Chapitre III. La crise des idéologies et la vocation de l’Occident
p. 483-493
Texte intégral
"Quand on voit ce que la politique cléricale a fait de la mystique
chrétienne, comment s’étonner de ce que la politique radicale
a fait de la mystique républicaine ?
"Quand on voit ce que les clercs ont fait généralement des saints,
comment s’étonner de ce que nos parlementaires ont fait des héros ?"
Charles Péguy - Notre Jeunesse (1910)
1Les trois idéologies héritées du passé - chrétienne, rationaliste, athée - qui ont pesé sur l’homme du XXe siècle se disputant farouchement son adhésion, traversent aujourd’hui une crise tragique. Nous en avons tous bien conscience.
2A cette crise tous doivent répondre. Toutefois, puisqu’ils y ont joué un rôle prépondérant, les chrétiens se doivent de prendre l’initiative en vue de la débloquer avant qu’il ne soit trop tard.
3Contribuer à dégager l’Occident de l’impasse idéologique dans laquelle il risque de disparaître soudainement, c’est pour eux tous retrouver les voies de la restauration de l’unité par un vigoureux retour aux sources vives de l’Evangile, c’est cheminer encore et toujours sur les voies de Sion, c’est se reconvertir à Dieu.
4Un tel renouveau mystique s’impose si l’Occident doit demeurer à la hauteur de sa vocation.
5Le christianisme n’est pas une idéologie religieuse, mais une histoire, l’histoire des hommes avec Dieu. La foi au Dieu vivant de la Révélation judéo-chrétienne leur a révélé l’historicité de leur condition.
6L’existence des hommes a un sens, car leur histoire en a un. "A partir de l’événement unique et récapitulateur que fut et demeure la naissance du Christ, tous les événements du monde fournissent la matière de cette histoire. (…) Dans cette mesure, ils construisent le Royaume de Dieu."1 Signe des temps, ils sont le lieu de discernement de la présence active de Dieu parmi les hommes.
7C’est à la lumière du sens que je donne ainsi à mon présent et à l’historicité de ma condition, que je peux réellement comprendre le passé. Lorsque l’historien professionnel entreprend de restaurer ce passé à travers l’image qu’il en compose, grâce aux documents dont il dispose, aux méthodes variées qu’il applique, il n’en a pas pour autant saisi le sens et il ne saurait le saisir hors du sens qu’il donne à sa propre existence historique. Cela est particulièrement sensible en matière d’histoire religieuse. Tout au long de cet ouvrage, l’histoire de l’Occident chrétien nous est apparue comme la crise de la pensée et de la réification de la religion chrétienne dans l’idéologie. Le sens de cette histoire impliquait un parti-pris méthodologique, celui que Lucien Febvre avait défini lorsqu’il souhaitait voir "réincorporer la théologie dans l’Histoire et, par une démarche inverse, l’Histoire dans la théologie".2
8Pour notre part, il nous paraît aussi nécessaire d’entrer en historien dans le débat théologique, qu’en théologien dans le débat historique. Michel Despland a abordé cette importante question méthodologique à propos de la crise de la réification de la religion.3
9 1. - L’histoire européenne des idées de religion, à l’époque moderne, confirme la montée de la réification religieuse : on assimile pratiquement la foi à des croyances, et les apologistes protestants et catholiques défendent âprement des formes réifiées de leur foi chrétienne de plus en plus close dans des systèmes constitués. De leur côté, les historiens qui cherchent à comprendre ces affrontements héritent aujourd’hui des préjugés et des étiquettes venus de ces débats polémiques : la crise de la pensée européenne au XVIIIe siècle est présentée comme l’affrontement d’un âge de raison succédant à un âge de superstition, ou d’une ère de révolte succédant à une période de sagesse classique. On propose de voir, avant la crise un âge de foi, après la crise une époque d’incrédulité ; une époque d’avant les Lumières, à laquelle succède un Siècle des Lumières, etc.
10Michel Despland écarte ces deux manières de faire et d’écrire l’Histoire. Il souligne par là l’origine du mal religieux et du malaise des historiens. Le mal qui engendre la crise de la religion elle-même est dans la confrontation dialectique des adversaires. Le débat théologique a fait place à la dialectique idéologique appliquée à la religion. "Dans de telles crises, écrit-il, il est de règle que les deux adversaires se confrontent sur un mode belliqueux, plutôt que dialectique. Chacun lance des épithètes à la tête de l’autre. Et chacun réagit, ou accepte l’image que l’autre se fait de lui. Chacun est alors tenté de perdre de vue la lumière qui l’avait éclairé au départ, ou la vérité qu’il cherchait à enseigner, pour céder aux urgences apparentes de la controverse".
