Imaginaire, affectivité et rationalité
Pour une relecture du débat entre Habermas et Castoriadis
p. 139-182
Texte intégral
1L’objectif de cet article est de montrer que la praxis autonome telle que Castoriadis propose de la penser implique la mise en œuvre d’un rapport spécifique entre le pouvoir de l’imaginaire et le pouvoir de la raison critique. Ce rapport spécifique se caractérise par le fait que ces deux pouvoirs, loin de tenter de se subordonner l’un à l’autre, se promeuvent réciproquent. Dans un premier temps, on pourrait pourtant se dire que l’œuvre de Castoriadis nous conduit au plus loin de tout projet consistant à promouvoir simultanément le pouvoir de l’imaginaire et le pouvoir de la raison critique. C’est ainsi qu’une certaine lecture de Castoriadis peut nous amener à subordonner le pouvoir de la raison critique à la puissance créatrice de l’imaginaire radical. Selon cette lecture, si l’exercice de la raison doit être considéré comme secondaire dans le processus de transformation des significations sociales, c’est dans la mesure précisément où il n’est lui-même possible qu’au sein d’un certain imaginaire social dont la force instituante est irréductible à toute forme de déterminisme fonctionnel ou rationnel. C’est dire premièrement que l’exercice critique de la raison n’a de pertinence que là où des significations sociales participent à l’institution imaginaire du pouvoir de la raison critique. C’est dire encore que la réflexion n’a pas comme telle le pouvoir de donner force aux idées qu’elle produit, qu’elle est incapable de participer en tant que telle à la production de nouveaux imaginaires sociaux. Peut-on alors conclure de ces dernières affirmations que Castoriadis dissocie en fait complètement la réflexion critique et l’instauration imaginaire des significations sociales ? C’est ce qu’un philosophe comme Habermas laisse finalement entendre dans la lecture qu’il propose de faire de Castoriadis. Selon cette lecture, en faisant dépendre le processus de transformation des significations sociales du seul pouvoir instituant de l’imaginaire radical, Castoriadis occulterait le pouvoir de transformation sociale inhérent à l’exercice de la raison critique. Celle-ci n’est-elle pourtant pas capable de participer à l’instauration de zones d’autonomie dans l’espace social ? Bien entendu, le changement social dont il est question dans cette dernière perspective ne peut plus se comprendre à la façon de Castoriadis. Les significations qui structurent un contexte social-historique donné ne peuvent pas en effet être alors pensées comme des significations à ce point liées les unes aux autres que la variation de l’une implique nécessairement la variation des autres. Sur un premier plan d’interrogation, celui qui serait davantage investi par Castoriadis, les significations sociales forment une trame serrée. Elles sont radicalement solidaires les unes des autres. Lorsqu’elles ne le sont plus vraiment et s’opposent même entre elles, nous sommes en présence d’une véritable situation de décomposition de la totalité sociale. Sur un autre plan d’interrogation, davantage investi par Habermas, il est intéressant que les significations sociales soient au contraire relativement isolables les unes des autres, certaines pouvant ainsi être mise à l’avant-plan, être l’objet d’une attention critique, mais toujours sur le fond relativement stable et provisoirement non critiqué de l’ensemble des autres. Dans cette perspective, il semble donc que Castoriadis soit, contrairement à Habermas, avant tout attentif aux conditions de mutation des imaginaires sociaux, ces mutations ne pouvant être véritablement saisies que sur le temps long de l’histoire. C’est la question de la mutation des imaginaires sociaux qui conduirait ainsi Castoriadis à diminuer l’importance du pouvoir de la raison critique. Comme telle, la raison serait dépourvue du pouvoir d’engager les individus et les sociétés dans des changements radicaux de vie. L’éthique de la discussion, en ce sens beaucoup plus modeste dans son projet critique, permettrait au contraire d’investir la raison d’un véritable pouvoir de transformation sociale, cette transformation ne pouvant alors se comprendre que comme un processus progressif, relativement circonscrit, lié à des problèmes précis.
2Une telle lecture de l’œuvre de Castoriadis nous conduit nécessairement à penser que la théorie de l’imaginaire radical ne parvient pas à faire des sujets les co-auteurs du changement social, cette dernière thèse étant bien entendu au cœur de l’éthique de la discussion. C’est ce que Jean-Marc Ferry laisse entendre lorsqu’il montre que l’ontologie de l’imaginaire radical est incompatible avec l’idée d’une société autonome : « Castoriadis anticipe lui-même une autonomie de la société, qui s’entend comme une autonomie pratique de ses membres : il pense cette autonomie dans la perspective politique de la démocratie, du "socialisme véritable", de la "révolution". Mais alors comment une telle révolution politique ne serait-elle pas aussi une révolution dans son ontologie ? Car cela n’impliquerait-il pas ce qu’implique Habermas lui-même : que l’institution de la société, au-delà d’une quelconque création de l’histoire, renvoie plutôt aux structures de l’intersubjectivité ? Mais cette vision des choses impliquerait aussi que la compréhension historique véritable, qui suppose une véritable reconnaissance de l’autre, échappe au schéma perspectiviste d’une méthodologie retournant à l’éthique de la tolérance, pour se situer au niveau de la structure intersubjective d’une méthodologie présupposant l’"éthique de la communication"1 ». En sens inverse de cette lecture, nous allons montrer ici que le rapport établi par Castoriadis entre l’imaginaire et la raison critique peut être interprété de façon à faire droit à certaines des préoccupations les plus fondamentales de l’éthique de la discussion. Loin qu’il démette la raison communicationnelle de son pouvoir de transformation sociale, notre thèse est que Castoriadis développe au contraire une interrogation soucieuse de saisir les conditions d’effectuation du pouvoir critique de raison. Au cœur de cette recherche que nous allons ici entreprendre se trouve ainsi cette idée selon laquelle la raison critique n’est pas capable à elle seule de générer l’adhésion affective des individus à l’idéal même d’une vie individuelle et collective autonome et qu’elle n’est pas non plus capable à elle seule de fournir aux individus et groupes en lutte les uns avec les autres de nouvelles formes d’entente du vivre-ensemble. Il s’agit dès lors de comprendre l’importance qu’il y a pour le pouvoir émancipateur de la raison critique d’être articulé à un imaginaire social instituant dont la puissance créatrice est en même temps irréductible à la « coopération » des sujets ou encore à des effets d’« intersubjectivité2 ». La praxis émancipatrice est pour Castoriadis une praxis essentiellement critique et délibérative, toute la question étant de savoir si cette raison critique n’implique pas pour être efficiente une articulation spécifique à la puissance créatrice de l’imaginaire. C’est cette articulation qu’il va s’agir ici d’explorer. La thèse que nous allons défendre dans cet article est que la théorie castoriadienne de l’imaginaire radical est nécessaire au développement d’une pensée soucieuse, non pas de saisir les seules conditions transcendantales de la raison critique, mais de saisir plus fondamentalement encore les conditions affectives et identitaires de son instauration3.
3C’est à partir de cette réflexion sur la possibilité d’une relation de promotion réciproque entre le pouvoir de l’imaginaire et le pouvoir de la raison critique que nous pourrons comprendre pourquoi la question de l’institution implique dans l’œuvre de Castoriadis toute une série de dimensions qui ne se laissent pas homogénéiser et qu’il importe précisément de tenir ensemble dans leurs différences mêmes. Dans ses travaux, Castoriadis ne cesse de critiquer toute réduction de la question de l’institution à l’une ou l’autre de ses différentes dimensions. C’est ainsi que l’institution peut tantôt être saisie dans sa dimension ensidique, dans sa dimension symbolique ou encore dans sa dimension imaginaire. Elle peut tantôt être interrogée dans sa dimension instituante et sa fonction créatrice, tantôt être interrogée dans sa dimension instituée et sa fonction reproductrice. L’institution est liée à la question de la socialisation de la monade psychique, mais elle est tout autant liée à la configuration des espaces socio-historiques. Elle est également partie prenante du processus d’instauration d’une société autonome. Dans ce dernier cas, l’institution, en rendant possible des subjectivités autonomes, génère nécessairement une interrogation sur elle-même. Elle n’existe comme institution qu’en rendant possible sa remise en question. A chaque fois, la question de l’institution se pose donc d’une autre façon, est investie d’une fonction différente. Comme nous allons le montrer, la question du rapport entre la puissance créatrice de l’imaginaire et l’exercice d’une praxis critique et délibérative implique chez Castoriadis une réflexion sur la dimension polymorphique de l’institution. C’est dire encore qu’en unilatéralisant telle ou telle dimension de l’institution, on se rend par là même incapable de penser un rapport de promotion réciproque entre la puissance créatrice de l’imaginaire radical et l’exercice de la raison critique. Un des intérêts les plus fondamentaux du débat entre Habermas et Castoriadis est précisément qu’il nous permet, s’il est lu d’une façon spécifique, de poser les premiers jalons d’une réflexion sur l’institution comme dispositif de promotion réciproque de l’imaginaire et de la raison.
4Pour commencer cette recherche, nous allons essentiellement nous appuyer sur la critique que Habermas fait de Castoriadis dans Le discours philosophique de la modernité et sur la critique que Castoriadis fait à Habermas dans un article de 1988 publié dans Esprit et repris dans Le monde morcelé : « Individu, société, rationalité, histoire ». Cet article est aussi important pour la compréhension du débat entre Castoriadis et Weber que pour la compréhension du débat entre Castoriadis et Habermas. Dans cet article, Castoriadis répond à certains moments à la caricature par la caricature, notamment en accusant Habermas de développer un pur et simple fonctionnalisme de la communication. Comme l’écrit Marc Maesschalck, « De son côté, Castoriadis n’a guère consacré plus d’efforts qu’Habermas à ouvrir un véritable dialogue. Le seul article qui permette de faire le point a été publié en février 1988 dans la revue Esprit. Castoriadis y minimise la problématique habermassienne de l’intercompréhension en réduisant la pragmatique consensuelle, avec son potentiel de structuration procédurale des praxis intramondaines, à une dialogique de l’entente entre personnes privées. De ce point de vue, il manque le versant systémique de la procéduralisation habermassienne qui, en pratique, s’articule à la théorie de l’auto-poïèse des systèmes sociaux. De plus, Castoriadis récuse toute perspective normative chez Habermas et assimile la théorie communicationnelle à un fonctionnalisme de la communication4. » Toutefois, les arguments parfois abrupts et caricaturaux proposés par Castoriadis peuvent être relus d’une façon telle qu’ils permettent de transformer complètement le débat dans lequel Habermas tente de l’enfermer lorsqu’il le met au défi de fournir cette synthèse impossible entre les aspirations du premier Fichte et les aspirations du second Heidegger5. La reconstruction de ce débat important entre Habermas et Castoriadis doit nous permettre de mieux saisir ce qui est véritablement en jeu dans l’approche castoriadienne du rapport entre l’imaginaire et la raison critique. Nous verrons ainsi que la théorie de l’imaginaire radical que Castoriadis construit, loin d’aller à l’encontre du projet fondateur d’une philosophie de la praxis autonome, lui est au contraire indispensable. Mais c’est d’un véritable rapport de promotion réciproque entre le pouvoir de l’imaginaire et le pouvoir de la raison critique dont il est alors question.
