La formation du droit de la protection des biens culturels immobiliers de Shanghai dans le contexte de l’urbanisation
p. 193-204
Texte intégral
I – Introduction à la protection du patrimoine à Shanghai
1L’histoire de Shanghai remonte à 4000 avant J-C. Dans les lieux de naissance de la civilisation shanghaienne, du néolithique aux dynasties des Xia et des Shang1 une présence ininterrompue de différentes cultures existe : cultures de Majiabang2, de Songze3 de Liangzhu4 et de Maqiao5.
2La ville de Shanghai possède une culture ancienne et splendide. Elle a également un riche patrimoine culturel de l’époque moderne. Au fil de l’histoire, avec le développement commercial et industriel, Shanghai a commencé à devenir un centre économique et de manufactures. Au milieu de la dynastie des Ming6, elle était le principal centre de production de textile en coton. Sous le règne de l’empereur Kangxi7, notamment en l’an 1685, une douane y a été instaurée. A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, Shanghai a été le théâtre d’un formidable essor économique et financier grâce à ses ports maritimes destinés au développement commercial et industriel. Elle est aussi le berceau de la Révolution chinoise, d’importants événements s’y sont produits et ont influencé toute la Chine.
3La ville de Shanghai fut classée sur la deuxième liste des « villes célèbres d’histoire et de la culture » publiée par le conseil des affaires d’Etat en 1986. D’après les données du troisième recensement général pour les biens culturels en 2011, Shanghai compte 4 422 biens culturels classés et inscrits dont 1761 biens nouvellement classés et inscrits. Selon les données de cet inventaire, 738 biens culturels immobiliers ont été détruits. Actuellement, Shanghai possède trente unités de protection d’importance nationale8 et 238 unités de protection d’importance communale. Ces milliers de biens culturels sont des vestiges antiques, des tombeaux anciens, des édifices anciens, des grottes-sanctuaires et des inscriptions gravées sur pierre. Parmi ces biens diversifiés ayant une valeur historique et culturelle de haute importance, 80 % sont des sites révolutionnaires, des maisons d’écrivains ou de personnalités célèbres, des édifices modernes et des sites industriels. Ils présentent un lien extrêmement intime avec l’histoire moderne et brillante de Shanghai.
4La protection des biens culturels à Shanghai date de 1928 avec l’instauration de la commission centrale pour la conservation des biens antiques par le gouvernement de Nankin9. Après la libération de Shanghai en août 1948, le gouvernement communiste a mis en place le conseil de l’administration des biens culturels pour gérer les biens mobiliers ou immobiliers, les biens souterrains et les biens dispersés. Depuis octobre 1952, le bureau de la culture de Shanghai prend en charge les travaux concernant la gestion des biens culturels et des musées. Le conseil de l’administration des biens culturels ne s’occupe que du travail de collection et de gestion du patrimoine. En décembre 1991, le gouvernent populaire de Shanghai a publié le règlement sur la protection des édifices modernes exceptionnels10. Ce règlement prévoit une gestion coordonnée des édifices modernes entre trois organes administratifs : le conseil d’administration des biens culturels, le bureau de l’administration du logement11 et le bureau de l’urbanisme12.
5« Le conseil de l’administration des biens culturels est responsable de la protection et de la gestion des édifices modernes exceptionnels classés comme des unités de protection, le bureau de l’administration du logement prend en charge la gestion et la protection et la gestion des édifices modernes exceptionnels reconnus par le service d’urbanisme, enfin le bureau de l’urbanisme est compétent pour fixer le plan d’urbanisme pour les édifices modernes exceptionnels »13.
6En 2004, le bureau général du gouvernement populaire de Shanghai autorise la création du comité pour la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers ainsi que des édifices historiques exceptionnels de Shanghai. Ce comité siège au bureau de l’administration du logement, il est composé des membres venant du conseil de l’administration des biens culturels, du bureau de l’administration du logement et du bureau de l’urbanisme. En septembre 2010, le bureau du patrimoine culturel de Shanghai fut créé, il est désormais compétent pour la protection et la gestion du patrimoine et les musées. Le conseil de l’administration des biens culturels ne conserve qu’un pouvoir de consultation et de coordination.
