Avant-propos
p. VII-XI
Texte intégral
1La dimension pastorale du thème de ce livre est aussi évidente que préoccupante. Depuis des siècles, le baptême des petits enfants s’est généralisé dans les pays de tradition chrétienne, mais l’évolution de l’Église et de la société suscite aujourd’hui un profond malaise à ce sujet. Chacun l’éprouve jusque dans sa vie familiale la plus proche.
2Aussi, actuellement, les publications sur le baptême se multiplient, effets de et réponses à cette situation difficile. L’intérêt propre, et en tout cas le vœu, de ce petit livre, qui s’ajoute à cet abondant dossier toujours ouvert, et qui réunit les contributions présentées en 1982 à une session théologique organisée à l’École des sciences philosophiques et religieuses des Facultés Saint-Louis (Bruxelles), est de situer la question pastorale dans une perspective théologique d'ensemble.
3Pour répondre en profondeur au problème pastoral, une réflexion théologique est, en effet, indispensable, qui sache retrouver et déployer les significations de base des réalités chrétiennes que l’action pastorale a pour but de communiquer au monde d’aujourd’hui.
4Ces significations sont, du reste, dans le cas du baptême, dès l'origine, celle d’une pratique qui naît avec les premières communautés chrétiennes et se développe et se transforme au cours de la vie de l’Église. Pratique et doctrine sont donc indissociables et interdépendantes à l’origine comme dans le présent. Elles doivent le rester. La théologie sacramentaire a précisément ce privilège d’avoir pour objets de réflexion ces actes concrets, mais chargés de sens doctrinal, que sont les sacrements : symboles, dans tous les sens que ce mot peut prendre, c’est-à-dire expression du symbole de la foi, signes sensibles d’une réalité non sensible, gestes qui scellent un pacte social nouveau et qui instituent l’individu en le situant dans un ordre de relations nouvelles. Tout cela, le baptême l'est d’une manière exceptionnelle, parce qu’il est l’acte initial qui introduit dans la vie chrétienne, qui confère le statut nouveau qui résulte de l’appartenance au Christ. Tout y est donné d’une certaine façon, mais comme un germe à développer. Et c’est pourquoi il convient aussi de ne pas se limiter à la considération du baptême pour lui-même, et des modalités de sa célébration, mais de prendre conscience de ses implications et de son actualité permanente dans la vie du baptisé.
5Il fallait donc tenter de joindre organiquement analyse sociologique pastorale et réflexion théologique et spirituelle. Le parcours que retracent ces pages s’y emploie.
6Dans ce parcours, il était indispensable de commencer par une analyse lucide de la situation actuelle de la pratique baptismale dans notre pays. M.A. Houssiau nous l’a proposée à partir de résultats d’enquêtes sociologiques précises. On vient de l’indiquer : la théologie sacramentaire est une théologie pratique. Mais la pratique recouvre une réalité complexe et ambiguë : elle peut désigner la pratique liturgique, chargée de la signification que lui donnent les textes, les ministres, la tradition ; elle peut désigner aussi la pratique effective et les motivations réelles de ceux qui demandent le sacrement. Or, surtout, dans une situation comme la nôtre, de pédobaptisme généralisé dans une société qui n’est plus celle de la chrétienté, pratique effective et pratique liturgique ne coïncident plus, donnant au contraire des signes de grave distorsion. C'est ce décalage ou ce porte-à-faux qu'une théologie du baptême doit commencer par reconnaître et évaluer pour aboutir à une pastorale consciente et fondée.
7Comment surmonter ces ambiguïtés, ces distorsions, ces malentendus ? Comment évaluer correctement cette situation du point de vue théologique et pastoral ? Comment faire mieux se rejoindre pratique effective et signification authentique du baptême ? Tels sont les problèmes délicats auxquels nous confrontent l’analyse sociologique et psychologique comme l’expérience pastorale ordinaire.
8Ces questions dessinent une problématique que les contributions suivantes peuvent aider à élucider.
