La métaphore comme éponyme et comme prédication d’identité
p. 63-97
Texte intégral
1En somme, dans notre discours sur la métaphore, nous n’avons d’autre ressource que de faire porter l’analyse sur le « réel » langagier que désigne, par convention socio-culturelle, le signe-étiquette « métaphore ». Nous concevons ce dernier — le signe-nommant, non la chose qu’il nomme — comme un signe producteur de sens, qui, renvoyant à un état de chose relativement flou, demande à être interrogé par le biais de l’observation de la chose-nommée. Notre investigation sera essentiellement de nature linguistique. Elle n’a nullement la prétention d’être exhaustive, se limitant essentiellement à un même type de questionnement contrastif déployé à un double niveau. On s’interrogera d’une part sur un certain nombre de modalités de fonctionnement sémiotique dérivé, essentiellement sur les principes du fonctionnement mimologique, détour fécond, qui nous autorisera à insister, par contraste, sur la nature fondamentalement énonciative-prédicative de l’éponymie métaphorique. Là où le mimologisme s’autorise tout entier du décryptage du signifiant d’un seul signe dénommant, greffant sa quête de « sens » sur les potentialités significatives (directes ou indirectes) inscrites dans le signifiant, la métaphore, brusquement, rompt ces chaînes, et, libérée de toute attache avec le signifiant, ravale celui-ci au rang de simple indicateur référentiel (sujet syntaxique) et instaure, à propos de l’entité référentielle ainsi circonscrite, une prédication autonome et nouvelle (prédicat syntaxique). C’est indiquer aussi qu’il ne peut y avoir de métaphore-mot (de métaphore-en-un-seul-mot, Fontanier) : avec la métaphore, nous quittons le registre de la dénomination et entrons en régime de prédication. Considérant la prédication identifiante (A est B) comme l’invariant ultime de toute métaphore, on tentera — et ce sera là notre deuxième interrogation — de dégager la contribution spécifique de l’énoncé métaphorique, en opposition avec d’autres fonctionnements prédicatifs du même genre.
21.1. La métaphore est-elle une catégorie mimologique ? Participe-t-elle de « ce tour de pensée, ou d’imagination, qui suppose à tort ou à raison, entre le « mot » et la « chose », une relation d’analogie en reflet (d’imitation), laquelle motive, c’est-à-dire justifie, l’existence et le choix du premier »1 ? La réponse à cette question paraît évidente : en effet, le rêverie mimologique interroge ou privilégie la vertu descriptive du mot, la métaphore par contre transcende ces limites, et n’a donc rien d’une rêverie sur la justesse du mot. Interrogeons-nous cependant sur ce qui rapproche les deux démarches. La rêverie mimologique interroge le signe isolé sous le rapport de sa motivation, de sa descriptivité. Elle cherche à déceler dans le signifiant du signe une inscription de sens qui à la fois déborde et confirme la valeur purement désignative de ce signe. Trois points nous paraissent importants dans cette attitude.
31.2. Tout d’abord, l’analyse porte exclusivement sur le matériau dont est constitué le signifiant. Elle consiste essentiellement à dénier à celui-ci sa transparence2 désignative-symbolique (au sens peircien de signe purement conventionnel) et à investir sa substance d’une signification éponymique. Refuser au signifiant linguistique sa valeur de signifiant (c’est-à-dire de forme phonologique associée par nécessité à un signifié), c’est laisser cette forme s’échapper en substance : substance non langagière, faite de sons, ou substance langagière, faite de signes. Ainsi, la rêverie mimologique va pouvoir se déployer à partir d’une double virtualité de sens : d’une part, celle qui s’investit dans l’expressivité du son (par mimétisme ou motivation directe : depuis le coucou, dont le son est une copie iconique d’une donnée d’expérience — le cri de l’oiseau — se trouvant en relation métonymique avec le désigné, jusqu’à la grenouille de Bachelard qui « phonétiquement — dans la phonétique véritable qui est la phonétique imaginée — est déjà un animal de l’eau ») ; celle par ailleurs qui s’investit dans la présence latente d’autres signifiants au sein même du signifiant analysé (par motivation indirecte). C’est bien sûr ce deuxième type de motivation qui nous intéresse tout particulièrement. En effet, par opposition à la motivation directe, la motivation indirecte a ceci de spécifique que, comme la métaphore, elle passe (ou repasse) par la langue : il faut trouver dans le signifiant l’inscription, elliptique sans doute (c’est-à-dire condensée et vaguement conforme aux virtualités linguistiques de relationnement sub-syntaxique), d’autres signes, auxquels on reconnaîtra une vertu significative.
41.3. Par ailleurs, la fonction ultime de cette exploration des signes — dont les étymologies socratiques constituent le prototype et qui, par opposition à l’étymologie scientifique et à l’analyse linguistique des signes motivés, peut se dispenser de tout critère objectif de vérité, historique ou de compétence linguistique — est d’identifier dans le signifiant du symbole désignatif l’inscription d’un signe ou d’un syntagme de signes qui puissent être conçus comme l’expression condensée d’une prédication portant sur le désigné du symbole. Autrement dit : la rêverie mimologique qui procède par motivation indirecte, en faisant jouer des coïncidences et des rapprochements au niveau de la substance langagière, s’efforce d’extraire du signifiant un ensemble de signes qui soient éponymes de la chose désignée. A vrai dire, cette opération implique deux moments : d’une part le décryptage de signes sémantiquement différents du signe étudié, d’autre part une procédure d’amplification qui, en un cheminement inverse de la condensation, s’attache à composer un énoncé qui, parlant du désigné, produise un sens approprié.
51.3.1. Le décryptage obéit au seul critère de l’identité ou de la quasi-identité signifiante : c’est le principe du jeu de mots (prendre un mot pour un autre, ou pour un amalgame ou un syntagme d’autres mots). Si nous représentons le signifiant du signe étudié par A et celui du ou des signes décryptés par B, nous pouvons dire que A et B doivent être les termes d’une relation de paronymie ou d’homonymie. Dans les cas d’homonymie, A et B se recouvrent sans excédent : soit qu’il s’agit d’homonymes parfaits3 (par exemple A sôma (« corps ») = B sôma <* sôzèma (« geôle »)4), ou — dans les cas où B est constitué de plusieurs signes — d’homonymies lexico-syntaxiques5 (par exemple A alèthéia (« vérité ») = B alè théia (« course divine »)6 ou sub-syntaxiques (par exemple A fourchette = B fourche + ette). Dans les cas de paronymie, le principe de quasi-identité signifiante peut être « étiré jusqu’à ses limites extrêmes »7 ( : non seulement on aura A sôma (« corps ») = B sèma (« tombeau/signe »), mais aussi A phronèsis (« pensée ») = B phoras noèsis (« intelligence du mouvement »)8,A Agamemnon = B agastos épimonè (« admirable de persévérance »)9, voire A anthrôpos = B anathrôn ha opôpè (« qui examine ce qu’il a vu »)10, (sans oublier les manipulations leirisiennes du genre A cratère = B (il) cra((che)la) terre11, (où la distorsion entre les deux termes est telle qu’on pourrait hésiter à leurs conserver le titre de paronymes.
6Il faut pourtant s’y résigner, puisque l’instinct mimologique — seul habilité, en dernier ressort, à statuer sur les marges de tolérance de la variation à l’intérieur de l’identité — n’hésite pas à y opérer une identification. L’étymologie scientifique procède de façon analogue, puisqu’elle aussi postule, derrière une diversité manifeste, l’existence d’une identité génétique (A = signe analysé = par exemple souci — B = étymon proposé = solsequia (« tournesol »)). Elle fonde cette identification sur la possibilité qu’elle a d’énumérer un ensemble fini d’innovations évolutives qui — tant au niveau contenu qu’au niveau signifiant — fournissent une description plausible des différences, et par là une justification de l’opération qui consiste à voir en celles-ci de simples variations d’une identité sous-jacente. Les étymologies socratiques opèrent sur un présupposé analogue, dont la légitimation reste cependant implicite. Tout au plus peut-on dire qu’elle n’est pas contredite par la compétence linguistique : en effet, les usagers de la langue, confrontés avec l’existence de règles d’alternance, voire de supplétions, phonologico-morphonologiques (par exemple salaire/salarié, ven-ir/viend-rai, œil/ocul-, conduire/conduc-...) savent que l’identité n’exclut pas la variabilité et que le brouillage phonématique n’est pas nécessairement préjudiciable à l’identification du signifiant. A cela s’ajoute le sentiment plus ou moins confus, mais constamment conforté, que la nomination, c’est-à-dire le passage, par condensation et rhématisation12, de l’énoncé au signe lexical s’accompagne facilement d’une double spécialisation, sémantique et morpho-phonologique (et qui se manifeste par les altérations et les distorsions — du signifié et/ou du signifiant — qu’elle entraîne). L’usager de la langue est ainsi préparé à se laisser convaincre et enchanter par des analyses qui exploitent ces virtualités de diversification à l’intérieur même de l’unité et de l’identité.
71.3.2. Dans une deuxième phase, la rêverie mimologique indirecte élève le ou les signes décrypté(s) au rang d’un énoncé prédicatif portant sur le désigné du symbole analysé. Si A représente le signe-symbole correspondant au signifiant analysé (par exemple sôma (« corps »), alèthéia, morphine, homme, cratère...), B1, B2...Bn le ou les signes correspondant aux signifiants décryptés (sôma (« geôle »), alè + théia, mort + fine...), et Z tout autre signe de la langue, l’énoncé déployé par amplification à partir des signes extraits de A aura nécessairement une des formes suivantes13 :
le A est B (Z) » par ex. le sôma est (un) sôma et (un) sèma ;
le A B1 (B2) (Z) » par ex. le cratère crache (la) terre ;
le A Z B (Z) » par ex. l’oranger produit (les) oranges.
8On sait que, contrairement au prédicat, le sujet remplit essentiellement une fonction exclusivement référentielle : il contribue à délimiter le fragment de réalité dont on veut parler (à la limite, et pour autant qu’il s’agit d’isoler, dans le hic et nunc du discours, un dénoté présent dans le champ situationnel, le déictique seul y suffit : c’est un arbre !). Cependant, comme la rêverie mimologique se déploie en régime de nomination, les prédications qu’elle engendre portent généralement sur le désigné de A tout entier, c’est-à-dire sur le terme universel que désigne le signe linguistique14 (c’est pour cette raison que nous considérons que le sujet est « le A » ; même le nom propre dans cette optique renvoie à un désigné dont l’extension comporte virtuellement plus d’un dénoté : Agamemnon, dans « Agamemnon = agastos épimonè », désigne tout homme porteur de ce nom). Le reste de l’énoncé forme le prédicat, dont les constituants remplissent essentiellement une fonction de production de sens (et non de simple identification référentielle). Enfin, c’est l’association des deux, sujet et prédicat, qui engendre l’énonciation prédicative. Ainsi, ce que la rêverie mimologique s’emploie à extraire du signifiant du symbole, c’est en fin de compte un énoncé de sens à propos du désigné.
