Limites et enjeux de l’archéologie préventive : le cas de l’abbaye Saint-Geraud d’Aurillac
p. 117-129
Texte intégral
1Sans projet d’aménagement du territoire, beaucoup de découvertes archéologiques ne verraient probablement jamais le jour. Il y a fort à parier qu’il en serait ainsi des vestiges de l’abbaye bénédictine de Saint-Géraud d’Aurillac retrouvés à l’occasion de la fouille préventive débutée à l’automne 2013. Répondant à une volonté de la municipalité de redynamiser le quartier historique de la ville, l’aménageur Logisens (établissement public à caractère industriel et commercial EPIC) a proposé la construction d’un ensemble immobilier dénommé « îlot Saint-Géraud ». Il se situe au sud de l’église abbatiale, classée monument historique en 1920 et 1942.
2Ce projet se situe au cœur de la vieille ville, celle-ci s’étant développée autour du monastère bénédictin fondé vers 895 par Géraud, membre de l’aristocratie méridionale carolingienne. Dès le siècle suivant, le rayonnement de cette abbaye s’étendait bien au-delà de l’Auvergne et même du royaume de France. Elle disposait d’une école qui forma notamment le jeune Gerbert, qui poursuivit ses études en Catalogne avant de devenir le premier pape français entre 999 et 1003 sous le nom de Sylvestre II. Il témoigna de la qualité de l’enseignement dispensé au monastère Saint-Géraud par son maître, Raymond de Lavaur1.
3Créée un peu plus d’un siècle après l’abbaye d’Aniane et quinze ans avant celle de Cluny, l’abbaye d’Aurillac participe au renouveau du monachisme occidental. Cette découverte s’intègre donc dans un contexte historique particulièrement riche. Le choix du site lui-même peut alors être discuté, même si l’on considère qu’il est dans une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP)2 qui entraîne la protection mais aussi la mise en valeur de certains quartiers. C’est ce dernier point qui a motivé le projet d’aménagement de ce secteur avec l’accord de l’architecte des bâtiments de France.
4La procédure d’archéologie préventive est encadrée principalement par le titre 2 du livre V du Code du patrimoine qui reprend la loi du 17 janvier 2001 modifiée par la loi du 1er août 20033. Ce cadre législatif représente un indéniable progrès quand on regarde les destructions de vestiges archéologiques mis au jour fortuitement lors du grand mouvement d’aménagement du territoire des années 1960-1980. La législation sur l’archéologie préventive est le résultat de l’intégration de règlementations issues du droit de l’urbanisme et de l’environnement, et de la mise en œuvre des prescriptions de la convention de Malte de 1992.
5Malgré les avancées, cette procédure conserve certaines lacunes perceptibles dès la phase de diagnostic. Dans le cas précis de Saint-Géraud, peu de vestiges avaient été trouvés à ce stade. Pour autant, une fouille préventive a bien été prescrite, l’emplacement choisi pour le projet, au sud de l’église abbatiale médiévale, ne pouvant que révéler des traces de cette occupation religieuse. Mais l’état de conservation des vestiges et l’ampleur de la découverte demeuraient imprévisibles, surtout si l’on se réfère aux sources historiques4. Celles-ci insistent en effet sur l’extrême état de dégradation du monastère dès la fin de l’époque médiévale5.
6Ajoutons que les conséquences de la découverte ne sont pas moins intéressantes. D’aucuns y voient un atout touristique majeur pour la ville qu’il serait donc nécessaire de valoriser. De là naît un épineux problème. L’archéologie préventive a pour but de libérer un terrain pour un aménageur qui a payé son dû à la science en finançant la campagne de fouille. Il n’est donc en théorie pas prévu de valoriser les découvertes sur site.
7Les fouilles archéologiques de l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac représentent donc un cas d’étude particulier. S’il permet tout d’abord de mettre en évidence les limites de l’archéologie préventive en milieu urbain, il donne également lieu à une réflexion sur ses enjeux. Ceux-ci sont multiples : scientifiques bien entendu mais aussi économiques, culturels et touristiques. Le devenir des découvertes est un sujet particulièrement sensible car le sort des vestiges a soulevé un réel enthousiasme populaire.
8L’intérêt de la découverte est inhérent à son contexte qu’il faut donc tout d’abord rappeler avant de s’attacher à la présentation du déroulement de la procédure d’archéologie préventive. Quelques résultats de la fouille montreront le décalage entre le rapport de diagnostic et la réalité des vestiges conservés.
