Chapitre I. Romantiques et idéologues : le conflit idéologique en France au xixe siècle
p. 371-388
Texte intégral
1La rénovation culturelle du siècle s’annonçait sous la double étoile du génie des savants issus de l’Encyclopédie et des poètes de la nouvelle sensibilité romantique, savants et poètes curieusement réunis pour saluer l’aube de l’ère nouvelle.
2En 1802, le Génie du Christianisme de Chateaubriand voit le jour. L’ouvrage n’annonce ni la restauration pure et simple de l’idéologie catholique d’Ancien Régime, ni la rénovation mystique et réaliste d’une religion capable de répondre aux graves problèmes de l’heure. Le génie de Chateaubriand parvient seulement à donner forme à la nouvelle idéologie chrétienne. Sous couvert de traditionalisme, c’est en réalité un néo-christianisme ouvert à toutes les mutations qui s’instaure, un catholicisme d’esthète héritier de la théologie esthétique de la lointaine Renaissance et du Baroque, et aussi de la religion naturelle du dernier siècle à peine finissant. Trente ans plus tard, "la religion chrétienne, écrit-il, entre dans une ère nouvelle, comme les institutions et les mœurs elle subit sa troisième transformation ; elle cesse d’être politique ; elle devient philosophique sans cesser d’être divine ; son cercle flexible s’étend avec les lumières et les libertés, tandis que la croix marque à jamais son centre immobile"1.
3Il ne faut pas s’étonner de voir que l’auteur du Génie du Christianisme parle sous la Restauration comme Lamennais. Tous deux sont passés d’un christianisme surtout esthétique à un christianisme surtout social2 le plus naturellement du monde, car cette ambiguïté est caractéristique de la nouvelle idéologie chrétienne du romantisme.
4Contre Bossuet, il affirme que le génie de la religion du Christ est compatible avec le progrès humain : "L’existence de ce cerceau redoutable où le génie humain tournerait dans une sorte d’éternité sans progrès et sans perfection n’est heureusement qu’une imposante erreur"3.
5Ce progressisme chez un écrivain catalogué couramment comme traditionaliste, de même que chez Lamennais, s’explique par la conception qu’ils se font de la "religion".
6Ils affirment que le christianisme a préexisté au christianisme historique et qu’une sorte de consentement latent et universel témoigne d’une révélation primitive. L’argument, loin de détruire la foi, constituerait - selon eux - un nouvel et merveilleux appui en sa faveur, "car alors serait démontré qu’elle est conforme à la religion naturelle de plus hautes intelligences"4.
7Le thème de la religion naturelle qui constituait le cœur de l’idéologie chrétienne du XVIIIe siècle devient alors passionnel. Il sert à réfuter l’indifférence en matière de religion, mais c’est au détriment de l’âme du christianisme et de la vérité mystique du catholicisme que l’on prétend mettre à jour. La mystique intérieure est diluée dans une "tradition" primitive, dans un "sens commun" religieux, qui risquent de faire apparaître comme relativement accessoires les "cérémonies chrétiennes" du "culte", mais qui, surtout, dénaturent la religion elle-même considérée comme une passion qui n’a réellement plus grand-chose à voir avec la religion chrétienne et la Passion du Christ. C’est pourtant de cette passion-là qu’était faite la religion du Génie du Christianisme : "Cette passion religieuse est d’autant plus énergique qu’elle est en contradiction avec toutes les autres, et que pour subsister, il faut qu’elle les dévore"5.
8Il précise : "C’est un désir passionné de parvenir à la jouissance de la beauté suprême, l’éternelle beauté. Pour y parvenir, les chrétiens prennent une autre route que les philosophes d’Athènes : ils restent dans ce monde afin de multiplier les sacrifices et de se rendre plus dignes, par une longue purification, de l’objet de leurs désirs"6.
9Philosophique et divine tant qu’on voudra, la religion du Génie n’était certes plus catholique. Frayssinous, le grand prédicateur de la Restauration, confiait à Victor Hugo que sous le masque de l’apologète se cachait un dangereux jacobin7. Rien ne montre mieux le porte-à-faux de l’idéologie officielle incapable de dénoncer dans le dilettantisme "chrétien" de l’auteur du Génie autre chose que sa filiation jacobine et le ferment "révolutionnaire", alors que c’est toute la tradition spirituelle du christianisme qui se voit dénaturée dans le "romantisme" religieux de Chateaubriand. Tout particulièrement l’ascétisme chrétien, présenté comme cette quête de l’éternelle beauté par la voie des "sacrifices" et que Chateaubriand croit pouvoir décrire en se réclamant des "Pères" ! Il ose écrire : "Quiconque, selon l’expression des Pères, n’eut avec son corps que le moins de commerce possible, et descendit vierge au tombeau, celui-là délivré de ses craintes et de ses doutes, s’envole au Lieu de Vie où il contemple à jamais ce qui est vrai, toujours le même, et au-dessus de l’opinion"8.
10L’affligeante débilité spirituelle de ces lignes doit être soulignée. Elle explique la réaction de tel ou tel lecteur contemporain devant cette religion esthétique décadente où se mêlent curieusement gnose antique et mysticité moderne, réaction de rejet qui atteint au-delà la religion de l’Evangile elle-même ; c’est celle de Proudhon, par exemple, et de tant d’autres qui se proclameront athées d’un tel Dieu et ennemis jurés d’une telle religion.
11En réalité, sous le masque de l’apologète, c’est le dangereux mystificateur de la religion chrétienne dans sa simplicité évangélique qui se manifestait, le grand-prêtre d’un culte du moi "chrétien" et du "mystère des sentiments", des "vertus", des "pensées" réputées chrétiennes (pudeur, amour "chaste", amitié "vertueuse", innocence, enfance) et de la vie et de la mort. N’est-il pas significatif de voir Chateaubriand en venir à se demander9 si le divin, si Dieu même, ne sont pas le produit de l’évolution historique ?
121. - Le même amalgame de religion catholique et de religion naturelle explique le dramatique épisode des années 1817-1831 au cours desquelles Félicité de Lamennais tenta d’infléchir l’idéologie chrétienne vers le libéralisme politique et l’engagement social.
13Dans son fameux Essai sur l’indifférence en matière de religion (1817-1820) il se proposait de réhabiliter le christianisme après les attaques subies au XVIIIe siècle, et de réfuter l’individualisme des philosophes, Voltaire et l’Encyclopédie. Son idée maîtresse est celle de Chateaubriand, des "traditionalistes" de Bonald et de Maistre. Il y a un sens commun religieux de l’homme qui rend cet individualisme des philosophes anormal. Le christianisme est la somme des enrichissements successifs de l’humanité en marche vers Dieu. Il a sa source dans une tradition qui remonte, au-delà de la Révélation dans les Ecritures, dans la tradition naturelle des différents peuples païens de l’Antiquité.
14Partiellement vraie, réellement fausse, une telle thèse ne pouvait fonder le renouvellement de la doctrine chrétienne à l’heure où l’idéologie entrait dans le nouveau contexte historique de la société industrielle. La religion révélée n’est pas contre-nature. Elle n’en est pas moins surnaturelle. Au philosophe jugé hérétique parce qu’il niait le désir naturel de Dieu qui est en l’homme, Lamennais n’opposait qu’un christianisme lui-même dilué dans la religion naturelle.
