Préface
p. 9-12
Texte intégral
1Notre Université se tourne vers son passé, non dans une approche nostalgique mais pour la replacer au cœur de son histoire. L’Université Toulouse Capitole est parmi les plus anciennes d’Europe, cette ancienneté lui valant souvent plus de devoirs que de droits, en tout cas l’obligation d’être fidèle à une tradition exigeante qui remonte à bientôt huit cents ans. Au cours des siècles, elle a compté comme l’une des plus importantes Facultés de droit -et maintenant également d’économie- en Europe.
2Les professeurs Olivier Devaux et Florent Garnier, avec l’aide de Lolita Philippon, ont souhaité consacrer leur étude à une période relativement courte et récente : les années 1914-1918, celles de la Première Guerre mondiale. Période exceptionnelle par l’importance des événements qui ont frappé la France, et donc nécessairement ses établissements d’enseignement supérieur, avec une dimension dramatique que l’on n’avait jamais connu jusqu’alors. En sont les premières victimes plusieurs promotions d’étudiants mobilisées et, pour certaines, décimées par la guerre, en tous cas marquées à jamais.
3Le nombre des inscrits à la Faculté de droit passe de plus de 1 000 en 1913 à 175 en 1917. La mobilisation des enseignants les plus jeunes et le départ pour le front d’une très forte proportion d’étudiants contraignent l’institution à un important effort d’adaptation, à utiliser tous les moyens humains disponibles, à accorder des facilités pour tenir compte des circonstances exceptionnelles, à aménager les périodes d’examens pour donner plus de chances à ceux qui ont été appelés sous les drapeaux. Le lecteur pourra constater que les structures universitaires ont fait face efficacement à ces défis tout nouveaux – comme elles ont su le faire dans le passé – avec des moyens limités et dans l’urgence. C’est ainsi qu’elles ont accueilli plus de 150 étudiants américains, démobilisés en 1918.
4Les auteurs ont voulu replacer ce moment douloureux dans son contexte historique en rappelant les siècles qui avaient précédé, qui préparent et éclairent la période contemporaine. Ils n’hésitent pas à remonter – fût-ce brièvement – aux origines de la Faculté pour constater la place qu’elle a tenue dès ses débuts, dans la ville qui l’accueille, qui la soutient et qu’elle illustre. On parle volontiers de Toulouse comme d’une « cité du droit ». De fait, par la place des institutions judiciaires qu’elle abrite de longue date, par le nombre des étudiants qu’elle rassemble venant de toute la France et de multiples pays étrangers, par le prestige de ses enseignants, la science juridique a toujours occupé une place éminente dans notre ville. Il suffit d’évoquer les doctores tholosani au Moyen Age, les artisans d’une renaissance du droit romain à l’époque de Cujas, l’ouverture sur de nouveaux domaines, telles l’économie, la science politique et les diverses branches du droit public au temps de Jean Bodin… Cette tradition d’innovation s’est prolongée jusqu’à nos jours. Par un hasard providentiel, c’est un grand doyen que la Première Guerre mondiale trouve en fonction : Maurice Hauriou, exerçant ces hautes fonctions de 1906 à 1926, encadrant en quelque sorte la période étudiée. Il arrive ainsi avec près de dix ans d’expérience décanale et bénéficie de la confiance de ses collègues encore près d’une décennie après la fin de la guerre. Comme ses prédécesseurs et ses successseurs, il défend les franchises universitaires en les mettant au service de valeurs élevées. Aujourd’hui comme hier, c’est toujours en s’affirmant dans sa spécificité et son autonomie que notre Université peut rendre le plus de services au territoire qu’elle valorise et aux populations qu’elle irrigue.