11On serait d’accord avec lui, sauf à reprendre son analyse pour chercher la cause profonde de l’invasion du débat par la dialectique et l’idéologie. Car c’est bien de dialectisation du débat qu’il s’agit lorsque des théologiens cessent de se placer sous la lumière de la vérité religieuse qu’ils doivent ensemble chercher, et se jettent à la tête thèses et antithèses, la thèse de l’un se voyant réifiée par la vision négative que l’autre s’en fait et vice-versa. Le résultat d’une telle confrontation "dialectique" est de substituer au dialogue illuminant une discussion âprement contradictoire qui aggrave la fuite en avant et la réification de l’objet du débat.
12Lorsqu’il s’agit du débat théologique, on assiste alors à la dérive de la foi vers la croyance religieuse, du débat théologique vers la controverse idéologique. Finalement, c’est l’esprit de la religion elle-même qui fait les frais de l’engagement, la foi dans son intériorité, le don de l’Esprit même, l’union de charité à Dieu et entre les hommes.
13 C’est ainsi que l’histoire chrétienne de l’Occident a été ponctuée, depuis le XIVe siècle, par l’histoire de l’idéologie religieuse. Michel Despland refuse d’écrire cette histoire en mimant ce processus aliénant. Il n’ajoute pas au mal de l’Histoire le malaise de l’historien ; on ne peut que l’en louer. Mais s’agissant de comprendre le sens de ces affrontements du passé, il ne suffit pas de décliner l’héritage et de répudier les étiquettes vétustes et les débats polémiques de jadis. Il faut entrer dans le débat théologique en historien et dans le débat historique en théologien, aborder la crise idéologique de la religion en Occident au double plan de la mystique et de la culture. Pour écrire cette histoire sans en évacuer l’objet véritable, mais en tentant précisément de le comprendre, il faut l’aborder du point de vue de l’intériorité mystique de la foi et de la réalité sociale et ecclésiale du mystère chrétien. Il n’ya pas de théologie, ni d’histoire, sans une théologie de l’Histoire.
14L’historien d’aujourd’hui peut-il oublier ce qui le sépare d’une société médiévale, voire d’une société baroque qui se reconnaît dans sa foi, son espérance et sa charité chrétiennes, alors qu’il appartient à un siècle qui a remplacé la foi par des croyances, l’espérance par l’espoir et l’amour de Dieu [et du prochain] par la sécurité sociale ? Est-il encore de plain-pied avec ces sociétés du passé et peut-il les comprendre s’il n’accomplit pas l’effort nécessaire pour entrer dans leur esprit chrétien ?
15Voici qu’il cherche à "découvrir comment fonctionnait la société qu’on appelle féodale". Il est conduit naturellement au mariage, car son rôle est fondamental dans toute formation sociale et, il le sait, "c’est par l’institution matrimoniale, entre autres, que les sociétés humaines gouvernent leur avenir et révèlent l’image qu’elles se font de leur propre perfection".4 L’histoire lui fait ainsi découvrir le moment précis où l’Eglise aux XIe et XIIe siècles, en instituant le sacrement, introduit dans le rapport social une transcendance partout exprimée qui traduit le dynamisme de l’acculturation de l’Evangile et de la Révélation mystique de l’union de l’homme et de la femme propre à la tradition judéo-chrétienne. Fantastique témoignage, irrécusable document, bien fait pour intriguer l’historien et l’inviter à tenter de percer l’énigme. Quelle est cette religion qui, au nom du Dieu révélé en Jésus-Christ, est capable de donner corps à l’union mystique de Dieu avec l’homme en l’inscrivant dans le programme de la reproduction génétique de l’être humain ? Pouvait-on imaginer plus haute perfection du lien social fondamental, plus haute promotion du rapport entre les sexes ?
16Les structures politiques et économiques du monde féodal, sa psychologie, ses mœurs enregistrent l’événement. L’idéologie religieuse affine sa conception du sacré : une fantastique mutation est en train de s’opérer à cet égard. Le sacré en s’incarnant dans le quotidien des hommes et des femmes s’intériorise et contribue puissamment à substituer, dans les mentalités chrétiennes, un réalisme du mystère à un merveilleux de la magie ou du rêve. L’historien qui n’entre pas au cœur de la théologie du sacrement de mariage risque donc de ne pas saisir sa réalité, sa puisante vertu de transformation culturelle de la société occidentale. Il en reconnaîtra les effets sur les structures et les comportements, mais il risque de laisser dans l’ombre, avec leur cause profonde, l’essentiel. La société médiévale ne révèle son sens que par référence à Jésus-Christ, à une vérité révélée qui ne surplombe pas l’histoire, mais qui est l’histoire, l’histoire de Dieu avec les hommes : Dieu se révèle à eux progressivement à mesure qu’ils se découvrent eux-mêmes dans leur propre mystère humain, y compris dans le mystère de leur sexualité.