91.4. Reste à déterminer les motivations profondes de la démarche mimologique elle-même : qu’est-ce qui (nous) fait rêver (sur) les mots ? Toute exploration mimologique a pour fin ultime de s’enchanter au spectacle de la « justesse des noms ». Ce qui emporte l’adhésion, ce n’est pas simplement l’élaboration d’une prédication sur le désigné de A, c’est bien plus le fait que cette prédication est présente en filigrane dans le signifiant de A, en d’autres mots : c’est la découverte du caractère éponymique des signes B (contenus en A). Le signe est à la fois symbole (par sa valeur désignative) et syntagme-surnom (par quoi il y a énonciation d’un sens). Non seulement — en parlant en termes proustiens — le mot devient nom, mais il réussit en outre la gageure d’inscrire dans son signifiant même l’expression d’un ou de plusieurs des sens qu’il véhicule. Au fond, ce qui fait la spécificité de la mimologie (indirecte), c’est le paradoxe de la présence d’une expression de sens au sein même de ce qui, étant instrument de production de sens, doit rester page (sémantiquement) vierge, c’est-à-dire symbole, représentant arbitraire. Ainsi, le cratère (la chose ainsi nommée !) est bien autre chose encore qu’un « cracheur de terre », c’est pourquoi le signe-symbole « cratère » ne peut en aucun cas être réduit à un programme de production de sens qui ne pourrait générer que ce sens-là. C’est pourquoi aussi le surnom ne peut s’exprimer que sous la forme condensée et distordue d’un indice lexicalisé : c’est l’abîme qui sépare le domaine de l’énoncé de celui du mot, le signe complexe syntaxique et assertif du signe lexical. Deux mondes différents sans doute, qui cependant se trouvent en interrelation étroite. La nomination comme acte de création langagière, c’est-à-dire la mise en lexique (Verwortung — en allemand) des choses, s’enracine dans le sens énonciatif ; la nomination comme acte d’actualisation, c’est-à-dire comme utilisation à des fins désignatives, instaure un programme de production de sens énonciatifs.
102.1. La métaphore ne se situe pas au niveau du mot, mais en discours. C’est en cela qu’elle se différencie du mimologisme. Mimologisme et métaphore relèvent tous deux d’un principe descriptif (de transsignifiance), où le signe est sommé de transcender la transparence de sa signification linguistique et de sa désignation. Dans le cas du mimologisme (par opposition au signe arbitraire étiquette), ce mouvement se situe au niveau du mot : il s’agit d’extraire du seul signifiant des constituants-sons-icônes ou signifiants-signes susceptibles d’instaurer par amplification des prédicats qui puissent être attribués au désigné du signe considéré. Ce qui fait la séduction du mimologisme, c’est l’étroite connivence, la confusion en un seul et même signifiant des constituants prédicationnels : le signe lexical lui-même fournit la totalité de la prédication, et son sujet et son prédicat (dès lors aussi le terme référentiellement identifié par ce sujet, à savoir le désigné du signe considéré, toujours universel (le cratère) ; et le terme qui lui est attribué (crache la terre)). L’analyse mimologique réussit en quelque sorte à introduire les principes de l’interprétation sémantique de la combinatoire syntaxique à l’intérieur même du lexique, atténuant ainsi l’opposition pourtant fondamentale entre le sémantique et le sémiotique.
11Il en va tout autrement dans le cas de la métaphore. Sujet et prédicat y sont nécessairement distincts, ce qui indique qu’on se trouve en régime de discours, de prédication directe. Ce n’est plus le mot qui est en jeu, ni la justesse du signe-nommant, que vérifierait le constat de la présence au niveau du signifiant d’un prédicat qui lui serait applicable. Ce qui est en jeu, c’est simplement l’attribution assertive, directe ou dérivée, explicite ou implicite, d’un prédicat B à un sujet A. Par opposition au mimologisme, le fonctionnement métaphorique implique l’éclatement de l’unité prédicationnelle : le signe-sujet, à fonction exclusivement référentielle identifiante, y est associé à un signe-prédicat étranger. On se trouve donc dès l’abord en régime de discours. Les deux principes sémiotiques qui se trouvent confondus dans un seul et même signe mimologique — identification référentielle fondée sur la valeur de désignation linguistique du signe et fonction prédicative, qui puise son support linguistique au réservoir de traces prédicatives que constitue le signifiant du signe — sont, dans le cas de la métaphore, dissociés et répartis sur deux entités distinctes, sujet et prédicat.
12On peut dire : l’identification prédicationnelle que le mimologisme réussit à trouver au sein même du signifiant, par paranomase, la métaphore doit en distribuer les constituants sujet et prédicat sur l’axe (métonymique) de la combinatoire syntaxique.
132.2. Le support syntaxique canonique d’une prédication identificationnelle est un énoncé composé d’une expression sujet, de la copule et d’une expression prédicat : A est B. Ce qu’il importe de dégager d’abord, c’est la distinction entre les deux fonctions complémentaires qu’assurent, au sein de l’activité complexe qu’est l’accomplissement d’une énonciation de ce type, les expressions linguistiques qui se trouvent respectivement en position sujet et en position prédicat. Cette distinction fonctionnelle manifeste une différence au niveau des modalités sémiotiques des signes linguistiques.
14L’expression sujet a pour fonction exclusive d’introduire un terme extralinguistique comme sujet d’attribution, c’est-à-dire d’identifier référentiellement le terme auquel l’énoncé assigne le prédicat. Ce n’est pas l’expression linguistique en elle-même qui a cette valeur référentielle mais bien son emploi en position-sujet d’énonciation, c’est-à-dire son emploi au cours de l’emploi d’une proposition qui lui assigne un attribut (in casu identificationnel). Il faut ici se garder de confondre deux opérations d’identification nettement distinctes : 1) celle, d’une part, qui est visée par l’expression « prédication identificationnelle » et qu’accomplit l’acte prédicationnel tout entier : prédication par laquelle on déclare A identique à (un) B (dorénavant : identification p) ; 2) d’autre part, celle dont il est question ici, et qu’accomplit de façon exclusive l’élément-sujet de l’énoncé (le prédicat l’accomplit de façon non-exclusive) (dorénavant : identification r) : fonction d’idenfitication référentielle, qui consiste essentiellement à pourvoir l’interlocuteur de toutes informations susceptibles de lui permettre d’identifier le terme extralinguistique (le référent) auquel l’énonciation assigne le prédicat.
15Les stratégies linguistiques utilisées par le locuteur pour identifier référentiellement les objets et les situations du monde sont extrêmement variées et souvent tributaires — surtout si l’identification porte sur des individus spatio-temporels ou sur des particuliers qui dépendent de tels individus (par ex. le sourire de la Joconde) — des conditions mêmes de l’énonciation, c’est-à-dire des données démonstrativement désignables de la situation de référence. Les termes introduits et identifiés par les expressions sujets sont soit des particuliers définis (Fido, cela, cet animal est un chien), soit des particuliers indéfinis, représentants non définis de classes (un épagneul est un chien), soit des universaux, c’est-à-dire des concepts de classes (par ex. l’épagneul est un chien). Ce sont essentiellement les prédéterminants (articles, démonstratifs,...) qui modulent ces diverses catégories15. Par ailleurs, seule la référence à un particulier défini peut, se trouvant en dépendance maximale du contexte, se passer de tout recours à des signes linguistiques désignatifs et se limiter par exemple à l’emploi d’un nom propre, d’un déictique servant à identifier les interlocuteurs (je, tu...) ou d’un déictique pronom démonstratif (ceci, cela...)16.
16Mais on peut aussi recourir à une combinaison « prédéterminant + signe désignatif », associés sur un mode mineur (c’est-à-dire associés assertivement, mais en régime de présupposition). C’est là la seule manière dont on puisse introduire des particuliers indéfinis ou des universaux : il faut en effet nommer l’espèce ou le genre qu’on veut identifier (par ex. le chien) ou dont on veut identifier un représentant quelconque (un chien). Mais c’est également une stratégie courante pour l’identification référentielle de particuliers définis : on se réfère à un individu de l’espèce telle-et-telle (les descriptions définies ; par ex. ce chien est un épagneul ; le chien est dans le jardin).
17Le signe désignatif y est utilisé, sur base de sa vertu caractérisante ou classificatoire, comme moyen de référence identifiante Celle-ci constitue donc bien une modalité particulière d’emploi d’une expression linguistique : ce n’est pas le désigné ni l’éventail des sens qui peuvent — sur base de la compétence linguistique et pragmatique — lui être associés que vise l’emploi référentiel du signe, mais bien l’identification d’un terme susceptible de devenir l’objet de l’assignation de l’attribut. Dans cet emploi, le signe désignatif joint au prédéterminant le nom de cela dont ce nom peut être asserté : par l’emploi de l’expression « ce chien », j’identifie par le biais d’une expression démonstrative (référence directe à des éléments de la situation de référence), un terme dont il peut être asserté qu’il appartient à la classe des chiens17. Il faut, en d’autres mots, qu’il existe à l’endroit désigné un seul « chien ». Cela signifie aussi que l’introduction non exclusivement démonstrative d’un objet de référence passe nécessairement par la connaissance d’un ou de plusieurs faits empiriques distinctifs, connaissance que mobilise l’emploi de signes désignatifs. Ces expressions ne jouent leur rôle que parce qu’elles « apportent un poids de fait », qu’elles « portent secrètement des propositions »18, ce qui leur confère, par opposition aux expressions prédicats, une certaine complétude. Même le nom propre participe de cette complétude, en ce sens qu’il présuppose lui aussi un ensemble de faits au sujet du particulier qu’il introduit. Le nom propre-sujet « Pierre » n’introduit pas toute personne du nom de Pierre, mais bien tel individu défini à qui j’associe les faits tels-et-tels. Tout nom propre — plus exactement tout nom propre en usage — est un condensé d’une description.
18Le signe désignatif en position de sujet est dès lors radicalement en régime d’identification référentielle : il n’y fait que mentionner le nom de cela à quoi il s’applique (ou, dans les cas où la description définie est de type caractérisant : il mentionne le nom d’une propriété qui caractérise le référent identifié). C’est dire aussi que toute expression référentielle de ce type se fonde sur une assertion identificationnelle implicite, qui prédique l’universel que désigne le signe désignatif en question de cela qu’il aide à identifier : « ce chien = cela est un chien ».
