Chapitre II. L’idéologie contemporaine et la théologie
p. 461-481
Texte intégral
1Si l’on veut dégager la leçon de l’Histoire de l’idéologie telle que nous venons de l’esquisser dans les pages qui précèdent, l’on peut dire qu’elle a mis en évidence le dynamisme d’une foi chrétienne en négatif, à l’œuvre dans les approches naturelles du savoir, du rêve et du pouvoir qui sont celles de la philosophie, de la poésie et de la politique.
2C’est la foi en négatif qui anime le processus interne de la culture de l’Occident moderne en marche vers l’athéisme. Il s’agit du processus de réduction des valeurs chrétiennes dans une vision sécularisée de l’existence humaine. Cette foi qui a produit (à partir d’une évolution normale) un progrès à rebours dans les acquis de la culture et qui finalement, en philosophie, en poésie, en politique a débouché sur l’aliénation de l’homme par l’homme, atteste néanmoins, d’une manière paradoxale, la nature spirituelle véritable de l’homme.
3L’histoire de l’idéologie chrétienne en Occident démontre par l’absurde, a contrario, que l’homme est destiné à s’accomplir au-delà de lui-même, non pas livré à ses propres pouvoirs, à son propre savoir, à ses propres rêves, mais en prenant appui sur le Dieu qui vient à lui, qui lui communique mystérieusement de sa force à lui et de son esprit. Le rejeter quand il vient à l’homme et se présente à lui pour le sauver, ce n’est pas nécessairement tomber dans l’irréligion. Ce peut être ne pas lui faire toute la place, se dire que le don parfait qui vient d’en haut est trop beau, que la terre n’est pas le ciel : c’est finalement livrer l’homme en solitaire à l’approche de l’humain et du divin, comptant sur ses seules forces pour s’accomplir. L’échec était à prévoir et aussi la démonstration que c’est folie pour l’homme de refuser sa vocation, sa véritable destinée spirituelle de créature : la vision de Dieu.
4S’il en est ainsi, la tâche de la théologie contemporaine est tout indiquée. Tirant la leçon d’une aventure qui est la sienne, l’aventure de l’idéologie chrétienne en Occident, elle doit apprendre l’Histoire et en dégager le sens. Cette théologie de l’Histoire doit aller de pair avec une prise en charge de l’actualité historique d’un monde qu’elle a laissé se dévoyer et s’aliéner dans l’athéisme et l’exploitation de l’homme par ses idéologies. Elle doit se fortifier dans la foi, récupérer sa ressource mystique pour être à même de renoncer définitivement à la tentation idéologique. Ainsi deviendra-t-elle capable d’accomplir sa tâche spécifique et de spéculer sur les réalités du donné révélé en demeurant fidèle à l’inspiration d’une foi vive d’où lui viendra toujours la lumière. De même sera-t-elle capable d’éclairer les hommes dans le contexte historique où ils vivent, sur le respect du divin et de l’humain, sur les conditions du progrès humain nécessaires au progrès du Royaume.
5On ne saurait dire que la théologie chrétienne, catholique ou protestante, ait été à la hauteur de sa tâche dans les siècles passés. Bien au contraire, l’idéologie c’est elle qui l’a produite. Sans outrance ni paradoxe, l’on doit dire que la théologie du passé a mis en œuvre une foi chrétienne qui, parce qu’elle s’était coupée de la raison, en même temps que de la mystique, a opéré comme une foi en négatif. Le séparatisme qu’elle a fait régner entre elle et la philosophie ne lui a permis de sauvegarder ni la théologie naturelle ni l’éthique humaine comme fondements de l’édifice chrétien. De ce fait, elle n’a plus été en mesure de maintenir au sommet la foi mystique, l’union spirituelle à Dieu comme principe pour l’homme de sa réalisation humaine et de sa perfection divine, bref de faire de la mystique chrétienne le principe d’intégration de l’humain et du divin.
6La nature et la grâce sont comme la base et la clef de voûte de l’édifice. Théologie naturelle et théologie mystique entrent ensemble dans la construction de la demeure de Dieu parmi les hommes. Mais lorsqu’elles ne se rejoignent plus, que la voûte est dressée sur le sable ou que le fondement est déporté loin de la clef de voûte, il n’y a plus d’édifice, l’intégration de l’humain et du divin n’est plus réalisée.
7Telle est l’impasse de la théologie contemporaine. Elle ne parvient pas à surmonter l’idéologie de la théologie du passé dont elle ne veut plus. Catholiques et protestants sentent bien que le monde aliéné qu’ils récusent est celui que leurs théologies et leurs divisions idéologiques ont produit. Mais ils ne savent pas comment récuser leurs théologies elles-mêmes. Ils s’y réfèrent encore sans toujours le savoir. De même, ils se réfèrent à l’héritage culturel du passé de l’humanisme chrétien ou laïque, de l’humanisme hégélien, voire de l’"Humanisme" marxiste cher aux révisionnistes contemporains.
8Impossible de dresser ici le panorama de la théologie chrétienne contemporaine ballottée dans le flux et le reflux de l’idéologie : théologie héritière du modernisme et obsédée par la démythification ; théologie de la libération gagnée à l’approche de la théologie politique marxiste ; théologie dialectique, enfin affrontée aux problèmes spéculatifs essentiels de l’idéologie théologique.
9Néanmoins ce que nous avons à dire permettra d’aborder dans une perpective neuve la discussion relative aux dialogues entre marxistes et chrétiens1. Nous devons nous borner ici à produire deux exemples hautement significatifs. Du côté de la théologie protestante, c’est la doctrine de Karl Barth. Du côté de la théologie catholique, celle de Urs von Balthasar.
10 1. - C’est toute l’histoire du passé de l’idéologie luthérienne (et calviniste) que Karl Barth a contestée, en lui reprochant, non sans raison, d’avoir esthétisé l’Écriture. Il a décidé de revenir à la Bible. Mais Barth, pour ce faire, lit la Bible en théologien, pas en mystique. Au lieu de surmonter l’idéologie théologique, il la renouvelle à nouveaux frais.
11En fait, Barth a emprunté à la philosophie de l’idéalisme allemand la forme de sa pensée et de son style. Cela s’explique parce que la philosophie allemande est fondée sur la théologie luthérienne du séparatisme de la théologie et de la philosophie2.
12 Mais dans cette forme, il a versé le contenu du message évangélique interprété par Luther et Calvin3. Seulement, ce message, ainsi interprété dans le sens de l’idéologie chrétienne, avait livré à la philosophie ce qui devait constituer la loi de sa logique interne : la scission intérieure de l’homme divisé contre lui-même, aliéné à Dieu et à l’homme. Le philosophe allemand a tiré sa méthode "du principe qui se pose et se présuppose lui-même" selon l’expression d’Urs von Balthasar, ou du moi qui se pose en se posant face au non-moi qu’il pose, selon Fichte. Tous les philosophes allemands ont tenté par là de restaurer l’unité du divin et de l’humain, de trouver la voie de la synthèse mettant un terme au séparatisme théologique de la théologie et de la philosophie. Peine perdue, puisque Dieu lui-même se voit au point de départ résorbé dans l’humain par l’homme qui le pense.
13C’est parce que Barth en est conscient qu’il replace l’homme nu devant la Bible. Mais il procède encore en théologien, pas en mystique. Lorsqu’il réintroduit ainsi la visée des philosophes allemands dans le contexte de la théologie réformée, il ne parvient pas à surmonter l’idéologie luthérienne, mais retrouve le paradoxe de la doctrine de la justification, le dualisme abrupt de la nature et de la grâce, l’opposition radicale de l’humain et du divin.
14La théologie barthienne est une philosophie religieuse appliquée à la spéculation sur l’Ecriture, une théologie luthérienne-calviniste mise à jour par l’intégration de l’apport des philosophes de l’idéologie allemande. Il en résulte que par rapport à cet héritage, Barth approche négativement seulement le mystère du décret divin de l’Alliance. La foi chrétienne fonctionne chez Barth en négatif, parce qu’il part de l’idéalisme allemand - qu’il dénonce - pour approcher le mystère de la Parole.
15Si pour les philosophes, Dieu se disait en l’homme et par l’homme, pour Barth, il ne se dit plus qu’à l’homme. Les philosophes avaient résorbé l’Acte divin -l’Acte pur d’exister- dans l’Être. Karl Barth, à l’inverse, résorbe l’Être dans l’Acte. La théologie devient ainsi un idéalisme philosophique de signe négatif, une philosophie religieuse renversée dans un théologie biblique. On comprend par là l’étrange et absolue exclusion de toute communication ontologique et de toute communion mystique entre Dieu et la créature observable dans la doctrine barthienne. La Bible ne disait-elle pas tout juste l’inverse ?
16Toute proportion gardée, et toute réserve faite sur le rapprochement, il faut constater que de Karl Marx à Karl Barth, la philosophie de l’idéalisme allemand se trouve introjectée, tantôt dans la négation de l’Esprit absolu, tantôt dans l’absolutisation de l’Esprit-Saint. Marx et Barth ont voulu révéler l’un et l’autre la misère de la philosophie. Mais la foi chrétienne travaille, au contraire, à en révéler la grandeur pourvu que l’intelligence de l’homme sache les accueillir l’une et l’autre dans leur mystère propre.
17La théologie dialectique de l’idéologie chrétienne établit un dualisme de l’objectif et du subjectif qui est radical chez Barth4. L’élément objectif, c’est chez lui l’action de Dieu ; l’élément subjectif, l’action de l’homme qui l’accueille.
18 L’action de Dieu va de la réconciliation à l’Alliance éternelle conçue par Dieu et à son fondement extérieur, la création, puis à l’action divine accomplie en Jésus-Christ.
