Gilbert Hannard ou quand la fantaisie vient à la jurisprudence
p. 9-12
Texte intégral
Éléments biographiques
1Gilbert Hanard n’est pas un professeur, un patron, un maître (mot, on en rit déjà sous cape, dont il a horreur !) comme les autres... Il appartient encore à cette génération de professeurs d’université « exotiques », avec une personnalité forte, irrésistible, non fongible et non consomptible ( !), une pointe d’humour (que dis-je ? un mascaret qui remonte incessamment le fleuve de nos convenances et charrie – c’est le cas de le dire ! – les eaux profondes de nos incertitudes) et de nonchalance perçant aux horizons d’un caractère entier, libre, sinon même (son nom, coïncidence ?... en produit phonétiquement l’annonce !) libertaire...
2Tout épris de liberté fût-il, Gilbert Hanard n’en a pas moins fait une carrière exemplaire, et sans doute devrions-nous dire deux carrières, deux fois admirables par le succès qui en sanctionne, trente ans plus tard, le cours : sa carrière à l’université et son métier de pater familias, à comprendre à la romaine, bien sûr, où la familia, selon un enseignement qui lui fut cher, est avant tout un groupe de parents, mais aussi un patrimoine, le fait du pater, comme le mariage, le matrimonium, est celui de la mère. Insondable poids des traditions dont les mots sont l’otage et colportent le stéréotype, dont il a su jouer sans succomber aux préventions qu’ils sous-tendent... « Quoique », serait-il peut-être le premier à dire !... Mais de telle sorte, du moins, comme il est propre aux êtres doués d’une sensibilité et d’une intelligence supérieures, qu’il ait pu « être et ne pas être », marcher dans la tradition et ses inévitables ornières, tout en semant son chemin des graines de l’esprit, de l’indépendance, de la « manière propre », infiniment singulière, qui fut la sienne. Orphelin dès l’enfance, en effet, Gilbert Hanard a très vite appris que ses ressources personnelles seraient son seul atout pour développer un héritage.
3C’est ainsi que ses qualités solidaires de père, de patron et de professeur ont trouvé, de la famille à l’université, de la génération des enfants à celles des étudiants, de l’éducation à l’enseignement, de la protection à la formation, un terreau fécond qui les fît germer et donner abondance de fruits.
4Gilbert Hanard décroche sa licence en philologie classique en 1967. Tandis qu’elle lui ouvre les portes de l’enseignement des langues classiques dans le secondaire (1er degré), il entame une licence en droit qu’il achève en 1972. Une fois devenu philologue et juriste, son « destin »,– on ne peut, rétrospectivement, manquer de le croire,– était alors tout tracé. Il devient, en effet, assistant de Michel Nuyens, professeur de droit romain à l’Université catholique de Louvain, à mitemps d’abord, à plein-temps en 1974, année qui le voit faire son entrée aux Facultés universitaires Saint-Louis, comme assistant chargé d’enseignement. 1983 est l’année où il défend sa thèse sur la parenté romaine à Louvain (« Essai sur la cognatio »).
5Voici que, très rapidement, le jeune Gilbert Hanard assume à Saint-Louis la chaire de droit romain et s’attèle à mettre sur pied son cours, un cours impressionnant, aussi solide que personnel, appelé à devenir un véritable pôle de référence tant pour les juristes en voie de formation que pour les romanistes accomplis. Très attaché à la méthode casuistique de la jurisprudence romaine, le professeur s’y veut concret et pratique, même s’il ne dédaigne pas, ici ou là, le « frisson » des grandes hypothèses, notamment l’une d’elles, qui fut son « dada », sur les origines de la propriété. Ancré dans le système du droit positif romain (qui introduit dès leurs premiers pas dans la discipline les étudiants au principe du relativisme juridique), le cours évolue sous l’horizon du Code civil, dont les dispositions restituées à la lumière de tel fragment du Digeste gagnent non seulement leur juste dimension historique (très opportunément mise en valeur, aux antipodes d’une certaine tendance de l’époque à l’amnésie culturelle), mais aussi leur juste substrat herméneutique1.
