Chapitre I. Saint Thomas et l’intelligence humaine
p. 19-30
Texte intégral
1Lorsque dans sa bienveillance Dieu jette sur l’homme les yeux, une source de vie éternelle (Jn. 4, 14) jaillit de ses entrailles. Cette source, c’est l’élan de l’âme que Dieu suscite à la Vie, la foi qui relie à Dieu et le fait adorer en esprit et en vérité.
2Le regard de Dieu est lumière pour l’âme et pour l’esprit. Il opère en eux un discernement inconnu des hommes, en distinguant la chair et l’esprit sans les diviser, ni rompre les liens profonds qui les unissent. Sous le regard de Dieu, la raison s’éveille à plus haut qu’elle, devient capable de fixer des vérités qui dépassent infiniment sa capacité native de connaître Dieu tel qu’il se révèle à la fine pointe de son esprit créé. Sous la lumière et dans l’élan de la foi théologale, la raison accède à une connaissance suprême dont le mode n’est pas naturel, mais dont l’acte lui appartient.
3 1. Le bienfait de la lumière de la foi ne se réduit pas à livrer à l’homme le pouvoir de connaître Dieu tel qu’il se fait connaître dans son mystère. Il comporte encore celui de conforter la vigueur native de la raison, créée à l’image de la Raison divine mais que le péché d’origine a blessée. Nul homme mieux que saint Thomas n’a perçu ce bienfait dans toute sa puissance, car le regard de Dieu pénétrait en lui l’esprit d’un profond métaphysicien. Il était capable de ressentir l’ineffable joie de l’intuition de l’Etre telle que la Révélation en rend l’expérience possible1 : "Je Suis", manifesté comme la caresse de l’Esprit qui passe dans la brise légère, symbole de l’intimité de la spiritualité de Yahvé (1 Rg. 19, 11 & sqq.).
4Quand Thomas d’Aquin considère le Nom sous lequel Dieu a voulu se faire connaître de Moïse (Sum qui Sum) : Je Suis celui qui suis (Ex. 3, 14), il sait que Jésus s’est ainsi révélé et que Je Suis est le nom du Fils unique de Dieu (Jn. 3, 18) à l’égal de Dieu (Jn. 5, 18), auquel il faut croire pour ne pas mourir dans ses péchés (Jn. 8, 25) comme la foi au Ressuscité le fait connaître (Jn. 8, 28). Il sait que Qui Est est le nom du Dieu vivant par qui tout ce qui est a été fait et subsiste. Il sait que c’est lui qui donne la clé de la connaissance de l’être des créatures et la clé de la connaissance de l’être divin.
5En fixant son regard sur Je Suis, Thomas ne quitte donc pas des yeux le Père créateur du ciel et de la Terre du monde visible et invisible. D’un même mouvement de l’intelligence, il fera œuvre de théologien et œuvre de philosophe simplement en distinguant leurs deux ordres, parce qu’il sait qu’ils sont unis en Dieu.
6 Le génie religieux de Thomas d’Aquin a consisté principalement en cette vision profonde de la nature de l’intelligence créée de l’homme, qui rend possible une authentique connaissance de l’être créé et de l’être en tant qu’être - donc la métaphysique thomiste - ainsi que l’émergence d’une théologie comme science authentique de la raison appliquée au contenu manifesté dans le donné de la Révélation.
7Mais sans le regard de saint Thomas sur Je Suis, jamais Thomas d’Aquin n’aurait été saint Thomas. Il eût été un théologien parmi les autres en cette fin mouvementée du XIIIe siècle occidental ; jamais le génial philosophe qui a édifié sur ses bases véritables la métaphysique chrétienne ; jamais le théologien qui a su définir dans ses deux sortes la théologie chrétienne comme science rationnelle du donné de la foi et comme sagesse mystique du mystère de Dieu.
8En lui le métaphysicien et le théologien ne sont pas confondus, mais collaborent : distincts et unis. Pareillement, le théologien (scolastique) et le contemplatif (mystique), parce que plus haut que tout savoir et plus haut que toute expérience, l’intelligence de frère Thomas était suspendue à l’Esprit et demeurait vitalement unie à Dieu dans la contemplation. C’est à partir de cette union habituelle que s’organisait dans son esprit la structure harmonieuse des degrés du savoir. Seule la Révélation décidait de leur synthèse et de sa vision du monde et de l’homme.
9Le monde de saint Thomas n’est plus celui de l’idéalisme augustinien pour qui les êtres, n’existant réellement qu’en Dieu, n’ont qu’un semblant d’être et dont l’histoire n’est qu’une ombre2. Thomas récusait cette vision du monde, comme, avant lui, les philosophes qui proclamaient la densité propre des créatures dans leur substance concrète pour la raison que Dieu les maintient dans l’être et leur demeure essentiellement présent3.
10Le monde tel qu’il le voit, c’est l’univers d’Aristote, de natures et de causes efficaces, un univers qui ne peut donc être voulu que par un Bien suprême qui se communique et qui donc requiert comme cause un Dieu tel que celui de Denys l’Aréopagite, dans lequel l’homme est coopérateur de Dieu.