192. 3. L’expression prédicat, par contre, est une expression incomplète, insaturée, qui, dans sa fonction identifiante, ne requiert pas la connaissance d’un fait empirique. En d’autres mots, elle réussit à introduire son terme sur la base exclusive de sa signification linguistique : déchiffrer « être un chien » n’implique aucunement que l’on connaisse la vérité d’une proposition empirique comme « quelque chose est un chien », car il se peut aussi que « rien n’est un chien » (« La fonction prédicative concerne l’inexistant en visant l’universel »19. L’expression prédicat, incapable de présenter un fait par ses propres moyens, ne peut que aider à l’apport d’un fait (en contribuant à la constitution d’une assertion explicite). Dans un énoncé d’identité (A est (un) B), elle introduit fondamentalement un universel typant, c’est-à-dire un terme qui rassemble des choses semblables par le truchement du lien d’occurrence : des particuliers ou des non-particuliers sont posés comme des occurrences ou des cas de l’universel typant prédicat (par ex. « Milou ou Fido... est un chien » ; « l’épagneul ou le basset... est un chien »). Mais l’expression prédicat d’un énoncé d’identité peut également, par analogie, introduire un particulier (liens attributifs chez Strawson, par ex. « cet homme c’est Paul » ; « Fido est mon chien » ; « ce chien c’est Fido »). Le mode d’apparition dans le discours d’un particulier en tant que prédicat a pour effet d’insaturer le ou les faits empiriques qu’il incarne (par ex. « Paul est l’homme tel-et-tel » ; « il y a un chien défini dont je suis le maître/qui s’appelle Fido »). En d’autres mots, ces faits ne servent ici pas seulement à identifier des individus, ils se présentent en même temps comme principes potentiels de rassemblement de particuliers-occurrences : le locuteur asserte d’un individu particulier, identifié référentiellement (avec ou sans recours à des présuppositions de faits empiriques, par exemple cet homme ou Saul vs cela) qu’il est une occurrence de — c’est-à-dire in casu : qu’il est identique à — tel individu particulier20 (par ex. Paul) dont il sait que l’auditeur sait qu’il est tel-et-tel à titre unique. Ce que l’élément-prédicat vise, ce n’est donc pas seulement l’identification référentielle de l’individu Paul, c’est aussi la mise en disponibilité des faits empiriques associés à la personne qu’identifie le nom propre Paul21.
20On peut dire que l’expression linguistique « être (un) x » remplit des fonctions sémiotiques très différentes selon qu’elle paraît, dans le discours, en tant que sujet ou en tant que prédicat. Dans le premier cas, elle — ou plutôt : son attribution, en régime de présupposition, au référent identifié — est utilisée comme moyen d’identification référentielle. Dans le deuxième cas, elle se présente directement comme principe de rassemblement de termes-occurrences (du moins, si on se limite aux énoncés d’identité) : l’expression-prédicat introduit son terme comme la chose à attribuer, in casu : comme le concept ou le genre dont les termes sujets sont des occurrences ou des espèces, respectivement comme l’ensemble des faits associés à titre unique à un particulier identifié dont un particulier identifié par d’autres moyens descriptifs (ou par des moyens exclusivement démonstratifs) est une occurrence. Le signe-désignatif prédicat identifie ce qu’il signifie, il introduit un terme susceptible de s’appliquer assertivement à un référent. Ceci implique qu’il identifie un ensemble de traits (ou de sens) que la compétence linguistique et pragmatique associe aux éléments qui constituent la classe extensionnelle correspondant au désigné du signe en question. Dans les cas où le signe-prédicat introduit un particulier, ces traits sont ou bien ceux que le locuteur est disposé à appliquer au particulier qu’identifie le nom propre (si Shakespeare est dit être Bacon, « Bacon » identifie le personnage dont on sait qu’il est l’auteur de l’Instauratio Magna) ou bien ceux qu’il nomme lui-même par le biais d’une description définie (par ex. l’homme-qui-a-écrit-l’Instauratio Magna).
212. 4. L’identification p a pour support syntaxique canonique le cadre N1 est N2. Elle asserte d’un terme introduit par une expression linguistique sujet nominal ou nominalisé, qu’il se trouve, par rapport à l’extension que désigne l’expression prédicat nominale ou nominalisée, dans une relation d’identité (A est un B), qu’il est occurrence de cela que désigne la partie désignative (B) d’un tel prédicat. Convenons de représenter les expressions linguistiques sujet et prédicat par A et B respectivement, les termes extralinguistiques quelles introduisent par α et β.
22La thèse que toute métaphore se laisse rapporter à une prédication identificationnelle implique que toute métaphore inscrite dans d’autres configurations syntaxiques (apposition, groupe nominal avec la préposition de, prédicat verbal, attribut ou épithète adjectivale, nomination directe) comporte nécessairement — par rapport à la forme canonique N1 est Ν2— une composante implicite22. Des divers constituants de l’énoncé métaphorique, seul le signe-prédicat (c’est-à-dire le signe comparant) est nécessairement explicite. On distinguera dès lors trois types de métaphores implicites :
231) Celles dont l’implicite porte sur la valeur assertive identificationnelle elle-même. L’identification A est B n’est ni assertée ni posée, on se contente de la présupposer : métaphores en apposition (par ex. « La Seine, ce gros égout qui montre tout » (Céline) ; « Les mensonges, ces monnaies du pauvre » (Céline) ; « (Nadja passe) la tête, puis un bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c’est-à-dire de la plus haïssable des prisons » (Breton)) ; certaines métaphores avec de (« Une fois dans ma chambre, il fallut boucher toutes les issues, fermer les volets, creuser mon propre tombeau, en défaisant mes couvertures, revêtir le suaire de ma chemise de nuit » (Proust) ; « l’édifice immense du souvenir » (Proust) ; « la maison de mon cœur est prête et ne s’ouvre qu’à l’avenir » (Breton)) ; noms composés métaphoriques (« l’homme-fontaine » (Aragon)).
242) Celles dont l’implicite porte sur l’identification référentielle du terme α : on pose l’identification p de quelque chose à B, ce quelque chose n’est cependant ni nommé ni même identifié r, il est simplement implicitement contenu dans la conjonction sémantique de B et de l’élément linguistique (= C) dont celui-ci est prédiqué. Cette analyse s’applique aux métaphores dites verbales et adjectivales attributives. Dans l’énoncé « le commissaire aboie », l’identification p porte non pas sur le commissaire et aboyer, mais bien sur quelque chose que fait (que a, que est, qui arrive à...)23 le commissaire et aboyer. De même par exemple « cette couleur est chaude » : ce qui est identifié p à B (« chaud »), c’est une propriété anonyme de C (« une couleur »), c’est-à-dire le terme & est quelque chose qu’est la couleur. C’est de ce quelque chose qu’est ou que fait C que l’énoncé métaphorique asserte l’identité avec β. Ces métaphores se présentent comme des catachrèses, en ce sens que le terme comparé reste anonyme (c’est-à-dire que l’expression linguistique sujet A fait défaut). La métaphore-pars — qui apparaît généralement sous les dehors de syntagmes comme B de A ou A à B — appartient également à cette classe (par ex. « le dos laineux et gris des maisons » (Proust) ; « une femme à bec d’oiseau » (Proust)). Il faut noter aussi que les énoncés métaphoriques de cette classe peuvent n’être qu’un moyen détourné pour insinuer — par inférence logique — une identification métaphorique entre le terme introduit par C et le terme générique qu’implique le terme introduit par B (par ex. le commissaire est un chien)24.
253) L’implicite peut enfin porter à la fois sur la valeur assertive de l’énoncé et sur l’identification référentielle du terme comparé & Il s’agit fondamentalement de cas où le terme métaphorique (c’est-à-dire B) remplit, dans le cadre syntaxique où il est inséré, une fonction d’identification référentielle, soit comme sujet, soit comme partie de prédicat (par ex. comme complément du verbe). La réunion de ces deux conditions — non seulement absence de A, mais c’est maintenant B qui endosse directement une fonction d’identification référentielle — donne lieu à une modalité particulière d’identification référentielle. En effet, dans un énoncé comme « Voix-tu ces yeux ? » (le locuteur montre les remous à la surface d’un étang)25, où l’expression linguistique « ces yeux » comporte un prédéterminant démonstratif accompagné d’un signe désignatif, ce dernier ne fonctionne pas simplement comme nom générique de cela qui est identifié r. Si l’expression « ces yeux » doit contribuer à identifier des remous à la surface de l’eau, elle ne peut y réussir que ou bien 1) dans la mesure où les conditions de l’énonciation, c’est-à-dire les données perceptuelles et cognitives qui constituent le contexte à l’intérieur duquel se déroule l’acte de parole, sont suffisamment informatives par elles-mêmes, de manière à laisser reposer tout le poids référentiel sur le seul démonstratif, ou bien 2) dans la mesure où les interlocuteurs savent que le signe désignatif utilisé peut s’appliquer, de façon non classificatoire, à l’objet à identifier. Dans les deux cas, l’expression linguistique comporte un énoncé métaphorique doublement implicite : 1) le locuteur présuppose une identité entre le terme α que constitue l’individu identifié et celui β que désigne le signe désignatif utilisé (« cela sont des yeux ») ; 2) d’autre part, le terme α reste anonyme (« cela »). Si le signe désignatif, lorsqu’il est implicitement un comparant métaphorique, contribue lui-même à l’identification r (cas 2 ci-dessus), cela ne peut que signifier qu’il s’agit de l’emploi imité d’une métaphore déjà utilisée, devenue notoire, voire lexicalisée : « le roi des animaux », « le Cygne de Cambrai »... Dans le premier cas par contre (où seul le démonstratif contribue à l’identification référentielle), l’identification métaphorique est inédite, bien qu’implicite. Par ailleurs, l’exemple que nous en avons donné représente un cas extrême de dépouillement. Souvent le support linguistique comporte une description définie susceptible d’orienter l’identification référentielle de α (par ex. « les yeux du fleuve »). On a alors les énoncés métaphoriques du groupe 2, mais en régime de présupposition assertive : « les aboiements du commissaire », « le tremblement d’une étoile » (Breton), « les barreaux de la logique », « une couleur chaude ».