19L’action de l’homme est la réponse subjective à l’action de Dieu, la participation active qui lui permet de connaître Dieu et de pratiquer l’éthique chrétienne.
20L’appropriation de la grâce réconciliatrice, l’accueil de la révélation, s’oppose ainsi à la réalité objective que constitue l’action divine accomplie en Jésus-Christ.
21Barth appelle cet accueil (c’est l’analogue de l’accueillance, du recibir de saint Jean de la Croix) Réalité (Wirklichkeit) subjective de la révélation ou encore réalisation (Realisierung) subjective de la réconciliation. Une telle dualité de réalités installée dans la théologie chrétienne vient réifier chez Barth des notions théologiques qui avaient conservé, chez un saint Jean de la Croix, leurs liens vivants à la théologie traditionnelle. La spiritualité chrétienne dans la doctrine de Barth s’est réifiée dialectiquement, elle s’est idéologisée.
22Tous les hommes appartiennent à Jésus-Christ en tant qu’il les a objectivement justifiés par son œuvre, sa mort et sa résurrection, élément objectif par excellence appliqué aux hommes par la justification. Mais tous les hommes ne s’approprient pas cette justification qui, elle se réalise dans leur entrée dans l’Eglise et par la foi. Dans l’Eglise elle-même, Barth distingue l’aspect objectif constitué par la prédication et le sacrement en tant que signes de la révélation, et l’aspect subjectif constitué par l’existence d’hommes qui croient5.
23Théologiquement, il en vient à opposer une théologie du Saint-Esprit qui associe ces deux éléments objectif et subjectif disjoints, à une théologie de la conscience chrétienne censée conçue de façon exclusivement subjective, se bornant à définir les états de l’âme chrétienne6. Le concept de "réalisation subjective du salut" signifie chez lui l’effort du théologien pour rendre compte de la vie spirituelle du chrétien. Mais c’est à partir d’une problématique dialectique qui, nous allons le voir, compromet la réalité mystique de cette vie. Dans la théologie de la deuxième époque de la réflexion de Barth, la réalité éternelle, "objective" de la révélation donnée en Jésus-Christ se fait chair, temps, et rejoint les hommes en cessant d’être cette réalité intemporelle, purement transcendante au temps qu’elle était dans la théologie de la première époque, celle du commentaire de Barth à l’Epître aux Romains. D’une époque à l’autre, le fossé dialectique ouvert entre le transcendant et l’immanent, entre Dieu et l’homme, entre l’éternité et le temps, entre l’incréé et le créé, tend à se combler. La réalité éternelle de la révélation cesse de limiter le temps de l’extérieur et de le déterminer extrinsèquement. Mais Barth ne parvient pas à combler le fossé ou plutôt à le supprimer en supprimant le dualisme lui-même, c’est-à-dire en renonçant à la théologie dialectique.
24Cela, Barth n’en est pas capable, car ce serait renoncer à Luther et tomber à nouveau dans l’erreur des catholiques, ces "idolâtres", ou dans celle des protestants libéraux du XIXe siècle. C’est pourquoi la théologie protestante de cette époque a, comme Barth, refusé de supprimer le fossé du dualisme pour réagir contre l’historicisme et le psychologisme7, contre l’idée d’une révélation totalement immanente au monde. C’est alors que commence le calvaire de l’idéologue : de peur de tomber dans l’immanentisme, il se condamnera à absolutiser la transcendance plus que de fait elle ne l’est en Dieu lui-même, à la transcendantaliser.
25Réagir contre l’immanentisme s’impose ; mais il faut aussi, et par opposition, reconnaître avec saint Jean que le Verbe s’est fait chair sans cesser d’être éternel pour autant8. C’est pourquoi Barth propose de voir, dans le Verbe s’incarnant la durée d’une vie humaine, se constituer un temps de la révélation dans lequel le temps de l’homme déchu est transformé dans le temps nouveau de la grâce. Ce temps nouveau est celui de la vie de Jésus-Christ, telle qu’elle apparaît à la foi, avec le passage de l’un à l’autre temps, d’Adam pécheur au Christ qui justifie. Croire, avoir la foi, ce sera donc avoir un temps réel consistant pour nous à vivre ce passage du pécheur au juste : simul peccator et justus9. En fait, Barth ne surmonte pas le dualisme originel de l’idéologie théologique, l’opposition entre le rapport de Dieu à l’homme et le rapport de l’homme à Dieu : il a seulement retrouvé l’intuition idéologique de Luther, réalisé une nouvelle synthèse des contradictoires. Il ne parvient pas à exprimer la réalité du mystère de l’Alliance et le côté positif de la divinisation de l’homme, bref une christologie chrétienne libérée de toute dialectique.
26L’examen de la théologie naturelle qu’entreprend Barth sur les mêmes bases idéologiques fait apparaître également que le mystère de la coopération de l’homme à son salut est perdu de vue. Barth ne peut envisager qu’une réception par l’activité humaine de l’œuvre exclusive de Dieu, aucunement une coopération à cette activité. Le chrétien est introduit par Dieu dans l’événement de la révélation comme celui qui reçoit et non comme un coopérateur10.
27C’est encore là l’effet de la dialectique disjonctive. Confondant l’œuvre de la réconciliation qui est l’œuvre de Dieu, avec Dieu lui-même dans la transcendance de sa nature, Barth oppose à celle-ci l’homme pris dans sa propre nature et l’activité de l’homme, comme le subjectif à l’objectif. Or, dans l’œuvre divine sont subsumées l’une et l’autre activité. C’est pourquoi, dans la théologie traditionnelle, l’opposition que Barth établit entre ces deux aspects objectif et subjectif de l’œuvre du salut n’est pas possible : elle affirme, au contraire, leur union sans confusion du rôle respectif de Dieu et de l’homme, le fait que Dieu sauve l’homme en le rendant coopérateur de son salut, participant de la nature divine - consortes divinae naturae. Ceci dit, elle n’entame pas la gratuité absolue de l’initiative divine du salut en soulignant simultanément que Dieu est au principe de ce pouvoir donné à l’homme de naître divinement, de devenir librement cette créature nouvelle qui fait de lui, naturellement et surnaturellement, un enfant de Dieu. La théologie catholique sauvegarde les deux aspects de la vérité du salut entre lesquels seule une théologie idéologique peut introduire une antinomie11.
28 La divergence fondamentale entre la théologie de Barth et celle de saint Jean de la Croix porte sur ce point essentiel.
29Pour Barth, que Dieu soit avec nous en Jésus-Christ, par sa puissance qu’est le Saint-Esprit, cela est vrai ; la Bible ne dit rien d’autre. Mais cela ne nous apparaît pas, étant vrai dans le Christ de toute éternité. La foi se borne à en accueillir le témoignage purement et simplement et l’Esprit scelle en nous son témoignage. Barth veut par là éviter de faire de ce qu’il appelle l’appropriation de la révélation, de la révélation "subjective", une seconde révélation qui, parce qu’elle serait opposée à la révélation "objective" compromettrait l’absolue gratuité de l’œuvre de Dieu.
30Ce dualisme de base l’empêche de se situer au point de la révélation où l’union de Dieu et de l’homme se réalise divinement, de toute éternité, comme dans le temps, dans le temps du Christ et dans le temps de chaque homme accueillant l’œuvre de Dieu, exactement comme Dieu l’attend de lui dans la foi et dans la contemplation "qui a lieu dans la foi". Cette réalisation divine n’est pas objectivable, elle échappe à tout regard dialectique. Elle est aussi mystérieuse qu’est mystérieux le Dieu qui en est le principe. Autrement dit, ce que l’idéologie ne peut concevoir, c’est que le mystère chrétien est précisément celui de notre coopération libre au salut, un salut qui se manifeste d’autant plus dans sa divinité qu’il suscite la libre coopération de la créature spirituelle et lui communique réellement le "pouvoir de devenir enfant de Dieu" (Jn. 1,12).
31La théologie catholique moderne avait également buté sur ce dilemme dans l’Ecole. La mystique chrétienne en avait sérieusement pâti. La théologie contemporaine de Barth ne le surmonte pas non plus et pour la même raison qui tient à la même problématique de l’idéologie dualiste. Cela explique l’exclusion de la mystique chrétienne dans la théologie réformée encore aujourd’hui.
32Si la réalité de la vie chrétienne selon la foi, prise du côté du sujet (la réalité "subjective" de la révélation en termes barthiens) est pur accueil sans coopération, elle se caractérisera comme miracle "et nous n’avons aucune autre possibilité d’être libres pour Dieu. On ne peut donc pas parler d’une aptitude que l’homme posséderait par nature à l’égard de la révélation. Elle est prêtée à l’homme… " On ne saurait non plus parler d’une aptitude que l’homme posséderait par grâce à l’égard de la révélation. La vie chrétienne consiste alors à réaliser subjectivement une communion avec Dieu qui est réalisée objectivement dans tous les hommes. L’apparition de ce concept d’une humanité générique réalisée dans l’Homme-Dieu, réalisée à part de l’humanité concrète de chaque individu, est le présage de la conception hégélienne et marxiste qui, nous l’avons vu, à partir de l’homme générique (ou social), devait aboutir à l’inversion matérialiste de l’idéologie.
33 Il est capital de souligner que l’analyse objective de la théologie luthérienne revue par Barth fait apparaître que la critique marxiste de l’idéologie est théologiquement fondée. Ce n’est pas Marx qui s’est trompé, c’est la théologie luthérienne. Marx (de même que Feuerbach ou Nietzsche, comme tant d’autres philosophes) a seulement pris la théologie selon Luther pour parole d’Evangile.
