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Avant-propos

p. 7-13


Texte intégral

1Ce petit livre, fruit d’une collaboration brillante, aborde selon cinq perspectives différentes mais convergentes l’une des questions les plus fondamentales et les plus difficiles que posent la foi religieuse en général et la foi chrétienne en particulier.

2Bien entendu, tout « article » de foi (la divinité du Christ, la résurrection, la passion rédemptrice, l’eucharistie, etc.), s’il est réfléchi en profondeur, engage le tout de la foi et ses fondements. A fortiori en est-il ainsi de son « objet » premier : Dieu.

3Mais s’interroger sur la Révélation, c’est s’interroger directement sur le fondement de toute affirmation de foi particulière.

4La révélation exprime la transcendance radicale de la foi par rapport à tout savoir, à tout désir, à tout effort qui ne seraient que de l’homme. En elle réside la résistance ultime à toute réduction, à toute assimilation de la foi à un sens simplement humain. Mais comment faut-il comprendre aujourd’hui cette transcendance, cette altérité irréductible, si l’on veut entendre aussi jusqu’au bout les justes exigences de la raison, de l’entreprise herméneutique, de la démythisation ? Si l’on veut renoncer à un surnaturalisme dualiste, à un historicisme du merveilleux ? Comment la comprendre critiquement, cependant, sans réduire ou sans dissoudre la dimension de transcendance qu’elle assure et sans laquelle tout le contenu de la foi risque de s’effondrer en significations purement naturelles : sociologiques, politiques, psychologiques, métaphysiques, et la foi elle-même de se ramener sans plus à une idéologie ?

5Ne faut-il pas interroger critiquement le mot même de « révélation » ? S’agit-il d’une « connaissance », d’un « savoir  »  ? Ne se trouve-t-on pas devant une catégorie commune à toute religion ? Et que faut-il en conclure ? Et pour nous qui recevons cette révélation principalement par la médiation d’une Ecriture (liée à la médiation d’une Eglise), que signifie ce privilège du texte et en quel sens l’Ecriture est-elle le lieu de la révélation ?

6Certes, le problème est immense et on ne trouvera ici que quelques esquisses, qui tout en s’efforçant d’aller droit à la question, ne prétendent pas l’épuiser ni envisager tous ses aspects. On ne trouvera rien, par exemple, sur ce que pourraient et devraient apporter au problème les instruments d’analyse du marxisme ou de la psychanalyse, appliqués aux formations religieuses, ni par conséquent sur la portée exacte qu’il conviendrait de reconnaître à ces approches vraisemblablement surtout critiques. C’est une lacune qui doit être reconnue, mais que le lecteur excusera peut-être si l’on tient compte de l’ampleur et du nombre des travaux déjà entrepris par ailleurs dans ces domaines.

7On ne trouvera pas non plus, sauf en ce qui concerne la tradition de l’Inde, de contribution sur le sens et la fonction de la catégorie de révélation dans les religions qui n’appartiennent pas à la tradition judéo-chrétienne. Cette enquête serait pourtant nécessaire pour pouvoir entreprendre valablement des comparaisons et pour mieux saisir à la fois l’apparentement éventuel de la tradition judéo-chrétienne aux autres religions, et sa spécificité propre. Même la tradition islamique, dont les rapports sont particulièrement étroits avec la foi juive et avec la foi chrétienne, tant par son fondement coranique que par son histoire, n’a pu être interrogée.

8Tout ceci pour faire apparaître aussitôt les limites d’ailleurs parfaitement conscientes de l’entreprise. Ces limites n’enlèvent, croyons-nous, cependant rien à son intérêt et à sa valeur.

9Il ne s’agit pas, en effet, de proposer une somme contemporaine ou un traité complet et articulé sur la Révélation, mais plutôt de mieux situer la question et d’ouvrir à grands traits des perspectives fondamentales à la fois critiques et positives, qui pourront servir d’amorce à des travaux plus complets et plus synthétiques, et conduiront peut-être à ce grand livre sur la Révélation dont nous avons encore besoin malgré les apports nombreux qu’a déjà connus notre siècle dans ce domaine, surtout à travers l’œuvre d’éminents théologiens comme Barth, Bultmann, Rahner, Balthasar, Pannenberg, etc.

10L’articulation de l’ouvrage est claire. Son intérêt provient non seulement de ce qu’il correspond à une approche pluridisciplinaire, mais encore pluriconfessionnelle.

11C’est comme philosophe et comme croyant de tradition protestante que Μ. P. Ricœur propose ici une herméneutique de l’idée de révélation. Réagissant contre une représentation trop simple de la révélation-dictée, affinant l’idée de révélation en mettant en évidence sa signification essentiellement analogique, il replace dans un rapport dialectique vivant les deux termes souvent opposés de la révélation et de la raison. La révélation, d’une part, ne peut être abstraite des langages originaires qui lui donnent expression et qui en font paraître les diverses dimensions, irréductibles les unes aux autres. Impossible donc de la réduire au seul modèle de l’inspiration prophétique. Les discours narratif, prescriptif, sapientiel et lyrique nous en livrent d’autres aspects aussi essentiels. La raison, d’autre part, ne peut plus être comprise dans l’autonomie et l'auto-suffisance d’un cogito « cartésien ». Une essentielle réceptivité caractérise l’expérience effective du sujet. Et tant du côté de l’objectivité, dans la dimensions du poétique, que du côté de la subjectivité, dans celle du témoignage (comme l’a montré Nabert), une structure de « révélation » dans un sens analogique et a-religieux s’éprouve qui offre une possibilité d’accueil à la révélation proprement dite, dont le langage s’adresse en réalité davantage à l’imagination qu’à l’obéissance.

