Chapitre I. L’idéologie contemporaine et la philosophie
p. 439-459
Texte intégral
"Ce dont notre temps a besoin, c’est d’une métaphysique de l’être
conçue comme prolégomène à toute phénoménologie."
Etienne Gilson - L’Être et l’Essence, p. 22
1Si l’on veut comprendre la signification de la philosophie contemporaine dans l’histoire de l’idéologie jusqu’à nos jours, il faut aborder le fond du problème de l’idéologie elle-même, revenir au point de départ dans la naissance chrétienne de l’idéologie.
2Connaître n’est pas penser. Réduire l’intelligence qui comprend et qui connaît à l’intelligence pensante, telle est en résumé l’aventure que l’Occident a courue à travers l’idéologie.
3Lorsqu’elle fait son apparition, c’est bien le problème des rapports de la philosophie et de la théologie qui est posé au centre des débats. Dans l’Ecole, la formidable Question Disputée par Duns Scot face à saint Thomas d’Aquin concerne la conception de la connaissance. Scot soutient que ce n’est plus concevoir l’existant et, dans l’union de la raison et de la foi, en saisir l’être par le moyen du concept, mais penser l’être par le concept et en saisir l’idéalité c’est-à-dire l’essence. La substitution de la pensée à la connaissance impliquait la rupture entre l’acte de l’intelligence qui connaît comme elle croit et l’acte de l’intelligence qui sait autrement qu’elle croit. La théologie et la philosophie renvoyaient désormais à deux modes opposés de connaissance.
4Les théologiens postérieurs devaient agrandir le fossé entre une philosophie rendue indépendante de la théologie, et promise à penser les essences à part des existants. On sait comment de Suarez à Descartes, de Wolff à Kant, de Kant à Hegel ce délire de la spéculation philosophique a fonctionné. Hegel croyait y mettre fin, et Marx mieux que lui, en commettant à l’inverse la dissolution de l’essence humaine dans l’existant social.
5Tel est schématisé le drame de l’idéologie au plan de la théorie de la connaissance humaine et des rapports qu’y nouent entre elles la théologie et la philosophie1. Lorsque l’autonomie de la philosophie poursuit le processus de la rupture, elle débouche sur l’élimination de la théologie. L’élimination du langage de l’homme sur Dieu s’achève dans l’élimination de Dieu lui-même dans le langage de l’homme. Au terme du processus, l’homme ne peut éviter de s’éliminer lui-même de son propre langage, ou plutôt de découvrir qu’il l’est.
6 1. - De Kierkegaard à Heidegger, est mis en lumière l’impossible statut de l’intelligence condamnée à vivre la disjonction de la philosophie d’avec la théologie. L’un et l’autre critiquent en témoins de l’aliénation contemporaine - comme Marx en politique, comme Freud en psychologie et comme Nietzsche en morale - en philosophes, la situation faite à la spéculation philosophique, et c’est naturellement à Hegel qu’ils s’en prennent. Se détournant de l’essentialisme (pris sous sa forme hégelienne, chez Kierkegaard, et sous sa forme traditionnelle cartésiano-platonicienne, chez Heidegger) ils courent l’aventure de la phénoménologie. Ils mettent aussi en évidence négativement, par son absence elle-même, la place qui revient à la fois à la mystique chrétienne et au rôle de la foi, dans l’édification de l’homme et de son aptitude spirituelle à concevoir et à comprendre l’être de l’existant, par le moyen du concept qui, du sensible donné, en dégage l’essence.
7Un long détour s’impose toutefois si l’on veut être en mesure de comprendre la signification décisive de la problématique phénoménologique. Il faut s’interroger sur la relation de la métaphysique à la théologie naturelle, sur la connaissance de l’être dans son rapport à la foi révélée. Depuis les origines chrétiennes, c’est la question qui est posée face à la pensée grecque. Elle était parvenue à découvrir le trait essentiel de la théologie naturelle, ce trait mystérieux qui lui a valu ce nom de Dieu inconnu. On sait combien le jeune Paul, symbole vivant de la conversion de l’hellénisme au christianisme, était persuadé que les païens avaient reçu des lumières permettant à la raison d’accéder par elle-même à la connaissance du vrai Dieu. Paul avait senti qu’à un certain moment, leurs philosophes étaient conviés dans leur ardente spéculation à se démettre et à consentir à voir leur raison surélevée au-dessus d’elle-même sur les ailes du silence et de la prière dirigée vers ce Dieu-là. Paul, en juif hellénisé avait dû éprouver cette merveilleuse visitation du Dieu vivant, manifesté comme l’inconnu désiré d’une théologie naturelle bien conduite. Après sa conversion, par l’effet d’une grâce venue d’en haut, il découvrait finalement le bien-fondé de son pressentiment. Et l’on sait qu’il avait assez naïvement rêvé de voir les membres de l’Aréopage athénien consentir à la grâce de la Parole, et se laisser ravir par l’Inconnu qu’il venait leur annoncer par la puissance du Dieu vivant.
8A la réflexion, leur refus est un scandale pour le philosophe, car il met en évidence que la raison, si elle est capable d’aller jusqu’au bout de sa théodicée naturelle, n’est pas encline à se démettre se son autonomie même pour accéder à la vérité du Dieu qu’elle entrevoit. La raison aimerait plus Platon que la vérité. Mais ce refus est éclairant ; il met sur la voie de la solution du problème posé par l’aliénation de la philosophie contemporaine. L’épisode du discours de Paul à l’Aréopage a une signification lumineuse. Voici que le progrès de la philosophie conduit la raison humaine à poser au sommet de la métaphysique l’Être de ce Dieu Inconnu qui s’y cache et s’y rend, en un sens, manifeste. Manifeste s’entend, dans les limites où la raison naturelle est capable de recevoir, d’accueillir Celui qui par sa nature même défie ses prises, mais qui se donne à connaître comme inconnu.
9Si nous nous tournons vers Saint Paul, nous savons que la foi au Seigneur ressuscité l’a pénétré d’une lumière venue du Dieu vivant, du Dieu Inconnu révélé à Moïse et qui s’appelle paradoxalement Je Suis. Ce Dieu révélé, c’est le même que le Dieu-Être de la métaphysique des philosophes, sauf qu’il se révèle à eux comme un homme qui en disant Je se manifeste comme une personne qui contracte en elle-même le mystère de l’humain et du divin mis ensemble. L’Être fait homme, c’est trop demander à la raison grecque ; c’est un défi à la raison philosophique.
10Et pourtant, la foi permet de comprendre la vérité profonde de ce raccourci scandaleux en apparence. Elle tient pour certitude inébranlable que Celui qui Est s’est manifesté dans son Fils engendré de toute éternité, qu’il est Celui qui Suis et qu’il a ouvert aux hommes l’accès dans le Christ à son intimité personnelle, au mystère de l’Être trinitaire de la divinité que la raison désigne dans l’Inconnu de sa théodicée et dans l’inconnaissable objet suressentiel de la foi.2
11L’expérience de ce don de Dieu accueilli dans la foi par l’homme fidèle à sa propre démarche de métaphysicien, c’est l’expérience de l’accord de la raison et de la foi qui fondent le statut de l’homme spirituel. Passer de "l’animal psychique" à l’homme nouveau recréé selon Dieu pour une vie selon l’Esprit, c’est traverser le carrefour de l’union, ce lieu mystique de l’Alliance, c’est entrer dans le mystère de Je Suis, combler l’abîme qui sépare l’Être que découvrent la métaphysique et la théologie naturelle, du Dieu vivant de Jésus-Christ.
12Lorsque nous cherchons à préciser le rapport de la raison et de la foi, c’est cette pâque qui nous dicte la méthode à suivre : la foi harmonise les deux approches de la métaphysique et de la théologie naturelle, en même temps qu’elle harmonise ces approches avec la sienne propre. Lorsque l’intelligence humaine se place sous la mouvance de la foi, elle est surélevée à une connaissance de Dieu qui est au-dessus de ses forces et par laquelle, du même coup, elle atteint jusqu’aux limites des forces qui permettent à la raison de fonder sa théodicée, au sommet de sa métaphysique.
13Nous observons que l’accord de la raison avec elle-même dans l’accomplissement de sa tâche spéculative suppose l’ouverture à la foi, la non-fermeture de la raison sur son propre acquis suprême. Lorsqu’au lieu de s’ouvrir à la foi, la raison s’y ferme - et c’est le cas de l’idéologie depuis sa naissance - il est inévitable qu’apparaisse une ontologie close sur elle-même dans une théologie naturelle qui, en pensant Dieu, le réifie comme une essence, comme un Dieu-Notion. Ainsi naît une ontothéologie substituée à une théodicée qui se laisserait surélever conformément au statut nouveau introduit par la foi dans la connaissance de Dieu. Autrement dit, lorsque la métaphysique se réifie dans une théologie naturelle essentialiste, elle empêche la théologie naturelle d’apparaître dans l’instant même où la foi l’accomplit tout en la surélevant à la connaissance propre à la théologie surnaturelle. Alors, s’introduisent dans la philosophie les disjonctions idéologiques que la métaphysique, la théologie naturelle et la théologie scolastique ont connues depuis Duns Scot jusqu’à nos jours, en passant par Kant et Hegel. L’idéologie engendre ces conflits internes entre la raison et la foi, du fait que le philosophe refuse de respirer spirituellement l’air nouveau qui lui vient de l’Esprit.
