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Avant-propos

p. 7-11


Texte intégral

1« Commencement de la Bonne Nouvelle concernant Jésus Christ, Fils de Dieu ». Telle est la formule à laquelle Marc recourt pour inaugurer et résumer à la fois son Evangile, au terme duquel le centurion lui fera écho en confessant devant la croix : « oui, cet homme était vraiment le Fils de Dieu ». Cette même formule, privilégiée par la tradition, mais non exclusive d’autres titres, pour tenter d’exprimer indissolublement l’identité singulière et le rôle salvifique de Jésus de Nazareth, a été choisie ici pour intituler et polariser un effort de réflexion christologique qui tienne compte en toute loyauté des modalités actuelles de la question.

2On sait combien, depuis les Lumières, mais surtout depuis le XXe siècle, l’évolution des idées — en philosophie, en exégèse, en théologie et celle de l’histoire, ont modifié aussi bien la manière de poser le problème de Dieu que la façon de s’interroger sur Jésus et sur la foi en sa divinité. L’inévidence de Dieu, la critique de la métaphysique classique, la promotion de l’homme ou son autonomie, la mise en oeuvre de la méthode historico-critique dans l’étude des textes bibliques et dogmatiques ont ébranlés l’harmonie non suspectée de la foi en Dieu et en Christ, et de ses sources, Ecriture et Tradition.

3Il en a résulté pour la christologie l’obligation impérative d'une « reprise « lucide de ses affirmations fondamentales, dans le respect fidèle de la Tradition mais dans l’attention ouverte aux requêtes de la conscience contemporaine. De nombreux essais, les uns plus heureux, les autres, moins, ont cherché et continuent de chercher, souvent avec courage, à répondre à ce défi. Tout récemment, des tentatives importantes, applaudies par les uns et contestées par d’autres, ont provoqué des tensions douloureuses au sein de l’Eglise, notamment entre le magistère romain et certains théologiens, manifestant une fois de plus l’extrême difficulté de l’entreprise pourtant indispensable d’une refonte de la christologie.

4Entre la simple répétition littérale des formulations héritées du passé, et l’innovation arbitraire et facilement réductrice, sans doute convient-il de prendre la voie équilibrée d’une reprise herméneutique, qui ne rejette rien, mais repense et traduise en termes nouveaux le langage traditionnel de la foi, tout en se sachant, dans la claire conscience de son historicité, partielle, provisoire, relative. C’est en ce sens, et dans ce contexte difficile et quelque peu tendu, que le travail collectif que l’on va lire, s’inscrit modestement et aussi sereinement que possible.

5Il a fait, en 1979, l'objet d’une session théologique organisée par l’Ecole des sciences philosophiques et religieuses des Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles. L’intérêt qu’il a suscité nous a incité à le publier tel quel en y joignant les éléments principaux de la discusion publique qui a suivi les exposés.

6Nous croyons qu’il peut rendre quelque service à ceux qui veulent réfléchir sur leur foi pour tenter de la mieux comprendre en hommes et femmes de ce temps.

7Sans doute, ne faut-il pas y chercher une christologie contemporaine élaborée, qui puisse entrer en comparaison avec celles que plusieurs théologiens allemands, néerlandais ou français nous proposent. Il ne s’agit que de quelques esquisses, situant les questions, traçant des orientations, mais qui ont l’avantage par là d’ouvrir plutôt que de fermer des perspectives, et aussi celui d’être multiples, différentes, et, on l’espère, complémentaires, puisqu’elles représentent des disciplines diverses et bien spécifiées : exégèse, psychologie de la religion, philosophie et théologie.

8L’ensemble est introduit par une contribution de Mgr A. Dondeyne, philosophe et théologien, dont on connaît le souci et le talent de vraiment faire se rencontrer foi et pensée contemporaine. Il y analyse avec simplicité et liberté les facteurs de ce qu’il ne faut pas redouter d’appeler le malaise christologique actuel. Il en résulte non seulement une décrispation du problème et une saine relativisation de certains de ses éléments, mais aussi la mise en évidence des enjeux essentiels de la question et déjà un apport positif à la solution, qui consiste surtout dans la manière d’assumer la question et dans l’indication des tâches qui sont à remplir par la théologie d’aujourd’hui.

9Celle de l’exégèse, en particulier, est capitale, compte tenu de la distance qui s’est creusée, notamment avec Bultmann, entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi. M. J. Mouson offre ici une synthèse d’une exceptionnelle qualité qui, sans entrer dans le détail infini des recherches exégétiques en christologie, retrace avec clarté, vigueur et équilibre, les trois étapes principales de la genèse de la foi christologique telles qu’elles apparaissent à partir d’une lecture, à la fois critique et respectueuse, des textes du Nouveau Testament : christologie « implicite » du Jésus pré-pascal, christologie pascale, essentiellement sotériologique, et christologie(s) plus tardive(s) du « Fils de Dieu ». Saisir la continuité dans la discontinuité, et la discontinuité dans la continuité, de ce développement, c’est la tâche la plus subtile de l’exégète. M. Mouson nous propose son interprétation nuancée qui n’est pas sans conséquences pour la théologie comme pour la pratique pastorale et catéchétique.

