L’archéologie préventive, un obstacle pour la protection du patrimoine en Chine ?
p. 149-161
Texte intégral
1Depuis la réforme économique initiée en 1978, la Chine connaît une multiplication des grands travaux d’aménagement du territoire et de constructions. Cette situation a des incidences dans le domaine archéologique ; les fouilles préventives sont devenues plus nombreuses que celles d’archéologie programmées. Aujourd’hui, plus de 80 % des activités archéologiques sont préventives1. Elles constituent un pilier important de l’archéologie chinoise.
2La notion d’archéologie préventive n’est cependant pas correcte. On ne la trouve pas dans les textes juridiques chinois. On emploie l’expression « d’archéologie liée à la construction de base »2 qui est précisée par la loi sur la protection des biens culturels de 2002 : « L’entreprise de construction avant de réaliser des travaux de construction de grande ampleur, fait une demande au service de l’archéologie attachée au bureau du patrimoine culturel provincial pour qu’elle mène la détection et des fouilles archéologiques sur la zone contenant probablement des objets d’archéologie situés dans le chantier »3.
3Cette définition de l’archéologie liée à la construction de base est proche de celle de l’archéologie préventive française prévue à l’article L 521-1 du Code du patrimoine4. Pour cette raison, dans la loi chinoise de 2001 ces deux notions se mêlent parfois sans avoir une distinction très précise.
4 L’archéologie préventive est une mesure nécessaire pour la préservation de la ressource souterraine dans l’aménagement du territoire. Sans elle, le « patrimoine invisible »5 ne serait pas mis à jour. Cependant, le développement économique que la Chine a connu depuis la fin des années 1970 a provoqué une forte expansion urbaine. Les biens archéologiques sont en danger face à l’urbanisation et à la modernisation. L’aménagement du territoire est une cause importante de détérioration du patrimoine archéologique en Chine. Les fouilles préventives doivent constituer un instrument efficace pour faire face à la menace qui pèse sur les biens découverts. L’archéologie préventive le pourrait-elle en Chine ? Elle intéresse la relation entre développement économique et protection du patrimoine.
5Moins sur le terrain archéologique que sur celui du droit, la solution doit être recherchée dans les dispositifs des textes normatifs et dans leur mise en œuvre. Pour évoquer cette possibilité, le cadre juridique de l’archéologie préventive chinoise doit être présenté avant d’envisager les ambiguïtés ou les limites offertes par la loi sur la protection des biens culturels. Nous proposerons enfin de possibles réformes futures.
I – Le cadre législatif et réglementaire : l’attention portée au patrimoine archéologique par le gouvernement
6Après la proclamation de la République populaire de Chine en 1949, la Chine a appliqué le plan quinquennal pour réaliser son développement économique. Dès l’application du premier plan quinquennal en 1953, de grands travaux d’aménagement du territoire et de constructions urbaines sont réalisés. Des tombeaux et des vestiges sont découverts et des biens archéologiques sont mis à jour. La relation entre la construction de base et la protection du patrimoine archéologique a été établie et développée par le directeur du bureau national du patrimoine culturel. La notion d’« archéologie liée à la construction de base » est apparue dans plusieurs de ses discours6. Cette idée fut reprise par des textes juridiques tant au niveau central que local.
A – La législation nationale relative à l’archéologie préventive
7Adopté en novembre 1960 à la 105e réunion plénière du conseil des affaires d’Etat et publié le 4 mars 1961, le règlement provisoire de la protection des biens culturels7 reconnaît pour la première fois l’existence de l’archéologie préventive (article 8) : « Avant les grands travaux industriels, agricoles, hydrauliques, de communication, de défense et d’urbanisme, il faut procéder à une fouille archéologique et protéger les biens mis à jour par cette fouille ».
8Puis la loi sur la protection des biens culturels adoptée en 19828, modifiée profondément en 2002, a retenu le principe de l’archéologie préventive selon la définition retenue par l’article 29 de la loi sur la protection des biens culturels de 2002. Non seulement la loi donne un statut législatif à l’activité de fouilles préventives, mais également elle en élargit le champ d’intervention qui ne se limite plus aux travaux énumérés par le règlement provisoire. Désormais, l’archéologie préventive devient une activité générale avant la réalisation d’une construction de grande envergure, une protection renforcée par le gouvernement central au profit des éléments découverts.