I – Un projet immobilier au sein d’un espace historique unique : le monastère Saint-Géraud d’Aurillac
9En l’état des connaissances actuelles, l’histoire de la ville d’Aurillac est intimement liée au monastère fondé par un laïc, Géraud, à la fin du IXe siècle. La principale source écrite concernant les origines de cette abbaye demeure encore aujourd’hui la Vita sancti Geraldi composée par Odon de Cluny6 qui fait de cet établissement ecclésiastique le point de départ du développement de la ville d’Aurillac. Ce dernier, qui fut le troisième abbé d’Aurillac, est davantage connu pour son œuvre réformatrice de l’abbaye de Cluny, dont il sera élu abbé en 927. La nature hagiographique de ce récit a nécessairement fait douter de sa fiabilité. Les études récentes tendent à prouver que, si l’on peut se fier en grande partie à ce texte pour connaître la vie de Géraud, il faut rester plus méfiant pour ce qui concerne la fondation de son monastère7. À ce document fondamental s’ajoute en effet quelques sources diplomatiques qui semblent remettre en question certains points de la Vita8.
10Il semble que le monastère ait été fondé par Géraud, aux alentours de 895 et érigé « à proximité de l’église Saint-Clément » construite par son père9. Signalons qu’avant cette époque l’histoire d’Aurillac demeure très mal connue. Or, les récentes découvertes archéologiques devraient permettre de lever quelque peu le voile toujours posé sur la vie du site avant la construction de l’abbaye.
11D’après les Gesta abbatum aureliacensium10, un premier cloître aurait été construit en bois, la pratique étant restée courante jusqu’au début du XIIe siècle. Les bâtiments conventuels sont alors érigés en maçonnerie de pierre et de mortier. Cet ensemble subira de graves dégradations lors du soulèvement des Aurillacois contre leur seigneur, abbé du monastère, en 123311. Ces évènements causèrent également la destruction partielle des archives de l’abbaye, ce qui complexifie la connaissance des premiers siècles d’existence de l’établissement. L’abbé Bertrand Ier nommé à la tête du monastère la même année, peu de temps après ces affrontements, s’attachera à faire reconstruire les bâtiments conventuels. Cependant, les sources postérieures à ces réfections ne révèlent que peu de données permettant de comprendre la topographie du monastère dans sa globalité. De manière générale, la vie du monastère est assez mal connue du XIVe au XVIe siècle et pour cause, un deuxième épisode de violence a porté un rude coup aux bâtiments claustraux et, une fois encore, aux archives de l’abbaye. Il s’agit de la prise de la ville par les protestants en 1569. Cette lacune des sources explique en partie le manque de travaux sur la période médiévale12.
12En l’absence de fonds documentaires détaillés provenant directement de l’abbaye, les archives notariales apportent quelques informations indiquant que le monastère était déjà dans un bien piteux état dès le début du XVIe siècle13. Ces sources permettent également de connaître les quelques réparations entreprises par les moines dans ce même début d’époque moderne : la réparation des fontaines en 151414 ou encore celle du moulin de l’abbaye en 153615.
13La décadence du monastère n’était pas seulement matérielle, puisqu’en raison du relâchement des mœurs monastiques, l’abbaye est sécularisée en chapitre de chanoines en 1561, comme d’autres monastères voisins peu de temps auparavant : Tulle en 1514, Figeac en 1536.
14Les chanoines n’engagèrent pas de travaux pour la réfection du cloître dont il n’avait plus l’usage, se limitant, non sans mal, à faire restaurer l’église au début du XVIIe siècle principalement16. Aussi, à l’exception de quelques bâtiments qui devinrent des maisons canoniales, la majeure partie de l’ancien espace conventuel fut transformée en jardins qui subsistaient encore au XIXe siècle. Il n’y eut finalement aucune construction d’ampleur nécessitant de profondes fondations à cet emplacement, ce qui a, sans aucun doute, permis une mise en sommeil du site et la préservation de vestiges.
15Si le choix de ce site pour la construction d’un habitat contemporain est discutable, il n’en demeure pas moins vrai que ce projet a permis de réaliser d’importantes découvertes scientifiques. On ne connaissait presque rien sur la topographie de l’abbaye avant les fouilles et les sources laissaient supposer que les destructions avaient été telles en 1569 que les bâtiments conventuels avaient disparu. Les projets d’aménagement du territoire permettent donc des recherches en milieu urbain qui seraient plus difficiles en fouille programmée. C’est seulement à l’occasion de projets touchant les réseaux secs et humides, leur remplacement par exemple, qu’il est possible d’intervenir. Pour la recherche scientifique, ces travaux d’aménagement du territoire constituent donc une chance permettant une intervention en ville.
