Chapitre III. Saint Thomas et la contemplation propre à la mystique chrétienne
p. 41-61
Texte intégral
1Le platonisme situe la mystique dans le prolongement de la connaissance humaine par l’affirmation de l’aséité presque complète de l’âme, ce qui permet le retour momentané à l’un au- dessus de l’Etre par l’union extatique. Dans le christianisme la mystique, tout en se coordonnant à la connaissance naturelle, ne la continue pas dans sa ligne, mais s’ajoute à elle par le don gratuit de la miséricorde de Dieu.
2L’homme n’éprouve pas directement le désir naturel de la fin surnaturelle qui est en lui ; il a besoin, pour l’éprouver, de voir ce désir surnaturalisé par la grâce. C’est pourquoi la question que la mystique chrétienne pose aux théologiens concerne sa formule : elle devra respecter la transcendance du Dieu qui l’infuse et l’immanence de l’acte élicite par lequel elle s’enracine dans la structure de l’âme humaine. Tels sont les deux aspects sous lesquels saint Thomas d’Aquin a magnifiquement analysé la contemplation propre à la mystique chrétienne. Celle-ci est tout ensemble, infuse et élective.
3 Infuse et élective, la contemplation mystique l’est dès le premier instant de l’initiation chrétienne au sacrement du Royaume de Dieu : l’initiative vient de Dieu, mais l’homme y participe par sa réponse libre à la gratuité de l’appel de Dieu. Il s’en suit que l’efficacité de la contemplation, et de la prière contemplative qui est l’âme de la vie chrétienne, met en œuvre le don qui vient de Dieu et cette réponse de l’homme qui lui correspond.
4Car contempler c’est toujours recevoir, au sens de s’ouvrir, de s’exposer sans crainte, dans la prière, aux rayons du Soleil divin qui sans cesse frappent pour pénétrer dans les âmes, pour illuminer leur intérieur : c’est entrer activement dans la prière du Christ, s’associer au Pater, âme de la contemplation des chrétiens qui servent Dieu, en religion ou dans le monde1, et se laissent transformer par Lui.
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5 1. - Une ligne continue va de saint Paul à saint Thomas et de saint Thomas à saint Jean de la Croix.
6Dans son commentaire du Symbole des apôtres2, saint Thomas résume en quelques mots tout ce qu’ont dit les mystiques de la contemplation chrétienne : « Nous devons contempler sans cesse le Verbe de Dieu, source de toute connaissance et de toute sainteté, parce que toutes les paroles de Dieu sont à la ressemblance de ce Verbe ».
7Il y explique qu’il convient ainsi d’écouter ses paroles, de les croire, de les méditer, de les communiquer, de les réaliser, tout cela au cœur même de l’Eglise qui est le mystère de Dieu présent à l’histoire des hommes, à l’exemple de celle qui a engendré le Verbe en elle, la Vierge Marie.
8Si le Verbe de Dieu est Fils de Dieu, si toutes les paroles de Dieu sont à la ressemblance de ce Verbe, explique saint Thomas, nous devons d’abord écouter les paroles de Dieu, car le signe de notre amour pour lui, c’est d’écouter volontiers ses paroles.
9Puis, nous devons croire ses paroles ; ainsi seulement le Verbe de Dieu habitera en nous, le Christ lui-même, selon qu’il est dit (Ep. 3, 17) : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi » et (Jn. 5, 38) : « Vous n’avez point le verbe de Dieu demeurant en vous ».
10Mais nous devons, en outre, méditer le Verbe de Dieu habitant en nous, car il ne suffit pas de croire, il faut méditer, autrement le Verbe ne nous servirait de rien. Cette méditation est sans prix contre le péché : « Dans mon cœur, j’ai caché ta parole pour la méditer, afin de ne pas pécher contre toi » (Ps. 118, 11). Il est dit encore du juste : « La loi de Dieu, il la médite jour et nuit » (Ps. 1, 2) et il est dit de la Bienheureuse Vierge : « Elle conservait toutes ses paroles, elle les méditait dans son cœur » (Lc. 2, 19).
11L’homme doit encore communiquer le Verbe de Dieu à ses semblables par ses conseils et sa prédication, les enflammant d’amour : « Qu’il ne sorte de votre bouche aucun discours mauvais, mais de bonnes paroles capables d’édifier » (Eph. 4, 29). « Que la Parole du Christ demeure en vous avec abondance pour vous instruire et vous avertir les uns les autres » (Col. 3, 16). « Prêche la Parole, insiste à temps et à contre-temps » (1Tim. 4, 2).
12Enfin, le Verbe de Dieu doit être mis en pratique : « Soyez des réalisateurs de la Parole, non pas seulement ses auditeurs, vous abusant vous-mêmes » (Jc. 1, 22). Cet idéal, la bienheureuse Vierge l’a vécu tout entier, nous dit saint Thomas, dans la génération du Verbe de Dieu mis au monde par elle.
13D’abord, elle l’écouta : « L’Esprit-Saint viendra sur toi » (Lc. 1, 35). Puis, elle lui donna l’adhésion de sa foi : « Voici la servante du Seigneur » (Lc. 1,38). Elle le reçut ensuite et le porta dans ses entrailles. Elle le donna et l’enfanta. Enfin, elle le nourrit de son lait, comme le chante l’Eglise : « Le Verbe, lui, le roi des Anges, la Vierge seule l’allaita de son sein rempli par le Ciel » (Liturgie des Dominicains).
14On remarquera le thème de la Parole cachée dans le cœur qui nous cache dans le Verbe lui-même, de telle sorte que nous puissions devenir capables, par sa plénitude, de l’engendrer en nous et de le donner au monde – ceci au cœur de l’Eglise, à l’exemple de Marie.
15Toute la sagesse mystique des chrétiens est résumée là.
16De Jésus au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob qui manifesta son nom (Je Suis, Ex. 3,14) à Moïse (qui se cachait le visage, de crainte que son regard ne se fixât sur le Dieu Transcendant qu’aucune créature ne peut voir sans mourir), la distance franchie est mystérieuse. Dans le Christ nous devenons capables de contempler la face de Dieu comme dans un miroir. L’Être divin nous accueille dans la foi au Verbe incarné pour nous transformer en Lui ; nous ne mourons pas à sa vue, nous passons de la mort à la vie, la vie nouvelle dans le Christ. La transcendance de Dieu habitant en nous se fait immanence.
17La mystique chrétienne trouve ainsi son fondement : l’innommable, Celui Qui Est, s’est fait semblable à nous dans le Christ qui a manifesté son Nom. Le Christ médiateur, l’Engendré-non-pas-créé, l’Envoyé de Dieu, a manifesté aux hommes le Nom de Dieu (Jn. 17,6), c’est-à-dire la personne même du Père, afin qu’ils fussent gardés en son Nom et un – un comme le Père et le Fils sont un, un en eux, le Christ en eux et le Père en lui – aimés du Père comme le Fils est aimé de Lui, rendus capables de se tenir auprès du Christ et de contempler la gloire que le Père a donnée au Fils avant la création du monde (Jn. 17,11-25).
18Comme on l’a rappelé récemment3 à propos du renouveau de la théologie, il faut retrouver la perspective sapientielle et mystérique de saint Thomas et de la tradition orientale. Dieu communique sa connaissance transformante en créant, dans l’Esprit, l’Eglise assemblée par la médiation du Christ.
19On peut dire de la mystique ce qui est dit de la théologie renouvelée selon cette perspective, d’autant plus qu’il s’agit d’une seule et même Théologie qui tantôt contemple et tantôt réfléchit, qui tantôt reflète la gloire de Dieu, le visage découvert, tantôt scrute le mystère, afin de mieux pénétrer le mystère qui habite l’Eglise.
20La théologie qui spécule est subalternée à la théologie qui contemple : celle-ci se trouve au coeur du mystère de la Révélation de la Gloire de Dieu qui nous a marqués à l’effigie du Christ et nous a donné de la réfléchir dans une connaissance transformante. Comme le dit saint Paul dans un texte cher aux mystiques : « Nous tous qui, le visage découvert (i.e. dans le Christ qui a pris possession de nos cœurs, ou encore : dans la disposition requise de l’attention simple et amoureuse à Dieu, selon saint Jean de la Croix) réfléchissons la Gloire du Seigneur comme en un miroir4, nous sommes transformés en la même image de gloire en gloire » (2 Cor. 3,18) (i.e. : dans le Christ, image de Dieu, nous sommes rendus de plus en plus semblables à Dieu).
21Cette connaissance transformante est infuse et c’est à partir d’elle que l’analyse rationnelle établit la science de Dieu, la théologie spéculative, comme vision doctrinale du Mystère. Celle-ci part de la contemplation pour y revenir. Pareillement, la mystique quitte la spéculation pour y revenir après avoir contemplé le mystère. L’unité vivante de la Théologie chrétienne est là, selon l’expression de saint Thomas, dans sa circularité5.
22C’est cette grande tradition théologique inaugurée par saint Thomas qu’il faut retrouver sans cesse : elle n’est pas thomiste, elle est chrétienne. La pensée chrétienne doit s’enraciner dans la tradition de la mystique de l’Eglise. Elle la gardera d’essentialiser la Révélation lorsqu’elle la formule dans un ensemble de vérités théologiques abstraites, apparemment intemporelles, et séparées faute d’être reliées entre elles dans l’unité du mystère du verbe incarné. C’est dans l’unité de la personne du Christ que nous communions à la gloire de Dieu et c’est de cette unité que participent toutes les affirmations de la foi, puisqu’elles renvoient toutes à la relation du Verbe incarné au Père, comme le dit si bien saint Thomas lorsqu’il précise, comme nous l’avons vu, que toutes les paroles de Dieu sont à la ressemblance du Verbe de Dieu.
