Conclusions
p. 251-254
Texte intégral
1Au terme d’un tel échange d’idées, au cours duquel praticiens et théoriciens ont apporté des contributions toutes plus intéressantes les unes que les autres, il est toujours difficile, sinon présomptueux, de vouloir conclure définitivement. Tel n’était d’ailleurs pas notre but en organisant une confrontation d’expériences européennes sur le thème des entreprises en difficulté et de l’initiative publique. Il s’agissait avant tout de dégager les grandes lignes d’une évolution de notre système économique européen qui, confronté à de profondes difficultés, voit une modification du rôle de l’Etat et une évolution de ses rapports avec les entreprises.
2Il est très vite apparu qu’une certaine ambiguïté existait au niveau du titre du colloque. Entreprises en difficulté et Initiative publique sont deux choses à ne pas confondre... Les initiatives industrielles publiques, et plus particulièrement la création des holdings publics, ne relèvent pas d’une volonté de traiter les affaires en difficulté. Dans les faits cependant, vu les difficultés alarmantes que traverse notre monde industriel, les organismes d’aide mis en place par les autorités publiques interviennent de plus en plus fréquemment et directement dans le sauvetage des entreprises, tout comme le font d’ailleurs les holdings privés.
3On s’accorde à reconnaître à l’entreprise un rôle moteur dans le développement de nos sociétés. Ce rôle a aujourd’hui une ampleur accrue. Il s’inscrit dans le cadre d’une philosophie nouvelle de l’entreprise qui insiste désormais sur le rôle social et sur la responsabilité de celle-ci à l’égard de la société globale. L’entreprise est un instrument de mieux-être au service de l’homme et de la collectivité. Fort judicieusement cependant, on a attiré l’attention sur le fait que la rentabilité de l’entreprise n’en demeure pas moins le critère fondamental. Elle doit rester un centre de création de plus-value qui lui permet d’assurer cette fonction nouvelle de mieux-être. Cette réflexion fut déterminante, car elle a fait apparaître toute l’ambiguïté inhérente à la notion même « d’entreprises en difficulté ».
4Tant à travers des diagnostics d’expériences concrètes qu’au travers d’analyses statistiques d’ensemble, il est apparu que ce vocable recouvrait des situations différentes. Il y a des entreprises en difficulté pour des raisons structurelles, des raisons conjoncturelles, ou encore pour des raisons d’inefficience des dirigeants. Il y a même des entreprises en difficulté suite à une politique intempestive de l’Etat en faveur de certaines entreprises inefficientes concurrentes. Il semble néanmoins que les déficiences managériales soient une cause importante des difficultés rencontrées par les entreprises.
5Face à ces entreprises en difficulté, il y a l’Etat. Dans chacun des pays européens étudiés, on constate que le modèle économique a évolué sensiblement ces dernières années et que, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’économie mixte, l’Etat intervient dans la vie économique des entreprises. Deux grands modes se dessinent : d’une part, l’intervention directe sous forme d’une participation plus ou moins importante dans le capital des entreprises, ou encore sous forme d’une insertion dans la gestion de celle-ci ; d’autre part, l’intervention indirecte prenant la forme d’avantages fiscaux, de subventions en intérêts, de regroupement ou même de reconversions sectorielles.