5Ces deux professeurs d’histoire du droit nous livrent un travail considérable qui illustre magnifquement l’histoire de notre Université. Ils se penchent sur le passé d’une institution à laquelle ils appartiennent, dans une démarche authentiquement scientifique. La Faculté de droit de Toulouse se décrit telle qu’en elle-même à travers une étude minutieuse des archives qu’elle a accumulées et dont l’élément majeur est fourni en l’occurrence par le compte rendu très développé des séances du conseil et de l’assemblée de la Faculté, organes collégiaux où se prennent les décisions les plus importantes. En chercheurs scrupuleux, les auteurs reprennent et expliquent le sens des questions traitées, des arguments échangés, des délibérations adoptées…
6L’ambiance n’est pas toujours apaisée et si les documents officiels s’efforcent de donner une impression de courtoisie réciproque, les conflits apparaissent de façon plus ou moins évidente. Les auteurs ne se bornent d’ailleurs pas à commenter ces registres. Ils en fournissent le contenu intégral au lecteur, lui permettant de se faire sa propre opinion et de ne rien ignorer de la vie quotidienne d’un établissement d’enseignement supérieur, toujours et nécessairement tiraillé entre les exigences des professeurs et les attentes des étudiants, entre le souci de préparer de façon efficace aux diverses professions de justice et l’ambition de faire progresser la science en y associant les bénéficiaires des formations de troisième cycle, entre les préoccupations parfois triviales qui sont inséparables du fonctionnement au jour le jour de l’institution et la volonté d’affirmer sa place au niveau national et international, enfin entre des moyens financiers limités et des besoins en croissance. Pour celle qui préside aux destinées de cette Université au XXIe siècle, il est remarquable qu’à un siècle d’intervalle des questions comparables se posent avec la même acuité ainsi que des difficultés qui doivent souvent être surmontées.
7La période étudiée diffère cependant et fondamentalement de la nôtre par la présence de la guerre. On la perçoit toujours présente, non seulement par les obstacles qu’il faut surmonter mais également par un patriotisme hautement affirmé. Qu’il s’agisse de déclarations spontanées, de discours prononcés par les autorités universitaires, au premier chef par le doyen, proclamant leur reconnaissance à l’égard de ceux que la défense des frontières retient loin des amphithéâtres, que ce soit à l’initiative des autorités qui suggèrent que les institutions académiques s’associent à l’effort national en s’en affirmant solidaires, tout est mis en œuvre pour ne pas être absent du grand combat où le pays joue son destin. Pour autant, la Faculté n’oublie pas sa vocation de défenseur des valeurs juridiques. C’est sur le terrain de la promotion du droit qu’elle se situe le plus volontiers, en limitant tout ce qui pourrait nourrir des haines futures ou relever de la xénophobie. La personnalité du doyen Hauriou, d’un patriotisme indiscutable mais plus encore attaché aux valeurs démocratiques, a joué un rôle en limitant certains excès en cette période où ils furent nombreux. Parfois aussi, il utilise des formules qui étonnent aujourd’hui mais que l’époque explique.
8Un beau travail prosopographique conclut ce volumineux volume et complète ce qui se présente à la fois comme une remarquable analyse d’un moment important et comme une mise à disposition de matériaux que d’autres pourront exploiter par la suite, en prolongeant cette recherche. Il s’agit d’abord de fiches très complètes sur le corps enseignant de l’époque, et d’abord sur le doyen Hauriou dont on sait la place qu’il a tenue non seulement comme administrateur ferme à la barre de l’institution, mais également comme savant et comme fondateur d’une véritable école de pensée en droit public. Ces fiches ressuscitent des professeurs éminents dont chacun a joué son rôle dans le développement des études en sciences sociales, les sortant de l’oubli où certains étaient tombés, redonnant en quelque sorte vie aux portraits qui ornent notre salle des professeurs. À la suite, figure très opportunément, la liste des étudiants morts pour la France. Après la guerre, leurs noms ont été regroupés dans un registre spécial et solennel, dans un Livre d’or, destiné à perpétuer leur mémoire. Ils figurent tous ici avec des indications d’état-civil qui montrent des vies fauchées à peine à la sortie de l’adolescence, avec des précisions si possible sur les circonstances de leur décès. C’est l’élément le plus émouvant de ce livre.
Auteur
Professeur de droit privé, présidente de l’Université Toulouse Capitole
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