Chapitre IV. L’Esprit Saint dans la perspective psychanalytique
p. 97-130
Dédicace
A Lucien Israël
Texte intégral
La théologie, c’est simple comme Dieu et Dieu font trois.
(Prévert)
1Le mystère de la Trinité spécifie le christianisme dans ses élaborations théoriques. Il constitue également le fondement ontologique de l’Incarnation. Historiquement, la réflexion théologique portant sur Dieu Un et Trine connaît sa période la plus brûlante au sortir des catacombes. Elle aboutit, au cours des soixante années qui s’étendent du Concile de Nicée (325) au Concile de Constantinople (381), aux définitions quasi-définitives de Légalité des personnes et de l’ordre des processions, c’est-à-dire des rapports de chacune des instances trinitaires entre elles. Il aura fallu cependant un millénaire, et plus spécialement la querelle politico-théologique du Filioque, pour que se précisent deux schèmes trinitaires, plus ou moins semblables, plus ou moins divergents : le schème oriental, grec, à structure plutôt linéaire, et le schème occidental, ou latin, dont la figure se rapproche du triangle isocèle à base inversée.
2Bien que présentée parfois comme une construction hautement intellectuelle, voire gratuite, sans rapport particulier avec l’ordre éthique, la formalisation trinitaire apparaît pourtant comme l’aboutissement théorique d’une expérience pratique où se mêlent les événements fondateurs du fait chrétien, les usages et les préoccupations liturgiques des trois premiers siècles, le tempérament et les inquiétudes des acteurs et des penseurs en présence, et enfin, les intérêts politiques locaux et généraux.
3Cette élaboration théorique n’est pas non plus sans conséquences pratiques. Politiquement, elle représente le point d’ancrage des différentes confessions chrétiennes. Par-delà les querelles, les schismes et les guerres de religion, les définitions de Nicée-Constantinople ont constitué et constituent le référent des diverses Eglises et communautés chrétiennes. L’ensemble des Eglises issues de la Réforme (Confession d’Augsbourg de1 530, helvétiques de 1536 et 1562, gallicane de 1559, écossaise de Tyndale et Coverdale de 1560, belge de Guy de Brès et Dordrecht de 1561, anglicane de 1562, presbytérienne de 1647, méthodiste de 1784, baptiste de 1833, etc...) jusqu’à l’assemblée œcuménique de New-Dehli en 1961, élira, à peu de choses près, le même symbole. Celui-ci forme la trame d’une tunique chrétienne qui a résisté, malgré tout, à la déchirure complète. Si, curieusement, le concile Vatican I (1870) omet, dans sa confession de foi en Dieu, la mention de la Trinité, celui de Vatican II rattrapera cet oubli dans son décret sur l’activité missionnaire.
4Outre leurs conséquences politiques et institutionnelles, ces premières définitions conciliaires ne sont pas sans avoir eu des répercussions considérables sur la réflexion théologique et sur l’anthropologie en général. Saint Thomas d’Aquin, déjà, indique à ce propos les conséquences de la formalisation militaire sur la compréhension de la création comme acte libre et gratuit 1. Mais il faut ajouter à ces conséquences théologiques les effets plus proprement humanistes, à savoir, le développement des concepts de personne, de relation ainsi qu’une perception nouvelle des rapports existant entre l’Amour et la Loi. En effet, à l’occasion des débats suscités autour des hérésies militaires, à travers les essais successifs de rationalisation du donné révélé, c'est une véritable histoire du symbolique qui s’élabore sous nos yeux. Cette histoire, marquée par la pensée des Pères grecs et latins, trouve, selon nous, son aboutissement dans la définition du Filioque complétée elle-même par la formule : « tamquam ab uno principio ».
5Ce développement théologique, qui s’origine dans le travail vétérotestamentaire, n’aurait pu prendre sa véritable dimension sans l’apport d’un Nouveau Testament, marqué par le moment d’une rupture finale, inaugurant le temps de l’Eglise. L’approche psychanalytique de ce développement nous conduira, à travers une lecture de textes choisis, à interroger discours et récits qui se veulent transmettre à l’humanité la parole de Dieu qui révèle, et sont reçus comme tels par le christianisme. Cette lecture nous permettra de dégager deux temps. Le premier définit la Révélation par le signe, le second prolonge et achève le premier par l’avènement du signifiant. La Révélation-signe aboutit à la wrévélation comme signifiance. Mais que recouvre le mot « Révélation » ?
6La racine grecque de ce terme connote le dévoilement de ce qui était caché. Progressant à travers l’histoire des deux Alliances, la Révélation devrait donc aboutir à la disparition progressive du voile jeté sur l’Inconnu. L’histoire de Dieu se révélant devrait apparaître comme l’avènement d’un savoir qui aurait été caché ou méconnu ; aussi la théologie, voulant souligner cette progression, considère la Révélation sous deux aspects : la Révélation naturelle et la Révélation surnaturelle. Or, paradoxalement, loin d’aboutir à un savoir, la Révélation se manifeste comme l’avènement d’une vérité. Il appert, en effet, que la Révélation se présente comme une remise en cause permanente de toute prétention à savoir. Cette remise en cause fait alors chanceler Fétiche, Trône et Autel.
I. Révélation naturelle et Révélation surnaturelle
7La Révélation naturelle suggère d’abord l’idée d’une « Révélation primitive » plus ou moins déformée au cours des siècles, s’originant aux fins fonds de l’Histoire puis transmise de bouche à oreille par une tradition rapportant quelque langage ou quelque vérité soufflés par le Créateur dans l’oreille d’Adam. Cette idée de « Révélation primitive » a fait long feu et le magistère ne succomba pas aux charmes d’une telle théorie. Les théologiens ont retenu le terme de « Révélation naturelle » pour évoquer la possibilité qu’a un homme de percevoir, par lui-même, l’existence d’un créateur. C’est en quelque sorte le Dieu sensible au coeur de Pascal, l’horloger de Voltaire, le Premier Moteur d’Aristote et pourquoi pas la Morale, inscrite en lettres d’or dans la Raison humaine, qui suscitait l’émerveillement de Kant.
8Magistère et théologiens furent unanimes pour affirmer que la beauté et l’harmonie du monde devaient renvoyer quasi-nécessairement l’homme de bonne volonté, l’humble et le sage à l’idée de Dieu. Quel être, en effet, sensé et réfléchi oserait, de bonne foi, refuser une cause première, parfaite, donc existante, à l’origine de toute perfection et conduisant le monde, avec sagesse, vers une fin ultime ? L’expérience du monde ne témoigne-t-elle pas de la finalité de toutes choses, nécessitant, dès lors, une Intelligence à l’œuvre quelque part ? Laissons aux théologiens et aux philosophes le soin de discuter de la pertinence de ces preuves et notons que le concept de Révélation naturelle suppose une lecture possible de signes par lesquels la sensibilité et la raison remontent à celui qui les a émis.
9Ces signes existent partout puisque partout est constatée une religiosité allant jusqu’à ménager un autel à un dieu inconnu. Quelle nation, quelle peuplade, quelle tribu n’a pas ses divinités, ses lieux et pieux sacrés, par lesquels elles témoignent que yeux, coeur et intelligence sont prêts à recevoir le témoignage d’une irruption historique de Dieu dans le monde ? Et cette préparation remonte bien loin dans le temps.
10Comment, en effet, interpréter ce peuplement de l’esprit par les rêves communiquant d’étranges images et d’obscurs messages ? Comment interpréter les visites nocturnes des êtres connus et inconnus, chéris ou haïs, vivants ou morts ? L’apparition des morts n’est-elle pas le signe de leur survie quelque part ? Ne témoigne-t-elle pas que l’ancêtre, ou le descendant, mort et mis en terre, continue à se mêler des affaires des vivants et nourrit à leur égard des sentiments plus ou moins bienveillants ? Si ces êtres viennent rendre visite et émettent des messages, il convient alors de s’attirer leurs bons sentiments, d’apaiser leur courroux et de leur témoigner, par quelque sacrifice, une bonne volonté d’autant plus vive que des sentiments hostiles leur furent cachés quand ils étaient vivants. Il convient également de respecter leur mémoire en les honorant dignement par des moyens qui rappellent leur séjour dans le monde des vivants. Cultes et cérémonies, images et statues permettent de rappeler la vie commune jadis partagée, se continuant après la séparation provisoire survenue avec la mort.
11Si un monde autre existe, comme le prouvent les signes reçus, ne se manifesterait-il pas un peu partout où la vie elle-même se manifeste ? Sources et rivières, bosquets et buissons, montagnes et gouffres pourront alors devenir les lieux où se manifeste la présence de ce monde des esprits peuplant la nature toute entière. Cette nature, à son tour, présente des phénomènes surprenants. Nymphes et sylphes ne semblent pas être de taille pour expliquer les signes grandioses de la tempête qui secoue le ciel, de l’inondation qui ravage les cultures ou du tonnerre qui fend les rochers. Ces manifestations formidables doivent donc être celles d’une puissance supérieure, surhumaine, incomparable, maîtresse du feu, des vents et des eaux.
12Ces manifestations, lues par les humains désireux de comprendre le pourquoi de la vie, de la mort et de l’amour, vont devenir les signes faits aux hommes par cette Présence invisible qui gouverne et commande aux armées de l’Univers. C’est l’extraordinaire qui signifie. Les signes seront d’autant plus probants qu’ils sont merveilleux, terrifiants, inexplicables. Le bouleversement du cours normal des choses, le renversement inattendu des situations, les catastrophes ou les événements imprévus et imprévisibles annoncent, à tous coups, le message d’une divinité effrayante et fascinante tout à la fois. La Révélation naturelle apparaît comme le résultat des explications que se donne l’humanité pour comprendre et expliquer ce qui lui échappe. Ainsi comme l’affirme le concile Vatican I, l’homme peut connaître Dieu, principe et fin de toutes choses « avec certitude par la lumière naturelle de la raison humaine à partir des choses créées »2.