6Toujours au chapitre du cours, un mot de ce qui, par définition, ne laisse pas de traces tangibles, sinon dans les mémoires, ce qui, du professeur d’université, fait qu’il est aussi un acteur et, de l’art d’enseigner, un art de la performance cathédrale, à savoir le contact avec les étudiants qui, quelle que soit la valeur intrinsèque du cours écrit, est une dimension essentielle, irréductible et transversale de la carrière académique. Sur ce plan, Gilbert Hanard fut tout simplement exceptionnel ! Si son cours l’avait imposé comme l’un des maîtres de la première candidature en droit, sa personnalité, qui rayonnait sur l’auditoire, en fit l’un de ses ténors... Rien mieux que lui-même ne peut rendre sensible cette relation particulière qu’il entretint avec les étudiants, ainsi, cette confidence que me glissa récemment Gilbert : « Une carrière à l’université, c’est une grande histoire d’amour entre un professeur et un auditoire »...
7Sur le plan facultaire, Gilbert Hanard participa à la mise sur pied, en 1980-1981, du programme des cours de la candidature en droit à horaire décalé par les Facultés universitaires Saint-Louis, Facultés qui furent et demeurent aujourd’hui la seule institution à proposer ce service en Communauté française (avec le programme des cours du baccalauréat en droit). Il fut au nombre de ces pionniers qui firent le pari du projet : plus de vingt ans plus tard, leur audace et leur dévouement sont payés de succès, où chaque nouvelle promotion de juristes « adultes » les assure de la pérennité d’une œuvre utile et généreuse.
8La Revue internationale des droits de l’Antiquité (RIDA) est l’équivalent scripturaire de la Société internationale pour l’histoire des droits de l’Antiquité, la SIHDA, societas amicorum fondée en 1948 par le grand romaniste belge Fernand De Visscher.
9Alors que la revue était financièrement au bord de la faillite, elle fut recueillie et sauvée des eaux par Michel Nuyens et par Gilbert Hanard, qui décidèrent de réaliser eux-mêmes l’édition grâce au matériel informatique qui, pour peu répandu qu’il fût encore à l’époque, constituait déjà un secteur de pointe aux Facultés. La première RIDA éditée aux FUSL voit ainsi le jour 1988, à la faveur d’une technique d’édition aujourd’hui commune, mais dont, à l’époque, ils furent les précurseurs. Actuellement co-dirigée par les FUSL, l’ULB et l’ULg, la revue compte parmi les plus cotées de sa catégorie.
10Avec son vieux complice Jean-Marie Cauchies, professeur ordinaire d’histoire aux Facultés et membre de l’Académie royale de Belgique, Gilbert Hanard créa le Centre de recherches en histoire du droit et des institutions (le CRHIDI) en 1993, sous l’égide duquel il a personnellement organisé plusieurs journées d’études sur un sujet de droit romain, comme la possession, la bonne foi ou les instruments de la pensée juridique, dont les Actes parurent dans la publication semestrielle des Cahiers du CRHIDI aux FUSL2.
11Au crédit de son expérience, on mentionnera encore son enseignement au Rwanda, ainsi que l’intérêt tout particulier qu’il prit à la formation de ses doctorants, veillant sur eux comme un père sur ses enfants, avec d’autant plus de bienveillance qu’il a toujours eu intimement conscience de la singularité de la vocation du romaniste, leur prodiguant une confiance constante, encourageant incessamment leurs efforts, assumant leurs défaillances, tout en leur laissant, du point de vue de la conduite de la recherche, et non sans se soucier d’éviter tout enlisement ou fourvoiement, une liberté de pensée et d’action totale... Liberté, liberté chérie... Voici le maître-mot par lequel commençait ce portrait revenir aux lèvres, alors qu'on est au point de le conclure... Hasard ? Non : Hanard !...
12... Toi, l’ami fidèle devant qui nous tous, étudiants, doctorants, collègues et amis qui avons eu la chance de te connaître et (inéluctablement) de boire un verre avec toi, nous nous levons et te le disons en chœur et (bien sûr) en latin : maximas tibi gratias agimus !3
Notes de bas de page
1 Le premier volume du cours de Gilbert Hanard est publié aux Facultés universitaires Saint-Louis. G. Hanard, Précis de droit romain. Tome I : Notions de base, concept de droit, sujets de droit, Bruxelles, FUSL, 1997. Deux autres volumes sont à suivre.
2 « La possession », Cahier no 8 du CRHIDI, Bruxelles, FUSL, 1997 ; « La bonne foi », Cahier no 10 du CRHIDI, Bruxelles, FUSL, 1998 ; « Les instruments de la pensée juridique », Cahier no 17 du CRHIDI, Bruxelles, FUSL, 2002.
3 « Un très grand merci à toi ! »
Auteur
Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis
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