I. Castoriadis à l’épreuve de l’éthique de la discussion
5Une certaine lecture de l’œuvre de Castoriadis, largement promue par Habermas, consiste à dire que celle-ci occulte complètement la question du rapport entre le sens et la validité. Il est ainsi tout à fait évident selon Jean-Marc Ferry que le seul paradigme possible de la compréhension chez Castoriadis est celui de l’institution et non celui de la discussion. Dans ce paradigme de l’institution, la possibilité de la compréhension est « toujours déjà fixée dans le cadre constitutif d’une relation intersubjective indépassable6.» A suivre Jean-Marc Ferry, la compréhension des significations sociales ne pourrait en aucune manière impliquer chez Castoriadis le partage intersubjectif d’une série de prétentions à la validité. Elle reposerait bien plutôt sur le partage anonyme d’un certain imaginaire social institué lui-même de façon purement contingente. En sens inverse, l’éthique de la discussion, tout en admettant par ailleurs l’hypothèse qu’il puisse y avoir de véritables créations historiques, permettrait et exigerait que les individus participent de façon critique à la compréhension et à la reconnaissance des significations sociales : « Mais en pensant le social-historique en tant que "création", écrit Jean-Marc Ferry, nous ne sommes pas obligés d’impliquer un "imaginaire radical", c’est-à-dire radicalement coupé, en tant que "création", d’une production des sujets7. » En développant un perspectivisme radical lié à la promotion d’une éthique de la tolérance, Castoriadis se trouverait finalement dans l’impossibilité de penser la critique rationnelle autrement que comme une exigence purement contingente à l’égard de notre expérience du sens, comme une exigence révisable liée à une certaine configuration imaginaire. Dans sa lecture de Castoriadis, Habermas entend ainsi montrer que malgré sa volonté de faire droit à la question de la rationalité comme médiatrice d’un véritable processus d’émancipation sociale, la philosophie de la praxis revient en définitive à confier à l’immémorial d’une origine instituante le pouvoir d’ouvrir de nouvelles formes de vie. Selon Habermas, c’est précisément parce que Castoriadis reste prisonnier d’une approche seulement sémantique du tournant linguistique qu’il est inéluctablement conduit à opposer le moment transcendantal de la constitution de nouveaux imaginaires sociaux et les praxis intramondaines des individus, lesquelles sont ainsi incapables de participer comme telles à la production de nouvelles significations sociales : « La société, selon Castoriadis, se divise, à l’instar de la subjectivité transcendantale, en créant et créé, et entre instituant et institué, ce qui permet au flux de l’imaginaire créateur de sens de s’épandre dans la variance des images langagières du monde. Or cette création ontologique des totalités de sens – à la fois absolument nouvelles, toujours autres et uniques en leur genre – advient comme une destinée de l’Être ; on ne voit pas comment cette mise en œuvre démiurgique des vérités historiques pourrait se transposer dans le projet révolutionnaire qui constitue l’élément même de la praxis des individus, en tant qu’ils agissent consciemment, qu’ils sont autonomes et tendent à se réaliser eux-mêmes8. » C’est pour cette raison qu’il importe à Habermas de montrer que le geste philosophique fondamental de Castoriadis est de refuser complètement toute forme de relation interne entre la question du sens et la question de la validité. En séparant le pôle de la constitution du sens qui ouvre un monde et le pôle des expressions de validité qui se font à l’intérieur de ce monde, Castoriadis couperait toute possibilité pour ces discussions de participer à la transformation des significations sociales. Il n’y a pas d’échange possible entre l’instauration imaginaire d’un monde social-historique donné et les discussions que nous pouvons avoir entre nous à propos des situations que nous rencontrons au sein de ce monde. Aucune discussion n’est porteuse d’un pouvoir de reconfiguration des significations constitutives d’un monde donné.
6Dans un premier temps, Castoriadis semble confirmer cette lecture que Habermas fait de ses travaux. Il est en effet évident pour Castoriadis que l’intercompréhension, non seulement ne peut être une fin en soi, mais qu’elle n’est pas capable, du moins à elle seule, de participer à la production de nouveaux imaginaires sociaux : ceux-ci ne peuvent aucunement être compris comme le fruit d’un consensus intersubjectif : « Que l’orateur doive s’exprimer d’une manière compréhensible ou même que nous voulions et considérons comme capital que la décision résulte de la discussion la plus raisonnable possible, ne mérite même pas d’être mentionné. La fin visée, et le résultat effectif sont tout autre chose : l’adoption d’une nouvelle loi, ou l’engagement dans une entreprise commune importante. Toutes ces décisions modifient, dans les cas importants, non seulement les individus présents, mais aussi ceux à venir. Tout cela dépasse de loin l’"activité communicationnelle" et l’"inter-compréhension". Celles-ci ne sont, pour ainsi dire, que le milieu atmosphérique indispensable à la vie et à la créativité politiques – et leur existence même dépend d’actes instituants. La fin de ces actes dépasse de loin l’établissement d’une situation de communication idéale, qui n’en n’est qu’une partie, et à vrai dire un simple moyen9. » Pour Castoriadis, la discussion rationnelle n’est pas capable, à elle seule tout au moins, de proposer des significations sociales véritablement nouvelles et elle est encore moins capable de générer une véritable adhésion affective des sujets à ces dernières. Nous dirons plus fondamentalement encore qu’elle ne peut trouver dans son exercice même de quoi générer le désir d’autonomie des individus. Elle ne cesse au contraire de supposer l’instauration de ce désir, laquelle ne peut être elle-même comprise sur un mode décisionniste. Cette instauration implique au contraire pour les monades psychiques la passivité d’une épreuve affective, le travail d’un imaginaire social qui vient pour ainsi dire les informer.
7C’est précisément pour cette raison que la possibilité d’une société autonome ne peut, selon Castoriadis, être véritablement comprise à partir d’une théorie qui fonde la rationalisation du monde vécu sur de seuls processus de reconnaissance réciproque. Ces processus de reconnaissance réciproque reposent en effet sur une unité plus profonde, celle précisément du collectif au sens où l’entend Castoriadis, lequel est le fruit de la position imaginaire anonyme de certaines fins : « Mais le social est tout autre chose que "beaucoup, beaucoup, beaucoup" de "sujets" – et tout autre chose aussi que "beaucoup, beaucoup, beaucoup" d’"inter-subjectivités". Il n’y a que dans le social et par le social qu’un "sujet" et une "inter-subjectivité" soient possibles (même "transcendantalement" !). Le social est collectif anonyme toujours déjà institué, dans et par lequel des "sujets" peuvent apparaître, qui les dépasse indéfiniment (ils y sont toujours remplaçables et remplacés) et qui contient en lui-même une puissance créatrice irréductible à la "coopération" des sujets ou aux effets d’"inter-subjectivité "10. »
8Nous reviendrons plus loin sur l’usage que Castoriadis fait du concept de transcendantal. Il importe seulement ici de bien voir qu’il est hors de question pour Castoriadis que l’adhésion affective des individus à l’idéal d’une société autonome puisse être suscitée dans et par le seul exercice de la discussion rationnelle. Cette adhésion des individus implique l’information de la psychè par la puissance imaginaire d’un collectif anonyme en incessante auto-instauration. Il y aurait ainsi une impuissance de la discussion rationnelle à être en prise avec cette puissance d’information de l’imaginaire radical. Pour un philosophe d’inspiration habermassienne, interprétant cette thèse à partir de son propre paradigme, le danger fondamental de cette position est qu’elle revient à scinder absolument la constitution des imaginaires sociaux et les praxis intra-mondaines. C’est ainsi que Habermas peut écrire à propos de la théorie castoriadienne du changement social : « La compréhension constitutive du monde se modifie, en particulier, indépendamment des expériences que, dans le monde, les sujets peuvent tirer des circonstances qui ont été interprétées à la lumière de cette précompréhension ; elle se modifie, autrement dit, indépendamment de ce qu’ils peuvent apprendre de leur commerce pratique avec l’élément intramondain. [...] Est ainsi exclue toute interaction entre le langage en tant qu’il ouvre au monde et les processus d’apprentissage dans le monde11. »
9Accepter cette lecture que Habermas propose de faire de Castoriadis, ce serait ainsi reconnaître que ce dernier est de fait incapable de faire véritablement droit à la créativité spécifique de l’agir des individus, de résoudre la question du rapport entre la praxis située des individus et le processus de création sociale : « Ma thèse est que Castoriadis ne parvient pas à résoudre ce problème, et ce parce que l’économie de sa conception de la société ne laisse aucune place à une praxis intersubjective, qui puisse être attribuée aux individus socialisés. L’institution – produite par l’imaginaire – de mondes toujours nouveaux finit, chez Castoriadis, par engloutir la praxis sociale, dans l’anonymat de son sillage12. » Nous pourrions encore dire que la théorie de l’imaginaire radical ne permet pas de penser véritablement la responsabilité des individus socialisés par rapport aux croyances fondamentales qui structurent leur espace social. On trouverait certes chez Castoriadis une philosophie qui fait pleinement droit à une subjectivité capable de reconnaître la contingence des imaginaires sociaux et de les critiquer. Mais cette prise de conscience critique ne serait pas comme telle articulée au processus d’auto-altération radicale des sociétés, à ce processus fondamentalement anonyme de mutation des imaginaires sociaux. La raison critique, à force de chercher en l’autre qu’elle-même, en l’imaginaire instituant, de quoi nourrir son propre pouvoir, se rendrait finalement impuissante, condamnerait le sujet quotidien à tenir une position de pur commentateur.
10C’est pour cette raison que Habermas s’attache à montrer que les événements qui sont aux yeux de Castoriadis porteurs d’une véritable puissance de création sociale sont des événements nécessairement étrangers à l’ordre des interactions quotidiennes : « Castoriadis porte toute son attention, exactement comme l’avait fait Hannah Arendt, sur ces rares instants historiques où la pâte dont sont formées les institutions est encore fluide, c’est-à-dire sur les moments productifs qui voient se fonder les nouvelles institutions. [...] Castoriadis expose le cas du politique à partir du cas limite que constitue l’acte de fondation d’une institution, et explique à son tour celui-ci, à partir d’un horizon esthétique d’expérience, comme l’instant extatique qui, rompant avec le continuum du temps, instaure quelque chose d’absolument nouveau. C’est, à ses yeux, le seul moyen de dégager le noyau essentiellement productif qui préside à la reproduction de la société. Le processus social se caractérise, pour Castoriadis, par la production, de formes radicalement autres ; [...] bref, c’est une auto-institution et une genèse ontologique de mondes toujours nouveaux13.» La création sociale que Castoriadis cherche à penser ne serait donc pas tant celle qui se produit au sein d’un espace de pratiques instituées que celle qui est inhérente à la production de pratiques radicalement nouvelles, une des conséquences d’une telle compréhension du changement social étant qu’elle risque de ne plus pouvoir penser le social qu’à partir de ce qui en lui fait totalité. Dans une perspective habermassienne, Castoriadis n’est-il pas dès lors condamné à n’interroger le social qu’à partir d’un point de vue extérieur aux luttes concrètes qui se produisent au sein d’un espace social en transformation progressive ?
11Pour Habermas, le danger fondamental de la position prise par Castoriadis consiste en effet dans le fait qu’elle implique l’homogénéisation de chaque monde socio-historique. Dans cette perspective, autant Habermas aurait tendance à penser l’être du social à partir du temps présent, c’est-à-dire à partir de sociétés hautement différenciées, autant Castoriadis aurait tendance à penser l’être du social en prenant davantage comme repère ce temps où le processus de différenciation et de rationalisation des sphères du social ne s’est pas encore produit. Il existerait bien entendu pour Castoriadis des sociétés en voie de décomposition sociale, subissant un processus d’éclatement et de contradiction des significations sociales, comme c’est le cas aujourd’hui. Mais cette situation de crise ne ferait que révéler par la négative cette idée que le social doit se comprendre comme un processus fort d’auto-totalisation et non comme un processus faible d’auto-totalisation, ainsi que c’est le cas chez Habermas. D’un point de vue habermassien, tout se passe chez Castoriadis comme si, par rapport à une signification sociale donnée, des conflits autour de l’interprétation en situation de ce sens n’allaient pas nécessairement surgir, ces conflits étant bien entendu plus ou moins activés ou inhibés14. C’est précisément ce que Jean-Marc Ferry cherche à dire lorsqu’il défend l’idée que le paradigme de la compréhension du sens chez Castoriadis ne peut être que celui de l’institution. En sens inverse, c’est précisément cette relation interne entre sens et validité que Habermas veut à tout prix maintenir. Il y aurait ainsi une certaine façon castoriadienne de penser l’instauration imaginaire de la totalité sociale qui aurait comme implication fondamentale de ne plus permettre une mise en question progressive de cette dernière, cette transformation progressive n’étant précisément rendue possible qu’à partir de conflits normatifs internes aux praxis intramondaines15. C’est cet aller-retour entre la production de nouveaux imaginaires sociaux et l’exercice d’une pensée critique et délibérative en situation qui serait ainsi manqué par Castoriadis. En pensant la création sociale à partir du paradigme de la mutation, Castoriadis se rendrait incapable de nouer véritablement l’un à l’autre la dimension de la critique sociale et la dimension de la création sociale. C’est pour cette raison, selon Habermas, que l’on trouve chez Castoriadis une oscillation complètement contradictoire entre une théorie du social qui enferme de façon radicale les individus dans l’institution immémoriale d’un certain sens et une théorie qui prétend en même temps faire droit à l’autonomie fondamentale des individus.
