Chapitre II. L’idéologie des Lumières en Allemagne et la religion de Kant
p. 331-348
Texte intégral
1La première forme de l’idéologie moderne a été espagnole au XVIe siècle et française au XVIIe. La seconde forme de l’idéologie moderne est allemande. Rousseau a servi de transition entre les deux époques et entre les deux idéologies.
2Ce deuxième âge est philosophique. Il n’est plus théologique, bien qu’il reste tributaire de l’idéologie dans sa forme primitive qui est théologique, en ce sens que l’idéologie des Lumières en rejette les deux fondements : le sur-naturel et la théologie dualiste de la grâce, ainsi que son dualisme de la nature et de la surnature ; tout l’institutionnel de l’Eglise, du culte et des pratiques.
3C’est Emmanuel Kant qui, vers 1770, fait prendre le tournant historique décisif à l’idéologie. Luthérien, il se montre plus logique que Luther, en reniant toute théologie principalement, et c’est pourquoi la critique à laquelle il procède, face à l’empirisme de Hume, constitue le fondement de sa philosophie de la religion et de sa philosophie tout court. L’héritage du passé est lourd, puisque Kant est tributaire de la problématique de l’idéologie chrétienne lorsqu’il la conteste en théologie, mais la prolonge en métaphysique. Il reste fondamentalement fidèle à la métaphysique de l’essentialisme inauguré par Suarez et Descartes, y compris lorsqu’il en prend le contre-pied face à Hume.
4En effet, peut-être ne l’a-t-on pas suffisamment souligné, la critique kantienne de Hume révèle qu’il se situe lui-même par rapport à une problématique philosophique où l’être est chose en soi.
5La réfutation d’une telle erreur supposait un retour à la métaphysique thomiste de l’être, au moins à titre de préalable libérant la philosophie de toute réification de l’être. Mais ce n’est pas ainsi que Kant entreprend de réfuter Hume, parce qu’il entreprend lui-même de réformer la métaphysique en partant de celle de Wolff considérée comme la métaphysique en soi et comme capable d’ouvrir la voie vers une métaphysique comme science. Comme l’a montré Gilson, pour s’opposer directement au scepticisme de Hume, qui revendiquait en réalité les droits de l’existence sacrifiés par les métaphysiques essentialistes comme celle de Wolff, il lui fallait critiquer l’idéalisme idéologique de celui-ci. Mais Kant l’a fait d’une manière originale en coupant, pour ainsi dire, la poire en deux entre l’empirisme de Hume et le dogmatisme de Wolff. D’un côté, il concédait à l’empirisme sa conception de l’entendement pur opérant au plan du phénomène et, de l’autre, à Wolff son essentialisme du côté de la raison pratique opérant au plan de la morale et de la religion. C’est la fidélité à la métaphysique essentialiste de l’être jointe à la fidélité à sa foi luthérienne qui, face à la critique requise de Hume, l’ont acculé à sa philosophie de la raison telle qu’elle s’exprime dans les trois Critiques : Critique de la Raison pure (1781), Critique de la Raison pratique (1788), Critique du Jugement (1790).
61. - La Critique de la Raison pure repose sur l’admission préalable d’un donné de la sensibilité, irréductible, impossible à déduire d’aucune manière a priori par voie de concept. C’est, comme le dit Gilson, "dans l’œuvre de Kant, l’étage Hume fait pour accueillir ce qu’il y a d’irréductiblement question of fact dans toute connaissance réelle"1. A l’autre extrémité, la connaissance réelle par concept suppose l’entendement par lequel les objets donnés sont pensés. La "raison pure" représente l’étage Wolff "où une métaphysique comme celle du disciple de Suarez, qui n’est pas encore critique, tente vainement d’extraire des connaissances réelles de concepts vides de tout contenu"2. L’idéalisme critique de Kant est ainsi devenu capable d’unir l’intuition sensible du donné au concept pur de l’entendement. Pour lui, il y a bien de l’existence opposée à l’entendement pur, mais tout se passe heureusement pour la connaissance sensible comme s’il n’y en avait pas, puisque celle-ci est admise naïvement comme donnée, captée par les formes a priori de la sensibilité (espace et temps) et les catégories de l’entendement. Ainsi la nature, pour Kant, est faite de phénomènes qui sont les oeuvres de la pensée puisqu’elle prescrit ses lois a priori à la nature. Par l’entremise de la sensibilité, l’entendement (selon Kant) entre en contact avec un absolu nouménal qui, pris en soi, échappe nécessairement à ses prises.
7Le fondement réel du phénomène, c’est bien la chose en soi, l’en-soi qui le fonde, et qui existe indépendamment de l’esprit, mais qui ne peut être connu. C’est cet en-soi qui fait que le phénomène soit là. L’existence de la chose qui apparaît, le phénomène, n’est pas par là supprimée - comme elle l’était dans l’idéalisme métaphysique de Berkeley, comme elle l’est dans le véritable idéalisme - mais il est démontré par là que son essence et ce qu’elle est en soi ne peut absolument pas être connu par les sens3.
8C’est dans la problématique fondamentale du dualisme de la pensée moderne (issue du platonisme et de l’augustinisme médiéval) que se situe donc la réflexion de Kant dès les débuts. A partir de 1755 et jusqu’en 1763, Kant a préparé sa découverte des jugements synthétiques a priori portant sur des existants. Dans la Dissertation de 1770, qui est un document capital dans la genèse de sa philosophie critique4, on lit que "dans les écoles de l’Antiquité, l’objet sensible de la sensibilité s’appelait phaenomenon, et l’objet intelligible de l’intelligence noumenon". Kant explique qu’il n’y a pas pour l’homme d’intuition des intelligibles, mais seulement une connaissance symbolique, "l’intellection ne nous étant permise que par des concepts universels dans l’abstrait, non par le singulier dans le concret". A la doctrine aristotélicienne de la connaissance par concepts liée à l’intuition sensible, Kant superpose donc une problématique dualiste où la distinction du phénomène et du noumène le condamne à postuler, au-delà du concept de la connaissance possible à l’homme, un ordre du noumène. Une telle distinction traduit le dualisme a prioristique qui a l’inconvénient de rendre problématique l’objectivité de la connaissance du sensible.
9 C’est ici que l’habileté critique de Kant se manifeste et déjoue le piège de l’ancienne idéologie. Kant, en effet, surmonte l’idéalisme de l’idéologie, tel qu’on le trouve chez Descartes ou chez Wolff, en assimilant le réalisme médiéval dans sa philosophie critique5. C’est donc seulement la nature de la connaissance humaine des choses qui se révèle problématique (elle est seulement "symbolique"), pas son objectivité. Le dualisme des choses et de leurs idées se trouve donc "résolu" chez Kant par sa notion de phénomène (comme "espèce des choses", "non leurs idées") qui n’exprime pas "la qualité interne et absolue des objets". Le mode de connaissance objective de l’homme était relativisé, mais seulement parce que l’on avait supposé qu’il fallait le comparer au mode de la connaissance intuitive de l’intelligible, ce qui est absurde. On ne rend pas compte de l’homme en le confrontant à l’ange déchu qu’il n’a jamais été (si ce n’est pour l’idéologie faussement chrétienne). C’est pourtant ce que font positivement ou négativement tous les "modernes", depuis le néo-augustinisme scotiste et avicennien qui faisait de l’existence une simple modalité de l’essence, jusqu’à Karl Marx et à Engels qui se détermineront négativement pour une idéologie matérialiste.
10Nous voyons, par là, comment la révolution kantienne aboutissait à intégrer une certaine dose de réalisme critique (disons d’aristotélisme) - ce qui lui permettait de se démarquer de l’idéalisme des modernes, Descartes, Wolff et consorts - tout en prolongeant la problématique essentialiste que ces autres philosophes avaient voulu accommoder à leurs propres philosophies. Le perdant dans l’opération, c’était encore saint Thomas, car avec Kant on ne sortait plus de la problématique dualiste, on y enfermait paradoxalement saint Thomas lui-même6.