263.1. Si toute métaphore se laisse rapporter à un énoncé d’identité, cela signifie qu’il est toujours possible d’identifier au moins les quatre termes suivants : un sujet syntaxique, signe comparé (A), et le dénoté extralinguistique qu’il identifie référentiellement, dénoté comparé (α) ; un prédicat syntaxique, signe comparant (B) et le désigné introduit par le constituant désignatif de celui-ci (β). Seul le signe comparé A peut non seulement être un pur déictique de situation (par ex. cela), mais même faire totalement défaut. Dans ces deux cas, le dénoté comparé α est anonyme. Dans le dernier cas, il est même implicite. Nous verrons plus loin qu’en réalité la métaphore, étant fondamentalement une caractérisation, identifie toujours deux dénotés implicites. Ce qu’il faut encore souligner ici, c’est que les prédéterminants anaphoriques, c’est-à-dire les déictiques contextuels, ne donnent pas lieu à un mode de fonctionnement métaphorique particulier. Simplement, au lieu que α ou β soient identifiés par des moyens linguistiques directs, ils le sont par le truchement de signes anaphoriques, dont la fonction essentielle est de s’articuler sur d’autres signes effectivement présents dans le contexte, et dont la vertu identifiante est transparente. Nous dirons dès lors avec Tamba-Mecz, 1975, qu’il n’y a que des métaphores in distantia, réservant le concept de métaphore in absentia pour les cas où le terme α est implicite.
27Ayant défini le cadre sémantico-syntaxique et logique du fonctionnement métaphorique, peut-on en dégager la spécificité, par contraste avec la prédication identificationnelle non-métaphorique ? Peut-on par exemple déceler, du côté du sujet, des modalités particulières d’identification référentielle, caractéristiques de l’énoncé métaphorique, ou au contraire exclues par la prédication métaphorique, bien que possibles dans un énoncé d’identité non métaphorique ? Qu’en est-il du prédicat, et donc aussi de la prédication elle-même ? L’intérêt de ce type de questionnement ne réside pas tant dans les réponses qu’on peut y donner — on ne peut ici que répéter l’essentiel des intuitions de la tradition métaphorologique, centrée sur le prédicat au point de ne plus voir dans la métaphore qu’un procès au niveau du mot et de la dénomination —, mais bien dans la mise en évidence d’un certain nombre de constantes qu’on ne peut pas ne pas voir au passage.
283.2. Dans l’énoncé métaphorique, l’identifié référentiel α — c’est-à-dire cela qui est spécifié comme entité sur laquelle va porter l’attribution prédicative26 — peut être autant un particulier défini (par exemple « il fallut... revêtir le suaire de ma chemise de nuit » [Proust]), un particulier indéfini (le terme α implicite des métaphores verbales et adjectivales peut être un particulier indéfini) ou un universel (par exemple « la bonté, contrée énorme où tout se tait » [Breton]). Mais, d’une part, l’affirmation de la nécessaire présence d’un terme α implique que toute métaphore est orientée : l’énoncé métaphorique n’est jamais réversible, il ne s’agit donc pas de la simple affirmation d’une similarité entre α et β, mais bien de l’attribution à un terme α d’une propriété identique au tertium comparationis qu’indique et qu’implique le terme β (« ma chemise de nuit est un suaire » et « ce suaire est une chemise de nuit » sont des énoncés fondamentalement différents). En ce sens, le langage pictural ne peut être métaphorique dans la simultanéité de la représentation : le repérage d’un signe figuratif multiple, où s’entrepénètrent les représentations iconiques de dénotés appartenant à des univers différents (par ex. une statue qui saigne), ne permet pas de différencier entre terme-référent et terme attribué, entre terme-référent et éponyme (est-ce une statue réelle qui saigne sans réellement saigner ou une blessure réelle au front d’une statue qui n’est pas réellement une statue ?). A moins qu’il ne s’agisse simplement de la représentation iconique d’une métaphore linguistique, plus précisément : de la transcription picturale des dénotés auxquels renvoient les signes linguistiques lorsqu’on les prend au mot (pour saigner en régime métaphorique, il faudrait une image qui actualise simultanément deux modes de représentation distincts : représentation d’un référent réel d’une part, et d’autre part, représentation d’un autre référent réel mais simultanément attribut du premier)27.
29D’autre part, on peut s’interroger sur le niveau de réalité du terme α et constater que le sujet métaphorique n’y connaît aucune limitation particulière. Ainsi le sujet peut être soit utilisé en usage soit simplement mentionné28.
30Dans le premier cas, le locuteur se sert du signe désignatif pour parler du monde : il contribue à l’identification d’un terme α en désignant celui-ci comme la chose qu’il signifie. Ce monde dont le terme α fait partie, c’est en réalité une potentielle multiplicité de mondes ontologiquement différents. Or, il saute aux yeux que le caractère métaphorique de l’énoncé identificationnel portant sur le terme α dépend du statut ontologique de ce dernier : dans un univers (conte par exemple) où les végétaux ont tous les attributs humains, le chêne peut murmurer, sourire et pleurer « réellement », être « réellement » un roi... c’est-à-dire le terme-qui-est-le-chêne respectivement le terme-qui-est-ce-que-peut-faire-le-chêne à chaque fois est réellement une occurrence de ce que désigne le prédicat. De même, lorsqu’un terme α inédit et donc forcément (encore) anonyme surgit dans le champ perceptuel et/ou cognitif de la conscience linguistique, celle-ci — dans la mesure précisément où, refusant l’inédit comme autre, elle prétend l’incorporer aux articulations existantes — recourt à des prédications classifiantes qui n’ont, malgré les apparences, rien de métaphorique29.
31Si par contre le signe désignatif sujet n’est que mentionné, il est alors autonyme et identifie non pas la chose-nommée qu’il signifie en langue, mais bien le signe-nommant qu’il est en langue (terme universel) ou qu’il est en discours (terme particulier). Dans ces cas, le prédicat parle de la langue, système ou discours : il est de la métalangue, soit par fonction (par ex. « (Le mot)’Démystifier est à la mode » ou « votre Monsieur’(= le mot Monsieur que vous venez d’utiliser) est bien cérémonieux »), soit par nature, lorsque le lexème-prédicat est un signe qui ne peut s’appliquer qu’à des entités de la langue (par ex. « Démystifier’ est un verbe » ou « votre Démystifier’ est un néologisme »). Par ailleurs, le signe-sujet peut être un mot métalinguistique par nature. Si celui-ci est employé en usage, c’est-à-dire s’il identifie r la chose-nommée qu’il signifie, son prédicat parle de la métalangue, du monde-langue, et il est lui-même de la métamétalangue (par ex. « Le monosyllabe est un mot d’une syllabe »). Dans ce dernier cas, le mot « monosyllabe » est bel et bien en usage, sa spécificité résidant dans le seul fait que son désigné est nécessairement un élément de la langue. Qu’est-ce qui est un mot d’une seule syllabe (emploi en usage) et qui pourtant a cinq syllabes (emploi autonyme) ? Nous constatons que chacun de ces différents termes α peut recevoir un prédicat métaphorique (par ex. « Le monosyllabe est un coup de fouet » ; « votre Monsieur’ est une gifle »...).
32Plus intéressante nous paraît la situation où le signe-sujet est à la fois autonyme et en usage : le locuteur se réfère à un morceau de discours qu’il rapporte (par ex. « ton poète » = le mot « poète » que tu as employé dans ton discours, emploi autonyme), mais en même temps il veut parler du terme α particulier ou universel que l’interlocuteur avait identifié : le mot rapporté est en usage pour le rapporteur (par ex. « ton poète n’est pas poète » = la personne à laquelle tu te référais, emploi non autonyme). Rey-Debove parle ici de « mots imités »30. Elle ajoute que l’usage y prime la mention. A vrai dire, ce que dans pareil cas le rapporteur prend en charge, ce n’est pas sans plus la valeur d’usage du signe mentionné, mais bien l’acte référentiel tout entier : ce n’est pas seulement le signe qui est mentionné, mais en même temps la valeur de référence identifiante que l’interlocuteur lui assignait. En effet, le rapporteur peut justement vouloir asserter que le terme identifié par l’interlocuteur n’est pas une occurrence du désigné signifié par le signe-sujet, qu’il y a eu de la part de l’interlocuteur erreur de perception ou de dénomination (mais non échec d’identification référentielle) : « ton poète n’est pas poète, mais journaliste » ou « ton chat est un chien ». Il s’agit en somme d’expressions-sujets dont l’emploi référentiel est secondaire. Mais cet emploi est pour ainsi dire à l’inverse de ce qui se passe lorsque l’emploi d’une expression désignative échoue à se référer à qui ou à quoi que ce soit (voir l’exemple fameux du « roi de France qui est chauve ») : dans ce cas, l’expression, bien que significative, ne réussit aucune identification, aucune référence unique concrète ; l’échec n’est pas dû à la valeur d’usage des constituants désignatifs du sujet, mais bien à l’inexistence d’un individu auquel puisse être assigné le prédicat implicite « le roi de France ». Dans le cas qui nous occupe, par contre, la référence identifiante réussit là où, sur la base du contenu désignatif de l’expression, il faudrait au contraire s’attendre à un échec : l’emploi de l’expression « ton chat » réussit à identifier un individu qui n’est pas un chat, c’est-à-dire malgré le fait que la signification du signe « chat » exclut précisément que l’individu identifié puisse faire partie de ses attribuables. L’identification réussit malgré la signification de l’élément désignatif du sujet, et ce parce que le locuteur est en même temps rapporteur : il prend en charge une identification référentielle préalablement accomplie par autrui (ou par lui-même). Ici aussi, le terme a est susceptible de recevoir un prédicat métaphorique (par ex. « ton chat (= l’individu auquel tu t’es référé en utilisant le signe désignatif « chat ») est une véritable sentinelle »), à moins qu’il ne s’agisse précisément d’une identification p par laquelle le locuteur corrige une erreur de dénomination impliquée dans l’emploi identifiant qu’il rapporte (par ex. « ton chat/ce chat (c’) est (en réalité) un ballon »).