17L’historien de l’idéologie chrétienne trouve là un domaine d’observation et de réflexion privilégié. Ce n’est pas la mystique chrétienne qui a culpabilisé chez les chrétiens le sexe et l’amour humain. C’est son retrait au temps de l’idéologie. Dès la fin du Moyen Age, à l’opposé de la réaction anti-sacramentelle d’un amour courtois prolongé dans un naturalisme paganisant, on voit apparaître un anti-féminisme farouche dans les traités moraux et les fictions poétiques. L’époque moderne n’a fait qu’accentuer encore cette vision négative du sexe et l’on sait comment Nietzsche et Freud en découvriront et en dénonceront les ravages. L’Eglise médiévale avait, au contraire, légitimé l’union des sexes et, dans le sacrement, l’avait consacrée dans sa vérité divine5, contre le mépris affirmé par les Cathares et les gnostiques.
18S’il en est ainsi, l’on peut dire que la vérité de l’histoire, dévoilée par la théologie, devrait avoir raison de solides préjugés toujours agissants dans l’esprit des historiens.6
19Que l’historien ait intérêt à entrer en théologien dans l’histoire, voire même à intégrer dans sa perception théologique la mystique elle-même, c’est ce que révèle encore le curieux renversement auquel nous assistons aujourd’hui au sujet de la chrétienté médiévale et de la "christianisation" de la société moderne. Jusqu’ici l’on pouvait croire que le Moyen Age était un siècle chrétien et que la "déchristianisation" des sociétés occidentales avait suivi l’époque de la "Renaissance". Il paraît qu’il n’en est rien. Le Moyen Age et les temps modernes étaient mal christianisés, si l’on en juge par l’ignorance religieuse des campagnes révélée par les missions de l’intérieur, dans l’ouest français en particulier.7 La christianisation n’aurait commencé à être effective qu’à partir du XVIIe siècle.
20En fait, il s’agit davantage d’interroger l’historien d’aujourd’hui sur l’idée qu’il se fait de la religion et de la foi chrétienne que d’analyser des documents révélateurs de l’ignorance des masses bretonnes du XVIIe siècle en matière de théologie trinitaire.
21A partir du constat d’ignorance théologique des simples fidèles d’une paroisse en état de mission8, incapables de répondre à une colle sur les Trois Personnes de la Sainte Trinité, peut-on conclure qu’ils n’étaient pas "christianisés" ? N’est-ce pas avouer tout simplement que l’on est prisonnier d’une certaine conception tardive de la "christianisation" qui met, bien à tort, l’accent sur la culture de l’écrit au détriment de la culture orale ?
22Plus encore, n’est-ce pas faire fausse route que d’oublier que la "christianisation" n’est pas affaire de catéchisme, mais de témoignage de vie et de pratique ? L’ignorance religieuse -ou ce que nous appelons ainsi- des simples va le plus souvent de pair avec une foi profonde. Les chrétiens du Moyen-Age n’avaient pas lu Erasme ; mais ils savaient la vie future et l’amour du Christ en croix, qu’ils ne mourraient pas comme des bêtes et que Marie était la mère des pécheurs.. Une telle foi christianisait et christianisera toujours plus qu’un catéchisme, fût-il du Concile de Trente.
23On en est réduit à l’évidence (qui prend de nos jours l’allure du paradoxe), à savoir que le temps de l’"idéologie chrétienne" a coïncidé avec la lente et progressive déchristianisation des sociétés européennes. Plus elles se sont cultivées, plus elles se sont déchristianisées de fait, et plus elles ont, précisément, laïcisé les "valeurs" chrétiennes. L’histoire de l’idéologie chrétienne illustre cette réalité incontournable.
24L’histoire religieuse des sociétés occidentales ne livre donc son sens qu’à la lumière de l’Evangile prise à la source même de l’inspiration mystique. La révélation chrétienne est historique et agissante dans l’histoire, beaucoup plus qu’au niveau des idées et des théologies, au plan de l’Esprit. Tout au long de cet ouvrage, c’est ce décalage entre l’inspiration et l’idéologie qui a été mis en évidence et qui a permis de comprendre l’évolution de la culture occidentale chrétienne. Mais l’idéologie chrétienne ne prend consistance aux yeux de l’historien qu’à partir du moment où celui-ci fait à la mystique la place qui lui revient dans l’histoire du christianisme, et qui est la première.