11C’est ce tour de force, véritable stratagème de la spéculation philosophique à l’oeuvre dans la nouvelle idéologie qu’il faut bien considérer. Comment l’expliquer, sinon par l’abandon de cette mystique de l’esprit qui venait fonder la noétique et la métaphysique chez saint Thomas ? Lui philosophait dans la vision la plus profonde de la condition de l’intelligence humaine, de sa condition charnelle comme le disait Jacques Maritain7. L’ordination supérieure de l’entendement à la connaissance infuse des vérités divines propre à la foi illuminait sa réflexion et l’empêchait de rêver sur le pseudo-mystère du dualisme du "phénomène" et du "noumène" et d’imaginer, au niveau de la connaissance sensible, un symbolisme qui n’a de place qu’au niveau de la connaissance surnaturelle des vérités de la foi. C’est la foi, en effet, qui ménage à l’intelligence humaine, conviée à participer à la vérité de Dieu, ses deux modes de connaissance : par participation naturelle au donné de la foi et par participation surnaturelle propre à la mystique.
12Le vide laissé dans l’intelligence humaine par l’éviction de la mystique chrétienne avait conduit le philosophe de la religion à imaginer un Ersatz de ces deux modes de connaissance, appliqué non plus au donné de la foi, mais au donné sensible lui-même8. C’est ainsi que Kant d’un même mouvement a été conduit à résoudre le problème posé par Hume et son empirisme, dans le sens de sa doctrine du phénomène, et à imaginer un succédané de la connaissance de théologie mystique dans sa doctrine de la raison pure pratique, morale et religieuse, du noumène. L’idéologie de Kant était donc tributaire de l’héritage du passé de l’idéologie chrétienne, du côté des métaphysiques et des philosophies. Sa philosophie, toutefois, ne s’est pas bornée à surmonter les contradictions de l’idéologie philosophique au moment où la science expérimentale s’apprêtait à conquérir le monde des choses. Kant a également hérité de la problématique de la philosophie religieuse de Luther et de sa conception de la foi idéologisée. Comme nous allons le voir, il a réalisé dans le domaine de la religion une audacieuse naturalisation du christianisme.
13 2. - Kant est chrétien. Il est piétiste ; mais il a en horreur la mauvaise foi religieuse, entendue comme une foi culturelle, servile, inspiratrice d’une pratique sans âme et superstitieuse, ou d’une fausse mystique d’illuminés (Schwärmerei). Le déisme des Lumières le conduira à rationaliser le christianisme au point de réaliser l’exploit majeur de l’idéologie philosophique, la déduction de l’idée de Jésus-Christ. La philosophie critique du père de l’idéalisme allemand a précédé, dans le temps, son oeuvre doctrinale en matière de religion. Mais elle n’est compréhensible dans sa genèse qu’à partir de la religion vécue de Kant. Dès 1775, la théorie kantienne de la religion est constituée même s’il faut attendre les années 1790-1797 pour voir paraître la Religion dans les limites de la Raison et l’Introduction à la Métaphysique des moeurs.
14Le but de la religion, selon lui, est de permettre à l’humanité de parvenir à la perfection morale et donc au bonheur. On reconnaît là la tendance de la théologie de la religion naturelle courante à l’époque. L’Eglise est la réalisation d’une communauté éthique de croyants dont la tâche est de conduire l’humanité au Royaume de la vertu et de la raison. L’une et l’autre se réfèrent à Jésus-Christ. Mais Kant se fait de lui une idée singulière où resplendit l’invention idéologique du philosophe. Lorsque Dieu crée le monde, l’objet de son dessein c’est l’Humanité dans sa perfection morale. Cette Humanité est en lui de toute éternité, on peut donc l’appeler Fils de Dieu. Nous en avons également en nous l’idée ; mais comme elle ne saurait venir de nous, mieux vaut dire que "cet archétype est descendu du ciel vers nous, qu’il a revêtu en nous l’humanité". Cette union avec nous "peut donc être considérée comme un état d’abaissement du Fils de Dieu". C’est ainsi que se présente chez Kant l’invention idéologique de l’idée chrétienne sur laquelle tout son système doctrinal reposera.
15Le Christ de Kant est donc présent à l’homme comme l’idée archétype et le modèle idéal du saint. La raison réfléchissant sur ce modèle idéal qu’elle trouve présent en elle-même est capable de le définir comme possible. Mais Kant sait que ce modèle s’est historiquement réalisé dans un "personnage dont la sagesse plus pure encore que celle des philosophes jusqy’à ce jour, semblait descendue du ciel". "Il se proclamait lui-même comme un envoyé qui, originairement, en sa primitive innocence, n’était point compris dans le pacte que le reste de l’espèce humaine avait conclu avec le mauvais principe", le prince de ce monde. Celui-ci "suscita contre lui toutes les persécutions par lesquelles des méchants peuvent accabler d’amertume la vie d’un homme bien intentionné. Il le poursuivit jusqu’à la mort la plus ignominieuse...". C’est en dépouillant de son enveloppe mystique le Jésus de l’histoire et en rejoignant en dehors de cette enveloppe, "sorte de représentation alignée", l’archétype divin que les hommes peuvent faire leur salut. "Il ne peut en aucune façon y avoir de salut pour eux s’ils n’accueillent du fond de l’âme les principes authentiquement moraux dans leur mentalité". Le Jésus de Kant, ainsi présenté, est pure représentation abstraite d’un idéal sublime de moralité. Ce n’est plus le Verbe de Dieu se rendant présent personnellement et gratuitement, en tant que Dieu, pour la libération des hommes et la réalisation de leur vocation divine9.
16L’éviction de toute notion de la grâce constitue une surprise dans la doctrine religieuse de Kant, surtout si l’on sait ce qu’il doit dans ce domaine à Rousseau. L’explication est sans doute fournie par sa volonté de rationaliser radicalement sa religion chrétienne. A son tour, ce propos semble avoir été inspiré par l’actualité religieuse et la position que Kant a adoptée face à ses contemporains. Dans des Lettres sur la Morale et la Religion, il se démarque aussi bien du mystique Jacobi, opposé au rationalisme de Mendelssohn comme au déisme de l’Auklärung rationaliste de Berlin, que du moraliste Fichte qui conteste la foi historique, et du mysticisme scientifique de Lavater. Ce dernier avait consulté Kant en 1774 sur la foi et la prière ; mais Kant le prenait pour "un dangereux mystique rêveur qui soutenait qu’une croyance au merveilleux est encore possible aujourd’hui". En fait, malgré ses excès, l’ouvrage de Lavater était pour l’essentiel conforme à la tradition mystique : la foi en Dieu révélée par Jésus-Christ était nécessaire, car c’est elle qui produit les oeuvres, confère aux hommes les dons du Saint-Esprit et crée une communauté entre l’homme et Dieu10. De même, la prière a une puissance : elle est chez le croyant une demande à laquelle Dieu répond.
17L’opinion défavorable que Lavater méritait de la part de Kant révèle à quel point celui-ci confondait avec une mystique des Lumières l’authentique religion intérieure de la foi chrétienne. Il commettait là la même erreur que les jésuites anti-mystiques, ce qui met en évidence l’origine commune de leur moralisme ascéticiste et du sien.