12Pour dépasser une telle oscillation dialectique, il n’y a pas d’autre solution pour Habermas que de construire une théorie communicationnelle qui inscrit dans la compréhension même du sens l’exigence d’un partage intersubjectif de prétentions à la validité. Ce n’est qu’en développant une approche pragmatique et non pas seulement sémantique du tournant linguistique qu’il serait possible autrement dit de faire véritablement tenir ensemble l’axe de la compréhension et l’axe de la discussion. Si la possibilité de la critique n’est pas interne à l’expérience même du sens, on est immanquablement conduit à une dialectique abstraite qui fait que les individus sont soit complètement immergés dans la fabrique du social, soit en situation prise de conscience nihiliste de la pure contingence des imaginaires sociaux. La création sociale ne peut se comprendre alors que dans les termes de la mutation, de l’altération radicale, du changement radical de société. Castoriadis serait ainsi pris dans une oscillation empirico-transcendantale caractéristique de la philosophie de la subjectivité16. En refusant d’articuler de façon intrinsèque la question de la compréhension du sens à la question de la validité, Castoriadis serait en définitive conduit selon Habermas à comprendre le processus d’auto-altération de la société moderne comme un destin hétéronome du genre « histoire de l’Être ».
13Il est évident que Castoriadis ne pouvait que refuser de façon radicale une telle interprétation de ses travaux : « La philosophie implicite de l’histoire de Heidegger – l’histoire comme Geschick, destin, destination et donation de l’Être et par l’Être –, comme la totalité de ses écrits trouvent leur condition nécessaire dans la cécité congénitale de Heidegger devant l’activité critique/politique des êtres humains (qui est à la racine de son adhésion au nazisme et au Führerprinzip)17. » La lecture que Habermas propose de Castoriadis neutralise en effet complètement l’enjeu fondamental de sa pensée, lequel n’est certainement pas de destituer la question de la validité au profit d’un pure et simple ontologie poético-démiurgique de la création sociale18. La philosophie de Castoriadis est une philosophie de la praxis qui entend faire absolument droit au pouvoir de la critique et de la délibération et qui entend en ce sens articuler à sa façon la question du sens et la question de la validité. Mais précisément, pour Castoriadis, ce que Habermas occulte lui-même, c’est la contingence et par conséquent la fragilité fondamentale de ce rapport entre la question du sens et la question de la validité. Pour Castoriadis, le rapport habermassien des individus et des communautés à la question de la vérité est en effet un rapport qui, au plan transcendantal tout au moins, va entièrement de soi. L’exigence de l’éthique de la discussion est implicitement au cœur de tout acte de langage, mais c’est pour cette raison que cette exigence n’implique aucune véritable utopie, aucune position contingente d’une fin.
14Selon Castoriadis, le philosophe allemand serait finalement « conduit, de manière tout à fait caractéristique, à chercher un mythique fondement biologique aux question de la théorie sociale et de l’action politique, dont témoigne, entre beaucoup d’autres, le passage suivant : "La perspective utopique de la réconciliation et de la liberté est incorporée dans les conditions de socialisation communicationnelle de la reproduction de l’‘espèce’. [...]". Depuis quand donc la biologie (les "mécanismes linguistiques de la reproduction de l’espèce") peut-elle contenir "déjà" une perspective "utopique" ? Pourquoi ces "mécanismes" ne seraient-ils pas compatibles avec la conservation de société closes – qu’ils ont, au contraire, assurées presque partout, presque toujours dans l’histoire ? Et pourquoi la liberté serait-elle une "utopie" ? La liberté n’est ni "utopie", ni fatalité. Elle est projet social-historique sans la réalisation déjà advenue, bien que partielle, duquel ni Habermas ne serait en mesure d’écrire ce qu’il écrit, ni moi de lui objecter19 ». En voulant fonder le projet de l’éthique de la discussion sur une propriété pragmatique censée être présente en tout acte de langage, Habermas naturaliserait malgré lui ce qui pourtant ne peut manquer d’échapper à l’ordre de la naturalité : « Fonder le projet de liberté philosophiquement en raison, c’est déjà un mauvais usage de la raison, puisque la décision même de philosopher n’est qu’une manifestation de la liberté : philosopher, c’est essayer d’être libre dans le domaine de la pensée. Vouloir le "fonder" sur "les conditions linguistiques de la reproduction de l’espèce", c’est revenir vers un positivisme biologique qui conduit à ce paradoxe incohérent, de faire de la liberté à la fois une fatalité inscrite dans nos gênes et une "utopie"20. » Il est évident que Castoriadis force clairement le trait en faisant appel à la question des gènes pour illustrer la quasi transcendantalité des principes de la pragmatique universelle. Par ailleurs, contrairement à ce que laisse entendre Castoriadis, il n’est pas possible pour une société dite close de se reproduire selon les principes de l’éthique de la discussion. Ce que Habermas veut précisément montrer, c’est au contraire que les actes de langage échangés dans ces sociétés dites closes portent pragmatiquement en eux un appel à l’ouverture, à un dépassement vers une société plus ouverte, ce qui force précisément ces sociétés à mettre en place une série de dispositifs qui empêchent les actes de langage de développer leur potentialité émancipatrice. L’interprétation que nous proposons ici de l’œuvre de Castoriadis nous incite à penser que Castoriadis aurait pu accepter de revenir sur ces traits caricaturaux imputés à Habermas.
15La question fondamentale n’est pas là en effet. Cette caricature de la position de Habermas étant dépassée, il reste que la critique que Castoriadis adresse au théoricien de l’agir communicationnel est néanmoins de mise. Pour Castoriadis, toute tentative de fonder l’idéal de la liberté dans une pragmatique valant pour tout acte de langage revient en effet à diminuer la radicalité de cet idéal. Celui-ci ne peut plus en effet être vécu comme le fruit d’un engagement de la vie humaine dans un nouveau chemin. Les principes habermassiens de l’éthique de la discussion s’imposent pour ainsi dire d’eux-mêmes au sein de tout acte communicationnel, même s’il leur faut des conditions sociales-historiques favorables pour être véritablement honorés. Mais, ce faisant, pour Castoriadis, le projet d’autonomie perd tout à la fois en radicalité et en fragilité. C’est en effet parce qu’il est un événement dans l’histoire de l’humanité que le projet d’autonomie est simultanément radical et fragile : « A partir du moment où nous sommes sortis de la clôture de l’institution sacrée ; à partir du moment où les Grecs ont posé les questions : que devons-nous penser ? que devons-nous faire ? dans un monde qu’ils avaient construit de telle sorte que les dieux là-dessus, n’avaient rien à dire, il n’y a plus d’esquive possible de la responsabilité, du choix, de la décision. Nous avons décidé que nous voulons être libres – et cette décision est déjà la première réalisation de cette liberté21. » C’est pour cette raison que Castoriadis reproche à Habermas de faire contradictoirement de la liberté rationnelle une utopie et en même temps une réalité implicitement présente dans l’auto-reproduction de toute société possible. Si la liberté dont parle Castoriadis est bien entendu constitutivement liée à une volonté politique de transformation de la société, il importe en même temps de ne pas faire de cette liberté le fruit d’une quelconque nécessité fonctionnelle ou même rationnelle. L’intégration du social n’implique en aucune manière, même sur un mode transcendantal, un projet d’autonomie.
16C’est pour cette raison qu’il importe de mettre en évidence le caractère fondamentalement immotivé du projet d’autonomie en tant que création historique. L’exigence castoriadienne de l’autonomie ne se réduit pas à la seule recherche objective du meilleur principe de régulation sociale. Affirmer le contraire reviendrait à dire selon Castoriadis qu’une régulation de l’espace social selon les principes fondamentaux de l’éthique de la discussion n’a finalement d’autre finalité que de permettre au social de se déployer enfin selon les principes constitutifs de toute société possible. Mêmes les sociétés dites closes, parce qu’elles impliquent des actes de communication et de reconnaissance réciproque, seraient ainsi appelées à se réguler selon les principes de l’éthique de la discussion. L’exigence d’autonomie serait au cœur du social en tant que tel, de façon refoulée ou déniée la plupart du temps certes, mais présente néanmoins au sein du moindre acte communicationnel. Le risque est très grand ce faisant que cet idéal d’une vie critique et délibérative perde de son souffle pour ainsi dire prophétique, qu’il soit sans cesse ramené à une exigence purement interne au processus de constitution de toute société possible.
17L’articulation profonde entre le sens et la critique va donc absolument de soi chez Habermas. Quand bien même cette articulation ne relève que d’une nécessité quasi transcendantale, il reste que c’est bien tout acte de langage qui est censé impliquer sur un mode implicite ou explicite l’exigence de l’éthique de la discussion. Pour Castoriadis, au contraire, cet idéal ne va pas du tout de soi et n’est comme tel aucunement nécessaire, même sur un mode latent, à la constitution du social. En considérant que le rapport entre sens et validité va de soi, Habermas ne voit pas que l’introduction contingente de cet idéal nouant l’un à l’autre sens et validité implique en fait une véritable reconfiguration historique de l’identité profonde des individus, l’instauration d’une nouvelle façon radicale de se vivre et de vivre l’humain, la création de nouveaux affects. Il s’interdit plus encore de réfléchir aux conditions d’effectivité d’un tel investissement imaginaire, ces conditions d’effectivité étant en effet beaucoup plus radicales pour Castoriadis qu’elles ne le sont pour le philosophe allemand. Ces exigences ne peuvent manquer en effet d’être beaucoup plus radicales dans le cadre d’une philosophie qui pose l’investissement imaginaire de l’autonomie comme une création immotivée que dans le cadre d’une philosophie qui cherche à convaincre les individus de devenir effectivement ce qu’ils sont déjà, des êtres nécessairement engagés en tant qu’êtres parlants dans l’idéal d’une vie selon la raison, dans un projet d’autonomie. S’il est évident pour Habermas qu’il faut des conditions favorables à l’émergence d’un projet effectif d’autonomie, d’une véritable culture de l’agir communicationnel, ces conditions ne restent que des conditions favorisant l’accomplissement de ce qui est déjà là, de façon quasi transcendantale, au sein de tout acte de langage. Pour Castoriadis, les conditions d’effectivité du projet d’autonomie sont au contraire les conditions d’instauration d’un projet qui n’est d’aucune manière transcendantalement présent dans les propriétés pragmatiques du langage humain en tant que langage humain. C’est précisément pour cette raison que se laisser engager dans le projet d’autonomie, individuellement et collectivement, c’est s’identifier au sens le plus fort du terme à cet idéal et y éprouver ce faisant son devenir-autre, sa propre altération.
18En réponse aux critiques de Habermas qui assimile sa pensée à une variante parmi d’autres de ces philosophies de la différence qui, à la suite du dernier Heidegger, hypostasient l’horizon dans sa différence radicale, Castoriadis n’a pas manqué de revendiquer de façon très prononcée son adhésion à l’idéal d’une vie critique et délibérative. C’est précisément pour cette raison qu’il reproche à l’éthique de la discussion de céder à un fonctionnalisme spécifique de la communication qui non seulement prétend tirer le droit du fait22, mais qui, pour cette même raison, occulte encore le caractère pour ainsi dire inouï et ce faisant fragile de l’idéal d’autonomie. En faisant du projet d’autonomie une création historique, c’est en fait le chantier de l’engagement affectif des individus dans la vie rationnelle que Castoriadis est en train d’ouvrir, cet engagement affectif ne pouvant être fondé dans un respect pour la raison que la raison pourrait générer absolument d’elle-même. Au contraire, ce respect pour la raison implique un investissement identitaire plus profond. Cet investissement identitaire implique lui-même le partage anonyme d’une même culture de la vie rationnelle, cette adhésion affective des individus et des communautés à cette culture ne pouvant être elle-même causée de façon mécanique par quelque détermination matérielle ou rationnelle que ce soit.
