L’interdiction du droit de grève pour les forces de l’ordre : un principe absolu ?
p. 139-150
Texte intégral
1Dans un contexte qui n’a jamais été aussi fragile en matière sécuritaire, traiter du “droit de grève et des forces de l’ordre” peut sembler une provocation1 ou d’une irresponsable légèreté. Les forces de l’ordre ne comptent pas leurs heures dans des conditions de travail plus que perfectibles et ne songeraient guère à faire grève dans ces circonstances.
2Les forces de l’ordre peuvent être entendues, sans remonter au concept de force publique de l’article 12 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, comme l’ensemble des agents chargés de garantir l’ordre public national, y compris par l’usage de la force physique ou armée. La définition donnée par la Constitution de 1791 est à ce titre pleinement éclairante : “défendre l’État contre l’ennemi du dehors et d’assurer au-dedans le maintien de l’ordre et l’exécution des lois” (Const. 3 sept. 1791, Titre IV : “De la force publique”, art. 1er). Cela emporte d’exclure les autorités de police (Préfet, maire), les magistrats et, bien que cela peut apparaître discutable, les agents civils de la DGSE pour retenir deux grandes catégories2 : les forces de l’ordre militaires et celles civiles. Pour les forces de l’ordre militaires, les gendarmes pouvaient apparaître comme les seuls répondant à cette définition, d’autant plus depuis qu’ils sont hiérarchiquement placés sous l’autorité du ministre de l’intérieur3. Le plan vigipirate, appliqué quasiment sans discontinuité depuis 1996, complété par l’opération sentinelle depuis janvier 2015, a rompu cette distinction. L’ensemble de l’armée est pleinement impliquée dans des fonctions de police administrative. Plus de 10 000 militaires assurent ainsi des patrouilles dans les lieux publics. Les forces de l’ordre civiles, quant à elles, regroupent les fonctionnaires de la police nationale des services actifs, les agents de police municipale ainsi que les douaniers.
3Au regard de cette liste, il serait aisé d’affirmer que le sujet “Droit de grève et forces de l’ordre” est un non-sujet. Il apparaît a priori naturel et évident que les forces de l’ordre, conformément à l’article 10 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires4, ne bénéficient pas du droit de grève, tant elles relèvent des restrictions à son exercice légalisées par le juge administratif5 et constitutionnalisées par le Conseil constitutionnel6. Pour reprendre la raisonnement de ce dernier : “dans le cadre des services publics, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d’apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d’assurer la continuité du service public… [or], ces limitations peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays”. Il paraît ainsi évident que l’interruption – de l’activité militaire due à l’exercice du droit de grève – porterait atteinte aux besoins essentiels du pays. Nous serions dans l’hypothèse d’un “Etat à éclipses”7, selon la formule du Commissaire du Gouvernement Gazier, à l’exemple de la Suisse qui ne contrôle son espace aérien qu’aux heures de bureau…8.
4Cette justification opérationnelle doit être complétée par une plus politique qu’a résumé en son temps Duguit au sujet de l’armée : elle “doit être un instrument passif dans les mains du gouvernement”9. Le cantonnement juridique cher à Hauriou trouve ici sa raison d’être : “il ne faut pas que la force armée [soit] le gouvernement de la société civile, ce gouvernement doit être civil” mais il “faut que la force armée soit à la disposition du pouvoir civil, qu’elle lui soit subordonnée et obéissante, que celui-ci dispose librement de son emploi”10. Un tel raisonnement n’a pas été tenu pour les forces de l’ordre civiles mais il n’est pas non plus étranger.
5Une telle analyse est partagée par la quasi-totalité des Etats. C’est la raison pour laquelle le droit de grève est interdit aux militaires, y compris dans des Etats leur reconnaissant des droits syndicats étendus. Les exceptions sont donc particulièrement rares : la grève est autorisée en Finlande ainsi qu’en Suède sur le territoire national mais est interdit en opération extérieure11. Pour les policiers, il en est de même, avec les rares cas des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne12.