18Quant au Dieu de Kant, il ne ressemblait lui aussi que de très loin au Dieu de Jésus-Christ. C’était le Dieu-Notion par excellence, l’Être Suprême dans l’ordre du nouménal qui défiait toute saisie rationnelle par les concepts de l’entendement. La Critique de la Raison pure l’avait définitivement relégué dans ce domaine seulement accessible à l’expérience morale, voire à l’expérience esthétique. C’était le Dieu de la religion naturelle qui fonde la morale sur une transcendance sans surnaturel, le Dieu de la foi "dans les limites de la raison". Le succédané de la foi surnaturelle, le théisme de la raison est pour Kant le "pouvoir supra-sensible de la causalité libre en nous, mais que nous ne savons pas concevoir" ; c’est "quelque chose qui vient au-dessus de la spéculation, mais qui réside cependant uniquement en elle - je veux dire en la raison". Kant a précisé que la naissance et l’apparition de ce concept du théisme est une question accessoire, qu’il s’agisse de son apparition historique ou surnaturelle. "Car on peut également concéder que si l’Evangile n’avait pas auparavant enseigné les lois morales (sic) universelles dans toute leur pureté, la raison jusqu’à présent ne les aurait pas saisies dans une telle perfection (il veut dire celle du concept théiste), quoique, une fois qu’elles sont là, on puisse convaincre chacun de leur justesse et de leur valeur au moyen de la seule raison". C’est exactement là que s’exprime l’extrinsécisme théologique de Kant, dans cette réduction rationaliste et théiste de la révélation et de la foi surnaturelle. C’est cette réduction qui succède chez Kant à la disjonction néfaste qu’avait opérée la théologie chrétienne entre la religion et la morale. La foi de Kant est bien religieuse, mais c’est la foi dans les limites de la raison, comme complément indispensable de la spéculation qui a critiqué auparavant l’idéologie dogmatique.
19Chez Kant, la révélation chrétienne est maintenue, mais elle est strictement limitée au rôle de monitrice de la raison au point d’amputer la foi de sa vertu mystique divinisante. Elle n’est plus une vertu théologale, elle illumine seulement la raison selon son propre mode : c’est le sens de l’expression "dans les limites de la raison" qui vient à Kant du naturalisme de la théologie de l’idéologie chrétienne11.
20 3. - L’idéologie de Kant est donc une idéologie pratique. Il a rejeté l’idéologie en raison théorique, mais il la récupère en raison pratique. L’expérience ne nous permet pas "de donner de l’idée de liberté (comme le concept de causalité de l’entendement pur qu’il a sauvegardé face au scepticisme de Hume) un exemple conforme", dit-il, "sauf s’il s’agit de la loi morale, une loi déterminée par la causalité dans le monde intelligible qui reste vide pour la raison pure, mais pas pour un être du monde sensible considéré comme cause agissant librement, c’est-à-dire pour l’homme considéré dans l’ordre du noumène"12. Seule la liberté donne donc accès au monde supra-sensible qui est vide spéculativement pour toute intelligence humaine. La liberté ne s’explique pas. Elle se constate au témoignage de la conscience, de la responsabilité et du repentir. En tant que le philosophe se fonde sur elle, l’idée de la liberté structure une doctrine de sagesse pratique du Souverain Bien. Une telle notion postule, précise Kant, l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu, qui cessent désormais d’être problématiques pour la raison pratique comme elles l’étaient du point de vue de la raison spéculative s’égarant dans la théologie et la pneumatologie13.
21C’est ainsi que Kant substituait aux notions de la théologie chrétienne qu’il a préalablement réduites à une théodicée naturelle purement théiste les notions de nature et de surnature, leurs réductions rationnelles de phénomène et de noumène (ou de sensible et de supra-sensible)14. La foi dans les limites de la raison est une foi naturelle fondée sur la moralité, loin de la fonder. Par son « côté philosophique », le christianisme comme doctrine morale nous donne donc une idée de la loi morale et du Souverain Bien (ou « Royaume de Dieu ») qui seule satisfait aux exigences les plus rigoureuses de la raison pratique15. La loi morale est sainte. Elle exige la sainteté des mœurs « comme un progrès à l’infini jamais achevé et s’étendant au-delà de la vie sur terre ». De plus, la doctrine morale du christianisme kantien promet le bonheur personnel nécessairement lié à l’observance de cette loi. Le « saint auteur » de la loi rend possible l’harmonie de la nature et des moeurs, la sainteté des mœurs dès cette vie et la béatitude commencée dès cette vie sous le nom de bonheur (bien que cette béatitude ne puisse être atteinte que dans une éternité et ne constitue donc exclusivement qu’un objet d’espérance).
22La foi pratique purement naturelle de Kant est donc parvenue à rationaliser le christianisme comme une morale (et la morale chrétienne elle-même), tout en le vidant de ce qui en ferait, selon Kant, « une connaissance transcendante d’objets supra-sensibles », c’est-à-dire de sa théologie16. Il est cocasse de souligner que les idées de Dieu, de liberté et d’immortalité sont de simples mots lorsque ce sont des théologiens qui s’en servent et qu’ils prennent corps et réalité dans la bouche du philosophe par la grâce de la raison pratique ! C’est ainsi que Kant était ockhamiste lorsqu’il critiquait la théologie catholique et idéologue lorsqu’il prétendait réfuter l’agnosticisme religieux, en lui opposant l’idéologie pratique de sa philosophie religieuse.
23Pour lui, l’accès à Dieu ne s’opère pas autrement que par la raison ; il relève de la morale, nullement de la religion constituée. Il ne faut pas que Dieu puisse être prouvé pour que l’on ait la foi, parce que la foi vraie n’est autre que la certitude et la confiance fondées en raison que nous pouvons réaliser un but conforme aux lois de la liberté17.
24De la foi pratique, on passe à la religion morale. L’idéologie morale restitue alors une certaine théologie kantienne où l’idée de Dieu, comme naturellement révélée, se trouve déduite.
25La morale n’a pas besoin de fin ; mais de la morale découle une fin. « Que résultera-t-il de notre bonne conduite ? La fin que nous pouvons lui assigner ne peut être que l’idée d’un objet réunissant en lui la condition formelle de toutes les fins que nous devons poursuivre – le Devoir – en même temps que tout le conditionné adéquat à ces fins – le bonheur que comporte l’observation du devoir. Cette idée est celle d’un Souverain Bien dans le monde qui, pour être possible, exige que l’on suppose un Être Suprême moral, très saint et tout-puissant, seul capable d’en réunir les parties constitutives : le Devoir et le Bonheur. C’est Dieu ». L’idée en dérive de la morale, elle n’en est pas le fondement18. L’idée de Dieu s’impose comme soutien dans la lutte contre le mal et comme Chef de la République morale, du moins dans une religion morale de la bonne conduite (pour Kant la religion chrétienne est la seule qui mérite ce titre).
26Citant l’Ecriture (Luc XIX, 12-26), Kant illustre son moralisme chrétien selon lequel dans la religion morale, c’est un principe fondamental que chacun doit faire tout ce qui dépend de lui pour devenir meilleur, et que c’est seulement quand, au lieu d’enfouir le talent qui lui est confié, l’homme l’utilise pour devenir meilleur comme une disposition primitive au bien, qu’il lui est permis d’espérer qu’une coopération supérieure complétera ce qui n’est pas en son pouvoir.
