Les décisionnaires et ‘l’esprit de la coutume’
p. 321-343
Texte intégral
1En Auvergne, officiers de justice et avocats ont montré un grand intérêt pour les décisions des sénéchaussées et des juridictions inférieures et se sont parfois transformés en arrestographes. Dans le bas comme dans le haut pays ils ont conservé les décisions notoires dans des recueils manuscrits ou au moyen de simples notes marginales. Cette habitude s’installe peu après la publication de la coutume et perdure jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Les sources qui existent encore sont peu nombreuses1 pourtant ces manuscrits, véritables conservatoires de la jurisprudence des cours auvergnates, restent partiellement connus grâce au dernier commentateur de la coutume d’Auvergne, Guillaume-Michel Chabrol2. Il les met en valeur dans les trois premiers tomes des Coutumes générales et locales de la province d’Auvergne3 et tire leurs auteurs de l’anonymat. Son travail de recherche et de compilation l’amène à constituer un fonds qui se révèle très complet, allant du XVIe siècle à son époque, et à rétablir la jurisprudence qui a fixé le droit de la province. Il la révèle à un public plus large, grâce à un texte imprimé que chacun peut consulter (I). L’examen attentif des décisions, des remarques mais aussi des « anecdotes » parfois ajoutées par les praticiens, révèlent au-delà de l’interprétation de la coutume, l’esprit qui a présidé à sa rédaction (II) comme les polémiques et les doutes qui ont agité le monde de la robe (III).
I - Retrouver et mettre en valeur les décisions des juridictions locales
2Dans sa recherche de la jurisprudence auvergnate deux sources complémentaires s’offraient à Chabrol, les sept précédents commentaires de la coutume4 et les manuscrits qui, pour certains d’entre eux, avaient déjà étayé la réflexion de leurs auteurs.
1) Sources imprimées et sources manuscrites
3Les différents commentaires présentent une grande continuité par l’utilisation des mêmes sentences et arrêts considérés comme fondamentaux dans la connaissance de la coutume ou qui viennent consolider les opinions exprimées. Chaque auteur reprend la plupart des décisions relevées par son prédécesseur et ajoute celles de son époque qui lui paraissent les plus significatives. Ainsi, depuis les pionniers, Aymon et Bessian, elles se transmettent à Basmaison puis à Prohet et enfin à Chabrol. Entre temps, les mises à jour en introduisent de nouvelles aux côtés des doctrines récentes, de la législation royale et de la jurisprudence des parlements venues rajeunir l’œuvre des vieux maîtres. Durand publie conjointement les travaux d’Aimon et Bessian et les annote, Consul réédite une Paraphrase critique de Basmaison, Artaud diffuse un commentaire plus étoffé de Prohet. Chabrol rassemble cette jurisprudence et la complète en faisant appel aux sources privées.
4Le recours aux manuscrits de la pratique était déjà courant, les plus réputés pouvaient être recopiés et figuraient en bonne place dans les bibliothèques des hommes de loi5, pourtant la mention de ces sources et de leurs auteurs reste inexistante ou rare dans les premiers ouvrages. Elle se manifeste plus nettement au XVIIe siècle avec Prohet, celui-ci ayant bénéficié des nombreuses notes de Me Marie, avocat en la sénéchaussée d’Auvergne, son beau-père6.
5Chabrol, d’esprit curieux, qui déjà explore tous les écrits permettant d’éclairer l’histoire du droit et des institutions judiciaires de l’Auvergne7, recherche auprès de la pratique riomoise le plus grand nombre de documents qui s’ajouteront aux sources imprimées. Un certain parti pris se manifeste, seuls les travaux des avocats et officiers de la sénéchaussée d’Auvergne et siège présidial de Riom sont pris en considération, la production de la pratique clermontoise est ignorée. Il est évident que les rivalités anciennes opposant les deux cours voisines, toujours vivaces au XVIIIe siècle, se retrouvent dans cette discrimination volontaire qui inclut aussi les œuvres des avocats et magistrats du bailliage et siège présidial d’Aurillac8. La jurisprudence locale est retrouvée dans de simples notes ou dans des coutumiers privés9.
6Les notes écrites en marge des commentaires de coutumes ainsi que les remarques, reliées ou non, consignées à l’occasion d’une affaire importante sont recherchées et soigneusement identifiées. Chabrol, tout au long de son commentaire de la coutume, précise la nature de la note, donne le nom du praticien et sa qualité10.
7Les coutumiers utilisés sont au nombre de neuf11. Deux d’entre eux, les plus anciens, celui d’André d’Apchon et celui de Decombe12 rédigés à la fin du XVIe siècle, jouissent d’une grande renommée. Ces ouvrages, imposants pour certains13, sont mis à jour régulièrement par leurs auteurs puis par leurs successeurs14. Chabrol relève non seulement la jurisprudence de la sénéchaussée et des justices inférieures quand elles présentent un caractère remarquable, mais aussi les commentaires personnels, les références aux mémoires et aux conclusions, les arguments invoqués surtout quand ils paraissent compatibles avec son opinion.
8Les confrontations opérées entre les différentes sources, manuscrites et imprimées, anciennes et plus récentes, lui permettent de retrouver les revirements de jurisprudence, de juger de l’importance d’une décision, même ancienne, lorsqu’elle est utilisée par plusieurs praticiens et commentateurs de la coutume.
9L’ensemble de la recherche couvre une large période allant du XVIe au XVIIIe siècle, le XVIIe siècle se montrant fertile en décisions fixant définitivement certains points litigieux de la coutume.
10Grâce à ces sources, citées et référencées avec beaucoup de précision15, Chabrol parvient à rétablir une jurisprudence cohérente. Les décisions proposées, bien que dispersées dans l’ensemble du commentaire, permettent de reconstituer son parcours, de suivre le juge dans son raisonnement, de retrouver ses intentions.
11La jurisprudence de la sénéchaussée d’Auvergne, ainsi mise en valeur, côtoie des sources plus nobles qui ne lui portent aucun ombrage.
2) La place donnée aux décisions locales
12Chabrol témoigne de son savoir juridique par ses références au droit romain, aux grands ouvrages de doctrine, aux traités de jurisprudence, aux commentaires des autres coutumes du royaume communément utilisés à la fin de l’Ancien Régime. Sans grande originalité, comme tous les auteurs de son époque, il utilise les avis et les décisions puisés dans ces recueils, les mettant au service de ses explications, de ses argumentations et de ses objections.
