La position respective des Holdings publics et privés dans le redressement des entreprises en difficulté
p. 227-231
Texte intégral
1L’ensemble des problèmes évoqués quant à l’intervention de l’état m’effraient car ils conduisent incontestablement à confirmer l’opinion que j’avais déjà sur l’ingratitude de ce métier ; il n’est vraiment pas facile de gérer l’incertitude surtout lorsque celle-ci se situe en période de crise longue. La probabilité de succès de redressement d’affaires en difficulté, et c’est à ce propos qu’il faut être effrayé, semble être finalement bien la même partout, c’est-à-dire très faible.
2Vous avez posé la question de savoir pourquoi il était difficile de redresser des affaires en difficulté. Il y a, à mon sens, évidemment plusieurs raisons mais je reste convaincu que la plus fondamentale est incontestablement « l’erreur sur l’homme ou sur les hommes ». L’erreur sur le produit est finalement relativement plus rare ; bien entendu, elle existe et elle peut résulter d’impondérables comme une modification technologique subite.
3Pourquoi l’erreur sur l’homme est-elle plus fréquente ? Tout simplement parce qu’il s’agit du facteur le plus rare dans l’entreprise ; cet homme ou ces hommes à qui on demande des polyvalences de plus en plus étendues, des qualités de courage, de tenacité, d’honnêteté, de souplesse et de prévoyance pour n’en citer que quelques-unes, sans oublier peut-être une des qualités qui devient, à mon sens, de plus en plus essentielle, à savoir le sens commercial et l’esprit de marketing quel que soit d’ailleurs le secteur d’activité. Ces hommes, il y a à peine une génération, se heurtaient au sein des communautés relativement restreintes, communautés qui se sont ouvertes au niveau de l’ensemble du Marché Commun et, en quelques années de temps, au niveau planétaire. Le facteur humain est devenu dès lors de plus en plus rare d’une manière relative. Non seulement la concurrence entre ces hommes « rares » s’est faite sur une échelle plus étendue, mais en plus, et cela me paraît encore plus fondamental et plus regrettable, le nombre d’hommes prêts à prendre de véritables responsabilités d’entrepreneur, au sens noble du terme, ne fait que diminuer, toute proportion gardée. Cela tient à cette caractéristique de sécurisation et de nivellement vers le bas qui a tendance à se généraliser. Or, entreprendre c’est affronter le risque, ce qui va à l’inverse, bien entendu, de la sécurisation.
4Une difficulté réside dans une insuffisance de rigueur et de contrôle de gestion à l’intérieur même des entreprises. Le contrôle de gestion ne semble très souvent plus adapté aux périodes de crise longue que nous connaissons. Il faut apprendre à vivre autrement, peut-être comme cela se faisait avant la grande période d’expansion post 45, période où par exemple il paraissait tout-à-fait normal de voir les états-majors et les administrations se situer au bord des usines, voire dans les usines. Beaucoup de managers actuels devraient, à cet égard, relire les lois de Parkinson.
5Cela dit, Monsieur le Président, vous aviez posé la question de savoir quelle est, selon nous, la mission respective des holdings privés et des holdings publics.
6Je pense personnellement que la querelle holding public, holding privé est dépassée et qu’en définitive, que le holding soit privé ou public, il exerce une même fonction.
7Je dois, toutefois, faire la distinction entre les secteurs dits d’utilité sociale ou publique, qu’on pourrait appeler les « non-profit sectors » pour lesquels les missions de holdings publics sont vraiment spécifiques, la collectivité supportant le coût des opérations. Par contre, pour toute activité de holding dans des secteurs fonctionnant en économie de marché, les critères de fonctionnement ne devraient pas être différents. Ce que j’ai entendu de mes collègues représentant les sociétés holdings publics me l’a d’ailleurs confirmé tout-à-l’heure.
8D’une manière générale, si la différence entre le holding public et le holding privé consiste sur le plan conceptuel dans l’origine de l’épargne constituant les fonds propres, à savoir d’une part l’impôt ou l’emprunt de la collectivité et d’autre part l’épargne librement orientée, l'obligation de rémunération de cette épargne est identique de part et d’autre. Les holdings étant des relais de cette épargne, ils ont à la rémunérer au coût exigé : le coût du capital à risque. Ce coût du capital à risque est pour moi identique pour l’épargne privée et pour la collectivité. Il s’agit d’une forme de salaire à payer, égale en gros au taux d’intérêt du marché financier augmenté d’une prime de risque, elle-même fonction du type de risque pris par l’entreprise. Tous les holdings ont à veiller à ce que les entreprises dans lesquelles ils investissent couvrent elles-mêmes le coût de ce capital qu’ils mettent à leur disposition.
9Le souci commun est donc de voir les entreprises gérées d’une manière efficace et devenir compétitives afin de permettre de nouvelles expansions, c’est-à-dire des nouveaux emplois. De plus en plus les contraintes et notamment les contraintes sociales imposées aux entreprises sont semblables dans tous les cas de gestion. En définitive, le chef d’entreprise doit savoir fixer des critères qui consistent à respecter tous les facteurs de l’entreprise vis-à-vis desquels il faut remplir un contrat, à savoir : d’abord le travailleur, ensuite le fournisseur de matières premières, le fournisseur de capitaux sans risque, enfin, le fournisseur de capital à risque, c’est-à-dire dans le cas qui nous occupe, le holding. Le fait d’avoir satisfait ce dernier fournisseur permet d’avoir automatiquement satisfait tous les autres.