6Pour autant, si le lien entre forces de l’ordre et interdiction du droit de grève semble incontestable, il n’est pas, en droit français, exclusif. Cette absence d’exclusivité peut être entendue d’une double manière. D’une part, le principe d’interdiction du droit de grève n’est pas propre aux forces de l’ordre : il est étendu aux gardiens de prison13, aux magistrats de l’ordre judiciaire14, aux personnels de transmission du ministère de l’Intérieur15, aux agents civils de la DGSE16 et aux membres du corps préfectoral17. D’autre part, le principe d’interdiction du droit de grève ne s’applique pas à l’ensemble des forces de l’ordre. En effet, les policiers municipaux sont soumis à un régime de restriction – mais pas d’interdiction – du droit de grève à l’aune d’autres agents tels que les personnels de la navigation aérienne18 ou du cabinet des préfets19. Ils sont donc soumis au régime de la réquisition dans le cadre du service public20.
7L’interdiction du droit de grève faite aux forces de l’ordre présente ainsi une certaine hétérogénéité au regard d’une part de la comparaison avec les policiers municipaux et d’autre part d’une triple mutation. La première est la privatisation de la sécurité autrement dénommée dans les armées l’externalisation. L’insertion accrue de personnels d’opérateurs privés, soumis au droit commun du travail, interroge sur le périmètre des agents soumis au droit de grève. La deuxième mutation est la “policiérisation” de l’armée depuis qu’elle participe au plan Vigipirate. La troisième concerne la banalisation du statut des militaires qui a abouti à l’autorisation des associations professionnelles de militaires. Or, un constant raisonnement a été tenu selon lequel il existe “une liaison de fait […] entre la liberté syndicale et le droit de grève”21 pour justifier la restriction des droits syndicaux. La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas tenu ce raisonnement “le principe de la liberté syndicale peut être compatible avec l’interdiction du droit de grève des fonctionnaires exerçant des fonctions d’autorité au nom de l’Etat”, même si le droit de grève “représente sans nul doute l’un des plus importants des droits syndicaux”22. Le législateur en a fait de même avec les policiers puisqu’ils disposent de tous les droits syndicaux à l’exception du droit de grève.
8Dès lors, le caractère absolu du principe d’interdiction de l’exercice du droit de grève semble non seulement une apparence (I) mais est également remis en cause (II).
I – UN PRINCIPE EN APPARENCE ABSOLU
9Si les forces de l’ordre nationales sont soumises au principe de l’interdiction du droit de grève (A), celles municipales ne le sont pas (B).
A – Un principe absolu pour les forces de l’ordre nationales
10L’interdiction est expresse à destination des militaires depuis l’adoption du premier statut général des militaires en 1972, même s’il était énoncé antérieurement dans des textes propres à des corps. Ainsi, “l’exercice du droit de grève est incompatible avec l’état militaire” (C. déf., art. L. 4121-4) qui repose sur cinq principes (C. déf., art. L. 4111-1) : esprit de sacrifice, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité.
11En effet, l’exercice du droit de grève en enfreint au moins deux : la discipline et la disponibilité. La discipline23 signifie que les militaires doivent obéir aux ordres de leurs supérieurs et sont responsables de l’exécution des missions qui leur sont confiées (C. déf., art. L. 4122-1). Cette discipline est le creuset d’un pouvoir hiérarchique étendu (C. déf., art. L. 4121-2). La disponibilité contraint les militaires à servir en tout temps et en tout lieu (C. déf., art. L. 4121-5) et à se voir imposer également des contraintes de résidence et de circulation (C. déf., art. L. 4121-5). C’est la conséquence de la permanence de la mission de défense nationale traduite par la formulation suivante, qui datait24 de l’ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense25, la défense nationale « a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances » la protection du territoire et des intérêts nationaux”. Le symbole de la disponibilité au nom de la permanence est la présence sans discontinuité d’un aide de camp aux côtés du Président de la République, qui a pour charge de porter la valise contenant un dispositif de communications sécurisées pour autoriser le déclenchement du feu nucléaire26.
12Cette restriction constitue une des traductions du principe selon lequel “Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l’exercice de certains d’entre eux est soit interdit, soit restreint…” (C. déf., art. L. 4121-1). Cette restriction législative a été jugée conforme par le juge constitutionnel car si “ les militaires bénéficient des droits et libertés constitutionnellement garantis”, c’est “dans les limites inhérentes aux obligations particulières attachées à l’état militaire” au titre du “ principe de nécessaire libre disposition de la force armée au seul profit du pouvoir exécutif”27.
13Les personnels actifs de la police nationale - les membres des compagnies républicaines de sécurité et les policiers - ne peuvent pas exercer le droit de grève (C. séc. int., art. L. 411-4), depuis respectivement 1947 et 1948.