11C’était là le trait de lumière qui illumine toute la doctrine de la création chez saint Thomas. Dieu n’est pas une Puissance qui se réserverait l’efficace en tant que cause première, mais une Miséricorde qui appelle l’homme à partager son efficace comme cause seconde.
12Dieu ne sauvegarde pas ses droits en s’abritant derrière l’absolue liberté de sa Toute-Puissance, mais en se communiquant par amour à ses créatures humaines qu’il a privilégiées dans son Fils. S’il en est ainsi, la vision du monde dans son histoire prend tout son sens : il est la création continuée, poursuivie jusqu’au terme que Dieu lui a fixé, mais pour la réalisation duquel les hommes sont appelés à participer avec lui dans le temps.
13En vérité, la face du monde est changée : l’intelligence humaine a conquis son statut.
14 Du côté de la philosophie, "Thomas a fait preuve d’une extrême intrépidité intellectuelle en conduisant la dialectique philosophique de l’être qui s’arrêtait spontanément à la substance et à l’"essence" (même chez les plus grands penseurs chrétiens, d’Augustin à Bonaventure) jusqu’où il fallait aller pour rejoindre la vérité de la parole divine". Etienne Gilson l’a dit mieux que personne : "parce que Dieu est révélé comme Celui qui Est (Ex. 3,14), le philosophe sait qu’à l’origine et au cœur des étants, il faut situer l’Acte pur d’exister". Et cependant, "la Parole divine reste transcendante aux notions philosophiques conçues à sa lumière", telles que celle d’être4.
15Ainsi donc, lorsque sans pouvoir la contourner, parce qu’elle est inconcevable autrement qu’à partir des étants, saint Thomas fixe son regard sur cette quasi-notion de l’être comme Acte pur d’exister, le métaphysicien atteint en lui le point ultime du concevable, les confins du naturellement et surnaturellement perçu. Jamais il ne confondra ce qu’en métaphysicien il voit et pénètre et ce qu’en contemplatif chrétien il croit et pénètre sans l’avoir vu. "En aucun cas, dit Gilson, il ne s’agit de prétendre que les philosophes aient exactement atteint l’objet auquel la foi donne son assentiment. Et cependant, les conclusions de la raison et les certitudes de la foi s’accordent à un tel point, que l’évolution des problèmes au cours de l’histoire fait voir que le progrès de la manière philosophique de les poser et de les résoudre rapproche peu à peu la raison des vérités de foi qu’elle finit par pressentir, sinon à atteindre."5 - Disons bien : sans jamais les atteindre autrement que du dehors.
16 2. C’est là ce qui explique l’extraordinaire traitement que saint Thomas a fait subir aux systèmes philosophiques qu’il introduit avec intrépidité dans la lumière théologique de la foi. Par une véritable et authentique alchimie spirituelle, il a pu "prendre en eux son bien sans s’en rendre tributaire en tant que systèmes" (c’est ainsi qu’il cite Platon, Aristote et Avicenne, mais non sans pour cela se montrer ni platonicien, ni aristotélicien, ni avicennien).
17En allant au fond de ces trois philosophies, on s’aperçoit qu’aucune d’elles n’a conçu la création ex nihilo, y compris celle de la matière ; mais dans la lumière théologique où elles baignent chez saint Thomas6, on les voit révéler des possibilités philosophiques autres que celles qu’elles semblaient avoir dans l’esprit des philosophes qui les ont d’abord conçues. "La foi chrétienne en Qui Est a fécondé l’intellect en lui faisant "concevoir" la plus haute notion définie de Dieu et de l’être, celle de saint Thomas, et la lumière de cette notion jaillie de l’intellect fécondé par la foi suffit à métamorphoser les philosophies qu’elle touche"7.
18On dit souvent à ce propos que saint Thomas a spontanément christianisé ces philosophies. Le fait n’est pas niable. Mais si l’on veut bien comprendre la signification profonde de ces philosophies, du point de vue de la recherche humaine de la vérité, il semble nécessaire de nuancer l’expression. La vérité de saint Thomas est encore la vérité d’Aristote, mais révélée à elle-même par la grâce de la Révélation chrétienne.
19 On peut s’en rendre compte, si l’on se rappelle comment et pourquoi saint Thomas fait appel à l’aristotélisme dans la Somme contre les Gentils. C’est en vue de restaurer, contre Averroès, un aristotélisme "qui deviendrait un avocat de la nature spirituelle de l’homme, d’un homme considéré comme une créature en route vers Dieu", promise à la béatitude éternelle de la vision surnaturelle de Dieu. Un tel aristotélisme ouvert à la possibilité d’une survie de l’homme, à l’immortalité d’une âme personnelle individuelle destinée à connaître divinement son créateur, n’est plus l’aristotélisme d’Aristote. Mais n’est-il pas plus proche de la vérité entrevue par lui que ne l’est la vision que d’Aristote se faisaient un Siger de Brabant et un Boèce de Dacie, sectateurs d’Averroès ? Car enfin, ce que saint Thomas percevait en christianisant Aristote, c’est qu’en lui comme en tout homme, la nature de l’esprit est tendue naturellement vers Dieu comme vers sa béatitude transcendante, même si la grâce est nécessaire pour qu’elle atteigne cette fin8. La foi chrétienne qui rend le philosophe capable de bien poser la question de la béatitude de l’homme (à laquelle il ne peut répondre, mais qu’il pose) est à l’origine de la profonde angoisse que saint Thomas a perçue chez ces grands esprits de la pensée païenne9.