34Disons plutôt que le chrétien a le privilège provisoire d’anticiper sur le jugement, mais pas sur le purgatoire, en vue d’acquérir des mérites pour la béatitude future : la foi luthérienne fait du chrétien un homme qui possède une idée du salut dont il ne saurait vivre. Elle n’est pas une expérience religieuse, mais un savoir sur Dieu. Réagissant contre la tendance de la théologie protestante à se donner souvent pour objet la relation de l’homme à Dieu, plutôt que le rapport de Dieu à l’homme, Barth a concentré son attention sur l’action souveraine de Dieu et méconnu, à son tour, l’unité de l’expérience religieuse (dans sa pureté de l’union mystique à Dieu) et du don de Dieu, l’unité de la religion et de la révélation.
35On saisit l’impasse d’une telle théologie : voulant éviter le psychologisme religieux qui réduit la foi à un contenu divin de la conscience, Barth lui oppose un objectivisme théologique qui dénie à la foi sa réalité d’acte de l’homme actualisant, par grâce, une possibilité inscrite dans sa nature, cette merveilleuse possibilité de correspondre à l’opération par laquelle Dieu se communique. Il lui substitue une réalité miraculeuse, adventice, celle d’être l’acte de Dieu en l’homme déterminé par Dieu. Comment, dans ces conditions, l’homme est-il encore le sujet de l’acte par lequel il reconnaît la révélation divine "objective"?12
36L’impasse dans laquelle s’est enfermé Karl Barth est celle dans laquelle Schleiermacher s’était lui-même enfermé. Celui-ci avait prétendu surmonter le dualisme du rationalisme et du supernaturalisme piétiste, mais n’était parvenu qu’à naturaliser la transcendance du divin révélé. De son côté, face à cette "expérience religieuse", l’intellectualisme de Barth, son objectivisme dualiste, ont rendu impossible l’expérience spirituelle de la foi, celle dont l’Ancien Testament et le Nouveau parlent sans cesse, de la foi mystique. Une telle foi a été vidée de son contenu intrinsèque et de son dynamisme spirituel.
37La doctrine biblique du salut fait de l’homme le coopérateur de Dieu dans une œuvre dont l’initiative est réservée à Dieu. Accueillir la révélation et la grâce est, jusqu’au bout, un acte de l’homme. S’il en est ainsi, c’est qu’il y a dans la nature humaine non pas du tout le pouvoir de coopérer, mais la possibilité de répondre à l’appel de Dieu grâce auquel un tel pouvoir est reçu : "A tous ceux qui l’ont reçu, le Verbe venu dans le monde a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu" (Jn., 1, 12).
38Or, comme nous l’avons dit, au moment d’analyser la foi comme l’œuvre du Christ qui se donne à croire, la foi dans la relation à son objet, Barth confond toujours possibilité et pouvoir. Cette confusion est déterminante car la doctrine barthienne de la foi constitue en quelque sorte le centre de gravité de toute sa théologie13. Il répète inlassablement : "L’homme pécheur n’a pas en lui-même la possibilité ou la liberté de croire : il la tient exclusivement du Christ agissant par son Esprit-Saint". "Ce n’est pas lui qui exerce un pouvoir (mächtig ist) quand il croit, mais c’est celui en qui il croit qui exerce alors son pouvoir sur lui"14. La confusion de la possibilité inscrite dans la nature de l’homme et du pouvoir effectif condamne Barth à nier la réalité même de l’acte de l’homme dans la foi. Ce n’est plus lui qui agit spontanément sous l’animation de l’Esprit, c’est l’Esprit qui opère en lui, sans lui, souverainement. A la liberté chrétienne selon l’Evangile, au mystère de la libération de l’homme par la grâce et l’Esprit, on a substitué l’aliénation de la liberté sous la foi. Là encore, l’orthodoxie luthérienne des philosophes du soupçon, Feuerbach, Max, Nietzsche, est impeccable. Elle n’est pas biblique.
39On l’a compris, il y va de la vérité de la révélation chrétienne même. Lorsque l’on a peur d’identifier, coopérer à la foi et y parvenir soi-même, comme fondé en soi, frustrant par là le Dieu miséricordieux de sa Gloire et de la gratuité de son Don, c’est que l’on spécule non plus à partir d’une foi vive, mais d’une foi morte. La foi vive garantit contre un tel scrupule, parce qu’elle est l’expérience du don gratuit par lequel Dieu, dans sa miséricorde, se glorifie en l’homme sa créature. Lorsqu’il a créé l’homme à son image, Dieu a inscrit dans sa nature spirituelle la possibilité (et le désir) de le connaître tel qu’il est, dans le mystère de sa vie intime, sans du tout porter préjudice à la gratuité absolue de son initiative salutaire. Le pouvoir que l’homme reçoit du Christ et de l’esprit dans la foi ne saurait être un acte miraculeux, mais un acte profondément conforme à la nature de l’homme telle que Dieu l’a créée et tel qu’il la recrée plus merveilleuse encore, en la rendant capable de devenir telle qu’en elle-même l’éternité la change.
40Au contraire, chez Karl Barth, l’acte de la foi volatilise la créature et ladite "réalité autonome du sujet croyant", du seul fait qu’on a posé celle-ci comme telle, alors que la nature vraie de la coopération de l’homme à son salut est, au contraire, le signe de sa dépendance radicale à l’égard de Dieu.
41La conséquence en a été dégagée par Barth lui-même : la mystique catholique ne saurait exister. Elle repose, selon lui, sur une notion de la mortification et de la vivification comme reproduction de l’histoire du Christ. De même, lors de la consécration eucharistique et de la "transformation des éléments", en identité métaphysique avec ce qui est arrivé autrefois, s’effectuerait une répétition non sanglante du sacrifice du Christ au Calvaire15. C’est là une erreur, explique Barth, puisque la mortification et la vivification qu’implique l’imitation du Christ dans la foi ne sont qu’une image, une analogie, pas une actualisation, pas une répétition de la mort et de la résurrection du Christ16.
42On ne saurait mieux avouer que l’idéologie est aliénante. Parce qu’il refuse de faire comme si la vie du Christ avait à être réalisée par nous (mais qui soutiendra jamais pareille niaiserie ?), Barth enseigne qu’elle a toute sa réalité dans l’action que le Christ a accompli pour nous sans nous et que celle-ci ne requiert aucun complément. Notre foi se borne à l’attester17. Mais cette thèse est loin de correspondre à la pensée de saint Paul, chez qui notre foi personnelle et son exercice sont la condition de notre justification en ce sens qu’elles seules nous incluent dans le salut qu’apporte le Christ. L’action salutaire de la Croix et de la Résurrection s’achève, s’accomplit, dans notre foi active, ce qui ne veut pas dire que celle-ci soit exigée comme un complément, une répétition ou une reproduction de l’événement du Calvaire ; simplement, elle est rendue possible à partir de cet événement. Voilà pourquoi la foi active est le moyen immédiatement prochain de notre perfection chrétienne. Sur ce point, ce sont saint Thomas et saint Jean de la Croix qui sont d’accord avec saint Paul : la foi active achève en nous l’image de Dieu et nous conforme à lui selon notre ressemblance spirituelle avec lui, elle aussi œuvre de la même grâce18.
43Loin d’être une erreur sur la foi chrétienne, loin d’en être le mythe, la mystique catholique en exprime la vérité. Elle est plus que l’expérience intime du "sujet croyant" de Luther s’engageant personnellement dans le salut par la seule foi. Elle est engagement personnel du sujet recevant, comme il doit l’être, le salut du Christ au nom du Père, du Fils et de l’Esprit. Un tel engagement est rendu possible par le don de la foi dont l’énoncé commence, au Credo, non pas par un "Je sais" mais par un "Je crois en Dieu le Père tout-puissant et en Jésus-Christ son Fils unique". Là, seulement, s’inaugure l’entrée dans la vie du chrétien. Ni psychologisme, ni objectivisme : l’expérience mystique de la foi est celle de l’insertion du sujet dans le don objectif de Dieu, l’expérience de l’incorporation de l’homme au corps mystique du Christ qui est l’Eglise.
44 2. - L’influence de la problématique de la philosophie dialectique hégélienne sur Urs von Balthasar19 semble expliquer les limitations que l’on constate également chez lui dans la vision de la théologie chrétienne, qu’il s’agisse de la théologie comme science ou de la théologie mystique, bref qu’il s’agisse de l’enseignement de saint Thomas ou de celui de saint Jean de la Croix.
45Dans son grand ouvrage, intitulé De l’Intégration20, certaines affirmations attirent l’attention, car elles vont toutes dans le sens d’un certain dualisme théologique.
46On note tout d’abord l’insistance sur la gratuité du salut par rapport à la nature entitative de la grâce sanctifiante, insistance caractéristique comme nous l’avions souligné, de la théologie de l’idéologie chrétienne. Entre le christianisme et la philosophie antique, Balthasar établit un alignement, significatif, de la Bible sur la pensée antique. Selon lui, le Dieu biblique réalise le vœu païen, la théologie païenne étant une pré-ébauche insuffisante, mais pourtant utilisable de la compréhension théologique de l’homme par lui-même tirée de la révélation biblique. Il en est ainsi parce que l’idée grecque fondamentale d’après laquelle l’homme est orienté vers un salut qui dépasse la condition terrestre et qui ne peut se trouver qu’en Dieu, cette idée est "confirmée et approfondie par le christianisme". Avec précision (comme toujours), Balthasar va jusqu’à donner la clé de son erreur lorsqu’il se réfère à la bien scabreuse notion moderne du surnaturel entendu comme surnaturel modal. Il écrit : "Si l’on part des forces de l’existence terrestre, vouée à la mort, ce salut n’est absolument pas accessible sans le secours divin, sans que la divinité se dévoile à l’homme et se penche vers lui, et les réserves humaines n’y suffisent pas ; de plus, il réside dans une sphère "céleste" du monde, inaccessible à l’existence terrestre. On peut donc dire, en ce sens, que le salut est surnaturel".