27Il convient de remarquer que Kant a posé que l’acte de la reconnaissance du devoir exigeait bien plus qu’une réforme progressive dans la purification de la base des maximes morales, une révolution opérée au fond de l’intention de l’homme19, dans la ligne de la justification subite de Luther. Il en arrive, par là, à nier tout effet de la grâce de Dieu, comme Luther, puisque cette « révolution » est purement l’œuvre de la raison. On peut donc dire que le moralisme de Kant se couronne d’une superstructure où le Dieu chrétien vient seulement coopérer avec l’homme pour compléter dans l’acte moral « ce qui n’est pas en son pouvoir » (entendu, sans doute, au sens où il le rend méritoire par pure imputation). C’est tout le réalisme psychologique de l’expérience de la purification spirituelle propre à l’expérience morale des mystiques chrétiens qui se trouve chez Kant récupéré, mais stérilisé. L’idéologie pratique réalise ainsi ce que l’idéologie théorique avait opéré dans la réification religieuse. Kant « redécouvre » la mystique dans la mesure où il sauvegarde le rôle moral de l’homme (dans la disposition de l’intention que niaient la spiritualité ascéticiste et aussi la spiritualité quiétiste). En ce sens, il retrouvait les bases de la mystique ; mais c’était en les aliénant au surnaturel qu’il récupère à sa manière dans un nouveau sur-naturalisme nouménal.
28Du point de vue de l’approche politique, Kant n’est guère éloigné de la vision « cynique » des politiques. Pour lui, la nature est de soi modérée et bonne ; c’est la société qui la corrompt. La vie en société les rend mutuellement mauvais20. D’où la nécessité d’une république morale (pas seulement d’une société juridico-civile) dont Dieu est le chef en tant que législateur saint, créateur tout-puissant du ciel et de la terre, en tant que conservateur du genre humain et Dieu Bon, enfin en tant que juste gardien de ses propres lois saintes. Au pessimisme luthérien relatif à la nature humaine et à la société, Kant avait superposé Hobbes et Rousseau et réalisé, en philosophe, les vues de ce dernier21. Telle est la véritable foi religieuse universelle qui ne renferme plus de mystère parce qu’elle est la simple expression du rapport moral entre Dieu et le genre humain. C’est pourquoi elle est impliquée dans l’idée d’un peuple considéré comme une république au sein de laquelle ces trois pouvoirs supérieurs du Dieu créateur, providence et juste juge « doivent constamment être conçus »22.
294. - Si l’on passe de la religion morale au chapitre des croyances et du culte, c’est parce que les hommes ne se contentent pas de la religion morale et ne conçoivent leur obligation « que sous la forme d’un culte qu’ils ont à rendre à Dieu » par anthropomorphisme, dans la mesure où ils approchent Dieu comme l’on fait des grands de ce monde qui veulent être honorés et loués. Du concept de la pure religion morale, les hommes passent ainsi à celui d’une religion cultuelle.
30Pour Kant, il est évident que l’intériorité religieuse ne se réalisera pas dans un tel culte qui n’a pas égard à la moralité des actions elles-mêmes, mais seulement dans l’accomplissement des devoirs envers les hommes (envers eux-mêmes comme envers autrui) parce que c’est par là qu’ils s’acquittent du « service de Dieu » de la manière la plus « directe ». La croyance pure de la raison se trouve alors remplacée par la croyance historique en une religion révélant les lois statutaires de Dieu23. C’est alors que s’introduit la diversité des croyances alors qu’il n’y a qu’une seule (vraie) religion : la croyance juive, mahométane, chrétienne, catholique, luthérienne, bref toutes croyances d’Eglises. De là les conflits religieux, en réalité conflits de croyances d’Eglise.
31Dans ces conditions, la religion statutaire d’Eglise ne peut être que le moyen d’étendre et de propager le fond de la vraie religion morale pure, par laquelle la volonté de Dieu est originairement écrite dans nos cœurs24. Kant s’en prend vigoureusement aux conséquences de l’introduction des croyances dans la religion. « Dès que la croyance révélée prend le pas sur la religion, on voit apparaître le faux culte qui renverse totalement l’ordre moral et impose comme absolu, comme si c’était une fin, ce qui a seulement valeur de moyen ». L’agressivité de Kant, pour être discrète, est ici certaine. Il dira, par exemple, que la croyance à des dogmes (vérifiables ni par la raison, ni par l’Ecriture – dont il faudrait d’abord démontrer l’authenticité) est alors élevée en devoir absolu d’une fides imperata, liée aux observances pratiques qui en sont inséparables et qui devient une « croyance sanctifiante » en tant que « culte servile sans que soient nécessaires des principes d’action moraux »25. Il ajoute encore, à l’adresse des pasteurs, quelques lignes cinglantes consacrées à stigmatiser l’usurpation de ceux qui, commis au service de l’Eglise, « veulent toujours, en fait, se savoir regardés comme les interprètes seuls autorisés de la sainte Ecriture, alors qu’ils ravissent à la religion naturelle la dignité qui lui appartient en propre, celle d’être toujours la souveraine interprète de l’Ecriture ». Kant leur reproche d’avoir ainsi imposé la seule science de l’Ecriture comme le vrai moyen d’appuyer la foi de l’Eglise.
32Cette attaque contre les pasteurs de l’Eglise luthérienne traditionnelle constitue la contribution la plus militante de Kant en matière de sécularisation chrétienne de la religion. En substituant la philosophie de la raison religieuse à la théologie de la Bible interprétée par la conscience mystique, Kant achevait le progrès de l’évolution religieuse commencée par Luther et préparait l’apparition du protestantisme libéral. Karl Barth tentera de nos jours de revenir à une interprétation biblique de Luther et de rendre à la « science de l’Ecriture » la place qui lui avait été ravie depuis Kant. Remarquons toutefois la parenté d’esprit existant entre la conviction séculariste de Kant et celle que nourrissait Descartes à l’égard de l’utilité apologétique de sa propre philosophie.
33La religion de Kant est-elle encore chrétienne ? Il faut répondre paradoxalement oui et non. La religion, dit-il, n’est pure que dans les limites de la raison... mais c’est celle que le Christ est venu proposer ! « Une religion pure, naturelle parce qu’à la portée de tous et, par suite, convaincante pour tout le monde »26. Il’a enseignée publiquement « malgré l’opposition d’une foi d’Eglise dominatrice, accablante et sans but moral »27 ; et même s’il a arbitrairement pris certaines dispositions pour fonder une religion comme représentation imagée des principes moraux, et une Eglise contenant des statuts, des formes et des observances destinés à mettre sur pied celle qu’il voulait basée sur ces principes, il est impossible de dénier à l’Eglise ainsi établie le nom de véritable Eglise universelle.
34Le Christ, Maître de l’Evangile, est le maître de la pure intention morale sainte, qui prime toute pratique et toute science de la lettre, et se traduit en actes avec bonne humeur, afin qu’étant peu de chose au début, par communication et par diffusion de tels sentiments de pureté, de véracité, de justice, « comme un grain de blé dans la bonne terre ou comme un ferment du bien, la religion arrive par sa force intrinsèque à devenir peu à peu règne de Dieu »28.
35Quant au culte dans la religion morale de Kant, il est lui aussi « moralisé ». C’est le culte « que les fidèles rendent à Dieu à titre de sujets faisant partie de son Royaume, et aussi comme citoyens d’un Etat céleste (régi par les lois de la liberté) ». C’est un culte invisible, un culte des cœurs (en esprit et en vérité), représenté par quelque culte visible qu’il ne faut jamais laisser glisser au point qu’il soit pris « pour le culte même de Dieu »29.
36 5. - La question se pose donc de l’intériorité dans la religion de Kant. La prière, selon lui, consiste en une réminiscence et dans l’activation de l’idée de Dieu en nous, car même lorsqu’elle est prière de demande, la prière imprégnée d’intentions morales produit d’elle-même son effet et seule cette prière morale est une prière de foi toujours exaucée. La piété n’est donc qu’un moyen de fortifier la vertu morale du fidèle, son courage résolu à se rapprocher toujours davantage de la sainteté absolue. Dans la langue d’aujourd’hui, nous pourrions dire que la pratique de la prière relevait chez Kant d’une sorte de yoga moral30.