20La philosophie, comme tradition humaine, devient ainsi capable, au nom de ses propres vérités rationnelles, d’atteindre à une meilleure expression de ses intentions historiques. Dans la mesure où le progrès de l’intelligence humaine n’a pas de frontières et où l’Antiquité vit dans la modernité, l’effort du "paganisme" soutient par ses conquêtes l’effort du christianisme. Il semble donc nécessaire d’admettre qu’en christianisant Aristote saint Thomas, loin de le trahir, l’a révélé à lui-même et aux hommes d’aujourd’hui.
21La vision thomiste de l’intelligence qui approfondit de la sorte le génie philosophique de l’homme parce qu’elle est tout entière suspendue à la lumière de la foi, vient encore fonder une nouvelle sorte de théologie. L’intelligence mystique de la foi n’opère pas seulement au bénéfice de l’intelligence métaphysique de l’être, mais permet que la foi conquière un nouveau mode d’intelliger son propre mystère : c’est de la métaphysique réaliste qu’il a conçue à partir d’Aristote et de Denys qu’est née la théologie comme science dont saint Thomas est l’initiateur.
22Avec la philosophie thomiste, en effet, si nouvelle quand on la compare à la philosophie de l’augustinisme médiéval, la raison était invitée à s’abstenir de certaines spéculations théologiques qui ne relèvent pas de son domaine. Plus encore, "on l’arrachait à la douce illusion de connaître les choses par leurs raisons éternelles" (la vérité dans les choses, plus que la vérité-apparente-des-choses), "comme si la raison naturelle était capable d’atteindre par sa propre spéculation la présence intime et consolante de la voix intérieure de son Dieu"10. Connaître signifiait désormais pour la raison : tirer du sensible toute sa connaissance, même celle de l’intelligible.
23 C’est pourquoi le confusionnisme augustinien (confusion de la philosophie avec la théologie et la mystique) devenait impossible. "L’âme se voyait fermer les routes directes qui conduisent à la connaissance de Dieu ; plus d’évidence directe en faveur de son existence ; plus de ces intuitions qui nous permettent de lire à travers les choses le transparent mystère de son Essence"11. Il fallait distinguer et unir philosophie et théologie d’une part, théologie et mystique d’autre part. C’est ce qu’a fait saint Thomas : la voie théologique passerait désormais soit par la théologie comme science, soit par la théologie mystique comme sagesse.
24Avec cette nouvelle philosophie, la théologie était donc renvoyée au devoir de pousser aussi loin que possible l’interprétation rationnelle des données de la foi : c’est la théologie comme sience. Et la mystique était tenue de son côté de demander ses lumières à la seule illumination de la contemplation infuse dans l’union à Dieu secrète et obscure.
25Sur le premier point, saint Thomas voyait s’opposer à li à peu près toutes les Ecoles de son temps, elles-mêmes profondément divisées. Ici, les philosophes augustinisants et néoplatonisants, champions du confusionnisme, pour qui "le triomphe d’Aristote sur Augustin n’était au fond que la revanche du paganisme antique sur la vérité de l’Evangile" ; là, les aristotélisants, gagnés au séparatisme d’Averroès, tels que Siger et Boèce de Dacie, pour qui l’aristotélisme intégral (nous dirions authentique) "se posait comme la vérité rationnelle absolue en contradiction avec la vérité révélée de Dieu"12. Ensemble, les tenants de ces deux Ecoles devaient avoir raison finalement de saint Thomas dont ils étaient incapables de saisir l’originalité, ni de comprendre à quel point son système parvenait à surmonter vigoureusement toutes les contradictions de leurs propres systèmes. Le "thomisme" fut condamné à la fin du siècle qui l’avait vu naître, alors qu’il était irréductible par son fond le plus intime à l’un quelconque des systèmes du passé13 et ouvrait, à lui seul, à la culture chrétienne un merveilleux avenir (non encore advenu en cette fin de XXe siècle). On verra mieux la justesse de cette observation en abordant la question de la conception de l’intelligence humaine selon saint Thomas - et celle de l’anthropologie qu’elle induit - car elle constitue le fond de toutes les questions débattues en cette fin du XIIIe siècle autour des rapports de la philosophie et de la théologie.
26 3. Le principe constitutif de la personne humaine, c’est l’intelligence. Elle appartient à l’homme comme la forme appartient à la matière : l’intelligence est la forme de l’homme. Toute la doctrine de saint Thomas est renfermée dans cette affirmation qui la désolidarisait de l’interprétation que les averroïstes avaient donnée de la pensée d’Aristote : l’intelligence, disait celui-ci, est dans l’homme réellement séparée de lui et survenue de l’extérieur, ut nauta in navi, comme un pilote dans son navire.