13Les opinions des grands noms de la doctrine sont retenues quand elles justifient les siennes, ce qui ajoute à son autorité et à sa réputation, elles sont les bienvenues lorsqu’il lui arrive de blâmer une jurisprudence qu’il juge inadaptée à l’esprit de la coutume16. En revanche il n’hésite pas à condamner les critiques portées aux décisions locales au prétexte que les auteurs, étrangers à la province, ignorent les particularités du droit auvergnat17 par ailleurs comparé aux autres coutumes. Chabrol, s’il s’attache plus aux coutumes voisines du Bourbonnais et de la Marche, proches de celle de l’Auvergne, ne délaisse pas les autres coutumes du royaume mais on remarque que la coutume de Paris est très peu citée et sert rarement de référence.
14Les décisions sont également confrontées à la jurisprudence des sénéchaussées des deux provinces voisines, à la jurisprudence des autres provinces, à celle des parlements des pays de droit coutumier comme des pays de droit écrit. Là encore les sentences et arrêts, puisés dans les recueils ou dans les coutumiers, confirment l’originalité de la coutume d’Auvergne comme les particularités des décisions prises. Elles alimentent et renforcent la discussion pour mieux mettre en valeur la jurisprudence locale à laquelle elles sont comparées. Même si celle-ci reste noyée dans la masse volumineuse d’un savoir parfois pesant, son importance et sa force apparaissent tout au long de la lecture du commentaire de la coutume.
15Aux qualités de juriste de Chabrol s’ajoutent les compétences de l’historien. Pour comprendre le droit coutumier de l’Auvergne le recours à tous les témoignages, surtout les plus anciens, se révèle indispensable, ils éclairent les mesures conformes aux mœurs de la province et acceptées jadis par la population, Parmi eux se trouve un coutumier privé, Practica forensis18, œuvre réputée de Jean Masuer, avocat puis lieutenant à la sénéchaussée d’Auvergne au XVe siècle. Chabrol insiste sur son importance,
il a consigné dans sa pratique les principaux usages d’Auvergne, les rédacteurs l’ont copié souvent & son ouvrage est très propre à donner l’intelligence de la coutume. On le citait auparavant comme on cite la coutume aujourd’hui19.
16Le passé de la coutume, dans la période antérieure à sa rédaction comme dans les conflits qui ont marqué le déroulement de la procédure, lui sert aussi de guide. C’est dans son histoire que se révèle « son intelligence », le juge comme l’avocat, encore à son époque, doivent en tirer les leçons.
17Choisies parmi les articles qui présentent les plus grandes difficultés d’interprétation, les règles d’exclusion illustrent parfaitement la méthode du commentateur qui restitue les hésitations, l’affirmation puis la continuité d’une jurisprudence locale soucieuse de respecter et d’imposer l’esprit de la coutume. Garantes de la « conservation des familles » par le maintien du nom et du patrimoine, ces mesures s’adressent aux ascendants qui ont joué leur rôle de relais et sont soumis à la règle « propre ne remonte »20 et aux filles mariées qui, passant dans une autre famille, sont frappées de forclusion21.
18Si l’on en croit Chabrol, les controverses qui jalonnent la procédure de rédaction ont joué un rôle déterminant dans l’interprétation de la coutume. Elles permettent de
connaître l’esprit de la coutume, les changements qu’elle a pu recevoir, les usages anciens ou modernes, ce qui était contesté ou reconnu universellement avant sa rédaction22.
II - Esprit de la coutume, usages anciens, « lois nouvelles »
19La forclusion des filles mariées comme la règle « propre ne remonte » sont au cœur de débats houleux en 1510. Chabrol attire l’attention du lecteur sur les articles qui gardent en mémoire les « altercations des anciens coutumiers » opposant « les jurisconsultes et les practiciens »23 et rappellent l’intervention déterminante de l’assemblée des États qui, chaque fois, met fin au conflit24. On comprend alors que la question de la réformation de la coutume s’est posée au cours de la rédaction, de toute évidence elle est à l’origine de ces litiges.
20La connaissance du droit auvergnat reposait en grande partie sur l’existence de plusieurs coutumiers privés, les « cayers de coutume » auxquels le procès-verbal de rédaction se réfère mais sans donner le nom des auteurs25, parmi eux se trouvait le coutumier de Masuer. Les rédacteurs confirment en grande partie ce texte renommé dont l’autorité est reconnue dans toute l’Auvergne mais n’hésitent pas non plus à s’en détacher pour mettre en œuvre ce que Chabrol appelle des « lois nouvelles ». Ce sont elles qui, dès après la publication de la coutume, vont susciter des polémiques et être à l’origine d’une jurisprudence conservatrice parfois contestée par une partie de la pratique.
1) Article 3, Titre XII : l’assouplissement de la coutume
21La première controverse à laquelle s’intéresse Chabrol porte sur une dérogation à l’article 2, titre XII : « les père, mère & autres ascendans, ne succèdent aux descendans ». Cette règle commune aux pays coutumiers s’est toujours appliquée en Auvergne. Masuer, en partie repris dans le texte, rapporte qu’elle écartait les ascendants de la succession des enfants morts sans descendance et qu’en cas de défaillance des lignes paternelles et maternelles, le fisc était préféré26. Dorénavant l’article 3, titre XII tempère sa portée :
Toutefois a été advisé par les états, que pour l’advenir ladicte coutume n’ait lieu, quant aux meubles & acquêts autrement faicts & advenus esdicts descendans, que par hoierie & succession ab-intestat, & que, en iceux, lesdicts ascendans succèdent.
22Le fisc éliminé, les ascendants succèdent aux meubles et acquêts à l’exclusion de ceux provenant d’une succession ab intestat. La mesure s’ouvre au droit commun coutumier mais reste malgré tout restrictive, dans les autres pays de coutume les ascendants succèdent à l’ensemble des meubles et acquêts. L’originalité du droit auvergnat est en partie conservée mais un fort mécontentement subsiste.
23En s’appuyant sur les manuscrits de la pratique Chabrol reconstitue l’atmosphère qui régnait dans les cours et les cabinets d’avocats à la suite de la publication de la coutume. L’article 3, qui bouleverse les habitudes, se heurte à une vive résistance de la pratique qui tente de limiter sa portée. Me Marie27 en conserve la mémoire. Il note sur sa coutume qu’« anciennement » les épargnes faites par le défunt sur ses revenus n’étaient pas attribuées aux ascendants. Chabrol observe que
cet usage était étrange ; il heurtait de front la disposition de la coutume ; mais comme c’était un droit nouveau de la province, on croyait sans doute qu’il devait être restreint28,
et de ce fait révèle le caractère conservateur, voire rétrograde, des juristes de l’époque. Cette interprétation mal venue, qui ne souhaitait pas modifier l’ordre des familles, a marqué les esprits mais reste de courte durée, on admet que les épargnes des enfants, comme les fruits de leurs propres recueillis avant leur décès, sont réputés acquêts s’ils ne proviennent pas d’une succession et reviennent aux ascendants.
