La psychanalyse, entre la science et le sujet : enjeux contemporains d’une lecture critique à partir de Castoriadis
p. 191-226
Texte intégral
Introduction
1Où se situe la psychanalyse, entre la science et le sujet ? La psychanalyse, dès lors qu’elle s’intéresse au singulier et que son appareillage théorique se construit sur fond d’un échange intersubjectif revendiqué, peut-elle prétendre au statut de science ? Sa démarche n’invalide-t-elle pas par elle-même cette prétention, s’il est vrai que le rêve traditionnel de la science est de privilégier une connaissance objective et vérifiable du monde, des énoncés généralisables à valeur prédictive déliés des intuitions et de la subjectivité du scientifique1 ? Le statut de discours scientifique à-t-il un sens quelconque pour qualifier un savoir à incontestable prétention explicative mais qui met à l’avant plan les sujets et leur dire pour se construire alors que l’idéal de la science est justement de produire un ensemble d’énoncés rationnels dépouillés au maximum d’effets de sens préalables, en évacuant autant que possible les sujets de l’énonciation ? Mais à l’inverse, la psychanalyse peut-elle se passer de toute prétention scientifique, dès lors qu’elle ne se pose pas comme une nouvelle branche de la philosophie ou de la métaphysique, qu’elle affiche une prétention explicative sur le psychisme humain, qu’elle propose une topologie de l’appareil psychique et vise à construire une théorie destinée à aider le travail avec ceux qui font appel à elle pour se transformer ?
2C’est autour de ce triptyque « science, sujet, psychanalyse », qui pose fondamentalement le rapport de la psychanalyse à la science, que je voudrais consacrer cette contribution, en prenant appui sur un certain nombre de textes consacrés par C. Castoriadis à la psychanalyse, travaillés dans le cadre d’un séminaire interne qui s’est tenu aux Facultés universitaires Saint-Louis au cours de l’année 20052. L’intérêt de ces textes – souvent très polémiques, notamment à l’égard du discours et des pratiques lacaniens de la fin des années 1960 – est de proposer une vision de la psychanalyse entre la science et le sujet, comme activité « pratico-poéitique » qui prend tout son sens aujourd’hui. Qu’elle touche juste ou non, la critique de Castoriadis contient une dénonciation implicite de toute forme de dérive scientiste dès lors qu’il est question de l’humain. Elle fait émerger en creux une vision du sujet humain comme être de sens et de vérité, capable de réappropriation et de transformation, dans un processus de construction identitaire jamais clôturé. Un sujet pas tout à fait libre, dès lors qu’il n’échappe pas aux déterminations du monde social-historique, mais jamais enfermé pour autant dans une structure qui figerait le monde des possibles d’un sujet robotisé. Cette critique constitue un rappel salubre à l’heure où les sociétés contemporaines, fascinées par la science comme technique et par le marché comme horizon dernier, en viennent à oblitérer le sujet et ce qui fait sa singularité comme être de langage : sa capacité à être capable d’un histoire ou à sortir des cadres prédictifs que les discours pré-formatés de la science positive s’évertuent à penser pour lui aujourd’hui, que cela soit au nom de son bien ou de l’utilité sociale.
3De ce point de vue, la vision que propose Castoriadis de la psychanalyse comme théorisation distincte de la science et sa conception du sujet de la psychanalyse sont fondamentalement politiques. Dans plusieurs de ses textes, Castoriadis en appelle en effet, via la démarche analytique, à la construction d’un sujet humain doué de réflexivité et d’autonomie, capable d’autoinstitution et de transformation, soit un individu en perpétuel trajet dans un monde ouvert qu’il associe au projet démocratique. Ce sujet autonome – au sens où il devient acteur de sa propre loi – est aux antipodes du sujet promu par la science, que représentent aujourd’hui dans le champ de la santé mentale les approches cognitivo-comportementalistes. Dans les termes de Castoriadis, la dérive propre au scientisme entraîne, au prix d’une confusion sur les liens particuliers entre universel et singulier dans le champ de la réalité psychique, un oubli du sujet, réduisant celui-ci à ce qu’il n’est pas, soit une entité abstraite, pure exemplarité de l’universel, dans une démarche qui en vient à lui nier sa dimension d’historicité.
4C’est cet enjeu politique de la critique que porte Castoriadis à l’égard d’une démarche qui se revendique de la science dans le champ de l’âme que je voudrais reprendre ici, en deux temps : en revenant d’abord sur la conception de la psychanalyse comme théorisation, distincte de la science, qu’il propose et sur sa vision du sujet de la psychanalyse comme contribution à la construction d’un sujet démocratique dans des sociétés « autonomes » ou sorties de l’hétéronomie (I). En me faisant l’écho ensuite des enjeux contemporains de sa critique, je chercherai à montrer en quoi la montée de la « psychologie scientifique » et sa remise en cause de la psychanalyse dans le champ de la santé mentale est bien un enjeu politique au sens ou Castoriadis l’entend (II). Non sans souligner d’entrée de jeu un paradoxe : dans sa dénonciation du scientisme, Castoriadis s’en prend vivement à la psychanalyse lacanienne. Or c’est celle-ci justement qui, aujourd’hui, prétend s’ériger en rempart du sujet et participer à un éthos démocratique contre le processus de désubjectivation que soutient la nouvelle alliance objective entre discours de la science, triomphe d’une rationalité instrumentale et société de marché.
I. La psychanalyse : une activité « pratico-poiétique » au service de la construction d’un sujet autonome
A. Science et psychanalyse : un différentiel de structure
5La psychanalyse est-elle une science ? Freud, rappelle Castoriadis, en homme de son temps, croyait à la science : « Le mirage scientifique a certes servi à Freud d’illusion vitale et même féconde », au point de signer, en 1911, « un manifeste en faveur de la création d’une société pour la diffusion de la philosophie positiviste3 ». Et Freud d’espérer, qu’un jour, « des sciences majeures, en puissance de positivité et d’exactitude – anatomie, physiologie et pathologie du système nerveux – pourraient fournir l’explication du psychisme et la thérapie de ses troubles4. » Cet espoir de faire advenir une psychanalyse comme science au sens des sciences positives, Freud ne l’abandonnera officiellement qu’en 1939, admettant qu’à supposer qu’une relation existe entre la vie psychique et le système nerveux, elle « ne fournirait dans le meilleur des cas qu’une localisation précise des processus de conscience, et ne contribuerait en rien à leur compréhension5. » De fait, décrire n’est pas expliquer et souligner l’existence des liens de corrélation entre divers phénomènes ne permet pas encore de comprendre pourquoi le surgissement de l’un et le surgissement de l’autre.
6Castoriadis salue la fin de cette « réduction » de la « psychologie » à la physiologie qu’aurait signifié la construction d’une psychanalyse comme science positive « accompagnée de sa mort comme psychanalyse ». Et de souligner l’écart sinon l’opposition entre psychanalyse et science autour des quatre points suivants : La psychanalyse ne répond pas aux conditions de la démarche scientifique. Là où la science se définit comme « production et reproduction des phénomènes dans l’expérimentation et l’observation, comme inférence formalisable (serait-ce partiellement) des énoncés, comme correspondance univoque des uns et des aux autres... », là où la science « constitue ses résultats comme vérifiables et accessibles à tous ceux qui veulent se donner la peine de les étudier », la psychanalyse se déploie comme discours expérientiel qui ne respecte pas les standards scientifiques de l’objectivation, de l’observation, de la vérification et de la communicabilité des résultats. Bien plus, elle ne peut s’instaurer et progresser « qu’en se mettant à l’abri de ces règles6 ». En effet, souligne Castoriadis, s’il y a bien de l’observable dans la démarche analytique – rêves, lapsus, obsessions, angoisses...–, le contenu n’en est pas objectivable. Comme penser l’objectivation en effet, dès lors que la rupture supposée entre l’observateur et l’objet observable, qui est au principe d’une science sans le sujet, n’a pas de sens pour la psychanalyse, que la relation de savoir est fondée au contraire sur le transfert et l’échange intersubjectif entre deux interlocuteurs en travail (même si ces derniers ne se trouvent pas dans la même position) ? De même, comment penser l’opération de vérification, dès lors que celle-ci ne peut avoir lieu que dans l’analyse, sur fond d’un transfert qui est « conversion, non pas du regard, mais de l’être en fonction d’une relation qui n’est pas ce qu’elle croit être, qui permet à la fois l’existence de quelqu’un pour voir – et de quelque chose à voir » ? Dans la psychanalyse, « l’objet » se donne à voir sur fond d’expérience personnelle, ce qui pourrait amener à penser, comme Freud le soutenait, que seuls ceux qui font l’expérience de l’analyse peuvent au fond en parler... C’est très différent de la démarche scientifique où l’expérience personnelle importe peu : le résultat objectivé est là, en principe accessible à tout qui veut « ouvrir les yeux7 ».