9Afin d’assurer les missions d’archéologie préventive, un régime de financement est aussi prévu par le règlement provisoire et la loi : « Les dépenses nécessaires au diagnostic archéologique, à la prospection, ou aux fouilles réalisée dans le cadre de travaux d’aménagement ou de construction pour des buts productifs, sont inclues dans le budget des travaux de l’entreprise de construction »9.
10Après l’adoption de la loi en 1982 et sa modification en 2002, les décrets d’application sont édictés par le gouvernement. En 1992, le bureau national du patrimoine culturel a publié le décret d’application de la loi de 1982 et en 2003, le règlement d’application de la loi de 2002 est adopté par le conseil des affaires d’Etat. Un avis sur le renforcement de l’archéologie liée à la construction de base vient compléter le règlement d’application. Il clarifie les relations entre les travaux et la protection du patrimoine.
11Enfin, il faut souligner le lien entre le patrimoine et la loi d’urbanisme. En Chine comme en France, les règles d’urbanisme font du patrimoine culturel un enjeu de l’aménagement. Toutefois l’archéologie n’y est présente que de manière très discrète. Aux termes de la loi sur l’urbanisme pour les villes et les campagnes de 2007, les éléments du patrimoine culturel historique, des structures traditionnelles de ville et des sites naturels doivent être pris en compte par la planification en les intégrant dans le schéma directeur10. Les éléments archéologiques ne font pas partie de la planification à part entière, ils sont uniquement pris en compte dans le cadre de la planification pour le patrimoine culturel ou naturel en général.
B – Les règlements locaux pour l’archéologie préventive
12Selon la loi organique sur les Assemblés populaires nationale et locales11, les Assemblées provinciales populaires peuvent adopter des règlements avec la ratification de leur comité permanent12. Depuis l’adoption de la loi sur la protection des biens culturels, les collectivités territoriales adoptent, les unes après les autres, à leur tour, leur règlement sur la protection des biens culturels.
13Pour les 31 provinces, régions automnes et municipalités directement attachées au gouvernement central13, les règlements peuvent être classés en trois catégories. Pour la province du Sichuan, c’est la loi sur la protection des biens culturels ; pour les provinces du Zhejiang, Fujian, Guizhou, Heilongjiang, Hunan, Shandong, Shanxi, pour les régions autonomes du Zhuang, du Tibet et de la Mongolie intérieure et pour la municipalité de Tianjin, c"est le règlement d’application de la loi sur la protection du patrimoine culturel ; enfin pour les autres provinces, régions ou municipalités, il s’agit du règlement concernant l’application de la loi sur la protection des biens culturels. A partir de l’analyse des dates d’adoption de ces règlements locaux, on perçoit que ces règlements sont à jour de la révision de la loi en 2002, excepté celui de la province du Liaoning qui date de 1986.
14Les règlements locaux ont suivi la loi sur la protection des biens culturels. Ils retiennent les principales dispositions législatives concernant l’archéologie. Ces règlements accordent une grande importance à l’archéologie préventive au niveau provincial, ils constituent un socle important pour l’archéologie préventive et la protection des éléments découverts. Cependant, comme ces règlements ont été adoptés en se référant à la loi, certaines limites sont aussi retenues. Cela posera dans l’avenir des difficultés pour les actions archéologiques préventives.
II – Une application difficile en raison des ambiguïtés des dispositifs juridiques
15La fouille archéologique préventive est un moyen d’éviter la destruction de vestiges culturels par les travaux de construction. Soucieux de la disparition des éléments archéologiques, les législateurs ont bien instauré un régime qui leur est propre. En réalité la protection du patrimoine archéologique présente un grand problème, les vestiges archéologiques sont menacés de disparition, cela est dû aux limites du régime de l’archéologie préventive. Ces limites tiennent à des difficultés d’interprétation liées aux fouilles, à leur financement et au nombre des archéologues compétents.