7La protection générale du patrimoine a commencé depuis les années 1980. En 1986, Shanghai fut classé comme une ville célèbre d’histoire et de culture par le conseil des affaires d’Etat. A partir de 1989, le gouvernement de Shanghai a successivement publié quatre listes des édifices historiques exceptionnels sur lesquelles 2138 biens sont présents14. Lors de la publication de la première liste en 1990, il n’existait pas de véritable règlement en la matière, 61 biens reconnus sont classés directement comme des unités de protection d’importance municipale ou nationale. Pour les biens mentionnés sur les trois autres listes, ils sont protégés selon le règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels de Shanghai15.
8Quant à la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers, depuis 2003, le gouvernement a qualifié 44 secteurs qui sont répartis dans le centre ville qui couvre douze secteurs classés, avec une surface de 27 km2 et les autres quartiers avec 32 secteurs classés dont la surface mesure 14 km2. Pour sérieusement protéger la physionomie des structures urbaines traditionnelles, dans les secteurs classés situés au centre ville, 144 rues traditionnelles sont identifiées dont 64 sont protégées dans leur état d’origine y compris les arbres. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’élargissement. Pour les villages historiques, depuis 2005, dix districts16 sont classés comme des districts célèbres d’histoire et de culture par le bureau national du patrimoine culturel et le ministère de l’Urbanisme17.
9A l’heure actuelle, les règlements locaux concernant la protection des biens culturels immobiliers sont le règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels de Shanghai de 2002 et le règlement sur la protection du bien culturel de Shanghai de 201418.
II – Le règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels de Shanghai de 2002
10Voyons successivement l’adoption et le contenu du règlement.
A – L’adoption du règlement
11Shanghai est la première ville chinoise qui a protégé les édifices historiques exceptionnels. En décembre 1991, le gouvernent populaire de Shanghai a publié le règlement sur la protection des édifices modernes exceptionnels. C’est le premier texte local qui prévoit la protection des édifices de l’époque moderne. Il est le socle juridique le plus important pour la gestion et la protection des édifices modernes de Shanghai pendant une période de onze ans depuis sa mise en application en 1992.
12Cependant, ce règlement ne concerne que la protection des édifices modernes, il est peu contraignant pour les activités d’aménagements des secteurs historiques. Après diverses discussions entre experts, au début de l’année 2002, le comité permanent de l’Assemblée populaire de Shanghai a discuté au cours de sa 36e réunion le projet de règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels. Finalement adopté à sa 41e réunion le 25 juillet 2002, le règlement est entré en vigueur le 1er janvier 2003. Désormais, Shanghai dispose d’un véritable texte local adopté par l’Assemblé nationale de Shanghai qui prévoit un régime de gestion et des mécanismes de protection. Le règlement a été modifié en 2010. Il fournit un cadre général pour la protection des structures traditionnelles.
B – Le contenu
13Le règlement définit d’abord le principe de protection. Selon l’article 4 du règlement, le principe de la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels est de prévoir une planification d’aménagement unifiée, une gestion classifiée, une protection efficace et une mise en valeur.
14Ensuite, le règlement fixe de manière large les objets à protéger. Selon le règlement, la notion de patrimoine ne se limite plus aux édifices architecturaux ; elle doit prendre en compte des secteurs historiques, culturels et paysagers. Un document d’urbanisme est aussi prévu pour protéger ces secteurs. Pour les édifices historiques exceptionnels, les critères de sélection ne se limitent plus aux édifices construits avant 1949, ils bénéficient aussi aux édifices construits depuis plus de trente ans. Pour que ces derniers soient reconnus comme des édifices historiques exceptionnels, ils doivent satisfaire à l’un des critères suivants : « Le style architectural, la technologie et la technique de construction doivent présenter un intérêt artistique et scientifique ; refléter les caractéristiques historiques, architecturales de la région shanghaienne ; être une œuvre représentative d’un architecte célèbre ; être un atelier, une boutique, une usine ou un entrepôt représentatif pour le développement industriel ; et les autres édifices ayant une valeur historique et culturelle »19.