37On comprend par là la réduction philosophique à laquelle Kant a soumis la personne divine du Christ, Verbe incarné. Lorsque l’Ecriture recourt au schématisme de l’analogie, elle « personnalise les actes moraux de Dieu » ; par exemple pour nous faire saisir l’amour de Dieu pour le genre humain elle lui attribue « le plus grand sacrifice que puisse faire un être aimant pour rendre heureuses même d’indignes créatures ». Transformer ce schématisme de l’analogie, dont nous ne saurions nous passer, en un schématisme de la détermination de l’objet, visant à l’extension de notre connaissance, c’est là moralement parlant un anthropomorphisme funeste31.
38Comme on le voit, le Christ pose à Kant le même problème que sa théodicée. Il le résout en acceptant un Christ phénoménal, mais en s’interdisant d’en tirer un Christ nouménal, Personne divine incarnée, le mystère chrétien par excellence, qui conteste par avance toute foi rationalisée dissolvant la personne de Jésus dans l’histoire. L’Humanité sainte du Christ dont se nourrit la contemplation des mystiques, parce qu’elle sanctifie l’homme, parce qu’elle l’illumine et le perfectionne divinement, est remplacée, chez Kant, par l’Humanité comme l’essence rationnelle du monde créé dans toute sa perfection morale. Mais Kant procède à l’inverse. Il explique que ce concept de la Sainte Humanité sera schématisé par analogie avec « cet homme », seul agréable à Dieu, qui est en Dieu de toute éternité, dont l’idée émane de son être et, à ce titre, n’est pas créé, mais engendré comme le Fils unique de Dieu ; il est le Verbe (le fiat) par lequel ont été créées toutes choses, et sans lequel rien de ce qui a été fait n’existerait. Il est « le reflet de sa magnificence » ; enfin, en lui Dieu a aimé le monde et « c’est en lui seulement, et par l’adoption de ses intentions, que nous pouvons avoir l’espoir de devenir enfants de Dieu ».32
39En commentant de la sorte le Credo des chrétiens, Kant mettait le point final à sa philosophie de la religion dans les limites de la raison. Ainsi entendu, le Credo illustre le fondement idéologique de Kant en détachant, comme il convenait, le concept ou plutôt l’idée de Dieu en nous et l’idée de l’humanité en Dieu lui-même, sans compter le rôle qui revient dans son analyse à ce qu’il appelle le schématisme de l’analogie et de l’anthropomorphisme où l’on reconnaît l’interprétation purement esthétisante de la théologie chrétienne du Verbe.
40Ce n’est pas la piété à l’égard du Christ qu’exaltait Kant en terminant l’exposé de sa religion à lui, mais l’idée de la vertu. Il y découvre en nous la conscience éveillée d’un pouvoir, l’idée de la dignité de l’Humanité, de quelque chose qui « élève l’âme si haut et la conduit si bien vers la divinité que l’homme se sent ennobli, jusqu’à un certain point, par cette seule idée ». Alors seulement, conclut-il, la piété envers le maître universel peut s’ajouter à ce courage et ne plus risquer de se transformer en une soumission bassement servile et flatteuse vis-à-vis d’un pouvoir au commandement despotique (le pouvoir des « ministres » du culte), mais au contraire s’ouvrir sur le pardon de Dieu et la libération à l’égard de toute appréhension angoissante, d’une impossible expiation, d’une menace de rechute dans le mal, d’une passivité morale indigne de l’homme.
41L’anti-cléricalisme de Kant est absolu. Il va de pair avec la stérilisation totale de la piété chrétienne et de sa mystique. Par contraste avec la vision de la religion de Kant, il est intéressant d’analyser l’idée que Kant se faisait de ce qu’il dénomme la religion hors des limites de la raison. On s’en doute, il y rassemblait le meilleur et le moins bon de la mystique authentique (mais qu’il méconnaît profondément) et de la superstition qu’il exècre. S’agissant de la première, vouloir pénétrer plus à fond (que ne le fait sa morale) dans l’impénétrable champ du surnaturel, c’est courir le risquer de porter gravement préjudice à la religion par l’introduction d’idées moralement transcendantes susceptibles de compenser l’impuissance de la raison à satisfaire à ses exigences morales. Kant distinguait quatre effets de telles idées transcendantes incompatibles avec les Maximes qui doivent régler la pensée rationnelle et son action33 :
- la prétendue expérience interne des effets de la grâce, ou mysticisme ;
- la soi-disant expérience extérieure des miracles, ou superstition ;
- les Lumières extraordinaires que l’on attribue à l’entendement par rapport au surnaturel des mystères, ou illuminisme (illusions d’adepte) ;
- les tentatives aventurées d’agir sur le surnaturel par la thaumaturgie, purs égarements de la raison sortant de ses limites, et cela, dans une intention prétendument morale d’être agréable à Dieu.
42Confrontés à ce que nous savons de l’histoire de la mystique moderne (la préhistoire de Kant), Kant est ascéticiste face à l’amour (il le considère comme une chimère orgueilleuse) et face à l’amour évangélique, qui ne trouve grâce à ses yeux que parce qu’il pense qu’il est commandement, respect pour une loi morale qui commande l’amour, lequel est impossible comme penchant, car Dieu n’est pas un objet des sens34. On voit par là combien profonde est la vision critique de la raison pure chez Kant. Elle est inséparable d’une piété frigide qui stérilise l’amour naturel de Dieu lui-même en le coupant de toute relation à sa fin, c’est-à-dire à Dieu.
43De l’infus, chez Kant, pas question ! Le commandement de l’amour ne signifie pas : « disposez-vous à recevoir l’amour infus gratuitement donné », mais : « respectez la loi morale, accueillez-la » (...) « par devoir, non par un penchant spontané, ni même par un effort non commandé et volontiers tenté par lui-même »35. L’homme, selon lui, peut toujours être dans l’état moral ou le degré moral de la vertu, c’est-à-dire de l’intention morale dans la lutte, il ne doit pas se placer dans une sainteté présumée par la possession parfaite d’une pureté des intentions de la volonté.
44Toujours dans la même ligne de la moralisation réductrice de l’infus, Kant ne voit dans la mystique chrétienne de l’amour qu’un pur fanatisme moral qui jette dans l’illusion que l’homme peut dépasser les devoirs et le respect de la loi. La mystique consiste à s’exciter à des actions présentées comme nobles, sublimes, magnanimes, « comme un pur mérite et non comme un devoir » ; elle est pathologique et attribue une bonté spontanée à l’esprit de l’homme, à un « mouvement de coeur », alors que le seul sentiment moral véritable est le respect pour le devoir. La mystique est un délire moral (Schwärmerei), elle permettrait à notre vain amour de nous-mêmes de se jouer des impulsions pathologiques en tant qu’elles sont analogues à la moralité et de nous enorgueillir de notre mérite. Elle flatte notre tendance en nous donnant l’illusion morale de pouvoir choisir à notre gré l’action moralement vertueuse. Bref, le délire moral de la Schwärmerei « entreprend de dépasser les limites que la raison pure pratique pose à l’humanité »36.
45 Il est écrit au fronton du temple de la religion dans les limites de la raison : « Ici, il est interdit de contempler ». Cela résume toute la critique de Kant en matière de religion et illustre l’impasse moralisante de l’idéologie que Kant inaugurait dans l’histoire moderne de l’Occident.
46La vraie mystique est bien malmenée. L’illuminisme l’absorbe complètement. « L’exaltation mystique » désigne chez lui l’enthousiasme creux et délirant d’une conscience qui croit sentir en elle comme l’expérience de la grâce37. Celle-ci n’a pas droit de cité chez Kant, en tant que substantiellement surnaturelle, parce qu’il déclare « qu’il est impossible théorétiquement de dire à quelles marques on peut reconnaître les effets de la grâce et de les distinguer des effets internes de la nature ». Le philosophe de la raison pure pense que « notre concept de cause et d’effet ne s’applique qu’aux objets de l’expérience et ne peut donc dépasser la nature ». Et Kant de démontrer que la grâce est contradictoire avec le moralement bon « puisqu’elle implique qu’on peut l’acquérir par l’absence d’action seulement, ce qui est contradictoire moralement parlant ».