333.3. Ce dernier exemple — correction d’une erreur de dénomination — nous introduit dans le domaine du prédicat et de l’opération prédicationnelle elle-même. C’est manifestement ici que s’inscrit la spécificité de l’énoncé métaphorique. On peut tenter d’en déceler les traits caractéristiques par voie contrastive, en considérant d’abord certaines possibilités extrêmes d’identification p non-métaphorique. Rappelons que l’identification p attribue, en régime d’occurrence, un terme-désigné introduit par le prédicat à un terme identifié référentiellement par le sujet. De manière générale, si un seul et même particulier est lié par un rapport d’occurrence à différents attribuables, ceux-ci ont les uns avec les autres « une relation caractéristique que l’on décrit parfois comme celle de la subordination ou de la surordination »31. Par exemple : Fido est un chien, un animal, un épagneul. La même relation existe, dans une identification p, entre l’universel-typant prédicat et l’universel-typant que désigne le signe désignatif du sujet (qui est un prédicat implicite) : ce chien est un épagneul ; le/un épagneul est un chien. L’énoncé « ce chat est un ballon », avec signe-sujet imité, et entendu comme correction d’une erreur de dénomination, représente par contre un cas particulier de lien occurrentiel : en effet, un même particulier α y rassemble — une première fois implicitement, une deuxième fois assertivement — deux universaux-typants qui ne présentent pas entre eux la relation caractéristique de subordination ou de surordination. Les signes A et B ne sont l’un par rapport à l’autre ni hyponymes ni hypéronymes, ils peuvent au contraire appartenir à des systèmes onomasiologiques distincts (« ce chat est un ballon ») ; s’ils sont sémantiquement apparentés, il s’agit alors tout au plus et nécessairement de cohyponymes contradictoires (« ce chat est un chien » ; « cet étalon est une jument », qui s’excluent mutuellement)32.
34Il existe d’autres types d’énoncés d’identité de ce genre. Ainsi, on distinguera :
Les deux termes α et β peuvent se rapporter à des moments différents d’un même univers, par ex. « ce brasier c’est ma maison », « ce bébé c’est ton père » (le locuteur montre α sur une vieille photo). L’identification p se fonde sur la conscience que nous avons de l’identité d’un particulier par continuité spatio-temporelle.
Les deux termes peuvent appartenir à des mondes différents : par exemple l’un des termes n’a d’existence que dans un univers de fiction romanesque : « La bergère Astrée, c’est Diane de Chateaumorand, belle-sœur de Honoré d’Urfé ».
Les deux termes se rapportent à des modalités ou des niveaux d’existence différents : par exemple l’un des termes n’a d’existence que comme objet de pure expérience visuelle, mais hallucinatoire (un mirage), ou plus généralement, comme représentation iconique, matérialisée ou non ; l’autre terme par contre appartient au monde de la réalité tout court. Les énoncés suivants illustrent ces possibilités : « Ce lac, c’est (en réalité) un miroir » (c’est-à-dire il s’agit d’une hallucination, d’une erreur de dénomination) et « ce miroir c’est un lac » (c’est-à-dire cet objet, qui dans la réalité est un miroir, figure ou représente (par ex. dans une crèche) un lac). Si, invité à dessiner un bateau (représentation non matérialisée), je dessine en fait quelque chose qui finit par ressembler à un éléphant, ce bateau (c’est-à-dire cela qui devait être la représentation d’un bateau) pourra être dit être un éléphant (c’est-à-dire la représentation d’un éléphant)33. Ce qui frappe dans ces exemples, c’est que le particulier α sur lequel porte l’assertion d’identité n’est pas vraiment le terme tel qu’il est spécifié par le signe désignatif-sujet (par ex. « ce lac »), mais bien cela qui constitue le support matériel de ce terme et qu’identifie référentiellement le prédéterminant démonstratif. Justement, l’énoncé affirme que ce support α, qui selon un certain mode d’existence appartenait à la classe des A, tombe selon un autre mode d’existence sous le concept des B : cela qui-est-un-A est un B.
Les deux termes se rapportent également à des modalités d’existence différentes, cependant elles sont définies cette fois en termes de caractéristiques constitutives du concept-désigné. On peut facilement illustrer ces cas au moyen de signes permettant d’introduire des artefacts. Ainsi, une « chemise de nuit » peut fort bien être « un suaire » non métaphorique (et mon bureau une salle d’attente, voire le ciel un dé à coudre). Dans ces exemples, entendus dans leur acception non métaphorique, le locuteur asserte que le terme α, qui appartient à la classe désignée par A, — et qui, ici aussi, est davantage le support matériel identifié r par le prédéterminant34 — appartient aussi — simultanément ou non — à la classe désignée par B (signe désignatif prédicat), c’est-à-dire par exemple « ma chemise de nuit on en a fait un suaire » respectivement « ma chemise de nuit sert (également) de suaire » ; « mon bureau, on en a fait une salle d’attente » ; « Zeus utilise le ciel comme dé à coudre »35. Manifestement, on touche ici à un principe de sémiotique linguistique. En effet, le désigné du signe linguistique peut, en vertu de sa définition intensionnelle et par pure polysémie lexicale, faire abstraction de certaines contraintes qui s’originent dans la matérialité socio-culturelle des référents qu’il contribue à identifier36 : un bureau, ce peut être à la limite tout ce dont je me sers comme bureau (une étable, ma cuisine, voire mon jardin !).
353.4. Qu’en est-il à présent de l’énoncé métaphorique ? En quoi réside sa spécificité ? Les exemples discutés dans le paragraphe précédent nous ont conduit aux confins des possibilités de l’identification p non-métaphorique. Nous pouvons en tirer profit en arrachant aux mêmes énoncés une interprétation métaphorique : « ...revêtir le suaire de ma chemise de nuit » (Proust), « Le miroir azuré des lacs » (Nerval), « Le ciel est un dé à coudre » (Eluard), « mon bureau est une vraie salle d’attente », « cette maison est un véritable brasier »37... (Première constatation : l’énoncé porte en toute innocence sur le terme α identifié par la totalité du signe-sujet. Ensuite — et c’est là le trait essentiel — le signe désignatif prédicat n’introduit plus vraiment la totalité du désigné tel que lié à son programme de signification (ou la totalité des faits empiriques auxquels renvoie l’emploi d’un prédicat nom propre ou description définie) : le terme β n’est un concept, un universel typant qu’en apparence, en réalité il s’agit d’un universel (ou, à la limite, d’un particulier) caractérisant. Ou encore : le désigné-prédicat ne rassemble plus des termes α en régime d’occurrence mais bien en régime de caractérisation : je ne suis plus en train d’asserter qu’un terme α est une occurrence d’un concept β que désigne B, je ne suis plus en train de classer un terme α, mais bien en train de le décrire, de le caractériser en lui attribuant des propriétés38.
36Selon Strawson, l’universel caractérisant est un terme qui fournit un principe de distinction et d’énumération de particuliers « uniquement pour des particuliers que l’on distingue déjà ou que l’on peut distinguer par l’emploi d’une méthode ou d’un principe antécédents ».39.
37Qu’est-ce à dire ? Alors que l’universel typant fournit ces mêmes principes directement, sans recours préalable à d’autres méthodes d’individuation, en ce sens que la partie désignative de son expression linguistique fixe et détermine ce qu’il faut considérer comme une occurrence individuelle (par ex. c’est d’un chien (chose-nommée) qu’il peut être dit qu’il est un chien, c’est-à-dire le prédicat chien peut être appliqué à des chiens), le prédicat caractérisant fournit sans doute directement un principe permettant de distinguer ce qu’il rassemble de ce qu’il ne rassemble pas (manger n’est pas boire, rouge n’est pas bleu), mais il ne permet pas de distinguer entre soi ce qu’il rassemble. Si « est un chien (= prédicat) un chien (sujet, chose-nommée) », il n’est pas vrai de dire que « est bleu ce-qui-est-bleu » : bleu n’est à vrai dire que l’objet à qui « bleu » peut être attribué (c’est-à-dire « est bleu cela qui a la propriété d’être bleu » ; de même « manger », c’est ce qui caractérise le terme dont je puis asserter qu’il mange). Or, c’est précisément — au niveau du terme sujet auquel le prédicat s’applique — ce glissement synecdochique du tout vers la partie que nous observons lorsque nous passons de l’énoncé non métaphorique à l’énoncé métaphorique. L’énoncé métaphorique caractérise le terme α identifié r par l’expression-sujet — ou, dans les métaphores in absentia, que l’auditeur est invité à identifier r par inférence logique —, ce qui à son tour implique que le signe-prédicat, n’introduisant plus la totalité de son désigné (ni l’ensemble des sens associés au particulier qu’introduit le nom propre ; ni les sens particuliers que nomme la description définie), est caractérisé par ce que Liidi40 appelle incongruence verticale. Précisément, celle-ci n’est levée que par l’interprétation caractérisante du signe-prédicat, ce qui implique un nouveau glissement synecdochique du tout vers la partie, cette fois au niveau du terme introduit par le prédicat. En d’autres mots, la prédication métaphorique identifie p une propriété implicite d’un terme α avec une propriété implicite d’un terme β. L’énoncé « ma chemise de nuit est un suaire » identifie quelque chose qu’est ma chemise de nuit avec quelque chose qu’est un suaire. Le fondement (ou le produit) de cette identification est constitué par le tertium comparationis, toujours implicite au niveau des signes introduisant α et β. L’interprétation métaphorique doit (re)construire elle-même le tertium comparationis, à la limite en puisant dans les seuls savoirs encyclopédiques que l’auditeur a au sujet des termes extensionnels auxquels renvoie le prédicat (mais le plus souvent elle peut s’appuyer simultanément sur des indices contextuels plus ou moins univoques qui, dans le meilleur (ou le pire) des cas, sont des nominations directes du tertium comparationis : « cet homme est un lion parce qu’il est courageux » ; « ...des français, endormis depuis quelque temps sur le mol oreiller du structuralisme »41.
38L’énoncé métaphorique est une affirmation implicite d’identité de propriétés par le biais d’une affirmation d’identité des supports de celles-ci. De ce point de vue, les métaphores verbales et adjectivales se fondent sur une structure plus complexe, qui implique un double relais synecdochique : le premier est imputable à la nature caractérisante de la configuration syntaxique où elles apparaissent (si le commissaire mange du mouton, le quelque chose qui-est-man ger-du-mouton est attribué en régime occurrentiel à quelque chose-que-fait-le-quelqu’un-qui-est-le-commissaire) ; le deuxième relais est imputable au caractère métaphorique de l’énoncé (si le commissaire aboie, quelque chose-qu’est un quelque chose-que-fait-le quelqu’un-qui-est-le-commissaire est déclaré identique à quelque chose qu’est cet autre faire qui-est-aboyer). En résumé donc : le signe-désignatif prédicat de l’énoncé métaphorique introduit une ou plusieurs propriétés anonymes caractérisant l’ensemble des dénotés qui constituent la classe extensionelle correspondant au désigné de ce signe (respectivement caractérisant le dénoté particulier que ce signe introduit comme terme). D’autre part, en vertu de sa valeur prédicative, l’énoncé métaphorique attribue cette propriété, en régime de caractérisation, au terme identifié référentiellement par l’expression linguistique sujet de la prédication identificationnelle (ce terme est explicite dans les métaphores in presentia et les métaphores in distantia ; il est implicite dans les métaphores in absentia). En régime d’occurrence, par contre, la ou les propriétés anonymes du ou des dénotés qui correspondent au désigné du signe prédicat, sont assignées à une ou plusieurs propriétés anonymes du terme α introduit par le sujet de la prédication identificationnelle.