23A cette condition seulement la théologie existera dans la complexité de son unité6, conformément à la tradition de l’Eglise qui n’a cessé de contempler et d’analyser le Christ : « Sagesse et Puissance du Père, en qui sont tous les trésors cachés de la Sagesse et de la Science ». C’est par la contemplation des saints que la théologie comme science peut continuer à participer à la plénitude de la Sacra Doctrina vivante.
24C’est dans cette perspective que, d’un bout à l’autre de son œuvre, saint Thomas a situé la contemplation chrétienne. Bien peu de théologiens l’ont compris avant nos jours. Le grand commentateur de saint Thomas que fut, à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, le fidèle disciple et apologète de saint Jean de la Croix, Joseph de Jésus-Marie Quiroga, l’avait bien compris. Répondant à la contradiction que rencontrait la doctrine de son maître, parce qu’on l’assimilait à celle des Illuminés, il faisait cette remarque : « On observe que de nombreux hommes doctes en matière de théologie scolastique, habitués qu’ils sont à manier quotidiennement les ouvrages de saint Thomas, pratiquent si peu ce qu’il a composé sur la théologie mystique qu’ils parlent de celle-ci con gran deslumbramiento y notable desacierto, au grand dam des fidèles de l’Eglise de Dieu ». Nous suivrons donc ce bon guide dans les pages qui suivent, afin de faire connaître la haute doctrine de cet admirable commentateur tellement méconnu7 et d’exposer l’essentiel de l’idée que saint Thomas se faisait de la contemplation surnaturelle des chrétiens.
25 2. - La perfection de la vie chrétienne, c’est l’union de l’âme à Dieu « ad quam sicut ad finem ordinantur omnia quae pertinent ad spiritualem vitam » (2-2, q. 44, a. 1).
26L’union suppose (comme l’a enseigné Denys) que l’on progresse à partir du donné révélé, d’une manière proportionnée, de la spéculation à la connaissance transformante des mystères divins. Une telle connaissance suppose qu’après s’être élevé vers la connaissance des mystères, selon le mode naturel de la raison usant des signes divins que sont les propositions de la foi, l’intelligence se déprenne de ces figures et, grâce à la notion qu’il en a tirée, pénètre au-dedans d’elle-même pour soupeser en quiétude simple, à la lumière de la raison illuminée par la foi (2-2, q.174, ad 2), le mystère dont elle a connaissance. Mais cela ne suffit pas. Si l’on veut que la contemplation silencieuse soit profitable et reçoive les biens surnaturels auxquels elle s’ordonne, l’intelligence doit, en outre, s’apaiser à l’égard de toutes ses opérations intellectives mues par la lumière naturelle de la raison et, revêtue seulement de la lumière surnaturelle de la foi qui la proportionne en vue de l’illumination divine, se laisser plonger dans l’immensité et l’incompréhensibilité de la divine connaissance. C’est seulement dans cette disposition qu’elle s’unira au rayon de ténèbre de la divine lumière « supersubstantielle », par-dessus toutes les substances créées, afin d’en être illuminée.
27Saint Thomas dit, à ce propos, que si la spéculation de la raison ne débouchait pas ainsi sur la possession de la vérité intelligible, elle ne serait d’aucune utilité (D.N. Ch. 11, § 2). Il ajoute deux observations qui montrent que la spéculation rationnelle ne suffit pas et constitue même un obstacle à l’illumination surnaturelle de l’âme par le Saint-Esprit, sans laquelle notre connaissance et notre amour sont impuissants pour nous unir à Dieu8.
28Il convient donc de pratiquer une telle disposition intérieure au moment de recevoir l’illumination divine et c’est par la foi seule, dans sa simplicité, qu’on le peut, conformément à la règle générale formulée par saint Thomas, selon laquelle pour que l’homme s’élève à ce qui surpasse sa nature, il convient qu’il s’y dispose surnaturellement (I, q.12, a.5). Denys décrit cette disposition en pratique (au chapitre 4, § 174)9, à savoir : en excluant de la contemplation divine les actes de la raison, même lorsqu’ils sont illustrés par la vertu théologale de la foi, parce que la théologie mystique prend appui sur la théologie spéculative, mais pour la dépasser surnaturellement.
29Il faut donc bien distinguer la contemplation des spéculatifs de celle des mystiques. A cet égard on peut appeler la première naturelle (saint Jean de la Croix l’appellera sensible) et la seconde surnaturelle (il l’appellera spirituelle).
30Mais il faut aller plus loin et distinguer soigneusement deux modes de la contemplation surnaturelle, de peur qu’on fasse de celle-ci une contemplation « mystique » purement « miraculeuse ». Or si elle l’est parfois, elle ne l’est pas toujours, tant s’en faut.
31Lorsqu’on aborde ce point qui est le cœur de la doctrine que tous les « disciples » et commentateurs de saint Jean de la Croix au XVIe et au XVIIe siècles ont méconnu, sauf à de très rares exceptions, il importe de ne rien négliger et d’aborder courageusement un chapitre difficile. Nous suivrons pour cela, pas à pas, l’admirable exégèse de Quiroga10.
32Saint Thomas, en effet, a bien souligné le caractère surnaturel de la contemplation unitive, en disant qu’elle met en continuité l’intelligence humaine avec les intelligences angéliques (3 Sent., Dist.35, q.1, a.2, ad 1). Il a ensuite distingué deux modes d’exercice de cette contemplation surnaturelle11. Selon le degré d’intensité de l’illumination du Saint-Esprit il appelle l’une contemplation exercée selon notre mode humain (3 Sent., Dist. 34, q.1, a.1 et ad Ium) parce que cette lumière de la foi, bien que surnaturelle, nous y est concédée pour l’exercer selon notre mode (en nous proportionnant à Dieu à partir de la méditation du donné révélé, selon le mode de l’union – supra-intellectuel – décrit plus haut). Il appelle l’autre contemplation supérieure à notre mode humain, parce qu’elle ne dépend que de l’illumination divine, sans que nous y ayons aucune part, lorsque Dieu la concède comme par miracle, selon la motion particulière du don de sagesse que saint Paul met au rang des grâces gratis datae (1 Cor., 12, 8) (I-IIae, q.113, a.10 & II-IIae, q.45, a.5). Ces deux espèces de contemplation mettent en œuvre les dons du Saint-Esprit, particulièrement le don de sagesse. Mais dans la première, il se proportionne à la grâce sanctifiante selon laquelle l’homme chemine à sa perfection selon son mode et d’une manière méritoire ; tandis que dans la seconde, le don de sagesse opère selon un degré d’intensité plus grand, et proportionne l’opération de la grâce sanctifiante au mode supérieur de l’absolue gratuité du don de la divine miséricorde (on doit observer ici qu’il ne s’agit pas d’un double mode d’opération du don de sagesse, mais de deux degrés d’intensité d’un même mode d’opération).
33Ces deux sortes de contemplation mettent en œuvre, par conséquent, les dons du Saint-Esprit différemment ; la première seule est élective, mais elles sont toutes deux une seule et unique contemplation surnaturelle infuse. Sur ce point règnera, dans la théologie de la mystique postérieure à saint Jean de la Croix, la plus grande confusion, comme nous le verrons, et il n’est pas inutile de le signaler dès à présent : lorsque Quiroga distingue, avec saint Thomas, une contemplation à la manière humaine (nuestro modo), il s’agit bien de tout autre chose que d’une contemplation à base de spéculation ou d’une contemplation acquise à base de passivité acquise.
34Sur ce point, aucun doute ne devrait être possible. Saint Thomas précise encore, si besoin est, que la première met en œuvre la suspension intentionnelle (ou extase de l’intelligence suspendant son acte représentatif propre) dans laquelle, sans être ravi hors des sens, le contemplatif abandonne toutes les similitudes des choses qu’élabore l’intellect et met toute son application à vaquer, grâce à la lumière de la foi, à la connaissance et à l’amour des choses divines12. Tandis que la contemplation supérieure à notre manière connaturelle va de pair avec le rapt et l’aliénation des sens, avec ce que l’on appelle, plus proprement, l’extase ou encore l’excessus mentis.
35L’oraison mentale n’est profitable qu’à la condition qu’on s’y exerce dans cette suspension intentionnelle. Loin de la condamner et d’en dissuader les fidèles, par crainte de les voir tomber dans l’illuminisme, il convient de les instruire et de les encourager à la pratiquer : « Rechercher les choses qui dépassent notre raison, loin d’être vitupérable est digne de louange : car l’homme, dit saint Thomas, doit s’élever de toutes ses forces aux choses divines (3 Sent., Dist.24, q.1, a.3 et q.2, ad 2). Tant que l’entendement ne s’élève pas au-dessus de tous les actes et similitudes (idées) de sa connaissance naturelle, il ne peut, en effet, recevoir l’illumination divine surnaturelle faute de s’y proportionner, et il doit le faire selon son mode connaturel et les moyens proportionnés dont il dispose pour passer de ce qui était imparfait à ce qui est parfait. Ce faisant, il n’aspirera pas à l’extase et au rapt hors des sens, ce qui serait une coupable présomption et une démarche vicieuse (précisément celle de l’illuminisme) comme le dit saint Thomas (IIae, q.130, a.1) : « Vu que l’opération doit se commensurer à la vertu et au pouvoir de celui qui opère et qu’aucun agent naturel ne peut prétendre faire ce qui excède ses facultés ».