47Il est tout à fait remarquable qu’en faisant la leçon à Dieu même, auquel il est interdit d’imaginer une divine concorde de la grâce et du libre arbitre (plus fort que Molina), Kant aborde ici le problème fondamental introduit par l’idéologie chrétienne. Nous avons vu qu’il s’agissait du primat de la gratuité de la grâce sur son essence surnaturelle. Kant se situe exactement dans cette vision, et il en tire la conclusion négative qui lui permet de rejeter purement et simplement un surnaturel que l’idéologie chrétienne avait sur-naturalisé et rejeté dans une superstructure religieuse que Kant maintenant répudie. De telle sorte que nous aboutissons à la conclusion capitale selon laquelle l’idéologie dans son deuxième âge n’est que l’antithèse de l’idéologie chrétienne du premier âge.
48On le voit bien ici même où la notion quiétiste de la grâce réapparaît chez lui au moment de fonder une morale chrétienne de la veru pure comme acte de la raison pratique. « Nous pouvons donc admettre les effets de la grâce comme quelque chose d’incompréhensible ; mais nous ne pouvons leur accorder dans nos Maximes ni un usage théorique ni un usage pratique »38.
49 6. - Quant aux autres effets des idées transcendantes incompatibles avec les Maximes de la religion dans les limites de la raison, Kant explique que là encore l’homme n’est pas capable de distinguer d’une manière sûre les influences célestes, lorsqu’elles collaborent avec l’homme dans l’oeuvre de son amélioration morale, des influences purement naturelles. Il ne doit pas attendre de miracle pour se convertir, mais se comporter comme si toute conversion et toute amélioration dépendaient simplement de ses propres efforts et de son application soutenue. On pourrait croire que Kant a adopté le précepte de la Compagnie mis en circulation dans l’Ecole au temps de Molina : « Faciendi quod in se est Deus non denegat gratiam ». En réalité, la logique de l’idéologie le condamnait en quelque sorte à retrouver cette proposition de l’ascéticisme jésuite. Il veut éviter de voir la raison terrassée dans sa conquête de la science des phénomènes par l’imminence d’un monde enchanté et magique comme celui qu’annonçait le Sturm und Drang. Autant qu’il veut éviter qu’on trouve un biais par où l’on pourrait se dispenser en ce monde « d’obéir à son devoir ».
50Pareillement, la révélation d’un mystère dans des Lumières extraordinaires, par exemple de la Trinité divine, ne peut être pour lui que l’illustration d’une idée pratique, jamais une augmentation de la connaissance spéculative de la nature divine. On pourrait croire entendre saint Jean de la Croix énoncer son fameux principe selon lequel tout a été dit dans le Christ lorsqu’il acheva de fonder la foi. Comme on l’a vu, c’est sur ce principe que dans la Montée du Mont Carmel saint Jean de la Croix énonçait son enseignement relatif aux « Lumières extraordinaires ». Mais Kant n’est plus dans l’esprit de saint Jean de la Croix. Il veut dire que ces Lumières ne peuvent être considérées, en vérité objective, qu’en tant que symboles empruntés à une croyance d’Eglise39.
51La religion d’Eglise ressortit donc à l’approche symbolique du divin, l’approche naturelle et spéculative digne du philosophe étant celle de la philosophie de la religion dans les limites de la raison. Lorsqu’elle spécule sur les mystères divins, la théologie poétise donc et ne saurait prétendre connaître Dieu. Kant juge « impensable » que Dieu « puisse nous laisser arriver par inspiration à la connaissance de ses mystères », toujours pour la même raison de la critique de la raison pure, parce que « notre entendement en est incapable de par sa nature ».
52La thaumaturgie qui prétend agir sur le surnaturel est identifiée par Kant au faux culte de Dieu. Or, pour Kant, il n’y a pas de culte agréable à Dieu, hormis une bonne conduite. Le culte liturgique de la religion d’Eglise est donc un faux culte et une pure illusion religieuse. Kant est sans concession : « c’est là, déclare-t-il, un principe que je pose et qui n’a pas besoin de démonstration »40. « Il n’y a point de devoirs spéciaux envers Dieu dans une religion universelle, car Dieu ne peut rien recevoir de nous, nous ne pouvons agir ni sur lui, ni par lui »41.
53C’est oublier que si Dieu ne peut rien recevoir de nous à proprement parler, il peut se faire que nous recevions de Lui (en plus de l’être, du mouvement et de l’agir) sa grâce surnaturelle. Or, recevoir cette grâce, nous l’avons longuement montré, c’est réagir au don de Dieu et se préparer, par là, à lui rendre l’hommage qu’il attend de la créature qu’il crée et qu’il sauve. Là est le fondement de la vraie religion d’Eglise, l’essence du vrai culte en esprit et en vérité qui ne sauraient être disjoints de la religion ni du culte. Moralisant le christianisme dans sa problématique idéologique, Kant a donc doublement amputé le christianisme, tant du côté de la mystique et de la théologie surnaturelle que du côté de la pratique cultuelle et de l’institution. Si l’on se rappelle qu’il l’avait amputé de la théologie spéculative et de la théodicée, il faut dire de Kant qu’il a été le fossoyeur d’une religion qui n’échappe à la mort de Dieu que dans la mesure où il n’existe plus qu’en tant que postulat de la morale pratique et du culte du devoir. C’est l’achèvement parfait d’un moderne pharisaïsme, d’une religion bourgeoise préludant à la philosophie négative du christianisme des philosophes post-kantiens.
54Le point capital de la doctrine de la religion chez Kant concernait ce qu’il a dit de la foi entendue comme mauvaise foi religieuse, la foi cultuelle servile. Là est le drame, voire la tragédie de la foi chrétienne chez Kant. Elle permet de saisir sur le vif l’obstacle intérieur qui a pesé sur la critique de la théologie dans la Raison pure. Il écrit : « Je ne veux pas contester qu’au-dessus de tout ce qu’il est en notre pouvoir de réaliser, il ne puisse y avoir encore, dans les secrets de la sagesse suprême, quelque chose que Dieu seul serait à même de faire pour nous rendre agréables à sa divinité. Mais si l’Eglise avait à nous annoncer un pareil mystère comme une chose révélée, il y aurait une dangereuse illusion religieuse à prétendre que, par elle-même, la foi donnée à cette révélation, telle que nous la rapporte l’Histoire sainte, et la profession (interne ou externe) de cette foi nous rendent agréables à Dieu ».
55Rien ne montre mieux à quel point c’est le contresens concernant la nature du don de Dieu, et de la mystique que ce don induit dans la conscience humaine, qui explique l’idéologie kantienne. En effet, ce que Dieu fait dans les secrets de sa Sagesse lorsqu’il se révèle à nous, ce n’est pas de nous rendre agréables à sa divinité comme par un don gratuit fait mécaniquement à la nature, mais de nous rendre capables de l’accueillir lui-même dans sa vie intime. Il s’agit d’accueillir dans la foi le don de la grâce créée qui justifie, qui sanctifie et qui constitue donc un principe de vie surnaturelle. Le problème posé concerne donc l’essence de la religion en christianisme, et pas du tout la religion cultuelle comme le pense ici Kant.