27Un fantastique débat allait s’engager avec, pour enjeu, la vision de l’homme, de son savoir, de la nature et de la structure de sa connaissance des choses, des êtres et de Dieu, bref la vision d’une civilisation et d’une culture chrétiennes. En réalité, derrière les averroïstes latins répandus partout dans l’Occident médiéval, en Angleterre, en Italie et pas seulement à Paris, se profilait particulièrement la vision de l’Islam. A l’heure où la chrétienté médiévale était bien désabusée du mythe des Croisades d’outre-mer14, l’on peut dire qu’il s’agissait de l’affrontement définitif, mais pacifique, qui aurait pu ouvrir une voie à la maîtrise d’une vraie tolérance dans l’Occident.
28Car c’est bien de cela qu’il s’est agi lorsque s’engagea vers 1269-1270, à Paris, le plus formidable débat d’intelligence jamais vu. Entre les chrétiens héritiers de la haute spéculation arabe et juive, et les chrétiens en qui respirait l’esprit de la révélation de Jésus-Christ, c’est l’idée de l’homme, c’est la notion de l’homme qui était débattue.
29Etait-il cet être qu’un destin incertain condamnait à demeurer comme en suspens entre ciel et terre, frustré, pour ainsi dire, face au Dieu qui le crée et le maintient dans l’être, hésitant entre deux certitudes, celle de l’apparence d’un monde visible et celle de l’illusion d’un esprit séparé ? Ou bien était-il planté fermement dans l’épaisseur d’un monde qui, du seul fait qu’il existe sous le regard de Dieu, chante sa Gloire et sa Louange ? Etait-il engagé dans le mystère d’un esprit qui pénètre de son propre regard le monde créé, parce que son intelligence est elle-même placée sans cesse sous l’illumination de l’Esprit de Dieu ?
30C’est de tout cela qu’il était débattu lorsque saint Thomas d’Aquin réfutait en Sorbonne les thèses de Siger de Brabant, de Boèce de Dacie et de leurs compagnons philosophes conquis par l’averroïsme latin. Rien moins que l’idée de l’homme, une idée de l’homme pour l’Occident.
31Le caractère dramatique de cet épisode unique dans l’histoire provient du fait que les chrétiens n’ont pas été en mesure de comprendre où voulait en venir saint Thomas si génialement appelé à réfuter ses contradicteurs. Ceux-ci étaient loin de voir que lui seul détournait victorieusement la menace d’invasion que la pensée arabe faisait peser à travers le Commentateur sur la pensée chrétienne, alors qu’il définissait tout simplement l’anthropologie chrétienne et la vraie notion de l’intelligence humaine. Alors que saint Thomas assurait par là-même le "triomphe" de l’Evangile, ils ont cru qu’il n’était qu’un complice inconscient, une sorte de traître malgré lui à la cause de la "défense de la civilisation chrétienne" (déjà). Ces malheureux augustinisants attardés furent incapables de départager saint Thomas de ses pires adversaires, les averroïstes latins, et c’est pourquoi ils se sont engagés dans l’impasse. Pour réfuter le système d’Averroès, ils n’ont pas été en mesure d’en inventer un autre ; ils ne surent que lui prendre le sien pour l’inverser en son contraire. Le faux-pas était dramatique et il convient d’en bien apprécier la portée, car c’est alors qu’émerge, dans la pensée chrétienne de la théologie médiévale, l’Idéologie.
32Au séparatisme que les averroïstes introduisaient à la jointure de l’âme et de l’esprit, exactement là où la Parole de Dieu vivante, nous disent Isaïe et saint Paul15, passe comme une épée à double tranchant pour séparer l’âme de l’esprit et libérer l’homme de l’emprise de la "chair", ils substituaient le vieux confusionnisme augustinien. Au séparatisme de la philosophie et de la théologie réputées contradictoires par les tenants de la "thèse" de la double vérité - qu’illustrait l’anthropologie et la vision du monde propre à l’Islam - ils répondirent tout bonnement par un confusionnisme redoublé16. On en comprendra la portée en suivant la démarche de la réflexion de saint Thomas.
33La doctrine de l’intelligence telle qu’il l’élabore s’oppose diamétralement à la doctrine averroïste de l’Intellect séparé selon laquelle ce n’est pas l’homme qui pense, mais l’Intellect qui pense en lui. Celui-ci est séparé de l’homme, il ne lui est pas personnel. C’est cette fausse conception "mystique" de l’intelligence humaine que saint Thomas a voulu condamner chez les averroïstes latins, parce qu’elle était contraire non seulement à la mystique, mais à la vérité de l’homme et de la nature de l’âme intellective. Il pense, en effet, que l’intellect constitue l’homme comme tel, qu’il lui appartient personnellement et constitue le principe premier de ses opérations. L’homme pense ; ça ne pense pas en lui. L’intelligence est en lui la force animatrice qui le situe au degré intermédiaire entre les êtres bruts et irrationnels de la nature et les intelligences spirituelles pures.
34Saint Thomas dit : il faut que l’homme soit naturellement capable de penser pour que l’incarnation soit autre chose qu’une vision céleste de l’intelligence universelle séparée (le Verbe) étrangère aux hommes ; pour que son fruit, la contemplation chrétienne - la sagesse mystique qui procède de l’acte de l’intelligence humaine surélevée par les dons de l’Esprit -, soit vraiment divine et vitalement transformante il faut qu’elle soit autre chose qu’une pseudo-sagesse descendue du ciel et plaquée seulement sur l’homme. Car saint Thomas croit à l’incarnation du Verbe de Dieu en Jésus-Christ et il sait par expérience que la sagesse de la foi opère la transformation de l’intelligence de l’homme. Il sait aussi qu’elle rend l’homme parfaitement maître de la singularité de son esprit et de sa personne rendue capable d’opérer divinement et méritoirement pour son salut.