14Le juge constitutionnel n’a jamais eu à statuer sur la constitutionnalité du statut des personnels actifs de la police nationale. Il faut se reporter à la jurisprudence plus générale du juge pour en déduire que l’interdiction est conforme à la Constitution28, tout en regrettant que le législateur a manqué l’occasion avec la loi de programmation sur la sécurité intérieure de définir les contours de la particularité de la fonction de policier29.
15Si le juge constitutionnel n’a pas explicitement consolidé l’interdiction du droit de grève pour les policiers, le juge européen a eu cette occasion. En effet, un syndicat de policiers basques a contesté l’interdiction qui leur était faite d’exercer le droit de grève. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé conforme à l’article 11 de la convention cette interdiction aux motifs que la “nécessité d’un service ininterrompu et le mandat armé qui caractérise ces “Agents de l’Autorité” […] justifie la limitation de leur liberté syndicale”. En effet, les exigences plus sévères les concernant ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire dans une société démocratique, dans la mesure où elles permettent de préserver les intérêts généraux de l’État et, en particulier, d’en garantir la sécurité, la sûreté publique et la défense de l’ordre public, principes énoncés à l’article 11 § 2 de la Convention30. Cette position avait été défendue par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans ses recommandations pour le code européen d’éthique de la police, adoptée le 19 septembre 2001.
B – Un principe au champ d’application limité
16Les policiers municipaux ne sont soumis à aucune restriction législative. Les dispositions relatives à leurs missions ne précisent aucune limitation, encore moins d’interdiction, au droit de grève reconnue par la loi portant statut de la fonction publique31.
17La jurisprudence administrative n’a pas, pour autant, refusé à l’administration le droit de restreindre l’exercice du droit de grève en fonction des nécessités du service public ou de l’ordre public. C’est donc une réglementation prétorienne qui a été dégagée qui ne doit pas être distinguée, dans ses critères, de celle qui existe pour l’ensemble des agents publics32. Toutefois, la fonction des policiers municipaux favorise une application plus restrictive de l’exercice du droit de grève. A titre d’exemple, à l’occasion de la Fête des Lumières les agents de police municipale de Lyon décident de faire grève ; ils sont alors réquisitionnés par le maire33. Le juge administratif, saisi par les agents, donne raison au maire aux motifs qu’au regard de l’ampleur de la manifestation, “il appartenait au maire de prendre les mesures nécessaires pour assurer les fonctions essentielles au maintien de la sécurité des personnes”. De fait, la réquisition était nécessaire car la moitié des agents était en grève et était proportionnée car limitée à 36 heures alors que la grève portait sur quatre jours et ne concernait que les agents devant assurer certaines fonctions.
18Le jugement présente d’autant plus d’intérêt que les agents de police municipale arguaient du fait que des vigiles étaient présents pour démontrer que la réquisition n’était pas nécessaire.
19La loi est également silencieuse pour les agents des douanes. Néanmoins, l’administration a adopté une instruction ministérielle de 200334 distinguant les personnels dits de surveillance ainsi que leurs autorités hiérarchiques, d’une part, et les autres personnels d’autre part. Seule la première catégorie voit son droit de grève restreint par l’emploi du pouvoir de réquisition. Cette catégorie est elle-même scindée en deux catégories. La première recouvre l’ensemble des personnels d’encadrement des services déconcentrés. Ils sont tous interdits de grève. L’autre représente les agents de surveillance ainsi que les agents en charge des enquêtes judiciaires. Les agents de surveillance constituent 40 % des 18 000 personnels et assurent leurs fonctions aux frontières routières, maritimes, aéroportuaires et portuaires de la France. Seuls ceux désignés à l’ordre de service sont interdits d’exercice du droit de grève. L’instruction contestée devant le Conseil d’Etat a été validée aux motifs qu’“une grève qui aurait pour effet d’interrompre totalement le fonctionnement des services de la surveillance de la direction générale des douanes et des droits indirects serait de nature à compromettre l’action gouvernementale et à porter une atteinte grave à l’ordre public et au respect de certains engagements internationaux de la France”35.
II – UN PRINCIPE POTENTIELLEMENT REMIS EN CAUSE
20L’ordre public connaît à l’aune de l’action de l’Etat des transformations profondes qui concourent, de manière implicite, à une remise en cause du lien entre forces de l’ordre et de droit de grève. Ce risque est dû à un mouvement de mutualisation (A) et de fragmentation (B).