7Sur le plan de l’objet et de son appréhension, le fossé entre les deux démarches est également béant. L’objet de la psychanalyse, tout d’abord, ce sont des « significations vivantes » (« logoi embioi »), soit des « significations matérialisées dans la vie d’un individu qui ne se donnent à entendre que dans la situation analytique », « représentations portées par des intentions et solidaires d’affects ». Par définition, ces « significations incarnées » sont fondamentalement marquées par « l’inexhaustivité et l’insegmentabilité de la signification8 » et la conséquence est immédiate : elles ne se laissent pas appréhender comme les énoncés des sciences exactes. On ne peut pas les découper, les isoler ou les segmenter en « objets distincts et bien définis » pour satisfaire aux besoins de l’observation. Pour la psychanalyse, découper son objet, c’est s’empêcher l’accès à une vérité : « ici, diviser l’objet, c’est le tuer9 ». Ce sens en création ne se laisse dès lors pas non plus formaliser, ce qui supposerait d’isoler une signification qui, par définition, se nourrit des autres. C’est d’avoir compris cela, souligne Castoriadis, qui fait la spécificité de la découverte freudienne et marque « sa rupture profonde avec la science psychologique et psychopathologique de son époque10 ». Ce constat, qui fait de l’objet de la psychanalyse un objet très spécifique, associé à une trajectoire et toujours en mouvement, a une conséquence subsidiaire : s’il ne répond pas aux conditions classiques de l’observation scientifique, l’objet ne répond pas non plus aux règles de la communication propre à la démarche scientifique : celle-ci, qui se déploie toujours dans l’analyse, est nécessairement « tronquée » au sens scientifique. Enfin, une troisième différence sépare encore science et psychanalyse sur le plan de l’objet : là où la science « met les évidences au centre, les interrogations aux frontières » dans son souci de proposer des règles généralisables, pour la psychanalyse « tout devient frontière du fait même qu’il est venu au centre11 ». Autrement dit, le propre de la démarche analytique est justement d’interroger ce qui a statut d’évidence ou de certitude pour un sujet.
8Enfin, la temporalité de la psychanalyse est « diamétralement opposée à celle de la science » et cela, précise Castoriadis, « dans les deux manifestations de la psychanalyse ». Dans son développement concret, comme « analyse effective » (la cure), la psychanalyse connaît un « développement indéfini12 ». Une analyse, on ne sait pas d’entrée de jeu quand on en aura fini, aucune limite n’est fixée à l’avance ; on peut s’arrêter, temporiser, y revenir, « refaire une tranche » comme on dit dans le jargon. Au fond, le dispositif analytique participe d’une démarche généalogique, au sens où il s’agit de revenir sur le passé non pas pour faire histoire mais pour éclairer les fils du présent. Le temps est ici circulaire, le futur étant fondamentalement indexé à l’antériorité, ce qu’illustre grammaticalement le temps du futur antérieur. A l’inverse, la science en actes procède par séquences, par expériences successives qui, chacune, constituent le dépassement, sinon le déclassement de l’objet d’expérience ou de la découverte antérieure. Le temps est ici linéaire, le présent-futur de la science se conçevant comme rupture et dépassement par rapport au passé. Sur le plan de la construction théorique, la temporalité de la science, associée au « progrès », est encore une temporalité « cumulative », au cœur de laquelle les vérités nouvelles effacent les vérités antérieures. C’est un mode de construction de savoir qui se collectivise et s’anonymise, résultat d‘un processus de division du travail au terme duquel les « choses » découvertes contribuent à créer « un immense corps anonyme, socialisé, organisé par son objet même ». Effaçant les « noms » des découvreurs, la science divise son objet, pour produire un ensemble de « résultats et de connaissances effectifs » bien plus que des « vérités13 ». A l’inverse, la temporalité de la psychanalyse pourrait être qualifié de diachronique. Ancrée dans un jeu continu d’aller-retours entre passé, présent et avenir, elle est, nous dit Castoriadis, plus proche de la temporalité « d’une religion, d’une philosophie, d’un grand courant politique, que de celle de la topologie ou de la physique quantique14. » Ainsi, ne mise-t-elle pas sur le dépassement d’une vérité par une autre plus récente qui éliminerait la première : « La manière dont le problème a été posé, ses approches successives, ses tentatives de solution gardent valeur et vérité quels que soient les développements ultérieurs15. » Aussi s’autorise-t-on, dans le champ analytique, à redécouvrir des auteurs, à l’image de Lacan qui « relit » Freud, sans que les problèmes comme les sujets traités antérieurement ne perdent leur valeur et leur vérité.
9Comment expliquer ce double écart qui, sur un axe épistémologique et temporel, sépare radicalement psychanalyse et science ? Il tient aux conditions de la démarche analytique, qui sont fondamentalement « des conditions de sens, et à son objet. La question du sens, souligne Castoriadis, est au cœur de l’entreprise analytique, « d’un bout à l’autre » de sa démarche. Quant à l’objet de la psychanalyse – Cornelius Castoriadis y revient très régulièrement comme pour mieux enfoncer le clou –, c’est du « sens incarné » qui est aussi chaque fois singulier et qui ne se donne à entendre que dans la situation analytique16. Or, en sciences, les conditions épistémologiques du savoir, avec l’instauration des principes transcendentaux de vérification et de falsification, supposent au contraire « une mise à distance, une mise entre parenthèse ou suspension du sens17 » et un souci de dépasser le singulier réduit à une pure exemplarité de l’universel. L’idéal de la science, c’est en effet une science sans le sujet, qu’il s’agisse du scientifique qui doit s’effacer derrière son objet ou du sujet d’expérience qu’il s’agit d’objectiver à travers le découpage des grilles du diagnostic scientifique. Et même si l’épuration totale du sens est illusoire – contrairement à ce que pensait naïvement le béhaviorisme, note Freud18 –, cette question intervient en périphérie de la démarche scientifique, « aux limites par où ils (les énoncés scientifiques) cessent d’être proprement scientifiques19 ». Au fond, dans sa quête d’objectivation et de neutralité axiologique, la science, nous dit Castoriadis, fait oublier le sujet qui est au travail derrière les résultats tout comme elle cherche à anesthésier la question du sens ou du « vivant » qui pourrait surgir de l’expérience ou insister derrière la formalisation. Sur ce point, le philosophe rejoint Foucault, lorsque ce dernier souligne l’écart qui sépare la psychiatrie scientifique du xixe siècle, associée à une « clinique du regard », cartographique, séquentielle et objectivante, de la « clinique de la parole » promue par Freud et qui est bien réintroduction de la question d’un sens vivant court-circuitant les schémas explicatifs pré-découpés20.
B. Le sujet de la psychanalyse : un être en travail, un être en projet
10Si la question du sens est au cœur de ce qui sépare la psychanalyse de la science, ce n’est pas le seul élément. Castoriadis souligne en effet que cette caractéristique, « avoir pour objet du « sens incarné », n’est pas en soi totalement discriminante. Après tout, il est des disciplines « scientifiques » qui ont également pour objet du « sens incarné ». Et Castoriadis de citer la psychologie compréhensive – ce à quoi on pourrait ajouter diverses sciences humaines telles que la sociologie, l’anthropologie ou le droit, autres disciplines qui ont à voir avec le « monde social-historique » ou des « faits de sens ». Dans ces divers cas aussi, le discours porte et se construit sur des objets de signification. Quelle est alors la spécificité supplémentaire de la psychanalyse, ce qui la distingue, par exemple, radicalement d’une simple verstehende Psychologie21 ? C’est le fait d’être non pas un regard porté sur un objet en quête d’un savoir mais une activité qui fait parler, une activité qui vise à permettre à un sujet, à travers une « talking cure », de se réapproprier son passé pour se comprendre et se transformer ». Plus, le sens visé (et qui est aussi visée du sujet) se construit ici à partir de ce que la science rabattait justement au rang de déchet du fonctionnement psychique et que le génie de Freud va élever au rang d’ouverture de sens22.
11Le renversement opéré par Freud est qualifié ici de « copernicien ». Il modifie fondamentalement les rapports de savoir-pouvoir entre médecin et patient, bouscule la lecture classique de l’écart entre normal et pathologique et lie la cure à une dimension réflexive qui doit faire advenir un sujet qui s’auto-institue : mettant à distance le rapport classique entre le médecin, siège de la raison, et le malade, porteur de déraison, la psychanalyse fait en effet le pari de faire advenir une « autre raison » dans une activité qui lie deux sujets mis en position de sujet à sujet (et non plus de sujet (de savoir) à objet (d’investigation). Aux antipodes de la perspective scientifique objectivante qui caractérise son époque, la démarche prônée par Freud est bien de faire advenir du sujet : « à quoi cela revient-il, sinon à traiter les sujets comme sujets, même et surtout là où ils n’apparaissent et ne s’apparaissent pas comme tels, à leur imputer leurs paroles et leurs symptômes au lieu de les attribuer à des chaînes causales externes, à interroger sérieusement le contenu de leur dire et de leur faire au lieu de le dissoudre dans l’universel abstrait de l’anormal23 » ? Compréhension et transformation sont donc au cœur d’une démarche qui touche les deux acteurs, y compris l’analyste d’ailleurs « qui ne cesse jamais l’autotransformation commencée avec sa propre analyse24 » et dont on sait en outre que lien social analytique suppose, in fine, sa destitution comme « sujet supposé savoir ».
12Cette « activité » dont Castoriadis fait un des éléments clés de la psychanalyse, il la définit comme « activité pratico-poiétique », soit une energeia qui vise à actualiser « ce qui était » tout en étant jamais écrit, faisant surgir une ergon que la nature seule est dans l’impossibilité d’accomplir25. Autrement dit, dans l’analyse, l’humain s’accomplit tout en s’inventant une nature qui est au-delà de sa nature, dans une activité par ailleurs posée comme indissociable d’un processus d’élucidation qui est « logon didovai » (rendre compte et raison). On peut de fait penser que c’est le statut de l’humain comme être de langage qui lui donne cette capacité à s’inventer et à se transformer, de sorte que, comme le disait Freud, « où ça était, je dois advenir ».
C. La psychanalyse : une théorie entre science et expérience
13Comment, à la lumière de cet écart radical qui sépare science et psychanalyse, compte tenu de la définition de la psychanalyse comme activité pratico-poiétique visant l’auto-institution ou l’autotransformation d’un sujet de sens, penser le statut de la psychanalyse comme théorie ? Cette question, Castoriadis ne l’élude pas. C’est que, constate-t-il, l’analyse comme activité s’est dès le départ développée de pair avec « un projet d’élucidation de son objet et d’elle-même en termes universels – à savoir, avec le projet de constitution d’une théorie26 ». Mais comment penser le statut d’une théorie qui, si elle cherche à créer des concepts universalisables et transmissibles pour réfléchir son objet, fait aussi vœu de respecter celui-ci, dont on rappelle qu’il est « sens incarné » et, qui plus est, chaque fois singulier ?