A – L’interprétation difficile de la notion de « travaux de grande ampleur »
16La sauvegarde du patrimoine archéologique en Chine est dans une situation inquiétante. Ce n’est pas tant en raison de l’absence de réglementation que de la difficile compréhension de la notion de « travaux de grande ampleur ».
17L’article 29 de la loi sur la protection des biens culturels précise que l’entreprise de construction avant la réalisation des travaux de construction de grande ampleur doit faire une demande à l’institution de l’archéologie attachée au bureau du patrimoine culturel provincial pour qu’elle mène une opération de détection et de fouilles sur la zone du chantier qui pourrait contenir des éléments archéologiques.
18A quoi correspond la notion de « travaux de grande ampleur » ? La loi sur la protection des biens culturels ne donne pas de définition. Les règlements d’application et les autres textes réglementaires ne la précisent pas non plus. Elle est donc difficile à saisir. Est-ce que cette notion dépend de la taille des travaux ou des investissements financiers ou de la surface des travaux ? Sans une interprétation unifiée de cette notion de « travaux de grande ampleur » et hormis quelques projets publics extrêmement importants, la plupart des travaux ne sont pas précédés par une fouille préventive. Ainsi les fouilles ont lieu après les travaux et elles ne permettent que des découvertes fortuites14. De plus, la loi n’oblige pas les « petits ou moyens » travaux à réaliser des fouilles préventives. Les constructeurs sont exemptés d’une demande de fouille auprès des institutions archéologiques locales. Sans une telle intervention nécessaire, les biens souterrains pourraient être détruits sauf le cas d’une importante découverte fortuite au cours de ces travaux. L’archéologie préventive devient une archéologie de découverte fortuite du fait de l’ambiguïté de la loi. C’est ainsi qu’en 2013, lors de la publication de la liste de dix importantes découvertes archéologiques de l’année, on s’aperçoit que seulement trois d’entre elles sont des fouilles programmées. Les sept autres sont des fouilles préventives après des découvertes fortuites15.
19Il faut aussi souligner que selon l’article 29 de la loi sur la protection des biens culturels, la notion de « travaux de grande envergure » doit être interprétée en relation avec la notion de la « zone contenant probablement des éléments archéologiques ». La loi semble exclure la possibilité d’une application aux chantiers de travaux de « petite ou moyenne » taille où il existe une zone souterraine qui contient des éléments archéologiques. S’il existe une « zone contenant probablement des éléments archéologiques » sur un chantier de « travaux de grande envergure », peut-on l’entendre comme une zone ne contenant pas des éléments archéologiques ? Comme la « zone contenant probablement des éléments archéologiques » est limitée par le service archéologique, en pratique les opérateurs de mission archéologique sont, après le début des fouilles, souvent interdits d’accès au chantier sous prétexte que la zone sans éléments archéologiques a été déterminée préalablement par la société de construction16.
20Enfin, la notion de « travaux de grande ampleur » reprise par différents textes locaux ne permet pas de l’appréhender correctement et des pratiques différentes existent. Sachant que les textes locaux ont repris la loi, ils ne définissent pas les « travaux de grande ampleur ». Tel est le cas pour la méthode d’application de la loi sur la protection du bien culturel de la province de l’Anhui. Ainsi la société de construction après avoir délimité un périmètre pour les « travaux de construction de base de taille moyenne ou grande » ou pour les travaux situés sur une zone contenant des éléments archéologiques, elle doit demander au service culturel local de procéder à une détection et à une fouille archéologique dans la « zone contenant probablement des éléments archéologiques » située dans le chantier17. Certains règlements locaux quant à eux essayent d’encadrer cette notion. Tel le cas pour la méthode d’application de la loi sur la protection du bien culturel par la municipalité de Pékin. Ce texte définit les constructions de grande ampleur comme celles de plus de 10 000 m2 à condition que les travaux soient effectués dans les zones historiques18, c’est-à-dire dans les vieux quartiers de la ville métropolitaine. Pour les autres zones, telles que les zones rurales, la notion de « construction de grande ampleur » devient plus floue. Faut-il considérer que les travaux ne puissent jamais être réalisés dans ces zones isolées ou bien que ces zones ne possèdent pas de vestiges archéologiques ? Il semble qu’il existe une différence d’appréciation des autorités locales à l’égard de la notion de « construction de grande ampleur ».