A – Les risques de la mutualisation
21 A priori, la mutualisation de l’armée et de la police nationale, dans le cadre du plan Vigipirate et de l’opération sentinelle, complétée par le placement de la gendarmerie nationale sous l’autorité hiérarchique du ministre de l’intérieur, est un facteur de consolidation du principe.
22En effet, le fait d’assurer des tâches identiques permet de constater la pertinence que les policiers et militaires se voient interdire le droit de grève. Le mouvement de banalisation du statut des militaires, qui se rapproche de celui des policiers, n’a pas concerné ce principe, preuve d’une nécessité incontestable. Pourtant, l’interdiction pour les militaires de constituer des “groupements professionnels militaires à caractère syndical” a été abrogée36 suite à deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme jugeant non conventionnelle l’interdiction générale et absolue faite aux militaires de constituer ou d’être membre de groupements professionnels militaires37. De même, le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnelle l’incompatibilité générale et absolue de la fonction militaire avec un mandat d’élu municipal38. En revanche, l’interdiction du droit de grève n’est pas contestée. S’il est loin le temps où l’on pouvait penser que le “territoire militaire […] n’est pas dans la démocratie”39, il demeure encore la nécessité que les militaires – tout comme les policiers – ne détiennent pas les mêmes droits que les autres employés.
23La restriction du droit de grève apparaît davantage fragilisée par la mutualisation entre police nationale et police locale, organisée dans le cadre de la convention de coordination des interventions de la police municipale et des forces de sécurité de l’Etat (C. séc. int., art. L. 512-4 et s.). Cette convention précise les lieux et les horaires des interventions. On peut néanmoins s’interroger sur ce type de convention qui est très utile pour les deux parties mais qui se heurte à la réalité d’une restriction à l’exercice du droit de grève bien différente. Sans entrer dans des considérations pratiques, il semble s’imposer que les policiers soient soumis au même régime d’emploi afin d’éviter des dysfonctionnements.
24Cela semble d’autant plus nécessaire que la logique de mutualisation, que d’aucuns pourraient juger plutôt de désengagement de l’Etat, est renforcée par l’extension des compétences des policiers municipaux (C. séc. int., art. L. 511-1 et s.)40. A l’opposé d’un mouvement de banalisation, le policier municipal s’éloigne de son ancêtre le garde-champêtre, dont les fonctions sont désormais strictement distinguées. Devenant davantage à l’occasion de chaque réforme législative un agent des forces de l’ordre à part entière, il apparaît paradoxal que le statut du policier municipal n’ait pas évolué dans le même sens41. La réquisition est certes toujours possible mais elle fragilise la fonction d’autorité de ces agents. Le régime doit ainsi être unifié pour l’ensemble des forces de l’ordre. Il faut ainsi se remémorer les arguments des agents de police municipale de Lyon qui estimaient qu’ils ne devaient pas être réquisitionnés du fait de la présence de la police nationale et des vigiles. C’est, disons-le, ne pas vraiment prendre la mesure des caractéristiques de la fonction… Cela appelle à ce titre à s’interroger sur l’impact de la fragmentation de la sécurité.
B – Les risques de la fragmentation
25La fragmentation en matière de maintien de l’ordre public se manifeste soit par la privatisation, soit par la spécialisation institutionnelle. La privatisation, dont le sens n’est guère précis juridiquement mais pourtant éclairant, est ici entendue comme le fait que des personnes privées interviennent pour suppléer ou compléter les forces de l’ordre. En matière de défense nationale, c’est le terme d’externalisation – plus neutre – qui est préféré. Procédé ancien, réglementé et limité aux fonctions non opérationnelles en matière de défense nationale42, celuici a été pris en compte en matière de police de manière parcellaire. En effet, à la différence de l’externalisation en matière de défense nationale, c’est la fonction même de de police administrative qui est déléguée à un tiers par autorisation législative expresse. Initiée pour le secteur aéroportuaire pour le contrôle des voyageurs et des bagages43, cette compétence a été élargie, sous de strictes conditions, à tous les bâtiments affectés au transport public, à la voirie publique et dans le cadre manifestation sportive, récréative ou culturelle rassemblant plus de 1 500 spectateurs (C. séc. int., art. L. 613-1 et s.)44. Les agents privés peuvent mener des inspections visuelles et des fouilles dans les bagages, avec le consentement de leur propriétaire, ainsi que la palpation des personnes.