39Par ailleurs, ces propriétés dont la métaphore asserte l’identité sont fondamentalement de nature encyclopédique. Ce qui importe, c’est qu’elles existent dans l’opinion. La condition fondamentale qui doit pouvoir être remplie, c’est la possibilité de construire, au sujet des dénotés α et β, des prédications acceptées comme vraies et de structure analogue : comportant au moins une portion d’information identique, par rapport à laquelle les signes A et B occupent une même position structurelle42. Cela signifie qu’il peut s’agir non seulement d’une identité de propriétés, mais également d’une identité de relations : A est à Y ce que B est à Z. Dans ce dernier cas (métaphore proportionnelle), les deux prédications sous-jacentes présentent chacune — outre le fragment d’information identique (que nous pouvons symboliser par la lettre X) et la différence lexicale A versus B — une différence résiduelle (Y versus Z) : « la coupe (A) est un attribut du dieu (X) Dionysos (Y) » et « le bouclier (B) est un attribut du dieu (X) Arès (Z) ». La coupe n’est un bouclier que sur base d’une propriété que les deux dénotés partagent sous le rapport d’une même relation à un troisième dénoté (spécifique dans chaque cas). Il peut s’agir de relations diverses : possession-appartenance (« la coupe est le bouclier de Dionysos »), partie à tout (« la vieillesse est le soir de la vie »), localisation dans l’espace (« les pauvres sont les noirs d’Europe »), localisation dans le temps (« Jimmy Carter est le Kennedy d’aujourd’hui »), et une série de relations plus spécifiques encore (« l’oreille, c’est l’œil de la chauve-souris », « Eddy Merckx,... l’Ayatollah de la bicyclette »43, « le tennis est le football des riches », « le chêne est le roi de la forêt »...). On notera d’abord que ce type de métaphore est lui aussi susceptible de lexicalisation (par ex. « le doigt de pied est le doigt du pied »)44. Par ailleurs, on constate que le tertium comparationis ne s’épuise pas nécessairement dans son seul aspect relationnel, qu’il comporte en d’autres mots des traits intrinsèques supplémentaires (par ex. être l’attribut de, être le président des U.S.A., être un champion de...)45. Si l’on s’interroge sur l’écart sémiotique que l’énoncé métaphorique fait ainsi subir aux signes qui en constituent la charpente lexicale, on serait tenté d’y voir effectivement, comme d’aucuns l’ont fait, une dénomination du genre pour l’espèce : par exemple H. Konrad,46 : « La métaphore dénomme un objet (c’est-à-dire notre terme α) à l’aide du représentant le plus typique (notre β) d’un de ses attributs (la propriété tertium comparationis) » ou « les deux membres d’une métaphore se comportent comme deux espèces jointes par la représentation d’un genre » ; voir aussi le Groupe μ, pour qui la métaphore se présente « comme le produit de deux synecdoques », « la métaphore... se base sur une identité réelle manifestée par l’intersection de deux termes pour affirmer l’identité des termes entiers. Elle étend à la réunion des deux termes une propriété qui n’appartient qu’à leur intersection »47.
40Il faut noter cependant que ce type de description ne fait que nommer les processus d’adjonction ou de suppression de sèmes que subissent les collections de sèmes que sont les signifiés des signes qui interviennent dans l’énoncé métaphorique. On ignore complètement la spécificité prédicative de la métaphore (ces opérations sémiques ont lieu dans le milieu contextuel de l’énoncé). Après tout, tout prédicat caractérisant déclenche une synecdoque au niveau de son signe-sujet (ce n’est pas la table, mais une propriété de la table qui est brune). Les auteurs de la Rhétorique Générale ne déclarent-ils pas eux-mêmes que « presque toutes nos dénominations sont synecdochiques »48 ?
413.5. Comme c’est l’expression-prédicat qui supporte l’essentiel du fonctionnement métaphorique — en ce sens qu’elle seule instaure un mode sémiotique spécifique — il peut paraître légitime de lui réserver une dénomination privilégiée, qui par exemple inscrive dans son signifiant une nomination rhématique de l’unité fonctionnelle supérieure (la métaphore-énoncé, dont elle n’est cependant qu’un constituant) ou du rôle spécifique qu’elle y joue. En réalité cependant, il ne peut y avoir de terme ou mot métaphorique. Aucun mot n’est métaphorique en soi : le lexème « suaire », isolé de tout support prédicatif, n’est jamais capable de déclencher la moindre figure métaphorique. Celle-ci ne peut jaillir que d’une combinatoire prédicationnelle : « ma chemise de nuit est un suaire ». Il faut dès lors se garder de confondre l’unité énonciative « métaphore » avec l’un des éléments qui la composent. Ce découpage fait apparaître que la qualification de métaphorique ne peut s’appliquer qu’au signe comme foncteur prédicatif. En principe, tout signe désignatif est susceptible d’extensions métaphoriques (y compris les noms propres). Mais l’actualisation de ces virtualités métaphoriques nécessite la mise en forme, assertive ou présupposée, d’une prédication identificationnelle, où le signe en question apparaît comme prédicable.
42Parler de métaphore en régime de dénomination doit dès lors être considéré comme un abus de langage, ou tout au moins comme un mode elliptique d’expression. Ainsi, l’usage lexicologique parle de mots ou de sémèmes métaphoriques (par ex. tête, désignant la partie terminale, grosse et arrondie, d’une épingle). Ce qu’on décrit dans de tels cas, c’est en synchronie une modalité particulière de relationnement polysémique : le signifié d’un seul et même signe lexical s’articule en deux ou plusieurs sémèmes disjonctifs, dont l’apparentement se fonde sur une relation de similarité. Ce qui est métaphorique cependant, ce n’est ni le mot ni le sémème, mais l’énoncé sous-jacent qui exprime la motivation indirecte inscrite dans le signe, et qui justement attribue au désigné qu’identifie r le sémème dérivé (la chose-nommée « tête d’épingle ») la particularité de présenter des propriétés qui caractérisent par ailleurs les dénotés correspondant au désigné du sémème premier « tête ». L’énoncé sous-jacent ainsi reconstruit a par ailleurs un statut tout à fait particulier, essentiellement caractérisé par le fait qu’il constitue l’aboutissement d’une démarche motivante expansionnelle et qui s’opère à l’intérieur des limites du mot, du signe isolé. C’est dire — d’un point de vue diachronique cette fois — que la relation métaphorique s’y trouve lexicalisée : le produit prédicat de l’énoncé originel (le terme α, qui est une partie de l’épingle, est une tête) y a subi une réinterprétation destinée, en le détachant de son contexte syntaxique prédicationnel primitif, à en faire un moyen sémiotique subsyntaxique, un signe lexical, c’est-à-dire un signe délesté de sa trop grande charge informationnelle mais enrichi de nouvelles potentialités désignatives. Ce processus de condensation accompagne la genèse de tout néologisme tribal. Il constitue essentiellement une symbolisation, processus qui, modifiant le statut sémiotique des signes — des prédications, de nature dicentique, sont transformées en des signes qui, malgré leur motivation originelle, sont fondamentalement déjà des symboles peirciens, de nature rhématique — alimente les incessants besoins de la communauté en signes désignatifs. La métaphore lexicalisée, c’est-à-dire incorporée au code sémiotique de la polysémie, relève tout au plus de la rêverie mimologique : une feuille (de papier), c’est une feuille (d’arbre).
434.1. La double confrontation — d’une part avec la définition mimologique, et d’autre part avec la prédication identificationnelle — déployée dans cette étude nous a permis d’insister sur quelques traits caractéristiques du fonctionnement métaphorique. Le signe motivé est sémiotiquement ambivalent, en ce sens qu’il désigne et signifie à la fois : au désigné correspondant à sa définition sémantique systématique et référentielle s’adjoint une signification éponymique, qui déjà — c’est-à-dire tout en restant en régime de dénomination, sans franchir la limite de la combinatoire sémantique — parle de l’objet désigné. Ainsi, nous nous contentons de constater une étroite connivence entre les fonctions de dénomination et de prédication. Nommer, c’est toujours aussi surnommer. Ce qu’il faut comprendre dans les deux sens : le signe lexical se laisse amplifier en une prédication portant sur son désigné, tout désigné se laisse rapporter à un nom qui est un surnom, un énoncé condensé. Ce que le signe motivé a de spécifique, c’est que les deux mécanismes sémiotiques fonctionnent simultanément, au même endroit : le même signifiant est à la fois transparent et opaque, le même signe à la fois arbitraire et motivé, à la fois sujet à fonction référentielle identifiante (l’expression sujet « le cratère » introduit la chose-nommée) et prédicat (le même signifiant « cratère » fournit les prédicables « crache la terre »).
44Dans la métaphore, c’est le signe-prédicat qui présente cette même ambivalence sémiotique, mais il y a d’importantes différences, dues essentiellement au fait qu’on est passé en régime de prédication. La signification seconde ou éponymique ne trouvant pas à s’inscrire dans le signifiant-sujet, il faut passer par une identification prédicationnelle A est B. La double modalité sémiotique — désigner et signifier — qui, en régime mimologique, s’articule sur un seul et même signe, se trouve dispersée, en régime métaphorique, sur deux signes distincts, foncteurs sujet et prédicat de l’énoncé. Par ailleurs, le surnom assigné au terme identifié r par le sujet est cette fois affranchi de toute attache avec le signifiant de ce dernier. En effet, seul le signe désignatif prédicat fonctionne comme surnom, et seulement comme surnom : d’une part, il introduit, au-delà et en lieu et place de son désigné, un ou plusieurs des sens qui virtuellement peuvent être assignés prédicativement à ses dénotés extensionnels ; d’autre part, en tant que prédicat d’un énoncé d’identité, il attribue son nom comme surnom au terme introduit par le sujet. Si le signe prédicat métaphorique et le signe mimologique induisent tous deux à une interprétation éponymique, celle-ci s’appuie cependant dans chaque cas sur des modalités de valorisation différentes : la mimologie valorise une relation analogique (par paronomase) entre deux signifiants susceptibles l’un d’identifier r une réalité, l’autre d’en signifier un sens. La métaphore au contraire valorise une relation analogique entre deux réalités : la surdétermination ou dilatation sémantique ne s’exerce plus sur le signifiant-sujet, mais en quelque sorte directement sur son signifié (mieux : sur un ou des sens liés à ce signifié). Il ne s’agit plus de transformer le mot devenu nom en « un signe volumineux, un signe toujours gros d’une épaisseur touffue de sens »49, au contraire le mot est oublié et l’on cherche à enrichir le signifié en le greffant sur de tout autres signifiés. Par ce désintérêt pour le signifiant, la métaphore se rapproche du langage « référentiel », non poétique. Dans l’énoncé métaphorique, ce n’est pas le signe qui est opaque, mais les sens véhiculés eux-mêmes. Les signes n’en sont que les instruments transparents. Ce qu’on cherche à mettre en relation, pour en valoriser l’étroite connivence ou la convenance, ce n’est donc plus le signe et le sens, mais bien le sens et le sens.