15La thèse des traditionalistes relançait tout bonnement la conception de la religion chère aux théologiens protestants et catholiques du XVIIIe siècle. Elle en renouvelait l’erreur et soulignait le danger d’une réhabilitation sociologique du christianisme au préjudice de l’essence surnaturelle de la foi. Ce n’est pas parce que l’idéologie du passé aliénait la religion, réalité sociale, dans une religion individualiste, que le recours à la "tradition" du sens commun religieux suffisait à restituer le christianisme à sa surnaturalité essentielle. Lamennais n’avait pas plus compris le phénomène de l’idéologie chrétienne du passé que la signification critique des Lumières face au régime clérical du catholicisme du XVIIIe siècle.
16Ce que l’on a appelé l’évolution religieuse de Lamennais ne signifie donc nullement une palinodie. En développant normalement les présupposés de son idéologie "romantique", il devait passer du traditionalisme au libéralisme, comme Chateaubriand, bien que dans un laps de temps plus court et dans des circonstances autrement plus dramatiques.
17Prophète d’un nouveau christianisme répondant au défi d’un monde nouveau, Lamennais rêve de réconcilier les hommes autour du Pape et d’une religion capable de renouer avec l’universel sens commun religieux de l’humanité. Associer la liberté à Dieu, tel est le programme du journal qu’il fonde, L’Avenir et dont l’épigraphe est justement Dieu et la Liberté.
18Le clergé, prêtres et évêques, est invité à revenir à un christianisme plus authentique - le sien - plus pauvre et plus libre. Les catholiques doivent séparer leur cause de celle de la Monarchie, réclamer la liberté de religion et de conscience, la liberté d’enseignement, de la presse et d’association, l’élargissement du système électoral, la décentralisation et, enfin, la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
19En 1826, puis en 1828, deux ouvrages développent ses idées bientôt jugées "excessives" : De la religion dans ses rapports avec l’ordre politique et social, et Des progrès de la révolution et de la guerre contre l’Eglise. La hiérarchie et la Papauté s’opposent à ses vues. En 1831 Grégoire XVI condamnait la révolution polonaise et prenait la défense de l’autocrate Nicolas 1er en juin 1832. La hiérarchie condamnait de son côté les "libertés européennes" et les révolutions nationales. En 1832 encore le bref Mirari Vos et en 1834 Singulari Nos condamnent les "excès" de Lamennais et son dernier livre Paroles d’un croyant.
20Ayant rompu avec l’Eglise conservatrice, il ne cessa de lutter contre les compromissions de la hiérarchie et la tiédeur des catholiques. Ses amis l’abandonnent. Ayant choisi la cause des pauvres et des opprimés, il continue de proclamer avec force sa foi dans la liberté de la conscience droite qui doit pouvoir, le cas échéant, refuser d’obéir à une puissance dogmatique et tyrannique, et dans la loi d’amour qui fait nécessité au chrétien sincère de s’ouvrir à autrui, de rechercher la compréhension mutuelle, de ne pas se contenter des seules pratiques extérieures du culte10.
21Selon lui, l’Eglise de son temps n’a pas compris l’histoire du monde nouveau qui se met en place. Lamennais abandonne les dogmes avec le dogmatisme, la religion lui semblant ne devoir être que naturelle, puisque Dieu est charité. L’Eglise doit devenir le genre humain uni par la charité qui seule demeure éternellement. La religion sera alors la manifestation de la loi qui unit la création à Dieu dans ses rapports avec l’homme. Du traditionalisme dont il était issu au socialisme chrétien et populaire de 1848 qu’il annonçait, la pensée religieuse de Lamennais avait rendu manifeste la contradiction interne de l’idéologie chrétienne dans sa version naturaliste. Le cas de Lamennais est significatif de l’impasse chrétienne d’une théologie qui, faute de se ressourcer dans la mystique chrétienne, est condamnée à osciller d’une vision réifiée de la dogmatique et de l’ecclésiologie à une vision révolutionnaire dissolvante.
22Avec lui, c’est l’affrontement de l’idéologie chrétienne du passé qui transite d’une manière symptomatique du plus pur traditionalisme vers le libéralisme. La générosité d’âme de Lamennais, mal servie par sa théologie dualiste, passait de la sorte d’un extrême à l’autre, du traditionalisme sur-naturaliste au naturalisme démocratique. La contradiction était tragique entre les fils de l’Eglise qui animaient L’Avenir de Montalembert et de Lamennais et le pape. Lorsque Grégoire XVI condamne le mouvement en 1832, il ne favorisait pas pour autant la tendance inverse qu’il devait condamner quelques années plus tard en 1840. Simplement, la démonstration était faite que la position officielle du magistère ne parvenait pas à surmonter la contradiction interne de l’idéologie chrétienne.
23Il faut le souligner, le drame de Lamennais était intérieur à celui des catholiques, voire du magistère lui-même : c’est celui de la foi de l’Evangile aliénée dans l’idéologie chrétienne vieille d’au moins six siècles. C’est elle qui explique que dans la problématique théologique naturaliste qui est la sienne, le glissement ait été possible d’un extrême à l’autre, c’est-à-dire du naturalisme conservateur et d’une religion de superstructure à la Chateaubriand au naturalisme libéral d’une religion du Christ révolutionnaire et romantique dissolvante à l’égard de l’institution.
24Le drame de ce cœur généreux est exemplaire. Lamennais a profondément ressenti le fait de l’aliénation politique et sociale des catholiques de son temps. Il n’a malheureusement pas su en découvrir l’origine véritable. Il a cru qu’il convenait de retremper leur foi dans le sol de la religion naturelle, alors qu’il fallait (même pour parvenir à cette fin nécessaire, mais non suffisante) la ressourcer dans l’Evangile et lui restituer sa surnaturalité essentielle. En choisissant d’opposer diamétralement sa vision d’une religion libérale et sociale à celle d’une religion d’autorité et d’aliénation, il a, comme tous les gens de sa génération épris de progrès social, commis l’erreur de prolonger la problématique de l’idéologie chrétienne du passé. De ce fait, sa critique de l’idéologie chrétienne était condamnée à l’échec : elle dérangeait, sans parvenir réellement à démanger les consciences des chrétiens aliénés tant aux exigences spirituelles de l’Evangile qu’à la tâche politique et sociale qui leur incombait, dans des temps de profonde transformation des mœurs, des institutions et des mentalités.
252. - En face de ces "poètes" de l’idéologie romantique, d’autres esprits novateurs se détachent, ceux qui se dénomment eux-mêmes idéologues. Ces "savants" s’opposent aux poètes et les poètes, nous l’avons vu, les stigmatisent parce qu’ils ne sont pas chrétiens. En fait, ils sont profondément apparentés. Ensemble, ils composent le nouveau visage de l’idéologie occidentale.
26La prise de conscience de l’idéologie comme telle est le fait des scientifiques enclins au matérialisme, héritiers de l’esprit de l’Encyclopédie, comme le prouve l’apparition du terme d’idéologie dès la fin du XVIIIe siècle, dans l’école de Destutt de Tracy11. Les idéologues voulaient découvrir l’origine physiologique des idées, et de la pensée comme partie de la zoologie. Ils soulignent en même temps la dimension et l’origine sociale des idées, rattachant celles-ci à la fois au cerveau et au milieu. Ils sont donc bien, sous ce rapport, des précurseurs de la sociologie de la connaissance qui a mis de nos jours en lumière les déterminations des idées. Avec eux la pensée devenait idéologie et les idées tendaient à rompre tout lien avec la métaphysique des philosophes et leur raison universelle abstraite.
27Par opposition à la tendance idéaliste de l’ancienne idéologie, la leur met donc l’accent sur l’enracinement matériel et social de l’idée. Celle-ci n’est plus soumise au tropisme d’un en deçà qui peut bien être purement matériel.