14C’est donc bien de théologie naturelle qu’il est question dans la philosophie contemporaine lorsqu’elle remet en cause la métaphysique. Heidegger renie l’ontothéologie, à juste titre. Il en fait remonter le processus à la scolastique médiévale et à Descartes, et au-delà à Platon lui-même, non sans raison. Mais ce n’est pas au nom de la foi mystique, ni sous la mouvance de cette foi chrétienne et là est le drame de la critique qu’il entreprend dans l’athéisme philosophique : il critique l’idéologie en référence à un vide qui prend mystérieusement la place du plein de la révélation chrétienne.
15 2. - L’énigmatique pensée philosophique de Heidegger se situe au carrefour de la théologie, de la métaphysique et de l’esthétique. Heidegger veut tenir le pari de penser l’Être sans l’ontologiser, ce qui révèle à quel point il réagit en métaphysicien à l’essentialisme de la philosophie occidentale qui avait ontologisé l’Être (non seulement dans la période chrétienne, mais dans l’Antiquité avec Platon). La pensée, selon Heidegger doit se laisser hanter par le fantôme de l’Être, qui est et qui n’est pas dans les étants, qui est présence absente.
16L’intuition de Heidegger, qui fascine sans révéler son secret, a consisté à faire jouer la raison du philosophe sur la frontière du théologique et du métaphysique grâce au prestige de la pensée poétique. Elle a mis en évidence le phénomène mental de la réduction de la Parole fondatrice à l’Être d’une essence dont l’essence est de ne pas exister. C’est bien là l’opération à laquelle l’idéologie a soumis la pensée chrétienne au cours de son histoire moderne. L’erreur de Heidegger est idéologique : elle a consisté à chercher le fondement de la métaphysique - la racine de l’étant - au-delà de l’étant.3
17Heidegger se refuse à devenir ce "théologien"-là et l’on comprend pourquoi : c’est que la théologie chrétienne telle qu’il la reçoit dans le contexte historique de son temps est une théologie frustrée de sa mystique. De même que chez Kierkegaard, l’intuition du retrait mystique de l’Être ne parvient pas à s’instaurer chez lui dans la surnaturalité de la révélation de l’Être propre à la foi chrétienne. C’est ainsi que Heidegger saisit toujours la foi à distance. Est à l’œuvre dans sa pensée une foi usurpée par la réflexion du philosophe en vue :
- de rejoindre l’Être de la théologie naturelle, son ontologisation désavouée ;
- de dénoncer l’ontologisation de la philosophie (la philosophie se prenant pour une théologie prétend disserter sur Dieu qui n’est pas son objet, comme l’a "montré" Kant) ;
- de reconstruire un séjour possible pour la pensée philosophique (et là nous retrouvons la suppléance du séjour intérieur de la contemplation mystique chrétienne).
18L’énigme heideggerienne trouve sans doute là son explication. Heidegger désigne l’impasse chrétienne de l’idéologie mais pas sa cause : il reste en dehors de la foi qui lui permet de le faire. Ce regard d’extériorité sur le drame intérieur de la pensée occidentale demeure lui-même énigmatique. Il est celui du philosophe frustré de la théologie chrétienne qui ne parvient pas à renaître de ses cendres.
19Les "socialistes" français et allemands de la première moitié du XIXe siècle avaient affronté l’impasse de l’Occident au niveau des effets de l’idéologie au plan social et économique, sans s’attaquer à l’idéologie elle-même dont ils ne découvraient pas la nature. Plus étonnant est le fait que les philosophes en aient fait autant, en dénonçant l’impasse de la métaphysique et son univers conceptuel scientifique et technique, sans du tout soupçonner la nature et l’origine du phénomène de l’idéologie qui en était la cause profonde.
20Il est un fait que pour Heidegger -comme pour Husserl avant lui- l’événement décisif de l’histoire de la pensée occidentale a été l’irruption de la métaphysique dans la "pensée grecque" des origines, celle des "pré-socratiques", du "premier âge de la pensée"4. Nous avons vu qu’il n’en est rien : l’événement décisif dans l’histoire de notre pensée a été l’hellénisation de la pensée chrétienne a la fin du Moyen Age et, tout au long des temps modernes, le phénomène de l’idéologie chrétienne.
21Sans doute s’agit-il bien d’un retrait de l’Être et d’un oubli de l’Être de la part des "penseurs", mais ils concernent la mystique et une philosophie de l’Être qui n’a rien de cette ontothéologie avec laquelle Heidegger a cru pouvoir confondre la pensée de saint Thomas (si toutefois il ne confond pas cette pensée avec celle de Duns Scot qu’il a bien abordée). Il en résulte que Heidegger fait l’impasse sur la cause de l’aliénation de la pensée qu’il veut dénoncer, et qu’il dénonce celle-ci en partant non pas de la révélation qui constitue le fait originaire de notre pensée occidentale, la Révélation chrétienne, mais de cette expérience originaire "du divin" qu’il trouve dans la parole d’Héraclite ou de Parménide5.
22Il déclare à juste titre que "la philosophie ne questionne pas uniquement sur l’être de l’étant, mais sur la vérité de l’Être"6. Mais il pense que la philosophie attend encore que l’entreprise soit tentée. C’est méconnaître qu’elle a été bel et bien tentée jadis par saint Thomas. Celui-ci n’aurait-il pas sa place parmi les "grands penseurs" que Heidegger destine à la "lutte amoureuse" de la vérité de l’Être ?7
23Mais le paradoxe de la méthode de Heidegger et de sa pensée s’éclaire si l’on tient compte de cette observation. L’origine de l’impasse de la pensée en Occident n’est pas d’origine philosophique, mais théologique. En faisant comme si elle était philosophique, Heidegger a entrepris de la surmonter philosophiquement, comme l’avaient fait avant lui et à leur manière Marx et Nietzsche8, en remontant "jusqu’à la source à partir de ce qui émane de la source, mais où le présent de la source s’est laissé oublier". En faisant l’impasse sur la foi, l’expérience immanente de l’esprit ainsi déterminé ne pouvait que coïncider avec l’expérience mystique naturelle de la poésie. D’où cet aveu révélateur : "le destin du monde s’annonce dans la poésie sans être manifesté déjà comme histoire de l’Être"9.
24C’est pourquoi les écrits de Heidegger parlent profondément et lumineusement aux poètes et romanciers qui pensent leur expérience, car elle est essentiellement celle de l’Être heideggerien découvert au cours d’une quête négative tournée vers la manifestation du non-dit de la parole poétique fondatrice, la manifestation de l’Être qui se cèle en se dévoilant. Tous les grands poètes contemporains demeurent dans cette "proximité de l’Être qui est en même temps le là de l’être-là".10 Aussi bien est-ce cette révélation du destin de l’homme "jeté dans l’éclaircie de l’Être" et qui "se tient en extase vers l’ouverture de l’Être"11 qui peut donner une idée en creux - analogiquement - de ce qu’est la contemplation d’attitude de la mystique chrétienne lorsque réellement, dans la foi et l’union qu’elle procure, l’homme réalise que "l’être-au-monde" désigne vraiment "l’ouverture de - et à - l’Être".
25L’homme est-il un être du seul en-deçà ou appartient-il à l’au-delà ? -"On ne décide pas de le savoir"12 répond Heidegger. Et comment le pourrait-il si la foi seule peut l’attester ? Tout au plus le poète parvient-il à donner un sens à un dieu possible pour l’homme13, ou à faire "accéder à la parole poétique" l’être-là, dans l’expérience de la déréliction et de l’amour - la mort.14 Quant au penseur, il ne peut que demeurer "en suspens" car l’expérience de la pensée le lui apprend :
"Chanter et penser sont les deux troncs voisins de l’acte poétique.
Ils naissent de l’être et s’élèvent jusqu’à sa vérité.
(…) Et les fûts voisins, tout le temps qu’ils sont debout,
Demeurent inconnus l’un à l’autre" (Hölderlin)15.
26Mais retrouver le sens de "la parole grecque" peut n’être pas exclusif de la quête du sens de la parole chrétienne, au contraire. Précisément, cette quête et l’autre n’en font qu’une pour l’homme qui répudie l’idéologie et se convertit dans la foi. Si Heidegger doit un jour nous aider à retrouver la parole, c’est parce qu’il aura révélé la parole grecque comme admirante, comme étonnante, comme dispositive à l’égard de l’ouverture à l’Être, ce qui est la base de l’advertence simple et amoureuse à Dieu qui se révèle (dans le Christ). Inversement, si Heidegger aboutit à laisser en suspens la parole grecque comme une parole poétique et mythique, il est à craindre que sa tentative soit sans lendemain "bon et salutaire".16 Il lui arrivera ce qui est arrivé : elle s’enlisera dans l’existentialisme multiforme.
27Ce n’est pas seulement le "monde grec" qui "nous concerne au plus proche dans l’énigme de notre présent et dans sa capacité la plus propre d’avenir".17 Ce n’est pas la "parole grecque" qui suffira pour restituer aux cultures ce que la communauté scientifique et culturelle risque de faire définitivement disparaître parmi les habitants de la terre en provoquant, avec sa "profondeur radicale", l’aliénation décisive de l’humanité.
28Tant que la philosophie n’aura pas retrouvé cette voie de l’Être par delà l’idéologie, qui est la voie chrétienne, elle demeurera "oublieuse d’elle-même". Pour qu’elle s’engage "dans une pensée qui soit parfaitement mémoire"18, il lui faut trouver des "penseurs" pour qui "Faites ceci en mémoire de moi" a un sens, qui pratiquent un rapport au passé qui est essentiellement mémoire du futur, espérance théologale, présence d’éternité dans la foi qui déjà ressuscite.