10Quant aux responsabilités économiques dans l’intervention, l’orientation du holding est relativement semblable, qu’il soit public ou privé.
11De ce que j’ai entendu de mes confrères, il ressort que tous nous avons le souci de ne pas devoir intervenir dans la gestion des entreprises, les problèmes étant d’avoir fait un bon choix d’hommes, je dirais bon choix d’entrepreneurs, à qui l’on demande de gérer l’entreprise d’une manière autonome ; si nous devons intervenir c’est plus par obligation, c’est-à-dire lorsque cela « va mal ».
12Si le holding public se voit souvent imposer certaines contraintes d’intervention forcée de la part des pouvoirs publics, les holdings privés subissent eux aussi parfois des demandes insistantes d’intervention ; je conviens qu’ils puissent toutefois décliner plus facilement des « dossiers dangereux ».
13A l’inverse, les holdings privés ont sur le plan de la reddition des comptes en assemblée générale, des moments à passer qui me paraissent plus difficiles que pour les holdings publics. Il n’est pas facile, en effet, d’expliquer à ses actionnaires, chaque année, que la rentabilité, donc le salaire gagné sur ses investissements, ne dépasse pas 4 à 5 % (ce qui est le taux moyen en Belgique) alors que la rémunération qu’est en droit d’exiger l’actionnaire est de 12 à 15 % selon les secteurs ou les sociétés.
14Les holdings privés cotés en bourse sont jugés en permanence, à cet égard, par le cours boursier de leurs actions qui, dans l’état actuel des choses, est en décote de plus de 50 % par rapport à la valeur intrinsèque.
15La question a été posée de savoir si les holdings privés intervenaient dans les restructurations d’affaires en difficulté.
16La réponse est incontestablement oui et même en ce qui nous concerne, souvent. Pourquoi ?
17Il est évidemment plus facile d’éviter de faire ce type de métier difficile d’autant plus que, d’après ce que j’ai entendu aujourd’hui de mes confrères, les holdings publics eux-mêmes dans tous les pays répugnent à cette activité ou à tout le moins la craignent.
18La réponse est que nous sommes convaincus de ce que ce type de métier est nécessairement dans la vocation des holdings, qui doivent créer notamment cette valeur ajoutée pour pouvoir contribuer au redressement d’affaires en difficulté. A cet égard, les holdings privés constituent des observatoires intéressants ayant accès à des hommes spécialisés dans divers secteurs d’activité au niveau des entreprises filiales.
19Les partenaires sociaux ne doivent toutefois pas se tromper de cible car ce ne sont pas les holdings qui eux-mêmes créent directement l’emploi, ils sont des éléments de catalyse, de synergie, ils ont des équipes restreintes polyvalentes qui peuvent diagnostiquer les situations, sensibiliser les responsables d’entreprises suceptibles d’apporter une collaboration concrète sur les terrains opérationnels.
20Dans ce domaine, qui devient de plus en plus de grande actualité mais est finalement, dans son intensité, relativement récent, le système de relations entre les holdings privés et les spécialistes d’entreprises, d’une part, les capitaux publics, d’autre part, doit encore se rôder. C’est encore la période des « essais et des erreurs » qui prévaut, ce qui expose aisément à la critique : en cas de réussite, la rémunération que peut en tirer le secteur privé est considérée comme douteuse, en cas d’échecs (et vous savez tous maintenant qu’ils sont incontestablement plus nombreux) on passe sous silence la perte qui vient plus que compenser souvent la rémunération des réussites, mais en outre, on fait porter tout le poids de la responsabilité (sociale notamment) sur cet holding qui aurait pris le relais d’un actionnaire absent ou défaillant. Le résultat pratique est qu’en définitive, dans la période que nous traversons, le coût du capital à risque pour les holdings privés est devenu supérieur au coût du capital à risque du marché car on a tendance à ne plus accepter des compensations entre profits et pertes et on ne peut voir fonctionner réellement le système de société à responsabilité limitée. On considère en effet que de plus en plus pour les investisseurs institutionnels que sont les holdings, si le capital est perdu, la responsabilité reste entière et qu’il est de leur devoir de poursuivre la mise de fonds pour respecter les engagements moraux à l’égard de l’économie. En cela donc, la prime de risque incluse dans le coût du capital des holdings est supérieure à la prime de risque du capital fourni par le marché et par les investisseurs institutionnels libres tels que fonds de pension, compagnies d’assurances, fonds communs de placement. N’y a-t-il pas là pour l’avenir un bon sujet d’étude ?
21Une dernière question a été posée. Que pensez-vous du monopole éventuel d’un holding public ?
22Ma réponse est instantanée et très claire. L’effet immédiat serait d’augmenter le coût du capital à risque fourni aux sociétés, probablement aussi de durcir les critères d’interventions car, en fait, toute concurrence serait supprimée. Je crois en fait que plus il y aura d’holdings, qu’ils soient privés ou publics, mieux cela vaudra, car plus il y aura de professionnels disposés à remplir ce rôle de catalyseur d’initiatives, de remodeleur d’affaires ou secteurs en difficulté, de pilier stable, donc responsable, de l’actionnariat des entreprises, ce qui me paraît répondre à des besoins de ce dernier quart du 20e siècle. Bien entendu, il y a la collaboration entre holdings publics et holdings privés et je pense de plus en plus que cette collaboration se développera, c’est là une concrétisation dans les faits des avantages de véritables synergies.
Auteur
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