28Le dernier grand représentant de cette idéologie, Saint-Simon, définissant son Système Industriel, répudiera l’orientation politique conservatrice - ou révolutionnaire idéaliste - du XVIIIe siècle au profit d’une politique "scientifique", parce que la nouvelle idéologie de l’ère industrielle doit abandonner toute la philosophie et ses "suppositions abstraites qui ne sont qu’une nuance de la théologie"12.
29Considéré comme le dernier des Encyclopédistes et le premier socialiste français de l’âge industriel - il est né en 1760 et meurt en 1825 - Saint-Simon conduit l’esprit des Lumières au progressisme politique et social, il inaugure la nouvelle idéologie du Siècle des Lumières de l’industrie. Plus question de salut éternel, mais de libération de l’homme social à l’égard de l’exploitation de l’ancien Tiers-Etat, devenu la classe industrielle des producteurs, par la classe des propriétaires non-producteurs.
30Entre 1825 et 1832, il fait des adeptes dont la visée est plus révolutionnaire que la sienne. Ils publient l’Exposition de la Doctrine de Saint-Simon (1829-1830) où la pensée sociale du Père, qui restait fidèle au capitalisme du profit, se voit radicalisée. Lui se contentait d’assurer la suprématie des élites bourgeoises par l’instauration d’une société nouvelle où le pouvoir appartiendrait aux savants et aux chefs d’entreprise, pas aux juristes, ces métaphysiciens de la politique "qui raisonnent abstraitement sur les faits généraux". Pour Bazar, pour Enfantin, ses disciples saint-simoniens, il s’agit de transformer la vie matérielle et morale des hommes sous l’égide des savants, des poètes et des musiciens. "Entre leurs mains la politique deviendra le complément de la science de l’homme". Une religion laïcisée sera l’œuvre de l’Institut que Saint-Simon voulait rénover. Elle lui devra son Catéchisme national auquel les disciples maintenant ajoutent le dogme de la suppression de l’appropriation privée des moyens de production et des capitaux improductifs. L’un d’eux, Pierre Leroux, achevait d’annoncer le ton du futur Manifeste Communiste de Karl Marx lorsqu’il élaborait sa "Religion de l’Humanité".
31Savants et poètes ne sont donc pas ennemis. Dans la nouvelle idéologie, ils sont plutôt objectivement complices et ils se retrouvent réunis dans une même conversion à la terre et au souci des hommes.
32Le fait est patent dans le mysticisme de Fourier (1772-1837). Dans le Nouveau Monde amoureux, alliant les mathématiques au rêve mystique d’une refonte radicale et morale de l’homme, Fourier se propose de révéler le lieu du savoir éternel où se rejoignent les deux voies séparées de la jouissance et de la science. Il connaît les voies du bonheur et de la liberté réelle et il vise la réappropriation de l’humanité enfin maîtresse de son destin.
33Fourier est sans le savoir - ou en tous cas sans le vouloir - l’héritier de l’ancienne idéologie de la pure nature des théologiens quand il affirme avoir atteint, en deçà des avatars historiques, un invariant humain, une nature intentionnelle ou passionnelle - parfaitement mathématisable. Il récuse, à partir de lui, nos valeurs éthiques répressives, le monde inhumain édifié au cours des siècles, et il entreprend de le réédifier grâce à ce qu’il a découvert avec l’attraction passionnelle et la fidélité aux germes, afin d’en faire un monde humain.
34Il n’y a de péché qu’historique. Il faut échapper à l’hypnose du passé où l’ignorance de la vraie nature de nos désirs a dénaturé les rapports entre les hommes, perpétué l’esclavage et les bagnes de la société mercantile. Le déchiffrage mathématique de nos désirs refoulés ou méconnus, parce qu’ils menacent l’ordre établi, doit permettre de transformer les rapports d’exploitation en échanges réciproques, et la domination des uns sur les autres en faveur mutuelle.
35L’extraordinaire nébuleuse idéologique échappée de l’esprit visionnaire de Fourier parvient à diluer tous les thèmes de l’ancienne idéologie, pour en extraire de l’inédit promis à une exceptionnelle fortune. Nature pure et nature historique des spéculatifs de l’ancienne théologie, mécanisme et passions de l’âme dans la perspective de la mathématisation universelle de Descartes à Leibniz débouchent sur la révolution psycho-sociale de l’Harmonie sociale dont rêveront tous nos révolutionnaires de Karl Marx à Marcuse et aux spontanéistes de 196813.
36Il n’est pas surprenant de constater que l’expansion extraordinaire du fouriérisme de 1830 à 1860 se réalise parmi des chrétiens soucieux d’innover - des Etats-Unis d’Amérique à la Russie de Dostoïevsky - et qui mêlent à leur néo-christianisme les idées théosophiques d’un Swedenborg. Même les catholiques sont plus souvent séduits par le fouriérisme, et ils le favorisent par contraste avec le saint-simonisme qu’ils condamnent14.
37Ce qui frappe dans ces divers courants idéologiques, c’est la mysticité foncière de l’inspiration au-delà des variantes savantes ou poétiques, spiritualistes ou matérialistes. L’idéologie a beau s’être convertie à la terre, elle n’abandonne pas son idéomanie et sa tendance au rêve, qu’il s’agisse d’un rêve de mathématicien à la Fourier ou de croyant comme Lamennais.
38Saint-Simon répudiait la philosophie, simple nuance de la théologie ; mais son secrétaire Auguste Comte ne devait pas résister à la tendance générale. Devenu professionnel de la foi collective,
39il se consacrera à transmettre le message idéologique de Saint-Simon au public comme une nouvelle religion. Plus encore, la science positive deviendrait avec lui positivisme, une nouvelle théologie voire une nouvelle mystique.
40Auguste Comte a multiplié les professions de foi, les abrégés et les catéchismes positivistes pour incarner sa théorie dans la pratique. Tel Leibniz, il songe à convertir le Tsar, le Grand Vizir et l’Empereur Napoléon III. Sa religion de la science doit constituer une philosophie (Cours de Philosophie positive), fonder une politique (Système de Politique positive) et fonder une société religieuse de l’Humanité (Traité de Sociologie). En 1826, Comte, dans ses Considérations sur le Pouvoir Spirituel, réalise l’Eglise dans sa version positiviste comme l’institution d’une religion sociale dont le Dieu est le Grand Être. Le scientisme avait vu grandir jusqu’à la mégalomanie mythique son mimétisme spiritualiste dans un stupéfiant retour des origines théologiques dans l’état positif et, comme on l’a dit15, déliré jusqu’à réhabiliter le fétichisme comme "illusion propulsive" et le polythéisme. L’obsession antithéologique de la pensée scientifique passait ainsi de l’idée à l’idéologie scientiste dans une synthèse doublement aliénante et pour la science et pour la théologie.
41Cependant, l’aberration mystique de l’esprit scientifique dans la religion de l’humanité dont Comte rêvait d’être le grand prêtre manifeste la vocation de l’intelligence savante à réaliser son union à la foi en vue de promouvoir une authentique sagesse pour l’homme. Le phénomène Auguste Comte constitue un épisode étonnamment révélateur, et malgré son essence comique, il mérite mieux que les sarcasmes des historiens.
42Son positivisme autoritaire et hiérarchique se situe en fait dans le prolongement de l’idéologie réactionnaire des traditionalistes de la Restauration. Proudhon, pour cette raison, tenait Auguste Comte pour un "catholique malgré lui"16. Il fonde "sa théocratie imitée de celle du Moyen Age, rétrograde jusqu’à Grégoire VII et à Charlemagne" ; il se perd en maudissant la Révolution : "il ne lui a manqué qu’un peu de logique pour reconstruire de toutes pièces le catholicisme".