13Il importe de souligner ici que l’affirmation d’une Révélation naturelle n’est envisageable qu’à partir d’un lieu autre que celle-ci. Pour affirmer l’existence d’une Nature, il est nécessaire de ne pas s’y trouver immergé. C’est donc à partir de la conscience d’une différence que peut être définie la notion de Révélation naturelle, de même que c’est à partir de la différence d’une seconde Alliance que peut être affirmée l’avènement d’une première. Il importe alors de préciser cette notion de Révélation surnaturelle, entendue comme l’irruption de Dieu parlant dans l’histoire des hommes. Dieu eut pitié des myopes et des mal voyants ; Il changea l’économie des signes qui présidaient à la Révélation naturelle ; Il parla.
14Ce qui caractérise la Révélation dite surnaturelle, c’est la notion de la parole. Cependant, le Dieu de l’Ancien Testament, sous certains de ses aspects, n’est guère différent du Dieu des animistes, propre à la Révélation naturelle. Ce Dieu peut s’annoncer encore dans la tempête et dans le feu, dans l’orage et la nuée obscure. Sa puissance arrête soleil et lune dont Il a posé les fondements avec ceux de l’univers entier ; elle anéantit les villes perverses, fait la fortune d’Isaac et de Jacob, élève Joseph dans la hiérarchie pharaonique. Songes et signes, prodiges et miracles ponctuent les manifestations de cette Puissance en rapport constant et quasi-immédiat avec ceux qu’il a choisi. Le bâton devenu serpent et la main lépreuse, l’eau changée en sang, grenouilles, moustiques, taons et ulcères, grêle et sauterelles, ténèbres et mort sont les signes de cette intervention directe et victorieuse sur Pharaon et sur les ennemis du peuple.
15Ce Dieu terrible exige également l’obéissance. Malheur à l’élu s’il vient à commettre un écart. Après les prodiges, le dressage. La colère de Yahvé extermine les adorateurs du Veau d’or, fait tourner les siens en rond dans le désert, interdit à Moïse de pénétrer dans la terre promise. Malheur aux déviations du culte, aux violateurs de tabous, aux sectateurs des Baals et autres Astartés. Ce peuple aura eu la nuque roide mais que de signes, de coups de semonces, de menaces et de punitions pour la lui faire courber ! Si les accidents personnels, si les mauvaises récoltes, si les défaites militaires ne suffisent pas, le peuple entier sera puni, exilé, et le Temple, signe privilégié de la présence de Dieu, sera rasé, quitte à être reconstruit après coup.
16Puissant et fort, juste et tendre, courroucé ou repentant, ce Dieu tribal agit constamment. Partout apparaît sa gloire, une gloire visible par tous les peuples. Mais si quelques privilégiés tels Jacob et Isaïe purent contempler sa « face », Moïse le verra de dos et la majorité ne recevra que des signes, évidents et violents au début, discrets mais insistants par la suite. Car le génie de l’Ancienne Alliance aura, peu à peu, réussi à transformer le signal d’une présence immédiate, voire réelle, en signe témoin d’une Alliance fondant les différences. En effet, par-delà le tapage, d’une divinité jalouse, arbitraire, mesquine, omniprésente, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob se révélera un jour être le Dieu des vivants, pour qui les événements ne sont jamais la signature d’un texte irrémédiable. Le Dieu tonnant et tonitruant, précédé par l’ouragan, le tremblement de terre et le feu, sera aussi dans la « voix d’un silence qui tombe (qui s’éteint) »3. Il est le Dieu de l’Alliance ou le pacte l’emporte sur la crainte et l’affrontement. Cette première Alliance, donnée comme l’union privilégiée et exclusive d’un Dieu à un peuple, présente également, dès son origine, les éléments nécessaires et suffisants pour manifester ses effets libérateurs vis-à-vis des « ennemis » du peuple d’abord, mais aussi vis-à-vis de Dieu ou mieux, de son image.
II. Le Dieu libérateur
17L’histoire du peuple élu apparaît dans sa trame comme l'expression d’un renoncement à toute image de Dieu. La lecture des événements en découvre l’importance après coup. Cette libération ne se réalise pas sans déchirure. L’intervention de Dieu est toujours corrélative d’un départ supposant une rupture avec un ordre établi. La notion de passage connotant le terme de Pâque renvoie, certes, au passage de Dieu, mais également à la traversée que suppose pour l’individu, ou pour le peuple, sa mutation d’un état à un autre. Abram quitte sa Chaldée natale, Isaac quitte Gérar, Jacob quitte Bersabée et les enfants de Jacob quitteront le pays de Canaan. Leurs descendants, à leur tour, quitteront l’Egypte, et la chute de Jérusalem mènera ce peuple à Babylone, avant que ne se dispersent dans le monde entier les descendants du Père des croyants.
18On peut lire ces départs répétés comme l’apologie du nomadisme contre les dangers de tout établissement, et principalement, celui de la ville. Cependant les grands tournants de cette histoire sont marqués par la traversée d’un désert où Dieu parle en constituant un peuple. Ces arrachements successifs ménagent, avant la diaspora, le temps où se forge la différence de l’élu. Le souci de la différence se donne comme la préoccupation constante de cette épopée. Le mélange des enfants d’Israël avec ses voisins et ses hôtes constitue le danger mortel, constamment dénoncé. L’abomination et le sacrilège sont moins le fait de la violence ou de la paillardise que celui de l’idolâtrie, c’est-à-dire, dans un premier temps, l’adoption des dieux étrangers et les mariages mixtes qui favorisent de telles pratiques.
19Peu à peu se constitue un lien exclusif entre Dieu et son peuple. Il aura fallu renoncer aux séductions d’Ur et aux oignons d’Egypte, il aura fallu renoncer à l’esclavage de Pharaon et aux unions faciles et profitables, pour que le peuple purifié puisse recevoir la Loi fondant son originalité et sa différence.
20Cette Loi à son tour impose l’interdit suprême et définitif : celui de faire des images de Yahvé. Israël sera différent des peuples environnants parce que le Dieu qui lui a parlé dans le désert et lui parle par les prophètes aura un Nom mais pas d’image. Malgré les tentations incessantes de faire, à l’instar des autres peuples, des divinités centrées sur l’image de la puissance sexuelle et de la fécondité, malgré les expressions anthropomorphiques utilisées par les prophètes et les envoyés de Dieu, la satisfaction immédiate par l’image sera interdite. Les pensées de Dieu resteront différentes de celles de son élu.
21L’Ancien Testament raconte l’avènement d’un peuple, iconoclaste, se libérant du primat des sens et des images pour s’ouvrir à un « progrès » spirituel, ou mieux, symbolique. Ce rassemblement et cette élection ne sont pas sans apporter quelques satisfactions nouvelles, se substituant à celles, immédiates, dont le renoncement a été nécessaire. Moïse et les prophètes auront donné au peuple dispersé et esclave une confiance en lui-même. Yahvé est plus grand que la tempête et que le firmament. Il est au-dessus de tout, tellement au-dessus qu’aucune image ne peut le représenter. La fierté d’avoir été choisi par un si grand Dieu compense les renoncements exigés.
22Ces exigences sont consignées dans la Loi. Le Décalogue, puis l’ensemble des devoirs et des interdits culturels et cultuels présidant à la vie quotidienne, seront le signe de l'Alliance-élection. Gravé dans la chair des mâles, le signe de cette Alliance les distinguera des incirconcis environnants. Les modalités de rites et de culte, les prescriptions s’appliquant au civil et au criminel seront recueillies puis écrites et transmises de génération en génération. La Loi comprendra peu à peu l’ensemble des Ecrits où sont consignés les événements marquant la particularité de l’histoire des rapports houleux de Dieu et de son peuple. La Loi subsumera le code, l’histoire et les relectures successives ayant abouti au Testament qui précise l’héritage reçu à sa naissance par chacun des enfants de ce peuple. La Loi écrite, lue et méditée, deviendra le seul signe, témoin du passage et de l’Alliance de Dieu. Quand le Temple aura révélé sa fragilité et quand les malheurs politiques auront dépouillé l’élu du lopin de terre d’où il tirait sa subsistance, les Juifs apprendront à apprécier « à sa juste valeur le seul bien qui leur restât : leurs documents écrits... »4. Les livres sacrés et l’étude de ces textes empêcheront le peuple dispersé de se désagréger. L’Ecriture seule marquera la différence et ouvrira au sens l’esprit de ce peuple particulier.
23L’expérience de la libération du peuple élu, l’expérience du renoncement à l’immédiateté divine traduit un autre passage, celui de la mère au père. Si, comme le souligne Freud, la maternité est révélée par les sens, tandis que la paternité est une conjecture basée sur des déductions et des hypothèses, l’interdiction de la douceur des images sensibles confortant une « complétude » foeto-maternelle, ouvrira au progrès du travail intellectuel et du symbolique. Ce nouvel état donne « le pas aux souvenirs, aux déductions, aux réflexions, tous processus intellectuels tenus pour supérieurs. »5.
24Ce passage qui, par l’idéalisation du père, réclame la constitution d’un Surmoi culpabilisant n’est pas pour tout le monde un progrès évident6. Il est inutile de se perdre en conjectures quant au bénéfice réel ou non d’un tel passage. Reconnaissons que ce passage a eu lieu, qu’il a été suivi d’effets et que ces effets manifestent l’avènement d’une différence. Cette différence est d’abord celle qui distingue le Juif du non Juif, lui permettant de constituer sa culture propre et de se situer par rapport aux autres nations. Cette différence est surtout celle qui permet au sujet religieux de se situer par rapport à un Dieu dont la présence est de plus en plus marquée par l’absence. La présence immédiate de Dieu dans les éléments et les événements naturels est sacrifiée au bénéfice du signe dont la transparence est de moins en moins évidente. Cette opacification s’accroît à mesure que l’histoire se déroule. Elle aboutira au Dieu caché en Jésus-Christ et, avec la Pentecôte chrétienne, à l’avènement de l’Esprit, qu’il ne faudrait plus comprendre comme une exhalaison brûlante de la divinité.