16La première étape de la procédure d’archéologie préventive est celle du diagnostic. Celui-ci est actuellement encadré par une trentaine d’articles du Code du patrimoine17. Le diagnostic est confié par le préfet de région soit à l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP)18 soit au service archéologique agréé d’une collectivité territoriale19. Le diagnostic permet de déterminer s’il faut procéder à une fouille et les moyens nécessaires pour sa mise en œuvre (durée, nombre de personnes nécessaires, moyens mécaniques etc.).
17Seuls les articles R523-15 et 23 traitent de l’encadrement scientifique, laissant notamment sa mise en œuvre aux soins du préfet de région. « Les prescriptions archéologiques peuvent comporter : la réalisation d’un diagnostic qui vise, par des études, prospections ou travaux de terrain, à mettre en évidence et à caractériser les éléments du patrimoine archéologique éventuellement présents sur le site et à présenter les résultats dans un rapport »20.
18« Lorsqu’il prescrit un diagnostic prévu au 1° de l’article R. 523-15, le préfet de région définit : 1° Les objectifs poursuivis ; 2° L’emprise de l’opération ; 3° Les principes méthodologiques à suivre ; 4° La qualification du responsable scientifique »21. L’article R523-30 prévoit qu’« à la réception de la notification de l’attribution du diagnostic, l’opérateur élabore un projet d’intervention détaillant la mise en œuvre de la prescription et le soumet au préfet de région pour approbation. Si le projet soumis n’est pas conforme à la prescription qu’il a édictée, le préfet de région demande à l’opérateur de le modifier. Faute d’observation de la part du préfet dans le délai d’un mois, l’approbation est réputée acquise.
19Dès que le projet d’intervention a été approuvé et au plus tard deux mois après avoir reçu la notification de l’attribution du diagnostic, l’opérateur adresse à l’aménageur un projet de convention précisant les conditions de réalisation du diagnostic, telles que prévues à l’article R. 523-31 ».
20Cet encadrement législatif demeure imprécis quant aux règles de préparation scientifique de la phase de diagnostic même avec les compléments apportés par les différentes circulaires et instructions administratives touchant l’archéologie préventive22.
21Le diagnostic ne concerne que les parties atteintes par les décaissements inhérents au projet. Il se matérialise sous la forme de sondages dont l’emplacement peut être guidé par une étude documentaire préalable mais qui sont régulièrement disposés de façon aléatoire. Ainsi, dans le cas d’Aurillac, l’emplacement des bâtiments conventuels n’a fait l’objet que d’un seul sondage dont la profondeur n’a pas atteint les vestiges.
22Le raisonnement en pourcentage (entre 5 et 10 %) du site pour la superficie du diagnostic montre ici ses limites lorsque la disposition des sondages n’est pas orientée par une étude documentaire suffisante. En milieu urbain, il serait donc plus judicieux de préparer de manière plus approfondie l’emplacement des sondages avec un objectif scientifique basé sur la documentation écrite et l’archéologie du bâti. Dans le cas de Saint-Géraud, on pouvait savoir que sur ce site se trouvaient les bâtiments conventuels et à quelle altitude était le niveau de circulation à l’époque médiévale. On ne peut donc pas s’en remettre au seul manque de chance pour justifier le fait qu’ils n’aient pas été trouvés.
23La phase de diagnostic est très importante à plusieurs titres. Elle permet à l’aménageur d’affiner le budget de financement de l’éventuelle fouille qui lui incombe en totalité, sauf lorsqu’elle est prise en charge à hauteur de 75 % par le Fonds national pour l’archéologie préventive (FNAP) en cas de construction de logements sociaux. Si la fouille se révèle plus longue et donc plus coûteuse que prévue par un diagnostic défaillant, il peut en découler des tensions lors de son déroulement. Mais surtout le rapport du diagnostic permet à l’aménageur d’élaborer son calendrier et de prévoir le démarrage des travaux pour la réalisation du projet.
24Le suivi scientifique du diagnostic doit-il être davantage encadré par la loi ? Faut-il qu’il le soit ? L’exposé des motifs du projet de loi relatif aux patrimoines prévoit de « mieux protéger le patrimoine archéologique et améliorer le contrôle scientifique et technique des projets scientifiques de fouille préventive », mais la phase de diagnostic est largement oubliée par le projet en lui-même. Peu de modifications sont prévues pour les articles concernant le diagnostic. Soulignons que cette nécessaire complémentarité avec les sources documentaires est particulièrement liée au contexte urbain des fouilles23.