36Ce qui vient d’être dit explique pourquoi saint Thomas déclare, avec tous les mystiques chrétiens, que c’est l’humilité spirituelle qui ouvre la voie de cette contemplation : « L’humilité est, pour ainsi dire, une sorte de disposition qui permet à l’homme d’accéder librement aux biens spirituels et divins ». Du côté de l’intelligence de la foi, l’humilité se traduit par la disposition qui permettra à l’intelligence de recevoir sans obstacle l’illumination divine dans la contemplation.
37A ce sujet, saint Thomas enseigne que la lumière de la foi qui intervient dans la contemplation surnaturelle est cognitio simplex articulorum quae sunt principia totius christianae sapientiae, connaissance simple des articles de la foi qui sont les principes de toute la sagesse chrétienne (3 Sent., dist.35, q.2, a.1, qa 3, sol. I). Cette connaissance simple, il la décrit comme propre à celui qui doit exercer son intelligence par-dessus les actes de l’imaginative et de la raison, selon l’acte le plus parfait de l’intelligence que Denys a appelé mouvement circulaire dans la contemplation. C’est l’acte de l’intelligence humaine qui a ramené toutes ses opérations à un simple regard sur la vérité, à la contemplation simple de la vérité éternelle, dans un acte universel, telle que la foi nous la présente d’une manière ineffable et incompréhensible, par mode d’union.
38Pour comprendre ce point, il faut rappeler qu’il y a deux actes de l’intelligence : l’intelligence qui, sans composition ni division, appréhende d’une manière indivisible la substance simple, et l’intelligence qui compose et divise ses propositions (Quodl.5, a.9 et I Sent., dist.19, q.5, a.1, ad 7).
39Pareillement, on doit distinguer dans la connaissance de la foi, deux actes (II-IIae, q.1, a.2) : l’appréhension simple des objets de la foi, c’est-à-dire la vérité première, et la connaissance composée, relative aux mystères de la foi ordonnés à cette vérité simple – ou encore l’activité de la raison qui, à partir de la foi, cherche à confirmer l’entendement pour qu’il embrasse la foi plus facilement et plus fermement (Ia, q.1, a.8, ad 2).
40L’appréhension simple de la Vérité première se fait sans inquisition ni discours. Elle consiste à recevoir la vérité de la foi qui est dans l’entendement selon un mode composé, comme Vérité de Dieu révélée à son Eglise ; cette brève composition, une fois faite, n’a pas à être répétée lorsque l’on a acquis l’habitude de l’oraison (De Veritate, q.14, a.8, ad 5). L’habitus acquis dure de telle sorte que dans les actes de la contemplation la vérité divine est reçue avec une très grande vénération dans sa simplicité et sa pureté, sans qu’il soit nécessaire de renouveler cette composition. C’est alors que se produit ce que dit saint Thomas (ut supra, ad 12) à savoir : « que bien que la foi, pour ce qui nous regarde, soit complexe, toutefois, quant à l’objet auquel elle nous unit, elle est une vérité simple13».
41Nous pouvons conclure : dans la contemplation surnaturelle l’intelligence opère dans la foi selon l’acte de son mouvement parfait, le mouvement circulaire. Sur ce point la doctrine de saint Thomas constitue un profond commentaire de la pensée si rarement comprise de Denys. Nous allons y revenir. Précisons cependant pourquoi la suspension intentionnelle qui consiste à s’unir purement et simplement à l’objet de la foi sans composition est profitable au progrès spirituel du chrétien : c’est que cette contemplation d’attitude, du fait qu’elle le transporte en Dieu, pour ainsi dire le déifie et lui permet d’agir sous sa motion. Saint Thomas le souligne lorsqu’il prend l’exemple de l’artisan qui, en vue de mettre en mouvement l’instrument de son art, se l’unit d’abord en le prenant dans sa main : c’est ce que fait le contemplatif lorsqu’il saisit par l’esprit la lumière de la foi qui le proportionne et l’unit à Dieu pour qu’Il le meuve selon sa volonté dans l’oraison, comme on instrument à Lui (I-IIae, q.68, a.4, ad 3)14. C’est pourquoi l’entendement, soumis dans cette contemplation immédiatement à Dieu de telle sorte qu’Il est considéré non dans une similitude quelconque, mais en Lui-même tel que le représente la foi, comme ineffable et incompréhensible, permet que la volonté soit, à son tour, efficacement mue par Dieu pour recevoir à plein l’amour infus, selon toute l’amplitude de sa capacité infinie. En effet, saint Thomas le prouve en disant qu’aucun acte n’en est capable, parce que rien ne peut mouvoir efficacement si sa vertu active ne surpasse ou n’égale la vertu passive de la chose mue (Ia, q.105, a.4). Et comme la volonté de l’homme possède la vertu passive qui lui permet de s’étendre au bien universel qu’est Dieu, de s’élever vers lui et de s’unir à lui, Dieu seul peut la combler selon l’immensité de son désir naturel. Et c’est pourquoi l’acte de l’entendement doit nécessairement se proportionner à la volonté pour la mouvoir efficacement et donc lui présenter Dieu de cette façon dans un concept universel, suréminent et très simple.
42Saint Thomas l’explique encore de cette manière, en se référant (Ia-IIae, q.22, a.2, ad 1 et II-IIae, q.24, a.3) à ce qui se passe dans les hiérarchies angéliques (selon Denys : Hiérarchie céleste c.10, 1 : 917-919) : plus l’ordre auquel elles appartiennent est supérieur et plus elles reçoivent l’illumination divine en des actes universels et simples, plus ces influences divines leur sont communiquées avec intensité et efficacité, de telle sorte qu’elles sont transmises aux ordres inférieurs où elles se particularisent en devenant de moins en moins simples et de moins en moins resplendissantes proportionnellement à leurs actes. Appliquée à l’âme humaine (H.C. 10, 923-924) cette disposition hiérarchique correspond à la distinction des trois sortes d’actes de l’intelligence (inférieur, moyen et supérieur) relativement à la manière d’accueillir la lumière de la foi en participation à la lumière divine : ce sont les actes de l’imagination, ceux de la raison et, enfin, ceux de l’intelligence pure.
43C’est à propos des actes de cette hiérarchie suprême des facultés humaines (actes de la contemplation d’attitude) que saint Thomas pouvait dire que plus nos actes sont universels et simples, plus ils sont pénétrés et illuminés de près et intensément par la lumière divine et plus ils participent à sa vertu et à ses perfections, parce qu’ils sont plus proches du premier principe et de la source de la lumière et de la perfection qui est Dieu15.
44L’acte de la contemplation est parfait lorsqu’il est immobile et quiet, c’est-à-dire parfaitement reposé. La véritable contemplation chrétienne s’exerce dans l’acte du mouvement circulaire de l’intelligence dont la perfection vient de son immobilité (II-IIae, q.180, a.6, ad 3)16. L’âme y est établie dans la quiétude la plus tranquille et la plus sereine à l’égard de tout autre acte imparfait, car s’il y avait en elle, à ce moment-là, un autre mouvement inquiet, son acte de contemplation ne serait pas parfait17. Saint Thomas précise (3 Sent., Dist.35, q.1, a.2 ; qa 3 ad 2) que cette divine contemplation s’appelle repos (otium) parce qu’en elle l’âme prend son repos, non seulement à l’égard des mouvements extérieurs, mais aussi des mouvements intérieurs de l’intelligence et que c’est de là qu’elle tire la perfection de son acte18.
45Il s’agit donc d’abandonner dans la contemplation toute opération active de l’intelligence, toute réflexion sur soi, toute production d’idée qui ferait obstacle à la libre motion qu’elle doit recevoir surnaturellement de Dieu (I-IIae, Q.68, a.1 : la perfection de ce qui est mu, en tant que telle, consiste en la disposition qu’il possède en vue d’être mu par son moteur).
46Ce qui veut dire que pratiquement, chez les débutants dans la contemplation, le mouvement circulaire n’est pas encore exercé réellement, parce qu’ils doivent encore prendre appui sur l’acte de la raison qui forme le concept universel de Dieu, de sa majesté, de ses perfections, de sa bonté, d’une façon encore imparfaite, parce que dans cet acte son activité propre est à l’œuvre. Cette vue réflexe relève encore de la spéculation, parce qu’elle ne se dirige pas directement vers son objet, vers Dieu comme inconnu, mais qu’elle ne l’atteint encore qu’à travers le concept formé grâce auquel elle se le représente19. La contemplation s’élève vers Dieu dans une vue directe (par mode d’union, pas d’abstraction), elle l’atteint ainsi en lui-même comme présent, tel que la foi le lui présente (sans concept représentatif). On peut dire que ce qui la distingue de la spéculation, c’est cette différence entre l’acte du jugement et l’acte qui se termine au concept représentatif. L’importance de cette observation est aussi grande en noétique qu’en pratique et il n’est pas exagéré de dire que toutes les obscurités qui entourent la notion et la pratique de la contemplation chrétienne ont là leur explication. Nous aurons l’occasion de le voir.
47Soulignons donc, pour l’instant, qu’il convient, à partir du moment où l’habitus de la vue directe de Dieu dans la foi est acquis, d’abandonner dans la contemplation toute activité réflexe. Richard de Saint-Victor, suivi par saint Thomas, entre autres docteurs, a exprimé cela en disant que le premier degré de la contemplation était au-dessus de la raison (supra rationem), mais que le second, seul parfait, était au-dessus et au-delà de la raison (supra rationem et praeter rationem)20. Il illustrait par là le fameux passage des Noms Divins de Denys (1, 6-7) : « ineffabilibus et ignotis, ineffabiliter et ignote conjungimur », aux choses ineffables et inconnues, nous nous unissons d’une manière ineffable et inconnue, grâce à l’union que la foi rend possible parce qu’elle nous proportionne à ces choses (secundum meliorem nostrae rationabilis et intellectualis virtutis et operationis unitionem).