14Une triple difficulté surgit ici. D’abord, répète Castoriadis, science et sens ne font pas bon ménage : « Il n’est pas de science du sens : du savoir qui porte sur le sens, il n’est pas de formalisation possible. Toute formalisation présuppose au contraire que le domaine considéré a été soigneusement épuré de tout sens qu’il pouvait contenir. » C’est bien cette ambition d’épuration qui caractérise le discours scientifique et, même si l’on sait que cette opération ne peut jamais être exhaustive, cela marche : « Cela n’empêche que cet assèchement puisse être opéré sur des étendues immenses et se montrer efficace dans ce que nous savons depuis Gödel n’être qu’un provisoire indéfini27 ». Ensuite, il apparaît difficile de construire une théorie qui se voudrait scientifique, dotée d’énoncés universalisables, à partir d’un « objet » qui « fuit » sans cesse : pour être « réel », l’objet de la théorie est ici aussitôt « vide », dès lors que « cet objet réel, saisissable ici et maintenant, diffère radicalement de tout autre réel car son moment spécifique, celui qui le constitue comme ordre propre de réalité est qu’il est sens, sens incarné, sens chaque fois singulier28. » Enfin, la spécificité de la psychanalyse reste, pour construire quelque théorie que ce soit, la rencontre dans l’analyse avec un sujet singulier, l’universel étant en quelque sorte chaque fois singularisé, l’universel étant le singulier.
15Comment penser alors ce rapport du cas concret chaque fois singulier à l’universel abstrait de la théorie ? C’est bien le problème que pose une théorisation qui, sur ce plan, se sépare de la théorisation de la science parce que son objet même lui interdit de poser des procédures d’objectivation – « ce qui interdit toute confusion avec la théorisation de la science n’est pas qu’elle ne résolve pas (les problèmes) qu’elle rencontre, mais qu’elle n’instaure pas des procédures objectives pour ce faire, et que du reste on ne voit pas en quoi de telles procédures pourraient consister » – mais qu’on ne peut ranger pour autant du côté de la métaphysique : bien sûr, la psychanalyse est philosophique au sens où elle « doit rester attelée à ces rochers de Sisyphe que sont le sens, les conditions du sens et le sens de ces conditions... », mais elle n’est pas philosophie « parce qu’elle disparaîtrait si on la dissociait de l’activité pratico-poéitique qui la définit essentiellement » comme entreprise de transformation subjective29.
16Assez logiquement, Castoriadis en vient à proposer que la tentative de théorisation de la psychanalyse se trouve dans une sorte d’entre deux, entre la science et la philosophie : « De cet étrange objet (la réalité psychique), elle ne peut pas faire la science et elle n’a pas à faire la philosophie : elle en fait l’élucidation aporétique et dialectique30. » Oui, mais comment ? Ce projet de réappropriation théorique à partir d’expériences analytiques toujours singulières, l’historicité d’un sujet n’étant jamais identique à celle d’un autre, est-il seulement acceptable au regard des fondements mêmes de la démarche analytique ? La psychanalyse peut-elle y prétendre sans ruiner son projet ? Pour Castoriadis, la réponse est positive. La tentative de théorisation, qui revient à chercher à partir du « ceci » (le sujet en train de se faire) ce qui « comme terme ou comme organisation, vaut pour tous » n’a rien d’illégitime : « que l’analyse essaye de retrouver dans le ceci individuel ce qui dépasse l’individu et y représente l’universel – qu’il soit de l’ordre du contenu, comme le participable de la représentation et le terme du langage, ou qu’il soit de l’ordre d’une organisation générique, comme « l’appareil psychique » et ses lois de fonctionnement – cela est légitime et nécessaire31 ». Mais ceci à une double condition : d’une part, il faut être conscient des limites de la démarche, qui tiennent à l’impossibilité de réunir sens conscient et sens inconscient dans les catégories du langage conscient : l’opération de « traduction » entre ce que Freud appelait « le langage et l’autre du langage » ne se laisse jamais prendre tout entier dans les rets du langage et les catégories réalistes de l’entendement32. Dès lors, si Castoriadis estime, avec Freud, qu’il n’est pas indu de chercher à penser une « topologie du fonctionnement psychique » ou de chercher une conceptualisation des forces psychiques, il pense aussi que la tentative de formalisation se heurte à des limites indépassables, car « la nécessité et l’impossibilité d’une conceptualisation scientifique de la psychanalyse ne sont ni accidentelles, ni provisoires ; elles sont d’essence33 ». Autrement dit, la conceptualisation, quelles que soient ses avancées, se heurtera toujours à un « noyau d’atopie », opposant à la face formalisable et saisissable dans la logique des ensembles une autre face qui y échappe radicalement, se posant aux yeux de la logique des ensembles comme « multiplicité inconsistante », selon l’expression de Cantor34. D’autre part, dans cette quête de construction théorique, une double balise est indispensable : d’abord, le sujet ne peut jamais être réduit « à un pur exemplaire de la généralité », car il faut poser avec force qu’il est un « ceci irréductible » ; d’autre part, il ne peut être réduit à une « simple combinatoire d’éléments substituables et permutables », ce qui reviendrait à « éliminer l’objet réel de l’analyse au nom d’une rêverie pseudo-théorique » somme toute dangereuse : cela ramènerait le sujet au rang d’élément « générique » (« l’homme sans qualités »), ce qui le différencie des autres étant pensé comme de l’ordre de l’accident35. Or reste toujours ouverte – et indécidable hors de la cure – le « pourquoi de cet arrangement-ci et non un des innombrables autres possibles », ce qui renvoie à l’histoire de chaque sujet, une histoire qui devient un « inintelligible absolu » si l’on réduit l’individu exhaustivement à l’ensemble des éléments universalisés36.
17Dès lors, conclut Castoriadis, si la psychanalyse ne peut se contenter d’être dans le pur singulier – « elle ne peut se contenter de parler d’histoire personnelle37 » et doit faire le détour par ce qui dépasse la singularité de chacun et fait structure –, elle ne peut pas non plus se perdre dans l’universel abstrait. Elle doit se frayer un chemin dans l’entre-deux, faisant le détour par des éléments universels tout en acceptant que l’individu est « l’irréductible, le résidu que laisse toute explication de ce type ». Autrement dit, « le postulat pratique de la singularité de l’individu dans la cure s’y accompagne de l’évidence harassante de sa non-singularité, en même temps que l’hypothèse de sa réductibilité dans la théorie rencontre constamment l’évidence ironique de son irréductibilité38. » On est peut-être pas très loin ici d’une théorie qui aurait le statut foucaldien de « boîte à outils », ensemble de guidelines interprétatives, permettant d’écouter, de parler, d’interpréter ou de se taire (ce qui reste toujours un choix souligne Castoriadis). Avec un tel statut, la théorie invite l’analyste non pas à se conformer à un schéma pré-établi mais plutôt à inventer à chaque fois à partir de la singularité de chaque sujet. C’est bien d’ailleurs ce que revendiquent certains analystes aujourd’hui qui, soulignant les dangers du diagnostic de structure, considèrent qu’« une théorie de l’exception doit remplacer les tiroirs diagnostiques » : « Le transfert est toujours singulier et l’interprétation ne répond pas à un diagnostic, mais à la logique qui découle toujours des signifiants de l’analysant et de leur grammaire propre. Il serait tout à fait détestable que le psychanalyste ait quelque schéma préétabli pour traiter tel type de cas. Il a plutôt à inventer, à chaque coup si possible, à partir de ce que l’analysant dit39. »
D. La dérive « scientiste » de la psychanalyse ou les apories d’une formalisation excessive : Lacan et les structuralistes en ligne de mire
18La dérive qui menace la psychanalyse, et contre laquelle s’élève Castoriadis, est celle qui tendrait justement à oublier cette « grammaire propre » à chaque sujet et à oblitérer, derrière la découverte de « lois » structurantes, le moment de création et la part de liberté propres à chaque sujet dans le processus de symbolisation. C’est que, si l’objet de la psychanalyse est bien constitué par ces « logoi embioi », significations incarnées liées à un surgissement ininterrompu de représentations, on ne peut en isoler la signification pour en formaliser le sens sans perdre la substance ontologique du processus. Si ce qui émerge dans l’analyse, au titre de symptôme ou dans l’association libre, est le fruit d’un processus de « causation symbolique40 », on ne peut le réduire à la couche horizontale des représentations langagières : ce serait perdre l’essentiel, à savoir que la représentation ou « flux représentatif41 » est intentionnalité et création symbolique, principe actif et pas seulement réceptacle ou enchaînement passif du sens. Derrière la représentation, pointe émergée de l’iceberg, il y a la pulsion et donc un moment (d’auto) création à chaque fois, ce qui permet d’ailleurs à une histoire de s’écrire et de se construire, à un individu d’échapper au déterminisme prédictif, à la fatalité ou à la répétition. Cette part d’indétermination liée à la création explique encore qu’on puisse décrire dans l’après-coup le processus de symbolisation, mais jamais de dire « quel procédé de symbolisation sera chaque fois utilisé, sur quoi il va être appliqué ou vers quoi il va entraîner42 ». Bref penser, au cœur de la représentation, ce moment de création symbolique toujours présent est essentiel parce qu’il fait signe vers la singularité de l’individu comme sujet imprévisible, mais aussi vers sa liberté et sa responsabilité, chaque fois remise en jeu, y compris dans sa relecture du présent à partir de son passé. C’est aussi une manière de poser que le sens n’épuise jamais le réel d’un sujet.