26Employés par des sociétés de droit privé, les agents bénéficient du code du travail et de ses dispositions en faveur du droit de grève. L’exercice du droit de grève par les agents de droit privé emporte deux questions : la première est celle de ses conséquences sur la relation commerciale entre la société prestataire et la personne publique. Sauf à démontrer la force majeure, la société verra sa responsabilité engagée45. La seconde est de savoir si une restriction au droit de grève des agents par les dirigeants de la société est légale. Au regard de la jurisprudence, la restriction ne peut être légale que si l’entreprise participe ou est en charge de l’organisation d’une mission de service public46. On peut penser qu’une entreprise privée de sécurité soit en charge de l’organisation du service public ; toutefois, cela ne résout pas la difficulté à interdire nominativement l’exercice du droit de grève à des personnels. Pour autant, dans le cadre de son pouvoir de réquisition générale, le préfet pourrait réquisitionner ces agents (CGCT, art. L. 2215-1 4°)47.
27La fragmentation se manifeste également par la spécialisation institutionnelle. La RATP et la SNCF disposent également d’un service de sécurité interne : la Surveillance générale pour la SNCF (SUGE) et le Groupe de protection et de sécurité des réseaux pour la RATP (GPSR) chargés de la protection des personnels et des biens de l’entreprise ainsi que de la sécurité des usagers (C. transp., art. L. 2251-1 et s.). Leur fonction ne se différencie pas des agents de police municipale à la seule différence du périmètre d’intervention.
28Pour autant, ils ne sont pas soumis à un régime de restriction du droit de grève différent de celui de leurs homologues cheminots. Cette restriction relèverait de la compétence des organes dirigeants des établissements publics48 au titre de la jurisprudence Dehaene49. Une réquisition serait nécessaire pour qu’ils exercent leur fonction en cas de grève. Dans ce cas, c’est bien le régime le plus souple qui s’applique car l’interdiction n’est pas générale et absolue… preuve s’il y en est que forces de l’ordre et droit de grève forment un couple aux relations plus complexes qu’il n’y paraît.
Notes de bas de page
1 A ce titre, il n’est pas ici question des forces de l’ordre “briseuses” de grève…. sauf à revenir à une période trouble de l’histoire française, les forces de l’ordre sont soumises au principe hiérarchique. En d’autres termes, le Gouvernement est seul à décider de “briser” une grève…
2 V. pour la notion, Ch. Soullez, Forces de police. – Définition et missions, Juriscl. Adminsitratif, fasc. no 201, § no 1 et s.
3 Loi no 2009-971 du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale, JO, 6 août 2009, p. 13112 ; RSC, 2010, p. 438, D. Portolano ; JCP G, 2009, p. 256, J. Strak.
4 JO, 14 juill. 1983 : “Les fonctionnaires exercent le droit de grève dans le cadre des lois qui le réglementent”. Cette disposition reprend l’article 7 du préambule de la constitution de 1946.
5 CE 7 juill. 1950, Dehaene, req. no 01645, Lebon p. 426 ; GAJA, 20e éd. 2015, no 59.
6 Décision no 79-105 DC du 25 juillet 1979, Continuité du service public de la radio et de la télévision, JCP G 1981, 19457, J. -Cl. Béguin ; D. 1980, p. 101, M. Paillet et p. 336, L. Hamon ; AJDA 1980, p. 191, A. Legrand ; D. soc. 1980, p. 7, C. Leymarie et p. 441, D. Turpin ; Pouvoirs, no 11, 1979, p. 196, P. Avril, J. Gicquel ; RDP 1979, p. 1705, L. Favoreu.
7 Gazier, concl. sous CE 7 juill. 1950, Dehaene, préc.
8 Le reste du temps, ce sont les pays limitrophes qui s’en chargent, v. J.-D. Merchet, Les forces aériennes suisses n'assurent la police du ciel que pendant les heures de bureau..., Blog Secret défense, 27 mars 2014.
9 L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, Boccard, T. IV, 2e éd., 1924, pp. 594-606 spéc. p. 597
10 M. Hauriou, Principes de droit public, Dalloz, rééd. (1910), 2010, pp. 369-385.
11 C. Verstappen, Les droits sociaux des militaires, Pouvoirs, no 125, 2008, p. 113.
12 V. Une grève de la police trouble la reprise du championnat néerlandais, Le Monde.fr, 6 août 2015.
13 Ordonnance no 58-696 du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire, art. 3, JO, 7 Août 1958, p. 7423.
14 Ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, art. 10, JO, 23 déc. 1958, p. 11551.