25Au regard du rapport produit à l’issue du diagnostic de l’îlot Saint-Géraud, les découvertes réalisées lors de la fouille préventive se sont avérées beaucoup plus riches que prévues et le déroulement s’en est trouvé modifié.
II – Un déroulement inattendu de la fouille préventive
26L’emprise du projet de l’îlot Saint-Géraud couvre une superficie de près de 3 000 m2 en plein centre ville d’Aurillac, au pied de l’église abbatiale. Deux tranches ont été définies par les services de l’Etat : la tranche 1 de 2 000 m2 correspondant à l’emprise du parking souterrain et la tranche 2 de 850 m2 à celle de bâtiments. La fouille préventive prescrite par les services de l’Etat fait suite à un diagnostic réalisé par les archéologues appartenant à l’INRAP par le biais d’une série de sondages aléatoires. Cette phase de diagnostic a été réalisée en deux temps pour des raisons techniques (démontage d’un bâtiment contenant de l’amiante)24.
27Une première phase de terrain s’est déroulée du 18 juillet 2012 au 25 juillet 2012 avec des sondages d’une superficie de 200 m2. Une seconde phase de terrain a été réalisée du 12 novembre 2013 au 14 novembre 2013 avec une fenêtre archéologique de 11,34 m2. Au total 7,4 % de l’emprise du projet ont été appréhendés par ce diagnostic.
28Pour résumer les principaux résultats scientifiques, des niveaux « médiévalo-modernes » ont été identifiés avec des maçonneries très mal conservées reposant sur un remblai des Xe-XIe siècles scellant une couche d’argile interprétée comme étant le terrain naturel. Aucune sépulture n’a été mise en évidence lors de la première phase du diagnostic.
29A partir de ces éléments le service régional de l’archéologie a prescrit une fouille. Le cahier des charges de la tranche 1 consistait à réaliser cette opération dans un laps de temps de quatre mois à six personnes. Celui de la tranche 2 prévoyait une intervention d’un mois à cinq personnes suivie de trois mois à dix personnes.
30Les fouilles préventives ont débuté fin octobre 2013 avant d’être interrompues au cours du mois de février à cause des conditions climatiques trop rudes dans cette ville située à 600 m d’altitude avant de reprendre au mois de juin 2014. Dès le début du décapage initiant la fouille, des vestiges de qualité tout à fait exceptionnelle ont été dégagés25 (illustration 1). La densité et la qualité de conservation des faits archéologiques sur l’ensemble du site sont en totale opposition avec le diagnostic réalisé au préalable par les archéologues de l’INRAP (illustration 2). De plus l’apport de ces métadonnées fournit un nouvel éclairage sur la topographie monastique d’un des établissements monastiques les plus importants de l’époque carolingienne.
31L’un des faits les plus remarquables réside dans la mise en évidence de niveaux archéologiques antérieurs à la fondation du monastère à la fin du IXe siècle. Ainsi une occupation du haut Moyen Age a été révélée, mais c’est surtout un vaste cimetière carolingien qui se développe sur plus de 1 500 m2, alors que le diagnostic (phase 1) n’avait pas identifié une seule sépulture. Il est scellé par un important apport alluvionnaire argileux considéré par ce même diagnostic comme le terrain naturel. Cet espace funéraire a livré des sarcophages monoxyles (plus de vingt) dans un état de conservation exceptionnel (illustration 3). Cette découverte aurait pu être prévisible puisque lors de la construction de l’église de la Sainte-Famille en 1894 des sarcophages en bois avaient déjà été mis au jour et d’ailleurs nous en avons un croquis26.
32Les couvercles sont souvent présents, les cuves sont régulièrement en parfait état. On peut même y observer les traces d’outil de l’artisan évidant le tronc d’arbre préalablement fendu en deux. L’état de conservation et la densité de ces contenants funéraires constituent une découverte exceptionnelle et unique au niveau national. Le recrutement mixte (femmes, hommes, enfants) de la population inhumée plaide en faveur d’un cimetière paroissial, certainement lié à l’église Saint-Clément construite par le père de saint Géraud dans le premier tiers du IXe siècle. Son origine peut toutefois remonter très haut dans ce premier Moyen Age et il trahit vraisemblablement la présence d’une paroisse primitive.