III. L’homme libéré
25L’Ancien Testament rend compte de l’avènement du symbolique. A cet égard, nous en verrons deux témoignages, entendus dans leur exemplarité constituante. Le premier de ces témoignages rend compte du don de la Loi au Sinaï. Le second, avec le sacrifice d’Abraham, représente la résolution d’un conflit permettant l’assomption de la Loi.
26La libération de la servitude d’Egypte où Pharaon fait la pluie et le beau temps est parachevée par le don de la Loi. Mais cette Loi, écrite sur des Tables de pierre, renvoie elle-même à la parole de « Je suis qui Je suis ». L’épisode du Veau d’or et le brisement des premières Tables ruinent l’espoir de conserver autre chose qu’une trace. Quelles que soient les traditions ayant présidé à la rédaction des chapitres 33 et 34 de l’Exode, il apparaît que les secondes Tables sont taillées et écrites par la main de Moïse. Dieu parle et Moïse écrit. Le sujet de l’énonciation restera voilé et les Tables de la Loi, avant qu’elles ne soient détruites par les Chaldéens resteront la traduction écrite, voire figée, de la parole promulguant où se marque la rupture de l’immédiateté confuse du révélant et du révélé. Et sur ces Tables, « rien n’est écrit pour qui sait lire, hormis les lois de la Parole elle-même »7. Nous y reviendrons. Cette rupture est également repérable dans la narration du sacrifice d’Abraham. Nous reprendrons l’analyse qu’en fait Rosolato8 tout en apportant quelques précisions ayant trait au désir.
27Nous avons souligné après Prend que le passage de la mère au père, caractéristique de l’histoire biblique, supposait la constitution d’un Surmoi culpabilisant. Cette culpabilité, aboutissant à la paralysie du sujet auquel est interdit tout engagement de son désir, peut être résolue quand les relations du père et de l’enfant ont été dégagées de l’affrontement duel et létal où elles se situent dans les premiers temps de l’Œdipe. Pour Freud, la culpabilité consciente qui colore les rapports du sujet à la loi et à son prochain ne résulte pas d’un manquement délibéré à un impératif moral, mais surgit d’un sentiment inconscient de culpabilité. Ce sentiment inconscient s’origine à son tour dans un « meurtre », celui du père, personnage grandiose et tout puissant, protégeant l’enfant plongé dans sa détresse première. Protecteur, il est encore susceptible de priver l’enfant de cet amour, et ce, en vue de le punir.
28Cette culpabilité qu’entraîne le meurtre n’est-elle pas dès lors la manifestation des reproches d’une conscience morale antécédente et de la violation d’un interdit· moral promulgué, interdisant le meurtre ? Freud répond par la négative. En deçà d’une loi écrite et promulguée, il existe un conflit, né de l’ambivalence des sentiments vis-à-vis du père. Le père est aimé et haï tout à la fois. Il est aimé parce qu’il protège ; il est, dans un premier temps, haï parce qu’il interdit, punit et impose, par sa présence et sa voix, une limitation aux désirs du sujet. La résolution du complexe d’Œdipe réclame pour le sujet d’accéder à l’ordre symbolique où chaque place est définie par ses différences. Elle permet d’accéder au Nom du Père, c’est-à-dire au temps où l’autre, le père en l’occurrence, distingué également de la mère au pénis, cesse d’alimenter les fantasmes de retaliation propres à la relation duelle et imaginaire. Le complexe d’Œdipe, présenté comme l’expérience d’une structuration morale par un interdit qui s’opposerait au désir, suppose dès lors une impasse, ménagée par l’impossibilité de dépasser la relation de maître à esclave, seule conception encore possible de la différence. Cette relation propre à toutes les impasses semble aller à l’encontre des intérêts du sujet. Elle manifeste pourtant certains avantages où les aspirations narcissiques trouvent leurs comptes. L’idéalisation du père, ou du Père-Mère, permet que se maintienne le fantasme du héros imaginaire privateur, mais détenteur, de la triple jouissance du savoir de l’avoir et du pouvoir. Si la Loi et les interdits apparaissent comme la manifestation du bon vouloir de l’autre, l’obéissance aux prescriptions témoigne de la volonté d’obtenir, par la soumission ou par la ruse, ce que la force ne permet pas d’arracher. Tant que le miroir reste la seule médiation narcissique du sujet à ses ascendants, le conflit entre l’amour et la haine restera insoluble. La culpabilité se présentant ici comme une culpabilité indistincte envers soi-même et envers l’autre, les deux étant confondus, continuera à opérer ses ravages meurtriers ou suicidaires. L’attitude qui consiste à glorifier le Père-Mère conçu comme l’auteur de la Loi ôte toute possibilité de résoudre l’Œdipe. Cette résolution réclame l’acceptation des différences du père, de la mère et du sujet par rapport à un quatrième terme, « le phallus qu’aucun objet n'égale mais dont tout objet se décomplète »9.
29Le sujet adviendra comme sujet désirant dans la mesure où il aura pu reconnaître le père comme sujet de désir, donc, en quelque sorte, insuffisant par rapport aux aspirations et aux images narcissiques qui médiatisent ces relations. Cette reconnaissance qui nécessite de renoncer à la haine du désir, renvoie elle-même à une cassure dans l’image du miroir. Elle suppose que le sujet a réussi à se débarrasser du fantasme hégélien que la vie des enfants, c’est la mort des parents, pour reconnaître, tout simplement, que le père est mortel et qu’il ne peut épargner au sujet la réalité, à savoir que le désir, déployant ses effets de génération en génération, est en rapport dernier avec la mort.
IV. Père des croyants
30Par-delà le sens d’une condamnation de la pratique locale des sacrifices d’enfants, l’épisode du sacrifice d’Abraham représente pour une lecture psychanalytique, la résolution d’un conflit œdipien, permettant d’accéder au père métaphorique qui fonde le monothéisme biblique.
31Après avoir quitté son pays, sa parenté et la maison de son père, Abram reste, à un âge avancé, sans descendance, jusqu’à la naissance bâtarde d’Ismaël. C’est seulement la naissance d’Isaac qui met en place les instances où se nouera l’Alliance entre Abraham et Dieu. Certes, antérieurement au drame du Moryya, la Loi s’impose déjà. En effet, avec le changement de nom où Abram devient Abraham, avec la circoncision à laquelle Abraham se soumet et avec la promesse d’une descendance mâme, est mise en place la marque du symbolique fondant les différences. Cependant, cette Loi ne sera explicitement et réellement assumée et n’instaurera les différences qu’après l’épreuve du Patriarche. Seul le renoncement au meurtre et à l’image qui le motive permet à l’Alliance de se conclure définitivement.
32Abraham, dit le narrateur, est invité par Dieu à sacrifier son fils Isaac. Deux solutions, également désastreuses, se présentent. La première consiste, en accomplissant le meurtre, à conserver l’image féroce et obscène du père idéalisé, devant lequel aucune promesse n’est possible et aucune descendance ne se justifie. Le sacrifice réalisé renverserait, par ailleurs, à l’avantage du père, l’ordre selon lequel celui-ci, normalement, meurt avant le fils. La seconde solution consiste à refuser cet ordre divin. Dans ce cas, le conflit ne sera toujours pas résolu. Isaac perpétuant pour Abraham l’image grandiose du père idéalisé restera, à son tour, un danger mortel pour Abraham. Or, cette image, on l’a reconnu, est celle d’Abraham lui-même affronté aux impasses de son propre narcissisme.
33La substitution du bélier sacrifié représente la solution symbolique à l’absence d’issue des positions antérieures. Le sacrifice du bélier indique le renoncement de Dieu, et donc d’Abraham lui-même, à sacrifier Isaac. Du même coup s’est effondrée l’image du Père Idéal chère au Patriarche. Il y aura eu mort, certes, mais « mort » d’une image. La substitution du bélier à Isaac manifeste l’expression d’une seconde mort, une mort « partielle ». Le bélier, image de la puissance phallique qu’Abraham attribue au père idéalisé et dans laquelle il abrite sa propre image, est sacrifié. Ce sacrifice représente le renoncement minimum exigé par la Loi pour permettre au sujet d’accéder au désir. Ce renoncement réclame l’assomption du Père mort, sujet de la Loi, n’ayant pas la maîtrise de la clef qui ouvre à la jouissance ni la toute-puissance ménageant le caprice. La Loi à laquelle s’est soumis Abraham est celle de la reconnaissance des différences corrélative à une perte représentée par le sacrifice, où le bélier condense tout à la fois, l’image de Dieu, celle d’Isaac, c’est-à-dire, de fait, l’image narcissique du père des croyants. Abraham peut devenir, selon l’ordre patrilinéaire, père d’une multitude et transmettre son nom à Isaac-fils-d’ Abraham. Celui-ci sera affronté aux mêmes épreuves que son père mais pourra les dépasser et accéder au désir dans la mesure où Abraham n’aura pas été identifié à la Loi mais l’aura reçue d’un père, ou d’un Dieu, accepté et reconnu différent de lui-même.
34Nous avons lu cet épisode comme une élaboration après coup, soucieuse de mettre en évidence les conditions qui auront été nécessaires pour la réalisation d’une alliance. Le mythe d’Abraham se présente comme le paradigme par excellence de l’expérience religieuse qui fait intervenir la foi entendue dans le sens général et pas forcément religieux du terme. Nommer Abraham Père des croyants reste équivoque. S’agit-il de croyance à une dogmatique ou à un savoir préalable ? Il est difficile de trouver dans le récit un élément répondant à une telle définition. S’il s’agit, par contre, de la foi entendue au sens où le sujet désirant se situe par rapport à l’Autre, alors la foi comporte en son mouvement même la Gottlosigkeit, terme que l’inventeur de la psychanalyse s’attribue pour exprimer son statut religieux. En ce sens (gottlos), Abraham est vraiment le Père des Croyants et l’épisode rappelle que l’Alliance n’est possible qu’ancrée dans l’ordre symbolique fondé lui-même sur une pure différence, le Nom du Père.