6L’analyse a révélé l’intérêt de sélectionner les types de réponses de l’Etat sur base d’une étude économique des causes des difficultés rencontrées par les entreprises. Sur base notamment des résultats de l’expérience hollandaise, on a fort justement insisté sur la nécessité de prévoir en cas de difficultés structurelles et conjoncturelles des réponses de type sectoriel, fondées sur un diagnostic qualitatif des conditions de survie. Une réponse au « coup par coup » aboutit presque inéluctablement à mettre en difficulté les entreprises les plus efficientes du secteur. Or, l’Etat doit intervenir comme un entrepreneur quelconque dans le respect des disciplines et des règles qui s’imposent à tous, notamment dans le domaine de la concurrence. Les échanges de vues ont également fait apparaître que l’Etat ne semblait guère avoir trouvé l’instrument d’intervention adéquat pour parer à la déficience des dirigeants. Celle-ci est cependant, rappelons-le, une des causes importantes des difficultés. Sans doute certaines législations ou projets prévoient-ils des possibilités pour susciter des modifications de direction, notamment par le biais du judiciaire ou de certains organismes publics disposant de pouvoirs de magistrature. Mais ces instruments semblent souvent peu originaux et leur efficacité est mise en doute. Fondamentalement, ne faut-il pas remettre en cause les principes du droit des sociétés qui lie le pouvoir à la détention d’une participation plus ou moins forte du capital. A une nouvelle philosophie de l’entreprise ne doit-on pas répondre par un nouveau cadre juridique qui permet une sanction de l’inefficience, sans remettre en cause l’existence même de l’entreprise ? A ce propos, la faillite est apparue comme un instrument inadéquat, dans la mesure où elle sanctionne souvent la mauvaise gestion par la mort de l’entreprise. Une évolution récente dans divers pays fait apparaître la volonté de dissocier les deux aspects et de préserver l’existence de l’entreprise.
7Par ailleurs, les différents exposés et débats ont mis en lumière une distorsion grave existant entre les instances gouvernementales et les organismes publics chargés de l’intervention de l’Etat. Plusieurs orateurs ont insisté sur les pressions du monde politique motivé par des objectifs de court terme, à savoir souvent une réélection prochaine au détriment d’une véritable politique économique au service de l’intérêt général. 11 s’avère, en effet, plus facile et plus payant, au niveau politique, de sauver à court terme telle ou telle entreprise en injectant des fonds publics qui ont pour seul résultat de faire survivre cette entreprise jusqu’aux prochaines élections. Cette politique de facilité semble trouver des échos favorables, tant auprès des milieux financiers que des milieux syndicaux. Cette vue pessimiste de l’efficacité de l’intervention de l’Etat s’est avérée partagée par plusieurs intervenants citant à l’appui leurs expériences spécifiques où les critères d’utilisation efficace des deniers publics se voient rejetés pour des motifs étrangers à l’intérêt général de long terme. Il faudrait donc une politique clairement définie au niveau des responsables politiques dont les objectifs seraient concrétisés par des organes publics composés de gestionnaires responsables agissant en fonction de critères d’efficacité et de meilleure allocation de ressources des deniers publics. Dans le sauvetage des entreprises, ils devraient disposer d’une autonomie de décision à l’égard du politique, tout en respectant l’aspect humain du droit au travail. Cette situation devrait permettre de reconvertir des secteurs lorsque cela s’avère nécessaire, plutôt que de maintenir en vie des canards boiteux destinés tôt ou tard à disparaître. On pourrait songer à d’autres solutions, notamment celle d’une moins grande professionnalisation politique, mais ce problème déborde du cadre de la réflexion.
8La confrontation de l’expérience de chaque pays européen aboutit à rechercher comment pallier les imperfections du marché du management et à souhaiter un assouplissement de structures et l’instauration d’un véritable marché de sociétés qui permettrait de réallouer les sociétés vers les dirigeants les plus efficients. L’inexistence d’une véritable harmonisation au niveau de la Communauté Européenne n’est pas sans créer des distorsions graves. Aussi peut-on se demander s’il n’est pas nécessaire d’insérer cette politique d’intervention de l’Etat dans une politique industrielle européenne. On pourrait ainsi songer à créer un holding public au niveau de la Communauté Européenne. Mais il s’agit là sans doute d’un nouveau thème de réflexion….
Auteurs
Chargé de cour à l’Université catholique de Louvain et aux Facultés universitaires Saint-Louis
Chargé de cour à l’Université catholique de Louvain et aux Facultés universitaires Saint-Louis
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