43Proudhon, figure de haute taille, pouvait se mesurer avec Auguste Comte, ce monstre de l’idéologie chrétienne dégénérée-régénérée par la science, lui dont l’originalité face à tous ses contemporains est extrême au point qu’il est le seul à avoir diagnostiqué dans l’idéomanie - le terme est de lui - le vice radical de l’idéologie chrétienne et athée, les deux avatars de l’ancienne idéologie dans la modernité de l’ère industrielle.
443. - Proudhon domine de très haut son temps, comme sa vision toujours actuelle domine de très haut les courants de pensée qui de nos jours prolongent les écoles saint-simonienne, fouriériste ou positiviste, sans oublier les écoles qui s’inspirent de l’idéologie marxiste. En revanche, il est de plain-pied avec eux et avec son temps dans la mesure où il témoigne, lui aussi, de la réalité et de la profondeur de l’impasse de la mystique chrétienne dans la vie religieuse de cette malheureuse époque.
45Proudhon est l’athée du Dieu de l’idéologie romantique cléricale ou matérialiste. L’idée qu’il s’est faite de la religion lui est venue du spectacle que lui offraient les chrétiens de la Restauration, puis du Second Empire. Il en avait trouvé la formulation dans les écrits de Chateaubriand et dans le classique Traité de la vraie religion composé par l’abbé Bergier à la fin du XVIIIe siècle (1780).
46Pour le premier, la religion était en somme un rêve poétique, affaire de sentiment, non de raison ; elle mettait la foi avant l’intelligence, la cérémonie avant l’idée, l’extérieur avant l’intérieur, la pratique avant l’intention17. Pour l’abbé Bergier, la religion du catholicisme véritable se caractérisait pareillement, par l’extrinsécisme du plus pur aloi. Il se méfiait de l’intelligence et du raisonnement. "Dieu a voulu instruire par la tradition et la voie d’autorité et non par le raisonnement"18.
47Proudhon devait prendre paradoxalement la défense de la vérité chrétienne contre ces "théologiens orthodoxes" : humainement, leur disait-il, vous ne croyez pas en la Justice. "C’est uniquement par votre foi en la divinité que vous vous rendez compte d’une loi qui sans cela n’existerait pas pour vous... Otez Dieu, vous n’avez plus ni foi ni loi : vous êtes parricide, voleur, faussaire, traître à la patrie, incestueux, pédéraste. Et la philosophie spiritualiste est d’accord avec vous. Elle aussi nie l’efficacité de la conscience, le discernement du Bien et du Mal".
48Quant aux chrétiens eux-mêmes, il constatait qu’ils étaient restés fidèles à la conception des rapports sociaux de 1700. Pour eux, la situation n’avait pas changé malgré 1789, malgré l’essor du machinisme et du prolétariat industriel. L’inégalité des conditions et des fortunes leur paraît nécessaire et divine, la résignation à son état est la condition du salut et de la sainteté. La loi sociale par excellence est toujours la charité aliénée à la justice, car la préoccupation dominante des catholiques reste d’ordre politique et non d’ordre social. De là le conservatisme des catholiques qui donnent sans hésiter leur appui au pouvoir des classes dirigeantes, indispensables pour le retour à Dieu des classes "inférieures".
49En réalité, et c’est ce que Proudhon stigmatise chez ces croyants, leur religion les rend étrangers à la justice, complices des faux croyants convertis politiques, opportunistes "libéraux" qui "soutenaient le parti de Jésus-Christ sans croire au Christ"19. Tels Tocqueville reconnaissant l’utilité politique d’une religion, Guizot jugeant qu’il est "pour la société troublée de 1836 du plus grand intérêt, et d’un intérêt plus grand que jamais s’il est possible, d’entretenir avec soin, de propager l’empire des croyances religieuses"20. Pareillement Balzac21 et Thiers qui change, lui le grand mangeur de curés, dès mai 1848, non parce qu’il se convertit, mais parce que l’ordre moral et l’ordre social sont révolutionnés. Il attaquera farouchement Proudhon à la Chambre et prendra le parti des vrais curés défenseurs de la "mission sociale" de l’Eglise. Et c’est ce chef de la bourgeoisie incrédule que rejoindront bientôt, après la révolution de 1848, les catholiques de l’Univers, naguère collaborateurs de Lamennais à l’Avenir, tels Montalembert et Veuillot.
50Contre une telle alliance de la politique religieuse sans religion et de la religion sans justice sociale, Proudhon s’en prend au Dieu de ces gens-là. Dès 1842 il se déclare antithéiste, négateur d’un Dieu ennemi de l’homme, Dieu de ces croyants ennemis du peuple. Et cependant, cette idée de la Justice qu’il défendra tout au long de sa vie et qui devait inspirer son grand ouvrage De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise, en 1858, n’est qu’un autre nom pour cette mystique chrétienne aliénée si lamentablement dans la conscience croyante de ses contemporains. Personne n’a mieux illustré le malentendu tragique que l’idéologie chrétienne réincarnée dans le contexte de la société du XIXe siècle a fait peser sur le cours de l’histoire sociale et de l’histoire de la pensée, avec son régime clérical aliénant22.
51Il est sûr que Proudhon a confondu le Dieu chrétien avec le Dieu de l’idéologie chrétienne, mais pouvait-il en être autrement quand ce sont les chrétiens eux-mêmes qui accréditaient pareille confusion ? C’était bien le Dieu des théologiens qui expliquait la lutte ouverte par l’Eglise hiérarchique contre les "prétendues libertés modernes", contre l’idéologie des Droits de l’Homme auxquels ils avaient l’infortune d’opposer (au lieu de raccorder) les Droits de Dieu.
52Mais il est non moins sûr que Proudhon a parfaitement diagnostiqué l’origine de cette confusion en dénonçant chez ces théologiens et chez ces catholiques "le système catholique", la conception d’un ordre fixiste, hiérarchisé, autoritaire, inégalitaire, confondu avec l’ordre naturel, des schémas mentaux les empêchant de vraiment comprendre les bouleversements sociaux et la révolution mentale issue du machinisme. Entre 1750 et 1855 rien ne s’était produit pour cette mentalité catholique.
53Appesantis sous le poids de cette tutelle cléricale, dont par ailleurs l’idéologie allait à l’encontre du ressourcement prophétique de la foi dans l’Evangile des petits et des pauvres, les catholiques de la Restauration et de la Monarchie de Juillet viennent confirmer son analyse. Pour lui, la transcendance du Dieu chrétien s’identifie au principe de subordination externe aliénant. Il en vient à dire que l’homme s’est adoré comme Dieu et s’est aliéné en posant de lui-même un idéal contraire à sa propre essence - ce qui est l’exacte description du geste de l’idéologie surimposée à la Révélation du Dieu Vivant23.
54Par là s’explique la position spécifiquement proudhonienne face à Dieu. Il se dit antithéiste, car "Dieu est un absolu et l’humanité un être infiniment perfectible ; ce sont donc des antinomies, des adversaires irréductibles"24. L’idée de Dieu est donc inconciliable avec l’autonomie de la civilisation, elle est aliénante et odieuse aussi bien en religion qu’en politique. Il faut donc lutter contre elle pour défendre la liberté humaine individuelle et collective. Cette lutte contre le fanatisme religieux, c’est l’antithéisme.