48Ainsi, dans la contemplation l’acte de l’intelligence est parfait et conforme à sa propre excellence lorsqu’elle est élevée au-dessus d’elle-même en tant qu’intelligence pure, comme le lui permet l’illumination divine de la lumière de la foi. En s’inspirant de la pensée de la Hiérarchie Céleste de Denys (Ch. 7, 841-842), saint Thomas a relié cette attitude de l’intelligence qui se tient dans la contemplation fermement élevée au-dessus d’elle-même et tendue de toutes ses forces vers le Très-Haut en vue de s’unir à Lui, à la contemplation propre à la hiérarchie angélique des Thrônes. La contemplation de ces anges présente également les trois qualités mentionnées : tension directe vers Dieu, pureté à l’égard des choses matérielles, ouverture aux potions, eux influences et aux illuminations d’en-haut.
49Une telle contemplation directe (ou d’attitude) consiste en une vigilance contemplative où le cœur entraine l’intelligence qui se laisse porter directement vers son objet sans vue réflexe sur son acte, dans un simple regard d’amour, conformément à l’acte supra-intellectuel de la foi qui la proportionne à l’illumination divine. C’est pourquoi la contemplation chrétienne consiste en un acte de l’intelligence qui se laisse transporter vers son objet selon le mode de la volonté, laquelle, contrairement à l’intelligence, ne ramène pas les choses à soi pour les transformer en quelque manière en soi afin de les connaître (nous avons vu cela à propos de la noétique thomiste)21, mais se transporte dans les choses qu’elle aime. Les erreurs et les illusions dont sont victimes les conteplatifs viennent de ce qu’ils veulent, au contraire, recevoir la lumi ère divine selon leur mode à eux en s’appliquant à la connaissance au lieu de l’affection (II-IIae, q.23, a.6, ad 1)22.
50Non seulement cette contemplation directe est assimilable à celle des Thrônes, mais elle est encore analogue à celle des bienheureux, parce que le concept que l’intelligence y forme dans la foi concernant la majesté et la souveraineté de Dieu est semblable, dit saint Thomas (II-IIae, q.1, a.5) à celui que les bienheureux possèdent dans la gloire avec cette différence qu’ils voient ce que nous croyons. Saint Thomas l’a souligné dans son commentaire des Noms Divins (ch. 3, 122-127) en expliquant, avec Denys, qu’une telle contemplation rend l’esprit présent à Dieu à découvert (revelata mente) et comme ouvert à l’ensoleillement divin sans les voiles et les nuages qui l’obscurcissent dans son ascension vers Dieu, tout en permettant à l’affection de s’appliquer à Dieu selon toute l’amplitude de l’amour infus, car c’est par la charité et l’union à Dieu que notre volonté s’ordonne à lui.
51Ainsi, dans la perfection de l’acte de son mouvement circulaire, l’intelligence devient capable de conformer l’âme au mode divin de l’amour infus et c’est pourquoi saint Thomas explique (dans son commentaire des Noms Divins ch. 1, § 1) que les contemplatifs doivent appliquer la volonté à aimer les choses dont ils sont illuminés par la lumière de la foi, et par elle comme transportés vers elles afin d’y demeurer présents. C’est ce qu’ont dit tous les mystiques. Hugues de Saint-Victor l’a résumé dans sa fameuse formule : « Amor intrat ubi intellectus fori stat » (l’Amour entre là où l’intelligence n’entre pas). Ici-bas, en effet, nous aimons Dieu selon son essence même, bien que nous ne puissions le connaître de cette manière23.
52Dans ces conditions apparaît clairement le caractère méritoire de cette pratique contemplative des mystiques chrétiens, puisque c’est par l’acte de la volonté qu’une œuvre est méritoire. Dieu, explique saint Thomas, (II-IIae, q.23, a.2) a ordonné que la volonté fût mue par l’Esprit-Saint à l’aimer de manière telle qu’elle-même fût motrice de son acte24. L’application active de la volonté dans la contemplation constitue donc un élément essentiel en vue de la pratique de l’union à Dieu, car elle aussi contribue à recevoir les vertus et les dons infus qui disposent l’âme à cette union (I Sent., Dist.17, q.1, a.1). Il précise ailleurs que l’Esprit-Saint prévient l’esprit de l’homme en vue de la disposer à recevoir ses dons, en suscitant en lui son engagement et son effort, plus ou moins selon l’intensité des dons qu’il lui communique (II-IIae, q.24, a.3, ad 1). C’est alors que l’âme se dispose à recevoir plus efficacement la motion de la grâce divine selon la règle générale formulée ainsi par saint Thomas : l’influence de Dieu opère, soit immédiatement par ses dons, soit médiatement par l’intermédiaire des anges, d’autant plus efficacement que l’âme s’est abstraite des réalités corporelles25.
53Il faut ajouter que la contemplation ainsi conçue se prolonge jusque dans la pratique par la fructification des talents reçus, en vue d’augmenter les biens surnaturels que ménage la contemplation. Lorsque le contemplatif revient à la vie active au sortir de l’oraison, les actes particuliers sont de mise, pas avant ; mais ils sont requis dans la continuité de la vie contemplative. Pour comprendre ce point bien important également, il faut remarquer avec saint Thomas (Quodl. De Virtutibus, a.9) que pour l’exercice des accroissements surnaturels de la grâce, la nature humaine dispose seulement d’un principe passif et qu’il faut donc, pour croître en grâce, être mu surnaturellement par Dieu et exercer, après cette motion passivement reçue, ces mêmes dons en s’aidant de sa propre activité naturelle. C’est ce qui explique que notre volonté ne peut exercer d’opérations actives de charité lorsqu’elle est simplement mue naturellement, mais qu’elle a une disposition passive qui lui permet d’être transformée dans l’amour infus par le Saint-Esprit et, de cette manière, une fois transformée, d’exercer des actes de charité qui surpassent sa puissance active (II-IIae, q.130, a.1, ad 1).
54De tout ce qui précède on peut conclure que la contemplation chrétienne propre à la mystique de la foi est une contemplation totalement infuse, mais élective et qu’il y a une circulation, pour ainsi dire, entre l’infus et l’électif, aussi bien dans la disposition à contempler, que dans la pratique des commandements qui fait suite à l’oraison contemplative : entre la quiétude de la contemplation en acte et l’action qui met en œuvre ses bienfaits surnaturels infus, dit saint Thomas (Noms Divins, chapitre 11, §4, 499-4)26, il existe une sorte de circulation telle que le désir de la lumière croît avec la lumière, et la lumière avec l’accroissement du désir27. « Il s’agit d’une coopération, d’une synergie des deux volontés divine et humaine, accord dans lequel la grâce s’épanouit de plus en plus, se trouve appropriée, « acquise », par la personne humaine. La grâce est une présence de Dieu en nous qui exige de notre part des efforts constants. Cependant ces efforts ne déterminent nullement la grâce, ni la grâce ne meut notre liberté comme une force qui lui serait étrangère ».
55De fait, l’âme qui met en œuvre le capital de grâces, de lumière et d’amour qu’elle reçoit dans la contemplation propre au mouvement circulaire de l’intelligence, exerce le mouvement en spirale (hélicoïdal) selon lequel, comme l’explique Denys, à l’instar des anges, elle opère dans le multiple sans cesser d’être unie à Dieu et recueillie en elle-même, conformément au mouvement circulaire, parfaitement tranquille et simple, de la contemplation parfaite. Du moins est-ce là le cas de la contemplation chrétienne, à son plus haut degré d’achèvement, qu’ont illustré depuis les apôtres tous les saints contemplatif : saint Jean de la Croix l’a merveilleusement illustré dans ses analyses de l’union habituelle (dite du mariage spirituel) dans ces deux chefs-d’œuvre que sont le Cantique Spirituel et La Vive Flamme d’amour.
56Pratiquement, contempler et spéculer ne sauraient être confondus, sous peine de voir s’idéologiser l’objet contemplé. Il est donc capital, en théologie de la mystique chrétienne, de bien poser les distinctions qui viennent d’être détaillées. Il y va non seulement de la théorie, mais de la pratique chrétienne. L’impasse dans laquelle la théologie moderne a engagé la mystique depuis des siècles n’a pas d’autre cause, et si une telle impasse a été hautement préjudiciable à la théologie, elle a été gravement responsable de l’affaissement moral de l’Occident chrétien.
57On a simplement perdu de vue la consigne du Seigneur, renouvelée par l’enseignement des apôtres, qui concerne la pratique dans la foi et par amour des commandements. Ce n’est pas raffiner de dire qu’il est essentiel d’instruire les fidèles dans le recueillement en vue de la pratique de la religion en esprit et en vérité ; c’est pur réalisme chrétien. Saint Thomas, comme on vient de le voir, nous en persuade : il est essentiel d’apprendre à se reposer dans la foi. Saint Bernard disait que les fidèles ne doivent pas seulement vaquer dans leur corps, mais vaquer dans leurs cœurs et prendre un repos dans le repos, facere sabbatum ex sabbato28. Il voulait dire qu’il convenait de retirer de la cessation des opérations actives, intérieures et extérieures, qui est celle du repos naturel (la part élective de la contemplation), le repos surnaturel que l’on reçoit dans la contemplation simple en acte. Sur ce point, saint Thomas a insisté avec vigueur dans un de ses opuscules, lorsqu’il réprimanda, pour leur aveuglement et leur inqualifiable sottise, les chrétiens qui ne semblent pas savoir qu’ils peuvent dès cette vie-ci jouir d’un commencement de béatitude divine29. Au lieu de se disposer comme il convient, grâce à la quiétude illuminée par la foi et les dons divins, ils perdent lamentablement ce privilège et s’appliquent à rechercher au dehors, par l’action désordonnée et la spéculation déréglée, le Dieu dont ils pourraient jouir comme présent.