12Μ. E. Levinas apporte, pour sa part, le précieux témoignage et la compétence du juif croyant et également du philosophe. Qu’est-ce que la Révélation pour la foi juive ? L’accent est mis ici sur le rôle tout à fait primordial du prescriptif et de l’éthique, sur la richesse inépuisable de la lettre, sur le rôle actif de chaque lecteur dans la révélation, mais aussi sur l’importance de la tradition orale talmudique à côté de la tradition écrite de la Bible. Quant au contenu de la Révélation biblique, il apparaît axé sur le service du Très Haut, exercé dans la responsabilité assumée vis-à-vis du prochain, et dans la fidélité au rituel. L’extériorité ou la transcendance de la Révélation, qui est moins vision qu’écoute, présuppose dans la Bible une conception de la subjectivité comme passivité, responsabilité infinie, qui s’oppose radicalement à celle de la tradition philosophique grecque axée sur un ego dominateur, et qui demande à être réfléchie philosophiquement pour elle-même en ouvrant à une compréhension nouvelle de la « raison » comme vigilance, comme écoute.

13Avec le P. E. Haulotte, c’est l’exégète du Nouveau Testament qui intervient, non pour développer une analyse thématique à propos de la révélation, mais pour s’interroger sur le fonctionnement du texte du Nouveau Testament comme acte de révélation dans la pratique de son écriture et de sa lecture. Cette ré-inauguration de l’événement fondateur qu’opère la diversité des textes et des lectures, grâce à une pratique « pascale », est rendue possible par le dispositif propre à ce texte. On peut y déceler notamment deux modes d’ancrage complémentaires dans l’événement qui permettent cette « reconnaissance » ou cette mise en présence de son « objet » : l’ancrage dans la vita Iesu et l’ancrage dans la pratique ecclésiale. L’opérateur du sens, qui rend possible ce travail de révélation en acte, ne peut comme tel être situé et identifié dans le texte, sinon comme en creux et de manière indéterminée, par l’emploi du neutre : c’est qu’il est toujours en avant du texte, dans le mouvement qui assure sa transmission vivante comme message.

14Μ. E. Cornélis, historien des religions et indianiste, fournit, de son côté, une vue d’ensemble sur la manière dont la tradition de l’Inde comprend l’idée de révélation. Il convient de remarquer qu’elle développe une dialectique de la révélation, correspondant à un déplacement et un approfondissement des lieux de la révélation (religion du feu sacré, intériorisation mystique, « anti-révélation » du Bouddha, reconnaissance pratique de l’Absolu dans ses manifestations). Une esquisse des réflexions indiennes sur la révélation et sur le fondement de son autorité est ensuite tracée, ainsi qu'une ébauche de comparaison entre la conception chrétienne et la conception indienne de la révélation.

15Enfin, le P. Cl. Geffré donne un aperçu d’une synthèse de théologie catholique sur la révélation en cherchant à répondre aux difficultés majeures que notre situation culturelle soulève à ce sujet. Montrant l’ampleur de la notion de révélation à partir des thèmes complémentaires, dans la tradition biblique et chrétienne, de la manifestation et de la proclamation (dualité que les théologies de la parole ne respectent pas toujours, mais que le mystère de l’Incarnation reprend en compte) et à partir de la doctrine de Vatican II sur la Révélation, il insiste surtout sur le caractère historique, événementiel de la révélation, sur l’inséparabilité en elle de l’événement et du sens, et donc sur sa dimension d’interprétation ainsi que sur l’étroite liaison, dans ce travail interprétatif, de la révélation et de la foi qui l’accueille.

16Ces cinq remarquables contributions ont fait l’objet d’une session théologique qui s’est déroulée en février-mars 1976 à l’Ecole des sciences philosophiques et religieuses des Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles. Cette session s’est terminée par une discussion d’ensemble à laquelle ont pris part les cinq conférenciers et un grand nombre de participants. L’intérêt de cette discussion nous a paru tel que nous avons cru utile d’en joindre la transcription, revue par les auteurs, en fin de ce volume en guise de conclusion. Elle permet de mesurer mieux l’apport extrêmement riche des cinq contributions qui précèdent, notamment en faisant apparaître les points où elles s’accordent et ceux où, dans leurs différences, elles se recroisent et s'opposent : rôle du prescriptif, de l’éthique, et de la pratique ; insuffisance d’une théologie de la parole ; fonction référentielle mais partielle du modèle prophétique ; rôle essentiel mais partiel de l’Ecriture ; importance de l’histoire dans sa contingence et de la notion de témoignage ; importance du dessaisissement du moi ; critique d’une certaine tradition hellénique et métaphysique ; rapport de la révélation au mythe ; rôle de la vision et de la manifestation ; révélation et non-savoir ; critique d’une certaine notion de la révélation et du magistère, etc.

17Un point de départ de très grande qualité, et par la justesse, l’ampleur, la précision des matériaux offerts et des perspectives ouvertes, et par la force et la valeur des témoignages rendus, est ainsi offert à tous ceux qui ressentent le besoin d’une réflexion radicale et veulent mieux comprendre et témoigner de leur foi dans le monde d’aujourd’hui.

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