55Proudhon est radical. Il pourchasse l’idée de Dieu dans ses derniers retranchements idéologiques, dans la religion du Grand Être de l’Humanité d’Auguste Comte, mais aussi dans l’athéisme des philosophes d’outre-Rhin : "Le vrai remède, selon nous, n’est pas d’identifier l’Humanité avec Dieu, ce qui revient à affirmer en économie sociale la communauté, " (il veut dire le communisme de Marx) "en philosophie le mysticisme, (...) c’est de prouver à l’humanité que Dieu, au cas où il y ait un Dieu, est son ennemi"25. Il faut donc l’affranchir réellement de l’aliénation religieuse26.
56Ce n’est donc pas du côté de la critique théologique qu’il faut s’attendre à voir Proudhon critiquer l’idéologie chrétienne de son temps. En revanche, lorsqu’il s’attaque à définir la science sociale à partir de sa pratique sociale, il fait preuve d’une incomparable lucidité et d’une profondeur insoupçonnée. La vertu exceptionnelle de la pensée proudhonienne est son réalisme étranger à toute idéomanie de pur spéculatif ou, comme nous disons aujourd’hui, d’intellectuel. Sa pensée, a-t-on dit27, marque "l’avènement du prolétaire à l’intelligence de sa condition et des conditions de son émancipation".
57Proudhon est un pragmatique. Il connaît, pour la vivre, la condition du prolétaire, son expérience de la misère (matérielle et culturelle) et du désespoir. S’il pense, c’est à partir de l’expérience vécue et de l’action, et toute idée a pour lui sa source dans le rapport réel révélé dans l’action et perçu par l’entendement. C’est dans le travail "comme action intelligente de l’homme en société sur la matière" que cette révélation se fait par excellence. "Toute idée naît de l’action et doit retourner à l’action, sous peine de déchéance pour l’agent". Rien de plus éloigné de la pensée de l’idéologue, ou comme il dit de l’idéomane, de l’homme forcé à l’"écolage" et à l’apprentissage d’une pédagogie qui sépare l’intelligence et l’activité et fait de lui un automate et un abstracteur. Dès 1843, dans La Création de l’Ordre dans l’Humanité, il critique l’idéomanie de ceux qui croient à un ordre transcendant établi d’en haut : Platon, Bossuet, Malebranche, de Maistre, Blanche, Lamennais, Leibniz, Fourier, Comte et Hegel dont la dialectique reste spiritualiste. De ce dernier, il dit que sa philosophie est idéologique et qu’il "anticipe sur les faits au lieu de les atteindre"28.
58Proudhon récuse tout idéalisme, d’instinct, parce que pour lui "l’idée sort de l’action et revient à l’action"29 et qu’il n’existe pas d’idées qui ne soient "des produits-producteurs de la société et de l’action qui l’engendre et la caractérise". Il le récusait au nom de l’expérience historique aussi, car selon lui "toute société progresse par le travail, la science et le droit, et rétrograde par la prépondérance de l’idéal"30. Il voulait dire : de l’idéal des idéologues, de l’idéal sans la justice, qui conduit à l’idolâtrie31 et à "la dissolution de l’humanité par elle-même manifestée par la perte successive des mœurs, de la liberté, du génie". Car "le principe de toutes les rétrogradations sociales est dans la séparation, plus ou moins fortuite, de ce que l’homme possède en soi de plus élevé : le juste et l’idéal". Unies, la justice et l’idéal conduisent par étapes au progrès grâce à la liberté32.
59Proudhon n’est pas idéaliste, parce que d’après lui, la réalité sociale est autant force collective que conscience collective. Il est au-delà de l’antithèse du spiritualisme et du matérialisme. Il écrivait déjà en 1843 : "Le spirituel reste convaincu de chimère et les faits écrasent le matérialisme". Et en 1846, dans le Système des Contradictions économiques - l’ouvrage sous-titré Philosophie de la Misère que Marx rendra fameux en l’attaquant sans pitié et sans l’avoir vraiment compris : "Voici (...) qu’une science nous apparaît dans laquelle rien ne nous est donné a priori, ni par expérience, ni par raison ; une science où l’humanité tire d’elle-même noumènes et phénomènes, universaux et catégories, faits et idées (...) Ainsi l’auteur de la raison économique, c’est l’homme ; l’architecte du système économique, c’est encore l’homme. Après avoir produit la raison et l’expérience sociale, l’humanité procède à la construction de la science sociale."
60"Voulez-vous connaître l’homme, étudiez la société ; voulez-vous connaître la société, étudiez l’homme. L’homme et la société se servent respectivement de sujet et d’objet".
61"La science sociale est la science de la création elle-même, prise, pour ainsi dire, sur le fait"33.
62"La science sociale est l’accord de la raison et de la pratique sociale"34. La cause de toutes les utopies et de toutes les aliénations est leur séparation : la science sociale est le fruit de la pratique sociale. Cette science de la société méthodiquement découverte et rigoureusement appliquée doit aboutir à un socialisme scientifique qui ne doit rien aux utopies socialistes, ni à la dialectique des philosophes et aux dogmes de la pensée scientifique d’un Marx. La science sociale et le socialisme tels que les conçoit Proudhon sont corrélativement auto-découverte et auto-application par la société réelle des lois inhérentes à son développement.
63Autant d’affirmations qui rendent manifeste l’originalité de la pensée de Proudhon, fondateur de la sociologie comme une science directement opposée à toute dialectique philosophique, capable "de faire surgir des entrailles du peuple au travail une autorité plus grande qui enveloppe le capital et l’Etat, et qui les subjugue (...) de telle sorte que le peuple résolve l’énigme de sa destinée"35.
64Ce "travaillisme" qui fait de l’intelligence humaine fidèle à la réalité la source des idées capable de devenir "complément de création", "création continuée opérée par l’esprit humain à l’image de la nature"36 inspire toute l’œuvre foisonnante de Proudhon. Contraire à tout apriorisme idéologique, elle se caractérise par son inspiration humaniste : celle-ci imprègne sa pédagogie, son économie politique, sa conception de la construction de la démocratie économique et de la démocratie politique fédéraliste.
65Pour Proudhon, le travail est, dans l’histoire, la force plastique de la société et la science du travail est "la clé de l’histoire" : c’est l’économie politique37. Le travail est bien "générateur de l’économie, géniteur de la société, moteur de l’histoire, source de la philosophie, mode d’enseignement38, promoteur de la justice, réalisateur de la liberté, auteur de son propre affranchissement". Il est l’acteur de la révolution permanente dans la lutte de l’organisme économique contre l’oppression du "système" des puissants et des possédants.
66Quant à l’économie politique, elle est considérée sous trois aspects : objectivement dans le produit et la "valeur travail" ; subjectivement dans le travailleur et l’organisation sociale de l’économie ; synthétiquement dans leurs rapports et dans le droit économique, la répartition mutuelliste et fédérative de la propriété39.
67En 1861, il formulera magnifiquement l’idée-maîtresse de sa pensée : le pluralisme est l’axiome de l’univers : l’antagonisme et l’équilibration, sa loi et sa contre-loi. L’unité du monde et de la société est une unité d’opposition-composition, une union d’éléments diversifiés, autonomes et solidaires, en conflit et en concours.
68Proudhon vise deux monstres idéologiques. L’atomisme individualiste qui nie l’existence réelle des "êtres collectifs" et les spolie en leur ôtant le surplus productif engendré par la "force collective" ; le totalitarisme étatique, qui s’approprie les "forces publiques" propres aux collectivités et personnes de base. Finalement il devient évident que Proudhon luttait sur deux fronts : contre l’intégrisme clérical spiritualiste et politique des Français, et contre l’idéomanie des idéologues français ou allemands. Entre les deux, il découvrait le même vice de principe, l’unitarisme dogmatique érigeant en principe dominateur un seul élément de la pluralité sociale.