583. - Saint Thomas a donc profondément établi les fondements de la contemplation chrétienne et démontré sa nécessité. Il a fait plus, car la mystique chrétienne n’est pas seulement infuse et élective de par sa structure, elle est encore, de par sa nature, transformante.
59Sur l’aspect de la transformation spirituelle propre à la mystique chrétienne, c’est à saint Jean de la Croix qu’il faut demander les lumières qu’aucun autre mystique dans l’Eglise n’a su prodiguer ; cependant c’est bien dans les écrits du Docteur Angélique que l’on trouve les fondements théologiques de la haute expérience de la purification transformante de l’esprit décrite par saint Jean de la Croix. A cet égard on pourra apprécier la pertinence de la démonstration qu’en a fait Quiroga dans son Apologia, lorsqu’il voulut prendre la défense de la doctrine de saint Jean de la Croix contre les attaques dont elle était l’objet de la part de certains scolastiques ignorants.
60Qu’il s’agisse du chapitre des visions divines dont parle Denys au premier chapitre des Noms Divins (37-3), au quatrième de la Hiérarchie Céleste (811-1) ou bien de l’union de théologie mystique, saint Thomas a assis sur des bases solides l’enseignement de saint Jean de la Croix.
61Des hautes visions qui sont communiquées divinement aux contemplatifs et qui les perfectionnent pareillement, saint Thomas explique qu’elles procèdent « de similitudes pures de toute forme corporelle » (II-IIae, q. 173, a.1) ou de communications intelligibles qui appartiennent en propre aux anges (De Veritate, q.13, a.2, ad 9) : ce sont des visions communiquées moyennant des similitudes intellectuelles infuses davantage proportionnées à la connaissance de la patrie qu’à celle de la vie présente.
62Les plus relevées sont celles que saint Thomas mentionne (3 Sent., Dist. 35, q.2, a.1, qa 3, ad 1) à propos de l’illumination du don de sagesse qui procure une sorte de contemplation déiforme et, pour ainsi dire, explicite des articles que la foi tient enveloppées dans l’obscurité30. Une telle contemplation par similitudes expresses de la lumière incréée est la plus relevée, après la claire vision de l’essence divine, et très semblable à celle que possédait, par privilège, Adam dans l’état d’innocence (De Veritate, q.18, a.1, ad 1)31.
63En ce qui concerne les progrès de l’âme dans l’union à Dieu, c’est en recourant à sa théologie des dons du Saint-Esprit que saint Thomas fonde l’enseignement de saint Jean de la Croix concernant la purification passive de la voie de l’Esprit et de la transformation de l’union elle-même32. Il s’agit alors du second mode de la contemplation surnaturelle dont il a été parlé plus haut33 et que Quiroga a appelé contemplation plus favorisée en suivant saint Thomas (I-IIae, q.113, a.10).
64 Les purifications passives (du sens et de l’esprit) sont de l’ordre de la contemplation des Chérubins et des Séraphins à laquelle on ne peut être élevé sur terre que moyennant les secours particuliers de la grâce sanctifiante. Elles consistent en une connaissance et en un amour de Dieu surnaturel et infus, non seulement quant à la substance (propre à la grâce sanctifiante) mais également quant au mode (qui relève de la grâce actuelle des Charismes). L’expérience de ces purifications spirituelles atteint l’être si profondément qu’elle est dite relever du feu purificateur dont les mystiques trouvent référence dans l’Ecriture, particulièrement dans Isaïe et dans Ezéchiel. Ce sont les creusets qui purifient l’âme et séparent en elle l’or du plomb. Seules ces épreuves disposent l’âme à parvenir au niveau de connaissance et d’amour qui est celui de l’union habituelle à Dieu. Tout sarment qui porte du fruit, mon Père l’émonde, dit Jésus (Jn. 15,2). Denys dit pareillement (HC., Ch. 13, 969, 2-3) : « Plus la lumière infuse est pure et unissante, plus la souffrance purificatrice est dure et pénétrante ».
65Saint Thomas posait là le principe des deux espèces de purification spirituelle de la partie sensible et de la partie spirituelle que saint Jean de la Croix décrira si profondément dans son traité de la Nuit Obscure, à partir de son expérience personnelle.
66Le Docteur Angélique explique (1 Sent., Dist. 17, q.2, a.2, ad 3) que la qualité qui procède à l’introduction de la perfection dans l’âme ne peut procéder que de l’imparfait au parfait. Il précise que ces deux purifications sont liées dans la mesure où la première est nécessaire à la seconde (3 Sent., Dist. 35, q.1, a.3, qa 3). Il ajoute aussi que tant que l’homme ne parvient pas à la perfection dans la vie active, il ne peut accéder à la vie contemplative, si ce n’est selon un certain mode inchoatif imparfait. C’est ce qui explique les souffrances de toutes sortes, les épreuves intérieures et extérieures (persécutions, médisances, agressions) dont sont victimes ceux que Dieu destine à passer à la contemplation parfaite, sans compter les tentations tenaces contre la foi, la chasteté, la confiance en Dieu etc.
67Elles contribuent toutes à éprouver l’individu pour qu’il puisse recevoir de Dieu la force dont il a besoin pour les surmonter efficacement et méritoirement. Plus l’homme de foi est ébranlé par les désordres de la passion ou par le démon, plus il déploie d’efforts pour y résister (De Veritate, q.26, a.6), de telle sorte que la charité, d’abord petite avant la tentation, grandit grâce aux secours particuliers que Dieu accorde à cette occasion (3 Sent., Dist. 31, q.1, a.3) : c’est dans la faiblesse que l’esprit perfectionne sa vertu.
68Tels sont les moyens particuliers dont Dieu use pour purifier la partie sensible de l’âme et améliorer par là la partie intellective, quant aux habitus acquis34. Ce principe de la purification posé, saint Thomas analyse celle-ci en précisant qu’elle opère trois sortes de dépouillement ou de division de la chair et de l’esprit préalables à la pleine transformation de l’esprit dans l’union à Dieu. Cette haute doctrine illustre ce que nous avons dit de la division qu’opère la Parole de Dieu comme une épée à double tranchant lorsqu’elle sépare l’homme psychique, dont parle saint Paul, de l’homme spirituel.
69 Les angoisses et les tribulations, les sécheresses, les ténèbres épaisses, les dégoûts et les tentations que connaissent les mystiques plongés dans la purification de l’esprit comportent trois divisions dont saint Thomas détaille les caractéristiques (3 Sent., Dist. 27, q.1, a.1, ad 4 : « Il y a dans l’amour union de l’amant et de l’aimée, mais aussi une triple division »35).
70a/ - A l’égard de tout l’acquis vicieux : habitus des défauts désordonnés dont la racine est dans l’appétit sensible et le désordre des passions non réprimées, mal mortifiées ; ils s’étendent à la partie spirituelle qui se trouve par là soumise au désordre des passions (voir : De Veritate, q.14, a.5, ad 6)36.
71b/ - A l’égard du naturel imparfait : le vêtement du vieil homme, ces défauts que la nature humaine a contractés par le péché qui l’a viciée ; c’est une division signifiée dans la parole de l’apôtre (Eph. 4, 23) : « Il vous faut dépouiller le vieil homme… et vous renouveler par une transformation spirituelle de votre jugement afin de revêtir l’Homme nouveau qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité » (H.C., Ch. 3, 794-795). Ainsi en cet homme nouveau le plomb est dégagé de l’or, selon l’image d’Isaïe (1, 25). Dans le langage de saint Thomas on dira qu’alors l’âme intellective dépouille sa forme naturelle pour recevoir la forme divine (3 Sent., Dist. 27, q.1, a.2, ad 4), ce qui ne se fait pas sans grande douleur (3 Sent., Dist. 15, q.2, a.4, ad 1)37.
72c/ - A l’égard de notre amour-propre, lorsqu’il est désordonné, une troisième division d’opère en vue d’y introduire l’amour de Dieu qui est la mesure de la perfection de la vie chrétienne, comme le dit saint Thomas38. Si l’apôtre appelle la charité lien de la perfection, c’est précisément parce qu’elle introduit la perfection de l’amour dans la vie chrétienne en reliant dans l’âme toutes les autres vertus : « La grâce, en effet, est la perfection première des vertus, mais la charité est leur perfection prochaine ».
73Dans cette purification profonde où s’opère passivement la transformation spirituelle qui la divinise, l’âme doit se borner à consentir purement et simplement à l’œuvre que Dieu seul achève en elle pour son progrès spirituel. Agir autrement, par exemple en inquiétant les âmes éprouvées sur les raisons de leurs épreuves, des sécheresses cruelles de toutes sortes qu’elles endurent, en leur faisant poser des actes particuliers (qu’elles sont d’ailleurs incapables de poser) serait une grave erreur. Saint Thomas l’explique en disant que ce serait contrevenir à la règle selon laquelle « pour introduire une perfection quelle qu’elle soit, deux choses sont requises, l’une de la part de celui qui l’introduit, l’autre de la part de celui qui la reçoit » :
74La première, c’est que l’opération de l’agent, selon le degré de sa vertu, se modère conformément à la perfection qui doit être introduite, comme par exemple pour chauffer de l’eau à un certain degré, il faut une source de chaleur au moins égale.