19Oublier ce moment de création au cœur du processus de « causation symbolique », c’est bien le reproche adressé par le philosophe psychanalyste à un certain nombre de ses contemporains, accusés de perdre le sujet derrière la structure. Soucieux de formaliser l’appareil psychique et de réduire l’inconscient aux lois de la logique ordinaire, certains élimineraient la représentation comme principe actif et videraient de son sens ce moment de création qui est au cœur du travail de symbolisation. Il en résulte une double perte. D’abord, si tout est structure et affaire de combinatoire formalisable, automatisme logique et jeux de renvois entre signifiants, on perd non seulement ce qui est création au cœur du travail de symbolisation mais aussi l’ancrage du symptôme dans la réalité corporelle43, le travail de la pulsion, laissant la psychanalyse face à une « âme désincarnée », ce qui serait aux antipodes de la découverte freudienne. C’est au fond « la cure comme activité pratico-poiétique d’entre-subjectivation, qui maintient la possibilité pour l’homme d’être « arché to esomenon », origine et principe de ce qui sera, donc, actant et parlant (« zôon logon poion ») et non pas « agi » ou « parlé » par ce qui l’a fait tel qu’il est (le langage, la généalogie)44 ». Ensuite, se perdrait aussi l’idée – que l’on sait importante pour Castoriadis – qu’un sujet, pour être sujet de l’inconscient, est aussi un sujet « social-historique », soumis aux cadres de l’institution imaginaire de la société. Le sujet, qu’il s’agisse du sujet de l’inconscient ou non, prend racine sur un fonds social-historique qui lui pré-existe et qui détermine le processus psychique et ses transformations45. Autrement dit, pousser à l’extrême le déterminisme logique ou structural, c’est à la fois nier la cure comme activité pratico-poiétique avec sa dimension de création, négliger la liberté et l’historicité d’un sujet réflexif en quête d’autonomie et sous-estimer l’influence de l’imaginaire social et de l’histoire sociale-collective sur la réalité psychique et les processus de création identitaire : « Si la vie du sujet n’est jamais que circulation sur l’unique surface d’une bande de Moebius – les variétés possibles de celles-ci étant fixées une fois pour toutes, de toute éternité et à jamais, par la "structure" – ; en bref, si l’histoire n’existe pas, ni comme individuelle, ni comme sociale-collective, comment la cure elle-même pourrait être segment d’une véritable histoire où le sujet parviendrait, avec la coopération de l’analyste, à s’altérer essentiellement46 ? »
20Qui Castoriadis vise-t-il ici ? Non pas Freud à qui il reprochera néanmoins de s’être parfois égaré dans des hypothèses « organiques » ou « constitutionnelles », ni la psychologie béhavioriste et sa prétention naïve qui, comme le relevait Freud, a « entièrement éliminé le problème psychologique47 », à savoir l’idée que le réel psychique est du sens incarné. La critique est, si l’on ose dire interne, et vise au premier chef Lacan et son souci de représenter l’inconscient structuré comme un langage ou de le ramener aux « premières chaînes signifiantes48 ». Les reproches adressés au lacanisme, parfois implicites parfois plus directement énoncés, ne se limitent pas à cette « dérive » caractéristique d’un moment de l’enseignement de Lacan. Elle sont de trois ordres, sur fond d’une constante préoccupation pour la défense d’une psychanalyse comme pratique démocratique visant à faire advenir un ou des sujet(s) autonome(s), parlant et actant plus que parlés et déterminés ou obéissants.
21La critique est d’ordre social et politique, lorsque sont mis en cause le concept de « résistance à l’analyse », présenté comme une technologie défensive de nature stalinienne ou maoîste pour disqualifier à l’avance toute remise en question du « dogme officiel » de la psychanalyse dominante49 ; l’hermétisme de la pensée, qu’il s’agit de distinguer de la nécessaire « lutte avec la chose et le langage » qu’induit la complexité de l’objet50 ; le rapport de maîtrise – allusion à la dialectique du maître et de l’esclave – qui d’une part, rend impossible la constitution d’une véritable « société analytique » dès lors que « le lien véritable ne peut s’instaurer que là où et lorsque les chaînes de la « maîtrise » ont été fracassées51 », d’autre part, et c’est plus grave, génère des rapports d’obéissance et d’adhésion aveugles, créant l’impossibilité psychique d’adopter une posture critique et de sortir de ce rapport de maître à élève qui est la condition pour devenir analyste52. Bref, la posture lacanienne produit un sujet d’allégeance qui est aux antipodes du sujet démocratique que promeut la psychanalyse, soit un sujet caractérisé par l’autonomie en tant que création et risque, quête d’ouverture et d’auto-institution, tentative de sortir du déterminisme et de la répétition.
22La critique se fait éthique, lorsqu’elle vise la pratique de la cure lacanienne, qui s’érige en « technique » avec des standards à respecter, évacuant le propre de l’analyse comme « activité » inséparable d’une élucidation singulière dans l’échange intersubjectif, mais aussi comme prise de responsabilité dans le chef de l’analyste sommé d’affronter l’angoisse et le risque de l’issue de l’analyse53. Sont visées ici explicitement le principe des « séances courtes » ou celui du « silence de l’analyste » quand ils sont érigés en règle fixe, là où il y a au contraire, estime Castoriadis, « tache d’interprétation – ce qui veut dire œuvre de parole54 ». Non pas qu’il ne faille pas souvent choisir de se taire ou d’écourter une séance, mais cette option doit ici toujours être le résultat d’un choix et ne peut jamais se réduire à une forme de « crétinisme bureaucratique masqué sous la « technicité » et le « savoir55 ». On ajoutera qu’aux reproches formulés ici, et qui répondent sans doute à un moment bien spécifique de la cure lacanienne, Castoriadis aurait sans doute pu ajouter les dangers de fixation liés au diagnostic de structure ou encore la technique de la présentation de malades, deux éléments qui semblent éloigner la pratique analytique de cette activité « pratico-poiétique » au sens où il la définit.
23Sur le plan théorique enfin, la mise en cause personnelle de Lacan s’inscrit dans le fil d’une critique plus vaste qui touche « les idéologies qui ont infesté, depuis une quinzaine d’années la scène parisienne – et dont la psychanalyse à la Lacan a été un ingrédient essentiel56. » Derrière Lacan, c’est en effet, de manière plus générale, le structuralisme porté par les Levy-Strauss, Althusser et Foucault d’une part, Lacan, Barthes et Derrida de l’autre, qui est visé. Qu’elles proclament la mort de l’homme (pour les premiers), l’hypertrophie de l’individu social pris dans les rêts du langage (pour les autres)57, elles se rejoignent dans une négation du sujet de la psychanalyse, à savoir un sujet qui est aussi « imagination radicale, auto-altération indéterminable, perpétuelle, immaîtrisable58 », capable d’une histoire dans l’histoire. Mais, ici, c’est Lacan qui fait office de cible, à travers une mise en question de son approche structuraliste, qui ramène l’historicité du sujet à un « tout est écrit » condamnant du même coup l’individu (on ne parle plus de sujet) enfermé dans la structure à la répétition ; de sa conception de l’imaginaire ramené « platement » au « spéculaire », ce par quoi on s’interdit de penser un sujet comme « imagination et auto-altération radicale59 » ; de sa mobilisation du symbolique, associé à une Loi qui en serait le sbire, sorte de « réquisit transcendental » qui serait au-delà de toute loi effective, alors que « la « Loi » n’existe jamais que comme loi effective, institution social-historique donnée » ; ou encore du statut conféré au langage présenté comme « système symbolique » détachable de tout langage spécifique, alors que « le langage, qui est tout autre chose qu’un « système symbolique », n’existe jamais que comme ce langage et tel langage60 ».
24Réglant ses comptes, Castoriadis n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la « perversion lacanienne » : « Aucun doute : à l’abjection et au mépris qui marquent la pratique lacanienne, correspond dans la « théorie » et derrière quelques paravents verbaux, le règne illimité de « concepts » qui s’enracinent dans la haine, la mort, la répétition, l’inane combinatoire de la structure – dans l’exclusion enragée de tout ce qui s’y oppose et fait du sujet singulier, de l’activité de penser et de l’histoire humaine autre chose qu’absurde assemblage de machines non même pas parlantes mais parlées, et qui ne « parlent » jamais que pour dire – ou laisser voir, malgré elles ? – que tout est toujours le même61 ». Que les reproches soient justifiés est évidemment une autre affaire. Certaines critiques n’ont sans doute rien perdu de leur actualité : faire société reste difficile dans les milieux analytiques, tout comme dominent dans certaines écoles des rapports de sujétion et d’obéissance étonnants, un conformisme des références surprenant. De même, l’hermétisme du langage et sa fonction restent des questions pertinentes. Par contre, les reproches à l’égard du technicisme bureaucratique de la cure lacanienne sont sans doute plus datés tout comme apparaissent aujourd’hui décalés les reproches sur le pur structuralisme d’une pensée lacanisme « oublieuse » du sujet. Si les écrits de Lacan auquel se réfère Castoriadis peuvent sans doute prêter à ce type d’interprétation, ce dernier redonnera par la suite toute sa place à la question du « réel » qui insiste pour chaque sujet derrière le jeu du sens et des signifiants.