69"Le génie social ne procède pas à la façon des idéologues ni par des abstractions stériles"40. Il est réaliste. Il ne s’enferme pas comme Hegel dans un "cercle fermé, qui côtoie perpétuellement l’expérience pour construire sa logique et qu’y n’y entre pas effectivement, dans son infinie variété et le pluralisme social qu’elle fait découvrir". Selon Proudhon, le "mouvement dialectique réel" impose d’autres voies : celle de la dialectique des séries41.
70La dialectique des séries est le processus créatif commun au monde matériel et au monde social : par schématisation "idéelle", elle devient une logique formelle copiée sur la logique réelle du monde. De processus effectif, elle se transforme en méthode efficiente de pensée et d’action.
71Par rapport au système de Hegel qui a "remis en vogue le dogme de la Trinité"42, la dialectique de Proudhon est une dialectique antithétique réfractaire à toute "synthèse". Pour lui ladite synthèse ne détruit pas réellement l’antithèse, mais seulement formellement. La synthèse, dit-il clairement, "c’est l’élément théologique et spiritualiste de la pensée de Hegel", qui révolte son réalisme social. Elle est toujours artificielle et ne résiste pas à la vie. Elle aliène ou elle tue dans le totalitarisme ou la guerre.
72Au contraire, le travail crée un ordre productif, il est une série générale positive créant une dynamique d’association. La dynamique sociale antinomique opère à travers les réseaux de forces associatives et organisatrices, les séries, qui traversent, sous-tendent et disciplinent le mouvement dialectique des chaînes antinomiques.
73Par l’action même du travail, hommes et sociétés, esprit et matière sont englobés indissolublement dans une dialectique créative où "les choses sont les types des idées" et les idées "impressions de la réalité sur l’entendement". Pareillement la justice réalise l’équilibre des forces libres : elle est source de liberté réelle, comme force de composition des antagonismes. Loi physique, loi sociale, elle est réciprocité, rapport de solidarité, rapport d’équation et d’égalité intellectuelle, loi morale d’équilibre des droits et des devoirs, rapport de dignité, loi idéale : elle est réalisation plénière des rapports sociaux. Elle a contre elle l’action d’une liberté qui s’oppose à elle par l’artifice, l’arbitraire et l’idéomanie des spéculatifs ou des imaginatifs, ou encore par le dogmatisme idéomane avec ses "idéalités politiques et sociales".
74La justice fondera la construction de la démocratie économique et politique, le fédéralisme autogestionnaire. La démocratie politique sera le complément antinomique de la démocratie économique mutuelliste. Son principe sera fédératif : fédérations de régions, confédérations de nations, la priorité étant donnée à la région comme territoire optimal pour l’autoadministration et comme chaînon entre nations. Proudhon envisageait, dès 1863, une Europe confédéraliste, impliquant un marché commun incluant la socialisation mutuelliste des économies.
75Autant que le caractère prophétique de la pensée de Proudhon, on peut souligner son inspiration foncièrement hostile à toute idéologie. La société est conçue comme un organisme économique de production et un corps politique de relation. Les rapports entre les deux doivent être ceux d’un couple dont la tension autonomie-solidarité est la condition même de l’existence : ils doivent s’opposer pour composer, différer pour dialoguer, et se distinguer pour s’unir. Un collectivisme économique libéral et a-étatique fondé sur les propriétés mutuellistes et fédératives permet de parer au double danger d’un capitalisme intégrant et d’un collectivisme intégral43.
76Ce que nous avons dit de la doctrine de Proudhon permet d’entrevoir pourquoi il domine de très haut les courants de son époque. Il a été le critique de l’idéologie généralisée et de l’idéomanie des socialistes post-hégéliens. Plus encore, il a été le précurseur et le critique de Marx lui-même.
77Par ailleurs, ce qui est pathétique dans la figure historique de Proudhon, c’est qu’il a été victime du malentendu fondamental de l’idéologie qu’il dénonçait avec tant de générosité. Il a cru devoir opposer à un droit divin qui ramène tout à une autorité purement extérieure à l’homme - à une transcendance d’aliénation pour l’homme - un droit humain fondé sur l’innéité d’un principe de justice dans le cœur de l’homme, et qui n’est qu’un autre nom du Dieu dont il a fait l’ennemi de l’homme. Le drame religieux de Proudhon44 est finalement qu’en exaltant l’expérience de la condition de prolétaire en vue de son émancipation, il n’a pas eu conscience de combattre réellement pour la promotion du laïc chrétien toujours aliéné aussi bien dans l’Eglise que dans la société de son temps.
784. - Dans la seconde moitié du siècle, la réaction politique modifie profondément le climat idéologique. Après 1850, on observe dans la théologie catholique, en particulier, une restauration du sur-naturalisme qui a pour effet d’opérer l’absorption des tendances libérales du courant naturaliste. Comme on l’a fait remarquer45, c’est l’époque où le concept du surnaturel s’installe au centre de l’exposé dogmatique et englobe tous les autres sens. Tout se passe comme si l’on assistait à une simple réfutation, par contraste, du naturalisme laïcisé.
79Entre 1860 et 1910, de Scheeben à Palmieri, l’ordre surnaturel ainsi exalté par l’Ecole rencontre naturellement l’hostilité des rationalistes. Proudhon, dans La justice dans l’Eglise et dans l’Etat, déclarait qu’il fallait éliminer de la conscience toute considération de l’ordre surnaturel "pour fonder le système de l’immanence". Il touchait au problème de fond dans un débat qui devait se poursuivre dramatiquement au cœur de l’Eglise et de la société française à partir du Syllabus du pape Pie IX condamnant le panthéisme, le naturalisme, l’indifférentisme et le libéralisme, jusqu’à l’encyclique Pascendi du pape Pie X (1907) qui visait le courant du modernisme dans l’Eglise.
80Le modernisme révélait la gravité d’une crise entre le monde moderne et la théologie catholique aggravée par la reprise en main de la réaction surnaturaliste. Il s’agissait de la divergence entre l’Eglise et la culture sécularisée qui atteint alors un degré extrême d’acuité. A la fin du pontificat de Léon XIII qui a vu l’Eglise restaurer l’autorité de saint Thomas et opérer une ouverture au plan social, l’Eglise semble s’être exilée de la culture. Le modernisme apparaît comme une tentative pour opérer la réconciliation de la foi et de la science au sein des jeunes sciences religieuses, de l’exégèse et de la dogmatique, un effort également pour reconsidérer les fondements des religions selon des méthodes inspirées des sciences humaines et sociales. La volonté de l’abbé Loisy est d’inscrire la foi dans la culture moderne ; pour y parvenir, il pense qu’il est nécessaire d’appliquer à l’Ecriture sainte et à l’histoire des dogmes des méthodes positives. Les dogmes, pense-t-il, "ne sont pas des vérités tombées du ciel" ; il voulait dire que la foi n’était pas idéologique, qu’elle n’était pas un décalogue de dogmes théologiques, mais une réalité divine inscrite dans l’histoire, incarnée dans les mentalités des peuples. En quoi il avait raison. Mais son erreur vient de ce qu’il n’a pas su avoir entièrement raison de l’erreur de l’idéologie chrétienne et qu’il est demeuré à mi-chemin de la tâche critique qui s’imposait : il a réduit celle-ci à l’application à l’Ecriture de méthodes scientifiques qui ne lui sont pas adaptées, pas plus qu’à l’histoire du mystère chrétien qui s’inscrit dans celle des dogmes.