9Sur la base de ce premier examen, on perçoit, aussitôt l’intérêt qu’il y a à s’interroger sur la signification des rites d’initiation, qui jouent un rôle si important dans les religions non chrétiennes. Quelle est leur fonction ? Quel éclairage peuvent-ils éventuellement jeter sur le baptême tel qu’il est vécu dans la conscience populaire, mais aussi tel qu’il est compris dans la tradition chrétienne ?
10C’est pour répondre à ces questions que l’on a fait appel à un historien des religions, M. J. Ries. Ce détour permettra sans doute de mesurer mieux la signification anthropologique du baptême et son enracinement dans les structures symboliques de l’individu et de la société. Mais aussi son originalité. M. Ries définit d'abord sa perspective propre en histoire des religions par comparaison avec d’autres types d’approche (strictement historiques et documentaires, sociologiques ou psychologiques, ou encore structuralistes) : ses travaux s’inscrivent dans la ligne d'une phénoménologie des religions et d’une herméneutique des symboles.
11C’est dans cet horizon qu’il situe ce que l’on appelle les rites d'initiation. Dans leur grande diversité, ils visent tous à une même fin : faire exister, produire, créer un état ou un être nouveaux par référence à une origine méta-historique que contribue à rendre active la narration d’un mythe.
12Les racines anthropologiques du rite baptismal ne rendent certes pas compte de toute sa signification, loin de là, mais elles en font partie intégrante, et elles peuvent contribuer à expliquer la force et la permanence de la demande du baptême dans une société déchristianisée, tout comme l’ambiguïté profonde de cette demande1.
13Mais la signification propre du baptême doit être cherchée et fondée dans ses origines proprement chrétiennes. Le recours à l’exégète s'impose ici. Comme le rappelle M. J. Giblet, le Nouveau Testament nous parle à maintes reprises du baptême, comme allant de soi dans la vie des premières communautés. Il ne fait nulle part une réflexion systématique à son sujet. Comme l’affirmation christologique fondamentale et solidaire d’elle, le baptême semble lié à la couche la plus archaïque de la tradition ecclésiale. Certaines pratiques juives (ablutions et purifications prescrites dans la Loi, bains qumraniens, baptême des prosélytes ?, baptême de conversion de Jean-Baptiste, surtout) ont sans doute joué un rôle dans son apparition. Pour l’historien, il semble peu probable que le Christ lui-même ait, durant son ministère, donné le baptême. C’est, avant tout, la référence à l’événement pascal et à la conscience de ses effets pour les croyants, qui suscite, dans les premières Églises, le baptême comme rite d’agrégation à la communauté chrétienne. Parmi d’autres, deux lieux majeurs du Nouveau Testament, qui en expriment le sens, sont ici spécialement étudiés, le livre des Actes des Apôtres et le corpus paulinien (surtout Rom. 6, 1). Une note sur la question du baptême des petits enfants en référence au Nouveau Testament complète ce dossier exégétique.
14Le Nouveau Testament ne dit, bien entendu, pas tout sur une pratique qui est inséparable de l’histoire vivante qui a mené l’Église jusqu’à nos jours. L’Écriture est la base fondamentale. Mais, si le baptême est la foi au Christ s’exprimant dans une pratique liturgique liée à la vie de la communauté chrétienne, à son évolution, à ses modalités d’insertion dans la société et le monde, alors l’étude de la tradition ecclésiale, au sens le plus actif du mot, doit nous apporter beaucoup, elle aussi, pour notre compréhension et notre pratique actuelle du baptême. Quelque chose se crée, s'invente sans cesse au fil de la vie de l'Église, dans la fidélité mais en fonction de l’histoire, de l’expérience, sous la mouvance de l’Esprit. Étape indispensable donc qu’une enquête, non pas historique au sens simplement documentaire, mais réfléchie et réflexive, sur les surprises et les initiatives d’une histoire qui doit faire face à des situations inédites, découvrir des solutions nouvelles à des problèmes nouveaux, en gardant et approfondissant ce qui lui est confié. C’est ce que nous a montré M.A. Houssiau, cette fois comme historien de la théologie et de la tradition, en soulignant les axes majeurs de cette évolution, de l’Antiquité chrétienne à la Contreréforme et même au-delà jusqu’au mouvement œcuménique.