75 La seconde, c’est que le sujet se dispose à proportion, de son côté, selon la mesure de la perfection qui doit être introduite en lui.
76Il s’ensuit que dans ces purifications suprêmes que connaissent les mystiques appelés à l’union parfaite avec Dieu, l’intensité de leurs épreuves spirituelles est à la mesure de l’intensité de l’agent divin, qui est infinie. Elle opère donc efficacement et puissamment la réforme selon l’homme nouveau parce qu’elle vise à amener le sujet de la puissance à l’acte de sa ressemblance à Dieu : la première condition est donc bien remplie (1 Sent., Dist. 17, q.2, a.2).
77Quant à la seconde, elle suppose que l’âme se proportionne à l’agent dont l’opération se fait dans la plus grande simplicité et en toute quiétude. Elle doit donc s’y conformer en se recueillant de la multiplicité à l’unité et passer d’une vie dispersée et inquiète à la vie unifiée d’une humble et amoureuse contemplation.
78Alors, dans ce creuset purificateur où l’âme dépouille sa forme naturelle avant de revêtir la forme divine, la douleur est grande, parce que la forme ancienne lui était connaturelle, tandis que la nouvelle lui était jusqu’ici étrangère (3 Sent., Dist. 15). Progressivement, elle voit sa capacité à recevoir l’illumination s’élargir, à la manière de l’air qui est d’autant plus capable de recevoir la splendeur de l’illumination du soleil qu’il est plus pur et plus léger.39
79Saint Thomas compare cette douleur au tourment du purgatoire, et ceci parce que dans cette purification de l’esprit, l’une des plus grandes afflictions qui touche ces mystiques c’est aussi la ligature des puissances, effet du feu purificateur des âmes au purgatoire (De Veritate, q.26, a.1). De celle-ci l’efficacité surnaturelle les empêche d’opérer selon leurs propres opérations naturelles et de recueillir par là les biens qui leur étaient connaturels. Il explique également que l’influence de la lumière divine dépouille l’âme de son amour-propre désordonné et de la vaine estime de sa propre excellence qui, l’une et l’autre, s’opposent à l’amour infus de la charité parfaite.
80Saint Thomas ajoute encore une précision qui ne manque pas de se vérifier aussi dans l’expérience de la vie des mystiques chrétiens : cette purification peut être tantôt réconfortante, tantôt accablante (Opuscule 61, Sur les sept degrés d’amour)40.
81Dans la purification passive de l’esprit qui précède l’union, c’est de cette manière pénible que l’âme perçoit l’influence divine. Elle appréhende Dieu comme menaçant et indigné à son égard étant donné ses péchés passés et le châtiment qu’ils méritent, de telle sorte qu’elle voit s’effondrer la vaine estimation d’elle-même et se trouve envahie d’une crainte et d’une défiance des plus pénibles, à l’instar de Jérémie (Lamentations 3, 1-2) : « Je suis celui qui a connu la misère sous la verge de la fureur du Seigneur ; c’est moi qu’il a conduit et fait marcher dans les ténèbres et sans lumière ».
82C’est dans cette perspective des purifications les plus rudes qui précèdent l’union de l’âme à Dieu que saint Augustin commente également le psaume 98 et saint Grégoire les souffrances de Job (Morales 7, ch.3). Il s ‘agit du dépouillement dont l’âme est l’objet dans sa substance afin d’être disposée au degré d’union parfaite auquel Dieu la destine.
83C’est bien là l’effet et la fin de cette purification spirituelle : disposer l’âme à l’union après l’avoir soumise à l’épreuve. « Je tournerai la main contre toi, j’enlèverai au creuset tes scories et je te dégagerai de ton plomb » (Isaïe 1,25). Et s’adressant à Jérusalem, Isaïe dit encore : « Je rendrai tes juges tels qu’autrefois, tes conseillers tels que jadis. Alors on t’appellera Ville-justice, Cité-fidèle »41. Appliquées à la vie surnaturelle de l’âme, ces paroles désignent l’état de haute contemplation réservé à l’union avec Dieu, la perfection spirituelle semblable à celle que la nature humaine a reçue lorsqu’elle sortit des mains de Dieu rehaussée de l’éclat de la splendeur de la grâce originelle. Les juges dont parle Isaïe disent la rectitude dans laquelle les puissances naturelles furent créées pour juger des choses humaines grâce à la raison et à l’habitus intellectuel des premiers principes, et les conseillers signifient la perfection de l’enracinement des dons infus dans le premier état naturel de l’homme.
84C’est pourquoi saint Thomas compare cette purification à celle du purgatoire où les âmes se voient restituées dans la force où elles furent créées, parce que dans le Royaume de la béatitude éternelle aucune tache n’est admise42. Les âmes sont alors comme séparées d’elles-mêmes, soumises, dit saint Thomas, à la division qu’opère l’amour aigu qui prépare la transformation de l’âme dans l’aimé et, pour ainsi dire, sa pénétration dans l’aimé43. C’est la troisième division distinguée par saint Thomas grâce à laquelle l’âme est séparée de son amour-propre désordonné afin que soit introduite la forme divine qu’elle revêtira en vue de l’union à Dieu moyennant l’amour et la ressemblance surnaturelle. Par là, pénétrant l’intime de l’âme, cet amour fait participer si étroitement de la nature divine que l’on peut dire qu’elle est d’une certaine manière divinement régénérée44 dans l’union qui la divinise effectivement (2 Sent., Dist. 26, q.1, a.4). Plus la grâce la pénètre intimement plus les puissances se voient perfectionnées elles aussi par les dons et vertus qui procèdent de la grâce, à la manière d’un corps lumineux qui rayonne d’autant plus intensément qu’il est plus intensément pénétré par la source de la lumière.
85Les âmes transformées de la sorte en Dieu par la puissance de l’amour opèrent en étant mues plus par Dieu (du fait de la perfection selon laquelle les dons divins se sont emparés du sujet) que par elles-mêmes. Elles ont atteint une ressemblance à Dieu qui est l’œuvre de la grâce en tant que similitude de la divinité participée dans l’homme (IIIa, q.2, a.10, ad 1) : la substance de l’âme est divinement transformée et les puissances également, moyennant les vertus et les dons infus qui procèdent de la grâce qui sanctifie (I-IIae, q.110, a.4).
86D’une première union des affections (union des fiançailles, en langage mystique), elles parviennent à l’union définitive et réelle qui établit entre elles et Dieu une très parfaite amitié fondée sur l’échange des personnes (en langage mystique le mariage spirituel).
87Cet état suprême de l’union réelle est fondé sur ce que saint Thomas dit à propos de la nature de la grâce sanctifiante. Elle a pour office de disposer et de perfectionner l’âme de telle sorte qu’elle use librement des dons divins créés et qu’elle jouisse en même temps de la personne divine du donateur45. Doctrine en tout point conforme à la révélation de Jésus-Christ, puisque elle nous montre comment la grâce a pénétré intimement l’essence de l’âme pour que celle-ci devienne la demeure de Dieu et, pour ainsi dire, son Epouse.
88Pour situer cette haute contemplation de l’union de pleine transformation saint Thomas rappelle (4 Sent., Dist. 19, q.1, a.2, ad I) qu’Adam y avait été élevé par privilège, sans mérite de sa part, comme dans un paradis spirituel où il pouvait jouir de son créateur, non pas à découvert comme les bienheureux de la patrie, mais moyennant des similitudes tellement illustrées et expresses que sa contemplation était comme intermédiaire entre la vision glorieuse et la contemplation obscure de la foi qui est maintenant la nôtre (De Veritate q.18, a.1, ad 1).
89La transformation spirituelle que connaissent les âmes pleinement sanctifiées les introduit pareillement dans le paradis intérieur du Royaume de Dieu (Lc. 17,20) qui est déjà parmi nous comme une réalité agissante au-dedans de nous si nous y consentons. Sainte Thérèse et saint Jean de la Croix ont eu l’expérience de cet état signalé par le retour à la pureté et à l’innocence de la nature originelle, mais qui consiste avant tout à être mû dans toutes ses actions par Dieu, suite à l’état de transformation de l’esprit en Lui. Tel est le privilège inouï de la sanctification méritoire fruit de la contemplation infuse, élective et transformante. Ce qui constitue son privilège propre, c’est qu’elle donne le pouvoir de demeurer en permanence en union avec Dieu quant aux puissances supérieures de l’âme, sans en être empêché par l’exercice des puissances inférieures et qu’ainsi sont exercées simultanément la vie contemplative et la vie active.
90La sublimité de cette contemplation parfaite tient au fait que la contemplation chrétienne est une union au Verbe incarné : elle résulte, comme le dit si bien saint Jean de la Croix (Cantique, 36, 1, b) de la répondance (respondencia) entre l’union mystique du mariage spirituel et l’union des deux natures divine et humaine dans le Christ46. Il convenait de terminer sur cette remarque concernant la présence habituelle du Christ Dieu fait homme. L’expérience de la divinisation de l’homme dans la contemplation chrétienne portée à sa perfection ultime, est cette présence introduite par la grâce de la foi qui dynamise la mystique chrétienne tout au long de son itinéraire.