29L’existentialisme constitue la réponse malheureuse de l’intelligence aliénée dans l’idéologie. Il révèle que la morbidité de la culture contemporaine est métaphysique. En substituant le penser au comprendre, la philosophie de l’essence substitue la pensée de l’intellectuel au connaître du métaphysicien. L’histoire de l’idéologie chrétienne est l’œuvre de grands penseurs "qui appartiennent au royaume de l’art plutôt qu’à la philosophie". "Ces constructeurs de magnifiques systèmes idéalistes ont dû renoncer à poursuivre l’effort de connaître pour se livrer tout entiers à celui de produire… Fichte, Helling, Hegel, Schopenhauer peuvent assumer un thème métaphysique pratiquement quelconque et en tirer un monde avec autant d’aisance et parfois de beauté que Bach peut écrire une fugue, mais Bach a raison parce que la fin de l’âme est en effet de créer et Hegel a tort parce que la fin de la philosophie est de connaître".19 Ces lignes mémorables d’Etienne Gilson permettent de comprendre que la culture de l’idéologie est une culture dominée par la facticité du génie créateur de l’artiste régie par les lois de l’art. Il en est ainsi parce que cette culture est essentiellement une culture théologique dévoyée dans une philosophie des essences : mais "l’univers des choses ne saurait se présenter sous le même aspect selon qu’on le conçoit comme la réalisation d’essences éternellement connues par une suprême Essence à laquelle appartiendrait l’existence, ("Dieu"), ou comme celle d’êtres éternellement connus par un suprême Existant dont l’essence même est d’exister (le Dieu de la révélation chrétienne créateur). Il y va de tout..."20
30Cette culture de l’idéologie a vécu et vit encore aujourd’hui de stériliser l’Être en le réduisant à la condition d’une essence abstraite. Ainsi mutilé, l’Être métaphysique a souffert d’une maladie chronique : sa tendance morbide à perdre l’existence, sa hantise de l’impureté de l’existence qui semble la justifier. Pour l’en préserver, il eût fallu maintenir l’existence à la place qu’elle occupe dans l’Être, reconnaître celui-ci dans son intégrité, essence et existence conjointement sans divorce et sans confusion, réintégrer dans l’Être l’acte existentiel qui peut seul réconcilier l’essence avec l’existence, le temps avec l’éternité, l’histoire du devenir des êtres avec le savoir objectif de leurs essences.21 Une véritable métaphysique de l’Être intégral "constitue le terrain où la philosophie peut poser la question dont la religion est la réponse"22.
31Il n’en va pas ainsi dans l’existentialisme contemporain. Et de même que c’est dans la mouvance de la foi surnaturelle que l’intelligence humaine parvient à surmonter la tentation de l’idéologie en réalisant son pouvoir de connaître Dieu tel qu’il se révèle à la raison, de même dans la mouvance de l’athéisme et de la non-foi, l’existentialisme invertit l’expérience de l’existence dans une mystique idéologique qui sépare l’essence de l’existence. A ce titre, une telle ontologie existentialiste négative à l’égard de l’Être se présente comme une mystique diabolique de division. L’expérience de l’existence est, au sein de l’Être, "l’acte suprême en quoi l’essence s’enracine et aspire finalement à se résorber".23 Elle constitue la base existentielle et le point de départ de la mystique chrétienne : elle est l’expérience du désir naturel de Dieu comme source et principe de l’exister. L’expérience existentialiste de l’existence en est le négatif : elle est celle de la décomposition de l’Être qui se veut, ou se voit privé de son essence (Sartre a décrit une telle expérience dans les pages fameuses de La Nausée).24 Une telle "illumination" mérite d’être dénommée diabolique au sens propre du terme puisqu’elle est l’exacte réplique négative de la mystique surnaturelle : elle divise là où et ce que cette mystique unit.
32 L’expérience de l’exister, pour un existentialiste, est "une pure sensation de l’exister éprouvée par une sensibilité qui, pour quelques instants, est comme coupée de son intellect". Elle constitue une extase vers le bas "qui laisse un existant sans intellection, ni essence au contact nu d’existants sans essence ni intelligibilité"25. Elle se confond donc avec l’expérience de l’angoisse, de la nausée et de l’absurde, ce qui atteste que l’Être implique nécessairement ce dont l’existentialisme le mutile : l’essence et l’intelligibilité.
33Une telle expérience du mal d’existence est un vertige métaphysique. "Elle atteste négativement qu’il y a du divin dans le monde et que l’existence le manifeste : le divin y réside et nul ne saurait l’approcher sans éprouver à son contact un effroi proprement religieux, dans une expérience de tout l’être à laquelle le corps même est vitalement intéressé"26. L’existentialisme a tenté en faveur de l’existence la dissociation que l’essentialisme avait réalisée en faveur de l’essence. Sa visée était de contredire l’idéologie. De ce fait, l’existentialisme nous a tirés du sommeil dogmatique sans nous tirer du tombeau où l’idéologie avait enseveli la vie de l’Esprit ; Tout au contraire, il a achevé l’œuvre de l’idéologie en faisant de l’existence "un produit de décomposition de l’Être désormais privé de son essence"27.
34Mais il y a une autre mystique de l’existence que celle d’une philosophie qui singe l’enracinement de l’existence de l’Être comme dans son acte suprême. C’est celle que les mystiques chrétiens ont de tout temps pratiquée. Non pas celle de l’homme volontairement dépossédé de soi comme de son essence et qui tenterait la saisie de l’existence pure et nue de sa propre contingence dans l’angoisse du contact de son propre néant ; mais celle qui transcende l’Être sans le mutiler, mais "le recueille plutôt totalement de la dispersion pour remonter, en lui et par lui, jusqu’à la source unique d’où jaillissent les essence comme les existences, c’est-à-dire jusqu’au suprême Acte d’exister" qui est Dieu28. Cette voie ne conduit pas au désespoir, mais à la joie. Quant au philosophe qui a l’expérience d’une telle mystique, il a affaire à l’Être qui n’est ni l’existence ni l’essence, mais leur unité. Et c’est pourquoi Gilson a pu dire de sa voie que "plus humble que celle du mystique, elle ne s’en oriente pas moins vers le même terme"29.
35 3. - Cela dit, nous sommes à même d’apprécier la signification de la postérité philosophique de l’existentialisme, en particulier en France à travers quelques échantillons significatifs.
36L’intérêt de la quête menée par les philosophes français, de Sartre à Maurice Clavel, vient de ce qu’elle met en lumière le problème du rapport de la raison et de la foi dans la critique de l’idéologie entreprise, comme on vient de le voir, dans la problématique de l’existentialisme. La dimension essentielle de la foi est mise en lumière a contrario chez Sartre dans la mesure où il saisit la foi comme le principe même de l’idéologie, l’idée de Dieu tentant de camoufler le fait radical de la contingence de l’homme dont l’existence est sans justification. La foi religieuse apporte une justification dérisoire de l’existence de l’homme qui est en réalité sans raison d’être. Si Sartre se dit athée au nom de l’homme, c’est parce que son intelligence est depuis toujours en proie à la réification idéologique : selon lui, le regard de Dieu réifie les Êtres comme des essences, de même que le regard de l’autre sur moi (ou de moi-même sur moi) est réifiant. La hantise de l’idéologie prend chez lui la figure d’un Dieu artisan qui fabrique les hommes en vue d’une fin qui leur est extérieure et qu’il a fixée d’avance dans un destin. L’ascendance luthérienne radicale d’une telle vision saute aux yeux.
37Sartre s’est naturellement déterminé face au représentant de l’idolâtrie catholique qu’était pour lui le François Mauriac croyant et romancier. Il a cru voir dans le créateur de Thérèse Desqueyroux le théologien-romancier de la toute-puissance de la grâce où l’homme est le sujet inconscient d’une histoire faite par un autre. Dans son œuvre romanesque et théâtrale, c’est l’antithèse radicale d’une telle vision qu’il a représentée à travers ses créatures, vision aussi aliénante que celle qu’il a cru devoir critiquer chez son Mauriac, puisqu’elle substitue au déterminisme d’une prédestination divine la contingence absolue d’une liberté absurde.
38En lecteur de Heidegger, Jean-Paul Sartre refusait un Dieu qui objectivise et prédétermine. Mais le Dieu chrétien qu’il a renié avec son héros Goetz30 n’est pas le Dieu solitaire et aliénant qu’il imaginait. Il est, au contraire, le Dieu relationnel par essence, qui introduit dans l’existence de l’homme une relation avec lui enrichissante, qui accomplit l’homme auquel il se donne. A l’évidence, l’œuvre de Jean-Paul Sartre illustre cette vérité a contrario.
39L’originalité de la pensée de Maurice Clavel a consisté en ce qu’il a contesté l’idéologie philosophique, depuis Kant jusqu’à Heidegger en passant par Hegel, au nom d’une redécouverte de la dimension essentiellement mystique de la foi. Une telle expérience de foi constitue, au témoignage de Clavel, l’expérience de la déconstruction spirituelle de cette philosophie qui, depuis Kant, avait entrepris de déconstruire la métaphysique et la théologie pour les reconstruire selon la raison, et finalement selon l’athéisme. Se laisser saisir par Dieu pour être de nouveau engendré constitue pour le philosophe une expérience de conversion radicale, qui fait de lui non plus un penseur partagé entre les essences et les existences, mais un philosophe authentique.