35Avant de poursuivre notre lecture par celle du Nouveau Testament, les quelques réflexions faites à propos de l’Ancienne Alliance nous auront permis de poser quelques jalons. Nous avons indiqué la Révélation comme connotant un dévoilement de la divinité. Cette conception est traduite en termes scopiques d’un visible, signe d’une présence invisible. Le terme de Révélation naturelle est tout entier empreint de cette conception incluant le champ de l’animisme. Dans l’Ancien Testament ces connotations animistes existent encore, relativisées pourtant par un travail constant d’écriture des différences. L’élection est encore conçue comme élévation, comportant une mise à l’écart et un privilège, reçu ou promis, de participer aux gloires éternelles. La différence est encore perçue comme celle existant entre un peuple supérieur et un peuple inférieur n’ayant pas été l’objet des prévenances divines. L’Alliance envisagée dans ces termes reste colorée par la culpabilité du sujet religieux, traduite en termes variés, s’étendant de l’irrationalité de la souillure et de la tâche, à l'expression du péché dénoncé comme rupture de la relation d’alliance de suzerain à vassal. Cependant, et le paradigme abrahamique nous le prouve, une autre conception de l’alliance est ébauchée. Elle se développera avec le prophétisme, où la parole renvoie aux différences et à l’Altérité des partenaires, en même temps que la thématique de la justice et du droit est l’objet d’une insistance particulière.
36La perspective de mérite, de récompense ou de punition soutient encore l’idée d’une Révélation par les signes visibles de la présence active permanente de Dieu invisible. Les succès et les revers politiques d’Israël seront encore interprétés comme les signes de la volonté de Dieu demandant l’obéissance en échange d’un salut collectif ou personnel relevant lui-même de la catégorie du mérite. L’Ancien Testament laisse cependant ouverte la possibilité d’une autre lecture mettant en évidence l’expérience d’un narrateur ayant accédé à la différence. Avec le sacrifice d’Abraham pourra également se développer une théologie où la dette symbolique et l’accession à la signifiance prendront le pas sur une dette imaginaire à laquelle il est impossible d’apporter une satisfaction adéquate.
V. Le Dieu chrétien
37Pour le christianisme, la Révélation poursuit sa progression jusqu’à son achèvement, à la mort du dernier Apôtre. Une lecture psychanalytique des textes y est encore possible. Nous la ferons à deux niveaux. La première où Freud l’a laissée, met en évidence dans le Nouveau Testament la répétition monotone du même drame œdipien. La seconde complète la première et suit ce drame dans sa résolution. Avec l’avènement de l’Esprit, la signifiance marque le dépassement possible des relations duelles entre Dieu-Père Idéal et le croyant.
38Pour Freud, le christianisme traduit les avatars du même désir de récupérer la puissance paternelle ou la mort étanche la culpabilité surgie avec le désir de tuer le père. Le christianisme s’introduit dans un monde antique où les figures divines d’Attis, d’Adonis et de Tammuz représentent le désir incestueux, réalisé et puni de mort ou de castration. Adonis est tué par le sanglier, animal sacré d’Aphrodite, et Attis, l’amant de Cybèle, est émasculé. On pleure la mort des dieux et les cris de joie saluent leur résurrection. La concurrence avec la religion de Mithra est plus sévère. Cependant, alors que le mythe de Mithra permet de représenter la libération du sentiment de culpabilité des frères par le dévouement du dieu tuant tout seul le taureau-père, le christianisme trouve une autre solution par l’auto-sacrifice du Christ, libérant les chrétiens du péché originel. Freud ne doute pas un instant que le péché originel sur lequel saint Paul a tant insisté représente l’aveu du meurtre du père primitif. Ce meurtre réclame, selon la loi du talion, la mort expiatoire du fils. Cette mort apaise la culpabilité des frères qui se sont identifiés à l’aîné et la réconciliation est rendue possible également, grâce à la renonciation aux femmes dont la possession fut la cause de la rébellion contre le père. Dans cette perspective, uen relation duelle et non triangulaire hante la Sainte Famille, qui prélude à la Rédemption christique. Cette même relation préside encore à l’élaboration trinitaire, ultime représentation du fait chrétien.
VI. La Sainte Famille
39Avec la Sainte Famille, le narrateur met en présence une mère vierge, un père humain apparemment infécond et un fils divin, né à la suite d’une intervention directe de Dieu. Nous sommes en plein Roman Familial. Dans cette intervention directe, la théologie verra ultérieurement la présence de l’Esprit Saint, troisième personne de la Trinité. Nous envisagerons plus loin cette question. La Sainte Famille évoque les éléments d’une impasse oedipienne. Marie vierge et Joseph nourricier n’ont de lien que juridique. Jésus n’apparaît pas comme l’effet de leur désir, mais comme le don du ciel, survenu à la suite de la renonciation préalable au désir de la part des deux sujets du couple. L’image du Père Idéal préside à l’ensemble du tissu relationnel. Ni Jésus, ni Marie ni Joseph n’ont à se situer par rapport à un quatrième terme manquant, le phallus, qui fonderait les différences de chacun. Bien plus, Jésus se manifeste, positivement, comme la manifestation, le signe et l’instrument de la puissance salvatrice paternelle. On pourrait à la limite, le considérer comme le phallus positivé de la Toute Puissance du père idéalisé. Après avoir cherché dans l’archaïsme des Evangiles de l’enfance un indice de la véracité historique des récits, suggérer l’hypothèse opposée consistant à attribuer aux Evangélistes la reprise de contes Egyptiens, baptisés pour la circonstance, ne change rien au problème.
40La solution d’une telle impasse ne peut être que catastrophique. L’ensemble des protagonistes ne pouvant pas se situer par rapport à un manque, une substitution voisine à celle du bélier d’Abraham n’étant pas envisagée, l’alliance est impossible. Jésus, fixé lui-même à l’image du Père Idéal, mourra sans descendance. L’image du père idéalisé sera momentanément anéantie. La mise à mort du Fils, signe de la Toute Puissance, représente soit le meurtre, soit la castration du père. La Résurrection signera le triomphe ultime du Père — et donc du Fils — contre la puissance ennemie qui sera rejetée au moment de l’élection nouvelle d’un peuple nouveau, objet de l’Amour éternel du Père. L’image du Père Idéal est restaurée et peut se maintenir pour le croyant qui y cache son narcissisme dénié. Pour cette interprétation, le christianisme témoigne une fois de plus de la « fatalité psychologique » de l’ambivalence car, dans « le même temps et par le même acte, le fils, qui offre au père l’expiation la plus grande qu’on puisse imaginer, réalise ses désirs à l’égard du père. Il devient lui-même dieu à côté du père ou, plus exactement, à la place du père. La religion du fils se substitue à la religion du père »10. Dès lors, la communion chrétienne répète le repas totémique en reproduisant le repas sacrificiel, commémorant le meurtre du père déplacé sur le fils, homme-Dieu, auquel les convives s’identifient par voie d’assimilation orale.
41Corrélativement, les sujets d’une telle religion seront invités à renoncer aux désirs terrestres pour mieux se consacrer à l’image céleste des jouissances futures. Le refus de tout manque dans l’Autre, et donc dans lui-même, incite le croyant à aimer une image posée telle qu’,il veut et croit être aimé, idéalement. A la manière d’Iéfimov du Nietotchka Niezvanov, et paraphrasant M. Safouan11, le croyant s’enferme dans cette situation où l’aveuglement sur ce qu’il peut devenir rejoint une anticipation démesurée de lui-même : en quoi il pense saisir ce qu’il est déjà et se reconnaître tel qu’il est, une image façonnée à coups de superlatifs, par une passion éprise de cette image même. Son devenir de sujet se figeant dans cette image, le « bonheur » est acquis au prix de la reddition du désir. Autant dire qu’on n’est pas loin d’une position suicidaire.
42Se démarquant du christianisme, le judaïsme, où le sacrifice du bélier et la circoncision symbolisent le minimum nécessaire pour accéder à une alliance, est moins soucieux de partager les privilèges divins et se satisfait apparemment mieux des réalités terrestres. En effet, pour le chrétien, et selon la formule de saint Irénée, Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. Cette divinisation exige en contrepartie un renoncement plus considérable allant jusqu’à la mort au monde.
43Cette attitude, dira-t-on, n’a peut-être pas dominé le christianisme populaire. Elle fut plutôt l’apanage de groupes hérétiques ou non, cathares, moines, ermites, jansénistes, etc. Le Moyen Age qui jeta évêques et rois en enfer semble avoir eu une vision plus « saine » de la vie, que le 19e siècle austère, bourgeois et hypocrite. Pourtant le mépris du monde qui hanta les esprits dualistes de la Gnose et leur solution moniste ne fut pas sans influencer la théologie et l’anthropologie, de l’époque patristique à nos jours.
VII. La Trinité
44L’évocation de la Gnose nous amène à la problématique de la Trinité. C’est, en effet, des spéculations gnostiques qu’est issu le terme de consubstantiel, élu au concile de Nicée pour signifier la divinité de la seconde personne de la Trinité. L’élaboration trinitaire peut encore être lue comme l’expression chrétienne de la relation œdipienne. Trois termes sont mis en présence, dont deux sont assurément masculins. Le dogme enseigne que la relation entre le Père et le Fils est une relation de génération. Le Père, n’ayant pas été engendré, est en lui-même principe originel. Le Saint-Esprit, troisième personne, pose question. Rappelons que deux schèmes sont à envisager quant aux rapports des deux premières personnes vis-à-vis de la troisième. Ces deux schèmes, le latin, et le grec (dont Rosolato n’a pas relevé l’existence), supposent une compréhension différente de la Trinité. Nous y reviendrons. Notons simplement qu’à un examen superficiel, le statut neutre de l’Esprit, to pneuma agion, peut connoter dans la relation de deux personnes masculines, le Père et le Fils, soit la puissance transmise du Père au fils à l’issue d’un conflit meurtrier, soit également comme le pense J.M. Pohier12 la position maternelle et féminine dans sa relation au Père et au Fils.