25Il faut aller plus loin et tirer de cette constatation la conclusion qui s’impose : l’Evangile humanise en divinisant ; si l’idéologie déshumanise, c’est parce qu’elle dédivinise. Le temps de l’Histoire se construit à l’intersection de deux dialectiques : la dialectique immanente du devenir des cultures humaines et la dialectique transcendante de l’action de Dieu dans l’histoire.9
26L’histoire unit ces deux dialectiques qui assurent la construction du Royaume de Dieu à travers le progrès des sociétés humaines. La relation à Dieu fonde la relation des hommes avec la nature et avec la société. Elle apporte au monde la maîtrise de son destin, le pouvoir de coopérer à l’œuvre divine de la sanctification divine et de l’acculturation de la foi chrétienne dans la diversité des cultures.
27Mais cette double dimension dialectique du réel historique n’est opérante qu’au sein de l’action divinisante que Dieu réalise avec le concours des hommes. Eux ont le pouvoir de disloquer ces deux dialectiques et de briser le lien qui unit la relation des hommes à Dieu et la relation des hommes entre eux. L’impasse de l’idéologie dans l’Occident chrétien depuis la fin du XIIIe siècle a consisté en cette rupture qui marginalise la mystique de l’union à Dieu par rapport à l’évolution sociale, et le devenir des sociétés par rapport à la mission spirituelle de l’Eglise.
28Dans ce divorce, la mystique et l’humanisme sont perdants, car leur union ne saurait être rompue. Ce qui se passe, comme nous l’avons vu, c’est que l’impasse sur le devenir de la culture conduit au sur-naturalisme et finalement à la dissolution du surnaturel lui-même dans la Fable mystique ; tandis que l’impasse sur la relation à Dieu conduit au sécularisme et, en fin de compte, à la déshumanisation et à la mort de l’homme même.
29L’on ne saurait donc viser "la fin de l’idéologie" en sacrifiant la dialectique transcendante à la dimension immanente de l’histoire ; ni inversement en répudiant la dialectique du devenir des cultures au profit d’une évasion pseudo-mystique. L’idéologie ne saurait être supprimée. Elle peut être prise en charge et maîtrisée par l’inspiration évangélique qui fonde à la fois la construction du Royaume et l’avènement de sociétés plus conformes à la nature de l’homme et au dessein de Dieu.
30 2. - La voie que l’Occident chrétien a suivie dans les temps modernes est une impasse. Au départ, c’est l’éviction de la mystique : on n’a pas su reconnaître dans la mystique de la foi ce que Jean-Paul II appelle "la voie de l’enrichissement pascal de la foi". La mystique chrétienne seule garantit le progrès humain de l’histoire, progrès dans la double dimension de la construction d’un monde conforme à Dieu et, simultanément, dans l’enrichissement pascal de la connaissance du mystère du Dieu révélé.
31Le rôle des chrétiens dans cette histoire de l’impasse de l’Occident a été doublement déterminant. Ils n’ont pas su se conformer aux exigences de l’Evangile. Ils se sont réclamés de ses valeurs en tentant de les promouvoir plus par les moyens de l’homme que par les moyens de Dieu. Leur rôle prééminent jusqu’au XVIIe siècle a fait d’eux la cible de leurs émules, les philosophes. Ceux-ci se sont également réclamés des valeurs d’un "christianisme" divisé de confessions, puis laïcisé, de plus en plus centré sur l’efficacité des moyens de l’homme seul et de sa science, face au Dieu de la foi et de l’Eglise.
32De l’humanisme clérical à l’humanisme laïc l’Occident a creusé sa voie dans l’impasse d’un christianisme de plus en plus idéologisé et éloigné de ses sources. Au terme, il découvre qu’il bute sur une culture d’origine et d’âme chrétienne, radicalement déshumanisée ; paradoxe aussi scandaleux que funeste. Il a conduit à cette civilisation techno-scientifique qui aliène plus que jamais l’homme à la machine, qui succombe sous ses propres productions, qui invente l’ordinateur et le robot mais qui déshumanise les hommes en les robotisant.
33La maladie de l’Occident est autant qu’on voudra politique, morale, sociale, économique : elle est avant tout théologique. Au fond, tous nos maux traduisent un mal de vivre radical dont nous avons bien conscience : occidentaux, nous ne savons plus nous situer devant Dieu. Le christianisme qui devait nous aider, en s’aliénant nous a compromis.
