Influences du pouvoir exécutif sur les prérogatives du juge en France, sous la Ve République1
p. 469-492
Texte intégral
1Il est clair que, d’une part, c’est principalement le législateur qui détermine l’étendue de la fonction juridictionnelle et des prérogatives du juge, et que, d’autre part, cette détermination a évolué, dans le temps et dans l’espace, d’une manière qui n’a pas été identique pour tous les domaines de la justice. De nombreux travaux, dans cet ouvrage même, ont bien mis en évidence et développé ces différents aspects.
2Nous essaierons, pour notre part, de montrer que de nombreux facteurs socio-politiques peuvent également agir pour restreindre, de fait, les prérogatives des juges ; et ce même dans certains cas où le législateur les aurait lui-même étendues. Ainsi croyons-nous pouvoir dire qu’en France, sous la Ve République, l’influence du pouvoir exécutif sur le judiciaire s’est, d’une manière générale, manifestée par un contrôle accru sur les magistrats de base et par un renforcement du pouvoir des chefs de cour.
3Parmi les éléments qui ont pu ainsi agir de fait sur l’étendue des prérogatives du juge, nous retiendrons les suivants :
Les attitudes du juge lui-même, qui peut user ou non de ses prérogatives, les interpréter en leur donnant un contenu plus ou moins extensif : nous parlerons à ce propos de « stratégies judiciaires » ;
L’organisation judiciaire (statut du magistrat, règles d’organisation des tribunaux), qui nous paraît le principal instrument de contrôle de l’activité juridictionnelle ;
L’accroissement des prérogatives d’autres institutions, qui en viennent à empiéter sur le judiciaire ;
L’importance enfin et la nature du contentieux judiciaire soumis aux juges.
CHAPITRE 1. Les stratégies judiciaires
4Tout magistrat possède un pouvoir d’interprétation, qui constitue d’ailleurs l’une de ses prérogatives, dont il peut user ou non, à l’intérieur de certaines limites. L’actuelle accumulation et la complexité des textes légaux, le glissement de la loi vers le règlement, la circulaire et l’instruction pourraient, à première vue, faire croire que ce pouvoir d’interprétation s’est accru à mesure que se multipliaient les occasions de choix entre différents textes applicables.
5Ce serait oublier que, dans cet espace juridictionnel, subsistent toujours des instances de contrôle :
Tout d’abord, la jurisprudence de la Cour de cassation (ce n’est certes pas nouveau) a toujours le dernier mot sur la loi. Elle peut même la créer : on a pu en ce sens faire remarquer que, depuis qu’existe la voiture automobile, jamais aucune loi n’avait été votée concernant les responsabilités spécifiques qui pouvaient en découler.
Ensuite, les décisions des tribunaux sont toujours susceptibles d’être modifiées en appel par les juridictions supérieures. Le Syndicat de la Magistrature constate qu’elle le sont souvent dans des domaines particulièrement conflictuels de la vie sociale. Il cite en exemple une comparaison qu’il a effectuée entre les décisions du Tribunal correctionnel de Valenciennes en matière d’infractions à la législation du travail pendant l’année 1975 et les décisions de la Cour d’appel de Douai concernant les mêmes infractions : cette Cour a sensiblement réduit les pénalités infligées aux chefs d’entreprise1 !
De plus, la jurisprudence des autres tribunaux est, dans la pratique, soigneusement « filtrée » par un petit nombre de revues qui détiennent ainsi un monopole sur l’information et le savoir juridiques. Ce système favorise la diffusion de la jurisprudence des tribunaux de rang élevé.
6Mais ce qui est neuf, c’est que la Constitution de 1958 a bouleversé la répartition des compétences entre le Parlement et le Président de la République. On a ainsi pu écrire2 que, depuis la Constitution de 1958, « le gouvernement est devenu le législateur de droit commun tandis que le Parlement n’est qu’un législateur d’exception : il ne possède en effet de compétence législative qu’en vertu d’une disposition formelle, tandis que le gouvernement édicte les règles de droit dans les autres domaines de la vie juridique ». L’auteur insiste par ailleurs sur le mouvement de « décodification juridique en droit civil », mouvement centrifuge en quelque sorte, « d’autant plus grave, selon lui, que les décrets pourront avoir un objet important et qu’ils sont souvent indissociables des textes proprement législatifs ». M. Carbonnier3 fait à son tour remarquer que non seulement des pans entiers de législation civile se sont trouvés transférés de la loi au règlement administratif, mais qu’en outre les privilèges conférés au gouvernement en matière de procédure législative se sont considérablement accrus : « il en résulte une prépondérance écrasante de l’Exécutif dans l’initiative des lois ».