81Le drame théologique et religieux du criticisme de Loisy est celui d’une science positive qui usurpe à la mystique sa virtualité contestataire à l’égard de l’idéologie. Loisy est un traditionaliste endurci qui décide brusquement de se convertir au libéralisme et au positivisme. Son cas n’est pas unique. Il a été celui de tous les catholiques engagés dans l’impasse de l’idéologie chrétienne devenue insupportable dans un monde de plus en plus ouvert aux progrès de l’esprit scientifique.
82Ernest Renan met en lumière la nocivité de l’idéologie chrétienne ressuscitée en pleine ère positiviste. Il s’agit d’un conflit dramatique au cœur de la conscience religieuse des catholiques. Naïvement, il avait dans sa jeunesse épousé le surnaturalisme d’une orthodoxie décadente. Elle l’entraînait dans une alternative rigoureuse, comme il l’a déclaré dans ses Souvenirs d’enfance et de jeunesse46 : "En dehors de la rigoureuse orthodoxie, je ne voyais que la libre pensée à la façon de l’Ecole française du XVIIIe siècle". La rigoureuse orthodoxie, c’était pour lui que l’Eglise est un bloc dans lequel tout doit être divin, parfait, infaillible, impeccable, et l’Ecriture de même, un bloc d’une seule nature, divine, sans aucune trace de faiblesse de la nature humaine. Mais la Bible est manifestement humaine, donc elle n’est pas inspirée. Renan avait posé a priori que l’inspiration biblique signifiait que les Ecritures n’avaient rien d’humain, qu’elles étaient miraculeuses : lorsqu’il "découvre" qu’elles sont incarnées dans l’histoire, il conclut à l’inverse qu’elles ne sont pas inspirées.
83On retrouve dans le comportement du jeune Renan le vice foncier de l’idéologie chrétienne et de son dualisme. Elle réifie ce qu’elle sépare : l’humain et le divin, le naturel et le surnaturel. Renan a procédé ainsi avec l’Ecriture et les dogmes. Passant d’un extrême à l’autre, du tout surnaturel - qui met l’Eglise à l’abri de toute erreur humaine et l’inspiration de la Bible à l’écart des contradictions, des erreurs, des inadvertances des rédacteurs - au tout naturel, il nie ce qu’il avait d’abord affirmé, puisque la critique biblique moderne, scientifique, prouve que les Ecritures portent la trace des faiblesses humaines.
84Du coup, Renan ne se sent plus capable d’être "philosophe sans cesser d’être chrétien", philosophe et chrétien. Le garde-fou de l’autorité du magistère en disparaissant faisait glisser le jeune Renan vers un protestantisme de désir. Le fait est hautement significatif et mérite d’être souligné. A partir de sa conception réifiée de "l’esprit hautement religieux", il lui faudrait être protestant pour pouvoir concilier un tel esprit avec "l’esprit critique" de la philosophie. "L’esprit particulier de l’Allemagne, lit-on dans les Souvenirs, me frappa ; je crus entrer dans un temple. C’était bien là ce que je cherchais, la conciliation d’un esprit hautement religieux avec l’esprit critique. Je regrettais par moments de n’être pas protestant, afin de pouvoir être philosophe sans cesser d’être chrétien"47.
85Il est tout à fait remarquable de constater que Renan a vu que le surnaturalisme permettait aux protestants de concilier une foi réifiée et un esprit critique. Etant catholique, après avoir vécu dans un catholicisme qui durcissait la tension idéologique jusqu’au point de rupture, il lui a suffi de céder aux idées arrêtées du "bon sens moderne" pour que prît fin au plan de la doctrine, dans son esprit, le double-jeu clérical. Ce cheminement était historiquement éloquent. Il annonçait la disparition du dualisme dans le destin spirituel du catholicisme contemporain ; mais c’était au prix d’un enlisement de nombreux catholiques dans l’agnosticisme.
86Le modernisme révèle donc l’échec de la réification religieuse chez ses transfuges séduits par l’aspiration anxieuse d’une meilleure articulation de la foi à la conscience moderne. Il marque l’échec du catholicisme héritier de l’idéologie chrétienne à réaliser une telle aspiration. L’Eglise ne parvenait pas à s’adapter au monde moderne. L’ambiguïté doctrinale et pratique de son comportement face au monde sécularisé démontrait que l’idéologie chrétienne avait vécu. Elle avait été impuissante à démontrer que, de soi, elle n’est ni bourgeoise ni anti-libérale, mais qu’au contraire elle est réfractaire au pharisaïsme de la bourgeoisie d’argent et de religion cérémoniatique. Elle n’avait pas su démontrer que son anti-libéralisme n’est pas négation de la liberté et de la libération de l’homme à l’égard des fatalités de l’économie moderne, mais seulement négation d’une liberté séculariste, libertaire ou athée.
87L’Eglise semblait avoir compris l’origine du drame, et qu’il était théologique et doctrinal, lorsqu’elle revenait au vrai saint Thomas ; mais elle l’avait compris trop tard. Marx avait déjà parlé. Elle n’avait pas su agir et révéler les virtualités contestataires de l’Evangile qui l’anime de son Esprit. Elle n’était pas préparée théologiquement à faire face au monde de la sécularité scientifique avec tous les bouleversements idéologiques, politiques et sociaux qu’il induisait. Au contraire, elle semblait s’en détourner. La crise interne qu’elle traversait dans le modernisme semblait avoir définitivement mis en évidence l’incompatibilité existant entre elle et le monde en construction.
88Telle était la rançon historique, chèrement payée au cours du XIXe siècle, de six siècles d’idéologie chrétienne, d’idéologie ruineuse pour la théologie et la mystique. On s’en était aperçu, dès la fin du XVIIe siècle, lorsque la mystique qui fait les saints et qui rend manifeste la sainteté de l’Eglise et sa puissance de contestation et d’édification du monde s’était dissoute dans la simulation et la fable. Ruineuse également -la preuve venait d’en être administrée à la fin du XIXe siècle- pour l’homme et l’humanisme chrétien lui-même. Désormais, Marx trouvait des alliés objectifs dans ces chrétiens qui avaient accrédité l’idée que la foi était, par destination, aliénante, et que l’Eglise avec sa religion (ou ce qui en restait) était impuissante à agir efficacement sur le cours de l’histoire.
Notes de bas de page
1 Analyse raisonnée de l’Histoire de France, cité par P. Moreau, Chateaubriand, Desclée de Brouwer - 1965, p. 119. Voir encore Etudes historiques (1831) : "l’avenir du christianisme est dans l’indépendance de la religion catholique à l’égard de l’autorité politique et de la forme variable des gouvernements qui la contaminent dans ses classes et dans ses écoles par l’argent du fisc" : "tant qu’elle ne retournera pas au pied et à la liberté de la croix, elle languira dégénérée". (Ib., pp. 118-119).
2 Victor Giraud, Le Christianisme de Chateaubriand, Paris - 1928.
3 Etudes Historiques, P. Moreau, o.c., p. 69.
4 Ib., p. 71.
5 Le Génie du Christianisme, 2e partie, Livre III, ch. VIII (o.c., p. 99).
6 Ib.
7 P. Moreau, o.c., p. 65.
8 Ib., p. 99.
9 Dans la deuxième des Etudes Historiques : "... si le christianisme n’a pas été une sorte d’éclectisme supérieur, un choix exquis des plus pures vérités". Dieu ne serait pas l’auteur, mais le produit de l’évolution historique. Et le "mysticisme (...) conduirait ces vérités jusqu’à devenir un culte". Finalement, il consent à voir s’effriter l’Europe chrétienne, et conclut à la chute absolue des nations d’Europe avec celle des religions qu’elles professent (o.c., p. 73).