35A partir de ces prémisses qui tiennent au plus profond des vérités de la foi chrétienne, saint Thomas a entrepris d’analyser, en l’approfondissant sans cesse, la structure de l’acte de connaissance, grâce à la notion aristotélicienne de "forme intelligible participée de la chose connue" - et non à partir de l’idée séparée de la chose (comme chez Platon) ou de l’Intellect unique séparé (comme chez Averroès).
36Saint Thomas fonde sa façon de comprendre l’intellect chez l’homme, la notion de forme substantielle, sur l’idée dionysienne de hiérarchie des essences ou formes essentielles. Cette conception hiérarchique s’exprime fréquemment dans les textes thomistes sous le thème dionysien de l’âme intellective comme mode inférieur dans l’ordre intellectif, l’esprit angélique étant réalisation plénière et en quelque sorte normative17.
37La rationalité est chez l’homme l’indice de cette situation subalterne : elle se traduit par le statut discursif de l’intellection humaine18.
384. Mais si l’homme touche ainsi aux esprits séparés, par ce qu’il a d’intelligible, il ne s’ensuit pas qu’il cesse d’être un esprit incarné, c’est-à-dire qu’il devienne un esprit séparé. L’angélisme consiste à opérer cette conclusion erronée. Il installe l’intellect dans une condition qui est celle de l’ange19.
39L’idéologie est la forme spontanée que pratique le philosophe dès qu’il se laisse aller à platoniser, c’est-à-dire à réifier ses idées. A partir de ce moment, il ne pourra cesser d’idéologiser son esprit même et il tombera dans le piège de l’idéologie.
40Rien ne pourra l’en délivrer si ce n’est la prise de conscience de son erreur. Mais l’idéologie a la vie dure et, comme on le sait, Marx lui-même loin d’en venir à bout en a renouvelé les sortilèges.
41Saint Thomas, lui, savait se tenir à égale distance de l’angélisme et du nominalisme qui dénaturent, l’un et l’autre, le statut discursif de l’intelligence humaine. Le nominalisme a tenté de réagir contre l’angélisme et la réification des essences, en réduisant celles-ci à n’être plus que des mots. Le matérialisme des modernes devait pareillement réagir contre la réification de l’idéalisme absolu des essences. Tel est le sens de la critique marxiste de l’hegelianisme. Aussi justifiés soient-ils par les erreurs qu’ils dénoncent, l’un et l’autre, nominalisme d’antan et matérialsme d’aujourd’hui ne sont que les sous-produits d’un angélisme qui refuse de mourir à la vérité du statut discursif de l’intelligence humaine.
42Le point capital concernait l’affirmation selon laquelle la forme intelligible (species intelligibilis) -c’est-à-dire ce que nous appelons aujourd’hui l’idée- est "quo intellectus intelligit" et non "quod". Ce qui veut dire que l’idée n’est pas l’objet de l’intelligence, mais qu’elle est son instrument et que l’acte de l’intellect se termine bien à la réalité concrète de la chose connue (quidditas rei) et pas seulement à l’idée qu’il s’en fait en l’extrayant par l’abstraction du sensible (intentio abstracta).
43L’idée est ce par quoi ("quo") la chose est connue. Le savoir de l’homme porte donc sur la nature propre des réalités singulières. Pour comprendre l’immense portée de cette prise de position, il faut ajouter que l’originalité de saint Thomas a consisté ici à joindre l’abstraction aristotélicienne à l’illumination dionysienne pour aboutir à l’analyse de la nature de la forme intelligible, autrement dit à sa propre doctrine de l’idée et de l’acte de l’intelligence qui connaît.
44A Aristote il empruntait sa doctrine, mais il la rendait étroitement solidaire du thème dionysien de l’illumination de l’intellect humain par l’intellect divin et illuminateur des esprits20. L’illumination ne se fait pas directement (comme dans l’illumination augustinienne), ni occasionnellement à l’occasion des choses perçues (comme dans la quasi-mystique de l’averroïsme), mais par la médiation des actes singuliers de l’intelligence abstractive qui élabore, au contact des réalités terrestres, les formes intelligibles réelles et objectives.
45Ainsi, c’est cette notion de la forme intelligible participée qui met en relation - en les distinguant et en les unissant - l’objet connu et le sujet connaissant.
46 Par l’idée qu’il conçoit, l’intelligence de l’homme est comme assimilée à la chose connue, mesurée par elle et, dans ce même acte, il l’assimile à son esprit illuminé par l’intellect divin dont il est une participation créée. L’homme doit donc aux choses qui sont là - Dasein - et à Dieu qui les a créées et qui l’a doué d’intelligence, d’exercer celle-ci en vue de les pénétrer.
47Il y a synergie du connu et du connaissant dans l’acte de connaissance21.