45Pour fonder cette interprétation, Rosolato et Pohier partent des faits suivants. L’absence patente d’inceste est commune à chacune des représentations religieuses depuis celle d’Abraham à celle de la Trinité en passant par celle de la Sainte Famille. On note, par contre, la présence massive du meurtre au centre de ces préoccupations. Or cette absence, allant jusqu’à l’exclusion de toute participation féminine dans la matière du dogme Trinitaire, peut connoter le refoulement du désir incestueux. Si bien que, dans la mesure où l’Esprit Saint n’est que troisième terme par rapport au Père et au Fils, il peut désigner la présence de la mère, dont l’enjeu est capital dans la relation du Père et du Fils. La position féminine du Saint-Esprit dans la Trinité est donc plausible (le terme hébreu ruah, désignant l’Esprit, est féminin), tille a été défendue par les courants gnostiques. La position maternelle a été, à son tour, envisagée par des auteurs tels que A. Lemonnyer13. Cette position féminine est encore indirectement présente dans la dialectique des rapports Père-Fils d’une part et Eglise-Marie-Esprit Saint d’autre part. La surévaluation du second couple annonçant la survenue de temps nouveaux (Joachin de Flore) fut d’ailleurs suspectée de remettre en cause les privilèges du Père et la fonction du Fils14.
46Une telle analyse laisse cependant quelques questions en suspens. Elle semble se situer dans un champ qui ne rend pas exactement compte du désir. En effet, le désir est envisagé sous les espèces de la « toute puissance mégalomaniaque »15. Par ailleurs la solution du conflit entre le fils et le père est conçue comme l’acquisition par le premier de la puissance phallique du second, acquisition qui réclame l’idée que cette puissance est objet de possession et transmissible. « La puissance du désir »16 serait-elle un fluide qui passerait de génération en génération ? Que cette toute puissance soit imaginée est une chose, qu'elle existe en est une tout autre. Une telle conception confronte la loi au désir, le second étant bridé par la première. Or, nous avons dit que le phallus, tel le couteau sans lame ni manche, n’était égalé par aucun objet, mais fonctionnait comme ce dont tout objet se décomplétait, signifiant de la différence de l’homme et de la femme, pour devenir foyer de leur désir. Le trait de la castration n'est pas à chercher dans quelque mutilation mais se marque, invisible, dans «·l’impossibilité égale pour l’homme et pour le femme, d’être le phallus et de l’avoir »17.
47Le passage par le troisième temps de l’Œdipe ne permet pas, redisons-le, d’acquérir une puissance entendue comme un pouvoir. Ce troisième temps ménage l’avènement d’une possibilité, celle qui se réalise par l’assomption d’une différence, c’est-à-dire par l’assomption d’un signifiant. En effet, par-delà les commandements particuliers et les aléas historiques de l'Œdipe, nous sommes renvoyés à une structure, celle du langage, condition de l’Inconscient et du désir. Le langage n’est pas inné. Reprenant à son compte les signifiants de l’Autre (lieu auquel on s’efforce de transférer le savoir de sujet), pour dire ses besoins, le sujet de la demande fait l’expérience de l’impossibilité de véhiculer la particularité de son être et de son vouloir avec ces signifiants. La particularité de ce qui est perdu constitue le refoulé originaire. Cette impossibilité n’est pas à rattacher à l’ineffable ou à l'incommunicable de l’Etre en soi. Elle se fonde sur la structure du langage. L’identification du sujet au premier signifiant, l’identification au trait unaire, déporte le sujet et l’empêche de faire un, ou de coller avec la chaîne des signifiants. Cette rupture, inaugurale de la subjectivité, réclame une aliénation première. Le sujet y advient comme Autre, comme différent. L’interdiction de la satisfaction immédiate n’est déterminée par rien d’autre que par le langage où le signifiant, écrit ou parlé, « ne peut d’aucune façon se définir sinon que comme n’étant pas ce que sont les autres signifiants »18. Le signifiant connote donc une pure différence. L’interdiction de la satisfaction immédiate et complète repose donc, en fin de compte, non pas sur un interdit ou sur une loi régie par le caprice ou le bon vouloir de l’interdicteur-privateur, mais sur une impossibilité. Cette impossibilité est celle de faire du mot une chose, ou mieux, de situer dans le même axe le signifiant et le signifié.
48Le sujet parlant, divisé et représente comme différent par la différence constitutive du signifiant, signifiera son désir en utilisant les signifiants reçus de l’Antre. Ces signifiants, dont la subsistance est de connotation, sont inaptes à engendrer un signifié univoque, adéquat et ultime. En se signifiant et en signifiant son désir par la parole à l’Autre adressée, le sujet signifie sa différence et fait entrer les objets qu’il nomme dans l’univers symbolique. Du même coup, ces objets-signes vont devenir, dans la relation, les signifiants.de la différence du sujet par rapport à l’objet demandé et par rapport à l’Autre.
49Disons, pour faire bref, que le signifiant est, pour la psychanalyse, à la fois la métaphore du sujet et la métonymie d’un désir jamais adéquatement signifié, le sens étant toujours reporté plus loin, de signifiant en signifiant, c’est-à-dire de différence en différence, sans identité possible du sujet et de l’objet à quelque signifiant que ce soit.
50Ce rappel était nécessaire pour indiquer la différence du signe et du signifiant, et pour en tirer les conséquences dans notre lecture des textes néo-testamentaires et celle des élaborations conciliaires. Nous définirons, après Lacan, le signe comme représentant quelque chose pour quelqu’un. Ce quelqu’un est là comme support du signe. Le « quelqu’un » est celui qui est accessible à un signe et c’est là la forme la plus élémentaire de la subjectivité. Mais le statut de ce « quelqu’un » reste incertain, sans différence bien déterminée, il reste flou comme le « quelque chose » auquel le signe se référait en évoquant l’identité impossible de la chose et du nom.
51Dire que Dieu se révèle par des signes, c’est considérer ceux-ci, au mieux, comme l’indication d’une présence absente. Mais cette présence absente est incapable de fonder quelque différence entre Dieu et le sujet auquel il se révélerait. Une telle conception de la Révélation, où Dieu se manifeste un peu partout, c’est-à-dire où on veut bien le lire, aboutit dans sa logique au panthéisme ou au confusionnisme du Dieu-tout-en-tout-et-en-tous. Cette théologie aboutit en fait à la négation de la différence du sujet et de l’Autre, de Dieu et de l’homme, du créateur et de la création. Par ailleurs, dans la mesure où on admet les relations de Dieu à la création comme des rapports de paternité et de filiation, la conception de la Révélation par des signes amène, exactement, à confondre et la paternité et la filiation. Cette confusion, serait renforcée par l’affirmation ambiguë de Jésus : « Qui m’a vu, a vu le Père. » Il convient donc que ce rapport au signe soit effacé pour que la différence soit instaurée et que soit écartée cette confusion du Père et du Fils, confusion qui, répétons-le, engendrant et la culpabilité et l’asservissement, semble aux antipodes de la création que le judéo-christianisme n’a jamais entendue comme l’expansion de la substance divine par une nécessaire émanation.
VIII. Paternité et Filiation
52Comme l’affirme solennellement le prologue de l’Epître aux Hébreux, l’avènement de Jésus-Christ constitue l’ultime manifestation de Dieu aux hommes. La Révélation néo-testamentaire se donne, dans la figure du Fils, comme Révélation de la paternité divine. Le Nouveau Testament prolonge l’Ancien : il renouvelle l’Alliance première et la mène à son terme en insistant massivement sur les rapports de paternité et de filiation au point qu’ils constituent la trame constante de l’ensemble des récits. Jésus est présenté et se présente comme le Fils, l’Unique, expression parfaite du Père. Nous ne citerons pas les nombreux passages qui en témoignent. Etudions plutôt comment la Filiation, donnée d’abord comme signe de la présence de Dieu, advient au terme des récits comme la marque d’une différence. Cette évolution précise par ailleurs la notion d’hypostase déjà présente, mais encore confuse, dans l’Ancien Testament. Comme l’a souligné P. Beauchamp, l’Ancien Testament évoque quelque hypostase connotant une sorte d’émanation divine. L’Ange de Yahvé, la Parole, la Gloire, la Shekinah, la Justice, la Vérité, l’Esprit, la Sagesse, etc, sont les médiateurs imprécis renvoyant à l’indiscrete Deus de saint Augustin. Le Nouveau Testament, avec la manifestation ultime de l’Esprit Saint, met fin à cette indifférenciation.
53Cette lecture n’est pourtant possible qu’après coup. Il est clair que les contemporains de Jésus n’ont pu accéder à ces notions tant que « l’économie » de la Révélation ne s’était pas déroulée dans sa totalité. Pour un Juif de la période intertestamentaire, pour un Grec des années 30, l’Incarnation pouvait, au mieux, se présenter comme une visitation de la divinité, ou, comme le signe palpable visible et audible du Dieu unique qui avait fait alliance avec Abraham, tiré son peuple hors d’Egypte, donné sa Loi à Moïse, parlé par les prophètes et protégé les anawim, les pauvres, les petits. Peut-on imaginer que les Apôtres, par exemple, élevés dans le monothéisme le plus strict, aient pu comprendre la Filiation, quand ils cheminaient avec Jésus sur les routes de Palestine. Il leur aurait fallu admettre au moins deux dieux, l’un descendu sur terre, l’Autre, le Père étant resté dans le ciel. Pouvaient-ils considérer Jésus autrement que comme un personnage à part, un prophète hors du commun, certes, mais subordonné à Yahvé ? Les textes de l’Ancien Testament, mais également ceux du Nouveau témoignent de cette difficulté. Tout en contenant le matériel permettant un travail de relecture conduisant à affirmer la divinité du Fils, ils cèlent suffisamment d’équivocité pour avoir permis à Arius et à Sabellius de s’y référer en élaborant leurs théories. Mais laissons là ces suppositions pour analyser plus avant les textes reçus, et partons du coeur du message, à savoir l’événement de la Résurrection et de la Pentecôte.