B – Une difficulté liée au financement
21Contrairement à la législation française qui prévoit deux modes de financement pour l’archéologie préventive, la législation chinoise ne prévoit que le mécanisme du prix des fouilles. Ce prix est une rémunération versée par la société de construction ou l’aménageur et elle est perçue par l’opérateur en contrepartie des fouilles qu’il réalise19. Cependant, l’archéologie préventive traverse actuellement une crise liée au financement.
22En principe, le prix des fouilles est calculé selon une méthode fondée sur le budget du financement de détections des fouilles archéologiques20. C’est le service de la culture qui le perçoit. En réalité, les institutions archéologiques procédant aux fouilles sur le chantier perçoivent souvent ce prix. Il est totalement destiné aux activités archéologiques et à la protection du patrimoine. Il ne peut être utilisé à d’autres fins notamment commerciales. En réalité, bien que le règlement d’application demande aux sociétés de construction ou aux aménageurs de ne pas gêner les activités archéologiques, on constate qu’il est souvent difficile de percevoir correctement le prix des fouilles. Les institutions archéologiques ne disposent pas de pouvoirs de police administrative. Elles ne peuvent pas prendre des mesures obligatoires et nécessaires pour que les sociétés de construction paient le prix des fouilles. Pour collecter ce prix, les institutions archéologiques se livrent à des « marchandages » avec les aménageurs21. Une obligation de paiement devient une négociation commerciale.
23De plus, aux termes de la loi, les frais pour la localisation des matériaux, les frais d’intervention, les frais pour la participation des personnels de l’institut archéologique sont complètement à la charge de la société de construction à compter du premier jour des fouilles jusqu’à leur réalisation22. Bien que la méthode concernant le budget de financement des détections et des fouilles archéologiques prévoit de manière précise la fixation du budget, elle ne fixe pas le mode de calcul. Dans la pratique, la société de construction utilise souvent sa propre méthode de calcul pour fixer le prix en fonction du volume des travaux23. Cependant, le prix des fouilles dépend du temps de la réalisation des fouilles, de la surface à découvrir, des qualités et des quantités des éléments archéologiques ainsi que de facteurs imprévus. Par conséquent, ce mode de financement ne permet pas actuellement de couvrir le coût des opérations préventives.
C – L’insuffisance des personnels
24L’article 20 du règlement d’application de la loi sur la protection des biens culturels dispose que « Les instituts archéologiques pour demander le certificat délivré par le bureau national du patrimoine culturel, doivent avoir les qualités suivantes :
25Avoir plus de quatre personnes ayant obtenu le certificat délivré par le bureau national du patrimoine culturel ;
26Posséder des personnels qualifiés en matière de patrimoine culturel et de science naturelle ;
27Posséder des personnels compétents pour gérer la sécurité du patrimoine culturel ;
28Avoir des matériaux pour la réalisation des fouilles ;
29Posséder des matériaux et un entrepôt pour la conservation de biens mis à jour ;
30Et satisfaire aux conditions légales prévues par la loi et les règlements ».
31Actuellement, les instituts archéologiques en Chine sont principalement l’Institut national de l’archéologie de l’Académie des sciences sociales, le musée national, onze Universités reconnues par le ministère de l’Education ainsi que les instituts archéologiques régionaux. Ils sont peu nombreux en raison du niveau de qualification requis. Les chefs qui dirigent des fouilles, spécialisées en archéologie et avec une expérience de cinq à sept ans, sont moins de sept cents personnes et leur âge moyen est supérieur à soixante-dix ans. En outre, ces personnes et ces instituts qualifiés sont incapables d’intervenir sur les chantiers des travaux d’infrastructure en cours. Le manque de personnes compétentes a sérieusement limité le développement durable des activités archéologiques.