48C’est pourquoi ce que l’intelligence atteint lorsqu’elle conçoit les idées des choses est leur réalité concrète et pas leur essence idéelle. Elle atteint aussi, dans cette même réalité concrète, l’être des étants. Il s’agit donc d’une merveilleuse opération qui n’a pas besoin d’emprunter le détour de la contemplation esthétique pour devenir sensible, ni celui de la contemplation mystique pour atteindre à la jubilation de la créature en Dieu22. Une telle opération fait s’extasier le métaphysicien, car dans l’arbre qu’il voit, il perçoit la voix de celui qui l’a fait23.
49La richesse de sens ontologique de la noétique réaliste de saint Thomas se révèle donc dans l’orientation native qu’il reconnaît à l’intellect humain créé vers la réalité des choses corporelles. Cette intentionalité donne à la doctrine thomiste de l’abstraction et à la notion de l’intelligence humaine sa fécondité insoupçonnée. Elle fonde l’édifice thomiste du savoir chrétien en l’établissant sur ses vrais fondements et ses structures définitives. Il faut admirer le fait que ce sont les préoccupations théologiques de saint Thomas, introduites au cœur de sa réflexion philosophique, qui lui ont permis de dégager explicitement cette loi noétique de l’intentionalité de l’intellect. Dieu illumine l’âme de l’homme par le moyen des réalités corporelles visibles. La forme intelligible conçue par l’homme st l’instrument de l’intellect divin illuminateur. Toujours et en tout temps, l’intellect humain participe activement et à Dieu et au monde.
50Dans le thomisme, comme l’a bien dit Gilson, la nature elle-même est sacrée. "Dans cette doctrine où tout est naturel dans la nature, mais où la nature est essentiellement un effet divin et une image divine, on peut dire que la nature même est sacrée… " L’intellect, en thomisme, s’enfonce courageusement dans l’épaisseur du mystère de l’être, à partir de la connaissance de "choses créées à la ressemblance d’un Dieu dont l’essence, c’est-à-dire l’acte d’être, est à la fois l’origine et le modèle". L’intellect est lui-même l’effet et l’image de ce même Dieu. "Parce qu’elle dépend de Dieu dans son être même, la nature est gonflée d’une sève divine et, pour ainsi dire, signifie toujours infiniment plus que ce qu’elle est"24. Particulièrement admirables sont les conséquences de cette vision de saint Thomas :
- - La notion réaliste de la connaissance, selon laquelle le connu est bien immanent à l’intellect sans être présent en lui comme un intermédiaire-écran entre la pensée et le monde extérieur. Connaître, ce n’est pas connaître un monde d’essences, mais un monde d’existants réels eux-mêmes reliés à l’existence d’un sujet qui se perfectionne par leur connaissance.
- - La distinction et l’union de la philosophie et de la théologie comme science25 : la doctrine de la participaton introduite dans le domaine noétique s’appliquant aux réalités corporelles (dans le cas de la philosophie) et aux propositions de la foi (dans le cas de la théologie) : la même structure noétique rend compte de ces deux modes de connaissance rationnelle.
- - La grande conception de l’orientation foncière de tout intellect créé à désirer voir l’essence divine qui constitue sa fin surnaturelle. C’est l’ordination naturelle à Dieu comme objet suprême de l’être créé - à Dieu comme objet naturel et surnaturel tel qu’il se fait connaître à Moïse (Qui Est) et par Jésus (Je Suis) - de telle sorte qu’il n’est pas possible de poser en Dieu un Dieu de la nature et un Dieu de la surnature, contrairement à ce qui allait se produire dans la théologie néo-thomiste postérieure.
- - L’usage de l’angélologie de Denys qui lui sert, par contraste, à définir le mode de procéder de l’intelligence humaine dans la sagesse mystique. Les anges n’argumentent pas, l’homme au contraire argumente, car la raison appartient chez lui à l’intelligence (1 P. Q. 79 A. 8) ; mais, à l’égal des anges, c’est pour parvenir comme eux au repos dans l’intuition, car l’intentionalité de l’acte de connaissance propre à la foi est telle qu’elle se termine également à l’objet divin de la foi et pas aux signes à travers lesquels cet objet se fait connaître seulement. Car la foi, enseigne bien saint Thomas, joue sur terre le rôle de la forme intelligible, comme la lumière de gloire le jouera dans la béatitude du ciel.
Ainsi donc la doctrine mystique de saint Thomas rejoignait celle de Denys26 - et celle que saint Jean de la Croix allait remettre en lumière à la fin du XVIe siècle : c’est la voie de l’Esprit. - - La vision métaphysique de l’être enfin, comme Acte pur d’exister, qui constitue l’apport absolument décisif du regretté Etienne Gilson - parce qu’elle est restée méconnue depuis son apparition et qu’on lui doit sa redécouverte. Celle-ci n’était possible que de nos jours, au terme de l’impasse historique où la philosophie s’était engagée dès la condamnation de saint Thomas. Cette impasse est jalonnée par tous les systèmes qui ont vu le jour depuis le temps de Duns Scot et Henri de Gand jusqu’à Heidegger. Remarquons, en effet, que tous les contemporains de saint Thomas ont cru que Dieu était pour lui l’Acte pur de pensée, alors qu’il est l’Acte pur d’exister de qui les existants tirent leurs actes propres d’exister et le pouvoir de rejoindre Dieu à travers des opérations qui leur appartiennent. En laissant tomber dans l’oubli une notion aussi sublime de l’être, la philosophie chrétienne tout entière se voyait condamnée à emprunter la voie d’une ontologie des essences tiraillée entre l’Être et l’Essence, dans une dialectique qui les oppose, comme sont opposées les choses et les idées des choses. Tous les systèmes de la philosophie postérieure à la condamnation malheureuse de 1277 - ontologistes ou empiristes - se voyaient donc récusés par avance par la vision thomiste de l’intelligence humaine propre à la philosophie chrétienne.