IX. La Résurrection, signifiant métaphorique
54Superficiellement, et notre imagination nous y invite, nous pouvons lire la Résurrection comme l’annonce de la ressuscitation d’un cadavre ou le rappel d’un mort à la vie. Entrevue ainsi, la Résurrection de Jésus ne se distingue guère de celle de Lazare ou de celle de l’enfant de Nairn. Ces deux ressuscitations apparaissent comme les prémisses de la Résurrection de Jésus et renvoient au pouvoir de Dieu sur la vie et sur la mort. La Résurrection de Jésus par son Père, ou, comme certains textes nous le font entendre, son pouvoir de reprendre sa vie, se donnent comme l’affirmation d’une puissance qui se révèle et s’investit dans le monde. Cette conception est susceptible, avons-nous suggéré, d’être interprétée comme la prégnance narcissique du fantasme du Père Idéal.
55Avec l’avènement de l’Esprit conçu en termes de puissance, la logique de cette Révélation aboutit pour les croyants à acquérir, à leur tour, cette puissance spirituelle, qui, malgré la personnification de l’Esprit, reste proche du mana et représente les arrhes de la vie future, la seule authentiquement valable. La Résurrection et la Pentecôte envisagées dans cette perspective, maintiennent sans apporter de grande nouveauté, la conception de la Révélation élaborée par l’Ancien Testament. Le croyant pourra continuer à lire les signes de Dieu dans sa vie personnelle, dans l’histoire de l’Eglise et dans celle de l’humanité. On aboutira aux excès d’un Bossuet ou à certaines constructions quasi-gnotiques de P. Teilhard de Chardin. L’Esprit Saint est ici, à la limite, une sorte de parasite humano-divin, manifestant la Toute Présence de Dieu, agissant au coeur du monde et dans celui des hommes, aveuglant ou éclairant les rois, suscitant la foi, l’activité des croyants et intervenant à temps et à contretemps dans les affaires des hommes. Les spéculations sur les relations de la grâce et de la liberté humaine, sur le libre et le serf-arbitre, sur la nature et la surnature iront bon train et feront les délices des théologiens sans apporter d’éclaircissement valable sur les mérites respectifs de la créature et du Créateur. Les rapports de la liberté des hommes avec celle de Dieu deviendront le prétexte à une philosophie, reprenant d’une main ce qu’elle aura donné de l’autre. L’incapacité de comprendre et d’assumer la différence sera compensée par l’affirmation d’une liberté surveillée, comparable, de fait, à celle conçue par les tenants du positivisme, de l’empirisme ou du déterminisme universel.
56Une autre lecture de la Résurrection et de la Pentecôte consiste à faire, autant que possible, abstraction de la sémantique parcourant le texte pour souligner la logique qui en soutient le développement. Ce travail a fait l’objet, entre autres, des publications de J. Delorme, de X. Léon-Dufour et de L. Marin. Pour Delorme, les « les énoncés de la foi pascale font jouer, explicitement ou implicitement, les oppositions de signifiés comme mort/vie, abaissement/élévation, ignominie/gloire, chair/esprit, qui parfois peuvent se ramener à des couples plus fondamentaux»19. Il est important, ici, et les exégètes nous y invitent, de ne pas séparer la Résurrection de l’Ascension et de la Pentecôte. Il s’agit d’un seul mouvement, ou mieux, d’un seul moment, écrit dans un récit se déroulant dans le temps et utilisant constamment l’entrecroisement des catégories temporo-spatiales de la verticalité et de l’horizontalité. Les affirmations, les acclamations d’origine cultuelle, les annonces kérygmatiques et la relation des événements se situant autour du fait pascal, convergent vers un centre qui échappe absolument à toute saisie. Ce centre insaisissable, signifié, à défaut d’autre terme, par le signifiant Résurrection, indique la coupure, ou mieux, le point de recoupement et d’entrecroisement des différentes catégories signifiantes utilisées dans l’ensemble du récit néo-testamentaire. Ce centre, ce point radical est marqué par la conjonction disjonctive des signifiants en présence. Il pourrait, à la limite, être représenté par les phonèmes o et a dont le jeu célèbre décrit par Freud inaugure la symbolisation primordiale permettant ensuite à la chaîne signifiante de se développer.
57La conjonction disjonctive des signifiants en présence, n’est pas à lire, et le texte écrit nous en empêche, comme une fusion des éléments mis en présence, ni comme l’évacuation d’un terme par rapport à un autre. On peut, certes, concevoir que l’ignominie s’est transformée en gloire, l’abaissement en élévation ou la mort en vie, ce que les gnostiques de tous temps n’ont pas manqué d’entendre. Les textes sont donnés alors comme absolument transparents. Autant dire qu’ils ont acquis la clarté de l’imaginaire. Dans une telle interprétation, Jésus mort devrait logiquement rester présent d’une présence absolue, a nouveau palpable, visible, audible — comme avant. Ces textes ne recèleraient alors d’autre sens qu’univoque, et on ne comprendrait plus la nécessité de faire état des récits, si évocateurs, des apparitions, marqués par une logique identique à celle que nous venons de souligner. Or ces récits, à leur tour, font état d’oppositions signifiantes. Jésus est présent/absent, absent/venant, apparaissant pour disparaître immédiatement. Une lecture gnostique rend également inutile l’épisode du message et des messagers trouvés dans le tombeau à la place du cadavre de Jésus. Il faudrait admettre que la fin des temps étant arrivée, et, puisque nous parlons de Révélation, que la lumière de l’évidence ayant déjà consommé la fusion de Jésus et des siens, toute différence serait effacée et toute parole serait devenue inutile, voire impossible. Or il n’en est rien et la Résurrection est bien à entendre comme un signifiant métaphorique.
58La métaphore, telle que nous l’entendons, n’est pas à concevoir comme l’effet résultant de la mise en présence de deux images, c’est-à dire, pour reprendre Lacan, comme mise en présence de deux signifiants également actualisés. L’étincelle créatrice de la métaphore ne peut jaillir que de la substitution d’un signifiant à un autre signifiant. Cette substitution permet à un signifiant de prendre la place d’un autre dans la chaîne signifiante, « le signifiant occulté restant présent de sa connexion (métonymique) au reste de la chaîne »20.
59A son tour, l’intervalle qui se répète entre deux signifiants de la chaîne en présence, est à considérer comme la structure la plus radicale de la chaîne signifiante, lieu hanté par la métonymie du désir. Mais cet intervalle entre deux signifiants est également le lieu où s’indique le sujet dans son mouvement de fading. Qu’est-ce à dire ? Après avoir évoqué le signe pour dire qu’il représentait quelque chose pour quelqu’un dont le statut restait incertain, nous avons défini le signifiant comme lieu de la pure différence et nous avons fait état des rapports du sujet au signifiant pour dire que, représenté par lui, il lui restait pourtant absolument hétérogène. Le signifiant représente un sujet hétérogène à lui, insaisissable, et il le représente pour un autre signifiant, en vue d’un autre signifiant : on assiste, dans le déroulement de la chaîne signifiante, au développement d’une sorte de téléologie interne, sans que le télos de la signification ultime, télos où le sujet s’écraserait en quelque sens dernier, n’advienne.
60Le déroulement de la chaîne signifiante (qui se réduit au plus juste à deux signifiants : S2, la chaîne des signifiants déjà déroulée, et S1, le signifiant en plus), se produit seulement dans la mesure où le sujet s’évanouit en s’indiquant dans son passage comme manque, comme différence radicale. Le sujet, représenté par le signifiant, se définit, ici, non par son épaisseur, ses qualités ou son extension, mais par sa différence (-1). Seul le signifiant, posé dans son autonomie comme pure différence, peut représenter cette différence pour un autre signifiant, pour une autre différence.
61Cette différence apparaît également manifester ses effets dans l’ordre de la signification : dans l’instant où la métaphore rassemble en elle « la fonction du sujet et celle du mot »21, au moment où le mot s’empare du sujet avant qu’un autre mot ne l’accroche, un effet de signification peut se produire. Cette signification reste toutefois incomplète, partielle. Elle apparaît comme l’étincelle de sens dans le non-sens, entendu comme négatif du sens ou manque au sens. Cette signification est marquée, à son tour, de sa différence par rapport aux autres significations possibles c’est-à-dire par rapport à la signifiance.
62Disons pour faire bref, que, pour fonder le possible, une différence doit exister et le maintien du premier dépend de la reconduction de la seconde. Sans différence, sans écart, pas de possible. Pour revenir au signe et à son apparente univocité, c’est dans la mesure où il s’efface que le signifiant peut advenir comme marque et lieu de la différence et comme possibilité d’engendrer une signification ni univoque, ni ultime, ni totale. Disons que la signifiance, pure possibilité, opère au bord de la signification, qu’elle conditionne, sans s’y réduire.
63Ces considérations théoriques étant en place, revenons à l’événement de la Résurrection. Celle-ci peut être lue, avons-nous dit, comme retour au Père et récupération par le Fils des privilèges divins, transmis ensuite par l’intermédiaire de l’Esprit à la communauté des croyants. Ce signifiant, pourtant, représente tout le contraire et la série des oppositions signifiantes, abaissements/exaltation, haut/bas, présence/absence, déjà/pas encore, Dieu/homme, marque le lieu d’une différence qui ne peut être dite en elle-même. La conjonction disjonctive des termes ménage un écart, un intervalle, une pure différence. La Résurrection se donne, en fin de compte, comme le lieu insaisissable, et vide, ou s’intriquent vie et mort, sans que l’une puisse prétendre à une victoire définitive sur l’autre. Cet écart, autour duquel le ballet des signifiants se met en place, nous le lisons comme le lieu où advient le sujet en sa différence, mais également, comme celui de la signifiance, c’est-à-dire comme lieu, tout en possibilité d’engendrer la signification, sans qu’aucune de celle qui viendrait à se produire, puisse être donnée comme unique et seule autorisée.