33Deux édifices funéraires ou sanctuaires ont polarisé des sarcophages monolithes conservant encore leur couvercle. Les datations futures permettront de discriminer ces édifices entre leur contemporanéité avec les premiers temps du monastère et un bâtiment à vocation funéraire d’époque carolingienne ou plus ancienne.
34Enfin, c’est toute la topographie monastique qui a été appréhendée avec les vestiges des bâtiments conventuels romans écrasés et scellés par un imposant ensemble édifié dans le courant du XIIIe siècle. Ces gros travaux font échos aux destructions subies par l’abbaye en 1233 lors de la révolte de la bourgeoisie aurillacoise sanctionnée par une excommunication. L’aile orientale du cloître a été entièrement dégagée (35 m de long) ainsi que les bâtiments la bordant. La salle capitulaire a pu être identifiée. Des bases de colonnes, un des deux piliers centraux (base, fût de colonne, tailloir, chapiteau, Illustration 4), les banquettes servant de sièges aux moines ont été retrouvés. Des murs d’1,20 m à 1,40 m de large délimitent ces pièces. L’une d’elle possède encore une élévation de près de 2 m avec le départ de l’embrasure d’une fenêtre, des bases de colonnes encore en place et conservées sur une hauteur de 0,80 m à 1,20 m. À quelques mètres à l’est de ces bâtiments conventuels, c’est la fontaine du palais abbatial qui a été localisée dont sa mise en place date du début du XIIe siècle. Il faut noter ici que les structures funéraires sans ossements humains identifiées lors de la phase du diagnostic sont en réalité des canaux d’évacuation d’eaux usées (dont celle de la fontaine). Nous sommes une fois de plus devant une interprétation erronée.
35L’ensemble de ces découvertes totalement imprévues au vu du diagnostic a généré l’octroi d’un mois supplémentaire pour la tranche 1. Ce délai reste insuffisant quant à la densité de vestiges et à leur qualité de conservation. Les interprétations erronées du diagnostic sont lourdes de conséquences. Le niveau argileux considéré comme le terrain naturel ne l’est pas. Il masque un important cimetière et surtout des sarcophages monoxyles, véritable unicum sur le territoire métropolitain, qui nécessitent une logistique propre. L’intervention est complexe pour déposer ces sarcophages qui doivent être aussitôt conservés dans un milieu humide. La présence de centaines de sépultures est très chronophage et nécessite l’embauche de spécialistes (archéo-anthropologue) pour la fouille des ossements humains, encore plus délicate lorsqu’il y a des sujets immatures voire même des néonataux.
36La densité de vestiges dans le cas précis des fouilles de l’îlot Saint-Géraud montre combien un cahier des charges peut être presque antinomique en archéologie. En effet, comment établir sereinement une feuille de route dans un secteur d’activité où le travail à réaliser est masqué. Il faut enlever des matériaux pour dégager des structures et des niveaux archéologiques à documenter par la suite. Quid de la mesure 14 annoncée par le gouvernement parmi les cinquante nouvelles mesures mises en place par le « Conseil de simplification pour les entreprises » potentiellement applicable dès le premier semestre 2015 ? Le risque est que l’on s’en tienne aux résultats négatifs de l’auscultation « non-destructrice » alors que ce type d’analyse géophysique n’est pas toujours pertinent selon la nature du terrain.
37A cela s’ajoutent à Aurillac une nappe phréatique plus haute que les derniers niveaux archéologiques et de rudes conditions climatiques avec une pluviométrie importante. Ainsi la fouille est ralentie sans que cela soit pris en compte par le cahier des charges. Il existe bien des seuils d’intempéries mais ceux-ci ne sont pas adaptés à l’archéologie, activité professionnelle de plein air rapidement perturbée notamment par la pluie.
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38Au-delà de la valorisation des découvertes à l’attention du public, par le biais de divers supports tels que publications, expositions, etc..., ce qui est une des missions de l’archéologie préventive27, leur devenir se transforme vite en enjeux touristique, économique et social. S’opposent alors les intérêts de l’aménageur, des pouvoirs publics, de la science et des habitants. Finalement, nous sommes dans un cas atypique car la fouille préventive a été stoppée avant son terme face à l’importance des découvertes. Cette mesure a été prise par l’État en accord avec l’aménageur et la municipalité. Il a été considéré que ces découvertes avaient une portée non seulement nationale mais même européenne. L’ensemble de la parcelle (3 000 m2 en plein centre ville) est en instance de classement au titre des monuments historiques ce qui laisse un délai d’un an aux différents partenaires pour réfléchir sur un projet global de mise en valeur du cœur de ville médiéval qui passera nécessairement pas une étude scientifique.