15Pour la première fois en Chine, la protection du patrimoine industriel fait l’objet d’une mention expresse.
16Enfin, le principe de gestion classifiée repose sur une note d’échelle allant de un à quatre selon la valeur des édifices et leur état de conservation. Pour la première catégorie, la protection est la plus rigoureuse, toute modification intérieure ou extérieure est interdite. Pour la seconde catégorie, il est autorisé de modifier certaines parties de l’édifice excepté la façade extérieure et des décorations particulières importantes pour l’intégrité du patrimoine. Pour la troisième catégorie des édifices, la façade et la structure de l’édifice ne peuvent pas être modifiées. Enfin, pour la quatrième catégorie, seule la façade extérieure doit être conservée dans son état initial.
III – Le règlement sur la protection du bien culturel de Shanghai de 2014
17Les textes locaux existants ne satisfont plus aux exigences de la protection du patrimoine culturel de Shanghai, il est nécessaire d’adopter un autre texte qui tient compte de circonstances nouvelles.
A – La nécessité de l’adoption de ce règlement
18Depuis longtemps, la protection du patrimoine culturel de Shanghai s’est appuyée sur la loi sur la protection des biens culturels de la République populaire de Chine et ses règlements d’application. En raison de l’absence de textes locaux en la matière, la gestion et la protection des unités de protection d’importance municipale ou du district, des biens enregistrés se trouvent dans un état critique. Cependant, le règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels prévoit pour la protection du patrimoine un régime de compétence partagée et coordonnée entre le conseil de l’administration des biens culturel, le bureau de l’administration du logement et le bureau de l’urbanisme. Le service culturel est responsable de la protection des unités de protection, le service du logement est compétent pour la gestion des édifices historiques à caractère exceptionnel, enfin le service d’urbanisme prend en charge la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers. Il est clair que la protection du patrimoine culturel de Shanghai est très complexe. En réalité, il existe aussi la possibilité de plusieurs classements pour un patrimoine. C’est-à-dire qu’un édifice reconnu peut être à la fois une unité de protection et un édifice historique à caractéristique exceptionnelle de Shanghai. En ce cas, il est difficile de savoir quel texte est appliqué, s’agit-il de la loi patrimoniale ou du règlement de 2002 ? Par conséquent l’effectivité de la gestion et de la protection du patrimoine est affectée, et le conflit entre l’application de la loi et l’application du règlement peut entraîner une absence de gestion du patrimoine.
19Dans le but de résoudre les problèmes mentionnés ci-dessus, l’Assemblée populaire de Shanghai après avoir consulté les avis des populations, a mis le projet du règlement sur la protection du bien culturel à l’ordre du jour. Finalement, ce règlement a été adopté par le comité permanent de l’Assemblée populaire de Shanghai à sa treizième réunion. Ce règlement contient 44 articles répartis dans sept chapitres. Il s’agit des chapitres de dispositions générales, des biens culturels immobiliers, des fouilles archéologiques, des collections publiques, de la circulation des biens culturels, de la responsabilité et de dispositions supplémentaires. Ce texte qui entre en vigueur depuis le 1er octobre 2014 fournit une base légale et clarifiée pour la gestion et la protection des biens immobiliers.
B – Les nouveautés
20Le règlement présente plusieurs nouveautés par rapport aux textes précédents.