51On peut énumérer là quelques exemples : ici c’est l’hypothèse de la pure nature de Cajetan ; là, l’idéalisme critique de Descartes ; ici l’empirisme de Hume et le criticisme de Kant ; ici le spiritualisme de Hegel et le matérialisme de Marx ; là l’ontothéologie que dénonce Heidegger. Pareillement, s’agissant de spiritualité chrétienne, ici l’ascéticisme de la Compagnie de Jésus et là la théologie de la mystique des lumières selon Thomas de Jésus et le Quiétisme de Molinos et de Fénelon27. Ajoutons enfin, que l’événement que furent la condamnation et le rejet d’une telle pensée par les maîtres de l’Ecole, tous réunis à la fin du XIIIe siècle, signifie l’échec d’une vision théologique unitaire de la culture, où apparaît en pleine lumière, comme jamais, l’influence de la Révélation biblique sur l’anthropologie. Aucun des aspects de l’activité des hommes - intellectuelle, morale, spirituelle - n’échappait à la mouvance de cet esprit et de son réalisme dynamique. Ils s’y voyaient tous intégrés et heureusement distribués sans possibilité de conflits réels.
52Ce qui était banni d’une telle vision, c’était précisément l’émergence de l’idéologie dans la pensée moderne. Non seulement de l’idéologie religieuse, mais de l’idéologie philosophique et culturelle, telle que la diagnostiquerait Karl Marx dans sa critique de la culture de son temps. Du seul fait que saint Thomas défiait l’idéologisation de l’idée elle-même, il rendait vaine toute tentative pour mettre l’homme à la place de Dieu et de prendre d’assaut les idées célestes28, parce qu’il faisait de Dieu non pas l’Acte pur de pensée, mais l’Acte pur d’exister. Il renvoyait ainsi les hommes à lui ressembler en existant, et non pas en spéculant comme pour singer une création dédoublée entre son exemplaire divin et sa réalisation historique concrète.
53Au contraire, la problématique de l’ontologisme essentialiste devait engager la culture moderne dans l’impasse de l’Idéologie. Elle en a poursuivi la vie en creusant dans tous les domaines le fossé entre Dieu et les hommes, entre la religion et la culture, jusqu’à l’heure où Karl Marx a pensé devoir mettre un terme à la tyrannie de l’idéologie absolutisée chez Hegel29. On le comprend, c’est entre lui et saint Thomas que le débat était à nouveau engagé. La conclusion semble s’imposer : la notion de l’idéologie nous renvoie bien au débat médiéval autour de l’averroïsme latin, c’est une notion d’ascendance averroïste.
54L’idée, comme forme de l’intelligence humaine, attestant la synergie du donné sensible et de l’illumination en acte de l’intellect agent par l’intellect divin illuminateur, réalisait dans la noétique de saint Thomas la synthèse étonnante de la pensée d’Aristote et de la pensée de Denys. Elle aboutissait à la merveille d’une intelligence humaine personnelle, capteuse de l’être des étants et qui fonde, en christianisme, tous les aspects du savoir humain, qui les assure sur leurs bases solidement et esquive souverainement toutes les séductions d’un séparatisme réducteur, qu’il s’agisse du séparatisme de la mystique et de la théologie comme science ou du séparatisme de la philosophie et de la théologie. La vision spiritualiste de l’averroïsme, et celle d’un néo-augustinisme qui tentait de s’y opposer, étaient l’une et l’autre bannies avec leur noétique dissolvante à l’égard de l’identité de la personne humaine.
55Lorsque Marx rencontra Hegel, il était en présence du philosophe qui héritait de la réduction historique de la noétique thomiste progressivement réalisée tout au long de l’histoire de la pensée occidentale de Scot et d’Ockham en passant par Descartes, Hume et Kant. La notion hégélienne d’idée est un avatar de l’idée averroïste ressuscitée par la grâce de la philosophie essentialiste à partir de Scot, et lentement implantée dans la pensée théologique et philosophique de telle sorte qu’elle avait conquis tous les secteurs de la culture, de l’art et de la religion ainsi que de la politique de l’Occident.
56Faute de pouvoir renouveler l’exploit philosophique de saint Thomas, Marx se contentera -parce qu’il est athée et n’a pas d’autre issue- de renverser la thèse spiritualiste de Hegel dans l’antithèse matérialiste qui sert de fondement à sa propre conception de l’idée comme idéologie.