24Pourtant l’hostilité de la pratique perdure, l’article 3, considéré comme mal rédigé, a donné lieu « autrefois [à] une grande contestation ». L’expression, « autrement faicts & advenus » devient la cible de toutes les attentions et nourrit l’esprit de chicane. Certains juges, voulant se rapprocher des autres coutumes, considèrent qu’elle s’applique aux seuls acquêts, les ascendants recevant l’ensemble des meubles quelle que soit leur origine. La controverse est telle que le recours à une enquête par turbe s’impose. Prohet rapporte les détails de la procédure organisée à Riom les 3 et 4 décembre 1581 et livre son résultat : « et l’on a déclaré que les ascendans ne succèdent qu’a ce qui a été acquis par le défunt, & qu’ils n’ont aucun droit à ce qui lui est avenu par hoirie & succession ab inteftat ». Elle est suivie d’un arrêt de la sénéchaussée d’Auvergne de janvier 1584 qui fixe la jurisprudence. Dorénavant « c’est l’usage constamment observé dans la province, qui est contraire à ce qui est statué dans les autres coutumes », Prohet le regrette, à sa suite Chabrol réagit de même29.
25La Practica forensis, qui marque la coutume rédigée de son sceau demeure le modèle de référence des juges, son influence sur la jurisprudence est ici incontestable. Elle est considérée comme le guide qui permet de retrouver ce que l’on pense être la coutume des origines, elle concrétise l’esprit de la coutume. Chabrol confirme son emprise sur les rédacteurs comme sur les juges dans son analyse de l’article 31, titre XII.
2) Article 31, Titre XII : l’abandon d’une ancienne coutume
26Une autre « loi nouvelle » fait l’objet de discussions et de contestations dès son introduction dans la coutume rédigée et suscite ensuite une jurisprudence polémique. Ce texte rappelle l’existence d’un usage ancien encore en vigueur en 1510 mais écarté en raison de sa non-conformité à l’esprit de la coutume qui, si l’on en croit Chabrol, s’exprime dans l’article 25 du même titre30, copie intégrale du texte de Masuer31. Les filles mariées hors de la maison, par le père, la mère ou l’aïeul, de leur vivant, même non dotées, sont exclues de toutes les successions directes et collatérales au profit des mâles et de leurs descendants. La forclusion ne cesse qu’en l’absence de ces derniers.
27Si cet article de principe a obtenu l’adhésion de tous il en a été différemment lorsqu’on s’est interrogé sur le sort des filles restées célibataires. L’usage ancien voulait qu’elles bénéficient des mêmes droits que les garçons en venant à la masse formée par les portions des filles mariées renonçantes. Issue de la tradition orale, certainement consignée dans les cahiers de coutume consultés par les rédacteurs, mais ignorée par la Practica Forensis, cette mesure est repoussée. Les « altercations » ont dû être vives entre les tenants d’une tradition coutumière bien connue puisqu’elle figure dans l’article, et les partisans d’un texte nouveau favorable aux seuls mâles. Après avis des États il est décidé qu’à l’avenir la portion de la fille mariée forclose ira accroitre la part des seuls mâles sous condition du paiement de sa dot32.
28L’article 31 justifie l’abandon d’un usage considéré comme défavorable « à la conservation des maisons dudict pays » et contraire à « la coutume générale », c’est-à dire à l’article 25 précédemment adopté33. Le rappel de l’ancien usage, exprimé en termes précis dans le texte, certainement repris à un « cayer de coutume », n’est pas innocent. L’article 31 en le rendant officiellement caduc étouffe toute velléité de retour et d’utilisation de la part de la pratique. Mise dans l’obligation d’appliquer la loi nouvelle celle-ci essaie une nouvelle fois d’en limiter la portée en conservant les droits de la fille non mariée dans les successions collatérales.
29Les manuscrits dévoilent une jurisprudence hésitante, partagée entre sévérité et complaisance à l’égard de ces filles désormais forcloses. L’un d’eux, celui de Me Decombe, retient plus particulièrement l’attention de Chabrol. L’avocat déclare tenir
de M. Brandon, avocat du roi & ensuite lieutenant du roi en la sénéchaussée de Riom, qui avait assisté à la rédaction de la coutume, que l’intention des rédacteurs avait été que l’accroissement n’eût lieu en faveur des mâles que dans les cas de successions directes,
ce que confirme un autre manuscrit, celui du conseiller Charrier. Me Decombe précise qu’une sentence de la sénéchaussée, de date inconnue, prononcée par ce même M. Brandon (donc quelques années après la publication de la coutume) allait en ce sens34. L’intention des rédacteurs, argument pour le moins original, est retenue sur la foi du témoignage de l’un d’eux. En essayant de dénoncer par ce biais l’imprécision de l’article et la faute des rédacteurs la sénéchaussée d’Auvergne reconnaît la survie partielle de l’ancien usage. La décision est suivie d’autres sentences qualifiées d’« anciennes » par Chabrol qui donne le nom des parties mais ne précise pas les dates. Les avis restent cependant partagés. Dans une note en marge de sa coutume, Me de Serre, avocat, constate
que de son temps il y avait diversité de jugemens, qu’on avait décidé par la négative, au rapport de M. Montanier35, & de l’affirmative au rapport de M. Sevin, lieutenant général mais multis contradicentibus36.
30Ces hésitations se poursuivent un siècle durant. Les premières sentences élargissant l’exclusion de la fille aux successions collatérales datent de mai 1631, de mars 1641 et de septembre 1662, cette jurisprudence, qui tend à se stabiliser, est confirmée en 1664 par un arrêt de la quatrième Chambre des enquêtes qui met définitivement fin à la polémique37. L’ensemble de ces décisions reprend l’opinion des commentateurs les plus anciens, contemporains de la naissance de la controverse, Basmaison, qui fonde son raisonnement sur Masuer38 pour qui le principe est de toujours voir l’intérêt des mâles, et André d’Apchon qui devait certainement s’y référer39. Prohet, quant à lui, l’envisage comme un point de droit qu’on ne peut contester40. Chabrol, curieusement, minore l’importance de l’intention des rédacteurs, cause des divergences de la jurisprudence, il la considère comme une « anecdote transmise par un contemporain » car il est inconcevable qu’une renonciation profite à une fille venue en concours avec les mâles de la famille. Avec ses prédécesseurs il affirme de manière catégorique que « les renonciations des filles avaient lieu en faveur des mâles ; Masuer l’atteste ainsi »41, il indique ainsi où doit se retrouver l’esprit de la coutume.