II. Les dimensions ensidique et imaginaire de la vérité
19Pour bien saisir l’enjeu du débat entre Castoriadis et Habermas sur la question de la vérité, il importe par conséquent de repérer les différents niveaux de rapport à la vérité qui se déploient dans l’œuvre de Castoriadis. Un premier niveau d’interrogation développé par Castoriadis est en effet lié à la dimension ensidique du rapport à la vérité. Il est en effet évident pour Castoriadis que la question de la vérité émerge nécessairement dès qu’il y a langage et communication : « Cela est un préréquisit de la vie sociale telle que nous la connaissons et telle que nous pouvons l’imaginer dans ses variantes les plus exotiques. Il faut toujours qu’on puisse dire à quelqu’un : "l’information que tu as donnée était fausse"23. » La question de la vérité est ainsi nécessairement mobilisée dans toutes ces interactions pratiques que les individus partagent au sein d’espaces sociaux déjà institués. La question de la vérité ne peut manquer d’être également mobilisée à chaque fois qu’il s’agit de mesurer l’applicabilité de toute nouvelle signification sociale. L’exigence de la vérité est liée alors à la nécessité d’une rencontre entre la signification imaginaire créée et les conditions ensidiques de son effectuation au sein d’un monde qui ne peut en aucune manière être considéré comme un pur chaos24. Les significations produites par l’imaginaire social sont toujours déjà articulées à des déterminations ensidiques. C’est dire que les processus de régulation de l’espace social impliquent nécessairement l’épreuve pour ainsi dire naturelle d’un certain rapport entre la question du sens et la question de la vérité. Entre la signification imaginaire et son effectuation en situation, il y a nécessairement en effet un écart où gît un premier type de rapport naturel à la question de la vérité. Ce rapport est inhérent à tout processus de reproduction sociale.
20Ce n’est toutefois pas ce type de rapport purement fonctionnel à la vérité qui est mobilisé dans les réflexions tant de Habermas que de Castoriadis. C’est précisément pour cette raison d’ailleurs que Habermas distingue la rationalité instrumentale et la rationalité communicationnelle et reproche ainsi à Castoriadis d’être resté prisonnier d’une approche à ses yeux purement objectiviste du processus de transformation sociale. Il est important de noter d’ailleurs que Habermas et Castoriadis s’accusent en fait mutuellement, pour des raisons bien entendu différentes, de développer une telle approche objectiviste. Mais l’un comme l’autre ont en fait tort. Même si, en définitive, comme nous venons de le montrer, Habermas risque d’être pris dans une forme spécifique de fonctionnalisme de la communication, l’éthique de la discussion étant nécessaire à l’intégration accomplie de toute société possible, il est en même temps évident que la pragmatique universelle repose sur la capacité des individus à traiter leurs problèmes pratiques sur base de critères autres que seulement fonctionnels. Il s’agit bien ici de lutter contre toute forme de colonisation du monde vécu par le système, de participer à un processus d’autonomisation de la vie sociale. Pour Habermas tout autant que pour Castoriadis, la question de la vérité est bien liée en ce sens à autre chose qu’à une seule exigence de régulation purement fonctionnelle de l’espace social. Elle est liée à l’exigence d’une réalisation de la liberté. C’est pour cette raison que Castoriadis affirme que la philosophie s’est créée en Grèce comme une dimension essentielle de la question de la liberté25. Cette émergence de la question de la vérité entendue au sens fort du terme est corrélative de l’émergence d’une responsabilité des individus par rapport à leurs différentes croyances et pratiques. C’est pour cette raison que le véritable débat entre Habermas et Castoriadis ne se joue pas comme Habermas aimerait le faire croire entre une philosophie qui refuserait d’articuler la question du sens et la question de la validité et une autre philosophie qui, quant à elle, penserait leur rapport interne. Pour Castoriadis, bien au contraire, la société autonome implique tout autant que chez Habermas un rapport interne entre l’épreuve de la donation du sens et l’épreuve de sa mise en question, mais la possibilité effective de cette mise en question du sens implique une véritable création historique, l’investissement imaginaire de la question du vrai et du juste en tant que tels.
21Chez Castoriadis, l’épreuve de la contingence des imaginaires sociaux ne conduit d’aucune manière à un relativisme, à un désinvestissement de la prétention de la raison à viser le vrai et le juste en tant que tels, à dépasser autrement dit encore le cadre socio-historique concret de chacune de ses effectuations. C’est très exactement du contraire dont il est question, l’exigence de la raison étant nécessaire à l’acceptation effective de la contingence des imaginaires sociaux. Il importe donc pour Castoriadis de faire clairement une différence entre une approche seulement fonctionnelle ou encore ensidique de la question de la vérité et une approche au sein de laquelle la vérité devient une signification sociale, est investie imaginairement. Ce rapport à la vérité ne peut pas être issu de nécessités seulement fonctionnelles. En faisant ainsi de la vérité l’objet d’un investissement imaginaire, les individus passent chez Castoriadis d’un rapport purement fonctionnel à la vérité à un rapport où c’est leur identité profonde d’individus, le sens et la puissance même de leur désir de vivre qui se met affectivement en jeu. Du point de vue d’une théorie de l’imaginaire radical, nous dirons donc que Habermas ne pense pas l’enjeu identitaire profond, à la fois individuel et collectif, de nature affective, qu’implique un tel rapport non ensidique à la vérité, et c’est précisément pour cette raison, selon Castoriadis, que l’éthique de la discussion est nécessairement contaminée par une forme spécifique de fonctionnalisme.
22En insistant sur cette dimension imaginaire de la vérité, il n’est aucunement question ce faisant de considérer la dimension ensidique de la vérité comme une dimension purement secondaire ou inessentielle. Non seulement la vérité dans sa dimension ensidique est nécessaire à la traduction mondaine de toute nouvelle institution du sens, mais elle permet encore à des individus membres de cultures fondamentalement différentes de s’entendre pratiquement. Que l’eau puisse être investie de différentes significations imaginaires n’annule en rien le fait qu’elle est porteuse d’une série de propriétés objectives qu’il importe pour des raisons techniques de saisir dans leur objectivité. Il reste toutefois que l’investissement imaginaire de la vérité dont il est ici question avec le projet d’autonomie ne relève d’aucune manière d’une telle nécessité fonctionnelle. Une des implications de cette thèse importante est que ce n’est pas parce que des individus de cultures très différentes parviennent à s’entendre sur le plan ensidique, qu’ils partagent de mêmes vérités et de mêmes méthodes de recherche de la vérité, qu’ils entretiennent un même rapport d’identification imaginaire à la vérité. Ce n’est certainement pas le partage d’une même rationalité instrumentale qui peut générer une rencontre des cultures autour d’un même investissement affectif de la question de la vérité. Il est tout à fait possible de posséder les meilleures connaissances techniques qui soient sans pour autant faire partie d’une culture qui investit imaginairement l’idéal d’autonomie. Une des grandes différences entre Castoriadis et Habermas consiste ainsi dans le fait que Castoriadis refuse cette idée selon laquelle la rationalité instrumentale présuppose, même sur un plan transcendantal, la rationalité communicationnelle entendue ici au sens le plus fort du terme, ce qui est par contre absolument le cas chez Habermas. La distinction que Habermas fait entre l’agir communicationnel et l’agir stratégique, aussi importante soit-elle pour éviter toute confusion entre les différents intérêts de la connaissance, n’annule en rien le fait que l’agir stratégique implique transcendantalement l’agir communicationnel, autrement dit, que tout acte de langage est porteur de façon implicite ou explicite d’une même exigence d’autonomie.
23Pour Castoriadis, une activité communicationnelle est clairement nécessaire à la production de nos différentes connaissances empiriques : « Il y a certes une dimension "communicationnelle" (plus simplement, une communication) presque partout dans l’agir social (de même qu’il y a, partout, "une activité instrumentale", c’est-à-dire ensidique, un legein et un teukhein)26. » Mais ce n’est pas d’une telle communication dont il est question dans la pragmatique universelle. Chez Habermas, la rationalité communicationnelle, qui est transcendantalement présupposée par la rationalité instrumentale, qui est présente à titre au moins d’exigence en tout acte de langage, est d’une nature beaucoup plus forte. C’est cette présupposition forte que Castoriadis ne cesse de refuser, ce refus n’ayant pas comme objectif de déforcer l’exigence de la raison, mais au contraire d’en penser la radicalité identitaire et affective. Il y a un véritable abîme chez Castoriadis, qui est l’abîme même de la créativité radicale de l’imaginaire, entre un investissement instrumental de la question de la vérité et un investissement qui constitue l’idéal de la critique en point de passage obligé d’une identité, d’une vie sensée. Même s’il est vrai qu’un investissement imaginaire de la vérité a été nécessaire pour que la rationalité instrumentale se développe dans la culture occidentale avec la puissance que l’on sait, il reste que la rationalité instrumentale n’implique pas en tant que telle la constitution de la vérité en un véritable enjeu identitaire. Il est tout à fait possible en ce sens qu’un certain accroissement de la raison instrumentale aille complètement de pair avec un désinvestissement identitaire de la question de la vérité27.
24Lorsque Castoriadis reproche à Habermas de ne développer qu’un certain fonctionnalisme de la communication, ce n’est donc certainement pas au nom d’une théorie de l’imaginaire qui ferait passer la vie rationnelle au second plan. C’est bien plutôt au nom de l’idéal même de la vérité, lequel est nécessaire au déploiement d’une vie véritablement autonome, que Castoriadis s’attache à montrer de quelle façon l’approche habermassienne du rapport entre sens et validité risque de trop naturaliser la question de la vérité, risque autrement dit d’en faire une composante simplement objective de la nature humaine. En sens inverse, la société autonome telle que la pense Castoriadis implique une véritable passion pour la recherche de la vérité, laquelle ne peut précisément trouver sa force qu’en étant l’objet d’un investissement imaginaire, qu’en étant autrement dit porteuse d’un enjeu identitaire et affectif radical. Lorsque l’on reproche à Castoriadis de faire de la vérité une signification imaginaire parmi d’autres possibles, on ne voit pas du tout que la portée fondamentale de cette thèse est de nous permettre de considérer le rapport à la vérité comme étant porteur d’un enjeu qui n’est pas seulement fonctionnel ou rationnel, mais qui est identitaire au sens le plus fort du terme, c’est-à-dire qui concerne l’adhésion imaginaire des monades psychiques, des individus et des communautés à une certaine façon d’investir la vie d’un certain sens.
25L’engagement individuel et collectif dans une vie autonome implique la puissance affective d’un désir d’autonomie. Pour Castoriadis, les seules exigences objectives, fonctionnelles ou rationnelles, de la raison ne peuvent pas constituer à elles seules un désir de la raison. C’est pour cette raison que ce projet affectif-identitaire de l’autonomie n’est pas pensé par Castoriadis dans la perspective d’une autoréalisation des propriétés objectives de l’humain en général. Elle est pensée dans le cadre de la formation d’un nouvelle identité par un certain nombre d’humains, dans le cadre de la création d’une certaine culture de la vie. Il y a un rapport tout à fait essentiel dans l’œuvre de Castoriadis entre sa théorie du psychisme et sa théorie de la raison. La force de l’investissement imaginaire est lié à la contingence des représentations susceptibles d’être investies par celui-ci. La défonctionnalisation du psychisme humain rend possible la passion humaine, cette passion qui peut précisément conduire des individus à donner leur vie pour la vérité. La contingence de cet investissement imaginaire, loin d’en atténuer la force, l’accroît donc au contraire. Les individus autonomes ne tiennent en effet à ce projet d’autonomie que pour des raisons qui les concernent dans la singularité radicale de leur vie. Ils y tiennent parce que ce projet n’est rien d’autre qu’eux-mêmes. Ce projet est ce qu’ils sont devenus et ce qu’ils veulent être davantage encore. C’est pour cette raison qu’il n’est pas possible pour Castoriadis de faire de la critique cette instance neutre qui nous permettrait précisément de prendre distance par rapport à nos différentes identifications personnelles et collectives. Tout en étant pour une certaine part juste, une telle façon de caractériser le rôle de la raison par rapport à nos différentes identifications imaginaires risque d’occulter le fait que la puissance de la raison implique que nous nous soyons identifiés profondément à elles, autrement dit que l’autonomie soit pour nous devenue une identité impliquant des affects profonds28. Cette façon de concevoir la raison comme une signification imaginaire est liée à une volonté de lui donner de véritables ressources affectives et identitaires, de lui donner la puissance d’un désir. Nous sommes en présence ici d’un cercle qui fait que la raison pour pouvoir jouer un véritable rôle critique par rapport aux productions de l’imaginaire doit être elle-même investie par ce pouvoir de l’imaginaire, par le pouvoir qu’il a de s’investir dans de nouvelles représentations, en l’occurrence ici celle d’une vie qui se veut pleinement autonome.