39A ce titre, un projet collectif de recherches (PCR) est en cours d’élaboration pour aller au-delà de la fouille préventive. Ainsi la thématique développée tournera autour de la genèse de l’abbaye Saint-Géraud, de ses rythmes de vie et du contexte de son implantation. Mais surtout il y aura un volet de fouilles programmées qui prendra la suite de la fouille préventive.
Légende 1 : en haut, vue générale de la partie orientale des bâtiments conventuels avec la galerie orientale du cloître à droite, la salle capitulaire au premier plan et la « salle aux colonnes » en arrière plan ; en bas, détail de la « salle aux colonnes »
Légende 2 : plan synthétique et simplifié des vestiges médiévaux et modernes
Notes de bas de page
1 C. LAURANSON-ROSAZ, « Inventaire du trésor et des livres de la cathédrale », dans Autour de Gerbert d’Aurillac : le pape de l’an mil, O. GUYOTJEANNIN et E. POULLE (dir.), Paris, École des Chartes, 1996, p. 18 faisant référence à P. RICHE et J.-P. CALLU, Gerbert d’Aurillac. Correspondance, Les Belles Lettres, Les classiques de l’histoire du Moyen Âge n° 45, rééd. 2008, lettre n° 194.
2 Cette ZPPAUP a été définie en décembre 2008. Les ZPPAUP ont été remplacées en 2010 par des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, mais le classement en ZPPAUP antérieur au 14 juillet 2010 produit encore ses effets jusqu’au 14 juillet 2015.
3 À ces deux principales lois il est possible d’ajouter des modifications législatives en 2004, 2009, 2011 et 2012. « Livre blanc de l’archéologie préventive », mars 2013, p. 10.
4 Voir notamment les sources utilisées dans les ouvrages suivants G.-M.-F. BOUANGE, Saint Géraud d’Aurillac et son illustre abbaye, Aurillac, 1881, 2ème éd., 1889, 2 vol. ; E. JOUBERT, Le Chapitre de Saint-Géraud d’Aurillac (1561- 1790), Aurillac, Imprimerie moderne, 1975 ; L’abbaye bénédictine de Saint Géraud d’Aurillac (894-1561), Aurillac, Imprimerie moderne, 1981 ; E. BOUYE et L. GERBEAU (dir.), Saint-Géraud d’Aurillac. Onze siècles d’histoire, Cahier des Amis du patrimoine de Haute-Auvergne, Aurillac, 2009 ; B. FOURNIEL, Le Chapitre Saint-Géraud d’Aurillac (mai 1561-décembre 1790) : une seigneurie ecclésiastique de l’époque moderne. Presses du Centre universitaire J.-F. Champollion, Albi, 2011.
5 Le monastère aurait subi plusieurs épisodes de destructions volontaires au XIIIe siècle au cours du conflit opposant l’abbé, seigneur de la ville, à ses habitants dans le cadre du mouvement d’émancipation urbain puis au XVIe siècle lors de la prise de la ville par les protestants. Mais entre-temps, par manque de moyen financier et par désintérêt des moines, les bâtiments conventuels paraissent, selon les textes, avoir été délaissés. Archives départementales du Cantal (désormais ADC), 3 E 59/6, F° 182. Procès-verbal du 13 novembre 1518 constatant notamment le délabrement de l’église Saint-Géraud et des bâtiments conventuels, « [...] les relligieux ne mangent poinct aud[dit] reffectoir ne aussi dorment les anciens aud[dit] dortoir pour ce que les chambres d’icellui sont anciennes et en ruyne comme est led[it] reffectoir [...] ». Texte transcrit par L. GERBEAU, « Dans la tourmente : décadence, guerres de religion, réforme catholique (XVIe-début XVIIe siècle) », Saint-Géraud d’Aurillac. Onze siècles d’histoire, op. cit., p. 76. Une décision prise en assemblée capitulaire le 20 mars 1530 confirme que les locaux monastiques sont en ruine. ADC, 3 E 59/6, F° 498. À la fin du XVIe siècle, la « maison ruynée appartenant audit abbé » est également inutilisable, ADC, 3 E 66/60, F° 202. Sa destruction est attribuée au conflit religieux de 1569 comme l’indique encore l’« Aveu et dénombrement rendu au Roy par l’abbé Jean-Sébastien de Barral » au XVIIIe siècle, ADC, 4 G 20, p. 4. L’abbé déclarait jouir de « quelques jardins sis à côté de l’église du chapitre où était jadis la maison abbatiale qui fut détruite par les religionnaires » lors de la prise de la ville en 1569.