34La crise du monde actuel est bien une crise de civilisation, une crise spirituelle dont les chrétiens sont les premiers responsables. Mais nous n’avons pas à baisser les bras en attendant la catastrophe naguère prédite par les historiens - philosophes de la Théorie de l’Histoire, du Déclin de l’Occident ou de la mort de notre civilisation.10 Nous n’avons pas davantage à tendre les bras vers un futur problématique qui surviendrait par enchantement et incantation. Il faut mettre la main à l’ouvrage.
35La compréhension de notre passé rend possible la maîtrise de notre avenir, celui d’une civilisation mondiale et d’une communauté humaine nées du dialogue des civilisations et du choc des cultures.
36 Comprendre notre passé, c’est savoir que la civilisation européenne s’est développée dans la diversité des cultures nationales unifiées par le christianisme, mais que la formidable ressource d’inspiration et de réalisation humaine que représente l’Evangile demeure intacte et qu’elle peut permettre d’affronter aujourd’hui le défi de l’Histoire. L’Esprit, à l’œuvre dans la révélation historique de Dieu en christianisme, n’agit pas seulement à l’avant-garde des sociétés comme le soc qui laboure en profondeur pour ouvrir le sol aux germinations futures. Il opère en permanence et, sans cesse, ouvre pour chaque époque la voie vers une transcendance qui rend possibles les progrès et les mutations des cultures humaines. Est ainsi proposée en permanence la grâce de l’inspiration d’une religion et d’une morale ouvertes - ou la pesanteur d’une religion et d’une morale closes. L’ouverture mystique ou la réification idéologique.
37Le passé de l’Occident nous a acculés à l’impasse. La civilisation occidentale chrétienne est riche de l’héritage des trois idéologies qui ont modulé ses approches du divin et de l’humain : l’héritage prophétique d’Israël, l’héritage philosophique de la Grèce, l’héritage politique de Rome. Au cours de notre histoire, nous avons redécouvert ces cultures, de l’intérieur, car il y a coïncidence entre l’affaissement de la ressource spirituelle de l’Evangile et l’idéologie chrétienne qui, à partir du XIVe siècle, a réinventé le génie de ces trois Mères antiques que furent Jérusalem, Athènes et Rome11 : le prophétisme juif de l’imaginaire artistique, l’hellénisme de la spéculation philosophique et théologique, la rationalité juridique [romaine] de la pensée politique.
38Mais la vision chrétienne de l’Histoire n’y a pas trouvé son compte. L’inspiration chrétienne s’y est laissé réduire dangereusement, au lieu d’en surmonter les limites, d’en contester les contradictions, de les révéler à elles-mêmes dans leur vérité en les transformant par la vertu de son génie civilisateur, capable de porter à leur perfection les cultures qu’il assimile.
39L’anthropologie nous apprend que l’homme est un être qui modifie son environnement au contact de l’expérience et qui se modifie lui-même en fonction de cette action sur le monde. Toute connaissance humaine s’origine au sensible, y compris la connaissance suprême, d’origine divine par son contenu, qu’est la connaissance révélée de Dieu dans le christianisme. Cette connaissance n’est pas surimposée à la raison des hommes ; elle est engagée dans le processus historique de l’agir de l’homme sur le monde. Il y a développement progressif de la révélation définitive, progression intra-historique de la révélation trans-historique. Ces deux aspects historiques de la révélation sont distincts et unis. Les opposer ou les confondre, c’est ruiner, par excès ou par défaut, l’édification du Royaume, aliéner les hommes à l’Histoire ou les entraîner dans une Histoire vide de sens.
40La nature transcendante de la Révélation définitive en Jésus-Christ, et la nature historique du développement progressif de son contenu, définissent la vision chrétienne de l’historicité de la Révélation. Sur ces deux aspects du christianisme sont fondés sa mystique et sa culture. La mystique chrétienne se dévoie si elle sacrifie l’anthropologie au transcendant, et la culture chrétienne se dénature en idéologies bâtardes si elle lâche le transcendant pour l’anthropologique.
41 La question aujourd’hui posée concerne donc l’aptitude de l’Occident à affronter le choc des cultures, à prouver qu’il est encore apte à maîtriser le conflit des civilisations en retrouvant le dynamisme de l’Evangile et sa ressource divine et humaine. Sommes-nous capables de retrouver la vigilance spirituelle nécessaire ?
42Il faut contester avec vigueur la fermeture idéologique dont témoigne notre culture. Les peuples extra-européens qui ont adopté nos techniques et qui croyaient avoir assimilé le secret de notre puissance sont aujourd’hui à nos portes. Leur présence constitue pour nous comme la menace d’un Rapt de l’Europe12 par des nations qui, après avoir bénéficié de sa créativité, risquent de la déplacer. Mais le rapt de l’idée chrétienne par une Europe qui n’a pas su rester fidèle au message spirituel et humanisant de l’Evangile ? y pensons-nous ?