26Le pouvoir de l’imaginaire chez Castoriadis est tout autant le pouvoir d’ouvrir des représentations sans rapport avec quelque nécessité fonctionnelle que ce soit que le pouvoir de s’identifier à ces représentations, d’y investir la puissance du vivre humain. L’imaginaire produit des représentations, mais qui n’ont rien de neutre, qui sont l’objet d’une identification affective. C’est pour cette raison qu’il y a une grande différence entre le fait de se reconnaître objectivement comme des êtres rationnels et le fait de s’identifier comme des êtres rationnels, c’est-à-dire de faire de la rationalité le fondement identitaire, imaginairement produit, d’une identité personnelle et collective.
27Il est évident pour Castoriadis que la puissance de cette identification imaginaire implique sa contingence : elle vient particulariser une certaine façon pour cette puissance créatrice, défonctionnalisée, qu’est le vivre humain de s’identifier à un certain sens. Cette pour cette raison qu’il n’y aucune contradiction dans une perspective castoriadienne entre le fait de reconnaître la raison comme une propriété objective de la nature humaine et le fait de reconnaître la raison comme l’objet d’un investissement imaginaire au sein d’une communauté particulière donnée. Dans le premier cas, la raison est saisie comme une dimension universelle du vivre humain, comme ce que tout humain ne peut manquer de développer en tant précisément qu’il appartient à une nature humaine dotée de certaines propriétés. Dans le second cas, la raison est l’objet d’une identification imaginaire qui particularise des individus et des communautés par rapport à d’autres. Pour ces individus, la raison n’est pas seulement porteuse d’un enjeu fonctionnel. Elle est porteuse d’un enjeu identitaire au sens fort du terme, d’un enjeu donc qui concerne le sens et la puissance de leur vivre humain, leur goût de la vie. L’objection qui peut être aussitôt formulée à cette dernière thèse est qu’elle fait de la raison un objet de désir parmi d’autres possibles et qu’elle annule ce faisant le caractère contraignant de l’exigence consistant à vivre de la façon la plus autonome possible. En définitive, Habermas n’aurait-il tout de même pas raison de mettre en évidence chez Castoriadis une approche trop contextualiste du projet d’autonomie ?
III. L’exigence transcendantale de la vérité chez Castoriadis
28La thèse que nous défendons dans cet article est que la philosophie de Castoriadis défend au contraire une position qui rejoint par certains aspects la théorie pragmatico-transcendantale de Apel selon laquelle il y a bel et bien pour les sujets autonomes une exigence d’autonomie qui s’impose absolument à eux. Il n’y a donc aucune forme de décisionnisme qui soit envisagé par Castoriadis et encore moins de philosophie non absolument engagée dans la recherche du vrai et du juste. Même si Apel et Castoriadis ne sont pas du tout en dialogue, l’intérêt de les confronter l’un à l’autre est de nous permettre de saisir avec plus de finesse le cœur de la théorie castoriadienne de la raison critique.
29Avant de déployer cette thèse, il importe tout d’abord de bien saisir que la subjectivité réfléchissante castoriadienne s’étaye sur le non-déterminisme de la psyché, sur sa capacité d’imagination, sur sa capacité de sublimation et de désinvestissement des objets sociaux, sur cette nécessaire tension entre l’imaginaire radical de la monade psychique et l’imaginaire social. La possibilité de la réflexivité est en effet liée au fait que les normes ne sont jamais incorporées par la psyché de façon telle que les individus sociaux pourraient les suivre de façon purement spontanée. Il y a toujours un reste irréductible. C’est pour cette raison que la possibilité de la réflexivité et de l’autonomie n’est en aucune manière opposée chez Castoriadis à l’idée d’un espace social composé d’individus qui ne peuvent s’approprier de façon absolue les normes de comportements auxquelles pourtant ils adhèrent. L’exigence de l’autonomie n’implique pas, même en idéal, des individus qui seraient sans reste engagés dans les normes qu’ils désirent néanmoins suivre. Il importe bien au contraire ici de montrer que toute tentative d’annuler cette extériorité irréductible des normes, laissant penser que des individus pleinement rationnels n’auraient au fond plus besoin de points d’appuis normatifs transcendants, revient à empêcher le déploiement d’une autonomie effective29. Comme on le voit, la possibilité même de la réflexivité au sens fort où l’entend Castoriadis, qu’il distingue du mécanisme fonctionnel de l’auto-référence30, repose sur la contingence du rapport du psychisme à ses représentations.
30Mais il importe précisément alors de bien saisir que cette épreuve d’une contingence des significations imaginaires peut se vivre de façons très différentes, comme ce qui est à occulter ou comme ce qui est à assumer de façon positive. Ces différentes formes d’épreuve sont toutes également possibles. Il y a bien en ce sens un abîme entre la réflexivité telle qu’elle surgit comme simple possibilité de la nature même du psychisme humain et la réflexivité instituée en forme de vie. Dans cette perspective, un des aspects les plus originaux de la philosophie castoriadienne consiste, contrairement aux thèses qui font de lui un penseur relativiste, à montrer que la capacité des individus à soutenir l’épreuve de la contingence des significations imaginaires implique la création dans le champ social-historique de ces objets d’investissement sublimés que sont le vrai comme tel et le juste comme tel. Comme le montre Laurent Van Eynde, c’est bien l’investissement imaginaire de la raison qui permet à l’imaginaire de ne pas se laisser inhiber par la tendance naturelle du psychisme à l’hétéronomie, qui permet autrement dit de véritablement affronter la contingence et de libérer corrélativement la créativité de l’imaginaire31. Dans cette perspective, Castoriadis est clairement opposé à un perspectivisme ou à un ethnocentrisme tel que le développe un certain Richard Rorty et refuse de faire de l’histoire de la philosophie une succession de récits. Il y a pour Castoriadis une « histoire de la vérité32.» Loin que la recherche d’une vérité qui transcende les contextes de sa reconnaissance doive être comprise comme ce qui vient obturer l’épreuve que les individus peuvent faire de la contingence des imaginaires sociaux, c’est bien au contraire l’exigence même d’une vie aussi rationnelle que possible qui permet aux individus d’assumer la contingence radicale des sens qui peuvent être donnés à la vie humaine, de regarder cette contingence droit dans les yeux, de l’assumer et non de l’occulter. C’est pour cette raison d’ailleurs que Castoriadis refuse de façon très vive que l’on assimile sa pensée au courant néo-heideggérien de la pensée faible. Sans qu’il y ait totalitarisme au sens fort pour autant, une société où la norme est l’imposition molle de vues, où la question de la vérité se trouve dissoute dans une indifférence généralisée, est une société qui refuse d’affronter la question de sa propre contingence33. Lorsque l’on adopte une position relativiste face à toute une série d’enjeux, cette position relativiste camoufle par ailleurs bien souvent notre adhésion à telle ou telle autre croyance ou pratique absolument inquestionnable. C’est pour cette raison que la fin de la philosophie comprise comme recherche de ce qui est vrai et juste ne peut être comprise par Castoriadis que comme la fin du projet même de la liberté : « C’est dans ce contexte, et poussés par ces développements, que nous avons été amenés à considérer la question de la fin de la philosophie, notamment chez Heidegger, et à dire que si l’on parle de "fin de la philosophie", il faut avoir le courage de parler de la fin du projet de liberté ou d’autonomie. Il n’est évidemment pas accidentel que, dans son infantilisme politique, Heidegger n’ait jamais pu faire cette connexion – qui, du reste, probablement, ne l’intéressait pas34. » Pour Castoriadis, il est évident que seule une passion pour la vérité peut nous amener à véritablement prendre conscience de la contingence fondamentale des différents sens qu’il est possible de donner au vivre humain. Sans un questionnement incessant sur la valeur de ces différents sens, ceux-ci ne peuvent se donner à nous comme des sens contingents.
31En sens inverse, l’épreuve de la contingence de ces sens libère la possibilité d’un travail de reprise critique. Il y a ainsi une forme de relativisme qui dissocie complètement l’un de l’autre l’épreuve même de la contingence des imaginaires sociaux et le travail critique de la raison. Il n’en va pas du tout de même chez Castoriadis dans la mesure où c’est bien au sein d’un imaginaire social-historique qui donne à la raison critique sa pleine puissance affective et identitaire que la contingence des imaginaires sociaux, au lieu d’être recouverte, occultée, est assumée en tant que telle. En ce sens, l’idée que les imaginaires sociaux sont imperméables au travail de la critique, ce qui revient à faire du philosophe un spectateur ou un commentateur averti de la mouvance humaine, ne fait que déconstruire ce lien profond entre la contingence assumée du sens et ce questionnement incessant qui est le cœur de la raison.
32Mais il est nécessaire d’aller plus loin encore dans notre réflexion en montrant qu’il y a bel et bien dans la pensée de Castoriadis, mais à titre de moment non suffisant, une fondation réflexive du projet d’autonomie. Refusant de se laisser enfermer dans quelque dialectique abstraite qui le forcerait à opposer la contingence des imaginaires sociaux et cette passion pour le vrai et le juste, Castoriadis ne cesse de reprendre à son compte, mais à la façon de Apel et non à la façon de Habermas, l’argument de l’auto-contradiction performative. A partir du moment où nous entrons dans une discussion rationnelle et engageons comme telles la question du vrai et la question du juste, même si les conditions d’effectuation de cette discussion sont situées socialement et historiquement, il reste que nous prétendons par notre activité rationnelle elle-même pouvoir dépasser ces circonstances dans lesquels nos propos sont ainsi ancrés. De par la signification pragmatique de notre acte même d’engagement dans l’argumentation, nous ne pouvons en aucune manière selon Castoriadis ramener la vie rationnelle et ses prétentions à la validité aux conditions locales de leur effectuation35. Si l’investissement imaginaire des individus dans la recherche du vrai et du juste est bien une création sociale-historique, il reste donc que le projet d’autonomie fonctionne pour les individus qui entrent ainsi effectivement et avec sérieux dans la critique et l’argumentation comme une exigence que l’on peut qualifier de transcendantale.
33Pour Castoriadis, c’est précisément parce qu’il y a de la création dans l’histoire et pas seulement du déterminisme qu’il est possible de s’interroger sur la légitimité des différentes façons dont l’humain construit son humanité. Une société autonome est précisément une société qui, pour faire droit à la contingence des imaginaires sociaux et à la liberté des individus, pose la question du vrai et du juste. Il ne peut en ce sens être question pour Castoriadis de faire de la question de l’autonomie individuelle et collective une création sociale-historique qui ne compterait pas de façon inconditionnée, dont nous pourrions concevoir la légitimité de sa disparition. Une telle thèse est très clairement un non-sens dans la philosophie de Castoriadis. Ainsi celui-ci peut-il écrire à propos du projet d’autonomie que la création humaine atteint ici « le point où elle fait apparaître – ou elle crée – la dimension "transcendantale"36.»
34Une fois l’idée de vérité investie, les individus qui adhèrent à cette idée ne peuvent pas faire comme si cette idée était quelconque, comme si l’activité même de la critique, vécue de façon sérieuse, ne les engageait pas de façon inconditionnée à perdurer dans cette activité et à vouloir qu’elle puisse être l’activité de tous. Il est tout à fait juste en ce sens de parler ici d’une véritable création du transcendantal dans la mesure où cette nécessité dans laquelle les individus qui argument avec sérieux sont de reconnaître sous peine d’auto-contradiction performative la valeur inconditionnée de l’argumentation est radicalement dépendante de l’effectivité d’une situation sociale-historique, est dépendante autrement dit encore de la création imaginaire du projet d’autonomie et de l’identification affective des individus à ce projet.