25Mais l’intérêt de la critique de Castoriadis est, me semble-t-il, ailleurs : il tient à cette volonté de rappeler sans cesse que le propre de la psychanalyse et ce qui fait sa spécificité, est de reconnaître à chaque fois l’historicité et la socialité du sujet, condition indépassable pour penser son « auto-altération possible dans et par cette activité pratico-poiétique qu’est l’analyse62 ». Or, c’est précisément cette capacité d’auto-altération par le dispositif de la cure analytique, gage de « réflexivité » et de « volonté63 », qui est aujourd’hui remise en cause par le retour en force des approches scientistes dans le domaine de la santé mentale et, ce que laissent entendre les analyses de Castoriadis, c’est que cette remise en cause est fondamentalement liée au « plus de jouir » contemporain qu’illustre le capitalisme triomphant. La remise en question d’une certaine vision du sujet psychique surgit en effet au moment même ou triomphent rationalité instrumentale et idéal de la consommation, avec en filigrane, la valorisation d’un « type anthropologique spécifique » sous les traits d’un individu conformiste, enchaîné à cet « univers du jouissez le plus possible » que promeut le « vide de la consommation », aux antipodes de « l’individu critique, réflexif, démocratique64 ». Dès lors que, à partir des années quatre-vingt, « la seule signification vraiment présente et dominante est la signification capitaliste, l’expansion indéfinie de la « maîtrise », laquelle en même temps se trouve – et c’est là le point pivot – vidée de tout le contenu... », le modèle identificatoire que propose l’institution à la société et aux individus « est celui de l’individu qui gagne le plus possible et jouit le plus possible ». Or, ce modèle identificatoire « ne peut que déteindre sur les processus subjectifs dès lors que le processus de socialisation passe par la langue, médium dans et par lequel « s’expriment, se disent, se réalisent, se transfèrent les significations de la société65 ». Entre l’émergence de la société capitaliste et son conformisme consommatoire d’une part, la remise en question du sujet en trajet de la psychanalyse avec son potentiel de subversion à l’égard des formes instituées d’autre part, la corrélation est manifeste et pose la question du lien social démocratique dans des sociétés « autonomes ».
E. Psychanalyse et démocratie : un même combat pour l’autonomie
26Par les renvois constants qu’il opère entre scène sociale et scène psychique, la démarche de Castoriadis est d’un apport précieux : elle laisse entrevoir que, derrière les débats théoriques qui opposent sur la scène psychique une épistémologie de type herméneutique (la psychanalyse) à une épistémologie scientiste (de type positiviste), des enjeux politiques ou sociaux-historiques sont bien présents, dans un monde où évolution des significations sociales et conception du sujet sont largement interconnectées. Autrement dit, la remise en question de la démarche analytique, en tant qu’elle vise à faire advenir un sujet autonome et auto-réflexif, doit se comprendre sur fond d’une mutation anthropologique plus fondamentale liée à l’évolution de nos sociétés contemporaines dominées par la technique et le marché : cette évolution, souligne Castoriadis, vise « l’éclipse du sujet démocratique », conçu comme être de liberté et de responsabilité, autocréation et autolimitation, bref un sujet d’autonomie qui, « dans son essence, est tout à fait incompatible avec l’idée de la maîtrise66 ».
27Ce lien fondamental entre scène psychique et scène sociale, sujet de la psychanalyse et sujet démocratique, psychanalyse et politique est développé par le philosophe grec dans un texte spécifique, intitulé Psychanalyse et politique. D’entrée de jeu, Castoriadis y pose la légitimité de ce lien, trop peu travaillé à son goût : « L’effort de connaître l’inconscient et de transformer le sujet n’a-t-il aucun rapport avec la question de la liberté et avec les questions de la philosophie ? La psychanalyse aurait-elle été possible en dehors des conditions social-historiques qui ont été réalisées en Europe ? La connaissance de l’inconscient ne peut-elle rien nous apprendre concernant la socialisation des individus, donc aussi les institutions sociales ? Pourquoi la perspective pratique qui est celle de la psychanalyse dans le champ individuel serait-elle automatiquement frappée de nullité lorsqu’on passe au champ collectif ? Il faut bien constater que ces questions ne sont que très rarement posées, et jamais de manière satisfaisante67. »
28Derrière ce questionnement, Castoriadis ne fait pas de culturalisme. Il laisse seulement entendre, me semble-t-il, que la psychanalyse est fille de la culture européenne et, plus précisément, d’une culture qui oppose à une vision holiste du monde le primat du sujet, à un monde enchanté par les dieux, les esprits ou le destin, la responsabilité de l’individu en prise sur son devenir. Autonomie : tel est, en effet, l’élément qui légitime le passage de l’individuel au collectif et nourrit le possible rapport d’analogie entre ce qui advient sur la scène psychique telle que travaillée par la psychanalyse et ce qu’il faut construire sur la scène sociale en tant qu’expression du projet démocratique. Repartant de la formule de Freud selon lequel la psychanalyse, la pédagogie et la politique constituent trois « métiers impossibles », Castoriadis souligne le point commun aux trois démarches, lequel explique d’ailleurs leur caractère « impossible », au sens ou on en a jamais fini : dans les trois cas, la démarche vise à la transformation du sujet et du social dans une perspective d’accès à « l’autonomie » comme surgissement continu et donc jamais abouti. Et c’est bien ce projet d’autonomisation du sujet, indissociable de la thématique de la liberté, qui fait le lien entre psychanalyse et démocratie politique, expliquant « l’analogie éclairante » (Castoriadis refuse ici le terme « d’homologie structurale68 ») entre « les questions et les tâches qu’affronte le projet d’autonomie dans le champ individuel et dans le champ collectif ». Qu’est ce qu’une société démocratique, en effet, sinon une société « autonome » au sens ou elle « sait explicitement qu’elle a créé ses lois » mais aussi où elle « s’est instituée de manière à libérer son imaginaire radical et à être capable d’altérer ses institutions, moyennant sa propre activité collective, réflexive et délibérative » ? Qu’est-ce qu’une société autonome, sinon une société qui accepte sa propre mortalité, affrontant la difficulté des humains à « accepter, sans phrases, la mortalité de l’individu, de la collectivité et même de leurs œuvres » pour sortir de la fixité et mieux se dépasser69 ? Mais une société démocratique, c’est aussi une société politique au sens où elle se caractérise par une « activité lucide dont l’objet est l’institution d’une société autonome » dans la régulation des institutions collectives, le projet de « société autonome » étant indissociable du projet « qui vise à faire surgir des individus autonomes – et réciproquement70 ». En d’autres termes, une société démocratique, qui se caractérise par un « régime de réflexivité collective » a besoin d’« individus réflexifs71 », car pour mettre en question le jeu des institutions et faire place à l’instituant, il faut des sujets capables de se mettre en question eux-mêmes. Et sur ce plan, la psychanalyse est d’un apport consistant. A quoi contribue la psychanalyse, en effet, sinon au projet d’un « Wo Ich bin, soll auch Es [auftauchen)] (là où Je suis/est, Ça doit aussi émerger »72) ? Qu’est-elle sinon une pratique poiétique qui ne vise pas à éliminer le conflit psychique mais bien « à l’instauration d’une subjectivité réflexive et délibérante, qui a cessé d’être une machine pseudo-rationnelle et socialement adaptée », « libérant l’imagination radicale de la psyché », dans une perspective d’autoaltération à l’issue jamais jouée d’avance73 ? Qu’est-elle sinon une invitation au sujet humain à se confronter sur le plan psychique à la « réalité de la mort pleine » – « la mort de celui qu’il était pour devenir une autre personne74 » – pour échapper à la répétition dans une acceptation de la mortalité dont Castoriadis fait la condition du projet démocratique ? On comprend mieux, dès lors, pourquoi le philosophe peut prétendre que la psychanalyse « appartient pleinement à l’immense courant social-historique qui se manifeste dans les combats pour l’autonomie, au projet émancipatoire auquel appartiennent aussi la démocratie et la philosophie75. »
29A contrario, le programme émancipatoire auquel aspire la démocratie et auquel contribue la psychanalyse est en rupture nette avec le projet des sociétés « hétéronomes » qui, elles, visent tout sauf le changement radical qui serait le résultat d’une réflexivité autonome. Privilégiant des institutions qui, « une fois créées, apparaissent à la collectivité comme données », dominées par un imaginaire social et des signifiants de surplomb tels que « les dieux, Dieu, la nature, la raison, les lois de l’histoire, les mécanismes de la concurrence, etc.) », une société hétéronome, quelle que soit sa forme historique, tend à oublier son caractère « instituant » et à privilégier l’« institué ». Fixité et rigidité sont favorisées au travers de repères sacralisés dans un souci d’assurer permanence, « auto-perpétuation » et reproduction (« ce qu’on appellerait en psychanalyse la « répétition ») bien plus que création et imagination, institution et transformation. Et, souligne Castoriadis, ce jeu de significations imaginaires sociales n’est pas sans impact sur le type d’individu que cherche à produire une société hétéronome : en effet à « la structure rigide de l’institution et l’occultation de l’imaginaire radical, instituant, correspondent la rigidité de l’individu socialement fabriqué et le refoulement de l’imagination radicale de la psyché ». Autrement dit, ce qui importe avant tout, dans une perspective d’auto-perpétuation, c’est « la fabrication d’individus conformes » aux normes sociales existantes76, ce qui n’exclut pas le changement mais construit celui-ci dans une toute autre direction que la perspective analytique ou démocratique : « Pourtant les choses ne sont pas si simples. Un psychiatre comportementaliste (en fait pavlovien), un « pédagogue » comme le père du président Schreber, les gardiens d’un camp de concentration nazi ou stalinien, les agents du Minilove, et O’Brien lui-même (Orwell, 1984), agissent tous pour changer des êtres humains – et souvent, ils réussissent ». Mais la différence est que « dans ces cas, la fin de l’activité est déjà complètement déterminée dans l’esprit de l’agent : il s’agit d’éradiquer, dans l’esprit et dans l’âme du patient, toute trace d’un penser et d’un vouloir propre77. »
30Le changement comme auto-altération créatrice par la libération de l’imaginaire radical d’un sujet ou le changement comme adaptation de l’individu à une normativité hétéronome, ce n’est pas pareil. Le premier est synonyme de quête émancipatoire et démocratique. Le second, dont Castoriadis nous rappelle qu’il est aussi le prescrit des sociétés capitalistes contemporaines, sociétés qui sur ce plan, sont bien hétéronomes, peut conduire tout droit, selon lui, au Meilleur des mondes ou à Orwell et 1984. Les débats contemporains sur l’opposition entre psychanalyse et approches cognitivo-comportementaliste dans le champ de la santé mentale, sur fond de l’ambiguïté que nourrit aujourd’hui le concept de « société réflexive », ne conduisent pas à des conclusions très différentes.