57Le matérialisme de Karl Marx résulte donc bien de sa réaction négative face au spiritualisme dans lequel Hegel avait achevé d’aliéner l’esprit chrétien : il l’avait plotinisé à nouveau au terme de l’évolution historique amorcée en 1277. Hegel avait porté à son comble l’aliénation de la pensée occidentale dans l’idéologie qui, du Moyen Âge au XIXe siècle, avait dévoyé l’inspiration de l’Evangile (en anthropologie, en métaphysique, en théologie, et surtout en mystique chrétienne).
Notes de bas de page
1 C’est pourquoi Gilson et Maritain se complètent. Le premier a bien vu que le mystère de la vocation de l’intelligence, chez saint Thomas, était métaphysique, et le second que ce mystère s’originait dans le dessein éternel du Père de communiquer à l’homme une participation à sa vie intime trinitaire.
2 M.-D. Chenu, Théologie de la matière, Paris, Le Cerf 1967, pp. 47-48.
3 Gilbert de La Porée au XIIe siècle, les Victorins héritiers, comme saint Thomas, de la pensée de Boèce qui introduit le réalisme métaphysique en rectifiant Platon grâce à Aristote. Saint Thomas a puisé dans l’opuscule De Hebdomadibus l’autorité de base pour sa propre métaphysique : "Quomodo substantiae, in eo quod sunt, bonae sunt, cum non sint substantialia bona" (De Veritate q.21, art.4 et 1a p, q.6, a.4).
4 Etienne Gilson, Introduction à la Philosophie chrétienne, Paris, Vrin - 1960, p. 57.
5 Ib., p. 40.
6 Ib., p. 43 : De Potentia, 3,6.
7 Ib., p. 44.
8 Si bien analysée par Anton C. Pegis, L’Homme devant Dieu, Mélanges offerts au Père Henri de Lubac, II, Aubier, 1963, pp. 169-182.
9 L’argument développé par saint Thomas au troisième livre de la Somme contre les Gentils, ch. 52, est donné dans In Boetium de Trinitate, q. 6, a. 4, ad 5m (cité par de Lubac, Le Mystère du surnaturel, p. 153) : "Quamvis homo naturaliter inclinetur in illum finem ultimum Dei visionis non tamen potest naturaliter illum consequi, sed solum per gratiam. Et hoc est propter eminentiam illius finis".
10 Etienne Gilson, o.c., p. 540. Voir également La double vérité selon Boèce de Dacie, ADHLDMA, 1955, t. XXXII, pp. 81-99.
11 Ib., p. 541.
12 Ib., p. 540.
13 Ib., p. 541.
14 Zoé Oldenbourg, Les Croisades, Paris, NRF, 1966.
15 "Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit, des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur" dit saint Paul (Heb. 4, 12). Et Isaïe : "Je tournerai la main contre toi / J’enlèverai au creuset tes scories, / Et je te dégagerai de ton plomb" (1, 25) ; "Il a fait de ma bouche une épée tranchante" (49, 2).
16 Précisons que les averroïstes s’inspiraient de l’ενωσις plotinienne pour résoudre le problème posé par le séparatisme du νοΰς par rapport à la Ψυχή.
17 De Divinis Nominibus, cap. VII.
18 I Sent. d. 3, q. 4, a. I : "Sicut dicit Dionysius… natura inferior secundum supremum sui attingit infimum naturae superioris ; et ideo natura animae in sui supremo attingit infimum naturae angelicae, et ideo aliquo modo participat intellectualitatem in sui summo".
19 L’angélisme est idéologique et aliénant, autant que le platonisme. Saint Thomas remarquait que les platoniciens ôtaient aux réalités naturelles leurs actions propres : "rebus naturalibus proprias actiones substrahunt".
20 Edouard-Henri Weber, La controverse de 1270 à l’Université de Paris et son retentissement sur la pensée de s. Thomas d’Aquin, Paris, Vrin - 1970, en particulier pp. 275-276 et 307.
21 Déjà saint Augustin l’avait souligné. De Trinitate IX, 12, 18.
22 S. Jean de la Croix, Cántico, str. 5 et 13-14.
23 Comme Adam qui donne [un nom] aux choses créées.
24 E. Gilson, Introduction à la Philosophie chrétienne, o.c., pp. 121 & suiv.
25 Weber, o.c., pp. 299-301.
26 On a interprété Denys, le Denys des Noms Divins, comme un platonicien. C’est un contresens historique. Weber (p. 308) a signalé, après Henle et le p. Geyger que, pour Thomas d’Aquin, Denys est une autorité qui est alléguée contre les thèses des "platoniciens" et que l’interprétation thominste des Noms Divins comprend cette œuvre comme d’inspiration anti-platonicienne. C’est un énorme contresens historique également que de rattacher saint Thomas à Aristote comme si le néoplatonisme n’avait pas exercé sur lui une influence plus décisive encore. Saint Thomas a subordonné la noétique aristotélicienne à la dionysienne. On peut rappeler ici ce que Gilson écrivait sur "l’influence combinée d’Aristote et de Denys sur la pensée de Saint Thomas", dès 1926-1927, dans la note I, p. 127 de son mémorable article (cité plus loin, p. 34 n. 3).
27 Voir la 2e partie du présent ouvrage.
28 L’expression est de Zoë Oldenbourg, Les Croisades, Paris, Gallimard - 1966, p. 602.
29 Voir la 3e partie du présent ouvrage.
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