40On peut observer la difficulté qu’éprouvent Clavel comme d’autres philosophes contemporains à surmonter l’idéologie philosophique dont ils font la critique du fait que, hantés par la théologie chrétienne de la foi, ils ne parviennent pas à surmonter les contradictions des systèmes de l’idéologie auxquels ils se rattachent. Au plan de la réalisation d’une philosophie de l’Esprit qui cesse d’être dialectique pour réintégrer la tradition de la mystique chrétienne, le dualisme de l’essence et de l’existence n’est pas surmonté dialectiquement, mais par l’intelligence dépassant la métaphysique sans sortir de ses limites, pour entrer dans une théologie négative où Dieu n’est atteint qu’au titre d’Inconnu. C’est là l’effet de l’animation intérieure de la raison du philosophe par la foi. Une telle animation suppose que l’on s’y prêtre d’une manière positive dans l’acte même de l’intellection métaphysique.
41Si le philosophe ne consent pas à cette opération intérieure de la foi, ce qu’il cherche au-delà de la métaphysique, la rencontre avec l’Être de l’expérience spirituelle dans la foi, sera attendu et recherché au terme d’une rupture qui aboutira à vouloir en finir avec la métaphysique, comme s’il suffisait de ne plus ontologiser le Dieu de la théologie naturelle pour que l’intelligence se mette en route vers le Dieu de la foi. L’erreur de Heidegger est alors renouvelée, mais au nom d’un retour à la foi.
42En finir avec une métaphysique close sur elle-même est une condition nécessaire, certes, puisque c’est l’idéologie qui, en réifiant la métaphysique, ferme la théologie naturelle à l’Évangile, comme il a été dit plus haut ; mais ce n’est pas une condition suffisante. Encore faut-il que cette ouverture de la théologie naturelle au Dieu vivant soit opérée par la force qui vient de Lui. Livrée à elle-même, la raison "grecque" découvrant le Dieu Inconnu ne peut que refuser cette folie. Cette force, c’est la foi vive qui opère selon la vertu de l’Esprit envoyé d’auprès du Père. S’agissant d’une philosophie qui spécule sur les rapports ainsi posés de la métaphysique et de la foi, c’est-à-dire de la structure de la théologie naturelle et de la connaissance de l’Être, la problématique de la foi fait aboutir à la conclusion que, loin de vouloir en finir avec la métaphysique, la foi lui commande de la révéler à elle-même. Elle n’est pas rien, cette métaphysique couronnée dans la théologie naturelle, elle est le fondement rationnel de l’édifice de la religion révélée ; mais elle ne doit pas se réifier en tant qu’ontologie infiltrée dans une théologie des catégories divines et qui servirait d’enseigne à la théologie surnaturelle des chrétiens. L’approche philosophique de Dieu - celle de la théologie naturelle - demande donc à être convertie du dedans par l’ouverture du philosophe lui-même à une théologie de l’ordre du surnaturel. L’approche de la théologie naturelle, loin de disparaître, converge alors sans confusion avec l’approche surnaturelle que la raison scrute dans la ligne de la foi. Au sein de ce donné révélé qui lui est offert pour qu’elle s’en nourrisse et le connaisse divinement, achevant ainsi l’œuvre dont elle est capable sur terre à la gloire de Celui dont elle est l’image, l’intelligence connaît réellement Dieu humainement et divinement.
43Ce n’est pas ainsi que procède Jean-Luc Marion, mi-philosophe mi-théologien lorsqu’il tente de surmonter l’idéologie en définissant un Dieu sans l’Être. Il nomme idolâtrique le Dieu que l’homme construit conceptuellement, qu’il s’agisse de le nier comme fait Nietzsche, ou de démontrer son existence comme font saint Thomas, Aristote ou Leibniz31. Il s’agit donc de repérer "l’idolâtrie" que présuppose tout discours conceptuel sur Dieu, même positif.
44Saint Thomas contesté aujourd’hui à l’intérieur de la philosophie chrétienne elle-même, au nom de la foi par un chrétien qui s’interroge sur son savoir de Dieu, le fait est hautement significatif de l’impasse dans laquelle l’idéologie chrétienne a enfermé la philosophie contemporaine.
45"Dieu n’a pas à être", ni à être "pensé à partir de l’Être comme un étant".32 N’est-ce pas là une "exigence critique" qui risque de rendre impossible la pensée elle-même ? Notre philosophe-théologien se tire de ce mauvais pas en disant que Dieu doit être aimé comme celui qu’il est, c’est-à-dire comme celui qui se pense, comme ce qui ne peut absolument pas être pensé. Et de proposer de raturer le nom de Dieu d’une croix de saint André (…) pour exprimer, dit-il, que le Sum Qui Sum ne dit rien de Dieu que Dieu ne puisse aussitôt récuser (Ex. 8,14) dans sa détermination - et aussi que nous ne pensons Dieu que sous la figure de l’impensable, seul visage critiqué de Celui qu’il s’agit de penser dans sa définitive indétermination pour notre pensée créée et finie.
46"Raturer Dieu, en fait, indique et rappelle que Dieu rature notre pensée parce qu’il la sature ; mieux, (qu’il) n’entre en notre pensée qu’en lui imposant de se critiquer elle-même". Le seul nom qui demeure encore praticable pour désigner un tel Dieu, c’est amour. Amour nous dit-on "reste paradoxalement assez impensé pour, un jour au moins, libérer la pensée de Dieu de l’idolâtrie" (de l’ontologisation métaphysique qui en fait un étant). Et Jean-Luc Marion de conclure : "Cette tâche immense et, en un sens, encore inentamée, demande de travailler conceptuellement l’amour (et donc, en retour, de travailler le concept par l’amour), au point que s’en déploie la pleine puissance spéculative. Nous ne saurions ici, même en esquisse, entreprendre d’en indiquer les linéaments… "
47Il faut faire observer à l’auteur de ces lignes qu’il n’a pas à prendre cette peine, ni lui ni personne, et que la théologie a depuis longtemps, sous ses deux formes (théologie mystique et théologie scholastique), "travaillé le concept par l’amour et travaillé conceptuellement l’amour". Seulement il s’agit de théologie chrétienne, où c’est la foi qui conduit le "travail", selon deux modes bien distincts, mais unis, de fonctionnement de la raison humaine :
- - La foi très-illuminée des mystiques, laquelle "travaille" (à sa manière supra-conceptuelle et surnaturelle) ce que la raison a appris de Dieu selon le mode humain de son information, sa manière naturelle de concevoir, y compris le divin naturellement accessible à la raison et le Sum Qui Sum révélé qui la dépasse.
- - La foi spéculative des théologiens qui font œuvre de science, laquelle se prête à leur effort pour travailler conceptuellement ce que l’amour (et le donné qu’il révèle) livre de Dieu.
48Le porte-à-faux de l’entreprise de Jean-Luc Marion s’explique parce qu’elle prétend être celle du théologien alors qu’elle est encore et toujours celle du philosophe aliéné dans l’idéologie chrétienne. La foi (pour reprendre sa terminologie) sature, mais ne rature pas. Elle sature la pensée, mais ne rature pas l’être de Dieu, seulement les mots qui désignent sa réalité divine dans laquelle ils ont mission d’entraîner l’intelligence. Cela, Denys l’Aréopagite l’a enseigné aux philosophes et aux théologiens depuis quinze cents ans.
49Il enseigne que la foi "rature", dans le processus de la connaissance contemplative, le sens humain des mots ("el sentido") afin d’unir l’intelligence aux réalités qu’ils désignent. Pour ce faire, Dieu n’a pas à commencer par se raturer lui-même en ruinant la théologie naturelle et en se présentant comme l’Impensable, comme l’au-delà de l’Être (Plotin opte pour cette voie des philosophes, et Heidegger plus près de nous). Car le Dieu unique de la Bible n’a rien de commun avec l’Un-Bien, du moins n’exige-t-il pas comme les philosophes néo-platoniciens que l’on ruine l’Être pour accéder à Lui. Son secret, son originalité si l’on ose dire, est qu’il se manifeste à l’homme divinement dans son intimité sans porter la moindre atteinte à la capacité de l’homme de parvenir à savoir qu’Il est. La foi n’a pas besoin d’anéantir la raison pour livrer passage au Dieu chrétien dans l’intelligence. Et la raison, sans cesser d’être elle-même, reçoit de la foi cette connaissance en se laissant transformer divinement. Elle s’ouvre à Dieu, pourrait-on dire, toutes portes fermées.
50 Tout le dynamisme qui relie, dans la foi, la théologie naturelle à la théologie surnaturelle, est ainsi précisé. Si l’on en fait abstraction, il ne faut pas s’étonner de voir le philosophe s’évertuer vainement à résoudre une aporie dont il est seul responsable. Le problème de Dieu sans l’être ne se pose qu’à partir du moment où l’on aborde le domaine de la théologie (l’accomplissement surnaturel de la théologie naturelle dans le christianisme) en philosophe, ce qui évoque l’erreur de l’aveugle qui se propose de résoudre le "problème" de la couleur. Le problème ne se pose pas.