91Au moment de conclure cette étude sur la noétique et la mystique de saint Thomas d’Aquin, nous ne pouvons mieux faire que de reprendre à notre propos ces quelques lignes qu’Etienne Gilson a consacrées au thomisme dans son Bilan du XIIIe siècle : « Parmi toutes les doctrines du XIIIe siècle, il n’en est aucune dont, par la profondeur singulière à laquelle ils atteignent le réel et par le caractère vraiment ultime des plans où ils posent les problèmes, les principes présentent le même caractère de perpétuelle jeunesse et la même puissance de rénovation. La permanente nouveauté du thomisme est celle de l’existence concrète du réel auquel il adhère. Scribantur haec in generatione altera : ce solitaire n’a pas écrit pour son siècle, mais il avait le temps pour lui »47.
92« Pour saint Thomas, le monde chrétien est un monde d’individus actuellement existants qui tiennent leur unité de l’acte propre d’exister par lequel ils sont et qui dérivent de cet acte existentiel le pouvoir d’opérer et de travailler sans cesse à se parfaire selon les lois de leur essence, en un incessant effort pour rejoindre leur cause première qui est Dieu »48.
93C’est cette conception qui manifeste l’originalité de la vision de l’homme chez saint Thomas ; c’est elle qui lui a permis de résoudre le rapport de la métaphysique du créé et de la mystique du salut, d’harmoniser, par conséquent, les deux aspects de la vision chrétienne de la condition humaine.
94Le travail auquel saint Thomas voue l’homme, c’est d’abord de travailler sans cesse à se parfaire selon la loi de son essence, à se réaliser aussi parfaitement que possible selon les virtualités de sa nature à travers les techniques humaines du savoir, de l’art, de la morale et de la religion. Mais ce travail à travers lequel l’homme se réalise en rejoignant le Dieu qui l’a créé afin de le rendre participant de sa propre causalité, est aussi un travail que l’homme ne peut mener qu’à la condition de restaurer en lui l’être surnaturel, l’image divine du Fils fait homme qu’il tient du don gratuit du Père et qui fait de lui un existant promis à imiter l’Existant suprême dans son statut de mendiant de la divine miséricorde. S’auto-créer, dans la dépendance radicale à l’égard de Dieu, tant du côté de l’acte pur d’exister qui est Dieu créateur que du côté du Père dont le dessein sauveur se réalise dans le monde par le Fils de Dieu fait homme.
95Parvenir à fonder une métaphysique de l’Etre qui fût en harmonie avec la mystique de la Grâce, telle fut la réussite inouïe du génie de saint Thomas. Avoir lié à ce point la métaphysique et la mystique surnaturelle au cœur de l’homme, de telle sorte qu’il est désormais impossible d’atteindre la vérité de l’homme en dehors du chrétien et la vérité du chrétien en dehors de l’homme. Il suffit de confronter une telle vision avec celle qui est devenue aujourd’hui la nôtre, y compris chez les chrétiens, la vision d’un séparatisme de l’homme et du chrétien, de la métaphysique et de la foi, de la science de l’homme et de la révélation de Dieu sur l’homme, pour le comprendre.
96Une telle conquête est à la fois le fruit du génie chrétien du Moyen Age et du génie de saint Thomas. Elle est aussi pour nous la référence qui permet de comprendre l’échec de notre christianisme moderne. La problématique de saint Thomas permettait aux différents courants de pensée du moyen âge de s’affirmer tout en surmontant leurs contradictions. En l’écartant, ils se perdirent. Augustinismes d’un côté, avec leur charge de platonisme invétéré, aristotélismes et avicennismes de l’autre ont poussé dans leur sens vers un naturalisme et un surnaturalisme qui n’étaient plus conformes à ceux du christianisme.
97En résumé, il faut dire que ce qui caractérise la pensée des modernes en Occident c’est l’oubli du statut de l’intelligence humaine, l’« hybris » de l’« intellectuel » qui ramène l’ordre de la connaissance à celui du concept comme si tout le connaissable devait être du conçu49. De ce fait, on ne se contentera plus d’une métaphysique qui atteint dans chaque sujet l’élément transcendant à l’essence même et l’Acte pur d’exister lui-même ; on prétendra dépasser la métaphysique dans une ontologie essentialiste qui spéculera sur l’essence comme si elle était l’être50. Pareillement, du côté de la connaissance de la foi, on prétendra dépasser son mode de connaissance propre selon le jugement d’existence opérant dans l’unitio, pour couronner la connaissance de la foi - même le mode de connaissance de la foi très-illuminée des mystiques - d’une haute spéculation religieuse sur l’Absolu qui n’est autre que la pensée du Soi absolu se pensant lui-même (Hegel). Tels sont les deux aspects de l’« hybris de l’idéologie » chrétienne que nous allons voir se développer tout au long de l’histoire de la Pensée occidentale moderne depuis la fin du XIIIe siècle jusqu’à nos jours.
Notes de bas de page
1 Denys l’Aréopagite, Noms Divins, ch. III, 122-127. V. plus loin, pp. 49-51 le commentaire de saint Thomas.
2 Cf. Le Guillou dans la conclusion de son livre Le Christ et l’Eglise, Théologie du mystère, Paris, Le Centurion – 1963, p. 319.
3 Le Guillou, o.c., pp. 303-320.
4 Cette réflexion n’est pas sur la Gloire, mais réfraction de la Gloire, parce qu’elle est contemplation et non réflexion.
5 Dans le quatrième chapitre de son commentaire aux Noms Divins : N. 11, 499.
6 Le Guillou, o.c., p. 318.
7 Apología Mystica en defensa de la contemplación divina contra algunos maestros escholásticos que se oponen a ella, de Fray José de Jesús María Quiroga, O.C.D. (Ms. 4478 B.N.Madrid) – Edición e introducción de Jean Krynen. Anejos del Boletín de la Real Academia Española (anejo LII) – Madrid, 1992. Jean Krynen, L’Apologie Mystique de Quiroga – Saint Jean de la Croix et la mystique chrétienne, France-Ibérie Recherche – Université de Toulouse – Le Mirail, 1990.
8 De Veritate q.10, a.9 et I-IIae, q.68, a.2, ad 3um. La raison, utile pour notre conduite naturelle, même informée par les vertus théologales, ne suffit pas pour nous réformer et nous illuminer comme il convient en vue de l’union à Dieu, si d’en-haut ne surviennent l’instinct et la motion de l’Esprit-Saint moyennant des dons, conformément à la parole de l’Apôtre (Rm. 8,14) : « ceux qui sont mus de Dieu, ceux-là sont ses fils ». Le principe général est le suivant (I-IIae, q.68, art.1) : tout ce qui doit être mu doit nécessairement se proportionner à son moteur, s’il veut être mu par lui. D’où la seconde remarque : puisque l’illumination et l’influence des dons du Saint-Esprit ne sont ni discursives, ni ratiocinatives, mais très simples et très quiètes, en tant que similitudes participées de l’Esprit divin – notons, en passant, ce point capital qui nous renvoie au Chapitre 1 et à la notion de la noétique thomiste (I-IIae, q.9, a.1, ad.1)- c’est de ces qualités que l’âme doit être revêtue, si elle veut recevoir d’en-haut cette influence et en être mue. Plus elle les revêtira à la perfection, plus elle sera proportionnée à son moteur, et plus elle en recevra de biens surnaturels surnaturellement, c’est-à-dire plus elle sera sous l’influence bienfaisante des dons.
9 Noms Divins, d’après l’édition de Dom Chevallier, Dionysiaca, Desclée de Brouwer, 1936.
10 O.c. chapitres XXIV et XXV.
11 Dieu opère de deux manières dans l’âme : par des secours ordinaires qui ne sont refusés à personne, pourvu que l’on n’y résiste pas, et par des secours particuliers qui relèvent davantage du miracle et sont, pour cela, plus rares (Apologia, Chap. XXIV). Saint Thomas a, sur ce point, une forte doctrine. Il dit ceci des premiers : « L’âme chemine vers sa perfection selon le train ordinaire et accoutumé, lorsque Dieu la meut intérieurement afin qu’elle se convertisse et retourne à lui d’abord par une conversion imparfaite, pour ensuite parvenir à la conversion parfaite, puisque la charité commencée mérite d’être augmentée, comme le dit saint Augustin (I-II, q.113, a.10, post med.). Il précise ailleurs (1 Sent., Dist.18, q.2, a.2, ad 2) que normalement – et non pas miraculeusement – les influences divines ne sont pas reçues par l’âme selon le mode de Dieu et selon sa vertu infinie, mais selon le mode de l’homme et conformément à la manière dont il se dispose pour les recevoir, parce que le patient reçoit l’influence de l’agent conformément au mode de sa propre vertu et non au mode de la vertu propre de l’agent. Or, pour marcher vers sa perfection, deux choses sont nécessaires à l’âme comme à toutes choses : non pas seulement la vertu proportionnée de celui qui introduit la perfection, mais encore que celui qui doit la recevoir se proportionne à l’opération qui est introduite (1 Sent., Dist.17, q.2, a.3, ad 2). Il s’ensuit clairement que l’influence divine d’où procède cette motion étant une lumière simple qui procède de la lumière incréée (Sg., 7, 25), pour que l’âme se proportionne à elle, elle doit se simplifier elle-même. Pareillement, puisque son mode d’opérer est quiétissime, immobile et silencieux, ces trois qualités mêmes doivent être revêtues par celui qui voudra, dans l’oraison, être mû surnaturellement (N. Div., II, 406). C’est là se disposer dans une quiétude naturelle en vue de la quiétude infuse (facere sabbatum de sabbato, selon saint Bernard). Quant aux secours particuliers que saint Thomas distingue des secours ordinaires de la grâce et qui constituent un mode de motion divine extraordinaire, moyennant des secours particuliers plus efficaces, il déclare : « Parfois, cependant, Dieu meut l’âme avec une telle véhémence qu’elle obtient subitement une certaine perfection de la justice (I-II ae, q.113, a.10). C’est là l’œuvre que Dieu se réserve dans l’accroissement des dons divins, en particulier dans les épreuves des purifications passives (les creusets – crisoles - ) si merveilleusement analysées par saint Jean de la Croix.