21Premièrement, il prévoit le mécanisme de déclassement. En Chine, il existe d’un phénomène très inquiétant pour la protection du patrimoine, il s’agit d’une demande ardente de classement sans accorder une attention normale à la protection. Pour résoudre ce problème, le règlement demande en premier lieu, une évaluation pour la protection du patrimoine et les biens eux-mêmes. Aux termes du règlement, les services culturels de la municipalité de Shanghai et des districts doivent faire une évaluation tous les cinq ans pour les unités de protection et les biens enregistrés20. Après cette évaluation, si la valeur du bien est préservée et valorisée, le bien peut être classé à nouveau pour un grade plus élevé. Si la valeur du bien est diminuée, selon l’importance de la dégradation, le bien est classé à un niveau inférieur ou déclassé21. De plus, l’identification, l’évaluation et le déclassement du bien doivent intervenir après une consultation organisée par le service culturel autour des experts, du service d’aménagement du territoire, du service du logement et les autres services concernés. L’avis de la population doit aussi être recueilli22. Ce régime met fin au classement à vie, il est plus flexible et adaptable pour la conservation et la protection du patrimoine culturel.
22Deuxièmement, il s’agit toujours du régime de gestion et de protection classifiée. A Shanghai, plus de 80 % des biens immobiliers sont des édifices de l’époque moderne ou de l’époque contemporaine. Ces édifices sont toujours en cours d’utilisation. D’après la loi sur la protection des biens culturels, la restauration, l’entretien et le transfert du bien culturel ne doivent pas changer son état original23. Or ce principe est très difficile à respecter pour les édifices shanghaiens, modernes ou contemporains. En tenant compte de cette circonstance, le règlement sur la protection des biens culturels se réfère au règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels en prévoyant un régime de protection qui établit une gradation en trois catégories selon la valeur des édifices et leur état de conservation24.
23Pour la première catégorie qui concerne plutôt des sites révolutionnaires et les autres biens de valeur très importante, leur protection est la plus sévère avec une conservation dans son état initial. C’est le cas pour le musée du premier congrès national du Parti communiste chinois25 dans lequel des expositions sur l’histoire de la Chine, sur l’histoire de la ville de Shanghai et sur les événements entourant la fondation du Parti communiste chinois sont réalisées. Dans ce musée, les tasses à thé, les cendriers, les vases, les abats jours, les ampoules et les interrupteurs ont été déplacés de leur emplacement des années 1920. Les biens de la deuxième catégorie sont composés plutôt des édifices historiques exceptionnels, leur façade extérieure, leur structure, leur configuration spatiale et leurs décorations inhérentes au patrimoine ne peuvent pas être modifiées. Les autres parties des édifices font l’objet de modification. Tel est le cas pour le bâtiment Shanghai Club26. A l’intérieur de ce bâtiment, il existe d’un ascenseur très ancien qui se ferme manuellement. Ce genre de fermeture peut parfois poser des questions de sécurité. Pour cela, une porte automatique et en verre y est ajoutée. Aujourd’hui, cette modification permet non seulement de voir la pièce originale de l’ascenseur dans son intégrité, mais permet également de satisfaire à l’impératif de sécurité. Enfin, pour les édifices commerciaux et d’habitat et pour le patrimoine industriel, la modification ne peut pas porter sur la façade externe, sur la structure, sur la configuration spatiale, ainsi que sur les pièces remarquables des immeubles.
24Troisièmement, il faut souligner l’importance de l’intégration dans ce règlement d’un régime de participation du financement public à la restauration des édifices privés : « Le propriétaire du bien culturel immobilier n’appartenant pas à l’Etat qui procède à une restauration ou un entretien peut demander une participation financière publique auprès du service culturel de la municipalité ou du district. Si le propriétaire est dans l’incapacité de procéder à la restauration et si le bien nécessite une sauvegarde immédiate, il incombe au service culturel de prendre en charge les travaux urgents. Si le propriétaire qui a la capacité de procéder à une restauration refuse la restauration de son édifice, le service culturel peut le restaurer d’office, les frais de cette intervention sont à la charge du propriétaire »27.