43 3. - En augmentant en nous, à l’infini, notre "capital-lumière", en laissant "luire sur nous le Christ" (Eph. 5,14), en nous rendant "puissants dans le Seigneur et dans la vigueur de sa force" (Eph. 6,10), nous nous préparerons à résoudre les problèmes de l’heure.
44Négativement d’abord, en abandonnant les sectarismes idéologiques hérités du passé. Reconnaissons la profondeur de cette pensée de Pascal : "On se fait une idole de la vérité même". L’Evangile, la Vérité vivifiante, la foi qui ressuscite, l’espérance qui soulève les montagnes, la charité qui comble les vallées, de tout cela nous nous sommes fait des idoles. L’ombre des Docteurs de la Loi a plané sur notre culture.
45Et puis, nous nous préparerons à résoudre les problèmes de l’heure positivement, en inventant de nouvelles voies d’approche, afin de surmonter nos conflits religieux et politiques. Vers un œcuménisme judéo-chrétien, la voie est ouverte à quiconque pense que le monde est un monde messianique. Juifs et chrétiens peuvent œuvrer positivement à cet avenir en travaillant à restaurer, au-delà de leurs idéologies historiques, le sens de la transcendance du Dieu de la Tradition, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. Que ceux qui accueillent dans la foi en Jésus le Messie de l’Alliance, et ceux qui l’attendent demeurent ensemble dans la foi primordiale en la Promesse infaillible. La foi en l’Eternel, l’Amen et l’Alleluia impliquent qu’ils prennent ce recul sur leurs idéologies.
46Quant aux chrétiens, le chemin vers leur unité retrouvée passe également par la révision de leurs idéologies respectives, à la lumière de leur héritage le plus originel.
47L’œcuménisme suppose la claire vision de ce qui, dans le passé, a constitué le facteur décisif de la rupture : la crise de l’intelligence surnaturelle des voies de l’Evangile. Cette crise, l’Occident chrétien l’a vécue en creusant le sillon profond de la division de l’Eglise. Il s’agit de savoir réaliser aujourd’hui la vérité et la plénitude des principes qui ont animé l’Eglise de toujours, progresser vers la profession d’une même foi apostolique, pleinement consciente de la double dimension mystique et humanisante de la révélation en Jésus-Christ. Une telle œuvre implique une conversion au mystère de l’Esprit, préalable à toute entreprise de critique des théologies de l’idéologie chrétienne, protestante ou catholique, car c’est l’Esprit qui fait l’Eglise en l’enracinant dans sa base.13
48 L’unité des chrétiens sera l’œuvre de l’Esprit. Elle ne pourra se réaliser que lorsque ces derniers auront retrouvé en Eglise le chemin de la contemplation mystique qui est leur part dans l’Esprit. Toute l’Eglise doit se convertir à l’Esprit qui l’assiste et la fait exister, clercs et laïcs, voués à la contemplation de son mystère. Mais la responsabilité du magistère est première et aussi celle des théologiens. "Une théologie qui se détache de la contemplation devient stérile et stérilisante".14 L’histoire de la théologie chrétienne apporte à l’appui de ces paroles du Pape la plus saisissante confirmation.
49Une théologie qui contemple est prophétique. Elle s’enracine dans le travail créateur et rédempteur de Dieu. Elle se développe dans la vision d’une religion et d’une culture où l’homme collabore à l’œuvre de Dieu. L’Eglise n’est pas chargée de conduire le monde, mais de le faire exister selon Dieu. La construction du royaume qui lui incombe passe par la prise en charge de l’édification du monde. L’Eglise se cherche elle-même et, pour se trouver, elle inscrit son visage dans le monde.
50Il en est ainsi parce que la foi chrétienne n’est ni symbolique ni idéologique, mais prophétique. Elle ne constitue pas pour l’intelligence de l’homme "un miroir symbolique des réalités célestes projetant leur mirage sur les choses et les hommes" - ce qu’elle avait tendu à être à travers le Moyen Age et les temps modernes. Elle est une lumière divine qui opère "au cœur de la nature humaine pour la réalisation de l’entreprise confiée à l’homme découvrant, dans la dignité de la créature et sa réalité profane, la perfection même de la puissance créatrice de Dieu".15 La foi qui anime ainsi la tâche humaine dans le monde en travail de Dieu est prophétique, elle est la foi de l’Eglise dans son rapport vital au monde.