47C’est donc bien sous cet aspect de la gratuité de la révélation chrétienne que le salut de la sagesse des grecs et le salut biblique se voient rapprochés au point de ne plus être réellement distingués par leur contenu lui-même. Mais si l’on prend le salut chrétien sous son aspect surnaturel intrinsèque, sous l’angle de la notion biblique de la Gloire de Dieu et du salut historique du monde réalisé en Jésus-Christ, les deux "saluts" s’opposent absolument comme s’opposent la vision antique de la nature (du divin et de l’humain) et la vision chrétienne de la chair et de l’Esprit.
48Le divin des grecs, c’est le surhumain, une totalité plus vaste de nature divine, terrestre et cosmique, qui pénètre dans notre cosmos ; et le salut des hommes, s’il y en a un pour eux, est dans le surhumain qui vient des dieux. Ce divin-là n’est pas encore le divin biblique et chrétien, entitativement surnaturel, créé dans l’homme au-delà de toute espèce de surhumanité gratuitement donnée. L’originalité absolue de la Révélation chrétienne concerne cette révélation du salut en Jésus-Christ comme pénétration de l’humain dans la réalité intime, céleste et personnelle du Dieu-Trinité (Heb. 9,9). Paul montre que même pour l’Alliance avec Israël "la voie du sanctuaire céleste" n’était pas ouverte et qu’elle ne l’a été que par le Christ. S’il en est ainsi du peuple de l’Alliance, à plus forte raison en sera-t-il ainsi du peuple des païens.
49Les anciens n’étaient pas parvenus à l’idée d’un Esprit "divinisant" la chair et l’esprit, la nature et Dieu, comme le fait justement la Parole de Dieu lorsqu’elle divise l’âme et l’Esprit afin que l’homme, entièrement dépouillé de son corps de chair (Col. 2,11), puisse devenir saint et participant de la nature divine (1P. 1,15-16 ; 2P. 1,4) introduit dans le Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ (2P. 1,11)21.
50On ne saurait dire non plus "qu’aussi bien pour l’homme de l’Antiquité que pour l’homme de la Bible et du christianisme, l’existant réel est celui à qui et en qui le divin s’est toujours déjà spontanément révélé, et qui est donc à la fois naturel et surnaturel"22.
51On ne pourrait le dire qu’à condition d’accepter de réduire la vision chrétienne du salut à l’ordre d’une surnaturalité purement modale, ce qu’à Dieu ne plaise, ni saint Thomas (pourtant longuement commenté)23, ni saint Jean de la Croix surtout n’ont fait. Par contre, c’est précisément là ce qu’ont précisément réalisé tous les théologiens modernes depuis la fin du XVe siècle, qu’il s’agisse des théologiens protestants ou catholiques24. S’il en est ainsi, c’est à réfuter cette vision des choses et à montrer comment c’est elle qui a présidé à la déstabilisation de la spiritualité de l’Evangile dans les derniers siècles du christianisme occidental qu’il est urgent de s’appliquer.
52On s’en persuadera d’autant plus que l’une des conséquences majeures de cette vision théologique caractéristique de l’idéologie chrétienne aboutit à laisser nos contemporains méconnaître la situation spirituelle dans laquelle ils se trouvent, la cause véritable de la marginalisation de la mystique des saints, dans l’enseignement comme dans la culture.
53Nous abordons ainsi le second point des remarques que nous croyons nécessaires de faire à propos de la problématique post-hégélienne de Hans Urs von Balthasar. C’est à propos de l’hypothèse de la nature pure, centrale, comme on l’a vu, dans la théologie moderne. Balthasar déclare en conclusion25 que si les théologiens modernes ont pu pousser l’hypothèse jusqu’à envisager avec insistance et passion la possibilité d’un achèvement purement naturel de l’homme, la théologie chrétienne n’a jamais voulu donner à cette idée plus qu’une signification hypothétique26.
54Il n’en est malheureusement rien. L’histoire de la mystique chrétienne précisément prouve le contraire. Comme nous l’avons montré ici-même, la théologie des modernes a développé toute une doctrine spirituelle accréditant (bien à tort car toute l’Ecriture clame contre elle) l’idée qu’il existe pour l’homme une perfection qui peut être dite naturelle parce qu’elle peut être acquise simplement avec les secours "ordinaires" de la grâce, une perfection qui se distingue formellement de la perfection chrétienne propre aux saints, laquelle n’est plus ordinaire et naturelle, mais extraordinaire et surnaturelle27.
55On doit constater, avec surprise certes, dans la théologie de Balthasar la survivance de la vision dualiste propre à l’idéologie chrétienne. Karl Barth se refusait obstinément à faire sa place à la théologie naturelle dans sa doctrine. Balthasar lui en fait une, mais il la coupe encore de la théologie surnaturelle. Au contraire de ce que faisait Barth - qui laissait vide la place de la théologie naturelle et suspendait la mystique chrétienne dans le vide - Balthasar en fait une fresque allégorique où philosophie et théologie sont ensemble confondues. Ce qui chez lui tient lieu de mystique, c’est cette fresque des grandeurs de Jésus qui renouvelle la "haute spéculation" (selon l’expression de saint Jean de la Croix) qui monnaie en spectacle et en représentations spéculatives ce que les mystiques se gardent de se représenter, parce qu’ils le vivent dans le secret de l’intimité divine de la foi obscure. Eckhart et Bérulle revivent dans cette construction théologique de haut style, dans une mystique spéculative qui pense les dogmes de la tradition et se les représente sur la scène imaginaire des visions mystiques28.
56Dans la vision dualiste d’Urs von Balthasar, la parole qui ressuscite, la Parole du Christ, est vue sous l’aspect d’une Parole "qui regarde en face la ruine", "la défaite terrestre", qui n’ouvre, somme toute, tout grand l’espace historique vers l’éternité que dans la mesure où elle disparaît de l’histoire29. C’est qu’il considère non la fin dans le moyen, mais le moyen dans la fin de peur de voir le chrétien céder à l’illusion de la victoire terrestre de l’homme seul.
57Mais cette théologie de combat, tragique parce qu’elle ne veut pas être platement optimiste, apocalyptique parce qu’elle a peur des mysticismes mous, est-elle encore conforme à la Parole et au Regard de Dieu ? Le Christ de Urs von Balthasar n’existe que pour la mort30, et bien qu’il souligne avec force l’immanence de l’Esprit-Saint dans la parole humaine du Christ31, il pense que celle-ci doit disparaître pour manifester qu’elle "se propose de durer plus longtemps que le ciel et le terre" (Mt. 24,25). Mais que devient alors la Parole du Christ disant que ses paroles ne passeront pas ? Que devient l’Esprit communiqué à l’homme à travers les paroles du Christ dans la foi ? Que devient l’existence du Christ pour la vie éternelle qu’il communique réellement à travers la mort (la sienne), continuée dans la mise à mort spirituelle de l’ascèse mystique de la foi ?
58Le regard de Dieu, le regard de miséricorde qui sauve (et pas seulement le regard de la puissance du Verbe qui crée le ciel et la terre, le jour et la nuit, l’esprit et la matière)32, le regard du père sur Marie, le regard de Jésus sur ses disciples ne peuvent-ils pas traverser la terre pour rejoindre le ciel ? Urs von Balthasar n’hésite pas à dire que l’homme "flotte dans le milieu fluide" de l’incarnation de l’esprit et de la spiritualisation du corps, comme entre Dionysos et Prométhée, et qu’il ne peut fixer ensemble définitivement la ciel et la terre33. Le regard du chrétien n’est-il pas capable de franchir ce "milieu" lorsque, répondant au regard que Dieu jette sur lui, il traverse la terre et l’homme créé et rejoint en Dieu son propre mystère en Jésus-Christ ?
59 On comprend mieux l’originalité de la spéculation théologique de Balthasar lorsque l’on se rappelle qu’elle ne se situe pas seulement dans le contexte de la phénoménologie de l’esprit de la tradition post-hégélienne jusqu’à Heidegger, mais résolument dans la problématique de la théologie de Karl Barth.
60Dès 1951, à propos du rapport de la nature et de la grâce, il adoptait cette problématique dont le "christocentrisme conséquent" pensait-il, pouvait et devait être développé "d’une façon authentiquement catholique"34. Cette double ascendance philosophique et théologique permet de rendre compte de l’"esthétique théologique" que Balthasar a élaborée dans la ligne de la tradition de l’idéologie chrétienne.35
61Cette "esthétique théologique" doit s’entendre au double sens d’une doctrine de la perception subjective et de la manifestation objective de la "Gloire" de Dieu. Elle occupe dans la synthèse balthasarienne la place laissée vide par l’éviction de la mystique de l’union à Dieu.