25Enfin, il faut établir un « dossier de loyauté » pour les entreprises de ventes des biens culturels. La question de la loyauté du marché de l’art a fait l’objet d’une discussion lors de l’examen du projet de règlement sur la protection du bien culturel. Certains experts ont proposé d’ajouter un article pour lutter contre la fraude intentionnelle. Le comité législatif de l’ Assemblée populaire de Shanghai considère que le respect de la règle du marché de l’art est nécessaire pour promouvoir la prospérité de ce marché. C’est ainsi que le règlement a ajouté à l’article 34 un régime de loyauté : « Les entreprises qui exercent une activité d’achat, de vente ou d’enchères des biens culturels, doivent fonctionner en respectant la loi nationale et les règlements de la municipalité de Shanghai. Le service culturel de la municipalité doit établir un système de loyauté pour la gestion des biens culturels, et publier régulièrement une liste sur laquelle figure les entreprises non loyales pendant l’exercice de leur activité patrimoniale »28.
26S’appuyant sur cet article, la municipalité de Shanghai va réformer la procédure de vérification des objets culturels destinés à la vente.
IV – Réflexions
27Comparé à d’autres villes, Shanghai ne fait pas partie des villes qui possèdent une histoire très ancienne et très riche en patrimoine. Cependant, ses édifices historiques à caractère exceptionnel sont très abondants. Ces immeubles incarnent une valeur artistique et scientifique remarquable, reflétant les caractéristiques historiques et culturelles de Shanghai. Ils sont représentatifs du développement industriel ou bien ce sont des sites ayant une valeur historique et culturelle. La pratique montre que, au cours des dernières décennies, le règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels a beaucoup contribué à la protection des édifices exceptionnels sur le plan historique. L’adoption et la mise en application du règlement sur la protection du bien culturel signifient que le gouvernement de Shanghai commence à faire attention à la protection du patrimoine face aux problèmes causés par l’urbanisation. Bien que la législation patrimoniale se soit développée, il existe toujours des problèmes liés à son application.
28Tout d’abord, la question qui doit être résolue est de savoir comment équilibrer la protection du patrimoine et le développement rapide de la ville ? Depuis les années 1990, Shanghai connaît un aménagement de grande envergure dans le centre ville. Les édifices historiques et les structures traditionnelles de la ville sont menacés de disparition. Au cours de la rénovation des secteurs anciens, les constructions ne respectent pas la réglementation concernant les abords des monuments historiques. Les édifices classés sont aujourd’hui des « petites îles isolées » dispersées dans l’océan des bâtiments neufs et modernisés. Tel est le cas pour le Bund à Shanghai.
29Ensuite, c’est la question du financement concernant l’entretien des immeubles protégés, notamment pour les édifices privés. Sachant que le budget public pour la restauration est insuffisant et qu’il n’existe pas de régime pour l’intervention de mécènes, la conservation des monuments historiques est un problème très sérieux. C’est l’exemple de la bibliothèque de Shuyin à Shanghai construite au milieu de la dynastie des Qing29. L’immeuble protégé présente une surface de 2 000 km2 et il est le seul édifice privé classé comme unité de protection d’importance municipale. La ville de Shanghai voulait l’exproprier pour sa conservation, mais l’accord sur le prix n’est toujours fixé entre la ville et les propriétaires qui habitent à l’étranger lesquels ne s’intéressent pas à sa conservation. La ville de Shanghai pour son entretien ne peut financer chaque année que dix milles yuans ce qui est loin d’être suffisant.
30Bien qu’un édifice appartienne à une personne privée, sa beauté appartient au public. On constate qu’un intérêt public est inhérent au patrimoine, par conséquent la participation du financement public est nécessaire pour la conservation du patrimoine. Le règlement sur la protection des biens culturels de 2014 avec son article 22 vient résoudre le conflit entre la propriété privée et l’intervention publique. Qu’advient-il lorsque le propriétaire ne peut assurer l’entretien ? L’Etat doit-il intervenir et de quelle manière ? Ce qu’on pourrait proposer, c’est soit une expropriation par l’Etat, soit un démembrement de la propriété pour financer l’entretien, c’est-à-dire une vente aux enchères juridiques de l’usufruit pour un temps fixé.