II. Enjeux contemporains : psychanalyse et cognitivo-comportementaliste
A. la société « réflexive » et ses résistances : entre autonomie et hétéronomie
31Nos sociétés contemporaines sont marquées par le paradoxe qui traverse des sociétés dites réflexives, la réflexivité étant, selon certains sociologues, une caractéristique centrale de la « deuxième modernité » ou « modernité tardive ». Où est le paradoxe ? D’une part, nos sociétés modernes occidentales sont marquées aujourd’hui par une lecture d’elles-mêmes qui souligne leur caractère « d’autonomie » – fin du religieux, désacralisation du savoir expert, promotion d’un sujet « réflexif » capable de liberté et de responsabilité – ; d’autre part, elles consacrent aussi régulièrement le maintien sinon le retour d’un principe d’hétéronomie, dans la confiance aveugle faite à un principe de gouvernement venu du dehors, qu’il s’agisse de la main invisible du marché ou des dispositifs techno-scientifiques pour guider et encadrer la vie sociale, tout en assurant la promotion de nouveaux modes de gouvernementalité qui tablent sur des sujets « d’allégeance » bien plus que des sujets « autoréflexifs » au sens où Castoriadis l’entend. De ce point de vue, l’hétéronomie, que porte l’idéal d’un projet capitaliste régulé par les mythologies de la Main Invisible et des techno-sciences, résiste à la réflexivité contemporaine. Et même si c’est sous le statut de fiction – les économistes savent qu’un marché totalement dérégulé est voué à l’auto-destruction, de même que les scientifiques sont de moins en moins dupes du statut constructiviste du savoir expert –, elle continue à opérer, fut-ce sous des formes désacralisées ou camouflées. Par ailleurs, comme le soulignait Castoriadis, l’hétéronomie cherche à produire des individus conformes aux normes sociales bien plus qu’une subjectivité réfléchissante et auto-altérante, condition du sujet démocratique.
32Tout bien sûr, et c’est là que réside le paradoxe qui rend difficile aujourd’hui l’analyse du champ social contemporain, ne va pas dans le même sens. On aurait beau jeu de montrer, par exemple, comment dans divers champs émergent des dispositifs poussant à l’émancipation de sujets autonomes, dans un processus de démocratisation de la démocratie qui conduit à donner à l’individu contemporain une plus grande prise sur ses choix et sa trajectoire. Création de « forums hybrides » qui associent savoir des experts et savoir profane dans la construction de certaines problématiques, tentatives de démocratie participative, émergence d’un droit négocié plus en prise sur la réalité vécue des conflits, valorisation, jusqu’au sein du monde managérial, des approches bottom-up, autant de signes qui peuvent s’interpréter comme témoins des avancées d’une société réflexive, en quête d’autonomisation, même si les effets pervers ou les instrumentalisations à d’autres fins ne sont jamais très loin. Entre autonomie et hétéronomie, les sociétés contemporaines se cherchent, caractérisées selon les champs par des mouvements en sens divers, qui souvent s’entrecroisent ou se superposent.
33Le champ de la santé mentale semble marqué, plus que celui du droit par exemple, par l’hétéronomie. Après un siècle dominé par le freudisme ou le freudo-lacanisme dans les pays latins, on assiste en effet dans ce domaine à la resurgence d’une logique scientiste qui peut compter sur l’alliance objective d’une doctrine à prétention scientifique (le cognitivo-comportementalisme), d’une approche technoscientifique mobilisée pour contrôler le problème (les produits pharmaceutiques) sur fond d’un marché juteux qui suppose la transformation de sujets en souffrance en consommateurs fidèles de produits toujours plus miraculeux. Que ce mouvement, marqué à sa base comme en son sommet par l’hétéronomie et la conformité, se heurte de plein fouet à la psychanalyse n’est guère étonnant. Telle que la présente Castoriadis, la démarche de la psychanalyse se situe en effet aux antipodes, du côté de l’autonomie et de la réflexivité. Elle n’a certainement pas le monopole de cette position, mais se situe très clairement de ce côté, ce qui explique sans doute la virulence des attaques dont elle fait l’objet, même s’il est aussi d’autres raisons qui tiennent à la structuration de ce champ, ce que Castoriadis relève d’ailleurs en partie.
34La psychanalyse a donc fait l’objet, ces derniers mois, d’une mise en question assez radicale dans le monde culturel francophone. Deux événements ont à cet égard défrayé la chronique. Il y a quelque mois, un pamphlet à prétention scientifique, Le livre noir de la psychanalyse78 proposait une critique en règle de la psychanalyse, notamment en raison de sa non-scientificité, défendant a contrario une approche scientifique des « troubles » de santé mentale et de leur traitement. Un peu plus tard, c’était au tour d’un rapport de l’Inserm, en France, de soulever cette fois une indignation importante : avalisant à leur manière le principe de précaution, les promoteurs du rapport proposaient le dépistage précoce de divers troubles de comportement, assorti d’une solution pharmaceutique pour les enfants récalcitrants, le tout sur fond d’un idéal de prévention de la délinquance. Les deux événements, complémentaires, sont intéressants à lire ensemble, à la lumière des enseignements de Castoriadis : autant le premier apparaît comme l’illustration d’une prétention à la scientificité dont Castoriadis montre, à partir de la psychanalyse, toutes les difficultés dans le champ de l’humain, autant le second souligne de manière brutale les enjeux politiques et démocratiques d’une démarche, dont les auteurs, sans doute peu touchés par la réflexivité, ne semblent absolument pas conscients.
B. Le débat sur la scientificité en santé mentale : approche continuitiste versus approche herméneutique
35Porté par le courant cognitivo-comportementaliste, Le livre noir de la psychanalyse se faisait indirectement le relais d’une question importante (qu’il omettait malheureusement de traiter) : peut-on donner un statut scientifique aux approches thérapeutiques au sens large en santé mentale ? La question renvoie directement au questionnement de Castoriadis sur le rapport de la psychanalyse à la théorisation et à la science, sur ce lien difficile entre la science et le sujet, dès lors qu’il s’agit de construire des énoncés généralisables portant sur du réel psychique, dans ce tiraillement continu entre universel et singulier.
36Je ne vais pas reprendre ici dans le détail cette question que j’ai cherché à traiter ailleurs79 et me contente d’en souligner quelques traits saillants à la lumière des projecteurs allumés par Castoriadis. Freud, je l’ai rappelé ci-avant, en homme de son temps, a nourri l’illusion positiviste avant d’y renoncer à la fin de son œuvre. Manifestement, les cognitivo-comportementalites, ceux qui ont participé à l’ouvrage en question, n’ont pas procédé à l’aggiornamento freudien. Ils croient à la science comme discours de vérité hétéronome, la science étant « malgré ses défauts et ses possibles mésusages... le seul véritable universel, face à des religions toujours plus provinciales » (Cottraux). Face aux « dysfonctionnements » de l’humain, ils placent leur confiance dans la rigueur méthodologique et la neutralité d’une « psychologie scientifique » pour traiter ce qui est perçu et construit comme un « trouble objectif ». Transférant aux sciences humaines les critères de scientificité proposés par K. Popper pour les sciences de la nature, la « psychologie scientifique » nourrit le rêve de protocoles neutres et rigoureux, d’hypothèses ou vérités objectivables et falsifiables par l’expérience. Une science axiologiquement neutre, dégagée des rapports d’intérêts ou des conflits de valeurs, indépendante des relations de pouvoir ou des logiques de domination, est possible. Pour le réel psychique pas moins que pour les lois de la physique, on croit à une science sans le sujet, capable de décrire sans interpréter (J.M. Boisvaert, M. Beaudry), d’observer et de dire « ce qui est », d’« objectiver » les faits pour en énoncer la vérité « vraie », fût-elle provisoire. En outre, et c’est une conséquence logique de cette croyance mystique dans le discours de la science, dès lors que le trouble de comportement – on ne parle plus ici de symptôme – et ses causes sont identifiées par le regard scientifique, rien ne s’oppose à recourir aux remèdes de la techno-science, soit à des médicaments dès lors que leur avantage est établi au terme d’un jugement objectif et scientifique et cela, malgré les réticences éventuelles des patients (A. Pelissolo).
37A ce stade, la lecture de Castoriadis, permet de faire trois commentaires. Premièrement, il n’est pas étonnant que, dans cette perspective, la psychanalyse, avec ses dispositifs non vérifiables, sa construction inféodée au transfert et aux effets de sens, soit disqualifiée comme « pseudo-science », sorte de « psychologie philosophique » ou mentaliste, démarche herméneutique qui nous renvoie du côté du récit, de l’irrationnel, voire de la religion (Cottraux). La perspective scientifique adoptée ici nous renvoie de fait vers cette conception de la science dont Castoriadis montre tout l’écart qui la sépare de la psychanalyse.