56On doit préciser que Kant réduit ici la foi infuse à l’acte de foi élicité42 par l’homme. Elle n’est plus considérée comme vertu théologale infuse. Tout en concédant une place à l’infus divin, mais seulement à titre d’hypothèse dans la vie divine, Kant a donc éliminé dès le départ également toute la part d’activité humaine, la réaction constitutive de la conversion. Autrement dit, la foi donnée à la parole, la profession de foi, ne sont plus à proprement parler de l’électif surnaturel, mais du purement moral et du naturel (or, ce n’est que dans la mesure où cette part de l’électif est présente, et que le chrétien réagit à l’appel de Dieu dans la foi, que sa foi est vive). Kant a précisément fait l’impasse sur cette saisie de l’âme par la foi et cette saisie de la foi par l’âme, en n’y voyant qu’une illusion spirituelle, une aliénation, éliminant par là la substance même de la vie religieuse chrétienne. L’aliénation qu’il dénonçait dans la foi cultuelle servile se trouvait par là indûment étendue à l’acte de la foi vive, de telle sorte qu’il introduisait dans la vie surnaturelle du chrétien une aliénation plus réelle encore dont il était seul responsable. Mais, en fait, il ne faisait que renouveler la réduction de la foi dans la théologie luthérienne.
57C’est avec un serrement de cœur que l’on parcourt les lignes suivantes où Kant fait la démonstration43 de son erreur : « En effet, cette foi, en tant que confession intime de la vérité profonde de son objet, est un acte extorqué par la terreur ; et cela est si vrai, qu’un homme loyal aimerait mieux se voir imposer n’importe quelle autre condition (…) tandis qu’ici on exige de lui un acte contraire à sa conscience, en voulant qu’il déclare vrai ce dont il n’est pas convaincu ».
58Sans doute la liberté est-elle nécessaire comme condition inaliénable à la véritable profession de foi chrétienne ; mais Kant en a écarté a priori la possibilité, même théorique, puisqu’il a envisagé la question uniquement sous l’angle du culte et non de la religion vraie (la vraie religion surnaturelle et divine). En vérité, chez Kant, l’idéologie religieuse a constitué l’obstacle insurmontable à une réelle pénétration du christianisme dans son essence mystique. En ne concédant même plus à Dieu le pouvoir de faire quelque chose pour nous rendre agréables à sa divinité, Kant avait-il conscience de borner à sa propre sagesse humaine les secrets de la suprême Sagesse ? De la part d’un esprit aussi exigeant, c’est bien là la preuve de la misère de la philosophie, le dernier mot qui s’applique à la conception kantienne de la religion. Chatouilleux à l’extrême sur le risque de violation de la conscience humaine, notre philosophe, Père philosophe du monde moderne, n’a pas eu conscience de violer les secrets de la sagesse de Dieu. L’ellipse de la mystique a coûté cher à l’Occident.
59 7. - C’est bien chez Kant que l’on trouve de point de départ de la critique de la religion qu’illustreront Feuerbach et Marx avant d’autres. Quand il se place dans la perspective de la religion politique et qu’il traite de « l’anthropomorphisme du faux culte », Kant le déclare inoffensif en théorie, mais « très dangereux » dans la pratique : « car alors nous nous faisons un Dieu que nous croyons pouvoir facilement gagner à nos intérêts » et qui nous dispense de l’effort moral. Nous lui offrons des sacrifices qui « nous paraissent d’autant plus saints qu’ils sont moins utiles et qu’ils visent mons à l’amélioration morale universelle de l’homme ». « C’est une folie superstitieuse que de vouloir être agréable à Dieu par des actions que tout homme peut accomplir sans avoir besoin d’être homme de bien »44.
60La critique religieuse de la religion par le rationalisme moralisateur annonce chez Kant les maîtres du soupçon. Il pense, en effet, que tout culte religieux est une aliénation de la véritable religion pratique qu’il a dégagée de la gangue de la foi superstitieuse en la réduisant à l’état pur dans les limites de la raison. Le vice fondamental du culte considéré comme agréable à Dieu et capable même au besoin de nous réconcilier avec lui sans être purement moral, c’est qu’il substitue à la réalité de la religion une représentation idéologique fétichiste. La superstition telle que Kant la conçoit (être agréable à Dieu par des actes naturels) conduit directement à la tentation de la magie, « art de produire par des moyens tout à fait naturels un effet surnaturel » qui mérite plutôt (dans la magie noire) le nom de fétichisme.
61Il faut lire la page de Kant45 où, rappelant la satire de Fontenelle et de Voltaire, il explique que faire des pélerinages aux sanctuaires de Lorette (ainsi Descartes) ou de Palestine, envoyer ses prières aux magistrats célestes en formules exprimées des lèvres (ainsi des Chinois), ou les leur expédier par la roue à prières (comme les Tibétains)... c’est tout un. Il n’y a point de différence sinon dans les « manières » entre « un schaman des Tougouses et ce prélat d’Europe qui gouverna à la fois l’Eglise et l’Etat, entre un Vogoul confiant en ses sens, qui le matin met sur sa tête la patte d’une peau d’ours en faisant cette courte prière : « Ne me tue pas », et un Puritain et un Indépendant raffiné du Connecticut », car le principe de la croyance elle-même fait « consister le culte divin en une chose qui ne rend pas les hommes meilleurs, en la croyance à certains dogmes positifs ou bien en la pratique de certaines observances arbitraires ». Et Kant de conclure que l’on doit ranger tous ces égarés « dans une seule et même classe, ceux qui font consister le culte divin en cela même et non dans l’intention d’une bonne conduite ». A cette classe des égarés s’oppose l’Eglise (invisible) de ceux que guide le « principe tout différent et beaucoup plus élevé de la vertu ». Une telle Eglise « comprenant tous les gens animés de bonnes intentions est seule, d’après sa nature essentielle, la véritable Eglise universelle ».
62Ces lignes révèlent à quel point Kant fait figure non seulement de précurseur de Marx, mais encore, par l’intermédiaire de la critique anticléricale des philosophes français du XVIIIe siècle, de celle des maîtres du soupçon de Feuerbach à Nietzsche. A son heure, il a tenté de ménager l’équilibre entre la vision des déistes et celle des athées français, d’une part, et celle du théisme, religieuse encore. Néanmoins, on pressent à quel point la critique du fétichisme religieux devait influencer l’héritage de la philosophie kantienne chez Hegel et ses successeurs. Kant s’en était pris violemment à la domination cléricale lorsqu’il définissait ainsi le sacerdoce : « le sacerdoce serait en général la domination usurpée que le Clergé s’arroge sur les âmes en leur laissant croire qu’il a la possession exclusive des moyens d’obtenir la grâce »46. Il disait encore : « le sacerdoce est la constitution d’une47 église où règne le culte fétichiste avec ses commandements statutaires, ses règles de foi et ses observances ». Le culte fétichiste est « mécanique, tant il semble écarter presque toute moralité, toute religion, pour s’installer lui-même à leur place, et l’on est bien près du paganisme ». Kant s’emporte à propos du principe du culte fétichiste, lorsqu’il écrit : « la valeur d’une église ou la nullité de son culte tiennent à la nature du principe d’obligation auquel est donnée la première place. Quand ce principe impose l’humble soumission à des dogmes et, par suite, un culte servile au lieu du libre hommage qu’on doit rendre à la loi morale élevée au-dessus de tout, peu importe le petit nombre des observances imposées. Il suffit qu’elles soient données comme absolument nécessaires pour qu’on ait affaire à une croyance fétichiste ayant pour résultat l’asservissement de la foule à laquelle on vole sa liberté morale du fait qu’on la met au service d’une église (et non pas de la religion) ».
63Kant va plus loin encore lorsqu’il ajoute que « la domination exercée despotiquement par le Clergé sur les laïcs habitue même la pensée du peuple à une obéissance inconditionnée qui a pour effet d’accoutumer les sujets à agir hypocritement, de telle sorte que leur loyauté, leur fidélité sont minées. Ils en viennent à ne s’acquitter même de leurs devoirs civils qu’en apparence ». Le culte de la « foi cultuelle servile » est l’école du vice48.