31Si, pour une majorité de juges, l’intention des rédacteurs a été un argument invoqué dans le désaccord né du texte, il reste peu convaincant. La recherche de la réalité de la coutume et de son esprit passe par d’autres moyens lorsque les divergences sont trop grandes.
III - L’esprit de la coutume : la recherche et les doutes
32Jusqu’à sa disparition, l’enquête par turbe demeure la meilleure méthode pour éclairer la règle et retrouver son « intelligence ». Elle est remplacée par le recours à d’autres procédés moins contraignants qui correspondent à une timide remise en cause de l’influence de Masuer sur la jurisprudence.
1) Turbes et actes de notoriété
33Les commentateurs conservent le souvenir de deux enquêtes par turbe dans les cas étudiés ici. La première, de janvier 1584, déjà citée, porte sur l’application de l’article 3, titre XII, elle restreint les droits des ascendants sur les biens de l’enfant prédécédé ; la seconde répond aux nombreuses questions soulevées par la possibilité pour la fille forclose de recevoir une succession collatérale.
34Le père de famille décide du sort de la fille mariée dans les limites fixées par la coutume. Il peut l’exonérer de la forclusion en l’instituant héritière, comme il peut la forcer à renoncer à des successions collatérales sur lesquelles elle possède des droits, mais dans les deux cas, le contrat de mariage, « cadre dans lequel se construit la continuité familiale »42, doit respecter des conditions strictes fixées par une jurisprudence scrupuleuse.
35La forclusion contractuelle est fréquemment utilisée en Auvergne, car elle s’applique hors du ressort de la coutume à la différence de la renonciation coutumière qu’elle complète et renforce. On voit en elle une sage précaution qui permet aux mâles de recevoir des biens situés dans une autre province mais aussi en Auvergne, pays où le droit écrit et le droit coutumier se mêlent, un même lieu pouvant être régi par les deux droits. Or, en vertu d’un arrêt du parlement de Paris rendu en la Grand Chambre le 24 mai 163643, la fille mariée peut succéder en pays de droit écrit, la forclusion ne porte que sur les seuls biens situés en pays de coutume44.
36Se pose alors la question de savoir si, dans le cas d’une renonciation contractuelle, une renonciation expresse aux successions collatérales est indispensable ou si la seule renonciation aux successions directes emporte la réserve de la collatérale. Basmaison est favorable à la seconde proposition45 mais l’indécision règne dans les cours auvergnates. Le 24 mai 1636 l’arrêt de la Grand Chambre, déjà cité, ordonne qu’
il sera informé par deux turbes, l’une à Riom, l’autre à Clermont, de l’usage des articles 25 & suivans de ladite coutume, quand les filles, par contrat de mariage, renoncent ès successions de leurs père & mère seulement, si elle doit s’étendre aux successions collatérales, en faveur des mâles ou descendans des mâles, ou s’il faut une renonciation expresse desdites successions, au profit des filles, pour ce fait, etc.
37On ne connaît pas le résultat de ces enquêtes qui associaient les deux sénéchaussées rivales de Basse-Auvergne. Peut-être n’ont-elles pas recueilli l’unanimité demandée par l’ordonnance de 1498, ou bien se sont-elles alignées sur la disposition de Masuer considérée comme un principe absolu : dans le doute, c’est toujours l’intérêt des mâles qu’il faut consulter (De success. n° 25). Les juges paraissent se conformer à ce point de vue puisque Chabrol mentionne, sans donner de détails ni de dates, un grand nombre de décisions défavorables aux filles. Pourtant Lebrun, qui s’est intéressé à la question, rapporte un arrêt contraire du 3 mai 1692 qui reçoit son approbation46. Chabrol rétorque en invoquant l’esprit de la coutume méconnu par un auteur étranger à la province,
l’intérêt des mâles est un motif plus puissant que l’égalité des enfans, le père en stipulant la renonciation de sa fille aux successions, est présumé avoir eu plus en vue l’avantage des mâles que celui de la fille,
conformément à l’article 25, XII, et d’ajouter :
on peut appliquer ici ce que dit Masuer : Illa quœ sunt ad augmentum favorem seu commodum masculi, non debent operari in diminutionem. Si le père persiste à vouloir avantager sa fille il lui conseille d’inclure dans le contrat, à la suite de la renonciation aux successions directes, la mention « seulement, ou tant seulement47.
38Abolie par l’ordonnance de 1667 l’enquête par turbe est remplacée par la délivrance d’actes de notoriété précédée d’une consultation des praticiens locaux. Le recours à cette nouvelle procédure a lieu en 1738. Là encore, c’est la supposée imprécision d’une clause de contrat qui fait l’objet de divergences d’appréciation.
39Le père doit rester tout aussi vigilant que précédemment quand, dans le contrat de mariage, il institue héritière sa fille mariée avec l’intention de l’exempter de la forclusion coutumière. Est-il nécessaire d’ajouter une mention expresse lui réservant les collatérales ? La controverse nait d’une sentence de la sénéchaussée de Riom, de mai 1652, rapportée par une note manuscrite de Me Marie qui éveille l’attention de Prohet puis de Chabrol en raison de son importance. À la différence de la justice de Viverols, dont la décision est infirmée, elle reconnaît que la seule institution d’héritier maintient la fille dans la famille et lui permet de bénéficier des successions collatérales. Si l’on en croit les notes de deux avocats, Me de Cambray et Me Bruguière de Barante, la décision est suivie de quatre autres sentences et d’un arrêt en date du 31 août 169048. Une jurisprudence favorable à la fille s’impose pendant près de quatre-vingts ans jusqu’à ce qu’un frère conteste un jugement conforme. Simon-Antoine Lecuyer de la Jonchère soutient que la sentence fondatrice de 1652, invoquée contre lui par sa sœur pour la succession de leur frère défunt, « ne pouvait faire loi, que la coutume était contraire, l’intérêt des mâles devant toujours prévaloir ».
40L’affaire vient devant le parlement de Paris qui, par un arrêt rendu en la Grand Chambre le 8 juillet 1738, ordonne des actes de notoriété de toutes les juridictions royales d’Auvergne. Les avocats des sénéchaussées de Riom et Clermont préalablement réunis en grande consultation le 19 mai 1738 avaient confirmé que « la fille instituée héritière avec les mâles par son contrat de mariage est rendue capable de succéder aux collatéraux », mais les parties se concilient à l’amiable avant que les actes ne soient dressés49.
41Dix ans plus tard la sénéchaussée d’Auvergne maintient sa jurisprudence sur un cas proche du précédent. Un arrêt d’août 1748 confirme une sentence autorisant une femme mariée dans la coutume de Troyes (qui ne connaît pas la forclusion) à recevoir la succession d’un oncle dont les biens étaient situés en coutume d’Auvergne. Au frère qui invoquait le fait que sa sœur, mariée père et mère vivants, était forclose, les juges opposent l’avancement d’hoirie qui lui avait été consenti, il est considéré comme équivalant à une institution d’héritier50.