64Ce que disent les récits pluriels de la Résurrection n’évoque pas, à la manière des discours gnostiques, l’acquisition d’un savoir ou d’une illumination. Bien au contraire, ces récits traduisent, dans leur structure même, la marque d’une différence, ou, si l’on veut d’une Altérité, pur lieu ou « site préalable du pur sujet du signifiant »22, imprononçable comme tel. A priori, peu importe, en ce qui nous concerne, l’endroit du récit où apparaît une telle différence ; cependant le fait que les narrateurs l’aient placé à la fin des récits évangéliques, n’est pas sans conséquence. Le mouvement de la Révélation aboutit, pour le christianisme, à l’avènement d’un écart et non à l’acquisition d’un pouvoir. La Révélation se clôt, pourrait-on dire, par des points de suspension. La Résurrection est à considérer comme le lieu et le moment dernier de la Révélation où s’opère le passage du signe au signifiant. Jésus meurt en tant que signe visible, palpable, limité dans le temps et dans l’espace et toujours prêt à devenir le support des relations en miroir. Un écart, un pur signifiant remplace jusqu’au cadavre même du signe et instaure un manque, symbolisé ailleurs par un tombeau vide. Cet effacement du signe connote également le passage de Jésus de l’histoire au Jésus de la foi.
65Cet avènement de la différence conditionne à son tour celui de la signifiance, c’est-à-dire, répétons-le, l’avènement de la pure possibilité pour le sens de se produire sans clôture. Cet avènement de la signifiance, nous le lisons, à son tour, comme l’irruption de l’Esprit. L’Esprit Saint désigné sous les espèces de la signifiance, qu’aucune image, fût-ce celle d’un pigeon, n’a pu, ne peut et ne pourra figer en quelque signifié, manifeste la différence évoquée par le signifiant Résurrection. L’Esprit, insaisissable comme le vent dont on ne sait ni d’où il vient, ni où il va, renvoie à la différence et à l’Altérité de Jésus. La signifiance procédant de la différence, tout bouleversement de l’ordre établi, toute remise en cause des idées et des idéologies reçues, tout dérangement, aussi bien des certitudes acquises que des désespoirs figés, pourront être lus comme la manifestation de l’Esprit, c’est-à-dire comme la Révélation de la différence entre le croyant et l’Autre, différence corrélative de la destruction d’une idole.
66Que reste-t-il pour le christianisme à la fin de la Révélation quand le signe s’efface ? Une différence marquée par un Nom et à laquelle renvoie l’Esprit. Ce Nom donné, ce Nom, à la lettre au-dessus de tout nom23, le Fils, n’existe que par sa différence à un autre Nom, le Père. La Révélation judéo-chrétienne se clôt par l’accession au Nom du Père, c’est-à-dire à la position du créé comme filial, ne se définissant que par sa place dans la relation à l’Autre. La création étant définie par sa seule différence, il devient impossible d’utiliser la catégorie de l’émanation qui, bien que déniée, sous-tend la plupart du temps la conception des rapports du divin au créé. Dans la mesure, et on ne peut faire autrement, où les catégories de la filiation et de la paternité sont déterminées par leur différence, il est difficile de continuer à concevoir la divinité comme un Père-Mère omniprésent se prolongeant dans son produit pour se confondre avec lui, se mirant en lui et intervenant à la manière d’un deus ex machina, extérieur à l’histoire et au discours humain. Au christianisme qui a élu ces catégories, il importe d’insister sur ce concept majeur de différence plutôt que de se perdre dans les hypothèses des rapports de la transcendance et de l’immanence. Le Dieu Judéo-chrétien, disent les Ecritures, crée par la parole, sépare en nommant et fonde, en libérant, une création subsistante de sa différence, pour laquelle il est vain d’imaginer quelque soutien actif qui l’empêcherait de retourner au néant. En ce sens, le concept de création-continue pourrait, à la limite, s’opposer à celui d’une création-libération par la parole.
67A la fin de ce parcours biblique ponctué par l’Alliance et le don de la Loi, par l’avènement de Jésus-Christ et de l’Esprit, on peut, après coup, souligner le progrès de la Révélation dite surnaturelle par rapport à la Révélation naturelle. Ce progrès consiste, pour le discours religieux, à se développer dans l’ordre symbolique, ou les places sont marquées par des différences. La Révélation surnaturelle commençant avec le parler et l’entendre, remet en question toute Révélation naturelle, qui, se développant dans l’ordre du visible/invisible, reste grosse de toutes les clôtures et les confusions du sujet et de l’Autre. En posant Dieu comme sujet et comme Père, le judéo-christianisme permet au croyant de parvenir à son tour à la différence. Il lui apporte cette coupure indispensable pour le libérer de la confusion imaginaire qui, niant la différence du Père et du Fils fait le lit où la culpabilité prend ses forces. Le judéo-christianisme, quelles que soient ses nombreuses régressions historiques, porte en lui la remise en cause de l’Image du Père Idéal, si prégnante dans la plupart des systèmes religieux.
68Avec l’irruption de l’Esprit, expression de la différence, une nouvelle Loi est donnée. Le dernier dit de la Révélation est un écart qui ponctue et ouvre tout à la fois le discours judéo-chrétien. Cette dernière ponctuation permet à la phrase de se boucler et lui donne rétroactivement son sens. Elle est, en même temps la différence originaire qui fonde la possibilité du sens en interdisant toutefois au sens quelque clôture dogmatique. Après la division des langues de feu, l’événement de la Pentecôte est traduit sous les espèces du parler. Chacun des présents exprime sa différence et cette différence est entendue par des sujets différents. La Jérusalem de la Pentecôte reconnaît les différences que Babel avait niées en assujettissant sous une idéologie unique les constructeurs d’une tour monstrueuse. La parole est rendue à chacun des participants de la fête et les Ecritures, à leur tour, figées en une Loi uniformisatrice et tatillonne, sont ouvertes à la relecture de chacun. Elles sont rendues à leur esprit.
X. Des missions aux processions
69Une telle lecture de la Révélation conditionne encore celle des élaborations trinitaires. Nous ne nous appesantirons pas sur les avatars ayant abouti aux définitions de Nicée-Constantinople. Soulignons d’abord que la pensée de cette époque est dominée par le Plotinisme pour lequel l’émanation représente le signifiant à la mode. Ajoutons-y que la conception de l’unité comme perfection, origine et fin de tout être, n’est pas conçue en terme de différence mais comme rassemblement, englobement, union. La logique d’une telle pensée permet difficilement de concevoir la procession ou l’émanation autrement qu’en termes de dégradation, le terme produit étant inférieur par rapport à l’origine productrice. Quelles que soient les confusions ménagées par l’utilisation du participe passé aggénètos, formé sur l’adjectif verbal commun au verbe gennaô (engendrer) et gignomai (devenir), l’archè, l’origine, renvoie de fait à une « substance » qui, bien que distinguée delà lie de vin d’où elle tire son origine, est difficilement saisie au sens de différence.
70Cette difficulté est manifeste dans la profession de foi d’Arius et dans la Thalie. L’insistance obsessionnelle sur le monos qualifiant le Père, le refus énergique du Fils-Père de Sabellius, le rejet des analogies d’Hiérakas, apparaissant comme le souci de préserver la différence du Père et du Fils, traduisent en réalité l’impossibilité quasi-viscérale de concevoir la différence autrement qu’en termes d’inégalité. On retrouve ces embarras et ces imprécisions dans les analogies cosmologiques, cosmogoniques, ou d’angélologie, utilisées par Irénée, Tertullien, Athanase ou Hermas. Il s’agit de la répétition du même essai de présenter en termes de compréhension et d’extension, de qualité ou de quantité les relations du Père et du Fils. Or ces essais ne peuvent aboutir qu’à des approximations imaginaires où le Fils est posé comme image du Père, recevant de celui-ci l’objet de la puissance par une mystérieuse et divine transfusion.
71Les anathématismes du concile de Nicée essaient de limiter les dégâts par des interdits sans apporter avec l’affirmation positive de la consubstantialité une clarté éblouissante. Et pour cause ! Quels que soient les efforts des Pères conciliaires pour donner un statut véritable au Fils, ils ne renoncent pas à lire l’économie du salut, et donc de la Trinité qui la conditionne, dans le sens de transmission de pouvoir, de signe de « quelque chose » ou de « quelqu’un » ou de « personnes », tous ces termes restant englués dans le flou évasif de l’imaginaire. Il n’est pas ici question de mépriser les productions imaginaires, mais de souligner les difficultés que celles-ci peuvent amener dans une représentation symbolique, voire topologique, des relations trinitaires. Il faut bien dire, enfin, que la métaphysique des prépositions tirée des Ecritures pour définir la procession du Saint-Esprit, continuera à entretenir la difficulté de fonder un véritable statut des personnes.
72Notons, pourtant, qu’avec la définition de l’Esprit Saint comme troisième personne de la Trinité, le concile de Constantinople amorce en 381, une réflexion importante qui se termine plus de mille ans plus tard aux définitions de Florence. Entre temps les théologiens auront été de plus en plus pénétrés par la théorie des relations dont le représentant le plus important aura été saint Augustin, véritable point tournant entre la visée grecque et latine. Il est vrai qu’avant Florence le Filioque aura été l’objet d’affirmations (Quicumque et Sème concile de Tolède en 653) ou de controverses politico-religieuses plus ou moins violentes (Paul II, Léon III). Cette mention du Filioque n’est pas sans effet en ce qui concerne notre propos.