15 Loi no 68-695 du 31 juillet 1968 de finances rectificatives, art. 10, JO, 2 Août 1968, 2 août 1968, p. 7515.
16 Décret no 2015-386 du 3 avril 2015 fixant le statut des fonctionnaires de la direction générale de la sécurité extérieure, art. 2, JO, 5 avril 2015, texte no 18.
17 Décret no 64-805 du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets, art. 15, JO, 5 août 1964, p. 7156 et décret no 64-260 du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets, art. 18, JO, 21 mars 1964 p. 2620.
18 Loi no 84-1286 du 31 décembre 1984 abrogeant certaines dispositions des lois no 64-650 du 2 juillet 1964 relative à certains personnels de la navigation aérienne et no 71-458 du 17 juin 1971 relative à certains personnels de l'aviation civile, et relative à l'exercice du droit de grève dans les services de la navigation aérienne, art. 2, JO, 1er janvier 1985, p. 9. V. CE 13 nov. 1992, Synd. nat. des ingénieurs de l'aviation civile, req. no 83177, Lebon T. p. 1063.
19 CE 16 déc. 1966, Synd. national des fonctionnaires agents des préfectures et des souspréfectures de France et d'outre-mer CGT-FO, Lebon p. 662.
20 V. B. Schmaltz, La distinction entre la réquisition de grévistes par une autorité de police et par un chef de service, JCP A 2015, 2130.
21 J. Robert, Libertés publiques et défense, RDP, 1977, p. 951.
22 CEDH, 21 avril 2009, Enerji Yapi-Yol Sen c/Turquie, § 32.
23 Décret no 2005-796 du 15 juillet 2005 relatif à la discipline générale militaire, JO, 17 juillet 2005, texte no 9.
24 Cette formulation a pour une raison inexplicable été abrogée lors de l’adoption de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014.
25 JO, 9 janvier 1959.
26 Voy. Les codes nucléaires, un des secrets les mieux gardés de la République, Le Monde. fr, 15 mai 2012.
27 Décision no 2014-450 QPC du 27 février 2015, M. Pierre T. et autre.
28 Décision no 79-105 DC du 25 juillet 1979, Continuité du service public de la radio et de la télévision, préc.
29 “En raison du caractère particulier de leurs missions et des responsabilités exceptionnelles qu'ils assument, les personnels actifs de la police nationale constituent dans la fonction publique une catégorie spéciale. Le statut spécial de ces personnels peut déroger au statut général de la fonction publique afin d'adapter l'organisation des corps et des carrières aux missions spécifiques de la police nationale. Compte tenu de la nature de ces missions, les personnels actifs de la police nationale sont soumis à des obligations particulières de disponibilité…”, Loi modifiée no 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, art. 19, JO, 24 janv. 1995, p. 1249.
30 CEDH [3e sect.], 21 avr. 2015, no 45892/09, Junta Rectora del Ertzainen Nazional Elkartasuna (ER.N.E.) c/ Espagne, JCP A 2015, 2282, C. Benelbaz ; JCP G 2015, doctr. 845 F. Sudre.
31 Loi no 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, préc.
32 CE 9 juill. 1965, no 58778, Pouzenc, Lebon p. 421.
33 TA Lyon, 13 déc. 2011, no 0900665 Mme P. et autres, AJCT 2012, p. 266, M. Moliner-Dubost ; AJFP 2012, p. 84, F. Bodin-Hullin.
34 Instruction ministérielle du 31 décembre 2003 fixant la liste des agents des services des douanes dont la présence en service est indispensable en cas de grève, TS no 04-S-/.
35 CE 15 mai 2006, CFDT Finances et affaires économiques, req. no 270171, JCP S 2006, 1699, note R. Vatinet.
36 C. défense, ancien art. L. 4121-4. L. no 2015-917, 28 juill. 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, JO 28 juill. 2015, p. 12873.