12 De Veritate, q.13, a.2, ad 9 : « Et sic in excessu mentis sive in extasi est quilibet divinorum contemplator et amator ». Saint Thomas se référait à Denys (DN, I, 5) et il expliquait en le commentant : « Ipse per veram fidem passus est extasim veritati qui extra omnem sensum est positus et veritati supernaturali conjunctus ».
13 « Quod quamvis fides sit de complexo quantum ad id quod in nobis est ; tamen quantum ad id in quod per fidem ducimur sicut in objectum, est de simplici veritate ».
14 L’Esprit, au sens de mens, signifie la partie supérieure des trois puissances de l’âme distincte de la partie inférieure, selon saint Paul (He. 4, 12). C’est dans la mens que se réalise la ressemblance naturelle de l’âme créée à l’image de Dieu (De Veritate, q.10, a.1 et ad 7, et a.7). La mens est l’instrument dont Dieu se sert pour transformer l’âme dans son image surnaturellement dans la contemplation (II Cor., 3,18) : car le Seigneur est Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Ce thème se rattache à celui de la contemplation « à visage découvert » (grâce à la foi qui le permet). On observera que saint Jean de la Croix traduit par sustancia del alma ce que saint Thomas appelle esprit ou mens.
15 « In his quae adperfectionem pertinent, attenditur intensio per accessum ad unum primum principium cui tanto est aliquid propinquius, tanto est magis intensum » (I-IIae, q.22, a.2, ad 1). Saint Thomas précise encore (II-IIae, q.24, a.3) que cela s’explique, parce que la cause la plus universelle produit un plus grand effet que la cause particulière (universalior causa effectum majorem producit).
16 Voir plus loin pp. 104-108 la doctrine dionysienne des trois mouvements de l’âme contemplative chrétienne.
17 4 Sent., Dist.49, q.3, q.5, qa IV, Sol. I. « Comme le dit le philosophe : unde operationes admixtae motui intantum deficiunt a perfectione delectationis, in quantum motui adjunguntur ».
18 3 Sent., Dist.35, q.1, a.2, qa 3, ad 2 : « sunt enim actus perfecti et ideo magis assimilantur quieti quam motui ».
19 3 Sent., Dist.35, q.1, a.2, Sol.3 : « Unde et nomen contemplatio significat illum actum principalem quo quis Deum in se ipso contemplatur. Sed speculatio magis nominat illum actum quo quis divina in rebus creatis quasi in speculo inspicit ».
20 V. plus loin, pp. 103-104.
21 Supra, p. 19 & ss.
22 L’erreur peut consister soit, du côté de l’intelligence, à continuer de spéculer ; soit, du côté de la volonté, à suspendre la tension du désir vers Dieu : deux erreurs opposées qui sont celles des ascéticistes et des quiétistes qu’ont illustrées les spirituels au cours du XVIe et du XVIIe siècles (voir 2e Partie, p. 144 & ss).
23 « Unde in statu viae deum per essentiam amamus, non autem videmus ».
24 « Sed oportet quod sic voluntas moveatur a Spiritu Sancto ad diligendum, quod etiam ipsa sit efficiens hunc actum ». Saint Thomas a réfuté la thèse de P. Lombard (I Sent., art.17) sur cette question capitale.
25 II-IIae, q.173, a.2, ad 1um : « Quando anima abstrahitur a corporalibus, aptior redditur ad percipiendum influxum spiritualium aubstantiarum ».
26 « Quaedam circulatio attenditur dum ex lumine crescit luminis desiderium et ex desiderion aucto crescit lumen ».
27 V. Lossky, Essai sur la Théologie mystique de l’Eglise d’Orient, Paris – 1944, p. 195. Cité par R. Roques, L’Univers dyonysien, o.c. p. 326, n.1 qui fait remarquer à juste titre que la christologie augustinienne a été marquée par la querelle du pélagianisme au point « de transposer le mystère de la grâce sur le plan relationnel où les réalités d’ordre spirituel, la grâce et la liberté, se transforment en deux concepts juxtaposés, comme deux objets extérieurs l’un à l’autre ».
28 Saint Bernard, De Interiori domo, in fine.
29 Opuscule 63 (« Magna caecitas et nimia stultitia… »).
30 « Procedit enim sapientiae donum ad quamdam deiformem contemplationem, et quodammodo explicitam, articulorum quos fides sub quodammodo involuto tenet secundum humanum modum ».
31 Quiroga (F° 102) en donne deux exemples : dans la vision de la Trinité des Septièmes Demeures ch.1 de sainte Thérèse, et celle des innombrables perfections divines perçues dans un être simple et unique sous l’image des lampes enflammées qui donnent lumière et chaleur (au traité de la Vive Flamme 3,1).
32 Apologia, Ch. 25-29 (F° 217-261)
33 Telle est la doctrine du pseudo-Bonaventure (Raoul de Bibrach) dans l’Itinerarium mentis in Deum, dist. 4, a.1 (d’après H.C., c. 10 923-924).
34 « Ex hoc enim quod fit aliqua transmutatio circa partem sensitivam, subito resultat aliqua perfectio in parte intellectiva, et hoc intelligendum est quantum ad habitus adquisitos ».
35 « In amore est unio amantis ad amatum, sed est ibi triplex divisio ». Cf. infra p. 58, n.3.
36 Apologia, F° 229. Saint Thomas résumait là toute la matière des chapitres 1 à 7 du premier livre du traité de la Nuit Obscure de saint Jean de la Croix.
37 L’expression de saint Paul contient la substance de la noétique que saint Thomas définira comme caractéristique de la contemplation chrétienne.
38 II-IIae, q.184, a.1 : « Secundum charitatem specialiter attenditur perfectio christinae vitae ».
39 1 Sent., Dist. 17, q.1, a.2 : « Secundum quod anima magis efficitur susceptibilior actus agentis, sicut aer quanto plus attenuatur, tanto fit susceptibilior luminis ».
40 « Deus influens médiante rationali apprehensiva super irascibilem motivam, vel sub conditionibus confortativis vel disconfortativis ».
41 Pour Isaïe, comme pour Amos, cette justice est d’abord l’équité dans l’exercice du droit ; et plus profondément, elle est aussi la vertu d’un règne où Yahvé transmet à son peuple quelque chose de sa propre sainteté (Note de la Bible de Jérusalem, p. 990, dont l’importance mérite d’être signalée).
42 4 Sent., Dist. 47, q.2, a. I, qa 3, sol. II, ad 3um : « ut per finalem purgationem deducentur res ad puritatem in qua conditae fuerunt ; et idéo in hoc poterit natura creata exhibere ministerium Creatori ». On trouve une étonnante confirmation de cette vue de saint Thomas dans l’expérience (et la vision) de saint Thérèse au chapitre 20 de sa Vie et surtout dans le commentaire de la strophe XXXIII du Cantique Spirituel de saint Jean de la Croix.
43 3 Sent., Dist. 27, q.1, a.1, ad 4 : « Ex hoc enim quod amor transformat amantem in amatum, facit amantem intrare ad interiora amati, et e contra, ut nihil amati amanti remaneat non unitum, sicut forma pervenit ad intima formati, et e converso. Et idéo amans quodammodo penetrat in amatum et secundum hoc amor dicitur acutus ; acuti enim est dividendo ad intima rei devenire, et similiter amatum penetrat amantem, ad interiora ejus perveniens, et propter hoc dicitur quod amor vulnerat et quod transfigit jecur ». Il ajoute : « Ideo hanc divisionem penetrationis praecedit alia divisio qua amans seipso separatur in amatum tendens et secundum hoc dicitur amor extasim facere et fervore ». On notera l’étonnante concordance de cette doctrine de saint Thomas avec l’expérience des deux docteurs mystiques du Carmel, surtout avec les strophes I à X du Cantique qui illustrent admirablement cette divisio amoris acutus préparant immédiatement à l’union habituelle. Pareillement, toute la doctrine ici exposée éclaire l’expérience des toques divinos de l’union prochaine (Sixièmes Demeures, 6,2) d’après Cantique des Cantiques (5, 4 & 6) : « Mon Bien-Aimé a passé la main par le trou de la porte et mes entrailles en ont frémi ». Comme on le sait, ce passage marque le point de départ du Cantique Spirituel de saint Jean de la Croix (avec 5,6 : « J’ai ouvert à mon Bien-Aimé, mais il avait disparu »).
44 I-IIae, q.110, a.4 : « (Homo) per naturam animae participat secundum quamdam similitudinem naturae divinae per quamdam regenerationem sive recreationem ».
45 Ia, q.43, a.3, ad 1 : « Per donum gratiae gratum facientis perficitur creatura rationalis, ad hoc quod libere non solum ipso dono creato utatur, sed et ipsa divina Persona fruatur ».
46 Sainte Thérèse disait de cette union habituelle (Septième Demeure, ch. 9) : « Es continuo no se apartar de andar con Christo nuestro Señor con una manera admirable, adonde divino y humano junto es siempre su compañía ».
47 Etienne Gilson, La Philosophie au Moyen Age, 3e édition, Paris, Payot – 1947, p. 590.
48 Ib., p. 541.
49 E. Gilson, L’Etre et l’Essence, o.c., p. 252.
50 Ib., p. 290.
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