42Cette jurisprudence de 1652, devenue bien affirmée, est encore reprise par une décision de la Cour d’appel de Riom du 3 mars 1806 retrouvée en marge d’un exemplaire du commentaire de Chabrol51 (t. 1, p. 378) avec la mention : « contre l’avis de Chabrol ».
43En effet, tout en prenant acte de ces décisions le jurisconsulte manifeste son désaccord, dévoilant en cette fin de siècle son esprit conservateur et son refus de s’adapter aux nouveaux courants de pensée auxquels adhèrent quelques officiers et avocats52.
44Cet esprit d’ouverture se confirme dans une sentence de la sénéchaussée d’Auvergne du 29 août 1754 qui décide, « à une voix », que la petite-fille n’est pas forclose lorsque son père prédécédé avait été institué héritier par son contrat de mariage. Les juges lui reconnaissent un droit acquis, « la forclusion de la coutume ne s’étend pas à une succession promise ». Là encore, ils écartent l’argument du frère invoquant la volonté supposée de l’aïeul de transmettre ses biens aux mâles en raison de « l’ordre général qu’établissent les lois et les mœurs de ce pays pour le soutien des familles »53.
45Les décisions et interventions contraires à l’esprit de la Practica Forensis restent peu nombreuses, l’étude du commentaire de Chabrol montre que l’autorité de Masuer sur la jurisprudence subsiste jusqu’à la veille de la Révolution. Toutefois la doctrine auvergnate peut douter de son opportunité lorsqu’elle se trouve confrontée à l’autorité d’un droit concurrent.
2) Esprit de la coutume et droit écrit
46Dans une province régie par une coutume romanisée54, partagée entre le droit coutumier et le droit écrit55, le recours au droit romain peut donner un nouvel éclairage à la règle coutumière, atténuer sa rigueur et permettre à la jurisprudence de rapprocher l’Auvergne du droit commun.
47Déjà, au moment de la rédaction de la coutume, on s’était demandé si l’autorité de la puissance paternelle était compatible avec la forclusion des filles mariées. La question s’était posée pour l’article 29, titre XII, qui prévoit que la fille forclose ne peut être rappelée au droit de succéder par acte de dernière volonté56, le rappel s’inscrivant dans le seul contrat de mariage et avec le consentement des mâles. La mesure prise à la suite d’une « altercation » des « ci-devant coutumiers » fait l’objet d’une opposition rapportée au procès-verbal de rédaction de la coutume. On fait valoir que
le père demeure toujours seigneur et maitre de ses biens, pour en disposer haut & bas à son bon plaisir & volonté, soit par droit successif ou autrement57.
48Ce rappel de la puissance paternelle romaine, bien présente dans la coutume, n’a pas été retenu, de toute évidence on ne souhaite pas accentuer sa romanisation58. La forclusion des filles est une mesure purement coutumière qui ne doit rien au droit romain.
49Il en est de même pour la règle « propre ne remonte » mais ici son application stricte par la jurisprudence suscite l’opposition de l’ensemble de la doctrine auvergnate. Son refus constant d’accorder le droit de retour des biens donnés par les père et mère à l’enfant mort sans descendance est particulièrement critiqué. Les notes manuscrites du président Decombe et du conseiller Rigaud attestent de la constance des sentences, toutes rendues contre les ascendants depuis le XVIe siècle. Me Marie et Me Dubois de La Pauze jugent sévèrement ces décisions, le premier « observe que cela est très rigoureux », le second précise que « cette jurisprudence ne l’empêche pas de penser le contraire »59. Ils rejoignent l’opinion de Prohet pour qui
l’article 313 de la coutume de Paris ayant corrigé la dureté de l’ancienne coutume & ayant été suivie par l’arrest rapporté par M. Louet dans les coutumes qui n’en disposent point, ce sentiment étant conforme à la piété : il y a lieu de se départir de cette ancienne rigueur60.
50Tous les commentateurs se rallient à l’idée que le retour est « une maxime générale du droit français », les coutumes de Paris, de La Marche, du Bourbonnais, de Berry ou du Nivernais, entre autres, l’appliquent ; la jurisprudence l’attribue « aux coutumes muettes », telles celles de Chauny ou de Troyes. Le parlement de Paris accorde ces biens aux parents à titre de réversion dans les pays de droit écrit de son ressort et à titre de succession dans les pays de droit coutumier.
51Face à ce constat Chabrol s’insurge : « comment la coutume d’Auvergne placée entre l’un & l’autre [droit], ne devait-elle participer à ces deux jurisprudences ? »61. Pour lui le droit écrit, s’il n’a pas le caractère de « droit commun général », conserve « une très grande autorité » dans l’interprétation des règles coutumières qu’il a produites. Ainsi,
la réversion est un effet de la puissance paternelle qui subsiste, à beaucoup d’égards dans la coutume, c’est le sentiment de Prohet & même de Basmaison […] il semble que l’esprit de la coutume est plus favorable à la réversion, qu’il ne lui est opposé.
52Son hostilité contre la position invariable de la jurisprudence est renforcée par une sentence de la sénéchaussée d’Auvergne du 6 juin 1765 où il a été jugé sur délibéré, « d’une voix », que le retour de la dot n’a pas lieu en faveur du père.
C’est une jurisprudence qui m’a paru toujours trop rigoureuse, écrit-il, la réversion est admise par le droit romain et la coutume n’en est qu’une exception : les autres coutumes l’ont admise62,
53mais, ajoute-t-il,
ce qui est le plus propre à justifier la jurisprudence de la sénéchaussée d’Auvergne contre les ascendants, c’est l’observation de Masuer, où après avoir dit que, suivant les dispositions du droit [commun], la dot de la fille qui meurt sans enfant avant ses père et mère et ses frères, revient au père, il ajoute qu’il en est autrement dans la coutume d’Auvergne, secus de consuetudine, quia transit ad haeredes collaterales (titre 14, de dote, n° 14).
54Et le jurisconsulte de déplorer l’extension de cette mesure à l’ensemble des donations faites par les ascendants.
55La sentence de 1765, comme toutes les décisions qui la précédent, reste fidèle à l’esprit qui a présidé les débats en 1510, plus proche de Masuer que du droit romain. Dans ce domaine particulier de la protection et du maintien du patrimoine familial le droit écrit n’a pas sa place.