15Le « détour » par l’histoire des religions, par l’exégèse du Nouveau Testament, par la tradition vivante de l’Église, nous permet de revenir sans risque de mauvaise immédiateté, mais au contraire pourvus de la distance et des repères nécessaires, aux problèmes présents et à la réalité actuelle du baptême. Il a semblé qu'il fallait ici fixer l’attention sur deux dimensions, toutes deux essentielles et d’ailleurs complémentaires, de cette réalité, et qu’il était, pour cette raison, souhaitable de demander à la même personne, Μ. P. De Clerck, de les traiter : d’une part, la réalité permanente et dynamique du baptême dans la vie du baptisé, et les formes qu’elle doit prendre si le baptême est vraiment l’entrée dans une vie nouvelle ; d’autre part, les problèmes complexes que pose aujourd’hui dans le contexte sociologique précédemment évoqué, la pastorale du baptême.
16Sur le premier point, une synthèse théologique est offerte qui montre dans le baptême la source vive de l'existence chrétienne dans ses articulations essentielles.
17Sur le second point, un bilan de l’évolution du Magistère, de la théologie et de la pastorale est dressé, qui ne masque pas les heurts et les tâtonnements et qui replace la question dans l'horizon des mutations culturelles qui traversent notre société et l’Église avec elle.
18Cette situation pastorale actuelle rend impossibles des consignes simplistes. La légitimité du baptême des enfants n’est certes pas à mettre en cause en soi sur le plan théologique, et même pastoral, à condition que les garanties minimales de croissance chrétienne de l’enfant soient données. Mais c’est précisément cela qu’il est difficile d’apprécier dans une société où la foi ne va plus de soi et où cependant le besoin du sacré demeure vivant dans son ambiguïté profonde par rapport aux significations proprement chrétiennes.
19L’appréciation globale de la situation ecclésiale oriente la décision pastorale concrète, mais ne la détermine pas : chaque cas doit faire l’objet d'un jugement et d’une décision qui respectent au mieux toutes les données en cause, selon les responsabilités différentes et complémentaires des parents, du pasteur, de l’évêque.
20En tout cas, plutôt que de mettre systématiquement en cause le baptême des petits enfants (ce qui aboutit souvent en fait au paradoxe que ceux qui pourraient et devraient sans aucun doute faire baptiser leurs enfants s’en abstiennent, tandis que ceux dont la demande est la plus ambiguë le font et ne comprendraient pas qu’on le leur refuse), l’effort pastoral devrait surtout porter sur l’éducation et l’élucidation de la demande des parents, afin d’expliciter ce qui dans leur désir du baptême constitue une pierre d’attente de la foi.
21On reprochera peut-être à ce livre de ne pas aboutir à des orientations pastorales plus précises. Tel n’était pas son objectif. Le dossier qu'il propose ne résout sans doute pas les problèmes à ce niveau, mais il permet, on l’espère, d’au moins mieux les poser.
Notes de bas de page
1 On aurait certes pu souhaiter dans cette session une présence plus explicite des diverses approches relevant des sciences humaines dont on pourrait escompter l’apport à la question : sociologie ou anthropologie du rite et du symbole, psychologie religieuse et psychanalyse. Des recherches suggestives en ce sens se développent actuellement qui renouvellent la théologie sacramentaire et on aurait aimé pouvoir y faire écho plus largement. Les circonstances ne l’ont pas permis. La tâche reste donc ouverte de ce côté, bien que la contribution d’histoire des religions réponde en partie à ce vœu.
Signalons en particulier le livre très suggestif de L. M. CHAUVET, Du symbolique au symbole. Essais sur les sacrements. Paris, Cerf. 1977.
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Le baptême, entrée dans l’existence chrétienne
Ce livre est cité par
- Bakó, László. (2022) A gyermekkeresztség megengedettségi feltételei: a szülők erkölcsi életének kérdése . Studia Theologica Transsylvaniensia, 25. DOI: 10.52258/STTHTR.2022.03
Le baptême, entrée dans l’existence chrétienne
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