10 Il publie en 1837 Le Livre du peuple ; en 1841 La Religion, et en 1846 une Esquisse d’une Philosophie.
11 Georges Gusdorf, Les sciences humaines et la pensée occidentale, tome VIII : La conscience révolutionnaire : les Idéologues, Paris, Payot - 1978, pp. 331-427.
12 Saint-Simon, Du Système Industriel, vol. 5, p. 20. Pierre Birnbaum, La Fin du Politique, Paris, Seuil - 1975, p. 46.
13 Marx traitait les disciples de Fourier, beaucoup plus timides que lui, de "bourgeois doctrinaires". Lui-même doit à Fourier non seulement la notion de l’homme total de son humanisme de jeunesse, mais le mythe du travail attrayant du futur monde communiste offrant à chaque homme, producteur de biens utiles dans une société réelle, les activités qui répondent à ses goûts et à ses désirs.
14 L’Harmonie sociale illustre la puissance insondable de la dynamique passionnelle, de même que le caractère indéfini des séries mathématiques. Elle repose sur la théorie des séries de groupes d’individus ordonnées, où un ordre des caractères et des goûts les pose les uns par rapport aux autres et démultiplie sans fin leurs discriminations. Il existe pour chaque individu au moins trente séries. Chacun possède le fond commun des 12 passions primitives, des 5 sensatives, des 4 affectives, des 3 distributives tendant aux séries et dont le rôle est déterminant puisque Fourier y distingue : la composite (l’enthousiasme tout divin qui unit des êtres distincts par la chair et l’esprit), la cabaliste (fougue spéculative, esprit de parti, de contestation) et la papillonne (ou besoin de variété). Un phalanstère associe 810 caractères différents des deux sexes, soit 1620 qui représentent l’âme humaine intégrale. Dans ces conditions, la société réelle doit se réaliser. Elle offrira à chacun un travail attrayant, producteur de biens utiles à travers les activités qui répondent à ses goûts. Ce sera une société capable de mettre le genre humain en attraction industrielle. Pour commencer, les disciples préparent l’avenir de cette société insatiable de jouissance plus laborieusement, dans leurs associations de production et de distribution. Voir la critique de Fourier par Proudhon. La création de l’Ordre, Œuvres Complètes de P.-J. Proudhon, Nouvelle édition. Paris, Marcel Rivière - 1927, tome 5, ch. V, pp. 349-356.
15 Régis Debray, Critique de la raison politique, o.c., pp. 331-333.
16 De la Justice dans la Révolution et dans l’Eglise, III, p. 177. Cité par P. Haubtmann, P.-J. Proudhon, Genèse d’un antithéiste, Paris, Mame - 1969, p. 207.
17 Pierre Haubtmann, o.c., p. 124.
18 Bergier (appuyé par Mgr Grousset, note Proudhon) s’alignait sur Scot et Ockham lorsqu’il disait : "Aucune raison purement humaine ne peut établir la distinction du Bien et du Mal ; et s’il n’avait plu à Dieu de nous faire connaître son intention, le fils pourrait tuer le père sans être coupable".
19 Expression de Lamartine (Lettre à Virieu, 18 février 1827).
20 Paul Thureau-Dangin, Histoire de la Monarchie de Juillet, tome III, p. 424.
21 "Dieu et le Roi : ces deux principes sont les seuls qui puissent maintenir la partie ignorante de la nation dans les bornes de sa vie patiente et résignée". Philippe Bertault, Balzac et la religion, Boivin - 1942, p. 204.
22 Théodore Ruyssen a bien mis en lumière cet aspect de la pensée religieuse de Proudhon (Œuvres complètes, Nouvelle édition, tome XV, 1959, p. 59) : Proudhon "ne comprend pas saint Jean : il ne voit que contradiction entre le précepte de l’amour de Dieu et celui de l’amour du prochain (ce qui signifie qu’il n’a rien compris de la théologie fondamentale du christianisme évangélique) ; paradoxalement, il identifie sans réserve dans la Justice "la faculté de l’homme de sentir sa dignité et de l’affirmer tout à la fois comme individu et comme espèce".
23 De la Justice, I, p. 389. Haubtmann, o.c., pp. 15-18.
24 Ib., I, p. 50.
25 Ib., I, p. 397.
26 Ib., I, p. 368.
27 Jean Bancal, in Encyclopædia Universalis, art. Proudhon, t. XV, p. 305.
28 Cité par Georges Gurvitch, Pour le centenaire de la mort de Pierre Joseph Proudhon. Proudhon et Marx : une confrontation, CDU, Paris - 1963-1964, pp. 27, 31.
29 De la Justice, Gurvitch, o.c., p. 37.
30 Ib., II, ch. IV, p. 547.
31 De la Justice, pp. 536-537 : "L’antagonisme entre la justice et l’idéal s’est surtout manifesté dans les cinq ou six siècles qui ont précédé et suivi la prédication du Christ ; il s’est affaibli ensuite sous l’influence de l’Evangile, puis il y a eu une recrudescence du fléau vers le XVe et le XVIe siècles, aux temps de la Renaissance et de la Réforme, et nous souffrons aujourd’hui de la lassitude de nos pères, qui ne surent comprendre qu’à demi la Révolution. Mais (...) cette grande crise du XIXe siècle passée, nous pouvons espérer de voir la justice suivre son cours, sans éprouver aucune éclipse, pendant le reste des siècles".
32 Ib., 9e étude, ch. IV, p. 536.
33 Création, o.c., p. 288.
34 Contradictions, II, pp. 390-391.
35 Ib., pp. 345 et 347.
36 Création, ch. V, L’Economie politique et ch. VI (Apologie de l’économie politique, p. 420).
37 Œuvres complètes, éd. c., t. 5, ch. IV et p. 300.
38 Gurvitch, o.c., p. 28.
39 Œuvres complètes, éd. c., pp. 302 et suiv.
40 La pédagogie "travailliste" est fondée sur les méthodes actives, la jonction entre apprentissage et "écolage", la formation polytechnique, l’intégration de l’éducation dans la pratique sociale.
41 Ib., ch. III, pp. 193 à 288 et ch. VI, pp. 421 et suiv.
42 La création, ch. III, La métaphysique, p. 162.
43 Article cité, Encyclopædia Universalis.
44 Justice, t. I, p. 223 (De la Philosophie populaire) : "Qu’est-ce, en effet, que cette justice, sinon l’essence souveraine que l’Humanité a de tout temps adorée sous le nom de Dieu ?". Dans ses carnets, Proudhon note, en mars 1844 : "L’Eglise n’aime plus ses pauvres" (t. XV, p. 250).
45 Henri de Lubac, Surnaturel, Paris - 1944, pp. 420-421, notes 5 et 6. L’abbé Maret, qui exposait le dogme catholique en 1840 sans faire mention de l’ordre surnaturel sauf en passant, dans un ouvrage publié en 1856 - Philosophie et Religion - énonce longuement la distinction entre surnaturel et naturel, mais c’est toujours dans la perspective dualiste de l’idéologie chrétienne. Même mutation du naturalisme au surnaturalisme dans les ouvrages de Ventura entre 1852 et 1859 : dans son Essai sur le Pouvoir public (p. 50), il expose à nouveau le système dualiste opposant à l’état de pure nature l’état concret de l’homme historique.
46 Claude Tresmontant, Le Problème de la Révélation, éd. du Seuil, Paris - 1969, p. 405.
47 Souvenirs d’enfance et de jeunesse, Calmann-Lévy, 1883, p. 159.
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Des juristes toulousains dans la Grande Guerre
Olivier Devaux et Florent Garnier (dir.)
2017