51Cette foi fait percevoir les signes des temps dans une perception charismatique de la conjoncture, de la nouveauté de l’Evangile, sans autre charisme que le sien propre. Point n’est besoin d’une vision prophétique pour saisir la signification de Bandung, de l’émergence d’un épiscopat des pauvres en Amérique Latine, ou d’un syndicat qui lutte en terre d’athéisme pour soustraire l’homme à toute contrainte qui l’empêche d’agir selon sa conscience. Le caractère prophétique de la foi est impliqué dans la rencontre de l’Eglise avec le Monde. Dans la foi, en parfaite concordance, Dieu est présent au monde et l’homme agissant avec lui.
52Au contraire, une théologie stérilisée dans l’idéologie ne communique plus aux hommes la force de se sentir présents au monde dans la foi, la lucidité pour y lire les signes des temps et pour y agir conformément à la dimension prophétique de la foi. Elle les livre aux sectarismes idéologiques de ceux qui ne veulent penser qu’au ciel (intégristes) ou à la terre (progressistes), des partisans de la charité (gens de la droite) ou de la justice (gens de la gauche).
53Le mal est ancien, invétéré depuis les origines de la pensée politique (française en particulier) qui pose les problèmes en termes de conflit entre la théologie politique du Pape et la religion politique du Prince ; deux approches antithétiques qui se sont prolongées jusqu’à nos jours et qui se voient récupérées dans la théorie marxiste de la lutte des classes. Ses méfaits ont cumulé dans la division géopolitique du monde d’aujourd’hui et le conflit idéologique qui opposa les deux impérialismes militaires de l’U.R.S.S. et des U.S.A.
54Ce conflit au cœur de notre civilisation et de notre culture, en fait, oppose la politique théologique du monisme athée et matérialiste, et la théologie chrétienne du politique. Celle-ci est seule capable de surmonter la tragédie d’une civilisation d’origine chrétienne dévoyée dans l’athéisme. Le vieux conflit s’est radicalisé.
55Aujourd’hui s’affrontent deux théologies politiques, celle du système néo-libéral et celle du système totalitaire. Toutes deux sont confrontées à la théologie d’un Evangile qui, enfin, ose les défier et contester leur cynisme congénital, leur prétention à mettre la religion à leur service, le cas échéant à en fabriquer une, serait-ce un athéisme ou un spiritualisme.
56Mais la foi chrétienne, aujourd’hui revitalisée après des siècles d’aliénation politique et religieuse, retrouve les sources de l’Evangile. Elle conteste ces systèmes, les libéraux qui fondent une religion civile, ici, ou une défense de la civilisation chrétienne et de la sécurité nationale, là. Elle conteste les totalitaires athées qui ressuscitent la défunte théocratie césaro-papiste et instituent la plus effroyable des aliénations religieuses.
57La tragique ambiguïté de notre temps tient dans cet affrontement décisif de la politique et de la religion. La foi chrétienne, dans toute la force de son réalisme évangélique, doit contester résolument ces deux avatars de la théologie aliénée dans l’idéologie. Il n’y a plus de politique indifférente à la religion, ni de religion indifférente à la politique.
58L’actualité politique et économique nous fait prendre conscience de ce signe des temps : le Christ est à nouveau crucifié dans l’Eglise et dans les pauvres. Partout dans le monde, à l’Est comme à l’Ouest, au Nord comme au Sud, la contestation d’un monde riche et surarmé, crispé sur ses vieilles querelles idéologiques, coïncide avec la plus cruelle des répressions et le massacre des innocents. Dans le sang des martyrs un nouveau christianisme opère celui des pauvres des Béatitudes. Il nous presse d’entrer dans un nouvel univers mental, de nous convertir, d’ouvrir toute grande la porte au Seigneur qui vient et qui nous engage, le Seigneur Rédempteur des hommes :
"Car le cerf blessé
paraît sur la hauteur
à la brise de ton vol
il rafraîchit Ses Plaies"16
59L’erreur des idéologies -réformatrices ou révolutionnaires, spiritualistes ou matérialistes- qu’a connues l’Occident a consisté à entreprendre la réforme de l’Eglise ou la transformation de la société à contre-courant de la vocation historique de l’humanité. D’abord mythifiée dans l’idéologie théologienne, puis mystifiée dans l’idéologie philosophique, la religion en esprit et en vérité s’est vue conduite, de Hegel à Marx, à son ultime avatar dialectique : celui du matérialisme historique.
60Mais on ne saurait commander à l’histoire - comme à la nature - qu’en lui obéissant. Or les hommes sont hiérarchiquement ordonnés à Dieu, ou comme on le dit de préférence de nos jours, ils sont "programmés" par un Dieu créateur et sauveur qui cherche en eux des collaborateurs rendus capables de l’imiter autant qu’ils peuvent, opérant par la grâce et la vertu reçue de Lui, la purification, l’illumination et le parachèvement de l’univers créé.17
61Laissons donc s’éloigner dans le passé révolu du deuxième millénaire le Temps des Réformes et le Temps des Révolutions. Faisons face résolument aux Temps qui viennent, au Temps de la Réconciliation des religions, au Temps de la Convergence des cultures.