35Il apparaît donc ici que si l’investissement imaginaire du projet d’autonomie est contingent, une fois qu’il a lieu et pour tout le temps qu’il a lieu, une exigence inconditionnée d’autonomie s’impose néanmoins aux individus qui agissent en tant qu’êtres autonomes. La création de la raison critique, dans sa contingence même, est la création d’une réalité qui possède en elle-même sa propre exigence inconditionnée. Il est bien entendu très important de faire ici la différence entre un usage de la raison à des fins stratégiques et un usage inconditionné de la raison. Il est évident pour Castoriadis que ce dernier usage de la raison implique un investissement imaginaire de la raison, une mobilisation identitaire impliquant des conditions sociales-historiques spécifiques. Mais l’ancrage contextuel d’un tel rapport affectif à la raison n’élimine en rien, au contraire, le fait que cet investissement imaginaire engage performativement les individus à vouloir cette raison, à tout faire pour qu’elle continue de vivre, les empêche autrement dit de considérer la question de la vérité et la question de la justice comme étant sur le même plan que les autres. L’investissement imaginaire de la raison est contingent, mais il génère, dans son effectuation, la reconnaissance nécessaire d’une obligation, la reconnaissance de quelque chose qui vaut en soi : « Mais pour nous la question subsiste : tout ce que nous disons n’est-il pas le résultat de notre dressage en tant qu’individus élevés dans la tradition qui insiste sur le besoin de réfléchir, de révérer Descartes, etc. ? Ces considérations ne prétendent-elles pas être vraies, indépendamment de leur enracinement social-historique ? Autrement dit, ne présupposent-elles pas derechef <dimension d’idéalité et de validité> ? La réponse est assurément oui. Si je me demande : « sous quelles conditions ce que vous dites est-il vrai ? » je dois introduire dans les considérants non seulement l’idée qu’en tant que sujet effectif j’investis la visée du vrai et je possède une certaine capacité de choisir, mais aussi la condition qu’il m’est possible d’accomplir cette visée du vrai, au-delà des circonstances sociales-historiques qui conditionnent cette visée. Mais ce deuxième postulat <concerne la dimension d’idéalité>, il est là uniquement en corrélation avec ce processus de pensée et cette visée de vérité37. »
36C’est pour cette raison que l’autonomie est une signification imaginaire sociale tout à la fois contingente et nécessaire. Elle est contingente parce qu’il n’y a aucune nécessité liée à une nature humaine objective que s’instaure le projet d’une société autonome. Mais elle est en même temps nécessaire dans la mesure où il n’est pas possible une fois que l’on est entré de façon contingente dans cette vie rationnelle d’argumenter avec sérieux contre la rationalité ou encore de défendre de façon autonome le projet de ne plus l’être. Une fois que l’on s’engage avec sérieux dans l’activité critique, celle-ci ne peut plus être considérée comme valant par le seul fait de notre bon vouloir. Nous dirons ainsi que l’acte de raison ne peut manquer d’en appeler performativement à son propre renouvellement. Autant par exemple on peut et même on doit œuvrer pour la création ou la destitution de certaines significations imaginaires relatives à la vie économique, autant il est impossible pour les individus autonomes de vouloir rationnellement la fin de l’autonomie.
37On ne trouve en ce sens aucune forme de relativisme dans la pensée de Castoriadis. Au contraire, il importe chaque fois d’évaluer les significations imaginaires sociales en fonction de leur rapport à la promotion d’une subjectivité réfléchissante et libre. Dire que l’autonomie est une invention sociale-historique, ce n’est pas affirmer qu’il n’importe pas de s’y investir, que tout cela est au fond égal. C’est le contraire qui doit être soutenu. C’est précisément parce que nous sommes engagés dans une société qui se veut autonome que nous pouvons reconnaître la contingence des imaginaires sociaux. Dans les sociétés hétéronomes, cette contingence n’est pas reconnue. Tout ce qui ne correspond pas à notre imaginaire est du non-sens. Dans une société autonome, la contingence des cultures est au contraire reconnue comme telle. Mais cette reconnaissance implique précisément que l’on prenne au sérieux ces configurations culturelles, qu’on les discute. Et pour ce faire, il importe que les individus adhèrent radicalement à cette passion pour la recherche du vrai et du juste en tant que tels. Dans une société autonome, la question du sens est intrinsèquement liée à la question de la validité et cette relation entre le sens et la validité implique que l’on fasse de la question du vrai et de la question du juste des questions qui ne concernent pas seulement notre rapport à nous-mêmes, mais également notre rapport aux autres : « Nous affirmons que, pour nous, tous les peuples et tous les individus ont les mêmes droits à la liberté, à la recherche de la justice, à la réalisation de ce qu’ils considèrent comme le bien-être38. » L’autonomie au sens où l’entend Castoriadis, lorsqu’elle surgit, ne peut manquer, de par sa nature même, d’exiger que nous voulions l’autonomie de tous et que nous agissions en conséquence, cherchant à mettre en place des dispositifs susceptibles de rendre possible la traduction effective de ce désir d’autonomie en actions conséquentes, en agir collectif : « Un accord sur les revendications traduisant des intérêts reconnus universalisables n’implique aucune forme particulière d’action pour que ces revendications aboutissent à des transformations sur le plan institutionnel de l’autonomie sociale. Castoriadis a raison de souligner cette carence de l’agir communicationnel [...]39. » Mais, comme nous venons de le montrer, l’accroissement du pouvoir des individus à être véritablement conséquents avec leur projet d’autonomie, outre ces dispositifs institutionnels soutenant l’effectuation collective de leurs visées normatives, implique encore des dispositifs permettant l’accroissement de leur force d’agir, soutenant autrement dit leur investissement imaginaire du projet d’autonomie. Il s’agir donc ici de montrer que le pouvoir des individus autonomes, s’il implique des institutions favorisant la traduction effective de cette autonomie, implique tout autant des institutions qui favorisent l’identification imaginaire des individus au projet d’autonomie, c’est-à-dire encore l’instauration d’un véritable désir.
IV. Autonomie, affectivité et identité
38Nous venons de montrer que l’autonomie comme création sociale-historique ne peut pas être considérée dans la pensée de Castoriadis comme une création qui se situe exactement sur le même plan que les autres. Cette création est la création d’une condition de reconnaissance de la contingence même des significations imaginaires qui peuvent venir structurer la vie psychique et sociale des individus. Son inconditionnalité ne peut être refusée sous prétexte qu’il y a des imaginaires sociaux contingents. Nous serions en effet à nouveau ici en pleine auto-contradiction performative dans la mesure où c’est bien l’engagement dans la raison critique qui nous permet de reconnaître cette contingence, de l’assumer, d’en faire un véritable objet de pensée. Si l’investissement de la raison par l’imaginaire social est contingent, ce que ce surgissement produit, c’est bien une pensée qui ne peut manquer de se vivre comme capable de ne pas se laisser absorber par le contexte concret de chacune de ses effectuations.
39C’est bien encore cet argument basé sur l’auto-contradiction performative que Castoriadis oppose à Bourdieu et Foucault tels bien entendu qu’il les comprend : « Toute sociologie qui se borne à décrire une société comme elle est, et ce qu’elle appelle les "conditions de production la connaissance", et à montrer que toute production de connaissance est déterminée par le processus de reproduction de la société telle qu’elle est, eh bien, une telle sociologie (Foucault, Bourdieu et tutti quanti...) non pas scie la branche sur laquelle est assise mais l’a sciée depuis longtemps et est en train de tomber dans le vide. Car son discours se rend lui-même impossible, puisqu’elle croit montrer que tout discours est déterminé par les conditions de reproduction du statu quo social – donc elle est elle-même déterminée ainsi40. » Il est donc bien hors de question pour Castoriadis de relativiser l’exigence même de la critique au nom de la contingence des imaginaires sociaux41. C’est du contraire dont il est question, de la nécessité pour la raison critique, qui ne peut pas ne pas se vouloir elle-même dès lors qu’elle a surgi, de penser les conditions susceptibles d’accroître ou d’instaurer cette passion de la raison qu’elle suppose nécessairement.
40Ces dernières remarques confirment que le cœur de la critique que Castoriadis adresse à Habermas porte précisément sur la difficulté que celui-ci a de penser à la fois la contingence de l’idéal d’autonomie et sa nécessité propre. En considérant que cet idéal d’autonomie est présent de façon quasi transcendantale en tout acte de langage, Habermas est finalement conduit à considérer cet idéal comme allant de soi. Or, pour Castoriadis, cet idéal, en tant que tel, ne va pas de soi. Il s’impose à celui qui y est engagé, mais il ne s’impose pas à tout individu en tant qu’il est un être parlant. C’est pour cette raison qu’il ne peut être question d’en rester à un seul niveau d’analyse transcendantale de l’exigence d’autonomie : « La solution que l’on pourrait appeler transcendantale ne tient pas pour les mêmes raisons que celles que j’invoquais en disant qu’il ne suffit pas d’assurer le savoir ou la capacité éthique du sujet transcendantal, mais qu’il faut bien passer au sujet effectif42. »
41Habermas, à la différence de Apel devons-nous ici ajouter, entend fonder les exigences normatives de l’éthique de la discussion à partir de l’analyse de n’importe quel acte de langage43. Habermas universalise ainsi cette exigence d’un engagement pour la vérité et la justice en faisant comme si elle était implicitement là en tout acte communicationnel. C’est pour cette raison que Habermas refuse l’idée qu’il puisse y avoir des actes de langage purement stratégiques, ce que Apel parvient quant à lui à penser dans la mesure précisément où il refuse d’étendre les exigences de l’éthique de la discussion à l’ensemble de nos prestations langagières44. Pour Apel, les exigences de l’éthique de la discussion ne s’imposent comme des exigences transcendantales au sens fort du terme qu’à celui qui est en train d’argumenter avec sérieux. Pour l’individu qui ne mobilise le langage que pour satisfaire des fins purement stratégiques, l’exigence de l’éthique de la discussion ne s’impose pas, même pas de façon latente. C’est très exactement dans ce même sens que Castoriadis affirme que ce n’est pas parce que le nazi est un être de langage qu’en parlant il adhère implicitement, même pour les transgresser, aux normes de l’éthique de la discussion.
42La prise de conscience que l’on se contredit n’a d’efficace que pour celle et celui qui s’engagent avec le sérieux de la liberté dans la discussion : « Il faut encore, il faut toujours distinguer. Il y a une "rationalité" ensidique, universelle jusqu’à un certain point, et qui va très loin (jusqu’à la fabrication des bombes H). Elle était là avant la science et la philosophie greco-occidentales, elle n’engage à rien, elle pourrait continuer pour un temps indéfini une course d’inertie même si philosophie et science au sens fort devaient subir une éclipse provisoire ou définitive. Et Khomeiny peut, sans aucune contradiction, tenir la science occidentale pour nulle – puisque toute vérité est dans le Livre – et acheter ces efficaces produits de Satan que sont les missiles Stinger pour les mettre au service du seul Dieu vrai. Il y aurait même contradiction que cela ne changerait rien à l’affaire. Se contre-dire n’a jamais empêché d’exister45. » Pour Castoriadis, la liberté n’est ni une pure utopie, ni une fatalité. Elle n’est pas une fatalité qui s’imposerait aux individus en tant que membres de l’espèce humaine. Elle n’est pas non plus une pure utopie dans la mesure où cette liberté n’est concevable que dans une société qui est déjà effectivement travaillée par le projet d’autonomie. Selon Castoriadis, en inscrivant l’exigence de l’autonomie dans n’importe quelle pratique langagière, en faisant comme si l’universalité des normes de l’éthique de la discussion était toujours déjà là, il n’est pas vrai que Habermas défend véritablement la cause de la praxis autonome. Celui-ci s’interdit bien au contraire de prendre conscience de la fragilité radicale de ce projet de vérité et de solidarité. C’est en sens inverse cette prise de conscience qui conduit Apel à joindre au principe de l’éthique de la discussion un principe de responsabilité, ce principe ayant précisément comme fonction de prendre en compte le fait qu’il y a des actes de langage absolument stratégiques, des actes de langage qui n’impliquent pas, même de façon implicite, une adhésion aux principes de l’éthique de la discussion46. C’est précisément ce qui fait qu’il peut être juste de ne pas exposer ses positions avec sincérité si l’interlocuteur instrumentalise purement et simplement le débat ou s’il ne partage pas du tout une même culture de la vie rationnelle.