38Deuxièmement, la perspective cognitivo-comportementaliste traduit une prétention à théoriser le réel psychique en se fondant sur une épistémologie empruntée aux sciences de la nature, dans une perspective que j’ai qualifiée de continuitiste. C’est comme si, du fait de nature au fait social, on avait affaire à des objets de nature identique et qu’un seul et même système de validation avec ses épreuves types s’imposait de manière universelle d’un champ disciplinaire à l’autre, des sciences de la nature aux sciences sociales et humaines. Or, qu’il s’agisse de conditions de l’expérience et de sa reproduction, du statut de l’anomalie ou du caractère prédictif de l’énoncé généralisable, du type d’énoncés proposés (constatatifs ou normatifs), l’écart entre sciences de la nature et sciences humaines est sensible et débouche sur des démarches et des visées fondamentalement différentes : d’une part, le rapport entre l’universel et le singulier ne s’y joue pas du tout de la même façon, le singulier ne pouvant, comme le rappelle Castoriadis, jamais être réduit dans le champ subjectif à une pure exemplarité de l’universel ; d’autre part, l’expérience du monde subjectif modifie la visée des sciences humaines qui n’est « pas seulement de rapporter des faits, de faire observer des régularités » mais « aussi, et de manière inéliminable, de reconstruire du sens80 » là où, selon Castoriadis, la démarche scientifique objectiviste poursuit justement un travail d’évidemment maximal du sens. Portant sur du « sens en action », on peut donc à bon droit considérer que l’effort de théorisation dans le domaine des faits sociaux ou du réel psychique se range nécessairement dans le rang des sciences herméneutiques (ce que confirme très largement l’histoire des sciences humaines), dont les critères de validité ne sont pas les mêmes que ceux qui s’imposent en sciences de la nature. C’est bien dans ce cadre que Castoriadis inscrit la psychanalyse, dès lors qu’il lui confère, comme activité pratico-poiétique, une visée de reconstruction de sens dans une perspective d’élucidation et de transformation mais aussi de théorisation, à distance de la démarche scientifique. C’est aussi bien ce qui est nié par les approches cognitivo-comportementalistes dès lors qu’elles renvoient ce type de démarche du côté du bavardage ou de la religion, mais certainement pas du côté de la démarche scientifique, avec sa quête des lois universelles dépassant le singulier et son souci d’évidemment du sens.
39Troisièmement, l’approche hétéronome privilégiée par ce retour positiviste est loin de favoriser la réflexivité propre au projet démocratique contemporain. La connaissance est clairement l’apanage des experts et la césure entre professionnels et profanes est revendiquée, comme le souligne un auteur du Livre noir qui considère que « si l’on peut comprendre qu’un patient soit réticent, par anxiété ou par méconnaissance, à prendre un médicament nouveau pour lui [...], une telle attitude est vraiment moins acceptable de la part d’un professionnel (Pelisso). Le sujet est ici objet de savoir et on n’imagine pas qu’il puisse « réfléchir » et construire, à partir de lui-même et à distance des cadres de la science, une autre lecture de son symptôme ou de son « trouble ». De même, si la démarche scientifico-clinique ici évoquée n’élimine pas nécessairement toute visée transformative pour le sujet, c’est comme le soulignait Castoriadis, dans une perspective qui n’a rien d’« autonomisante » puisqu’il s’agit de penser la transformation non pas à partir du sujet lui-même et de sa lecture événementielle mais de l’adapter à un projet pré-déterminé de l’extérieur auquel on lui demande de se conformer. Le statut donné au sujet fait surgir ici un enjeu clairement politique, soulignant que, dans le champ des sciences humaines plus immédiatement encore que dans celui des sciences exactes, science et politique sont indissociablement liées, ce que, très régulièrement, ne veulent pas voir les tenants du cognitivo-comportementalisme. Le rapport de l’Inserm en donne un exemple qui, pour être caricatural, n’est pas une anomalie : il illustre bien par l’absurde le gouffre qui sépare deux approches de l’humain mais aussi la question du rapport de la science au politique.
C. L’enjeu politique : vision instrumentale de la science et construction d’un sujet conforme
40En septembre 2005, le service d’expertise collective de l’Inserm publie en France un rapport sur les « troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent81 ». Ce rapport préconise de dépister au plus tôt (dès 36 mois) divers « troubles de conduite » dont « l’héritabilité génétique » n’est pas exclue, laissant augurer, plus tard, l’inscription dans une carrière délinquante de « sujet à risques ». D’inspiration cognitivo-comportementale, l’expertise de l’Inserm propose des tests précoces et des remèdes adaptatifs et ensuite, en cas de maintien des troubles, le recours à des médications diverses dès six ans (médicaments, psychostimulants, thymorégulateurs) au nom d’un argument d’apparent bon sens : pour juguler le risque de parcours en dérive, mieux vaut prévenir et plus tôt l’on prévient, plus on a de chance d’être efficace. Ce rapport soulèvera un tollé dans le champ des praticiens de la santé mentale, mais aussi au-delà, débouchant notamment sur une pétition signée par environ 200 000 personnes inquiètes devant le glissement sécuritaire de la santé mentale qu’incarne cette mise en acte du principe de « prevention through early detection82 ».
41Les critiques que suscitent ce rapport seront de multiples ordres. Outre d’assez incroyables erreurs méthodologiques83, on relèvera le mépris pour le champ professionnel d’une expertise construite par le haut et en total décalage avec le savoir profane des professionnels de terrain ; un regard purement mono-disciplinaire porté par des scientifiques issus d’un même courant, médicalisant des problématiques de santé mentale dont les ressorts sont pourtant également culturels et sociaux84 ; une biologisation du « trouble de conduite » ou du « comportement antisocial » débouchant sur une déviance programmée et une ontologisation potentielle du déviant, selon une logique qui rappelle singulièrement le darwinisme social importé dans le champ de la déviance par C. Lombroso et ses thèses sur le « criminel-né » à la fin du xixe siècle85 ; une réification en miroir assez stupéfiante de concepts – « déviance », « comportement antisocial » – et des normes dont le statut de construction sociale n’est aucunement interrogé, au mépris des apports les plus élémentaires de la sociologie des normes qui en souligne, depuis cinquante ans, l’importance, notamment dans le champ de la déviance ; au mieux un désintérêt, au pire une incitation à l’instrumentalisation d’un discours médical paré des vertus de la science à des fins politiques sécuritaires, dans une association douteuse entre médicalisation et criminalisation, débouchant sur une confusion des rôles et des formes de flicage généralisé à des fins de contrôle et de prévention des risques ; derrière l’idéal du dépistage et le souci de prévention de la déviance, l’enfermement programmé et stigmatisant d’enfants dans un rôle figé, susceptible d’enclencher un processus d’identification au rôle et une entrée effective dans une « carrière délinquante » en lieu et place de l’idéal d’une « prévention prévenante » cherchant à repérer la souffrance psychique qui s’exprime derrière un comportement jugé pathologique86.
42A dire vrai, le tableau est à ce point énorme, faisant l’impasse sur les apports les plus connus et les plus simples des sciences sociales, qu’on pourrait croire à première vue à un canular d’étudiants. Ce n’est pas le cas et la question devient alors de savoir comment les scientifiques de l’Inserm ont pu produire, sans doute en toute bonne foi, un tel opus, sur fond de querelle opposant les approches psychanalytique et cognitivo-comportementaliste dans le champ de la santé mentale. J’y vois trois explications majeures : la première est l’approche purement monodisciplinaire des experts, qui témoigne d’une confusion entre le point de vue médical et le point de vue de santé publique, comme si l’on pouvait traiter les pathologies mentales en dehors de la question du lien social. Or, comme le souligne A. Ehrenberg, en cette matière, « la thérapeutique n’est qu’un aspect d’un problème qui doit être abordé dans une perspective globale parce que s’entremêlent bien souvent des handicaps multiples de pauvreté et de problèmes familiaux87. » Qu’il y ait de multiples facettes interconnectées aux « troubles » dont il est question, que ceux-ci renvoient autant à des facteurs sociaux et institutionnels qu’à des dimensions organiques et psychologiques, c’est ce qui échappe, complètement aux auteurs, enfermés dans les cadres autoréférentiels de la littérature scientifique de leur domaine. Les auteurs considèrent avoir fait œuvre scientifique « en compilant une littérature scientifique internationale, en faisant la synthèse de différentes variables, et en approchant les problèmes dans une perspective multifactorielle (environnement, gènes, mécanismes neurobiologiques, etc.)88 », sans tenir aucun compte des contextes institutionnels et sociaux qui donnent sens au phénomène observé. Le « fait social » est ici réduit à un fait biologique ou fait de nature qui peut se traiter sur le modèle du laboratoire, « à environnement stable et constant », comme si toutes les variables environnementales étaient neutralisées et que l’on pouvait répondre à la souffrance et la maladie en dehors du lien social89. Même les partisans de la défense sociale à la fin du xixe siècle n’avaient pas fait aussi fort, réintroduisant rapidement aux côtés du déterminisme biologique lombrosien l’importance des déterminants sociaux dans le parcours menant à la déviance...