32L’archéologie préventive se heurte aux imprécisions de la législation. Outre ce problème, le non-respect des règles juridiques constitue une autre cause principale.
III – Une archéologie préventive difficile en raison du non-respect de la loi
33Le non-respect des dispositions relatives à l’archéologie préventive tient à plusieurs raisons. L’exemple de cas concrets permet tout d’abord de l’illustrer.
A – Des cas concrets
34On peut citer quelques exemples à Pékin pour faire état de la situation inquiétante de l’archéologie préventive chinoise. La ville de Pékin possède une histoire de plus de huit cents ans. Elle est riche du point de vue du patrimoine archéologique mais les pillages et la construction des autoroutes et des métros menacent de plus en plus son patrimoine archéologique. De 2003 à 2007, seulement 410 travaux ont procédé à des fouilles préventives. Entre 2007 et 2008, parmi les 4191 nouveaux projets de construction, seulement 97 ont effectué des fouilles préventives, ainsi 98 % des travaux sont réalisés sans archéologie préventive24.
35Lors de la construction de la station du Palais d’été pour la ligne 4 du métro à Pékin en 2008, un chemin impérial de la dynastie des Qing a été découvert. Au lieu de demander une fouille archéologique, l’entreprise de construction l’a complètement démoli. On retrouve la même situation pour la construction du terminal 3 de l’aéroport international de Pékin. Une stèle ancienne a été découverte pendant les travaux ; la société de construction n’a pas informé le bureau local de la culture. Elle a même empêché la police du patrimoine d’intervenir. En réalité, le chantier a été réalisé sur les cimetières de nobles remontant aux dynasties des Ming et Qing25.
36L’archéologie préventive connaît des difficultés liées au non-respect de la loi. Trois explications peuvent être proposées.
B – Les raisons du non-respect de la loi
37En premier lieu, c’est le manque de conscience patrimoniale de la part de la population. En réalité, ce sont les ouvriers et les habitants qui sont ignorants de la protection du patrimoine culturel. Car les ouvriers sont d’anciens paysans et les habitants ont peu de connaissance sur la loi patrimoniale. Au lieu de déclarer la découverte, ils s’emparent le plus souvent des biens mis à jour. En 2004, lors de grands travaux réalisés à Xi’an, les sociétés de constructions ont fait une découverte fortuite. Avant l’intervention du service culturel de la ville, la plupart des biens découverts ont été ramassés et conservés par les ouvriers et les habitants du quartier26. Pourtant la loi sur la protection du bien culturel fixe le principe selon lequel tous les biens culturels souterrains ou situés dans les eaux intérieures ou les mers territoriales appartiennent à l’Etat27. Toutes les sociétés et les individus qui découvrent des biens sur un chantier de construction ou de production agricole doivent conserver le lieu intact et informer immédiatement le département administratif local des biens culturels28. Cependant, on ne peut sanctionner ces actes illégaux d’appropriation de biens relevant de la propriété de l’Etat car il est difficile d’identifier les détendeurs non légaux.
38En deuxième lieu, c’est le non-paiement du prix des fouilles qui constitue une cause réelle du faible développement de l’archéologie préventive. Selon la loi, les frais d’intervention des fouilles archéologiques sont à la charge de la société de construction. Faute d’avoir prévu un régime de compensation pour ces frais importants et pour le retard des travaux, la société de construction accepte difficilement ce paiement obligatoire. Tel est le cas à Nanchang, chef-lieu de la province du Jiangxi. Depuis 2001, la municipalité a lancé le projet de rénovation et d’urbanisation de la ville. Lors de la construction d’une zone de développement économique, trois grands tombeaux datant de l’époque de Jin (1153-1234) ont été découverts. La société de construction a informé l’institution archéologique locale de cette découverte, mais après avoir été avertie que les frais de fouilles restaient à sa charge, elle a démoli immédiatement les tombeaux pour entamer les travaux de construction29.