31Puis, l’article 43 du règlement sur la protection du bien culturel dispose que « pour l’immeuble qui est à la fois une unité de protection ou un bien culturel enregistré et un édifice historique à caractère exceptionnel, c’est le gouvernement populaire de Shanghai qui désigne en conformité avec la loi ou les règlements patrimoniaux les services pour sa gestion commune »30. Le règlement prévoit une gestion commune par des services concernés et coordonnés par le gouvernement local, cependant, il ne fixe pas de manière précise le partage de compétence. Cela pourrait conduire à une non intervention du service pour raison de la limitation claire du pouvoir. Dans la pratique, il faut aussi prévoir une solution pour le conflit entre l’application du règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers, des édifices historiques exceptionnels et le règlement sur la protection du bien culturel de Shanghai.
32Enfin, il faut penser à un régime de compensation. En 2012, la maison de l’éducateur Shen Baihan31 construite en 1873 est démolie. Cette maison est présente sur la liste du troisième inventaire du patrimoine culturel ; or en réalité, bien avant cette inscription, la maison et son terrain étaient déjà vendus et avaient fait l’objet d’un projet de démolition. D’un point de vue historique, la maison doit être conservée ; du point de vue du contrat signé entre le gouvernement et l’entrepreneur, la démolition est juridiquement justifiée. Il est nécessaire de trouver une solution pour résoudre ce genre de conflit.
33Lors de la signature du contrat d’exploitation ou d’aménagement entre le gouvernement et l’entrepreneur, le patrimoine culturel n’est pas souvent pris en compte. Une fois qu’il a subi un dommage, on pourrait lui accorder une attention particulière. Cependant, le gouvernement n’est pas en droit d’intervenir en raison du contrat signé. Pour mieux protéger les éléments patrimoniaux qui ont disparu, il faut équilibrer la relation entre protection, démolition et vente du terrain. Il faut penser à une notion de protection en urgence pour les édifices non protégés mais qui devraient être protégés. Un régime de compensation est aussi souhaitable. Il faut financer l’entrepreneur pour la protection du patrimoine en cas de non réalisation des travaux qui font l’objet du contrat signé.
34De plus, la difficulté la plus importante à résoudre est l’équilibre entre la protection et l’utilisation. Certains édifices non protégés et qui devraient être protégés font l’objet d’une utilisation en cours. Tel est le cas pour les logements situés dans les secteurs qualifiés. Dans ce cas là, le gouvernement peut les exproprier pour les protéger.
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35En résumé, l’histoire glorieuse de Shanghai enrichit son patrimoine. Les édifices particuliers de la région reflètent les caractéristiques urbaines de Shanghai et de son esprit culturel, ils sont le vecteur de la civilisation shanghaienne, ils font aussi l’objet de protection. Depuis le début des années 1990, le gouvernement municipal de Shanghai se concentre sur la législation patrimoniale et a obtenu quelques résultats. A l’avenir, pour valoriser le charme unique de la ville, le gouvernement de Shanghai doit améliorer la protection du patrimoine en trouvant un équilibre avec son développement économique.
Notes de bas de page
1 La dynastie Xia est la première selon l’historiographie chinoise. Elle trouve sa source notamment dans les œuvres classiques telles que des documents connus du temps de Confucius. Cependant, aucune preuve archéologique ne confirme son existence. La dynastie Shang est la deuxième dynastie royale chinoise datant environs de 1570 à 1045 av. J.-C. Les découvertes d’inscription sur des os et des écailles de tortue en 1903 confirment l’existence de ce royaume antique.
2 La culture de Majiabang était une culture néolithique chinoise qui existait à l’embouchure de la rivière Yangtze, près de Shanghai. La diffusion de cette culture remonte à 5000 av. J.-C. à 3300 av. J.-C.
3 La culture de Songze était une culturel néolithique matriarcale qui existait entre 3800-3300 av. J.-C. dans la région du lac Tai, près de Shanghai.
4 La culture de Liangzhu datant de 3300-2000 av. J.-C. est la dernière culture néolithique du jade dans le delta du Yangzi de l’est jusqu’à Shanghai.