43La deuxième explication renvoie au paradigme scientifique mobilisé, qui s’inscrit clairement dans la perspective continuitiste évoquée plus haut. Quelle vision de la démarche scientifique déploie-t-on ici sinon celle qui, à l’instar de ce qui se déploie dans Le Livre noir de la psychanalyse, donne l’ambition à la science de poser un regard neutre et objectif sur le réel observé, à l’écart de tout jugement de valeurs, dans la plus pure tradition positiviste, telle que la décrit Castoriadis ? De là, note A. Ehrenberg, l’étonnement des scientifiques de l’Inserm devant la réaction que suscite leur rapport, eux qui considèrent simplement avoir fait leur travail de contribution scientifique objective, à l’écart de toute considération politique, sans réaliser qu’« à partir du moment où la science intervient sur les questions de société, elle se trouve automatiquement prise dans les conflits que ces questions occasionnent toujours90 », parce qu’il s’agit de faits sociaux qui sont aussi nécessairement des « faits de valeurs » ou porteurs de sens. On ne peut d’ailleurs qu’être surpris que ce fait fondamental échappe à des chercheurs qui posent eux-mêmes leur objet d’étude (les troubles de conduite) en rapport avec l’atteinte aux normes sociales, « fait de valeurs » s’il en est. Cet objectivisme forcéné, dans un champ où il est structurellement intenable, peut alors déboucher sur une vision purement instrumentale de la science conçue comme outil de savoir technique, mis au service d’actions dont la finalité ou le sens n’a pas à être interrogé : ce serait en effet réintroduire dans la démarche scientifique un subjectivisme que toute la tradition scientiste du cognitivo-comportementalisme tend précisément à mettre à distance. C’est ce que soulignait déjà G. Ganguilhem, dans un texte très dur mais singulièrement prémonitoire, datant de 1958 :
« Ce qui caractérise, selon nous, cette psychologie des comportements, par rapport aux autres types d’études psychologiques, c’est son incapacité constitutionnelle à saisir et à exhiber dans la clarté son projet instaurateur... Ces psychologues oublient totalement de situer leur comportement spécifique par rapport aux circonstances historiques et aux milieux sociaux dans lesquels ils sont amenés à proposer leurs méthodes techniques et à faire accepter leurs services. Le psychologue ne veut être qu’un instrument, sans chercher à savoir de qui ou de quoi il sera l’instrument... Le psychologue contemporain est, le plus souvent, un praticien professionnel dont la " science" est tout entière inspirée par la recherche de " lois" de l’adaptation à un milieu sociotechnique91. »
44La troisième explication est sans doute que nos sociétés sont dominées aujourd’hui de manière croissante par une rationalité instrumentale qui, dans le champ des pathologies et des déviances, tend à disqualifier la question du sens au profit d’un fonctionnalisme de contrôle, ce qui encourage le développement d’une science technicienne, mandatée surtout pour assurer le bon fonctionnement du système, la gestion efficace des populations et l’adaptation des individus aux cadres du projet social. Ce que le sociologue anglais D. Garland appelle la « culture du contrôle92 » pour caractériser l’époque contemporaine n’a pas pour corollaire la promotion d’un sujet réflexif et autonome au sens où l’entend Castoriadis, mais bien un sujet « d’allégeance93 », adapté et conforme aux normativités sociales et techniques découpées par les besoins du capitalisme post-industriel et ses impératifs consommatoires. Le sujet naturel ou neuronal de la science, caractérisé par des troubles et des dysfonctionnements que l’on peut corriger ou redresser, est plus conforme à ce projet utilitariste. Comme le soulignait encore G. Guanguilhem, la neutralité axiologique de la démarche scientifique, dans un contexte social que l’on ne veut pas interroger, aurait plutôt tendance à orienter science et sujet vers « la préfecture de police94 ». A cet égard, le sujet réflexif, « parlant » et « actant » défendu au nom de la psychanalyse par Castoriadis, ferait plutôt office de contre-feux.
Notes de bas de page
1 Voyez par exemple, A. Sokal, J. Bricmont, Impostures intellectuelles, Paris, O. Jacob, 1997.
2 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », dans Les carrefours du labyrinthe, I, Paris, 1978, p. 33-80. Idem, « La psychanalyse, projet et élucidation. "Destin" de l'analyse et responsabilité des analystes », dans Les carrefours du labyrinthe, I, Paris, Seuil, 1978, p. 81-157. Id., « L'état du sujet aujourd'hui », dans Le monde morcelé. Les carrefours du labyrinthe-3, Paris, Seuil, 1990, p. 233-280 ; Id., « Freud, la société, l'histoire », dans La montée de l'insignifiance. Les carrefours du labyrinthe, IV, Paris, Seuil, 1996, p. 140-155 ; Id., « Psychanalyse et politique », dans Le monde morcelé. Les carrefours du labyrinthe, III, Paris, Seuil, 1990, p. 173-190.
3 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit., p. 33-34.
4 Ibidem, p. 34.
5 S. Freud, Abriss, G.W., XVII, p. 67, cité in Ibid., p. 34
6 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 35.
7 Ibidem, p. 36.
8 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 54.
9 Ibidem, p. 42.
10 Ibid., p. 42.
11 Ibid., p. 37
12 Ibid., p. 37.
13 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 42.
14 Ibidem, p. 39.
15 Ibid., p. 40.
16 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 54.
17 Ibidem, p. 54.
18 Cité in ibid., p. 47, note 11.
19 Ibid., p. 40.
20 M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966.
21 C. Castoriadis, Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science, op. cit., p. 42.
22 Ibidem, p. 43.
23 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 43.
24 Ibidem, p. 44.
25 Ibid., p. 46.
26 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 48.
27 Ibidem, p. 47.
28 Ibid., p. 46.
29 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 71.
30 Ibidem, p. 72.
31 Ibid., p. 48.
32 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 64.
33 Ibidem, p. 70.
34 Ibid., p. 70.
35 Ibid., p. 48.
36 Ibid., p. 48-49.
37 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 52.
38 Ibidem, p. 53.
39 Interview de C. Fierens, inédit, à propos de son livre Logique de l’inconscient, Bruxelles, De Boeck, 1999.
40 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 56.
41 Ibidem, p. 55.
42 Ibid., p. 56.
43 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 59.
44 S. Klimmis, Notes pour le séminaire FUSL « Castoriadis et la psychanalyse », 2005, inédit.
45 C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit., p. 75.
46 C. Castoriadis, La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, op. cit., p. 98.
47 Freud cité in C. Castoriadis, « Épilégomènes à une théorie de l'âme qu'on a pu présenter comme science », op. cit. p. 47, note 11.
48 Ibidem, p. 53.
49 C. Castoriadis, La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, p. 83.
50 Ibid., p. 95, note 11.
51 C. Castoriadis, La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, op. cit., p. 92.
52 Castoriadis évoque ici « les dispositifs qui, dans cette École, fonctionnent afin que l’asservissement au personnage réel de Lacan soit inlassablement cimenté, que le seul « lien » possible reste celui de la « maîtrise » – à savoir de la domination et de la manipulation » ou de souligner que « dans ces conditions, toute attitude critique à l’égard des « théories » de Lacan devient, dans la grande majorité des cas, mentalement et psychiquement impossible » (La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, op. cit., p. 94). Et de dénoncer encore l’imitation des « tics les plus comiques de parole et d’écriture de Lacan », cette « singerie qui n’est qu’une reprise de la langue de bois imposée par les partis staliniens et maoïstes » (ibidem, p. 102).
53 Ibid., p. 93, 131-132, 135.
54 Ibid., p. 92.
55 C. Castoriadis, La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, op. cit., p. 134.
56 Ibidem, p. 81.
57 C. Castoriadis, L’état du sujet aujourd’hui, op. cit.
58 Idem, La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, p. 99-100.
59 Ibidem, p. 99. Voyez aussi J. Florence, « Remarques psychanalytiques sur l’imaginaire chez Castoriadis », dans S. Klimis, L. Van Eynde (dir.), L’imaginaire selon Castoriadis. Thèmes et enjeux, Bruxelles, Publications des Fusl, 2006, p. 111-117.
60 C. Castoriadis, La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, op. cit., p. 100.
61 Ibidem, p. 101.
62 C. Castoriadis, La psychanalyse, projet et élucidation, « Destin » de l’analyse et responsabilité des analystes, op. cit., p. 100.
63 Idem, L’État du sujet aujourd’hui, op. cit., p. 241.
64 Id., La crise du processus identificatoire, op. cit., p. 132.
65 Ibidem, p. 131-133.
66 C. Castoriadis, La crise du processus identificatoire, op. cit., p. 137.
67 Idem, Psychanalyse et politique, op. cit., p. 174.
68 C. Castoriadis, Psychanalyse et politique, op. cit., p. 183.
69 Ibidem, p. 189.
70 C. Castoriadis, Psychanalyse et politique, op. cit., p. 183.
71 Ibidem, p. 184.
72 Ibid., p. 177.
73 Ibid., p. 178.
74 Ibid., p. 188.
75 Ibid., p. 182.
76 C. Castoriadis, Psychanalyse et politique, op. cit., p. 183.
77 Ibidem, p. 175.
78 C. Meyer (dir.), Le livre noir de la psychanalyse. Vivre, penser et aller mieux sans Freud, Paris, Ed. des Arènes, 2005.
79 Y. Cartuyvels, « Le livre noir de la psychanalyse : guerre des psy ou enjeu de société ? » in Psychologie clinique, 2005, no 20, p. 217-233.
80 J.L. Genard, « A propos des "impostures intellectuelles" », Cahiers marxistes, juin-juillet 1999, no 212, p. 57.
81 Le trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent, Paris, Editions de l’Inserm, 2005.
82 Appel en réponse à l’expertise de l’Inserm, dans Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans, Toulouse, Erès, 2006, p. 13-16.
83 Voyez L. Muccielli, « Analyse de la délinquance et conception de la personne humaine. Ce que révèle en creux le rapport de l’Inserm, dans Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans », op. cit., p. 171-185.
84 Voyez, e.a. A. Ehrenberg, « Malaise dans l’évaluation de la santé mentale », Esprit, mai 2006, p. 89-103.
85 Voyez Y. Cartuyvels, « Star Academy : un (non) objet pour la criminologie », in Y. Cartuyvels (dir.), Star Academy : un objet pour les sciences humaines ?, Bruxelles, Publications des FUSL, 2004, p. 91-118.
86 Voyez les différentes contributions dans Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans, op. cit.
87 A. Ehrenberg, op. cit., p. 101.
88 Ibidem, p. 92.
89 Ibid., p. 97.
90 A. Ehrenberg, op. cit., p. 92.
91 G. Ganguilhem, « Psychologie », dans Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1968, p. 379.
92 D. Garland, The Culture of Control, Crime and Social Order in Contemporary Society, Chicago, The University Chicago Press, 2001, p. 167-192.
93 D. Kaminski, Un nouveau sujet de droit pénal ? dans F. Digneffe, Th. Moreau (dir.), La responsabilité et la responsabilisation dans la justice pénale, Bruxelles, De Boeck, 2006, p. 323-342.
94 G. Ganguilhem, « Psychologie », dans Études d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, Vrin, 1968, p. 379.
Auteur
Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis
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