454.2. Ces sens passent nécessairement par des désignés respectivement des signifiés linguistiques, et donc aussi par les signes, combinés en énoncés d’identité, qui en sont les supports. C’est pourquoi nous avons tenté d’en déceler l’apport spécifique dans le cadre de l’identification prédicationnelle métaphorique. Parler métaphoriquement, c’est caractériser une réalité a par le biais d’un terme caractérisant anonyme et implicitement contenu dans les prolongements extensionnels du désigné typant introduit par le signe désignatif prédicat. L’énoncé métaphorique A est (un) B opère sans doute une distinction (si l’homme est un roseau, il n’est pas un chêne), mais non une classification : il y a distinction en vue d’une caractérisation. Précisément, la négation (par ex. « l’homme n’est pas un roseau ») peut être comprise dans les deux sens, soit que l’on veuille contester la validité de l’énoncé affirmatif compris comme identification p non-métaphorique, c’est-à-dire classificatoire (l’homme n’est pas un roseau, mais un être appartenant à l’espèce animale la plus évoluée de la terre...), soit que l’on veuille simplement contester la validité de l’identification métaphorique, non classificatoire (l’homme n’est pas un roseau, mais plutôt un chêne).
46La lecture métaphorique ne peut dès lors se déployer qu’à l’occasion dénoncés qui se présentent sous les espèces syntaxiques et sémantiques d’identifications prédicationnelles (A est B), mais dont le propos réel est de caractériser (et non de classer ou d’identifier) le terme particulier ou universel introduit par A en lui assignant un attribut caractérisant anonyme, dont la définition n’est accessible que par le biais d’un savoir de type encyclopédique, portant sur les dénotés qui constituent l’extension du désigné-prédicat. Cela signifie que la métaphore réussit à dire (à susciter l’interprétation) sans nommer. Avec le mimologisme elle partage l’hétérogénéité sémiotique des signes qu’elle mobilise : d’une part, un signe-sujet qui fonde sa contribution à la fonction d’identification référentielle sur ses seules vertus désignatives ; d’autre part, un signe-prédicat qui transcende sa propre désignativité : qui, au lieu d’introduire ce qu’il nomme, c’est-à-dire l’ensemble des potentialités de sens qui constituent son désigné (« être un cratère », « être un suaire »), en fait introduit ce dernier en régime de caractérisation, ce qui implique un glissement sémiotique vers l’actualisation d’un sous-ensemble particulier de ces potentialités de sens. Dans le cas du mimologisme, ce mouvement donne lieu à une nomination (par ex. cratère = crachela-terre) ; dans l’énoncé métaphorique, où le prédicat éponyme est distinct du symbole-sujet (être un suaire vs ma chemise de nuit), la propriété caractérisante attribuée au terme introduit par ce dernier reste nécessairement anonyme au niveau des signes sujet et prédicat : l’interprétation métaphorique doit (re)construire elle-même le tertium comparationis, à la limite en puisant dans le seul savoir encyclopédique qu’on a au sujet des termes extensionnels auxquels renvoie le prédicat.
Notes de bas de page
1 G. GENETTE, Mimologiques. Voyage en Cratylie, Paris, Seuil, 1976.
2 Cette transparence du signe-symbole est tout autant une opacité ! Le symbole peircien est transparent dans la mesure où il désigne ou dénote ce qu’il signifie, c’est-à-dire dans la mesure où il remplit d’autant mieux sa fonction instrumentale de désignation qu’il est simple outil, sans autonomie ni poids propre, s’effaçant dès qu’employé (« la loi de l’expression commune veut que la parole s’efface assez vite, sitôt la chose évoquée », Paulhan, Les fleurs de Tarbes). Il est opaque, par contre, dans la mesure où son signifiant reste muet sur le sens (ou du moins l’un des sens) qu’il peut engendrer.
3 Ou encore de lectures ou acceptions différentes d’un même polysème (A oreille (d’une tasse) = B oreille (organe de l’audition)). La motivation par homonymie lexico-syntaxique alimente de nombreux slogans (par exemple « le tabac t’abat »). Voir aussi les nombreux exemples dans Finkielkraut, 1979 (par exemple « marchandage : commerçant spécialisé dans la vente des dates de naissance »).
4 G. GENETTE, op. cit., p. 21.
5 Ou encore d’homophones lexico-syntaxiques (par exemple A morphine = B mort fine (GENETTE, op. cit. p. 368)), sans oublier les cas nettement plus sophistiqués, par exemple A homme — B à chaud, aime et meut (GENETTE, op. cit., p. 368), (où l’identification homonymique passe par le double relais de la graphie (en A) et de l’épellation (en B)).
6 Ibidem, p. 19.
7 Ibidem, p. 20.
8 Ibidem, p. 19.
9 Ibidem, p. 20.
10 Ibidem, p. 19.
11 De même les anagrammes : s’y joue le même mouvement d’extraction d’un sens qui mystérieusement adhérait aux propriétés les plus anodines du signe (ainsi la pomme de terre peut intriguer parce qu’elle s’avère capable de « emmerder le poète »).
12 Nous empruntons à Peirce les notions de rhème et de dicent. Un signe Thématique est un signe « ouvert », qui ne peut être évalué, n’étant ni vrai ni faux. Le signe dicentique par contre est soit vrai ou faux, il constitue un tout et ne doit pas être complété.
13 Les éléments entre parenthèses sont facultatifs ; la position initiale est celle du sujet, la deuxième position celle de la copule ou du constituant verbal du prédicat, les positions suivantes étant occupées par d’autres constituants (directs ou indirects) du prédicat (par exemple constituant nominal-attribut du prédicat avec copule, objet direct, déterminants de ces constituants...)
14 Ainsi, les définitions mimologiques sont très proches des définitions lexicologiques, sans toutefois se confondre avec elles. Alors qu’il y a équivalence entre une définition lexicologique qui parle de la chose (« le cratère est une dépression située en général à la partie supérieure d’un volcan... » ; emploi en usage) et une définition lexicologique qui parle du signe (« cratère signifie dépression située en général à la partie supérieure d’un volcan... » ; emploi autonyme du sujet), la définition mimologique, de son côté, ne peut se rapporter qu’à la chose nommée : on ne peut prétendre que « cratère signifie qui crache la terre » ni que « sôma signifie sèma ».
15 Le fonctionnement de ces prédéterminants est cependant moins simple qu’on ne pourrait le croire à première vue. Ainsi dans une métaphore en apposition, le signe prédicat peut être précédé d’un adjectif démonstratif à fonction exclusivement anaphorique : ainsi, dans l’exemple « La Seine, ce gros égout qui montre tout » (Céline), le prédéterminant « ce » fait coïncider l’extension du prédicat avec celle du sujet. Ce qui est asserté en régime de présupposition, c’est que « La Seine est un gros égout » (voir I. TAMBA-MECZ, Système de l’identification métaphorique dans la construction appositive, dans Le Français Moderne. 43, no 3, 1975, pp. 248 et suiv.)
16 A la limite, l’identification référentielle peut même se passer de tout support linguistique, par ex. énonciation d’un mot ou d’un syntagme attributif devant la présence manifeste de l’objet-référent (par ex. devant un tableau : « un chef d’œuvre ! ») ; représentation écrite d’un attribut sur l’objet lui-même (ou sur une copie iconique de l’objet).
17 De telles assertions — dont le prédicat introduit un universel typant (un sortal selon Strawson) — fournissent à l’interlocuteur un double type d’informations sur les entités référentielles qu’il est invité à identifier : la compétence linguistique qu’il a de tels signes-prédicats lui permet, d’une part, de distinguer les objets individuels capables d’être des exemples pour l’emploi de ces prédicats, de ceux qui ne le peuvent pas, c’est-à-dire de distinguer tout ce dont il peut être asserté « est un chien » de cela dont ce prédicat doit être nié ; d’autre part, elle lui permet de délimiter l’unité de ce qui se présente comme une occurrence, c’est-à-dire elle lui fournit un critère permettant de distinguer un chien d’un autre chien. Voir la formulation de Strawson (P.F. STRAWSON, Les individus, Paris, Seuil, 1973, p. 189) : « Un universel typant fournit un principe pour distinguer et compter les particuliers individuels qu’il rassemble. Il ne présuppose aucune méthode ou principe antécédents pour individuer les particuliers qu’il rassemble ».
18 Ibidem, p. 209.
19 P. RICŒUR, La métaphore rive, Paris, Seuil, 1975, p. 94.
20 Il s’agit dans ce cas d’une identité stricte, c’est-à-dire d’une inclusion réciproque, la relation entre A et B étant symétrique (si A est B, B est A). Dans les autres cas, on a une relation antisymétrique, le particulier ou la classe étant donnés comme inclus dans une classe plus vaste.
21 Le nom propre a donc bel et bien un sens, mais celui-ci reste anonyme et indéfini : son emploi référentiel présuppose un ensemble non spécifié dénoncés vrais au sujet de l’individu qu’il sert à identifier.
22 Par ailleurs, il faut tenir compte du fait qu’il existe d’autres moyens lexicaux ayant une fonction assertive identificationnelle p analogue à celle que remplit la copule « être » : x appelle, définit, nomme A B (x introduisant une personne) ; pour x, A est B ; x considère, conçoit, se représente... A comme B etc...