6 Sur l’étude des Vitae sancti Geraldi voir notamment pour les travaux les plus récents A.-M. BULTOT-VERLEYSEN, Odon de Cluny, Vita sancti Geraldi Auriliacensis. Édition critique, traduction française, introduction et commentaires, Société des Bollandistes, Bruxelles, 2009 ; M. KUEFLER, « Dating and authorship of the writings about Saint Gerald of Aurillac », in Viator, Brepols Publishers, vol. 44, number 2, 2013, p. 49-97 ; The making and unmaking of a saint. Hagiography and memory in the cult of Gerald of Aurillac, University of Pennsylvania Press, 2014.
7 Voir S. FRAY, « Le véritable fondateur de Saint-Géraud d’Aurillac : Odon ou Géraud ? », in Revue de la Haute-Auvergne, Géraud d’Aurillac, l’aristocrate et le saint dans l’Auvergne post-carolingienne, 72, 2010, p. 23-46 ; N. CHARBONNEL, « La ville de Gerbert, Aurillac : les origines » dans N. CHARBONNEL et J.-E. IUNG (éd.), Gerbert l’européen. Actes du colloque d’Aurillac, Aurillac, Société des lettres, sciences et arts « La Haute-Auvergne », Mémoires 3, 1997, p. 53-78 ; I. COCHELIN, « Quête de liberté et récriture des origines : Odon et les portrait corrigé de Baume, Géraud et Guillaume », dans M. LAUWERS (dir.), Guerriers et moines. Conversion et sainteté aristocratique dans l’Occident médiéval, Antibes, APDCA, 2002, p. 183-215 ; I. ROSE, Construire une société seigneuriale. Itinéraire et ecclésiologie de l’abbé Odon de Cluny (fin du IXe-milieu du Xe siècle), Turnhout, Brepols, Collection d’études médiévales de Nice n° 8, 2008.
8 S. FRAY, op. cit., p. 23.
9 A.-M. BULTOT-VERLEYSEN, op. cit., p. 60.
10 Le texte médiéval des Gesta abbatum aureliacensium datant du premier quart du XIIe siècle a été retranscrit partiellement par G. VIGIER, (Dominique de Jésus), Histoire paroenétique des trois saincts protecteurs du haut auvergne. Avec quelques remarques sur l’histoire ecclésiastique de la province, Paris, Sonnius, 1635, p. 789 ; il fut également publié sous le titre Breve Chronicon Auriliacensis Abbatiae dans J. MABILLON, Vetera Analecta, sive Collectio veterum aliquot operum et opusculurum omnis generis, etc., 2e édition, Paris, Montalant, 1723, p. 350 ; L. BOUYSSOU reprend ces publications dans Revue de la Haute-Auvergne : 972- 1972 – Aurillac, 1er fascicule, t. 43, juillet-décembre 1972, p. 328.
11 Sur les évènements de 1233 voir principalement R. GRAND, Les paix d’Aurillac : étude et documents sur l’histoire des institutions d’une ville à consulat, XIIe-XVe siècles, Paris, 1945, p. 8 et s.
12 On peut cependant se reporter aux travaux d’Abel Beaufrère consécutifs aux fouilles des années 1940, ceux-ci sont cependant devenus obsolètes et comportent des erreurs d’interprétation. Quant à ceux de Nicole Charbonnel il faut signaler qu’ils s’appuient sur une étude régressive de la documentation mais pas sur l’archéologie.
13 Voir notamment supra ADC. 3 E 59/6, F° 182 et 3 E 59/6. F° 498.
14 L. GERBEAU. op. cit., p. 77.
15 Id., p. 79.
16 Id., p. 118.
17 Les articles L522-2, L522-4 (qui concernent le rôle de l’État dans la prescription du diagnostic lui-même), L522-8 (sur le rôle des collectivités territoriales), L523-1 (sur le rôle de l’INRAP dans la phase de diagnostic), L523-4, L523-5 (sur la réalisation du diagnostic par les services archéologiques des collectivités ou groupements de collectivités territoriales), L523-7 (sur la réalisation du diagnostic lui-même, essentiellement sur les délais de réalisation et la mise à disposition du terrain. On peut noter que l’avant dernier alinéa renvoie à des mesures liées à l’archéologie programmée pour ce qui est de la conservation et éventuelle sauvegarde des découvertes réalisées lors de cette phase de diagnostic), L524-4, L524-7, L524-11, L524-12 (sur la redevance d’archéologie préventive). Dans la partie règlementaire, une sous-section 1 est consacrée à l’agrément pour la réalisation des diagnostics (article R522-7), les articles R523-13 et 14 concernent la prescription du diagnostic, article R523-23 à R523-38 concernent la mise en œuvre des diagnostics.