39Enfin, la faiblesse des amendes constitue une autre cause. Dans la plupart des cas, les dommages causés au site archéologique liés à la non réalisation d’une fouille archéologique font l’objet d’une sanction administrative dont le montant le plus élevé est de 50 000 yuans (soit 7 000 euros environ). Ce montant est insignifiant par rapport au coût de construction de plusieurs millions de yuans, au coût du profit économique et au coût de la majoration si les travaux ne peuvent être réalisés dans les délais fixés par le contrat. Par conséquent, la société de construction préfère payer l’amende plutôt que demander l’intervention des opérateurs archéologiques.
40Il existe bien un écart entre l’idéal et la réalité, entre les dispositifs et leur application. A partir de ce constat, on pourrait proposer certaines solutions pour améliorer le régime de l’archéologie préventive et la protection du patrimoine archéologique.
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Conclusion : des propositions souhaitables
41Tout d’abord, il faut proposer une réforme de l’article 29 de la loi sur la protection des biens culturels, pour que les fouilles interviennent bien avant les travaux et non l’inverse. Il faudrait établir une carte archéologique. Tous les travaux situés sur une zone déterminée par cette carte devraient être précédés par des fouilles archéologiques. Peu importe la taille de ces travaux. Pour les travaux en dehors de la zone délimitée par la carte, il ne faut pas retenir la notion de « construction de grande ampleur » pour que les fouilles soient obligatoires. L’obligation d’intervention archéologique doit se fonder sur la taille des travaux. Puisque des règlements locaux ont prévu une archéologie préventive obligatoire pour les travaux d’une surface de plus de 10 000 m2 dans le centre-ville, on pourrait donner un statut législatif à ce principe et prévoir une délimitation pour les zones rurales afin que l’intervention archéologique préventive soit unifiée.
42Ensuite, en Chine, le permis de construire est délivré par le service d’urbanisme, même pour les travaux faisant l’objet d’une intervention archéologique. Il n’existe pas d’obligation pour que les documents relatifs à la demande de permis de construire contiennent des études préalables pour les fouilles. Le projet de leur réalisation, par conséquent, n’est pas connu du service culturel. Il faudrait que les documents de demande de permis de construire comprennent des dossiers liés aux fouilles archéologiques pour que le service culturel puisse procéder correctement à des fouilles et protéger le patrimoine.
43Il faut aussi renforcer le pouvoir de police et de contrôle du service de la culture. Bien que le service culturel puisse prononcer des sanctions administratives telles que la suspension des travaux, il ne peut pas recourir à des actions exécutoires pour que la société de construction respecte la sanction. La loi ne lui reconnaît pas le droit d’agir en justice pour demander une procédure exécutoire. Pour mieux protéger le patrimoine, il faut lui reconnaître ce droit. Il faut aussi renforcer les moyens de contrôle pour que la situation du terminal 3 de Pékin ne se reproduise pas.
44Enfin, il faut équilibrer l’archéologie préventive et la construction de base. La raison pour laquelle l’archéologie préventive ne peut se réaliser est que cette dernière est coûteuse et ne peut être finie dans des délais appropriés. Ce délai approprié devient la clef. C’est ainsi que le règlement sur la gestion des biens souterrains de Pékin datant de janvier 2014 prévoit une possibilité de réaliser les fouilles archéologiques dans un délai de deux mois. Les travaux ne pourront pas alors être retardés par une courte intervention archéologique. De plus, pour les grandes découvertes, l’Etat doit donner une contrepartie adéquate pour compenser le retard des travaux dû à cette découverte importante.
45Ces propositions sont peut-être minimes aux yeux des praticiens, mais on espère qu’elles permettront l’amélioration de l’archéologie préventive et qu’elles feront de cette dernière un véritable moyen de protection des biens archéologiques.
Notes de bas de page
1 YANG Xuemei, La Conférence sur les travaux archéologiques menées sur le territoire chinois, http://culture.people.com.cn/GB/87423/17600710.html, consulté le 13 novembre 2014.