51Mais c’est ce propos qui pose un problème : celui de l’aliénation de la philosophie chrétienne par la théologie elle-même chez ces jeunes philosophes-théologiens contemporains. On peut se demander s’ils ne tentent pas de faire rentrer dans la théologie fidéiste du cœur, de l’amour sans connaissance33, l’ambition humaine de la construction de Dieu, bref si la tentative de critiquer radicalement la théologie naturelle et la métaphysique (d’ailleurs confondues) ne procède pas du désir de renouveler en christianisme, sous le couvert du langage de la mystique, le rêve de l’union à l’Un-Bien du platonisme antique et médiéval. La critique de l’idéologie chrétienne parvenue au terme de son histoire relance alors l’idéologie à son point de départ. Ainsi en va-t-il de la philosophie lorsqu’elle s’aliène en se prenant pour une théologie. Elle renoue le cercle de l’éternel retour à l’essentialisme.
52 4. - Pour sortir de l’idéologie, pour surmonter le conflit historique de l’essentialisme et de l’existentialisme contemporains, une vigoureuse prise de conscience théologique s’avère nécessaire, surtout de la part des chrétiens, chez qui le séparatisme de la philosophie et de la théologie a été et demeure responsable de l’idéologie.
53La question est posée, elle concerne la problématique dans son essence comme préalable à toute enquête sur Dieu. Pour un chrétien, la réponse est sans ambiguïté. Cette problématique ne peut être que celle de la foi. C’est à partir de la théologie révélée, théologie mystique et théologie comme sciences distinguées et unies, que la question disputée aujourd’hui sur "dieu", "Dieu" ou "Dieu" doit être posée et, si possible, résolue. En dehors de cette problématique, elle ne recevra pas de réponse fondée, puisque c’est à la suite de son abandon qu’ont été posées toutes les apories depuis Scot, Kant et, de nos jours, Heidegger.
54Le fond du problème concerne la situation paradoxale de la philosophie chrétienne depuis Kant. En s’attaquant à la question du savoir sur Dieu, ces philosophes, chrétiens au moins de culture, semblent avoir été impressionnés par la critique kantienne de la théologie. Tout se passe comme s’ils avaient renoncé à faire valoir vigoureusement l’existence d’une théologie naturelle face à la négation de la critique kantienne des preuves de l’existence de Dieu, comme s’ils avaient troqué la foi vive pour la foi morte, la foi qui vivifie la raison du philosophe et la rend capable d’un savoir réel sur Dieu. Ces philosophes chrétiens abritent leur foi morte comme un vide à combler, comme une absence au sommet de l’interrogation philosophique.34
55 La foi en négatif, c’est bien elle qui est à l’œuvre aussi bien dans la négation de l’athéisme des philosophes de Nietzsche à Heidegger, à Sartre, comme dans l’affirmation des philosophes chrétiens d’aujourd’hui de Clavel à Marion. L’erreur de ces derniers consiste à reprocher à saint Thomas l’erreur qu’ils commettent eux-mêmes à son sujet, à savoir d’avoir ontologisé Dieu. S’agissant de Marion et pour lui emprunter son langage, nous devrions dire que saint Thomas a succombé à une idolâtrie de l’icône dont lui-même et lui seul est inconsciemment victime.35
56Le cas de ces philosophes chrétiens révèle à quel point la métaphysique comme science de l’être est devenue la chose du monde la moins bien partagée (parmi les philosophes) depuis Descartes et ses précurseurs médiévaux. Grâce à Étienne Gilson et à l’admirable monument philosophique qu’il a érigé à la louange de l’Être, nous comprenons à quel point ce n’est pas seulement la théologie (comme science) qui requiert l’animation de la théologie révélée (comme sagesse), mais aussi la philosophie comme sagesse suprême accessible à la raison. Rien mieux que l’histoire de l’idéologie et des résistances de l’intelligence humaine à se laisser illuminer, transverbérer par la lumière de la foi, ne montre à quel point celle-ci guérit et surélève la raison blessée de l’homme. L’épisode final (actuel) de l’aliénation de la philosophie chrétienne en Occident vient donc, tout à point, apporter à la problématique de saint Thomas la plus éclatante confirmation.
57En dehors d’elle, l’homme est aliéné par et dans l’homme, les bases naturelles de sa divinisation étant paradoxalement ruinées et détournées vers une vision de la raison close sur elle-même et venant fonder un humanisme coupé du Dieu qui pourrait seul le fonder parce que seul il sauve l’homme.
58Le retour du sacré constitue depuis le dernier quart du XXe siècle un thème très actuel. On en parle. La production littéraire, historique, politique, philosophique et théologique le prouve. Mais il s’agit d’un symptôme dont l’interprétation se révèle difficile du fait de son ambiguïté : ce que l’on appelle un retour du sacré est aussi bien le signe d’une régression vers le passé de l’idéologie que le signe d’une sortie prochaine. Ce qui fait défaut à la pensée contemporaine est tout le contraire de la récupération du sens du sacré, c’est la redécouverte du sens de la sainteté. La sainteté défie toute idéologie. Le sacré, coupé de la sainteté, l’engendre.
59L’attrait pour le vide "spontanéiste", dont la manifestation violente s’est faite en 1968, dure encore. Le flux et le reflux de l’après-Hegel, de l’après-Marx, de l’après-Freud, de l’après-Heidegger, de l’après-Sartre, de l’après-Camus, etc. se traduit par la multiplication des œuvres brillantes et souvent profondes que nous vaut la méditation de nos contemporains.
60Elles s’ordonnent autour des trois approches philosophique, poétique, politique de l’humain et du divin. Elle révèlent presque toujours le vide de la foi religieuse ou son idéologisation, dans les deux cas le poids de la problématique de l’idéologie passée, l’impuissance critique à surmonter les limites d’un point de vue partial, bref l’absence de la seule auto-critique qui permettrait à chacune de ces approches philosophique, poétique et politique d’atteindre à sa pleine objectivité.
61 Nous pouvons passer en revue rapidement des œuvres particulièrement significatives, parmi d’autres très nombreuses, dont les auteurs font la critique de l’aliénation moderne sans en sortir.
62Nous venons de voir l’exemple d’un "nouveau philosophe", entre autres. L’approche poétique est assez bien illustrée par le "nouveau romantisme" de Michel Le Bris. A la recherche du paradis perdu, Le Bris remonte l’histoire comme on remonte un fleuve, à la recherche de sa source, pour la chance d’une délivrance.36 Il a failli trouver la source.
63Le Paradis perdu s’ouvre sur les lignes fameuses de la Phénoménologie de l’Esprit où Hegel évoque la fin d’un monde et de ses concepts qui se dissolvent, pareils à un songe. C’est un livre qui est au cœur des interrogations auxquelles l’époque actuelle post-hégélienne et post-marxiste tente de répondre.
64Le Bris cherche dans l’illusion lyrique le symbole de Dieu "qui existe mais qui est une fiction".37 On voit dans quel dédale l’approche poétique introduit d’entrée de jeu le "romantique" contemporain. Le symbole, selon Le Bris, est à prendre (par-delà l’allégorie ancienne et psychanalytique) comme "un signe qui serait de lui-même figure, signe intransitif en somme, signe ultime, opérateur de la compréhension, épiphanie, inscription d’un infini dans le fini".38
65Le "nouveau" romantisme ressuscite l’approche esthético-philosophique du romantisme allemand de jadis, de Hegel, Schelling, Hölderlin et Novalis pour qui le "chemin mystérieux va vers l’intérieur". S’il innove, c’est qu’il est plus cyniquement nominaliste et semble répudier toute illusion sur la réalité d’un monde qui existe, mais qui n’est que fiction.
66Et pourtant, Le Bris engage le véritable débat philosophique et théologique que pose le romantisme allemand et la philosophie hégélienne, c’est-à-dire la question de la signification de la mystique chrétienne. Il a rappelé le sens de la visée finale de Hegel où c’est la réminiscence qui fonctionnera, la Mémoire (Erinnerung), pas la mémoire du Christ offert en sacrifice pour le salut du monde.
67Peut-on surmonter l’aliénation de la pensée contemporaine et faire de nos jours l’éloge de cette Mémoire hégélienne qui ruine dans son fondement la foi chrétienne et son Sacrement, la "mystérieuse et transparente Eucharistie"39 ?
68Hegel enseignait que le nouveau surgissement de l’Esprit qui l’attendait était son achèvement dans la découvert de la transcendance de l’immanence de l’Esprit à lui-même, dont la perfection consiste à savoir intégralement ce qu’il est, par sa concentration en soi-même, son "intériorisation". Par cette intériorisation, l’Esprit est censé atteindre au point d’union un transcendant qui lui est "plus intérieur que lui-même à lui-même", dans un processus de réalisation où l’Esprit "abandonne son être-là et confie sa figure à la réminiscence". A travers la nuit - de la connaissance de soi, pas de la foi - l’Esprit est ainsi conduit à la "naissance d’un monde nouveau, où l’esprit d’enfant lui sera rendu dans la lumière d’une aube nouvelle". "Tout ce qui précède sera comme perdu pour lui, l’expérience des Esprits qui l’ont précédé aussi, et l’Esprit recommencera depuis le début aussi naïvement pour achever dans un état supérieur le Grand Œuvre de l’alchimie philosophique qui prétend réduire la foi en une fiction véritable. L’Esprit extraira alors sa propre grandeur de son propre néant". Il est difficile de parcourir ces lignes sans éprouver l’effroi devant l’imposture verbale qui s’y déploie. Tout le prestige kabbalistique du génie spéculatif de Hegel et des romantiques allemands s’y retrouve ; mais paradoxalement en vue de guérir une maladie mentale qui n’est autre que le remède.