43Il reste toutefois que Apel n’échapperait pas lui-même aux critiques de Castoriadis. En effet, ce sujet argumentant avec sérieux, même s’il implique par définition son inscription dans une communauté réelle d’interlocution, ne s’éprouve pas dépendant d’un contexte social-historique qui lui permet de s’identifier affectivement à l’idéal d’autonomie, de se vivre comme engagé avec les autres dans la puissance d’un même imaginaire social. Apel reconnaît bien entendu la contingence du projet d’autonomie. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’il conteste la théorie habermassienne des actes de langage. Mais il ne semble pas avoir trop d’inquiétude quant à son propre engagement dans la vie de la raison. Il lui suffit pour se rassurer de se reconnaître normativement impliqué par son activité de philosophe. Quand bien même il serait presque le seul désormais à faire de la philosophie, l’exigence inconditionnée de l’éthique de la discussion se révèlerait avec force à lui dans son acte même d’argumenter. Pour Castoriadis, il ne peut en aller ainsi dans la mesure où il y a un abîme entre la reconnaissance rationnelle des exigences de l’éthique de la discussion et la puissance du désir qui investit ces exigences. S’il est vrai que l’individu autonome ne peut pas vouloir la fin de l’autonomie, il reste que la volonté rationnelle n’est pas elle-même superposable à la puissance de l’imaginaire, à l’adhésion affective des individus à l’idéal d’autonomie. Or, comme le montre Castoriadis, la conscience de la contradiction n’a aucun effet chez celui qui n’investit pas d’un sens affectif, identitaire, l’exigence de ne pas se contredire. Celui-ci pourra tout à fait comprendre ce que dit Apel, mais les propos de ce dernier n’auront chez lui aucun retentissement.
44Mais nous devrions en fait radicaliser davantage cet argument dans la mesure où Apel accepte sans problème que celui qui n’entre pas dans l’argumentation avec sérieux ne peut être affecté par la force des arguments. Il est ainsi nécessaire d’aller plus loin encore dans la reconnaissance de la fragilité de la vie critique. Ce n’est pas en effet parce qu’un individu d’une culture donnée voudrait tout à coup faire sien ce projet d’autonomie que ce projet sera pour autant sien en un sens affectif et identitaire. Il le deviendra peut-être, précisément parce qu’il choisira de se mettre dans une situation potentialisant un investissement imaginaire profond de la raison, permettant l’instauration d’un désir. Les arguments de la raison, sa nécessité propre, sont impuissants à réellement affecter celui dont la vie n’est pas investie affectivement par la raison. Cette puissance désirante qui nous engage dans la recherche de l’autonomie implique autre chose que la reconnaissance rationnelle d’une exigence et la volonté de la remplir. Comme nous l’avons montré, il y a une exigence inconditionnée de la raison pour celui qui s’est engagé dans la raison. Castoriadis ne défend en aucune manière un quelconque décisionnisme. Mais il suffit que le vrai et le juste en tant que tels soient désinvestis affectivement pour que ce pouvoir critique de la raison et sa normativité constitutive soient purement et simplement inhibés. Aucun argument n’a de prise ici puisqu’il n’y a plus personne pour s’investir dans l’argumentation et être affecté en profondeur par ce qui s’y vit. Or, pour Castoriadis, cet investissement imaginaire du projet d’autonomie, l’individu ne peut se le donner à lui-même. Il implique un imaginaire social partagé, des dispositifs de socialisation qui amènent les individus à vivre avec les autres l’épreuve affective d’un même idéal. Une décision ne fait pas une épreuve affective. Il ne suffit pas de vouloir être rationnel pour être contaminé par la vie de raison et il ne suffit pas non plus de faire l’épreuve réflexive de la normativité constitutive de son acte d’argumenter pour éprouver sa vie transie d’un désir de rationalité.
45C’est précisément parce que Apel réfléchit l’engagement dans la raison du seul point de vue de celui qui y est déjà engagé qu’il ne pense pas la fragilité fondamentale de son propre engagement et la façon dont il implique une passivité, l’inscription dans une culture partagée de la vie rationnelle, le partage d’un imaginaire social qui précède en quelque sorte toute décision personnelle ou intersubjective. Ces conditions sociales-historiques ne sont pas ici des incitants qui poussent comme chez Habermas les individus à devenir ce qu’ils sont déjà. Ce sont des conditions sociales-historiques qui potentialisent une transformation profonde des identités. Il ne peut en ce sens être question de penser l’exigence d’une vie critique et délibérative à partir de la seule épreuve réflexive que les sujets rationnels font de leur agir. Cette fondation transcendantale que Castoriadis reprend à son compte pour une certaine part n’est pas du tout suffisante dans la mesure où elle doit encore s’articuler à une réflexion sur les conditions sociales-historiques qui rendent possibles la création du transcendantal, l’identification imaginaire des individus à un projet d’autonomie.
46Ce débat que nous avons ici construit entre Castoriadis et Apel a ceci d’intéressant qu’il ne porte plus du tout sur la question d’une éthique de la discussion qui serait implicitement acceptée par tout sujet parlant. Comme nous l’avons montré, Apel n’a aucune difficulté, à la différence de Habermas, à accepter l’idée qu’il y a des actes de langage absolument stratégiques, des actes de langage qui n’impliquent pas, même au plan transcendantal, les principes de l’éthique de la discussion. L’exigence de l’éthique de la discussion ne s’impose qu’à celles et ceux qui s’engagent avec sérieux dans l’activité critique et délibérative. Contre tout relativisme, Castoriadis et Apel partagent en ce sens cette idée d’une philosophie qui ne peut renoncer à l’idéal d’une recherche incessante du vrai et du juste. Une philosophie qui renonce à cet idéal et démissionne en ce sens de sa responsabilité dans la construction rationnelle d’une société plus libre et plus juste se contredit performativement. Mais il reste, ce que Apel ne voit pas, que le problème de l’engagement affectif des individus dans le projet d’autonomie subsiste encore tout entier. Pour Castoriadis, ce projet d’autonomie, même s’il s’impose de façon pragmatico-transcendantale aux sujets rationnels et ne peut en ce sens être considéré comme un projet qui serait au fond rationnellement révisable, reste fondamentalement contingent au plan imaginaire, au plan du désir. Il se pourrait que cette passion pour la raison s’estompe, que le projet de vérité finisse par mourir. Je peux vouloir la raison, la vouloir pleinement, et sentir en même temps que la société petit à petit reconfigure mon désir, malgré moi. L’importance de la réflexion de Castoriadis consiste précisément dans le fait qu’elle permet de faire tenir ensemble l’épreuve réflexive que le sujet philosophant fait de la valeur inconditionnelle de l’activité critique et délibérative et l’épreuve qu’il fait de la contingence de son investissement imaginaire. Ce qui donne force à ma réflexion, ce ne peut être seulement la conscience que j’ai de sa nécessité absolue. Cette force de la réflexion se nourrit tout entière d’un mouvement d’identification imaginaire à cet idéal, à la production d’une passion dont le processus d’instauration est pour Castoriadis irréductible à toute forme d’acte de volonté. C’est précisément pour cette raison que la fondation réflexive de l’éthique de la discussion doit être couplée à une réflexion sur cet imaginaire qui peut socialiser les monades psychiques en leur offrant la possibilité affective de faire de la raison, non pas seulement une affaire d’exigence fonctionnelle ou rationnelle, mais une affaire d’identité au sens fort du terme. La raison n’est puissante qu’investie affectivement par un enjeu identitaire profond. Si, sur un plan transcendantal, la raison n’a besoin de rien d’autre que de son propre agir pour saisir réflexivement sa propre inconditionnalité, sur le plan de ses conditions d’effectivité, elle a besoin d’une instance qui est fondamentalement autre qu’elle-même et qui en même temps lui donne vie, à savoir la puissance même de l’imaginaire.
47Le passage chez Castoriadis de l’éthique au politique est entre autres lié à cette exigence d’un ancrage de la vie rationnelle dans la puissance affective d’un imaginaire social dont la contingence même ne supprime pas la valeur en soi de la vie rationnelle, mais lui donne au contraire sa force. La philosophie chez Castoriadis est tout à la fois conscience de son inconditionnalité et conscience de sa contingence. La vérité dont il est ici question n’est pas celle qui est relative à la dimension ensidique de la vie sociale. Il s’agit ici de la vérité comprise comme chemin de réalisation de la liberté. Cette vérité implique l’investissement psychique de l’autonomie en tant que forme de vie, en tant qu’existence sensée. Ce n’est pas parce que des individus manient avec dextérité toutes les ressources rationnelles du langage qu’ils sont investis dans ce projet de vérité dont parle Castoriadis. La vérité qui risque de mourir n’est pas la vérité de la raison instrumentale. Elle est la vérité de la raison critique et délibérative.
48Pour Castoriadis, ce projet de vérité s’impose donc transcendantalement aux individus qui adhèrent pratiquement au projet d’une société autonome et il se laisse en même temps reconnaître dans sa fragilité ontologique : « La question de la destruction, ontologique en tant qu’elle porte sur les formes sociales et en fait, pour nous, sur cette forme que nous croyons ou voulons reconnaître : la société contemporaine, devient question de la destitution, de la décomposition possible de cette société – question donc de la fin possible du projet d’autonomie et de la fin possible du projet de vérité, c’est-à-dire question de la mort possible de la vérité en tant que vérité historique47. » Pour Castoriadis, la défense d’une praxis qui fasse vraiment droit à l’exigence transcendantale de la critique et de la délibération demande en ce sens, pour être véritablement conséquente, une attention aux conditions concrètes de son incessante instauration imaginaire. On ne peut donc se contenter de faire comme Habermas appel à une communication déficiente ou encore à des conditions sociales-historiques qui seraient simplement peu favorables lorsque les individus ne se rencontrent plus les uns les autres à partir du projet d’autonomie. Une telle façon de caractériser les choses risque en effet de laisser entendre que ce projet d’autonomie continue au fond d’aller de soi, alors qu’il s’agit pour Castoriadis d’être attentif aux conditions d’instauration d’un imaginaire social susceptible de donner sa force au projet d’autonomie, de permettre à la vérité comme création historique de naître ou de ne pas mourir.
49Pour le sujet critique et délibératif, c’est un devoir absolu d’empêcher la vérité de mourir. Cette exigence fondée de façon pragmatico-transcendantale, loin de dénier la mortalité constitutive de la vie humaine, implique un consentement à celle-ci48. Mais on n’empêche pas la vérité de mourir avec la seule force d’arguments, lesquels n’ont en effet pas de véritable puissance pour qui n’y met pas en jeu son identité profonde. Cette mise en jeu identitaire implique elle-même le partage d’un imaginaire anonyme. Pour Castoriadis, ce qui distingue les individus engagés dans le projet d’autonomie et certains autres absolument fermés à la force de la critique « n’est nullement une déficience en capacité de communication inter-subjective (qui peut être maximale à l’intérieur d’un groupe homogène de fanatiques quelconques), mais le fait que celle-ci est toujours déjà structurée de façon exhaustive par l’institution donnée de la société, de telle sorte qu’il est effectivement impossible, du point de vue social-historique, pour les participants de remettre en question cette institution qu’ils sont voués à reproduire indéfiniment, et, de ce fait, de s’ouvrir aux raisons de l’autre. C’est l’institution chaque fois donnée qui à la fois assure toujours la communication et trace les limites de l’humanité avec laquelle on peut, en principe, "communiquer". C’est donc cette institution comme telle qui doit être visée, si le champ de cette communication doit être élargi49. »
50La question de l’autonomie doit prendre sous peine d’incohérence une forme politique qui interroge le pouvoir des dispositifs institutionnels à traduire au plan d’un agir social effectif des intérêts reconnus comme universalisables, à permettre de passer du plan de l’autonomie formelle exercée dans la discursivité à l’autonomie effective exercée dans l’agir lui-même. Comme l’écrit Marc Maesschalck, « L’illusion non critiquée de la théorie de l’agir communicationnel par rapport à la question de la création sociale serait donc de réduire à une pragmatique formelle de l’apprentissage du consensus la question éthique du sens de la responsabilité sociale et la question politique de l’élaboration des revendications en forces objectives de changement. Peut-être qu’après le tournant linguistique, il devient urgent de se demander ce qu’agir veut dire...50. » Mais c’est au nom de cette même exigence d’une autonomie effective que doit être mise en place une réflexion sur le pouvoir des institutions à soutenir l’investissement imaginaire du projet d’autonomie, c’est-à-dire l’épreuve même d’une adhésion affective à une certaine culture de la vie.