37 CEDH, 2 oct. 2014, no 32191/09, Adefdromil c/France et CEDH, 2 oct. 2014, no 10609/10, Matelly c/France : JurisData no 2014-022214 et JurisData no 2014-022215 ; Dr. adm. 2014, repère 11 ; Dr. adm. 2015, comm. 8, J.-Ch. Videlin ; D. 2014, p. 2000 ; AJDA 2014, p. 1919, obs. M.-C. De Montecler ; AJDA 2014, p. 1969, A. Taillefait ; AJDA 2015, chron. L. Burgorgue-Larsen, et AJDA 2015, p. 204, étude L.-M. Le Rouzic ; AJFP 2015, A. Zarca, p. 42 ; D. 2014, p. 2560, G. Poissonnier.
38 Décis. no 2014-432 QPC du 28 nov. 2014, M. Dominique de L., AJDA 2014, p. 2337 et 2504, obs. J.-M. Pastor ; D. 2014, p. 2441 ; D. Adm. 2015, p. 47, J.-Ch. Videlin ; AJCT 2015, p. 98, D. Dutrieux. En revanche, il a reconnu la constitutionnalité des arrêts sans isolement - anciennement “arrêts de rigueur” - comme sanction disciplinaire, v. Cons. const., 27 févr. 2015, no 2014-450 QPC, M. Pierre T. et autre : JurisData no 2015-003383 ; JCP A 2015, act. 235 ; AJDA 2015, p. 424 ; D. 2015, obs. M.-C de Monteclerc ; AJFP 2015, no 5, p. 244, J.-Ch. Videlin.
39 F. Charvin, J.-P. Sueur, Droits de l’homme et libertés de la personne, Litec, 1997, p. 195.
40 V. J.-Ch. Froment, La loi pour la sécurité intérieure : entre continuités et changements, JCPA A 2003, 1362 ; I. Muller-Quoy, La LOPPSI : nouvelle illustration de la participation des collectivités locales à l'exercice de la compétence régalienne de sécurité, JCPA A 2011, 2145.
41 V., même si le droit de grève n’est pas évoqué, E. Aubin, Évolution statutaire et perspectives d'avenir des agents des polices municipales, JCPA A 2012, 2115.
42 V., J.-Ch. Videlin, Droit de la défense nationale, Bruxelles, Bruylant, 2ème éd., 2014, p. 71 s.
43 L. no 96-151, 2 févr. 1996, autorisant les compagnies aériennes et les gestionnaires d'aérodromes à employer des agents privés qui effectuent des tâches de contrôle sous la direction de fonctionnaires de la police nationale, JO, 27 février 1996, p. 3094. V. égal. F. Nicoud, La participation des personnes privées à la sécurité publique : actualité et perspectives, RDP 2006, p. 1247 ; X. Latour, La place du secteur privé dans la politique moderne de sécurité, AJDA 2010, p. 657 ; Ch. Aubertin et al. Sécurité publique, sécurité privée... Partenariat ou conflit, Cah. de la sécurité, INHESJ, 2012, pp. 7-156.
44 10 000 agents privés participeront à la sécurité de l’Euro 2016 de football.
45 A. Cristau, Grève dans le secteur privé, Répertoire de droit du travail, Dalloz, no 259 et s.
46 CE, sect., 17 mars 1997, no 123912, Hotz et Féd. nat. synd. personnel des industries de l'énergie électrique, nucléaire et gazière : AJDA 1997, p. 535, note M. Bellanger et G. Darcy. – CE, ord., 7 juill. 2009, no 329284, Féd. nat. mines et énergie CGCT. – CE, ord., 15 juill. 2009, no 329526, Sté EDF: AJDA 2009, p. 1813, chron. P.-A. Jeanneney; RJEP oct. 2009, no 43, note V. Loy. Si c’est le cas, une double condition est imposée : la proportionnalité de la restriction et l’urgence.
47 Si trois conditions sont réunies : une atteinte constatée ou prévisible à l’ordre public ; l'urgence ; une insuffisance de moyens à la disposition du préfet. V. not. CE, ord., 27 oct. 2010, no 343966, Lefebvre, Lebon ; AJDA 2011, p. 388, note P. S. Hansen et N. Ferré ; ibid. 2010, p. 2026.
48 CE 11 juin 2010, Syndicat Sud RATP, no 333262, Lebon T. p. 606 ; AJDA 2010, p. 1178 ; ibid. 1719, concl. F. Lenica ; Constitutions 2011, p. 255, obs. O. Le Bot.
49 CE 7 juill. 1950, Dehaene, préc.
Auteur
Maître de conférences-HDR, Univ. Grenoble Alpes, CRJ, F-38000 Grenoble
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