Avant-propos
p. 7-10
Texte intégral
1L’objectif de ce livre s’inscrit dans l’horizon d’une réflexion sur les fondements de l’éthique chrétienne. Il est né d’un étonnement et d’un désir.
2L’étonnement provenait de la constatation d’une contradiction. D’une part, l’idée de loi (et tout ce qui lui est associé : obligation, contrainte, commandement, sanction, etc.) est violemment rejetée par la sensibilité morale contemporaine comme dans les réflexions plus théoriques sur l’agir, aussi bien dans les milieux croyants que non-croyants : on propose des morales de liberté par opposition à des morales de contrainte ; on veut dissocier au maximum la sphère morale de la sphère juridique ; on veut discréditer absolument la notion de loi de nature ; on oppose sans nuances l’Evangile de la liberté des enfants de Dieu à la Loi servile de l’Ancien Testament, etc... D’autre part, le concept de loi (dans des sens, il faut le reconnaître, assez multiples et parfois flous) joue un rôle opératoire central dans diverses sciences humaines qui se trouvent à la pointe de la culture contemporaine, comme, par exemple, la psychanalyse, l’anthropologie culturelle, la sociologie, la linguistique, la sémiologie, l’économie, pour ne rien dire bien entendu du droit lui-même...
3Le désir était, par conséquent, de réagir à cette allergie sommaire à la loi dans l’éthique (qui peut sans doute se comprendre, sinon se justifier, par opposition à un règne sans mesure de la loi dans une morale juridique et extrinsèque, dont on s’est heureusement libéré), en écoutant ce que peuvent nous apprendre de positif sur la loi et sur son fonctionnement, comme condition sine qua non de structuration d’un champ de phénomènes ou de comportements humains, les différentes sciences auxquelles on vient de faire allusion.
4De cette manière, on espérait apporter quelques éléments utiles au débat éthique contemporain, souvent si confus et si faussé par la passion et la polémique. Non pas en affrontant directement les problèmes moraux concrets qui interpellent la conscience des hommes d’aujourd’hui, chrétiens ou non-chrétiens, mais en situant mieux, au niveau de la morale fondamentale, un des principes essentiels de l’agir humain, que la tendance spontanée de notre époque est de négliger sinon d’exclure au risque de compromettre ce qu’il a de proprement humain et étique. On rejoindrait ainsi certaines orientations que prend la philosophie la plus actuelle dans une inspiration à la fois kantienne et biblique. Ces notions de base une fois réajustées, peut-être pourrait-on s’attaquer, avec de meilleures chances de pertinence, d’équilibre et de sérénité, aux problèmes concrets (justice sociale, morale sexuelle et familiale, morale internationale, morale médicale, peine de mort...), dans leur redoutable complexité. Bien entendu, il ne s’agit en aucune manière de prôner un retour sommaire à je ne sais quelle tyrannie de la Loi, par une sorte de réflexe de défense devant le laxisme et la permissivité ambiants...
5Ce projet — bien ambitieux — a donné lieu à une session théologique pluridisciplinaire, organisée par l’Ecole des sciences philosophiques et religieuses, aux Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles, durant l’hiver 1980. Sept personnes y ont collaboré : un philosophe, un juriste, un sociologue, deux exégètes (Ancien et Nouveau Testaments), un psychanalyste et un théologien. Chacun, dans les limites de sa discipline, s’est efforcé d’indiquer comment jouaient ou fonctionnaient le concept et la réalité désignés dans son champ par le terme de loi ou de norme : la loi éthique, métaphysique et politique pour le philosophe ; la loi juridique et ses fondements supposés, pour le juriste ; la norme sociale et ses fluctuations, pour le sociologue ; la Loi révélée d’Israël, pour l’exégète de l’Ancien Testament ; la « Loi » du Christ comme « accomplissement » (dans les deux sens du mot) de la précédente, pour l’exégète du Nouveau Testament ; la Loi que constituent l’ordre symbolique et la fonction paternelle aux yeux du psychanalyste ; la loi éthique et la loi juridique canonique ou civile telles qu’elles se présentent dans la perspective du théologien.
6Ce sont ces exposés, légèrement remaniés dans certains cas, que l’on propose au lecteur de ce volume. Sans doute la distance reste-telle assez grande entre les sept chapitres qui le composent et le titre qui les réunit et qui marque plus une orientation qu’un résultat effectif. Bien qu’amorcée, surtout dans le chapitre théologique, mais aussi, de manière plus ou moins explicite, dans les autres, la réflexion directe sur l’éthique chrétienne et la place que peut et doit jouer la Loi à son fondement, est loin d’y être pleinement déployée. Cela tient, en partie, à l’option pluridisciplinaire qui a été adoptée, et qui s’impose probablement dans une première étape, avant de pouvoir instituer une réflexion proprement interdisciplinaire ; en partie aussi à la difficulté et à la complexité du problème lui-même.
7Certains résultats d’ensemble paraissent, cependant, pouvoir déjà se dégager des sept études que réunit cet ouvrage. L’itinéraire ainsi parcouru conduit au moins à une double constatation. La diversité manifeste des contributions traduit autre chose qu’une insuffisante coordination : la diversité inhérente au thème étudié lui-même. Le polycentrisme de l’approche est le reflet de la plurivocité insurmontable de la Loi elle-même. C’est une invitation à respecter l’autonomie des régions distinctes où elle opère et à refuser toute subordination trop directe à l’une d’entre elles (par exemple l’éthique), des autres. Mais cette plurivocité ne signifie ni équivocité, ni cloisonnement étanche des significations. Reconnue et respectée, la diversité rend au contraire possibles l'articulation correcte et la saisie d’une cohérence réelle : celle, pourrait-on dire, de l’unité analogique du concept de Loi. Par delà les lois plurielles, se dégage l’idée de la Loi au singulier et avec majuscule. Entité ou instance énigmatique que notre imaginaire a certes tendance à réifier, mais qui semble pourtant autre chose qu'un simple artifice du langage : une fonction, une référence obligée, bien qu’insaisissable en elle-même, pour que le sujet psychologique, social, politique, éthique, religieux, puisse advenir à soi et vivre. Par delà l’opposition simple de l’autonomie et de l’hétéronomie, la Loi désignerait une hétéronomie interne, constitutive de l’autonomie, ne nous assujettissant que pour faire de nous vraiment des sujets libres. Dans l’éthique chrétienne, les diverses expressions de cette instance (Loi juive, « Loi » du Christ, loi naturelle, loi canonique, loi civile, loi du désir), exercent leur fonction à des niveaux différents et selon des modalités diverses, de façon positive, encore que non absolument première, et toujours marquée aussi de négativité. Finalement, loi et croix sont peut-être à penser ensemble dans leur énigme et leur relation commune à la volonté du Père.
8Une telle reprise de conscience de la fonction positive de la Loi ne permettrait-elle pas d’aborder de manière plus appropriée et plus féconde les problèmes éthiques et juridiques concrets qui préoccupent aujourd’hui la conscience chrétienne ? C’est là l’ouverture d’un chantier énorme au seuil duquel ce volume a seulement voulu conduire.
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La loi dans l’éthique chrétienne
Ce livre est cité par
- Lhuilier, Gilles. (1993) Le « paradigme » de l'entreprise dans le discours des juristes. Annales. Histoire, Sciences Sociales, 48. DOI: 10.3406/ahess.1993.279136
La loi dans l’éthique chrétienne
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