Conclusion
51L’autonomie ne peut exister comme signification imaginaire sociale qu’incarnée dans des dispositifs institutionnels qui rendent possible un exercice effectif de l’autonomie. C’est pour cette raison qu’une véritable politique de l’émancipation sociale ne peut jamais interroger les institutions comme étant seulement des dispositifs locaux de coordination de l’action ou de coopération entre acteurs. Ces institutions participent chacune à leur place à la production d’une totalité sociale. Elles viennent soutenir ou au contraire détruire les significations imaginaires constitutives de l’espace social-historique. C’est précisément parce que l’autonomie est sans garantie naturelle ou rationnelle, qu’elle est le fruit d’une institution collective qui excède tout processus local de reconnaissance réciproque entre individus, qu’il est nécessaire pour Castoriadis d’interroger les dispositifs institutionnels qui soutiennent son effectuation. Mais c’est pour cette même raison que ces dispositifs institutionnels ne peuvent en sens inverse engendrer mécaniquement les significations imaginaires dont ils peuvent être l’incarnation. Les individus ne peuvent engendrer de nouvelles significations imaginaires sociales selon leur bon vouloir ou leur planification institutionnelle. Habermas a bien entendu tout à fait raison d’affirmer que l’exercice de la critique et de la délibération implique un aller-retour entre les pratiques intramondaines et le tout de la vie sociale. Mais il est important en même temps de bien voir qu’aucune condamnation rationnelle de quelque situation sociale que ce soit ne peut automatiquement transformer, reconfigurer le psychisme, générer de nouvelles significations imaginaires. Nous pouvons condamner ce scandale des enfants qui meurent de faim dans le monde, cela ne va pas nécessairement générer pour autant des significations imaginaires sociales qui rendraient une telle situation affectivement impossible. Tout cela ne fait que rendre plus urgent la mise en place de dispositifs qui favorisent cette reconfiguration des identités, qui rendent possible, sans la causer mécaniquement, une altération des imaginaires. Il est évident pour Castoriadis que ces dispositifs seront d’autant plus efficaces qu’il ne reposeront pas sur le principe que tout être humain en tant qu’être parlant est nécessairement appelé à investir affectivement la vérité. C’est bien le champ ici d’une réflexion sur les modalités de transmission de l’imaginaire qui est ouvert, sur la transmission et le partage du désir.
52Il ressort de cette recherche la possibilité et la nécessité de l’élaboration d’une théorie radicale de la normativité. Cette théorie peut être dite radicale dans la mesure où elle n’interroge pas seulement les dispositifs normatifs dans leur rapport à la question de la régulation fonctionnelle de l’espace social ou dans leur rapport à la question de l’autonomisation effective de la vie sociale. Elle interroge encore les dispositifs normatifs dans leur rapport à la libération des forces d’engagement des individus, à l’accroissement de leur adhésion identitaire et affective à une certaine culture partagée de la vie51. Quelles normes poser et comment les poser de façon à ce qu’elles potentialisent le travail de l’imaginaire social ? L’autonomie individuelle et collective implique bien en ce sens une double attention, une attention portant sur les conditions de son effectuation dans un agir collectif et une attention portant sur le temps plus long de ces mutations imaginaires que l’on peut contrôler mais non produire en tant que telles. Une véritable théorie de la création sociale demande un croisement entre différentes temporalités du changement social. Ce souci de n’être pas seulement cantonné à l’exercice d’une critique sociale ponctuelle mais d’espérer de nouvelles mutations sociales, ce souci de réfléchir aux conditions institutionnelles qui pourraient favoriser de telles mutations sociales, loin de faire de nous des utopistes, nous permet de saisir dans l’actualité du temps présent ce qui vient bloquer imaginairement cette créativité, ce qui vient inhiber les forces du renouvellement social. C’est pour cette raison précisément qu’il est nécessaire d’articuler la question de l’effectivité politique de l’autonomie et la question de son ancrage dans la puissance créatrice d’un imaginaire instituant. Au terme de cette étude, il apparaît ainsi que le pouvoir de l’imaginaire et le pouvoir de la raison critique sont chez Castoriadis susceptibles de se promouvoir réciproquement. C’est bien l’engagement dans une vie critique et délibérative qui nous permet d’assumer véritablement la contingence des imaginaires sociaux et, corrélativement, de libérer la puissance créatrice de l’imaginaire radical. C’est pour cette raison d’ailleurs que Castoriadis refuse de faire du projet d’autonomie une pure et simple fin en soi. Le désir d’autonomie est également un désir de libération de nouveaux espaces imaginaires. La forme de vie critique et délibérative est cette forme de vie qui, luttant contre la tendance à la rigidité du psychisme, permet précisément une libération de la créativité de l’imaginaire. Mais, en sens inverse, cette vie critique et délibérative, aussi absolue, puisse-telle s’apparaître au plan de son auto-réflexion transcendantale, demande pour continuer à être effective la contingence d’un investissement imaginaire. La vie selon la raison implique un investissement affectif qui peut être soutenu par l’activité de la raison, mais qui ne peut en même temps être produit par elle toute seule. La praxis autonome repose bien en ce sens sur l’incessant nouage affectif entre ces deux puissances de l’autonomie que sont la raison et l’imaginaire.
Notes de bas de page
1 J.-M. Ferry, Habermas. L’éthique de la discussion, Paris, PUF, 1987, p. 471-472.
2 Cf. C. Castoriadis, Le monde morcelé. Les carrefours du labyrinthe III, Paris, Seuil, 1990, p. 67.
3 L’importance de cette question de l’identité profonde des individus dans notre interprétation du débat entre Castoriadis et Habermas doit beaucoup aux recherches de Mark Hunyadi (M. Hunyadi, Morale contextuelle, Québec, Presses universitaires de Laval, à paraître).
4 M. Maesschalck, Pour une éthique des convictions. Religion et rationalisation du monde vécu, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1994, p. 305.
5 Cf. J. Habermas, Le discours philosophique de la modernité. Douze conférences, Paris, Gallimard, 1988, p. 390. Pour cette question, cf. M. Maesschalck, Pour une éthique des convictions, op. cit., p. 283-291.
6 J.-M. Ferry, Habermas. L’éthique de la discussion, op. cit., p. 462.
7 J.-M. Ferry, Habermas. L’éthique de la discussion, op. cit., p. 469.
8 J. Habermas, Le discours philosophique de la modernité, op. cit., p. 376.
9 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 67.
10 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 66-67.
11 J. Habermas, Le discours philosophique de la modernité, op. cit., p. 377-378.
12 Ibidem, p. 390-391.
13 J. Habermas, op. cit., p. 389-390. Pour la question de l’événement chez Castoriadis et Arendt, cf. I. Delcroix, « Agir, c’est créer. Penser la démocratie en compagnie de Hannah Arendt et Cornélius Castoriadis », in L’imaginaire selon Castoriadis. Thèmes et enjeux. Cahiers Castoriadis no 1, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2006, p. 223-256 ; Id., « Le social-historique, cet être-événement », in Imaginaire et création historique. Cahiers Castoriadis no 2, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 2007, p. 197-240.
14 Pour cette question, je me permets de renvoyer à R. Gély, Identités et monde commun. Psychologie sociale, philosophie, société, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2006, p. 157-197.
15 Cf. M. Hunyadi, La vertu du conflit. Pour une morale de la médiation, Paris, Cerf, 1995.
16 Pour la reconstruction de ce débat, cf. M. Maesschalck, Pour une éthique des convictions, op. cit., p. 277-282.
17 Cf. C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 228.
18 Cf. P. Caumières, Castoriadis. Le projet d’autonomie, Paris, Éditions Michalon, 2007.
19 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 68.
20 Ibidem, p. 69.
21 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 69. Cf. pour cela S. Klimis, « Explorer le labyrinthe imaginaire de la création grecque : un projet en travail... », in S. Klimis, L. Van Eynde (dir.), L’imaginaire selon Castoriadis. Thèmes et enjeux. Cahiers Castoriadis no 1, op. cit., p. 9-44.
22 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 66.
23 C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique. Séminaires 1986-1987. La création humaine I, Paris, Seuil, 2002, p. 252.
24 Cf. C. Bouton, « Le principe de faisabilité de l’histoire chez Castoriadis », in P. Caumières, S. Klimis, L. Van Eynde (dir.), Imaginaire et création historique. Cahiers Castoriadis n ° 2, op. cit., p. 65-85.
25 C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 277.
26 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 66.
27 Cf. C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 282.
28 Pour cette articulation de l’imaginaire et du désir de savoir, cf. L. Van Eynde, « La pensée de l’imaginaire de Castoriadis du point de vue de l’anthropologie philosophique », in L’imaginaire selon Castoriadis. Thèmes et enjeux. Cahiers Castoriadis no 1, op. cit., p. 64-69.
29 Cf. C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 191-192.
30 Cf. ibidem, p. 106.
31 Cf. L. Van Eynde, « La pensée de l’imaginaire de Castoriadis du point de vue de l’anthropologie philosophique », op. cit., p. 70-71.
32 Cf. C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 290.
33 Cf. C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 282.
34 Ibidem, p. 283.
35 Cf. C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 180.
36 Cf. C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 184. C’est nous qui soulignons.
37 Cf. C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 179.
38 C. Castoriadis, Domaines de l’homme. Les carrefours du labyrinthe II, Paris, Seuil, 1986, p. 109.
39 M. Maesschalck, Pour une éthique des convictions, op. cit., p. 308.
40 C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 211.
41 Pour le débat entre Castoriadis et Foucault, cf. P. Caumières, « La pensée de l’autonomie selon Castoriadis au risque de Foucault », in L’imaginaire selon Castoriadis. Thèmes et enjeux. Cahiers Castoriadis no 1, op. cit., p. 167-199.
42 C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 147. C’est nous qui soulignons.
43 Pour le débat entre Habermas et Searle à ce propos, cf. J. Habermas, La pensée postmétaphysique. Essais philosophiques, Paris, Armand Colin, 1993, p. 137-150.
44 Cf. K.-O. Apel, Penser avec Habermas contre Habermas, Paris, Éditions de l’Éclat, 1990. Pour la lecture que Apel fait du débat entre Searle et Habermas, cf. K.-O. Apel, « Is Intentionality more Basic than Linguistic Meaning ? », in E. Le- pore and R. Van Gulick (eds.), John Searle and his Critics, Oxford, Blackwell, 1993, p. 31-55.
45 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 63-64.
46 K.-O. Apel, Discussion et responsabilité 2. Contribution à une éthique de la responsabilité, Paris, Cerf, 1998.
47 C. Castoriadis, Sujet et vérité dans le monde social-historique, op. cit., p. 282.
48 Cf. J.-C. Metraux, « Le deuil, ferment de la société autonome », in S. Klimis, L. Van Eynde (dir.), Psyché. De la monade psychique au sujet autonome. Cahiers Castoriadis no 3, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2007, p. 141-164.
49 C. Castoriadis, Le monde morcelé, op. cit., p. 68.
50 M. Maesschalck, Pour une éthique des convictions, op. cit., p. 309.
51 Il faudra se demander dans d’autres recherches comment articuler la théorie castoriadienne du rapport entre vie, affectivité et normativité et celle qui peut être déployée à partir de l’œuvre de Michel Henry. Pour le traitement henryen de cette même question, je me permets de renvoyer à R. Gély, Rôles, action sociale et vie subjective. Recherches à partir de la phénoménologie de Michel Henry, Bruxelles, PIE Peter Lang, 2007.
Auteur
FNRS – Université catholique de Louvain
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