62On y retrouve tous les aspects de dualisme foncier de l’idéologie chrétienne36. Particulièrement significative, la problématique scotiste du dualisme de la Liberté Absolue de Dieu face à la liberté "authentique" de l’homme. C’est elle qui explique que tout en évacuant l’hypothèse de la pure nature - qui venait jadis fonder le primat de la grâce actuelle sur la grâce sanctifiante - Balthasar fait jouer à ce primat un rôle prépondérant dans sa théologie du retour au centre.37
63Dieu se fixe des limites - à sa Gloire, à sa Seigneurie (Herrlichkeit), à sa Liberté absolue - afin de rendre possible la rencontre de cette Liberté avec l’engagement libre de l’homme. Au cœur de la christologie, Balthasar dresse ainsi la "figure christique" archétype de l’intégration de l’Eglise et de l’homme dans la réalité trinitaire de l’Amour Absolu : c’est elle qui réalise dans l’histoire le "phénomène mystérieux e l’expropriation de l’homme et de son appropriation par Dieu" ; elle est "la manifestation de la puissance de l’Amour de Dieu et de la kénose du Fils", "la pauvreté indicible de l’Amour incarné et crucifié qui, de Maître, se fait esclave"38.
64Grâce à cette dramatique tension, Balthasar pense avoir surmonté la "gnose" des théologies qui exploitent contradictoirement tantôt le thème de l’évolution, tantôt celui de l’eschatologie. Son thème personnel, celui de l’Intégration, dépasserait l’opposition dialectique de la continuité/discontinuité des deux ordres de la nature et de la grâce. Est-ce vrai ? On peut penser qu’il n’en est rien et que l’Aufhebung prétendue masque seulement l’éviction de l’union mystique à Dieu qui, seule, est en mesure de la réaliser effectivement.
65Du moins tel est le rôle dévolu dans le système balthasarien à l’"esthétique théologique", celui d’opérer la synthèse éminente des contradictoires, tout entière distendue ente l’objectivité exemplaire de la figure archétypale du Christ (Urbild) et la subjectivité des représentations - "figurations" ou "ébauches" - que les saints, les artistes, les héros chrétiens expriment de la beauté de la Révélation. Jamais en effet la figure archétypale du Christ "ne descend dans l’ordre terrestre", et il faut se garder de l’y faire descendre "dans une théologie usurpée", afin de conserver à l’adoration "sa distance"39.
66Reprenant à son compte le dualisme barthien du Temps du Christ et du Temps de l’homme40, Balthasar assimile audacieusement l’existence temporelle du Christ au véritable monde des idées régissant toute histoire41. Dans cet "espace métaphysique" et "eschatologique"42 s’établiraient les "points de contact" entre Révélation et aspiration "religieuse", entre descente de Dieu vers l’homme et montée de l’homme vers Dieu. Une telle rencontre se fait "moyennant le scandale fécond de la Croix" dans le "renversement de la situation religieuse de l’Humanité", car après l’Evénement-Christ où Dieu a pris l’initiative, Il a "rencontré définitivement l’homme". Ainsi la révélation chrétienne ne détruit pas nos efforts religieux, mais elle les accomplit pour que nous accédions à Dieu grâce à ce "renversement" de la dialectique ascendante. D’où la nécessité absolue de poser le primat de la gratuité du salut.
67Dans cette perspective, la contemplation aura pour objet l’Evénement normatif du Christ, donnée objective de la Révélation, qui donne au "parcours chrétien" subjectif son orientation fondamentale43. On comprend alors que la christologie de Balthasar s’exprime à travers une "esthétique" qui symbolise l’expérience de la foi et est dite, dans ces conditions, "théologique". Elle est censée illustrer la "grâce de l’Amour" dans laquelle la Beauté propre de Dieu se manifeste comme Gloire et comme Vérité (Jn., I.14)44. A côté de "la Parole Foncière qui est l’Amour Divin manifesté en Jésus-Christ", Balthasar fait sa place à une "parole esthétique foncière de gloire" qui garantit à l’Amour manifesté la transcendance de ce qui est tout-autre et exclut absolument toute confusion entre cet Amour et "quelque autre amour, même personnel, se posant comme absolu"45.
68Balthasar pense avoir de la sorte surmonté le danger de la réduction cosmologique et celui de la réduction eschatologique inverse qui menacent la théologie contemporaine. En Christ se rencontrent et se séparent les chemins qui mènent de l’homme vers Dieu et l’Unique Chemin qui mène de Dieu vers l’homme46. Balthasar pense avoir catholicisé la théologie barthienne. Mais c’est encore au détriment de la mystique chrétienne.
69En effet, le dynamisme propre aux vertus théologales fait plus que de "relier le parcours chrétien au parcours christique" centré sur l’acte de mourir du Christ et l’état d’être-mort du Fils, en "construisant un pont véritable entre l’existence archétype de Jésus et notre existence chrétienne et ecclésiale"47. L’Amour absolu ne se borne pas à "constituer le centre vivant de la dialectique spécifiquement chrétienne de la distance et de la rencontre avec Dieu" (on reconnaît là l’impact de la problématique de Karl Barth sur l’esthétique théologique de Balthasar).
70Les vertus théologales, en vertu de leur dynamisme spécifique qui a sa source dans l’Amour divin dont le Christ nous a aimés, nous communiquent le pouvoir d’aimer Dieu et les hommes d’un seul et même amour, du même amour dont nous sommes aimés et autant que nous sommes aimés de Dieu en Jésus-Christ. Ce mystère de l’amour infus et électif est insondable : il constitue le cœur de la christologie et de la mystique chrétienne, donc de la théologie chrétienne. Il n’est pas possible d’édifier une christologie véritablement catholique en dehors d’une telle problématique.
71C’est pourquoi, dépassant toute tension "dialectique de la distance et de la rencontre", il faut affirmer que la charité surnaturelle introduit dans le "parcours chrétien subjectif" un réel pouvoir de coopérer à l’œuvre du salut, de participer effectivement au mouvement divin grâce auquel s’achève (dans une "intégration" dès ici-bas commencée autrement qu’en figuration esthétique) le "parcours transhistorique de l’existence humaine du chrétien" pour la Gloire de Dieu et le salut du monde.
72 On ne saurait surmonter les tensions que la philosophie48 et la théologie contemporaines connaissent encore tant que l’on se refusera de recourir à la problématique biblique et patristique de l’union à Dieu dans l’Esprit, c’est-à-dire tant que l’on n’aura pas répudié le préjugé anti-mystique de l’idéologie chrétienne du passé.
73Nous pouvons conclure en disant que la christologie dialectique de l’esthétique théologique de Urs von Balthasar rétrécit plutôt la vocation spirituelle du chrétien dans la mesure où le retour au centre qu’elle opère n’atteint pas le "concretissimum personnel" de Jésus-Christ, le point concret (sur-objectif et sur-subjectif) où Dieu et l’homme se sont une fois pour toutes rencontrés définitivement dans la Présence et l’Adoration.
74L’analyse qu’il conviendrait d’entreprendre ici dépasse les limites du présent ouvrage. Mais il importe de souligner que Balthasar ne fait que renouveler la spéculation des Rhénans de la fin du Moyen Age. A la suite d’Erich Przywara, en effet, il a concentré son attention sur le "Point insaisissable"49 du mystère de la rencontre gracieuse entre l’être créé et le Dieu vivant, le point "concret" de l’"Evénement-Christ" que Przywara appelait significativement le "point d’Eckhart". La même démarche qui superpose la métaphysique de la tradition platonico-augustinienne et l’expérience spirituelle chrétienne de l’Union à Dieu produit les mêmes effets que jadis dans la mystique spéculative d’Eckhart, l’ambiguïté : la divinisation de l’âme par retour au centre (le thème est déjà eckhartien) relève-t-elle de son "parcours vers l’Absolu de l’Amour" ou du "parcours de l’Absolu vers elle" ?
75On répond50 : la grâce débordante de Dieu en pénétrant au fond du "cor inquietum" de l’homme, rend possible la réponse humaine à l’interpellation divine, "tout en respectant l’authentique liberté de l’homme". Mais nous l’avons dit, le concretissimum du Christ, c’est le mystère de l’union des deux natures humaine et divine dans la Personne de Jésus, et la théologie traditionnelle n’a cessé d’y référer l’union mystique surnaturelle à Dieu. A ce niveau, la grâce va beaucoup plus loin que de permettre à l’homme, par la Croix du Christ, de répondre librement à l’appel de Dieu. Non seulement parce que l’homme dispose, d’entrée de jeu, de par sa nature même, de la possibilité d’une telle réponse si l’appel intervient, mais parce que la grâce lui donne réellement le pouvoir inouï d’y répondre en devenant, par là même, enfant de Dieu.
76Dans le "retour au centre", un tel pouvoir signifie une pénétration, mystérieuse sans doute, mais réelle, qui va bien au-delà de tout ce qu’une vision dialectique de spéculation en mal de sublimation (Aufhebung), est capable de proposer au "parcours subjectif de l’homme".
77 Le mérite de Balthasar est d’avoir vu qu’il fallait absolument que la théologie de l’histoire surmonte l’opposition de l’évolution et de l’eschatologie. Il s’est interrogé sur les causes profondes de la rupture interne de la pensée chrétienne entre dogmatique et ascétique-mystique (Im Raum der Metaphysik. 1965). Il a affirmé que la Réforme protestante et la Contre-réforme catholique avaient vu le danger d’une réduction cosmologique et anthropologique du fait chrétien. Selon lui, les deux avaient placé le centre de la foi "trop bas". Les protestants avaient voulu assurer la crédibilité du christianisme en insistant unilatéralement sur l’Ecriture, les catholiques en ramenant tout sous le dénominateur formel du magistère ecclésiastique51.
78Mais Balthasar, à son tour, a placé trop bas le "centre de la foi". Comme les réformateurs de jadis, protestants et catholiques, il l’a cherché au cœur d’une théologie chrétienne frustrée de sa mystique.