18 Article L523-1 du Code du patrimoine.
19 Article L523-4 du Code du patrimoine.
20 Article L523-15 alinéa 1er du Code du patrimoine.
21 Article L523-23 du Code du patrimoine.
22 Principalement les circulaires n° 101 DP/SDA du 5 juillet 1993 sur la documentation et document final de synthèse à l’issue d’une fouille archéologique préventive ; n° 2003/007 du 18 juin 2003 relative à l’abrogation et au retrait des prescriptions d’archéologie préventive ; n° 2003/019 du 5 novembre 2003 relative à la redevance d’archéologie préventive (modifiée en partie par la circulaire n° 2005- 38-UHC/DU3 du 23 juin 2005) ; n° 2004/011 du 29 avril 2004 relative à la mise en œuvre de la loi du 1er août 2003 relative à l’archéologie préventive ; n° 2005-38- UHC/DU3 du 23 juin 2005 relative à la redevance d’archéologie préventive ; n° 2006/003 du 17 février 2006 relative à la mise en œuvre de la loi du 1er août 2003 relative à l’archéologie préventive pour les installations classées (« Lorsque les terrains sur lesquels des travaux ou des aménagements sont à réaliser ont une superficie inférieure à 3 000 mètres carrés, la redevance d’archéologie préventive n’est pas due ») ; n° 2012/017 du 24 décembre 2012 relative à la modification des conditions de prise en charge des fouilles archéologiques préventives par le Fonds national pour l’archéologie préventive.
23 F. SOUQ, « Organisation et Modes de Gestions des Interventions d’Urgence en Interrégion Méditerranée », dans Actes de l’atelier Euro-Maghrébin Patrimoine et Aménagement du Territoire : l’archéologie préventive, organisé par l’UNESCO à Alger, 2004, p. 33. « Le diagnostic vise à évaluer le potentiel archéologique d’un terrain avant tout commencement de travaux d’aménagement [...] Les méthodes employées pour effectuer des opérations de diagnostic diffèrent selon que l’on se place dans un contexte rural ou urbain. Dans le premier cas, la prospection mécanique est privilégiée. Elle vise à couvrir le site du projet de sondages dont la surface cumulée couvre généralement de 7 à 10 % du terrain. Concrètement, il s’agit d’ouvertures de tranchées de 20 à 50 mètres de longueur réalisées à l’aide de pelles mécaniques et implantées selon un maillage plus ou moins régulier. En contexte urbain, il est beaucoup plus difficile d’effectuer des sondages systématiques du fait de la présence de réseaux, de la complexité d’accessibilité des pelles mécaniques ou encore du maintien de la stabilité des bâtiments riverains. Les sondages resteront dès lors localisés et d’une surface restreinte. Cette difficulté à sonder le milieu urbain est compensée par des études documentaires ».
24 Philippe ARNAUD, Rapport de diagnostic archéologique, Aurillac, Cantal, Auvergne. Quartier Saint-Géraud, phase 1, 2012, 81 p. ; Philippe ARNAUD, Rapport de diagnostic archéologique, Aurillac, Cantal, Auvergne. Quartier Saint-Géraud, phase 2, 2013, 56 p.
25 Nicolas CLEMENT, « Îlot Saint-Géraud à Aurillac (Cantal) » in Bilan d’activité 2013 du Service Régional de l’Archéologie – DRAC Auvergne, Ministère de la Culture, 2014, p. 120-122.
26 ADC, 1 Mi 103/1, « Journal de mère Marie-Emmanuel, supérieure : extraits relatifs à la construction de la chapelle de l’institution, rue du Monastère », p. 72-82.
27 Code du patrimoine, articles L522-1 et L522-2.
Auteurs
Docteur en histoire et archéologie médiévale, Mosaïques Archéologie
CUFR Jean-François Champollion-CTHDIP
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