet déformant de la jurisprudence, la réalité vécue par les étrangers est beaucoup plus triviale”4
10Plusieurs intervenants auront ainsi pu noter l’attribution progressive de droits essentiels comme le regroupement familial, les droits sociaux, etc. Lionel GALLIANO étudie ainsi avec exhaustivité les prérogatives de l’étranger protégées dans la vie individuelle et dans son action collective. Il rappelle ainsi comment le Conseil constitutionnel a insisté sur le fait que la France garantit les droits fondamentaux à tout résident sur le territoire. Demeure la double frontière que constituent la régularité du séjour et l’ordre public. L’étranger doit jouer le jeu de la Nation et remplir les conditions qu’elle lui impose pour prétendre aux droits qu’elle se réserve et accepte de partager. C’est ici que certains pourront être critiques sur l'appréciation faite de ces conditions au quotidien par l'administration et ses juges, de même que sur les méthodes mises en œuvre pour détecter et interpeller les étrangers. Car si l'étranger a besoin de droits, c’est sans doute qu’il est bien plus menacé que pour tout autre. Sa liberté d’aller et venir, puis sa liberté individuelle, sa liberté personnelle et sa vie privée enfin, font l’objet d’incessantes entraves. Amenés à prouver leur identité plus que de coutume, les étrangers vivent dans la crainte. N'est-on pas troublé lorsque les clandestins de Calais, au cœur de leur “jungle” comme Fon nomme le no man's land qui les abrite, se liment le bout des doigts pour que leurs empreintes digitales ne les trahissent pas. Tel Œdipe, se crèveront-ils les yeux lorsque la police utilisera l'identification par l’iris de l’œil ? Le témoignage de Jean-François MIGNARD, du réseau éducation sans frontières 31, éclairera ainsi le lecteur sur la mise en cause de la dignité humaine lorsque des enfants se trouvent impliqués dans la répression de la clandestinité. Le no man’s land n’est sans doute pas seulement territorial, il anime aussi la société répressive et bureaucratique. L’entrave surgit partout, dans la preuve qu’il faut apporter, dans la famille qu’il faut rassembler, dans la police qu’il faut éviter, dans l’employeur parfois peu scrupuleux. Lionel GALLIANO décrit ainsi bien les arcanes de ces procédures devant satisfaire les droits fondamentaux et dont la réalisation se révèle bien aléatoire (regroupement familial, mariage, accès aux soins, au logement, à l’emploi....). Le principe de non discrimination limite ici ses effets à chaque fois qu’une différence de situation est jugée légitime. Benjamin AUDOYE le vérifie dans un domaine peu exploré, celui de la démocratie participative. Dans l’absolu, si la citoyenneté se mesure à l’aune de la capacité de chacun à penser l’intérêt général, on peut penser que l’étranger qui vit sur un territoire depuis un certain temps et y remplit ses obligations peut fort bien participer à la décision le concernant. Or, les ambiguïtés qui entourent la circonscription de ce territoire hypothèquent fort cette relation. L’étranger peut ainsi s’impliquer dans la vie publique, selon une relation inversement proportionnelle à la taille du territoire et au caractère décisoire de la consultation.
11Rim-Sarah ALOUANE, traitant de droit canadien, permet de mesurer une dimension qui pose aussi de grandes questions à la communauté française, celle de l'identité nationale et de l’afflux d’étrangers. Le multiculturalisme se voit en effet institutionnalisé comme élément politique majeur. Cela influe sur les questions de citoyenneté et de liberté religieuse. Un contrôle fort de l’entrée sur le territoire et des conditions strictes se combinent avec une tolérance remarquable des différences. Alors que le débat sur le républicanisme français rebondit chaque semaine, ce regard outre-Atlantique se révèle très instinctif.
12Madame le Premier conseiller Michèle TORELLI synthétise également le travail du juge administratif sous les traits d’un équilibre entre droits de l’étranger et impératifs d'ordre public. Sous les dehors arides et standardisés du contentieux administratif, les éléments de contrôle du juge introduisent les circonstances de fait à apprécier, parfois différemment de l’administration comme le choix du pays de renvoi de l’étranger. Rémi BARRUE-BELOU s’interroge ainsi sur le rôle des règles fondamentales dont le juge se saisit pour encadrer son propre travail. Contre l’efficacité d’une justice rendue dans les aéroports, la Cour de cassation a en effet imposé une certaine apparence de justice lorsque le juge des libertés et de la détention doit se prononcer sur la prolongation du délai de rétention. D’autres principes de saine justice mériteraient pourtant d’être eux aussi concrétisés et étoffés tant le contentieux des étrangers se révèle trop complexe.
13Reste ce domaine particulier et extraordinaire de l’asile. Ici l’Etat s’engage à respecter quelque chose qui le dépasse. L’accueil de l’étranger qui invoque l’asile se veut inconditionnel le temps de vérifier si les conditions de sa demande de statut sont réunies. Entre réalisme et idéalisme les Etats européens peinent pourtant à se coordonner. Mehdi MEZAGUER le développe ici encore.
14L’ensemble de ces contributions amène à réfléchir à la rationalité du droit des étrangers. Droit raisonné, présentant les qualités du rationnel certes, mais, on va le voir, pas toujours raisonnable. En particulier, la communicabilité de ses fins et procédures demeure à améliorer. Ainsi peut-on se répéter sans cesse comme maxime, l'affirmation de Simone WEIL : “Il n’y a qu'une seule et même raison pour tous les hommes ; ils ne deviennent étrangers et impénétrables les uns aux autres que lorsqu'ils s'en écartent”5
Notes de bas de page
1 30 mars 2009, Ely Ould Dah c/France.
2 Arrêt 120.
3 Arrêt no 172 du 18 mai 1999 (GDCCE. no 22).
4 In L'étranger entre la loi et les juges, sous la direction de Michel Reydellet, L'Harmattan, Champs Libres, 2008, p. 12.
5 Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale, Paris. Éditions Gallimard. 1955. 151 pp. Collection “idées nrf”, no 422.
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La loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations…
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