69Si Le Bris veut être critique dans le sens où la décomposition de l’idéologie chrétienne en impose aujourd’hui le devoir aux croyants, il faut qu’il sache reconnaître dans la Mémoire de Hegel la dernière représentation de la christologie de Luther, une représentation purement et simplement impie. Également, que soit mise en évidence l’inversion de la découverte de l’immanence de la transcendance (dans l’incarnation du Verbe et la naissance du Fils de Dieu), c’est-à-dire l’inversion de la Révélation chrétienne dans la pseudo-découverte de la transcendance de l’immanence de l’Esprit à lui-même imaginée par Hegel. En 1983, il est à peine pensable que l’on puisse encore prendre au sérieux la démarche de Hegel. Encore moins s’agissant de retrouver "contre tout ce qui nous constitue aujourd’hui en modernité", hors des "sentiers obligés de la Nature et de l’Histoire, le visage d’Autrui, probablement la clé du Nouveau Monde".40
70Le Bris fait l’éloge de la Mémoire hégélienne, comme il se doit lorsque l’on se confie sans réserve à la religion poétique dont la faculté maîtresse est la mémoire. Il rapproche à juste titre l’Erinnerung hégélienne de la réminiscence gnostique, de la nostalgie goethéenne et de la vision de l’éternelle liberté de Schelling et de Novalis.41 Mais comment peut-il écrire : "cette réminiscence nous est (…) la lumière qui nous guide et appelle à la résurrection. En elle, l’Histoire, délivrée des historicismes, retrouve son sens (…) et se noue indissolublement à la reconquête de l’Esprit".42
71Voilà qui pose bien la question définitive : pour nous sortir de l’aliénation de la pensée contemporaine, nous avons le choix de la voie du délire ouverte par Le Bris ou celle de la re-découverte du vrai sens de la mémoire du Christ offert en sacrifice pour le salut du monde.
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72 5. - L’ambiguïté de l’actualité contemporaine tient pour une bonne part à ceux qu’on a appelés non sans justesse les catholaïques.43 Promoteurs d’un certain retour au sacré, ces catholiques sont les arrière-petits-enfants des philosophes de l’idéologie chrétienne, de ces philosophes qui se présentaient eux-mêmes en déclarant qu’ils ne feraient pas de théologie, qu’ils feraient la philosophie neutre de tout le monde, comme pour se prouver à eux-mêmes que leur foi chrétienne ne les aliénait pas dans une philosophie théologique. Les catholaïques d’aujourd’hui nous font payer cher cet illusoire compartimentage. Leurs ancêtres avaient séparé et opposé la philosophie et la théologie qu’ils malmènent aujourd’hui en brouillant leurs frontières. Il fallait le prévoir. Lorsque l’on distingue au lieu d’opposer les ordres de la raison naturelle et de la foi, l’intelligence humaine peut savoir de Dieu ce que la raison naturelle en connaît et croire de lui ce que la foi enseigne. Elle n’est pas tentée d’opposer ce savoir à sa croyance, encore moins de les confondre. Elle sait même que les vérités salutaires accessibles à la raison naturelle - telle que celle de l’existence de Dieu - devaient être révélées afin d’acquérir la plénitude de leur vérité dans l’intellect, étant, dans la lumière de la foi, accueillies divinement dans la force qui vient d’en haut.
73L’erreur fondamentale du philosophisme de l’idéologie chrétienne manifeste aujourd’hui sa nocivité. Cette erreur concernait la visée transcendante de la vérité chrétienne. Cette vérité est transcendante, parce qu’elle opère en transcendant la vérité rationnelle ; mais ce faisant, elle ne la supplante pas, elle se fonde sur elle, elle l’accomplit au-delà d’elle-même en se révélant elle-même. Il n’y a pas de révélation d’une vérité divine prise à part de la vérité sur Dieu que la raison découvre par elle-même. La révélation introduit la vérité de la théologie naturelle dans le mystère de la vérité divine qu’elle ne fait qu’entrevoir. Elle élargit par là-même les perspectives philosophiques de la raison et permet de juger du dedans toute doctrine philosophique pour en sauver la part de vérité en la discriminant de sa part d’erreur. C’est là ce que la lumière de l’Évangile et la foi de l’Église ont réalisé dans l’histoire magnifiquement dans l’intelligence de saint Thomas d’Aquin. C’est, au contraire, ce que le philosophe chrétien de l’idéologie a méconnu et ce que nos modernes catholaïques continuent de méconnaître en sens inverse.44
74Pratiquement toute la production de la jeune pensée en France depuis 1968 renvoie à ce questionnement décisif. Il n’est d’écrivain, de Clavel à Philippe Sollers, de Gérard Leclerc à Jean-Luc Marion, de Michel Le Bris à Hubert Reeves45 etc. qui ne fasse se poser la question : Qu’est-ce qui est visé à travers ces nouvelles convergences des approches philosophiques, poétiques, politiques différentes et exprimé dans des mots qui font choc ? Est-ce la foi dans sa réalité surnaturelle et divine, ou le succédané que l’on en fabrique depuis longtemps au niveau de l’idéologie toujours active ? Il est sûr que l’histoire imprévue des années 1980 sera l’histoire de notre réinterprétation de la théologie, de la théologie médiévale, que la philosophie moderne et la philosophie des lumières pensaient avoir abolie. Mais il n’est pas sûr que ces jeunes auteurs, dont l’ardeur et le talent témoignent d’une si vive prise de conscience de notre aliénation politique, esthétique et philosophique, contribuent réellement à une telle réinterprétation.
75C’est naturellement lorsqu’elle s’attaque à l’interprétation de la mystique chrétienne que la pensée contemporaine révèle la perversité de l’idéologie chrétienne dont elle est issue. Dans son ouvrage La Fable mystique, Michel de Certeau se propose de rendre compte de la nature de la mystique chrétienne. Son approche associe l’approche d’une théologie du surnaturel dévoyée dans l’idéologie dualiste et l’approche psycho-linguistique inspirée par la théorie de Lacan.
76Il évoque l’analogie de fonctionnement entre la mystique (telle qu’il la conçoit à partir de l’ascéticisme anti-mystique de la Compagnie de Jésus) et la psychanalyse. Doublement intéressante son évocation46 : d’une part, elle révèle que la problématique qu’il applique au "langage" des mystiques est celle de Freud et de Lacan, et d’autre part, elle rend manifeste la continuité qui règne entre la néo-mystique de l’idéologie chrétienne apparue à la fin du XVIe et du XVIIe siècles et la psychanalyse contemporaine. De Certeau, critique des mystiques chrétiens, est l’héritier des théologiens classiques de l’ascéticisme des jésuites. Il est surtout l’analyste lucide d’une aliénation de la mystique que la psychanalyse est venue aggraver considérablement. Avec lui, on ne sort pas de l’impasse de la mystique vieille de plus de trois siècles. L’auteur en est conscient.47
77Comme Freud, comme Marx, il est prophète en son pays. Ces gens savent de quoi ils parlent : de la névrose spirituelle héritée de l’histoire mystique, religieuse et culturelle de l’idéologie de l’Occident. La réalité est malheureusement conforme à ce qu’ils stigmatisent ; mais leur lucidité ne constitue pas le remède à la maladie et celui qu’ils proposent l’aggrave mortellement. Chacun d’eux a recours, pour sortir de l’impasse telle qu’il la perçoit, à un mythe et ce mythe est précisément ce qui l’y maintient. Le mythe du meurtre du Père et de l’Œdipe chez Freud ; le mythe de la mort du Dieu - Père du judaïsme - chez Marx.
78Chez Michel de Certeau, il s’agit du mythe de la mort du Père comme Locuteur donnant sens au monde, la fin du "postulat" de la révélation judéo-chrétienne. A partir de là, tout s’explique comme le sur-moi et l’inconscient chez Freud, comme la mission du prolétariat chez Marx : chez de Certeau, c’est la mystique qui tente de sauver l’Absent ! La mystique serait la mélancolie d’une âme consciente d’un manquant qui fait écrire, qui "tatoue le corps", elle est à l’âme désirante ce que la névrose est à l’âme brimée par le sur-moi. L’erreur consiste ici à croire que c’est la formalité du discours, une manière de pratiquer autrement le langage qui est d’abord en cause dans la mystique et non pas Dieu dans l’expérience spirituelle qu’il procure de lui-même à l’âme. Ce présupposé48 explique l’analyse du rapport du référent (stable) au texte : le référent absolu habite le langage qui indéfiniment ne peut le dire qu’en s’effaçant. Il hante le langage et il ne lui doit rien.
79Cet "Autre qui organise le texte" n’est pourtant pas "un hors-texte" :
80"Ce n’est pourtant pas l’objet (imaginaire) qu’on distinguerait du mouvement par lequel ça (Es) se trace. Le localiser à part, l’isoler des textes qui s’épuisent à le dire, c’est l’exorciser en le pourvoyant d’une place et d’un nom propre, c’est l’identifier à un reste laissé par des rationalités constituées, ou c’est transformer en une représentation religieuse particulière (tour à tour exclue des champs scientifiques ou fétichisée comme subsitut d’un manque) la question qui apparaît sous la figure de la limite : c’est postuler derrière les documents ("mystiques") un n’importe quoi, indicible, malléable à toutes finis, "nuit où toutes les vaches sont noires". Cette fine analyse appelle néanmoins quelques précisions, car il faut rétablir les choses.