79En christianisme, l’Amour n’est pas seulement digne de foi (glaubhaft ist nur Liebe), il est source d’une foi diviniforme, d’une foi de ressuscité qui ressuscite, principe d’une vie mystique, cachée, secrète, qui laisse loin derrière elle toute représentation, même et surtout glorieuse, en tant que matière de spéculation ou d’esthétique "théologique", loin derrière elle (et infiniment) toute kénose esthétisante, serait-ce celle qui invoque une kénose de la Croix52.
80 3. - On ne saurait en christianisme faire l’économie de la mystique. Une telle impasse sert seulement à entretenir dans la théologie chrétienne le prurit de la dialectique. Celle de Urs von Balthasar a fait face à la tentative plus ancienne du P. Teilhard de Chardin destine à ouvrir la théologie de l’idéologie chrétienne à la vision scientifique de l’évolutionnisme. Un tel scientisme théologique, qui fait pendant à l’esthétisme théologique, ne fait que renouveler pour nous l’aventure de l’amalgame de l’hermétisme et de la rationalité scientifique qu’avaient couru nos ancêtres de la Renaissance à la fin du Grand Siècle53.
81Ainsi assistons-nous au paradoxal spectacle d’une philosophie religieuse divisée contre elle-même, d’un côté celle qu’inspire l’approche de la religion naturelle à un Teilhard de Chardin et, vis-à-vis, celle que l’approche d’une théologie surnaturaliste dicte à Urs von Bathasar. Sur la scène de la théologie contemporaine l’idéologie récurrente produit encore parmi nous de faux débats et de vaines querelles54.
82 Mais le paradoxe fait mal lorsque le préjugé anti-mystique de la tradition moliniste et suarezienne trouve un écho dans le teilhardisme de celui qui, mieux que personne, a signalé l’origine de l’idéologie théologique des modernes. Le Père de Lubac prend parti dans le débat et opte pour Teilhard sous prétexte qu’il a renoué avec la vision traditionnelle du désir de nature qui tend la créature spirituelle vers l’Oméga surnaturel et divin du cosmos (alors que Karl Barth reniait cette tradition et que Urs von Balthasar ne parvenait pas à la retrouver réellement). Sans voir qu’il apporte ainsi de l’eau au moulin de l’idéologie chrétienne qui empêche d’entrer dans le mystère que désignent pour nos contemporains et la foi et la science55.
83Tout se passe aujourd’hui comme si nos constructions théologiques ressemblaient à des échafaudages qui empêchaient d’entrer dans la Maison. Nos pseudo-"synthèses" philosophico-théologiques constituent autant de fausses fenêtres plaquées sur la mystique de l’Evangile.
84Notre théologie de chrétiens frustrés (de leur mystique) produit encore de nos jours une haute spéculation christologique hégélianisante, raffinée dans l’Ecole, mais pastoralement inféconde dans la mesure même où elle entretient dans l’Eglise un prurit spéculatif frustrant du côté de la nécessaire conversion mystique de l’intelligence chrétienne (si nécessaire non seulement aux clercs, mais aussi aux laïcs). Pour y porter remède, six siècles après Gerson, la théologie professionnelle doit se réformer et se convertir selon l’Esprit. La sainteté de l’intelligence qui contemple dans la foi peut seule ouvrir l’accès à l’intelligence de la sainteté, fonder - entre autres - une christologie de la sainteté de Dieu, une christologie plus pneumatologique et donc plus théocentrique. Un tel redressement de notre théologie - et de notre ecclésiologie - passe nécessairement par le "retour à la mystique"56. Notre théologie aboutit à son point de départ, celui de la théologie esthétique de l’idéologie, une théologie qui annule l’histoire et qui est en réalité intemporelle et allégorique. La mystique évangélique y est tenue à distance.
85 A l’inverse, par fidélité à l’Evangile, elle devrait prendre ses distances par rapport à toute idéologie, se faire, par là même, présente à tous les courants de l’actualité, sans opportunisme, en allant à la vérité par la Vérité. Ainsi plantée au cœur de l’aujourd’hui des hommes, elle serait en mesure d’être pour eux mère et maîtresse, dans la vérité divine de leur histoire. La théologie de demain devra se jeter dans la mêlée humaine, parce que c’est la mystique de l’Evangile qui l’en presse. A cette condition, elle pourra contribuer à la maîtrise des conflits d’un monde aliéné, de ses espoirs et de ses désespoirs, de ses assurances trompeuses et de ses fascinantes interrogations. Elle pourra enfin travailler, en pleine pâte d’histoire humaine, à l’œuvre indispensable de la réconciliation de l’homme avec lui-même. La condition, l’unique moyen, est que l’homme se réconcilie avec Dieu en se laissant libérer par Lui.
86Protestante ou catholique, la théologie moderne contemporaine a été allergique à la mystique du Nouveau Testament du fait de son enlisement dans le séparatisme. Du côté protestant, c’est pourtant l’Ecriture qui est invoquée comme fondement de la foi, du côté catholique c’est aussi la Tradition. Il ne suffit donc pas de se référer ni à l’Ecriture, ni à la Tradition conjointement, pour faire droit à l’esprit de l’Evangile, qui fonde la mystique chrétienne de l’union à Dieu dans le Christ par la puissance de l’Esprit.
87En réalité, le séparatisme ne permet pas d’unir intimement Ecriture et Tradition, autrement dit de plonger ses racines dans le courant profond de la tradition vivante de l’Esprit-Saint dans l’Eglise. A fortiori, lorsque l’Ecriture a cessé d’être incorporée au-dedans de cette Tradition, elle ne communique plus avec les hommes dans le Christ vivant, par l’Esprit qu’il leur envoie et par le moyen des sacrements d’une Eglise qui est elle-même sacrement de la présence de Jésus-Christ parmi les hommes.
88Sans mystique, pas d’Eglise capable de surmonter la rupture confessionnelle que l’ellipse de la mystique a rendue possible. La mystique seule fait pleinement droit à l’Ecriture - à l’Ecriture dans l’Eglise comme au sacrement de sa vie secrète - et pleinement droit à l’Eglise - à l’Eglise épouse du Christ dans l’union de l’Esprit.
89Un effort décisif de la théologie occidentale qui passe par la restitution de la mystique à la vie chrétienne prise dans toute son extension personnelle et sociale, individuelle et collective, doit permettre de poser les bases véritables du retour des chrétiens à l’unité. Un tel effort rendrait les fidèles réellement disponibles à l’œuvre de l’union et de l’unité, d’une réconciliation que seul l’Esprit-Saint peut aider à accomplir dans le monde.
90Pareillement, c’est parce que notre théologie occidentale est frustrée de sa mystique qu’elle se révèle impuissante à répondre au défi de l’athéisme.
91Il convient, en effet, d’observer que la libération chrétienne personnelle et collective annoncée par l’Evangile - et que seule la fidélité à sa mystique intégrale permet de rendre effective - se voit de nos jours paradoxalement mystifiée au sein de la conscience chrétienne elle-même.
92Karl Marx n’est pas le père de la théologie de la libération ; mais les théologiens qui ont inventé cette théologie ont été conduits fatalement à réinventer un certain "marxisme" - qui se veut chrétien - faute d’avoir repéré dans la marginalisation de la mystique la cause de l’aliénation religieuse et sociale du christianisme occidental, la dimension spiritualiste y résorbant la dimension séculière. Selon eux, le chemin de la charité active passe nécessairement par la transformation révolutionnaire des structures politiques et sociales du monde occidental.
93Mais pour être libératrice, la théologie chrétienne n’a pas besoin de se marxiser : il suffit de la prendre telle quelle, c’est-à-dire telle qu’elle devrait être, selon toute l’amplitude de l’esprit et de la vérité de sa mystique, la mystique de l’Evangile.
94Sans qu’elle en dépende doctrinalement, cette théologie est apparentée au marxisme pour des raisons profondes qui tiennent au fait qu’elle entreprend la critique de l’aliénation religieuse et sociale sur les mêmes bases que la critique feuerbacho-marxienne, au lieu de la mener à partir de l’Evangile lui-même et de la mystique chrétienne. Ils rendent responsable de l’aliénation globale un cléricalisme qui n’est en réalité que le premier effet de la rupture spirituelle et du retrait à l’égard de la mystique observable en Occident depuis au moins quatre siècles. Confondant l’effet et la cause, ils pensent qu’il suffit d’opposer au cléricalisme un sécularisme pour restituer au christianisme sa puissance effective de libération. En fait, leur praxis mystifie la pratique chrétienne du combat pour un monde plus juste, parce qu’elle ne se fonde plus sur la mystique de l’Evangile dont ces théologiens ont encore mauvaise conscience. Chez eux la dimension séculière résorbe la dimension spirituelle. Pareillement, leur ecclésiologie résorbe le Peuple qui naît de l’Eglise dans une Eglise "qui naît du peuple". De là le drame de la lutte des sociétés latino-américaines profondément chrétiennes pour leur libération : elles doivent soutenir le combat tout en se démarquant d’une théologie mystificatrice au "second degré"57.
95L’entreprise est certes ardue. Mais l’histoire de l’idéologie chrétienne n’est pas l’histoire de l’Eglise ; elle est seulement l’histoire de clercs qui ont trop souvent contrarié le magistère, plus qu’ils ne l’ont aidé, à accomplir sa mission dans l’Eglise et dans le monde. C’est par ses saints que Dieu conduit son peuple lorsque les scribes et les pharisiens lui sont infidèles. Sous ce rapport, l’histoire de l’idéologie chrétienne n’est que la face visible d’une intra-histoire ou d’une théo-histoire qui est la véritable histoire de Dieu parmi les hommes.