62Ne nous y trompons pas : les valeurs d’humanité auxquelles nous sommes voués - valeurs de fraternité, de liberté, d’égalité - nous sont venues du christianisme via notre idéologie du passé. Au nom de ces mêmes valeurs, les hommes, de nos jours, s’affrontent tragiquement. Elles ne prendront réellement corps parmi nous que dans la mesure où, nous convertissant effectivement, nous leur ferons faire retour au Christ, leur source et origine. Alors, mais seulement alors, nous entrerons en possession des ressources divines sans lesquelles ces valeurs disparaîtraient, nous avec elles et notre monde avec nous.
Notes de bas de page
1 P. M.-D. Chenu, « Un Concile prophétique », Le Monde, 11 octobre 1962.
2 Lucien Febvre, Au cœur religieux du XVIe siècle - Paris 1957, p. 58. Selon lui, cette "méthode d’avenir" devait conduire à des conclusions neuves, en particulier concernant le concept de nature (p. 66). Nous pouvons dire aujourd’hui qu’elle a permis également d’illustrer le concept de surnature.
3 Michel Despland, La Religion en Occident. Evolution des idées et du vécu. Paris, Ed. du Cerf ; Montréal, Fides - 1979, ch. XII.
4 Georges Duby, Le Chevalier, la Femme et le Prêtre, Paris, Hachette - 1981.
5 L’ouvrage de Jean-Louis Flandrin, Le Sexe et l’Occident, Paris, Le Seuil - 1981, ouvre à ce sujet des perpectives neuves et "paradoxales".
6 Le livre de Dom Jean Leclerq, Le Mariage vu par les moines au XIIe siècle - Le Cerf 1983, montre à quel point l’érudition historique relative à l’amour courtois (refuge de l’amour humain au Moyen Age) avait fait fausse route. L’union charnelle, pour les moines du temps de saint Bernard, était pour les époux un moyen de sanctification personnelle dans l’amour.
7 Jean Delumeau, Un chemin d’histoire, Chrétienté et christianisation, Paris, Fayard - 1981, pp. 154-187. V. 2e partie, p. 251.
8 Ib., p. 117, 128 et 151.
9 Jean-Yves Calvez, La Pensée de Karl Marx, Le Seuil -1956, pp. 628-635.
10 Arnold J. Toynbee, L’Histoire, un essai d’interprétation, Paris, NRF - 1951, et Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident. Esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle (1917-1922), Paris, NRF -1948.
11 J.-M. Paupert, Les Mères Patries, Paris, Grasset - 1982.
12 Díez del Corral, Le Rapt de l’Europe, Paris, Stock -1960.
13 Yves Congar, articles parus dans La Croix - janvier à août 1982 et 5 octobre 1983, et aussi La Parole et le Souffle, Paris, Desclée - 1984. "L’œcuménisme, écrit le P. Congar, est fondamentalement pneumatologique" (p. 204). Disons qu’il doit l’être et qu’il devra le devenir car l’unité entre les chrétiens requiert une christologie pneumatologique et une pneumatologie christologique.
14 Jean-Paul II, le 28 juin 1980, au personnel du Vatican.
15 M.-D. Chenu, Saint Thomas d’Aquin - in Nathan, Les grands écrivains du monde, pp. 174- 179. Voir aussi : "Un Concile prophétique", La Croix, 12 octobre 1982.
16 Cantique Spirituel, str. 12 : "Que el ciervo vulnerado / por el otero asoma / al aire de tu vuelo / y fresco toma". Jean de la Croix commente ainsi ces vers extraordinaires : Pour le Christ, c’est là brûler davantage d’amour pour l’homme. Pour l’homme, c’est s’enfoncer pour de bon dans l’épaisseur de la Croix qui conduit à la vie (12,5). C’est connaître les sublimes mystères de la sagesse de Dieu telle qu’elle éclate dans le Christ et dans l’union des hommes à Dieu, à raison de l’union entre la nature humaine et le Verbe de Dieu et de la correspondance entre eux et cette mystérieuse union.
17 Tel est l’enseignement de la tradition chrétienne depuis saint Paul. Tel est le langage du prince des mystiques, Denys l’Aréopagite. V. spécialement La Hiérarchie qui est dans les Cieux, Dionysiaca, éd. cit., 792, 4 et 798, 1-4.
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