- - L’Autre (le référent mystique : Dieu) est bien un hors-texte ; mais sans lui, il n’y a pas de texte. Il est à la fois hors et dedans, transcendant et immanent. C’est bien lui qui organise le texte, qui le dit. Son nom, pourquoi ne pas le dire (sans le raturer comme tel autre), est : Dieu, Dieu présent dans l’âme au-delà des mots, Dieu indicible, mais qu’un seul mot rend présent : Abba !
- - Le Dieu transcendant (le Hors-Texte) n’a pas à être extrait des textes pour être exorcisé comme le fantôme qui les hante et qui n’attendrait que cela pour acquérir corpulence et réalité (fétichisme !). S’il passe par les textes, ce n’est pas dans le texte qu’il s’unit au monde, ni dans les choses du monde, c’est dans l’âme de l’homme en qui seule sa Parole vivante peut demeurer.
- - Le référent ne saurait s’extraire des textes qui le disent, car ces textes sont lus en allant de lui présent dans l’âme à eux qui signifient cette présence.
- - L’Autre n’est pas un produit du désir de l’Absolu, d’un désir en manque d’une "science de Dieu", d’une rationalité théologique.
- - Faire comme si le langage mystique partait du texte vers le référent, c’est succomber au magisme de l’ange porteur de lumière. Cette lumière qu’il a reçue d’un autre, il a dessein de la produire à partir de celle qu’il tient dans ses mains comme un texte.
81Mais l’analyste a fait l’impasse sur la foi. Il se refuse à "reconduire toute interlocution au commencement absolu d’un premier Locuteur"49. Justement la foi ne demande pas cela, mais qu’on accepte le témoignage de ceux qui ont vu et de ceux qui ont entendu, de ceux qui ont touché de leurs mains pour que nous nous unissions à Lui. Finalement, ce que de Certeau se refuse à faire, ce n’est pas le geste de la foi, c’est le geste luciférien du producteur de Dieu avec lequel il a manifestement confondu le geste de la foi.
82L’analyse proposée dans La Fable mystique constitue néanmoins un document qui témoigne de la profondeur de l’aliénation religieuse de la pensée contemporaine. Il est exact que l’idéologie se traduisait au siècle de sainte Thérèse par le divorce entre la mystique et la spéculation, l’absolutisation du sujet et du moi ("volo") tandis que de nos jours, elle s’exprime dans la problématique de la psycho-linguistique et de l’énonciation. La Fable mystique d’aujourd’hui respecte globalement le langage reçu de la religion, mais elle le traite autrement. Elle déconstruit du dedans les valeurs essentielles de la religion : "Depuis l’assurance en un Locuteur divin dont le cosmos est le langage, jusqu’à la vérifiabilité des propositions composant le contenu révélé ; depuis la priorité que le Livre détient sur le corps, jusqu’à la suprématie (ontologique) d’un ordre des êtres sur une loi du désir… "50
83C’est bien ce que nous pouvons constater : les "mystiques" d’aujourd’hui vont métamorphoser le cadre religieux où ils opèrent encore et introduire la radicalité de la question du sujet et d’autres "motifs" mystiques dans d’autres secteurs culturels de la psychologie, de la philosophie, de la littérature romanesque, lyrique ou dramatique. Il n’est que de parcourir la page littéraire d’un grand journal quotidien pour le constater : les christolaïques pullulent51.
84 L’ésotérisme fait florès sur les rayons de nos libraires (avec la fiction). Pseudo-science symbolique d’un côté, pseudo-mystique fabuleuse de l’autre. C’est là un des aspects les plus curieux du désarroi où l’idéologie a jeté nos contemporains. Faute de se satisfaire de cheminer sur les voies d’approche traditionnelles du divin et de l’humain, les voies de la philosophie, de l’esthétique, de la politique d’ailleurs dispersées et affrontées les unes aux autres par l’effacement de la mystique, ils prétendent innover et chercher le changement dans la confusion des voies, des langues et des voix. Le vieil ésotérisme symbolique refleurit ; mais on en invente d’autres plus ou moins imprégnés de nostalgie théologico-mystique, celle des catholaïques, celle des maoïstes repentis, voués à retrouver le Paradis perdu dans un néo-romantisme, celle des politiques enfin qui établissent en purs matérialistes la nature religieuse de l’existence collective.
85 6. - Le roman prophétique de George Orwell, 1984, "révélait" en 1950 que le faux Dieu de l’Histoire s’était incarné au terme de l’évolution de l’idéologie théologico-politique qui avait animé l’Occident depuis ses origines, y compris dans la période chrétienne du Moyen Age jusqu’à l’époque contemporaine. Tout ce qui s’incarne dans ce Dieu, Big Brother, matérialise ce que le Dieu de la Révélation biblique n’est pas, mais qu’il est devenu au long de cette histoire. Il est l’anti-Dieu, le Dieu de l’anti-Christ. Big Brother est l’œil du jugement qui espionne la vie des hommes et les transforme en prolétaires sans passé, sans histoire, sans esprit et sans visage ; qui se tapit dans sa demeure au fond de Wall Street et au fond du Kremlin.
86Ce que George Orwell avait imaginé est devenu réalité et ce qu’il a "vu", nos contemporains le découvrent. Témoins, mais témoins aveugles, ils ne comprennent pas le sens de cette histoire qui révèle pourtant le sens de leur Histoire : l’Esprit absolu de Hegel s’est incarné dans le monde qu’il a produit et qui est le nôtre.
87Le sens de cette Histoire obsède les historiens professionnels, mais plus encore les philosophes qui l’abordent dans une approche cynique qui est celle de la religion politique. C’est Régis Debray qui a mis à nu très lucidement la logique de la corrélation entre la réduction théologique du sens chrétien de l’Histoire et l’organisation politique de cette logique dans ce qu’il appelle la physique de l’orthodoxie totalitaire contemporaine où apparaît "la Bête et son processus de création".52
88La Bête, sortie de l’Apocalypse, c’est la Bête de l’idéologie, qui voulait faire l’ange ; c’est le nom savant du malin que Régis Debray lui attribue, au sortir d’une vision au cours de laquelle il a eu la révélation de l’illusion du marxisme originel.
89 Du Moyen Age à nos totalitarismes, c’est l’interaction de la théologie chrétienne et de l’organisation politique du Pouvoir qui a traversé l’histoire jusqu’à ce que nous en prenions conscience, ici et là, du côté des marxistes et du côté des chrétiens. Le progrès de cette histoire enregistré au plan du temps social donne le vertige, le vertige de l’exponentiel. "D’un côté, la courbe domestication des énergies nouvelles, de l’autre, la courbe déchaînement des énergies religieuses. A la mondialisation des objets correspond la tribalisation des sujets et il y a là une équation aux valeurs inverses, mais corrélatives, dont les valeurs peuvent croître jusqu’à un résultat nul." Pour Régis Debray, ce néant de la fin de l’Histoire approche. "Diverses tribus hostiles s’étant dotées là du feu nucléaire."53
90Cette vision d’Apocalypse, ce n’est pas la Bête qui donne de pouvoir la consigner dans un livre prophétique, c’est le Dieu de l’Histoire auquel Régis Debray croit qu’il ne croit pas, le Dieu d’un autre feu que celui de la fin de l’aliénation de l’Histoire, le feu de Celui qui a dit : "Je suis venu apporter le Feu sur la terre et que veux-je sinon qu’il brûle ?".
91La Critique de la Raison politique est l’adieu lucide à l’illusion marxiste, la dernière des illusions de la théosophie négative de l’athéisme dont l’origine, nous l’avons vu, remonte au Moyen Age chrétien lorsque l’Ecole a laissé dériver vers la spéculation et la politique le pouvoir spirituel de l’esprit de l’Evangile. L’entreprise critique que mène Régis Debray souffre de la partialité inhérente à l’approche de la religion politique lorsqu’elle n’est pas associée à l’approche de la religion naturelle telle que la théologie chrétienne permet de la mener. Aussi constitue-t-elle une vision de l’Histoire en creux, d’où est absent Celui qui seul peut en dévoiler le sens. Mais, telle quelle, cette théohistoire inversée révèle cependant une logique du phénomène de l’idéologie, la logique de la sacralisation du naturel dont elle ne comprend plus le sens, mais dont elle démonte admirablement le mécanisme mental.54
92Retenons l’énoncé de la "sentence" définitive qui devrait retentir aux oreilles de tous les idéologues rassemblés pour le Résultat Nul : "En fait, la synthèse n’est pas homogène à la thèse, le troisième stade n’est pas l’Aufheben des deux premiers.55
93Ce qui veut dire : Il n’y a pas d’"assomption de l’Homme au ciel des idées", mais seulement incarnation du Verbe en Jésus-Christ.
Notes de bas de page
1 Parmi les philosophes contemporains qui aspirent à retrouver la "synthèse chrétienne" de la philosophie et de la théologie, mettant en œuvre l’expérience spirituelle de la foi, Maurice Blondel occupe une place à part. S’agissant du problème essentiel de la mystique chrétienne, l’accomplissement du désir naturel de Dieu par le don de la grâce surnaturelle, il a rectifié avec maîtrise l’erreur du dualisme de la théologie moderne et poussé à partir de cette position son analyse profonde de l’Action.