96Néanmoins, c’est au cœur du processus de l’idéologie en marche vers sa sécularisation selon l’athéisme qu’il faut s’attaquer, au processus de la réduction du révélé chrétien dans l’homme ou, comme nous l’avons dit, à l’œuvre de la foi en négatif que nous avons rencontrée dans toutes les approches de la religion (naturelle, poétique, politique) et qui a produit la négation et, à partir de là, le progrès à rebours dans leur ligne de la philosophie, de la poésie, de la politique dans l’aliénation de l’homme par l’homme.
97Mais cette foi en négatif porte en elle sa leçon. Elle atteste la véritable nature de l’esprit humain, et qu’il est fait pour s’accomplir dans l’union au Dieu qui se communique à lui, que le rejeter, quand il se présente, non pas dans l’irréligion mais dans le refus d’ouvrir la religion au don parfait, c’est finalement livrer l’homme en solitaire à l’approche du divin et de l’humain, et le condamner à ne compter en vue de s’accomplir que sur ses propres forces uniquement. L’échec est inévitable ; mais la leçon est manifeste : elle démontre qu’il y a folie à refuser sa vocation et à assumer sa véritable destinée spirituelle. C’est cette leçon qu’ont comprise depuis deux ou trois générations ces grandes figures de la pensée dont s’honore spécialement l’Occident, de Bergson et Blondel à Gilson et Maritain. A l’opposé de la foi en négatif, ils ont mis en évidence la fécondation des approches humaines par la foi, qu’il s’agisse de la profonde réflexion métaphysique d’Etienne Gilson, de la critique de la philosophie politique et morale de Maritain, des vues de l’un et de l’autre sur l’art et la poésie. Ils se sont affirmés courageusement philosophes "parce que théologiens", parce qu’ils ont professé la doctrine de l’Evangile et la foi de l’Eglise. L’erreur fondamentale de l’idéologie chrétienne s’est vue démasquée chez eux, pourrait-on dire, in vivo : elle tient à la visée du christianisme et de la transcendance de sa Vérité. Ils ont à nouveau fait voir que la vérité chrétienne est transcendante, parce qu’elle opère en transcendant la simple vérité rationnelle, mais que ce faisant, elle l’accomplit au-delà d’elle-même ; que la foi en la Parole de Dieu qui introduit dans le mystère de la vie divine, élargit aussi, par là-même, les perspectives de la philosophie et permet de juger du dedans toute doctrine pour la "sauver" (alors qu’au contraire la philosophie qui se veut "neutre" ou bien s’y perd ou bien ne la juge que pour la condamner).
98La leçon est bonne pour le philosophe ; mais elle l’est aussi pour le théologien et l’historien.
99Le premier n’est pas un penseur qui spécule sur les dogmes pour se les représenter. Il est plutôt un veilleur qui, évitant toute tentation idéologique, résolument appuyé sur la positivité de la foi, a vocation d’éclairer les hommes dans le contexte de leur existence historique sur le respect du divin et de l’humain, sur les conditions du progrès humain nécessaire au progrès du Royaume. Le second doit se faire théologien, quoiqu’il en coûte, car le Christ est la vérité de l’homme et la vérité des cultures et des sciences de l’homme tout aussi bien. L’historien d’aujourd’hui doit ouvrir l’horizon clos, indûment clos, des sciences historiques, afin de vider celles-ci de l’a-priorisme idéologique pour qu’elles servent réellement non seulement la connaissance, mais le progrès de l’homme dans son histoire.
100Ce n’est pas le moindre des aspects du paradoxe de l’idéologie que le séparatisme qu’elle a introduit entre la théologie et l’histoire, et l’on peut à juste titre demeurer surpris de constater que dans son évolution la théologie moderne s’est intemporalisée autant et en même temps que l’histoire s’est aliénée à toute théologie. Que le théologien doive se plonger à nouveau dans l’histoire qui se fait, et que simultanément l’historien doive se référer à la théologie pour comprendre le sens de l’histoire qui s’est faite, c’est la conclusion qu’à l’envi historiens et théologiens semblent prêts de nos jours à tirer de leur pratique. Acceptons-en l’augure.
Notes de bas de page
1 En particulier, l’analyse critique de la Théologie de l’espérance, de J. Moltmann ou de la Religion du futur absolu de K. Rahner et, bien sûr, celle de la Théologie de la Révolution et de la Théologie de la Libération. Sur ce point, l’ouvrage de Manfred Spieker Neomarxismus und Christentum (Paderborn, 1974) offre une excellente base d’information. Voir aussi José María Díez Alegría, Teología frente a sociedad histórica, Barcelona 1972.
2 Le P. Bouyer a monté les affinités de Barth et de Kant, Du Dieu caché au Dieu révélé, 1950, pp. 244-254 ; Du protestantisme à l’Église, 1954, pp. 132-136 et 238-240. Th. Siegfried en a fait autant pour Hegel (1930). Voir Henri Bouillard dans son grand ouvrage Parole de Dieu et Existence humaine, Aubier 1957, t. 2, pp. 293-299.
3 Urs von Balthasar : Karl Barth, Darstellung und Deutung seiner Theologie, Cologne 1951.
4 Ce point a été excellemment mis en évidence par Henri Bouillard, o.c., t. II, IIe partie : La Réponse de l’Homme, p. 9, n.2.
5 Dogmatique, IV, t. 1, pp. 162-164 et I, 2, pp. 242-243.
6 Dogmatique, III, 3, pp. 370-371.
7 Henri Bouillard, Genèse et Evolution de la Théologie dialectique, 1957, p. 13. C’est là ce qu’ont fait dans la première moitié du XXe siècle Thurneysen, Gogarten et Brunner.
8 Ib., pp. 11-12.
9 Ib., pp. 236-238.
10 H. Bouillard, Parole de Dieu, p. 18.
11 Il en va de même de l’eschatologie que Barth aborde à propos de l’éternité divine. Les réformateurs avaient mis en relief unilatéralement le fait que Dieu précède le temps. La vie humaine apparaissait comme le simple développement d’un décret divin éternel. Face à ce pessimisme, la théologie protestante au XVIIIe et au XIXe siècle avait mis en relief de façon quasi-exclusive l’autre aspect du rapport de l’éternité divine au temps, selon lequel Dieu l’accompagne et lui est présent. Elle avait ainsi couru le risque de faire perdre à l’éternité son contenu positif pour devenir purement immanente au monde et à l’homme. La réaction de Barth contre cette théorie qui dissout la "foi" dans la "religion" (par ex. chez Schleiermacher) redécouvre l’eschatologie en soulignant que Dieu est aussi le terme et l’achèvement futurs de notre existence. En cumulant ces trois étapes du développement de l’idéologie réformée, on ne restitue pas encore la théologie chrétienne à la vérité de l’Ecriture.
12 H. Bouillard, Parole de Dieu, p. 17. C’est à partir de cette conception barthienne de la révélation objective qui "absorbe" la révélation subjective qu’on peut expliquer l’apparition en 1941 de la théologie de Bultmann, et également l’échec relatif de Barth quand il entreprend de réfuter l’interprétation existentiale de Bultmann en 1952 (voir Parole de Dieu, pp. 33-38).
13 H. Bouillard, Genèse, p. 25. "Au lieu de résorber Dieu dans la conscience religieuse, il semblerait que Barth parfois résorbe la réalité intime de la foi dans l’acte de la Parole divine" (Parole de Dieu, p. 18).
14 Parole de Dieu, p. 22.
15 Karl Barth, Dogmatique, IV, 1, pp. 858-860.
16 Barth reproche à Bultmann d’avoir renouvelé sur ce point l’erreur de la mystique catholique ( !) Voir Rudolf Bultmann, Ein Versuch, ihn zu verstehen, 1952, pp. 20-21.
17 Parole de Dieu, p. 39. On serait tenté de dire, avec Henri Bouillard (p. 40) que notre foi y trouve son mythe.
18 S. Thomas, Ia, q. 93, a. 4 : L’homme qui effectivement connaît et aime Dieu d’une manière actuelle ou habituelle est image de Dieu en un sens nouveau : il s’agit alors de l’imago recreationis ou imago per conformitatem gratiae, qui n’appartient qu’aux "justes". (Parole de Dieu, p. 90).
19 Voir plus haut, pp. 365-368.
20 De l’Intégration. Aspects d’une théologie de l’histoire, Paris, Desclée de Brouwer – 1969.
21 Déjà Isaïe voyait la restauration de la Cité fidèle, purifiée au creuset de ses scories et dégagée de son plomb (Is., 1,25) en prévoyant le jour où la majesté du Seigneur Jésus-Christ révélerait son Avènement au monde et l’Avènement du Jour de Dieu définitif (2P. 1,16-18 ; 3,12). C’est alors que le Seigneur renouvellera le vieil homme dans son Jugement (Rm. 12,2) par une transformation spirituelle qui lui fera revêtir l’Homme nouveau (Eph. 4, 23).
22 Urs von Balthasar, o.c., p. 97.
23 Ib., pp. 93-94.
24 Voir plus haut pp. 145-211.
25 Ib., pp. 93-96.
26 Ib., p. 96.
27 Cette méconnaissance explique le jugement de Balthasar favorable à Surin (De l’Intégration, pp. 274-275). Egalement son jugement radicalement défavorable à Teilhard de Chardin (Ib., pp. 187-189).
28 A cet égard, les pages que Balthasar a consacrées à "l’esthétique mystique" chez saint Jean de la Croix sont les plus significatives (La Gloire et la Croix. Les aspects esthétiques de la Révélation, Paris, Aubier - 1972, vol. II, t. II). La problématique anti-mystique de la théologie de la Compagnie s’y retrouve comme heideggérisée. La mystique de saint Jean de la Croix, nous dit-on (p. 27), doit être rangée "dans la lumière de l’ordre charismatique". Cela dit, l’expérience poétique est naturellement survalorisée au point "qu’elle se renonce elle-même pour exister divinement en contemplation". Ou encore : "c’est en tant que poète que saint Jean de la Croix est docteur de l’Eglise » (pp. 67-68).
