Avant-propos
p. 7-9
Texte intégral
1Les institutions sont aujourd’hui durement contestées. État, administration, justice, enseignement, armée, famille, tous ces « appareils », et bien d’autres, sont l’objet de critiques radicales qui dénoncent leur inadaptation, leur mépris de l’individu, leur fonctionnement ambigu, contradictoire, idéologique.
2L’idée et le mot même d’institution provoquent souvent des réactions d’indifférence ou de rejet agressif. On peut se demander si cette critique devenue presque automatique et sans nuances n’est pas elle-même une forme nouvelle d’idéologie qui appellerait à son tour la critique...
3Il en va de même pour l’Église. Sa dimension institutionnelle, qui est manifeste, est devenue elle aussi massivement l’objet d’une hostilité de principe de la part de beaucoup de ses membres. Certains vont jusqu'à dissocier et opposer leur foi et leur attitude par rapport à l’institution ecclésiale, leur adhésion à Dieu et au Christ et leur appartenance à l’Église.
4Certes, l’institution ecclésiale (avec toutes ses dimensions : hiérarchie, autorité, pouvoir, administration, etc.) s’est alourdie au cours d’un long passé, et la nécessité d’une mise à jour et d’une réforme permanente de ce monument imposant, mais par bien des aspects déficient, est clairement reconnue par ses plus hauts responsables. Il faut reconnaître aussi qu’aucune autre institution n’est travaillée de l’intérieur d'une manière aussi forte par une tension qui la met constamment en question, tension entre la dimension irréductiblement personnelle, immédiate et gracieuse de la relation du croyant avec son Dieu, dans le salut qu’elle annonce, et d’autre part la dimension collective, juridique, médiate des structures institutionnelles qui sont censées communiquer ce salut. Toutefois, on peut se demander si l’esprit du temps ne pousse pas bien des chrétiens à vivre cette tension de manière simpliste et irréfléchie. N’y a-t-il pas lieu, sans rien méconnaître des critiques légitimes et des nécessaires mutations ni des rééquilibrages récents de l’ecclésiologie et de la pratique ecclésiale, de réfléchir de façon plus nuancée et plus positive à l’enracinement de l’institution dans la réalité de foi et à la signification spécifique qu’elle prend dans le cas de l’Église ?
5Comment le faire avec justesse, sans naïveté ni dans l’adhésion, ni dans la critique, sans réduction du décalage originel, mais aussi sans distorsion du lien essentiel qui réfère l’institution à l’Église comme mystère de grâce ? C’est la question à laquelle tentent de répondre les six contributions que l’on pourra lire dans ce volume, fruit d’une session théologique tenue en 1978 à l’École des sciences philosophiques et religieuses des Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles. Elles représentent des disciplines ou des points de vue différents mais complémentaires.
6L’historien — J.-L. Monneron — dessine un tableau et trace un bilan aussi objectif que possible de la situation présente de l’institution ecclésiale en France, pour se risquer à ouvrir quelques perspectives sur ses chances d’avenir. L’évêque, Mgr M. Saudreau, fondateur du diocèse du Havre, décrit de l’intérieur la façon dont il comprend et vit la charge épiscopale comme rouage essentiel de l’institution, pour animer une Église locale dans le monde d’aujourd’hui. Le sociologue, G. Defois (qui est aussi le secrétaire général de l’épiscopat français), s’interroge sur l’ethos culturel particulier qui sous-tend inconsciemment la critique ambiante des institutions, et sur le rôle que remplit et que peut remplir dans les sociétés postindustrielles, l’Église comme acteur social, comme collectivité structurée, favorisant de nouveaux consensus éthiques face à la violence et au vide du sens. L’exégète — Mgr A. Descamps — pose de manière nuancée et critique la question de l’origine de l’institution ecclésiale, en la rattachant d’une part au Jésus pré-pascal, et d’autre part à l’initiative apostolique post-pascale. L’ecclésiologue — le P. H. Legrand — réfléchit critiquement sur la situation actuelle et sur la fonction du droit dans l’Église, en soulignant l’étroite connexion, dans le message chrétien et dans les actes sacramentels, de la grâce et du droit compris comme donation d’un statut nouveau.
7Enfin, le théologien — le P. P.-A. Liégé — propose une réflexion synthétique très directe sur la signification et la place de l’institution dans l’Église, en distinguant des niveaux de valeur inégale dans la réalité institutionnelle, et en dégageant quelques principes pratiques de bon fonctionnement de l’institution si elle se veut fidèle à son origine essentielle.
8On le verra : la réflexion ici menée est sereine, équilibrée, mais franche. Elle peut aider à affiner la compréhension du concept d’institution, aujourd’hui si souvent utilisé trop grossièrement, surtout quand il est appliqué à la réalité ecclésiale. Elle peut contribuer aussi à mieux faire percevoir en même temps l’importance capitale et la relativité essentielle de l’institution par rapport à la réalité de foi, et donc amener, on l’espère, des croyants trop simplement allergiques à l’institution ecclésiale à nouer avec elle un rapport plus juste, mieux inscrit dans la logique de leur foi. Tous les auteurs de ce livre conviennent, en effet, que la crise de l’institution, si grave qu'elle soit, ne peut signifier une simple liquidation, mais bien plutôt l’occasion pour l’Église de retrouver son institutionnalité dans son essence propre et dans sa spécificité irréductible. L’institutionnalité de l’Église est ce qui lui permet de traduire et de prolonger l’Incarnation. Elle fait partie intégrante du mystère de foi. Située dans l’histoire, l’institution doit donc s’instituer activement sans cesse, dans la fidélité certes à son origine, mais sans fixisme et sans raideur, avec cette créativité et cette souplesse que certains s’efforcent actuellement de penser également au niveau de la philosophie politique.
Post-scriptum
9Au moment de publier cet ouvrage, trous apprenons avec émotion le décès du Père Liégé. La disparition en pleine maturité de cet homme de pensée, d’action et de prière est une lourde perte pour la théologie française, l'Ordre dominicain, l'Institut Catholique de Paris.
10Le texte qu’il nous laisse — et qui est sans doute l’un des derniers qu’il ait signés — prend du coup une signification plus grande encore : celle d’être comme le témoignage ultime de fidélité à l’Église, d’un homme qui l’a servie toute sa vie avec loyauté et liberté.
Auteur
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