10Prenant le relais de l’exégète, en se fondant sur les données qu’il nous apporte sur Jésus de Nazareth, en sa réalité historique pré-pascale, le psychologue de la religion, M. A. Vergote, repose d'une manière tout à fait inédite la traditionnelle question de la psychologie du Christ, en examinant la personnalité singulière de Jésus à la lumière des catégories fondamentales de la psychologie religieuse : désir et culpabilité, notamment. Le résultat est, en apparence, négatif : aucune de ces catégories qui traduisent la structure psychologique de l’homme religieux (pas plus que celle d’expérience) ne permet de rendre compte de la personnalité de Jésus, qui révèle, au contraire, à leur contact, tout ce qu'elle recèle de paradoxal. Non qu’il s’agisse, bien sûr, d’une déviance pathologique, mais, au contraire, d’une personnalité religieuse éminente, unique, dont la relation avec Dieu apparaît d’une intimité absolument exceptionnelle, notamment dans la surprenante coïncidence, dans sa parole, de l’énoncé avec le sujet de l’énonciation. L’énigme sur laquelle nous laisse le psychologue de la religion apparaît grosse d’effets théologiques, notamment en ce qui concerne l’opposition devenue habituelle entre christologie descendante et christologie ascendante.

11Le philosopheΜ. M. Renaud déplace la question, de l’Ecriture aux formulations christologiques telles qu’elles ont été fixées par les grands conciles, et s’interroge sur la manière dont la foi doit les recevoir pour répondre réellement à leur statut linguistique.

12Souvent, une sorte de télescopage historique absolutise spontanément les expressions dogmatiques de la foi. Si l’on reprend conscience de leur historicité irréductible, se pose inévitablement la difficile question du rapport entre histoire et absolu. Des trois façons « classiques » (objectivisme, subjectivisme, idéalisme absolu) d’affronter ce problème et de leurs homologues théologiques, et qui se retrouvent en christologie par exemple dans l’interprétation de la résurrection, aucune n’est satisfaisante, surtout par la troisième, qui, avec Hegel, s’installe au cœur du savoir absolu. Le grand risque de la foi, tant au niveau de la spéculation théologique que de l’exercice de l’autorité doctrinale et pastorale, est de se muer en substitut du savoir absolu. Mais c’est oublier que le langage religieux est par essence symbolique, même quand il fait usage de concepts, et qu’il n’est donc jamais que visée relative d’une réalité qui échappe à toute maîtrise. Préciser cette relativité constitutive, c’est la condition épistémologique minimale d’une théologie et donc d’une christologie qui respecte la finitude radicale de l’homme.

13Quant au théologienΜ. A. Gesché —, il situe d’abord le statut spécifique de l'affirmation de foi christologique et la mission de la théologie par rapport à la philosophie et aux sciences humaines, qui est de manifester la vérité théorique et pratique ou la rationalité propre à cette affirmation. Ensuite, il esquisse une typologie des affirmations christologiques. Enfin, à propos de la confession « Jésus Fils de Dieu », il réfléchit sur les implications résultant du fait qu’elle n’est pas exclusive, mais au contraire complémentaire, de multiples autres confessions et titres christologiques, et que n’attribuant pas simpliciter la divinité à Jésus, elle exprime ipso facto en Dieu une différence. L’affirmation christologique apparaît ainsi comme le centre d’articulation d’une foi qui porte simultanément sur la Trinité, sur l’homme en tant qu’introduit par grâce dans la filiation divine, et sur la création, comme réalisée dans le Verbe. Dans cette perspective, les problèmes classiques (délai de reconnaissance de la divinité de Jésus ; incompatibilité de Dieu et de l’homme ; opposition entre l’Absolu et la contingence) changent de portée et se transforment d’objections en possibilités nouvelles de sens pour la foi.

14Quelles sont les lignes de force qui se dégagent de ces cinq essais ? On tente d’en donner ici même, à la fin du volume, en tête de la discussion, une première évaluation. Il est clair que, dans et par sa différence, chacun apporte sa pierre à une tentative commune de compréhension, dans la foi, du mystère du Christ ; chacun fait directement ou indirectement oeuvre de théologien. Mais c’est à chaque lecteur de prolonger ce qui n’est ici on en est bien conscient qu’à peine amorcé, et de se servir de ce petit livre pour orienter sa réflexion et son travail personnels.

15Sur un sujet pareil, tout livre, si épais, si élaboré qu’il soit, ne sera jamais qu'un essai insuffisant ut palea, dirait saint Thomas. Cette insuffisance radicale et inévitable excuse, peut-être, pour ne pas dire, justifie ceux qui prennent le risque de publier un recueil d’essais aussi consciemment inchoatif, dans l’espoir de participer, même très modestement, à l’effort christologique contemporain, et de libérer positivement la réflexion et la foi de ceux qui le liront.

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