56Ainsi, la jurisprudence retrouve, conserve et impose, envers et contre toutes les influences et opinions venues de l’extérieur ou internes à la province, un esprit de la coutume fixé par les rédacteurs. Elle en garantit le maintien par la faveur de sa continuité rarement remise en question malgré quelques critiques venues de la pratique. Son autorité apparait nettement dans les commentaires de la coutume qui lui sont rarement contraires, les velléités d’ajustement sur le droit commun présentées par la Paraphrase de Basmaison ou les propositions de recours au droit écrit ne sont pas retenues. En réalité la doctrine la consolide et l’encourage à rester dans une ligne de fidélité à l’ordre ancien en la justifiant par ses constantes références à la Practica forensis, toujours très présente dans ses ouvrages depuis le XVIe siècle, toujours suivie.
57Consacré par les rédacteurs, le coutumier de Masuer matérialise « l’intelligence de la coutume » dans son authenticité, il accompagne constamment les avocats et officiers devenus les garants de son maintien. Né de la qualité de son ouvrage et de sa réputation de grand juriste, l’ascendant avéré de Masuer sur les gens de robe s’impose dès le XVe siècle, on le citait comme on cite la coutume, rappelle Chabrol. Il se retrouve ensuite dans leurs commentaires, mémoires et cahiers de notes qui révèlent le souci de retrouver la justesse de sa pensée, allant la rechercher, pour certains, dans les manuscrits du maître63 plutôt que dans les ouvrages imprimés ou traduits64.
58Ces praticiens de la sénéchaussée d’Auvergne ont une solide culture juridique, leurs bibliothèques sont bien fournies en droit romain, coutumiers, ouvrages de doctrine, répertoires et recueils de jurisprudence65, ils les utilisent mais privilégient les notes et coutumiers privés, très anciens ou plus récents, recopiés, complétés et diffusés au sein de la juridiction. Chabrol a eu le mérite de faire ressortir l’importance de ces manuscrits dépositaires de leur savoir. Ne sont-ils pas, avec les commentaires imprimés à leur suite et la jurisprudence qu’ils inspirent, « l’autorité des plus excellents décisionnaires et interprètes de la coutume »66 ? Qui connaît mieux l’esprit d’une coutume que la pratique de la province ?
Notes de bas de page
1 A.-L. Montanier, Mémoire de feu M. Amable-Louis Montanier, conseiller au présidial d’Auvergne, Bibliothèque du Patrimoine, Clermont Communauté, Ms 546. Les notes de Pierre Grangier, avocat à la sénéchaussée de Riom au XVIIe siècle, ont été conservées par un juriste local anonyme, « Notes sur la Coutume d’Auvergne que j’ai copié sur un manuscrit qui m’a été prêté par M. Desribbes et que l’on dit avoir été composé par MM. Grangier et de Lacresne », Bibliothèque du Patrimoine, Clermont Communauté, Ms 536. Le mémoire et les notes sont utilisés par G.- M. Chabrol. En revanche il ignore deux manuscrits, œuvres de juristes clermontois, J. Champflour, Recueil de jurisprudence par M. Champflour, lieutenant particulier en la sénéchaussée et siège présidial de Clermont-Ferrand, Bibliothèque du Patrimoine, Clermont Communauté, Ms 543-544-545 et J. André, Coutumes du haut et bas pays d’Auvergne avec la paraphrase de Me Jean André, Bibliothèque du idem, Ms 2127. La Haute Auvergne conserve le Livre de remarques et recueil pour servir à Me Jean Charmes advocat au baillage et siège présidial d’Aurillac commencé en 1692, voir B. Fourniel, Du bailliage des montagnes d’Auvergne au siège présidial d’Aurillac. Institutions, société et droit, Toulouse, PUTC, CTHDIP, EHDIP, 14, 2010, p. 383-386.
2 Coutumes générales et locales de la province d’Auvergne, Riom, chez Martin Dégoutte, 1784-1787 (4 vol.). Guillaume-Michel Chabrol (1714-1792) est le plus connu des commentateurs de la coutume d’Auvergne. Cet avocat du roi à la sénéchaussée d’Auvergne, issu d’une famille de médecins et de jurisconsultes de Riom, réalise cette œuvre de plus de 2 500 pages, devenue un outil précieux pour la pratique de son temps.
3 Le tome 4 est entièrement consacré aux coutumes locales des bas et haut pays d’Auvergne.
4 P. Aymon, Commentarii in consuetudines Arverniae, Paris, Angelier, 1548 ; J. Bessian, Arvernorum consuetudines, Lyon, Vincent, 1548 ; J. de Basmaison-Pougnet, Paraphrase sur les coustumes du bas & hault pays d’Auvergne, Clairmont, Durand, 1608 ; G. Durand, Coustumes d’Auvergne paraphrasées par Aymon et Bessian, traduites du latin et enrichies d’observations, Paris, Lamy, 1640 ; G. Consul, Coustumes du haut et bas pays d’Auvergne, avec la paraphrase de M. Jean de Basmaison-Pougnet, Advocat en la Sénéchaussée d’Auvergne & siège présidial de Riom, Clermont, Barbier, 1667 ; C.-I. Prohet, Les coutumes du haut et bas pays d’Auvergne, conférées avec le droit civil & avec les Coutumes de Paris, de Bourbonnois, de la Marche, de Berri, & de Nivernois, Paris, Coignard, 1695 ; P.- P. Artaud, Coutumes des haut et bas pays d’Auvergne avec les notes de Me Charles du Moulin et les observations de Me Claude-Ignace Prohet. Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée de nouvelles notes, Clermont-Ferrand, Viallanes, 1745.
5 Dans leurs commentaires de coutumes, G. Thaumas de la Thaumassière pour le Berry, A.-R. Couturier de Fournoux pour la Marche et M. Auroux des Pommiers pour le Bourbonnais ont également utilisé les notes de la pratique locale. Sur leur méthode, voir J. Vendrand-Voyer, « Les avocats et la science du droit coutumier (XVIe-XVIIIe siècle) », VIIIe colloque du barreau de Clermont-Ferrand organisé avec la SIHPA, 11 septembre 2010, Biennales du Barreau de Clermont-Ferrand. Actes et Mémorial, I, (2009-2010), Clermont-Ferrand, Ordre des avocats au barreau de Clermont-Ferrand, 2010, p. 229-237.
6 C.-I. Prohet, Les coutumes du haut et bas pays d’Auvergne, op. cit., possédait également une copie du manuscrit de M. Decombe qu’il annotait (G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., t. 3, p. 153).
7 « Dissertation historique sur la forme dans laquelle la justice a été rendue en Auvergne, depuis l’établissement de la monarchie, & sur l’origine des tribunaux anciens & modernes de cette province, contenant des éclaircissements sur l’histoire générale de l’Auvergne », G.-M. Chabrol, ibid., t. 1, p. XLIX-CXIV ; « Dissertation sur l’origine & les motifs de l’introduction du droit écrit & du droit coutumier, dans la province d’Auvergne », ibid., t. 1, p. IX - XXII IIJ.
