Avant-propos
p. 7-9
Texte intégral
1Dans un monde où, selon la célèbre formule, le désert croit, où l’Esprit est étouffé par le matérialisme, la technique, la rationalité scientifique, l’organisation technocratique, la violence, les Eglises semblent le lieu d’un réveil de l’Esprit.
2Ce fait et ce contraste donnent à penser. Ils invitent à réfléchir sur ce qui, depuis les origines bibliques, mais aussi grecques, se livre à nous dans la réserve de son mystère, sous le nom usé, ambigu peut-être, mais persistant, d’Esprit.
3L’objectif de cet ouvrage - fruit d’une session théologique réalisée aux Facultés Saint-Louis en 1977 dans le cadre de l’Ecole des sciences philosophiques et religieuses - n’est pas de concentrer l’attention sur le mouvement charismatique comme tel, mais plutôt de se préoccuper de ce vers quoi il fait, à sa manière, signe et qui constitue la dimension fondamentale de l’existence chrétienne tant individuelle que collective : l’Esprit, entendu comme désignant non seulement l’objet de la foi, mais comme son opérateur, sujet par excellence, qui constitue ceux qui le reçoivent en sujets croyants dans leur rapport filial à Dieu et fraternel aux hommes.
4Ce livre ne constitue pas un traité complet ou systématique. Il suppose, au contraire, toute la structure théologique classique qu’il éclaire par d’autres voies et dans certaines seulement de ses dimensions.
5Il risque diverses lectures d’une réalité qui dépasse, par essence, toute lecture univoque, totalisante, dogmatique au sens durci et négatif du mot, mais qui appelle et accueille les lectures multiples, pour autant qu’elles demeurent conscientes de leurs limites. Aussi a-t-on misé sur la pluridisciplinarité en faisant appel à des disciplines distinctes : exégèse, philosophie, psychanalyse, théologie. Ces cheminements divers ne sont pas sans communications réciproques.
6Une première démarche - celle de R. Laurentin - décrit et évalue la vie de l’Eglise d’aujourd’hui dans son rapport à l’Esprit. Elle sert de point d’ancrage, dans le plus familier et le plus concret, au travail ultérieur d’approfondissement. On y mesure ce qu’on peut appeler, avec les nuances requises, la „redécouverte” de l’Esprit dans l’Eglise contemporaine tant dans l’évolution doctrinale récente que dans les initiatives de la praxis ecclésiale, et très particulièrement dans le renouveau charismatique. Cette description mène déjà, de façon inductive, à une théologie de l'Esprit, axée sur son „anonymat” essentiel.
7Vient ensuite, comme on peut s’y attendre, l’exégète. Mais moins attendu, sans doute, sera le choix du lieu scripturaire que P. Beauchamp nous propose pour réfléchir sur l’Esprit : les textes sapientiels de l’Ancien Testament. Ce choix engage tout une conception de l’exégèse et de la lecture biblique et apporte une lumière imprévue sur l’énigme de l’Esprit et son rapport à la structure organique de la Bible et au lien de l’un et l'autre Testaments.
8Le philosophe - J. Greisch - se demande, de son côté, comment penser aujourd’hui la présence de l’Esprit alors que l’expérience que fait la pensée contemporaine est précisément celle de l’oubli de l’Esprit. En référence critique au grand modèle hégélien, il propose de le faire par la voie herméneutique d’une philosophie du langage : analyse du langage biblique de l’Esprit, mais aussi réflexion sur le langage comme tel et sur ses limites, attentive au non-dit, au silence, au secret dont il témoigne de l’intérieur de lui-même. A ce niveau, la philosophie peut recroiser la théologie dans une convivialité qui n’efface pas leurs différences, et dont l’Esprit est le commun garant.
9Comment, dans ce trajet interdisciplinaire, ne pas aussi s’adresser au psychanalyste quand on sait l’interrogation inédite mais aussi l’éclairage original qu’il apporte sur la religion ? R. Sublon nous propose donc une lecture psychanalytique de l’histoire de la Révélation, comprise comme accès au symbolique et déprise de l’imaginaire. Dans ce contexte, le don de l’Esprit, lié à la Résurrection, marque l’achèvement de cette progression : l’Esprit doit être compris comme le signifiant même de la signifiance, de la genèse perpétuelle du sens. Cette interprétation repose sur l’application à la genèse historique de la foi biblique et chrétienne d’une grille de lecture réglée par l’opposition linguistique du signe et du signifiant, associée à l’opposition lacanienne de l’imaginaire et du symbolique. Lecture originale, vigoureuse, mais dont les présupposés limitent forcément la portée théologique.
10Reste, enfin, précisément au théologien à s’exprimer dans son discours propre, qui reçoit toute sa résonance d’être ainsi confronté à celui de la philosophie et des sciences humaines. J. Wolinski l'esquisse ici en prenant appui à la fois sur l’Ecriture, les Pères et les symboles trinitaires, d’une part, sur l’expérience de la foi et de la vie dans l’Esprit, d’autre part : partant de l’„économie” au sens patristique (le ,,fait” de l’action de l’Esprit en l’homme), il remonte à la ,,théologie” également au sens des Pères grecs (l’interprétation ,,ontologique” de ce fait), de façon à éclairer en retour, dans une dialectique qui reste toujours à poursuivre et à approfondir, l’expérience initiale.
11La discussion finale, en apportant des précisions et des nuances utiles, montre que, tout en partageant une intention commune essentielle, les diverses contributions révèlent des oppositions qu’il n’est pas possible de réduire et qui relèvent d’options épistémologiques profondes. Sans doute, cette cohérence parfaite du discours sur l’Esprit n’est-elle pas non plus souhaitable si l'on veut à la fois respecter la diversité des points de vue et l’énigme radicale du sujet.
12Certains lecteurs pourraient trouver qu’on exige beaucoup d’eux en les transportant dans des univers conceptuels et linguistiques aussi différents pour parler de l’Esprit Saint. Mais c’est là justement tout l’intérêt de l’entreprise même si elle exige quelque effort. Même si elle demeure dans le fragmentaire et le pluriel, le programmatique et l’interrogatif. Ne respire-t-on pas mieux dans plusieurs langages que dans un seul ? Et la foi qui cherche l’intelligence ne se rapproche-t-elle pas de son objet en se rapprochant de ce qui fait l’intelligence de son temps ?
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L’esprit saint
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