73Par rapport au schème grec où l’Esprit procède du (ek) Père par (dia) le Fils, le schème latin constitue un progrès quant à l’élaboration symbolique de l’économie trinitaire. Nous ne reviendrons pas sur les connotations à la fois subordinatianistes et émanatistes évoquées par le schème grec. La périchorèse tempère difficilement l’impression que l’Esprit Saint représente une sorte d’immense pseudopode émis à partir d’un organisme central et se prolongeant vers la création, prêt à résorber en quelque vacuole un corps plus ou moins étranger à la divinité. Le monde apparaît, tout à la fois, menacé par la fusion inévitable, et promis aux jouissances divines, dont la liturgie ou la vie quotidienne sont l'avant-goût ou la reproduction exemplaire.
74Le schème latin faisant mention du Saint Esprit comme procédant non pas de deux principes mais du Père et du Fils, tamquam ab uno principio remonte explicitement à saint Augustin. Sa formulation : « Le Père et le Fils sont un seul principe du Saint-Esprit et non pas deux principes »24, ne laisse aucune obscurité.
75Il apparaît que cette formulation, où un terme procède de la conjonction disjonctive de deux autres termes, est à entendre une fois de plus comme la marque de la différence et de la signifiance. Le Saint-Esprit n’est pas cette sorte de trait d’union ou ce condilectus (R. de Saint-Victor), représentant d’un Œdipe plus ou moins bien liquidé. Il est également difficile de le concevoir comme le nexus amans (saint Augustin) du Père et du Fils. L’image de Bernard de Clervaux le représentant comme le baiser du Père et du Fils, reste également équivoque d’une fusion mystique. La marque du Filioque empêche de faire de l’Esprit Saint le terme bouche-trou d’une dyade peu différenciée.
76Le Filioque dans sa formulation complète, permet topologiquement de poser l’Esprit Saint comme représentant la différence du Père et du Fils. Cette différence qui surgit des effets du langage disant Dieu ou le monde, est imprononçable comme telle. Pour préciser notre affirmation, rappelons qu’avec la notion de Révélation surnaturelle est introduite la catégorie du langage instaurant les différences et ménageant les places à partir desquelles une relation est possible. La nécessité d’avoir à se reconnaître dans une parole, interdit au sujet de s’identifier absolument à ses manières d’être et crée en lui, selon Ortigues, « le mouvement d’une différence intérieure »25. La nomination du Père, comme celle du Fils, établissant chacun comme étant ce que n’est pas l’autre, peu importe la façon de compter les personnages. La relation œdipienne des trois sujets, le père, la mère et l’enfant est possible si chacun des protagonistes arrive à se situer par rapport à un quatrième terme, pure différence, le phallus. Dans la mesure où l’Œdipe renvoie à une structure langagière, deux termes seulement sont nécessaires pour définir une structure signifiante. Mais chaque couple n’est concevable dans sa relation que si les termes relatés ne sont pas confondus entre eux. Le troisième terme, purement symbolique, exprime donc la Loi même du symbolique présidant à la possibilité de tout échange.
77En ce qui concerne la Révélation, celle-ci est conçue symboliquement dans la mesure où est ménagé entre le corps et la parole, puis entre Dieu et l’homme, et finalement entre le Père et le Fils, un troisième terme, une différence imprononçable résultant des effets du langage. La théologie chrétienne appelle ce troisième terme l’Esprit Saint. Nous y lisons la manifestation de la Loi, structure la plus radicale de la chaîne signifiante, donnant et jamais donnée. Elle tonde les différences et ouvre à la possibilité d’une Alliance universelle qui se déroule dans le temps et dans l’espace. Cette Alliance dernière, et toujours nouvelle, comporte l’élection des différences instituées par le langage dont, en fin de compte, personne n’est maître et dont l’origine échappe, sa chaîne se développant à partir d’une pure différence, c’est-à-dire du signifiant d’un manque de signifiant dans l’Autre qui est, fut et restera barré, comme le sujet, également, dont nous venons d’évoquer l’ex-istence.
78La seconde Loi donnée à la seconde Pâque est la Loi de la parole elle-même. Le figuratif effacé, elle remet en cause l’assurance due à la possession du Temple et la douceur de tourner en rond en restant à l’abri de ses murailles. Elle dénonce encore la superbe de l’hérésie purificatrice narguant du haut du Garizim l’orthodoxie tranquille de Jérusalem. Les efforts répétés pour transformer le signifiant en signe, pour gommer les différences et pour déguiser ce qui ne se laisse pas définir, s’épuisent au bord d’un trou, indiquant la place du sujet de l’énonciation. La vérité qui s’y indique est celle de l’adéquation d’un signifiant, ou d’une lettre, « à un geste permanent et radical d’in-adéquation »26. Avec l’avènement de l’Esprit, la Révélation aboutit à sa fin : l’inscription d’une différence. Cette inscription peut donner un fondement à l’éthique chrétienne. Disons de suite que cette différence ainsi repérée n’est pas en soi normative. Elle indique pourtant les nécessités structurales, la logique, qui détermine les chemins ouverts aux jugements et aux choix éthiques. Le chrétien qui, par-delà la Tradition s’est toujours référé à l’Ecriture pour fonder et justifier son action, découvre, quels que soient les sens qui surgissent et parcourent les textes sacrés, une structure dernière, symbolique, ménageant une signifiance irréductible, empêchant toute clôture et tout enfermement propre aux idéologies narcissiques.
79L’avènement de l’Esprit répète ultimement la même dénonciation de l’Idolâtrie, seul péché existant, mortifère et irrémissible par définition. Toujours et partout dénoncée par les hommes de Dieu, toujours et partout renaissante, l’idolâtrie s’efforce d’effacer le signifiant qui inscrit le sujet au livre des vivants. Ainsi le champ où pousse l’ivraie et le bon grain n’est pas partagé entre athées et théistes, entre agnostiques et croyants ou entre pratiquants et marginaux. La ligne de partage distingue les idôlatres de ceux qui ne le sont pas. N’importe quoi et n’importe qui sera devenu idole quand le sujet aura apposé son image en effigie sur la dalle scellée d’un tombeau rempli et gardé par la soldatesque des certitudes cuirassées.
80Quand Jésus mourut, les sépulcres s’ouvrirent et les saints s’en libérèrent et quand l’Esprit se manifesta, le voile du Temple se déchira. Il restait pour le regard la seule béance du Saint des Saints, vidé de son contenu. Hors la ville, en face, sur une colline, une autre ouverture indiquait au passant la trace d’une fin et d’un commencement.
Notes de bas de page
1 S. THOMAS, Somme théologique, 1, 32, 1, 3.
2 DENZINGFR SCHONMETZER, 1785, 31e Edition, 1957.
3 I R, XIX 12.
4 S. FREUD, Moïse et le monothéisme, Paris, Gallimard, 1948, p. 155.
5 S. FREUD, Moïse..., op. cit, p. 158.
6 G.W. SCHUBART, Eros et religion, Paris, Fayard, 1972.
7 J. LACAN, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 684.
8 G. ROSOLATO, Trois générations d'hommes dans le mythe religieux et la généalogie, dans L'inconscient, Revue de Psychanalyse, I, 1967, p. 71-108.
9 M. SAFOUAN, De la structure en psychanalyse, dans Qu’est-ce que le structuralisme, Paris, Seuil, 1968, p. 289.
10 S. FREUD, Totem et tabou, Paris, Payot, 1965, p. 177.
11 M. SAFOUAN, Etudes sur l’Œdipe, Paris, Seuil, 1974, p. 153.
12 J.M. POHIER, La paternité de Dieu, dans L’inconscient, Renie de psychanalyse, V, 1968, p. 29-31.
13 A. LE MONNYER, Le rôle maternel du Saint-Esprit, dans Vie Spirituelle, 1921, p. 241-251, cité par J.M. POHIER, ibid. p. 30.
14 J.M. POHIER, La paternité..., op. cit., p. 31.
15 J.M. POHIER, La paternité..., op. cit., p. 18.
16 G. ROSOLATO, Trois générations..., op. cit., p. 92.
17 M. SAFOUAN, De la structure..., op. cit., p. 276. La position de l’homme et de la femme par rapport au phallus peut être évoquée par une formulation de Lacan indiquant que « si la femme est sans l’avoir », l’homme « n’est pas sans l’avoir ».
18 J. LACAN, L’identification. Séminaire inédit du 6 décembre 1961.
19 J. DELORME., La résurrection de Jésus dans le langage du Nouveau Testament, dans Le langage de la foi dans l’Ecriture et dans le monde actuel, Paris, Cerf, 1972, p. 113.
20 J. LACAN, Ecrits, op. cit., p. 507.
21 J. L. NANCY et P. LACOUE-LABARTHE, Le titre de la lettre, Paris, Galilée, 1973, p. 78.
22 J. LACAN, Ecrits, op. cit., p. 807.
23 R. HEYER, Le salut dans le discours, dans Les voix du salut. Paris, Desclée, 1976, p. 82.
24 S. AUGUSTIN, De trinitate, V, 14, 15, P.L., 42, 921.
25 M.C. et F. ORTIGUES, Oedipe africain, Paris, Plon, 1966, p. 68.
26 J.L. NANCY et P. LACOUE-LABARTHE, Le titre..., op. cit., p. 71.
Auteur
Psychanalyste, membre de l'École freudienne, professeur à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Imaginaire et création historique
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2006
Socialisme ou Barbarie aujourd’hui
Analyses et témoignages
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2012
Le droit romain d’hier à aujourd’hui. Collationes et oblationes
Liber amicorum en l’honneur du professeur Gilbert Hanard
Annette Ruelle et Maxime Berlingin (dir.)
2009
Représenter à l’époque contemporaine
Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques
Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.)
2010
Translatio in fabula
Enjeux d'une rencontre entre fictions et traductions
Sophie Klimis, Laurent Van Eynde et Isabelle Ost (dir.)
2010
Castoriadis et la question de la vérité
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2010