29 Ib., pp. 232-234.
30 Ib., pp. 232-233.
31 Ib., p. 232.
32 Ib., p. 234.
33 Ib., pp. 234 et 237. Selon lui (il renvoie à Erich Przywara), l’exemple de la création poétique oscillant entre le concept et l’image illustre son propos. Justement, c’est ce parallèle qui est révélateur. Le rythme de la création mythique et poétique n’est pas celui de la contemplation mystique des chrétiens. La gloire de Dieu ne s’y manifeste pas comme seulement représentée, dans la phénoménologie du "domaine de la métaphysique", mais comme donnée réellement dans l’union mystique au Christ de la Croix ressuscité, le Seigneur de la Gloire (I Cor.2, 8).
34 Achiel Peelman, Hans Urs von Balthasar et la Théologie de l’Histoire. Publications Universitaires Européennes, Peter Lang, Bern - Frankfurt am Main - Las Vegas - 1978, pp. VIII et IX.
35 Herrlichkeit. Eine theologische Ästhetik (1961) - traduction française : La Gloire et la Croix. Apects esthétiques de la Révélation, Paris, Aubier - 1965, suivi de quatre volumes entre 1962 et 1969 (traduction française entre 1968 et 1983).
36 On notera, entre autres, le dualisme des deux justices dans sa conception du "jugement de la Croix" : le Christ a acquis pour nous la justitia aliena, laquelle devient en nous, grâce au sacrifice de la Croix, la justitia propria Dei. Le Mystère Pascal (1970), Paris, Le Cerf - 1972, pp. 115-119. Peelman, o.c., p. 386.
37 Sur cette dialectique, voir Peelman, o.c., p. 170 et 380-382. Le "phénomène" de l’expropriation/appropriation a pour effet la "désappropriation" du chrétien et l’"ecclésialisation" de sa conscience personnelle. Voir plus loin, p. 476, note 2.
38 Auf Wegen christlicher Einigung (1969). Traduction française DDB, Paris - 1971.
39 De l’Intégration, o.c., p. 320. L’actualité en fournit un nouvel exemple avec la réflexion christologique de Karl Rahner, Traité fondamental de la foi, Le Centurion, Paris - 1983. Pour quel motif Rahner est-il conduit à chercher à fonder la christologie traditionnelle (dite "descendante") sur une christologie de complément (dite "d’en bas") qui procéderait à partir de l’amour concret du prochain, à partir de l’"unité caractéristique de l’amour du prochain et de l’amour de Dieu dans leur concrétude" ? (pp. 341 et 345). La réponse est simple : Rahner a constaté que la christologie dialectique qui a cours dans la doctrine d’"Incarnation descendante" (celle de l’idéologie chrétienne, dirons-nous) est construite en marge du mystère de l’union hypostatique et, qu’à ce titre, elle est toujours exposée au danger d’une interprétation "monophysito-mythologique" (le Christ "déguisé en homme"). Elle envisage dans le salut "un état objectif de type chosiste" et non "une réalité ontologique personnelle". Mais dans une autre problématique, celle de la mystique chrétienne, l’amour de Dieu et l’amour du prochain ne sont qu’un seul et même amour ("christique"). Il n’y a plus à craindre de voir la théologie escamoter l’accès au mystère ultime de Jésus-Christ, puisqu’elle en part et s’en nourrit. Tout y est effectivement pensé "à partir d’en haut", au-delà de toute spéculation dialectique. Voir plus loin, p. 343 note 2.
40 Voir plus haut, pp. 332-334.
41 Peelman, o.c., pp. 101-102. Dans sa Théologie de l’Histoire (1950), il proposait une approche christologique du problème des universaux.
42 Ib., p. 451. Voir Herrlichkeit, Bd III/2 Im Raum der Metaphysik (1965).
43 Das betrachtende Gebet (1955) La prière contemplative, Paris, Fayard - 1971.
44 "C’est le Logos apparu dans la chair qui se manifeste et se fait comprendre lui-même. Cela se produit en ce que le Logos se manifeste comme la grâce de l’amour (χαρισ), et en celle-ci comme la "gloire" (la beauté propre de Dieu : δοξα) et ainsi précisément comme la vérité (αληθεια)". Amour seul, o.c., p. 66. A ce propos Peelman (p. 193) note que pour Balthasar "l’excellence propre au salut surnaturel offert par Dieu à l’humanité suffit à assurer son caractère de gratuité". Il ajoute : "C’est là, nous semble-t-il, le sens du livre Glaubhaft ist nur Liebe et de toute l’esthétique théologique de notre auteur".
45 Glaubhaft ist nur Liebe (1963), pp. 67-68. Peelman, o.c., pp. 193-194.
46 Point de repère, n° 4 : Le Dieu Inconnu, p. 38. Paris, Fayard - 1973. Peelman, o.c., p. 108.
47 Peelman, o.c., p. 545.
48 On pourrait citer, entre autres exemples, celui de Levinas et de la phénoménologie d’autrui. Pareillement, l’anthropologie philosophique de T. Todorov, dont le principe "dialogique" est fondé sur "le besoin esthétique absolu que l’homme a d’autrui". Tzvetan Todorov, Mikhaïl Baktine le principe dialogique, Paris, Seuil - 1981, p. 147. Voir aussi du même : La conquête de l’Amérique, la question de l’autre, Paris, Seuil - 1982. Cet ouvrage nous renvoie au problème fondamental posé à l’aube de l’idéologie chrétienne, du temps de Las Casas.
49 Tendenzen der Theologie im 20. Jahrhundert, A.J. Schultz, Stuttgart - 1966, p. 357 ("der ungreifbare Punkt der Analogie"). Peelman, o.c., p. 145, n° 3.
50 Peelman, o.c., p. 543.
51 Peelman, o.c., pp. 167-168.
52 On notera que Balthasar rejette l’idée d’une participation directe au mystère de l’union hypostatique et qu’il se condamne par là à définir un espace eschatologique où la Liberté absolue de Dieu rencontre la "liberté authentique" de l’homme au sein d’une Eglise en marche vers la communion des saints. La notion d’ecclésialisation de la conscience religieuse personnelle (Verkirchlichung des Einzelbewusstseins) représente l’avatar balthasarien du cléricalisme baroque des ascéticistes de la Compagnie des siècles passés. Cette cléricalisation de la conscience correspond à la compensation du vide mystique. On notera que c’est ainsi que Balthasar interprète I Thess. 5, 9 (Dieu nous a réservés pour acquérir le salut par Notre-Seigneur Jésus-Christ) mais que chez lui cette Heilacquisition n’est pas référée à I Thess. 5, 10 (qui est mort afin que nous vivions unis à lui). Wer ist Kirche ?, p. 175. Peelman, o.c., notes des pp. 121 et 451.
53 Voir plus haut, pp. 280-286.
54 Par exemple dans la théologie allemande où la christologie -dans la ligne de celle de Hegel-oppose une christologie von oben (à partir d’en haut) -entendez : le dogme, la théologie du Verbe incarné, la mystique- et une christologie von unten (à partir d’en bas) - l’histoire, l’anthropologie, la théologie de l’homme Jésus ressuscité. Eberhart Jüngel, Dieu mystère du monde, Cerf - 1983 et Wolfhart Pannenberg, Esquisse d’une christologie, Cerf - 1974. Pour sortir de l’impasse du discours théiste sur Dieu, il ne suffit pas de réduire à néant, comme le fait Jüngel, tout discours métaphysique sur Dieu et de se jeter dans le vide d’une mystique spéculative - fût-ce la mystique du Dieu-Amour. Celle-ci n’est pas suspendue sur le vide de toute pensée, pas plus que la Croix n’est suspendue au-dessus de l’abîme d’un néant humain. En outre, la mystique ne servira jamais à faire réussir "à penser Dieu" : elle vise à le faire contempler et c’est dans cette mesure seulement qu’elle peut aujourd’hui nous aider, en effet, à réapprendre à penser Dieu dans une vraie théologie comme science, distincte d’elle, mais étroitement unie à elle, sans exclusion, ni confusion.
55 En particulier dans son étude du poème de Teilhard de Chardin (1968), L’Eternel Féminin (1918), réédité en 1983 (Aubier). Sur la théologie-fiction du Père Teilhard de Chardin (l’expression est d’Etienne Gilson : Seminarium 1965, p. 716), Jacques Maritain a rappelé les points de vue convergents de Tresmontant, de Gilson et de Mgr. Journet (Le Paysan de la Garonne, o.c., ch. V et annexes I & II, pp. 379-390).
56 P. O’Leary, Cahiers Saint-Dominique, n° 194, nov. 1983, pp. 60-64. N’y aurait-il pas place pour une telle christologie face à celle qu’Emilio Brito détaille dans son ouvrage Hegel et la tâche actuelle de la théologie, Paris, P. Lethielleux - 1979 : les christologies de la subjectivité - Bultmann et Rahner / les christologies de l’histoire - Pannenberg, Moltmann / les christologies de l’Absolu - Balthasar, Barth ?
57 Ce drame intérieur est celui de toutes nos sociétés contemporaines avancées, le drame de ces chrétiens engagés dont la foi se sécularise selon une théologie de la mort de Dieu ; mais aussi celui des dissidents des pays marxistes soumis à la pression de l’asphyxie spirituelle de l’athéisme officiel et militant, et qui choisissent de se convertir au Christ et témoignent héroïquement au prix de leur liberté et de leur vie.
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