2 La construction de base se réfère à la notion soviétique de construction capitale pour désigner l’aménagement du territoire, surtout l’urbanisme et les transports. Elle occupe une place très importante dans l’économie planifiée en Chine. Elle est adoptée par le conseil des affaires politiques le 12 octobre 1953. Recueil des lois et règlements sur la protection des biens culturels 1949-2009, op. cit., p. 11-12.
3 Article 29 de La loi sur la protection du bien culturel de 2002.
4 Article L521-1 du Code du Patrimoine : « l’archéologie préventive, qui relève de missions de service public, est partie intégrante de l’archéologie. Elle est régie par les principes applicables à toute recherche scientifique. Elle a pour objet d’assurer, à terre et sous les eaux, dans les délais appropriés, la détection, la conservation ou la sauvegarde par l’étude scientifique des éléments du patrimoine archéologique affectés ou susceptibles d’être affectés par les travaux publics ou privés concourant à l’aménagement. Elle a également pour objet l’interprétation et la diffusion des résultats obtenus ».
5 Dominique AUDRERIE, Notion du patrimoine, Paris, 1997, p. 97.
6 Zhenduo ZHENG, (directeur du bureau national du patrimoine culturel de 1949 à 1951), « L’enjeu de la protection du patrimoine dans les constructions de base », Journal scientifique, 1954, p. 9.
7 Recueil des lois et règlements sur la protection du patrimoine culturel en Chine 1949-2009, op. cit., p. 30-32.
8 Article 14 de la loi sur la protection du bien culturel de 1982.
9 Article 31 de la loi, op. cit. Article 9 du règlement de 1961 qui dispose que « les enquêtes, les fouilles, les démantèlements ou les transferts de biens culturels en relation avec des constructions, doivent être intégrés dans le plan de construction ; les financements et la main-d’œuvre font l’objet d’une prévision budgétaire dans le plan de travail établi par le service de construction ».
10 Article 4 de la loi sur l’urbanisme pour les villes et les campagnes.
11 Adoptée par l’Assemblée nationale populaire à la 2e réunion le 1er juillet 1979 et modifiée le 27 octobre 2004. http://www.gov.cn/flfg/2005-06/21/content_8297.htm, consulté le 10 février 2015.
12 Article 43 de la loi, op. cit.
13 En Chine continentale, selon la division territoriale administrative, on dénombre 22 provinces et régions autonomes et 4 municipalités rattachées directement au gouvernement central.
14 Jinle HAI, « L’archéologie préventive, un long chemin à parvenir », Journal du bien culturel, 22 juin 2012, p. 3.
15 Hang LU et Mengxia YU, « La liste des dix grandes importantes découvertes archéologiques de 2013 », Journal des Académies de science sociale, 11 avril 2014, p. 1.
16 Lianbao XIA, « Les difficultés connues par l’archéologie préventive », L’histoire et la Culture de Pékin, Vol. 1er, Edit Ynashan de Pékin, Pékin, 2009, p. 454.
17 Article 21 de la méthode de la province de l’Anhui.
18 Article 20 de la méthode de la municipalité de Pékin.
19 Yuhua TAN, « L’expérience de l’archéologie préventive française », Enseignement de l’histoire, 2013, n° 18, p. 49.
20 Adopté par le Bbureau national du patrimoine culturel en 1990.
21 Lianbao XIA, op. cit. p. 455.
22 Article 31 de la loi sur la protection du bien culturel.
23 Lianbao XIA, op. cit. p. 455.
24 Tianlu LU, « La protection des espaces souterraines : il faut fouiller avant la construction », Journal de la Culture, 25 mai 2011, p. 3.
25 Xiaohong CHEN, « 98 % des travaux de construction ne sont pas précédés de fouilles préventives à Pékin », Journal Pékin nouvelle, 17 décembre 2009, p. 3.
26 Pin WANG, « On n’accorde pas une attention particulière à l’archéologie préventive », Journal du soir de Xi’an, 12 août 2004.
27 Article 5 de la loi de 2002.
28 Article 32 de la loi, op. cit.
29 La loi sur la protection du bien culturel et les arrêts concernés, Pékin, Edit. Culture, 2003, p. 117-121.
Auteur
Chercheur à East China University of Political Science and Law
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