8 À l’exception du manuscrit d’André d’Apchon, lieutenant général au bailliage de Salers au XVIe siècle, qui jouissait d’une grande réputation auprès de la pratique auvergnate. Chabrol, qui le cite fréquemment et transcrit de larges extraits de son coutumier, n’hésite pas à le critiquer : « les auteurs de la bibliothèque des coutumes n’ont pas été bien instruits lorsqu’ils ont dit que l’auteur contemporain de Basmaison, n’était pas moins éclairé que lui, dans la connaissance de la coutume d’Auvergne. Ce parallèle n’est pas satisfaisant pour Basmaison », ibid., p. v.
9 Voir J. Vendrand-Voyer, « Guillaume-Michel Chabrol et les autres… Une vision critique de la coutume d’Auvergne », La Coutume d’Auvergne. Formation et expression d’un patrimoine juridique, dir. F. Garnier, Revue d’Auvergne, 595, 2011, p. 87-122, où les remarques qui suivent ont été développées.
10 Avocats : Marie, Consul, Bruguière de Barante, de Cambray, de Salvert, Danjoly, Grangier, Roux ; magistrats : Charrier, Decombe, Rigaud, Jacques Chabrol.
11 André d’Apchon, Jacques Chabrol, Charrier, Danjoly, Delas, Dubois de la Pauze, de Serre, Decombe et deux manuscrits « anonymes ».
12 Il s’agit de Jean de Combes, né en 1541, avocat du roi en la sénéchaussée d’Auvergne (1579), président de la cour des aides de Montferrand (1588-1599) puis président au présidial de Riom (1600), J.-L. Gaineton, Hommage aux avocats de Basse-Auvergne et du Puy de Dôme, Clermont-Ferrand, Chez l’auteur, 2006, p. 140, n° 808. Son aïeul a participé à la rédaction de la coutume (G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., t. 2, p. 122).
13 Chabrol donne en note marginale les références aux folios, les plus extrêmes relevés dans le commentaire donnent une idée de la taille de l’ouvrage, par exemple : Delas : fol. 414 ; Charrier : fol. 324 ; Decombe : fol. 426.
14 Le manuscrit de Decombe rédigé au XVIe siècle est complété et annoté par ses descendants. Lorsque Chabrol utilise ce manuscrit il précise le titre de l’auteur du texte ou de la note, par exemple : « à la suite du commentaire attribué à M. Decombe, président, Decombe lieutenant général mentionne […] », G.- M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., t. 3, p. 263.
15 Il donne le numéro de folio, soit en marge, soit dans le texte, pour les manuscrits et précise la nature des notes : « Msc ; in-12° » ; les notes marginales sont signalées comme telles, « a mis en note sur sa coutume […] ».
16 Cf. infra, sur la règle « propre ne remonte ».
17 Cf. infra la position de Lebrun.
18 J. Masuer, Practica forensis, Paris, Roigny, 1548 ; A. Fontanon, La practique de Masuer traduite du latin en françois par Antoine Fontanon, Lyon, Nivelle, 1576.
19 G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., t. 1, « Préface », p. 4.
20 Ibid., articles 2 et 3, Titre XII, Des successions testamentaires & autres dispositions de dernière volonté.
21 Ibid., articles 25 à 37, Titre XII.
22 Ibid., t. 1, p. 442.
23 Ibid., p. 449.
24 Après avis de la majorité des États, l’article débattu était arrêté par les commissaires chargés de la rédaction de la coutume.
25 « Les anciens cayers de coutume autrefois rédigés par écrit & les anciens coutumiers dudit pays », G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., t. 4, « Procès-verbal de rédaction », p. 4 (fin de volume).
26 J. Masuer, Practica forensis, op. cit., XXXIII, n° 8.
27 G.-M. Chabrol le tient pour un juriste de grande qualité, il utilise 79 de ses notes marginales.
28 G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., t. 1, p. 223.
29 C.-I. Prohet, Les coutumes du haut et bas pays d’Auvergne, op. cit., p. 50 ; G.- M. Chabrol, ibid., p. 223.
30 Ibid. : « Fille mariée par le père ou par l’ayeul paternel, ou par un tiers, ou d’elle-même, lesdicts père ou ayeul paternel & mère vivans, douée, ou non, ait quitté, ou non, elle, ne se descendans, ne peuvent venir à succession de père, mère, frère, sœur, ne autre quelconque, directe ou collatérale, tant qu’il y a masles, ou descendant de masle, héritant esdictes successions, soit ledict descendant masle ou femelle, sinon quelle fût mariée en premières noces en la maison de sesdicts père ou ayeul, ou l’un d’eux, sans constitution de dot, auquel cas n’est forclose desdites successions ».
31 Ibid., XXXI, n° 10.
32 Ibid. : « Jaçoit que par ci-devant la portion des filles mariées par leur père ou aïeul, ou de leur vivant, accreust ès filles non mariées comme ès masles, & que ladicte fille non matiée fust réputée masle, quant à ce. Toutes fois en ayant regard à la coustume générale devant dicte, & à la raison d’icelle, & pour la conservation des maisons dudict pays, a été advisé par lesdicts estats pour l’advenir, que la portion de la fille mariée, ainsi forclose de succéder par les moyens dessus dicts, accroistra ès masles seulement, s’ils veulent payer la dot à elle constituée, ou les reste d’icelle, en conférant ladicte dot, ou moins prenant de la part & portion, comme ladicte fille seroit, si elle succédoit, sans ce que, audict cas, les filles restants à marier puissent aucune chose prétendre en la portion de la fille mariée ».
33 Cette mesure ainsi que l’art. 29, XII (la fille forclose ne peut être rappelée au droit de succéder par acte de dernière volonté, le rappel s’inscrit dans le seul contrat de mariage et avec le consentement des mâles), ont fait dire à Du Moulin « qu’en Auvergne, le mot enfans ne comprenait pas les filles », à Jean de Basmaison que les filles « sont réduites à l’instar de l’étranger » et à Chabrol que « la coutume d’Auvergne est une des coutumes du royaume les plus sévères pour les filles ». Néanmoins il considère la forclusion des filles comme « une des matières les plus importantes de la coutume », ibid., p. 363.
34 Dans le même manuscrit Me Decombe note une même sentence rendue en faveur du nommé Vernière, contre Hugues Gorier, notaire à Thiers, confirmée par arrêt.
35 Le manuscrit de L.-A. Montanier (Mémoire de feu M. Amable-Louis Montanier, op. cit., fol. 6) mentionne ce rapport et donne sa date, 17 août 1634 ; Prohet donne une date différente, 17 juin 1654.