5 La culture de Maqiao (1200-1900 av. J.-C.) a été découverte dans le village de Maqiao à Shanghai en 1959. Selon les découvertes archéologiques, cette culture possédait déjà les caractéristiques de l’âge d’or.
6 La dynastie des Ming est une monarchie qui a régné sur le Chine de 1368 à 1644 après la chute de l’Empire mongol. Elle est la dernière dynastie chinoise dominée par les Han.
7 L’empereur Kangxi de la dynastie des Qing (1654-1722) eut le règne le plus long de l’histoire de la Chine, de 1661 à 1722, soit 61 ans.
8 Une notion qui très proche de celle des monuments historiques français. Selon l’article 13 de la loi sur la protection du bien culturel, les biens culturels immobiliers ayant un intérêt historique, culturel, artistique ou scientifique, selon leur valeur, moins ou grande, peuvent être classés comme des unités de protection d’importance nationale, provinciale ou municipale ou seulement enregistrés et promulgués par le service culturel.
9 Proclamé le 18 avril 1927 par Kuomingdang dominé par Chiang Kai-Shek, il a été le gouvernement central de la République de Chine jusqu’au 23 avril 1949.
10 Publié le 5 décembre 1991 et mis en application le 1er janvier 1992. http://www.chinalawedu.com/news/1200/22598/22617/22843/22851/2006/4/di34241263812460025754-0.htm
11 Devenant aujourd’hui le bureau de garantie et de gestion du logement de Shanghai.
12 Actuellement sous l’appellation de bureau de l’aménagement et de ressources territoriales de Shanghai.
13 Article 4 du règlement sur la protection des édifices modernes exceptionnels.
14 Une cinquième liste est en cours de préparation depuis octobre 2013.
15 Adopté par le comité permanant de l’Assemblée populaire locale de Shanghai, le 25 mai 2002 et modifié le 17 septembre 2010 : http://fgk.chinalaw.gov.cn/article/dffg/201009/20100900336950.shtml.
16 Par exemple, le district de Fengjing de la commune de Jinshan, le district de Zhujiajiao de la commune de Qingpu et le district de Xinchang de la Commune de Pudong.
17 www.shgtj.gov.cn
18 Adopté par le comité permanent de l’Assemblée populaire de Shanghai le 9 juin 2014, http://law.lawtime.cn/d704769709863.html
19 Article 9 du règlement sur la protection des secteurs historiques, culturels et paysagers et des édifices historiques exceptionnels de Shanghai.
20 Article 14 du règlement, http://law.lawtime.cn/d704769709863_l_p3.html.
21 Article 15du règlement, op.cit.
22 Article 16 du règlement, op.cit.
23 Article 26 de la loi sur la protection du bien culturel dispose que « le principe de tenir les biens culturels immobiliers dans leur état d’origine sera préservé dans leur utilisation et les utilisateurs seront responsables de leur sécurité et de celle de biens attachés. Les utilisateurs s’occupent de ce qu’ils ne soient pas endommagés, reconstruits, démontés ou ajoutés d’un complément ».
24 Article 19 du règlement, op.cit., http://law.lawtime.cn/d704769709863_l_p4.html
25 Il se situe dans la rue Wantz, dans l’ancienne concession française de Shanghai. Le premier congrès a eu lieu durant le mois de juillet en 1921.
26 C’est un bâtiment néobaroque de six étages situé au n° 2 du Bund. Il est classé comme un édifice historique exceptionnel en 1989, et aujourd’hui utilisé pour partie par l’hôtel Waldorf-Astoria à Shanghai.
27 Article 22 du règlement, http://law.lawtime.cn/d704769709863_l_p5.html.
28 http://law.lawtime.cn/d704769709863_l_p7.html
29 Dynastie des Qing, d’origine mandchoue, régna sur la Chine de 1644 à 1912.
30 http://law.lawtime.cn/d704769709863_l_p8.html
31 De 1884 à 1953.
Auteur
Professeur à East China University of Political Science and Law
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