23 Ce qu’on veut dire, c’est que l’identification p porte sur un terme & implicite et auquel renvoie le terme qu’identifie l’expression sujet. Selon le type de métaphore verbale (voir par ex. G. LÜDI, Die Metapher als Funktion der Aktualisierung (Romanica Helvetica Vol. 85), Bern, Francke Verlag, 1973, p. 231-295), ce terme & peut incarner des dénotés très divers (un faire, un faire portant sur x, un procès, une propriété...). Par exemple, si la métaphore se fonde sur une incongruence entre verbe et complément, il s’agira généralement d’un faire portant sur x : ainsi, dans « les faits mêmes qu’on lui présente comme vécus, dont on entreprend de meubler sa mémoire » (Breton), on identifie p 1) un faire dont le sujet est « on » et les arguments des faits et la mémoire et 2) meubler. Le dénoté implicite varie aussi en fonction de la nature et de l’orientation de l’incongruence : ainsi, pour une incongruence quant au caractère [± animé], on aura par ex. un sujet [+ humain] d’un verbe qui exige normalement un sujet [+ animal] ou [+ végétal] (par ex. « feuillage bleu d’un noisetier sous lequel un pêcheur... avait pris racine » |Proust]), ou bien un sujet [-animé] d’un verbe qui exige normalement un sujet [+ humain] ou [+ animal] ou [+ végétal] (par ex. « l’Habitude venait de me prendre dans ses bras et me portait jusqu’à mon lit » (Proust) ; « ses clochers (de Martinville) et celui de Vieuxvicq agitaient en signe d’adieu leurs cimes ensoleillées » (Proust)). Dans chacun de ces cas, il faut identifier un dénoté α approprié.
24 « If « streets » are attributed to heaven or a « trumpet » to God, they do not replace anything spécific, but they change heaven into a town, God into a lord preceded by a herald (or a herald Himself) » (C. BROOKE-ROSE, A Grammar of Metaphor, London, Seckeer and Warburg, 1958, p. 161). Dans l’exemple déjà cité de Breton : « Nadja était faite pour la servir (la cause de l’émancipation humaine)... en passant la tête, puis un bras entre les barreaux ainsi écartés de la logique, c’est-à-dire de la plus haïssable des prisons », ce mouvement de la partie au tout trouve même une expression linguistique (1. Les barreaux de la logique ; 2. la logique est une prison). Voir aussi le vers suivant d’Apollinaire ; « Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin ».
25 Exemple emprunté à H. KUBCZAK, Die Metapher, Heidelberg, Carl Winter-Universitätsverlag, 1978, p. 71. LÜDI en commente un exemple littéraire : Breton, décrivant le « Rocher Percé », devant lequel il dit se trouver placé, identifie directement, sans détour assertif, une « fenêtre », une « chambre », une « pâle tour »... (G. LÜDI, op. cit.. p. 82).
26 Et qui n’est pas nécessairement thématique : je puis asserter d’un prédicat-thème qu’il s’applique métaphoriquement à tel ou tel sujet-propos (par ex. « De même, au-delà de la mer, derrière une rangée de bois, une autre mer commençait, rosée par le coucher du soleil, et qui était le ciel » [Proust]).
27 Voir à ce sujet la contribution de E. DE KEYSER dans le présent ouvrage. A nos yeux, les figures hybrides de ce genre se rapprochent davantage du motvalise (amalgame de deux signes-symboles, par ex. « donner l’alcoolade » (Queneau) où se trouvent fusionnés accolade et alcool ; la métaphore par contre réunit un symbole et un éponyme). En prenant la même problématique par l’autre bout, on pourrait dire aussi que l’attribut métaphorique n’est métaphorique que dans la mesure où il n’est pas dénoncé : mais le signe iconique peut-il ne pas dénoncer ?
28 Voir à ce propos J. REY-DEBOVE, Etude linguistique et sémantique des dictionnaires français contemporains. La Haye — Paris, Mouton, 1971.
29 Voir par ex. Spirou, no 1609, 13.2.1969, Les plus belles histoires de l’oncle Paul. L’oncle Paul raconte l’arrivée de Hernando Cortès devant la côte Atlantique de l’empire aztèque. Les indiens commentent le spectacle qui s’offre à leurs yeux : les voiliers sont « des montagnes qui s’avancent sur l’eau », « peuplées d’hommes vêtus de lumière », les cavaliers sur leurs montures qu’ils voient s’avancer sur la terre sont « des monstres qui se partagent soudain en deux et dont les deux parties restent vivantes ».
30 J. REY-DEBOVE, op. cit., p. 47.
31 P.-F. STRAWSON, op. cit., p. 190.
32 Si les cohyponymes sont synonymes, l’énoncé devient analytique (« un minet est un chat ») ou bien, si le sujet est un mot imité, l’énoncé n’est pas entendu comme correction d’une erreur de dénomination, mais bien comme réinterprétation typante d’une appellation ambiguë (par ex. parce que trop idiosyncrasique, parce que polysémique) (« son minet, c’est un chat »).
33 L’exemple du chat qui est un ballon ou un chien appartient manifestement à cette troisième série. Nous citons (ou fabriquons) ces exemples dans l’espoir qu’ils nous permettront de mieux voir, par contraste, les caractéristiques essentielles de l’énoncé métaphorique. Dans cette perspective, les interprétations les plus alambiquées s’avèrent parfois les plus intéressantes. Ainsi l’énoncé « Ce lac, c’est un miroir », entendu au sens de « cela-qui-est-en realité-un-lac représente un miroir » : cette interprétation, inverse pour la valeur assertive de l’interprétation que nous avons retenue dans le texte, inverse de « ce miroir c’est un lac » pour la séquence des variables lexicales, oblige, si l’on veut sauvegarder son caractère non métaphorique, à faire preuve de plus d’imagination encore (par ex. « Un dieu qui, jouant à dînette avec les montagnes, les rochers et les étendues d’eau, se servirait d’un lac pour figurer un miroir », interprétation qui se distingue d’une autre, toujours non métaphorique, mais appartenant à la quatrième série : le même dieu utilise le lac comme miroir, pour s’y regarder). De même, un nuage ne pourra être un mouton non-métaphorique que dans la mesure où, comme objet réel, un être supérieur s’en sert pour effectivement représenter un mouton, ou bien dans la mesure où l’on veut affirmer que nos nuages ne sont que des mirages, qu’ils sont, dans la réalité d’un autre monde, des moutons.
34 Mais on peut facilement imaginer des situations plus sophistiquées, par ex. « dans ce pays, une chemise de nuit est un suaire » (c’est-à-dire tout α qui-est-une-chemise de nuit).
35 Ce genre d’énoncé, tout comme ceux de la troisième série, autorise toujours aussi une deuxième interprétation non métaphorique : le terme α qui est un A parce qu’il en fait office est dit être en réalité (c’est-à-dire par ex. sur base de sa destination originelle) un B (par ex. ce qui me sert de chemise de nuit, c’est en réalité un suaire ; j’ai installé un bureau dans ce qui était ou est aussi une salle d’attente ; sur ce collage, qui figure un paysage, un dé à coudre fait office de ciel). Cette deuxième interprétation reproduit en fait les mécanismes de la première, et cela au niveau du signe-prédicat enfoui en régime de présupposition dans le sujet.
36 En fait, la même remarque vaut pour les représentations ironiques de la troisième série : une pipe, c’est aussi la représentation d’une pipe (quoi qu’en pense Magritte).
37 Les adjectifs vrai et véritable déterminent syntaxiquement — et précèdent obligatoirement — le signe-prédicat métaphorique. En réalité, fonctionnant comme adverbes de phrase, ils ont une valeur perlocutionnaire. (Voir à ce sujet I. TAMBA-MECZ, op. cit., pp. 243 et suiv.)
38 Peut-on dire que ce qui déclenche ce passage de lien typant à lien caractérisant, c’est l’impertinence sémantique du prédicat par rapport au sujet, leur incongruence horizontale ? Une telle formulation — utilisée par exemple par Cohen, (J. COHEN, Structure du langage poétique, Paris, Flammarion, 1966, pp. 101 et suiv.) — risque à nos yeux de négliger l’essentiel. Les exemples (qualifiés d’extrêmes) d’énoncés d’identité non-métaphoriques que nous venons de discuter montrent à suffisance que l’incongruence dont on veut parler ne se situe pas au niveau des signes, mais bien au niveau de ce que ces signes introduisent. L’impertinence ne se mesure pas en termes de capacité sémantique des signes prédicat ou sujet (par ex. le prédicat est-il sémantiquement capable de remplir sa fonction ? Ou : le sujet est-il dans le parcours de signification du prédicat ? (J. COHEN, op. cit., pp. 103 et 106)). Ainsi, « chien » et « miauler » sont sémantiquement impertinents, mais cela n’entraîne pas qu’ils ne puissent être associés prédicativement en un énoncé d’identité non métaphorique (par ex. « ce chien miaule », avec emploi imité du sujet : cela que tu as appelé « chien » est en réalité un chat). L’impertinence doit donc être essentiellement de nature prédicative : l’interprétation métaphorique n’est possible que si le désigné linguistique du signe prédicat est envisagé comme ne pouvant s’appliquer au terme extralinguistique identifié r par l’expression sujet (impertinence au niveau des possibilités de classement des choses dénotées).
39 P.-F. STRAWSON, op. cit.. p. 189.
40 Op. cit., p. 53.
41 Le Nouvel Observateur, no 792, janvier, 1980, p. 60.
42 Voir à ce sujet H.-G. COENEN, Uberlegungen zur Metapherlehre des Aristoteles. Contribution à la ‘Second Conference of the International Society for tbe History of Rhetoric’, Amsterdam, 1979.
43 Le Magazine de l’Evénement, 1980, no 2, p. 13.
44 L’allemand Handschuh en est un exemple plus ardu : « le gant, c’est le soulier (Schuh) de la main (Hand) ». En effet, Handschuh est en fait le produit d’une réinterprétation d’un « contre-soulier » originel (par ex. germanique • anda-skôhaz = « cela qu’identifie le signe « le gant », c’est un-autre-soulier »).
45 On peut signaler aussi que la nomination du troisième dénoté par rapport auquel le terme α identifié r par le sujet est envisagé (Dionysos, la vie, l’Europe, etc...) fonctionne au moins partiellement comme procédé de correction comparable aux déterminations que l’on trouve dans les métaphores corrigées (par ex. « le basset est un saucisson à pattes » (J. DUBOIS, F. EDELINE, J.M. KLINKENBERG, P. MINGUET, F. PIRE, H. TRINON, Rhétorique générale. Paris, Larousse, 1970, p. 109).
46 H. KONRAD, Etude sur la métaphore, Paris, Vrin, 1939.
47 Rhétorique générale, pp. 106 et 107 ; voir aussi P. RICŒUR, op. cit., pp. 78-79, à propos de Fontanier : « La métaphore ne nomme pas mais caractérise ce qui est déjà nommé ».
48 Ibidem, p. 36.
49 R. BARTHES, Proust et les noms, dans Le degré zéro de l’écriture, Paris, Seuil, 1972, p. 125.
Auteur
Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis et à l’Université catholique de Louvain
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