36 G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., t. 1, p. 460. Il ajoute que « le 7 septembre 1662 au rapport de M. Blich il fut jugé […] que l’accroissement avait lieu en ligne collatérale ». Me Marie cite la même sentence dans une note marginale ainsi qu’une autre du mois de mars 1641, rendue pour la succession d’un nommé Ceberet.
37 Note marginale de Me Marie recueillie par Chabrol et manuscrits de M. de Cambray, avocat et de M. de Serre, ibid., p. 461.
38 Ibid., p. 102.
39 Cité par G.-M. Chabrol qui possédait un exemplaire de son manuscrit, ibid., p. 461.
40 « L’existence de mâles ou de leurs descendants, est la seule cause par laquelle la forclusion coutumière doit avoir lieu. Il y avait donc une espèce d’injustice de faire profiter les filles non mariées de ce que la seule faveur des mâles avait introduit », cité par G.-M. Chabrol, ibid., p. 78.
41 Ibid., p. 461.
42 Selon le mot de J. Poumarède, J. Poumarède et A. Zink, « Du ressort du parlement de Paris à celui de Bordeaux, les procès-verbaux des coutumes d’Auvergne (1510) et des coutumes des Lannes (1513) », La coutume dans tous ses états. Recueil des Actes du colloque international pour la célébration du 500e anniversaire de la rédaction de la coutume d’Auvergne, dir. F. Garnier et J. Vendrand-Voyer, Paris, La Mémoire du droit, 2013, p. 92.
43 L’arrêt est rapporté par C. Henrys (I, 4, quest. 105), J.-M. Ricard et J. Brodeau dans leurs notes sur l’art. 25, XII (G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., p. 389).
44 Par le même principe, la fille mariée en pays de droit écrit, père et mère vivants, ne peut succéder en coutume d’Auvergne.
45 Il considère que les successions collatérales « sont taisiblement réservées à la fille par sa renonciation aux successions directes ». G. Consul, qui a « revu et beaucoup augmenté » la Paraphrase de Basmaison pense que cette prise de position n’est pas compatible avec l’interprétation des juridictions locales et attire l’attention sur « les opinions de l’Autheur qui ne sont pas suivies, & que les Arrests de la Cour, & l’usage ont changées ou condamnées », G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., « Préface ».
46 « Il seroit inutile que le père prit la précaution de la faire renoncer aux successions directes nommément, s’il n’entendoit lui réserver les successions collatérales ; qu’en assurant les unes, c’est l’exclure des autres, & que la disposition de l’homme fait cesser la loi », Traité des successions, livre 3, chap. 10, sect. 1, n° 8, al. 4.
47 Ibid., p. 389.
48 Ibid., p. 383.
49 Ibid., p. 380.
50 Ibid., p. 384.
51 Celui de l’auteur de l’article.
52 Le commentaire de Chabrol, considéré comme ouvrage de référence pour l’interprétation de la coutume est critiqué, parfois de façon virulente, à la veille de la Révolution par de jeunes avocats ouverts aux idées des Lumières et en particulier par Pierre Andraud, avocat à Riom qui, dans les domaines qui nous intéressent ici, conteste la position de Chabrol sur l’article 29, titre XII dans sa « Dix-neuvième dissertation sur la question de savoir si l’institution d’héritier faite dans un contrat de mariage saisit les enfans d’un autre mariage » comme dans sa « Deuxième dissertation sur l’article 31 du titre 14 de la Coutume d’Auvergne contre l’avis du nouveau commentateur dans la section 12 sur l’article 26 du même titre », dans J.- P. Andraud, Recueil, Riom, De l’imprimerie du Tribunal d’appel, s.d.
53 G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., p. 370.
54 La coutume d’Auvergne consacre le régime dotal, la puissance paternelle est admise avec quelques restrictions et modifications. Des influences réciproques sont constatées, ainsi en droit successoral la coutume autorise la représentation mais l’admet à l’infini.
55 Tixier le jeune, Discours sur le partage de l’Auvergne en pays de droit écrit & en pays de droit coutumier, Clermont-Ferrand, [s.n.], 1748 ; J. Hilaire, La vie du droit. Coutumes et droit écrit, Paris, PUF, 1994, p. 156-184.
56 G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit. : « Combien que par ci-devant les coustumiers dudict pays ayent été en altercation, si la fille mariée en premières noces, à laquelle n’avoit été faicte réservation de succéder, peut être rappelée à la succession de leurs parens en secondes noces, ou autre traicté de mariage : à cette cause a été advisé par les états dudict pays que doresnavant la fille mariée en premières noces, ne peut par sondict père ne autres parens de la succession desquels elle est forclose par ladicte coutume, en faveur des masles, estre rappelée à aucun espoir de droit successif, au préjudice d’iceux masles & leurs descendans, sans leur consentement, soit par second traité de mariage ou autrement ».
57 « Procès-verbal, Causes d’opposition, art. 29 », ibid., t. 4, p. 9-10. Sur cette cause d’opposition voir J. Poumarède et A. Zink, « Du ressort du parlement de Paris à celui de Bordeaux », art. cit., p. 96-97.
58 Sur la position de la pratique à l’égard de la puissance paternelle, voir J. Vendrand-Voyer, « Si la puissance paternelle a lieu en Auvergne. Conférences sur la coutume d’Auvergne tenues par MM. les avocats de la sénéchaussée de Riom », Droit romain, ius civile et droit français, dir. J. Krynen, Toulouse, CTHDIP, PUTC, EHDIP, 3, 1999, p. 375-392.
59 G.-M. Chabrol, Coutumes générales et locales, op. cit., p. 217.
60 Ibid., p. 51.
61 Ibid., p. 116.
62 Ibid., p. 218.
63 Ibid., t. 3, p. 415, Chabrol note que « M. Decombe cite un manuscrit de Masuer, dans lequel il disoit spécialement que […] ».
64 Selon Chabrol (Ibid., « Préface », p. v) « Fontanon qui l’a traduit, en ce dérange l’ordre, & quelquefois le sens. Il doit être lu dans sa langue originale ».
65 Les factums des avocats sont souvent des monuments d’érudition juridique et littéraire.
66 Pour reprendre les termes du jurisconsulte bordelais Bernard Automne sur la jurisprudence, G. Guyon, « Les décisionnaires bordelais, praticiens des deux droits (XVe-XVIIIe siècles) », Les recueils d’arrêts et dictionnaires de jurisprudence (XVIe-XVIIIe siècles), dir. S. Dauchy et V. Demars-Sion, Paris, La Mémoire du droit, 2005, p. 133.
Auteur
Professeur émérite à l’Université d’Auvergne
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