64 Parmi d’autres, ce texte saisissant met en lumière que Kant a bien ouvert la voie à la critique négative de la religion telle que Marx devait l’entreprendre. Seul le mot fait défaut ; mais l’analyse a souligné la réalité de l’aliénation du peuple, de sa dégradation morale et mentale engendrée par le fétichisme du culte. Il suffira à Marx de dénoncer la survivance d’un tel fétichisme dans le culte philosophique institué par les héritiers de Kant, en particulier le culte hégélien avec ses dogmes chers aux « post-kantiens » de droite, pour que soit balayée, mais récupérée, toute la problématique de l’idéologie pratique de Kant lui-même, de son culte à lui, le culte moral de la loi élevée au-dessus de tout, le culte de la morale de l’impératif catégorique.
65C’est bien ce que devait faire Karl Marx, au vu des résultats politiques et sociaux de la réformation philosophique déclenchée par l’idéologie allemande de son temps, au vu de la misère de la philosophie érigée en « religion vraie ». C’est l’aliénation par la transcendance supposée de cette morale même qu’il dénonçait, non sans lucidité puisqu’il reconnaissait sa présence dans la transcendance de l’« esprit » au sein de la phénoménologie hégélienne. Marx ne pouvait que souligner le fait : une telle aliénation avait seulement servi à relayer l’aliénation par la religion révélée.
Notes de bas de page
1 Etienne Gilson, L’être et l’Essence, Paris, Vrin, ch. VI.
2 Ib., p. 198.
3 Prolégomènes à la Critique de la Raison pure. Ib., p. 205.
4 Dissertation de 1770, éd. Paul Nouy, Paris, Vrin - 1976.
5 O.c., Sectio II, 10-11, pp. 46-47 et 48-49. Voir aussi III, pp.34-35. « Quod contra Idealismum », pp. 48-49.
6 Etienne Gilson, L’Être et l’Essence, o.c., pp. 199-205.
7 Jacques Maritain, Quatre essais sur l’esprit dans sa condition charnelle, Desclée de Brouwer, 1939.
8 De là leur esthétisme foncier.
9 Emmanuel Kant, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin – 1952, pp. 85- 86, 109-110, 113-115, 170.
10 Emmanuel Kant, Lettres sur la Morale et la Religion, Jean-Louis Bruch éd., Aubier Montaigne, Paris – 1969, pp. 20-36.
11 Borowsky, le premier biographe de Kant, notait avec une certaine amertume l’aversion du philosophe vis-à-vis de toute pratique religieuse et de la prière (J.-L. Bruch, Lettres, o.c., p. 154). Il mettait même en doute sa compétence théologique (1804). Cependant, Kant influença les jeunes théologiens luthériens dont l’orthodoxie étroite se contentait d’un littéralisme biblique et qui ne cherchaient pas à inviter les auditeurs à réfléchir par eux-mêmes sur les vérités théologiques « dans les limites de la raison ». Dans une lettre à Borowsky (1792, p. 153), Kant parlant du Christ et de son nom sanctifié avouait qu’il n’osait pas comparer sa morale « chrétienne » avec la morale philosophique universelle exprimant la législation de la raison pratique.
12 Emmanuel Kant, Critique de la Raison pratique, P.U.F. - 1973, 62, p. 48.
13 Ib., 84.
14 Critique du Jugement, éd. Barni, II, p. 209.
15 Critique de la Raison pratique, éd. cit., p. 137.
16 Critique de la Raison pure, éd. cit., p. 146.
17 Critique du Jugement, II, p. 208. Critique de la Raison pure, p. 556, éd. cit., pp. 132-133.
18 La Religion dans les limites de la Raison (1793), préface de la première édition, p. 3, éd. cit., p. 143.
19 Ib., Ière partie, remarques p. 56 note 1, éd. cit., p. 148.
20 Ib., IIIe partie, p. 108. Ed. cit., p. 149.
21 On peut souligner la liaison systématique, mentionnée par Kant dans sa Lettre à Jacobi du 30 août 1789, entre sa religion morale et « l’oeuvre des sociétés secrètes », l’oeuvre du « changement volontaire de Constitution » dans les monarchies à laquelle Kant se sent personnellement voué « pour le bien-être universel de l’humanité, pour sa conquête de la liberté individuelle dans le respect de la liberté de tous ». Ed. cit., pp. 119, 123 et 167.
22 La distinction entre les trois pouvoirs de Montesquieu se trouvait donc chez Kant rattachée à la morale – et donc à la théologie – contrairement à la neutralité politique du juriste-sociologue qu’affichait l’auteur de l’Esprit des Lois. Les censeurs de Montesquieu n’avaient pas entièrement tort de soupçonner chez lui une neutralité symptomatique. Voir supra, pp. 316- 319.
23 La Religion dans les limites de la Raison, IIIe partie, 1ère section, V, p. 121. Ed. cit., p. 153.
24 Ib., p. 122. Ed. cit., p. 154.
25 Ib., ch. II, p. 198.
26 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 1ère section, ch. I, p. 189.
27 La Religion dans les limites de la Raison, IIIe partie, 2e section, p. 150. Pour Kant, le judaïsme n’est pas une religion « mais l’Etat d’une race qui n’honore Dieu qu’au titre de régent temporel qui n’a ni la prétention de régner sur les consciences, ni celle d’avoir de la conscience ».
28 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 1ère section, ch. I, p. 190.
29 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, Remarques, p. 235.
30 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 2e section, ch. III, p. 223.
31 Ibid., 1ère section, §b.
32 Ibid., §a.
33 Ib., Ière partie. Remarques, p. 61, note.
34 Critique de la Raison pratique, pp. 86-87.
35 La Religion dan les limites de la Raison, Ière partie. Remarques, p. 62.
36 Critique de la Raison pratique, p. 88.
37 Claude Khodoss, éd. cit., p. 88, note 1.
38 La Religion dans les limites de la Raison, Ière partie, Remarques, p. 62, note.
39 Critique de la Raison pratique, p. 147.
40 La Religion dans les limites de la Raison, IVepartie, 2e section, p. 206.
41 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 1ère section, p. 183, note.
42 Éliciter (in Trésor de la Langue française informatisé) THÉOL., rare. Susciter : C’est l’esprit autrefois qui a élicité le Christ au sein de la Vierge Marie et c’est le Christ personnel à son tour qui tire, qui rassemble et qui promeut autour de lui cette église qui est son corps collectif : ... Claudel, Un Poète regarde la Croix, 1938, p. 254. P. ext. Éliciter de. Tirer, faire sortir de. Ce raisin que le soleil élicite de la terre et que son rayon amical conduit de la fleur à la grappe (Claudel, Un Poète regarde la Croix, 1938, p. 128). Étymol. et Hist. 1838 (Ac. Compl. 1842). Empr. au lat. scolastique elicitus, part. passé de elicere « tirer de, faire sortir, susciter, provoquer ». Fréq. abs. littér. : 5.
43 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 2e section, II, p. 207.
44 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 2e section, §3, pp. 212, 216.
45 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 2e section, §3, p. 214. Cité par Cl. Khodoss, pp. 172-173.
46 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, Remarques, p. 245.
47 La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, 2e section, III, p. 219. La constitution de l’Eglise demeure immuablement despotique quelle que soit la forme monarchique, aristocratique, démocratique de sa hiérarchie.
48 De la démoralisation du peuple. On songe également à l’opium du peuple dans les lignes où Kant mentionne la peur et la mauvaise foi que le faux culte des églises inspire à leurs fidèles (La Religion dans les limites de la Raison, IVe partie, Remarques, p. 230. Ed. cit., pp. 175- 176).
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