Très significative de l’impasse de la philosophie contemporaine est l’œuvre de Louis Lavelle dont la Dialectique de l’éternel présent constitue une tentative pour harmoniser hégelianisme et son contraire (Louis Lavelle, De l’Âme humaine, Aubier 1951. L’ouvrage est publié dans la collection Philosophie de l’Esprit dirigée par L. Lavelle et P. Le Senne. Il fait partie des cinq ouvrages conçus à partir de la dialectique de l’éternel présent : 1. De l’Être ; 2. De l’Acte ; 3. Du Temps et de l’Eternité ; 4. De l’Âme humaine ; 5. De la Sagesse. Lavelle substitue à la présence de l’Eternel l’éternité de la présence de l’Esprit à lui-même, tout à fait dans la continuité d’un hégelianisme inversé dans une philosophie de l’immanence de l’esprit à lui-même. Sous ce rapport, elle représente un effort pour surmonter la dialectique hégelienne dans un spiritualisme symétrique à l’effort de Marx, qui vise à la surmonter dans un matérialisme. L’entreprise de Lavelle prend l’allure d’une réfutation du marxisme, mais il semble qu’elle y échoue dans la mesure où elle est tributaire de la même problématique de l’idéologie chrétienne et qu’elle fait à son tour l’impasse sur l’"être chrétien" et sur l’"être homme" tout court. La notion de participation est chez Lavelle une notion chrétienne soumise à un traitement spiritualiste d’origine platonicienne. C’est la perspective de saint Augustin qui reparaît, mais gauchie selon l’immanentisme radical de la pensée moderne, de telle sorte que dans la philosophie de Lavelle on retrouve sous l’héritage chrétien l’élan de la mystique plotinienne. D’où son ambiguïté. Le centre de la méditation lavellienne est constitué par l’âme humaine et le moi. Lavelle se refuse à les confondre et à les séparer. Il refuse le dualisme de l’âme et du moi, mais son essentialisme foncier l’empêche de refuser la distinction de l’âme et de l’esprit. Parce qu’il ne veut pas séparer l’âme et l’esprit (nous le savons, seule la Parole de Dieu opère une telle séparation pour le salut spirituel de l’homme), Lavelle s’est vu conduit à les confondre. De là l’ontologisation fondamentale de sa pensée si finement augustinienne et plotinienne.
2 L’hellénisme inventera le langage qui dira ce mystère lorsque Denys, le pseudo-Aréopagite, s’attachera à exprimer ce que le philosophe de l’Être éprouve dès l’instant qu’il se laisse conduire par saint Paul pour accéder, comme lui, dans le silence de la prière animée par la foi, à l’Inconnu qui s’est manifesté d’abord en venant partager corporellement l’existence des hommes, puis en envoyant son Esprit pour achever de se manifester plus divinement encore, comme caché dans sa manifestation.
3 L’Être et l’Essence, o.c. pp. 370-371.
4 Martin Heidegger, Lettre sur l’Humanisme (1946) dans Questions - Gallimard, Paris 1966. "La métaphysique ne pose pas la question portant sur la vérité de l’Être, mais encore elle empêche qu’elle soit posée dans la mesure où la métaphysique persiste dans l’oubli de l’Être" (p. 123). Heidegger englobe dans la "pensée historico-ontologique" la métaphysique, "qu’elle soit idéaliste, matérialiste ou chrétienne" (p. 118). En 1957, dans Der Satz vom Grund (Le Principe de Raison, Gallimard 1962) il formule à nouveau sa thèse selon laquelle l’histoire de la pensée occidentale est celle de la dispensation de l’Être retiré en lui-même : avec Hegel se parachève la métaphysique dans la ligne ontologique de la subjectivité kantienne, et simultanément l’extrême retrait dissimulé sous cette dispensation de l’Être (pp. 188, 191, 196). On oublie dès lors de "se tenir sous l’appel de l’Être" (p. 268).
5 Le Principe de Raison, o.c., p. 26 et Lettre sur l’Humanisme, o.c., pp. 138-139.
6 Lettre à Jean Baufret (1945), Questions III, o.c., p. 156.
7 Lettre sur l’Humanisme, o.c., p. 110. Marx et Nietzsche y ont leur place. Il ajoute : "Supposé qu’à l’avenir l’homme parvienne à penser la vérité de l’Être, il pensera alors à partir de l’eksistence". Ce qui veut dire à partir de la problématique de Heidegger.
8 Voir la préface de J. Beaufret au Principe de Raison, o.c., p. 11.
9 Lettre sur l’Humanisme, o.c., p. 115.
10 Lettre sur l’Humanisme, o.c., p. 113.
11 Ib., p. 131 : "Il se tient en extase vers l’ouverture de l’Être, ouverture qui est l’Être lui-même lequel, en tant que ce qui jette, s’est acquis l’essence de l’homme en le jetant dans le souci".
12 Ib., p. 132.
13 "Trouver le dieu possible par la poésie". Telle est la quête que Juan-Ramón Jiménez (dont l’œuvre illustre admirablement la pensée heideggerienne) a menée tout au long de sa vie. Voir spécialement les œuvres de la dernière période : Animal de Fondo (1948) et Dios deseado y deseante.
14 Témoins Federico García Lorca et certains surréalistes.
15 Aus der Erfahrung des Denkens (L’expérience de la pensée, Questions III, p. 21).
16 L’expérience de la pensée, p. 29 : "Le bon et salutaire danger est le voisinage du poète qui chante".
17 Jean Beaufret, préface à Der Satz vom Grund, o.c., p. 32.
18 Ib., p. 33.
19 Etienne Gilson, L’Être et l’Essence, Paris, Vrin (2e éd.) - 1981, pp. 309-310.
20 Ib., p. 309.
21 Ib., p. 314.
22 Ib., p. 314.
23 Ib., pp. 302-303.
24 J.-P. Sartre, La Nausée, Paris, Gallimard – 1938, pp. 162-163. Voir J. Maritain, La Philosophie morale, Paris, NRF - 1960, pp. 461-472.
25 Ib., p. 301.
26 E. Gilson, o.c., p. 302.
27 Ib., p. 303.
28 Ib., p. 303.
29 Ib., p. 303.
30 J.-P. Sartre, Le Diable et le Bon Dieu.
31 Jean-Luc Marion, Théologiques. Dieu sans l’Être, Paris, Fayard 1982 - pp. 50-51.
32 Ib., pp. 70-73.
33 O.c., p. 157 et ss.
34 J.-L. Marion, op. cit. pp. 73 & 195, transcrit curieusement I Jn. 4,8 : "Dieu est amour" en écrivant : "Dieu [est] agapè". Commentaire : "Seul l’amour n’a pas à être. Et Dieu aime sans l’Être". On ne saurait contredire d’une manière plus abrupte l’évidence, car Dieu, dit saint Jean, est amour.
35 Marion considère comme idolâtrie la théologie naturelle que saint Paul tient pour une révélation naturelle de Dieu. L’Apôtre tiendrait donc compagnie à saint Thomas (tandis que saint Jean tiendrait compagnie à Marion). V. J.-L. Marion, L’Idole et la distance, Paris, Grasset 1977.
36 Michel Le Bris, Le Paradis perdu, Paris, Grasset 1981 - p. 17.
37 Ib. p. 367.
38 Ib. p. 23.
39 Joseph Eyquem, Transparente et mystérieuse Eucharistie, P. Lethielleux, Paris, 1983.
40 Le Bris, o.c., p. 22.
41 Ib., p. 47-48.
42 Ou encore : "elle est la montée de l’Esprit au Golgotha", "le calvaire de l’Esprit absolu".
43 Jean-Maurice de Montremy : Le catholicisme inattendu, La Croix, Paris, 5-6 octobre 1982.
44 Cf. Étienne Gilson : Introduction à la philosophie chrétienne, Vrin, Paris 1960 ; Le philosophe et la théologie, Fayard, Paris 1960 - pp. 191-216.
45 Sophia ou l’Âme du monde, Albin Michel, Paris 1983.
46 La Fable mystique, o. c., pp. 15-19.
47 "L’historien des mystiques, appelé comme eux à dire l’autre (l’Unique, ce "mort") redouble leur expérience en l’étudiant (…) tel Narcisse, l’acteur historien observe son double… " (p. 21).
48 O.c., pp. 27-29.
49 O.c., p. 168.
50 O.c., p. 15.
51 O.c., pp. 17-18. De Certeau établit une comparaison entre "le destin de cette figure épistémologique" et l’histoire actuelle de la psychanalyse.
La psychanalyse s’adresse à des bourgeois nostalgiques face aux technocrates qui les remplacent. Elle est liée à leurs valeurs, mais en détériore les postulats : - l’a priori de l’unité individuelle ; - le privilège de la conscience (principe de la société éclairée) ; - le mythe du temps, du progrès et de l’éducation. Il souligne encore entre les procédures similaires une série de comparaisons : On s’en prend radicalement aux principes fondateurs du système historique à l’intérieur duquel elles sont pratiquées. On autorise en face un espace "mystique" ou "inconscient". L’énonciation échappe à la logique des énoncés (oraison, transfert). C’est le corps qui répond d’une vérité insue : il n’a pas à obéir aux discours. A repérer dans les représentations les traces des désirs, pulsions, intentions, affects qui les produisent, en vue de repérer les ruses du langage qui construisent les quiproquos d’un caché et d’un montré. De Certeau signale enfin une série de concepts focalisant le lexique : l’Autre, l’altérité, le désir, le clivage du sujet, l’étrange familiarité, la duplicité du propre, le miroir narcissique, le vocabulaire de la sexualité et de la différence…
52 Régis Debray, Critique de la raison politique, p. 90.
53 O. c., p. 468.
54 Elle n’en comprend plus le sens, puisqu’il s’agit en apparence de "religion naturelle seulement". Voir p. 9 et pp. 273-315 : La Religion naturelle.
55 Ib., p. 468.
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