7Le Règlement est donc devenu le mode général d’élaboration de la norme juridique, la loi n’étant plus, au dire de certains, que d’intervention exceptionnelle. En procédant de la sorte, la Ve République a effectué un choix de nature et d’effets politiques. En effet, explique un magistrat4, la loi est une formulation générale et permanente de la norme, qui doit, grâce au travail d’adaptation de l’interprète, s’appliquer à des situations particulières et momentanées. Mais les possibilités d’interprétation se restreignent quand le magistrat se trouve, en revanche, confronté à des règlements qui, par nature, sont des instruments d’intervention conjoncturelle et ponctuelle destinés à régler des situations précises. Or, à l’inverse de la loi, les règlements, ciculaires et autres instructions sont aux mains du pouvoir exécutif dont l’objet est la gestion quotidienne du pouvoir. La prééminence actuelle du Règlement — qui va d’ailleurs de pair avec celle du Pouvoir Exécutif — est, à nos yeux, le signe d’un interventionnisme accru de l’Etat sur l’ensemble du corps social. Et le pouvoir judiciaire n’y échappe pas plus que les autres corps sociaux ; d’autant que les règlements sont généralement assortis de circulaires qui en circonscrivent l’interprétation5.
8Si le pouvoir d’interprétation du juge se trouve ainsi réduit en ce qui concerne les textes de loi, qu’en est-il de son autre pouvoir de fait — qui n’est consacré par aucun texte légal — de définir partiellement lui-même l’étendue de ses prérogatives, la manière dont, exerçant une fonction, il se situe dans le champ juridique, les limites que, intentionnellement ou non, il souhaite assigner à l’exercice de ces prérogatives ?
9On pourrait, avec J. Commaille6, dire que ces reconversions du droit, inflation législative, transfert du pouvoir législatif au pouvoir exécutif, s’accompagnent d’une délégation croissante du juridique au judiciaire, augmentant ainsi, cas par cas, les possibilités d’intervention du juge. Ce qui permettrait de faire l’hypothèse, en suivant M. Crozier7, que chaque acteur — ici magistrat — a la possibilité d’élaborer des stratégies, aussi minimales soient-elles, à partir de zones de pouvoir et d’incertitude qu’il contrôle. Ces zones d’incertitude peuvent naître, dans le domaine juridictionnel, du fait que la norme est inexistante, ou peu claire, ou contradictoire... La nature de l’activité juridictionnelle peut ainsi donner lieu à de véritables « stratégies » dont les données varient en fonction de la structure de l’appareil juridictionnel et de la position du juge au sein de cet appareil, mais aussi de l’utilisation qui est faite des procédures judiciaires par les autres acteurs sociaux, en vue d’améliorer leur position dans les luttes sociales.
10Parmi les stratégies élaborées par la magistrature ou une partie d’entre elle, soulignons-en trois :
111. Investir un domaine du droit que l’on privilégie, en restructurer le champ jusqu’à la création d’un espace juridique autonome assurant de nouveaux « marchés ». Ce fut le cas pour le développement du droit du travail, comme l’a très bien montré P. Cam8, et, dans une moindre mesure, pour le droit de la consommation9.
12Ces actions de « restructuration du champ juridique » débouchent sur des pratiques professionnelles « alternatives » et sur une tentative de sortir de la logique juridique pour participer à la logique économique et sociale.
13Les procédures alternatives s’articulent principalement, mais non exclusivement : dans le domaine du droit du travail, autour des problèmes liés aux licenciements, aux occupations d’usine et au lock-out ; dans le domaine de la consommation, autour des problèmes liés au logement et au crédit.
142. Reconquérir un champ perdu à la suite d’une modification de compétences et de pouvoirs, modification produite au profit soit des administrations, soit d’autres groupes professionnels. C’est la situation de la justice des mineurs, dans laquelle la magistrature a dû partager ses prérogatives avec la Direction de l’action sanitaire et sociale, les travailleurs sociaux et même la police des mineurs. Les juges des enfants se défendent contre une réduction de leur fonction à celle de simple garant de l’ordre social et de gestionnaire des cas résiduels, là où l’action des autres instances a échoué10. Ces questions seront évoquées dans la troisième partie, lorsque nous parlerons de l’accroissement des prérogatives d’autres instances au détriment du judiciaire.
153. Désinvestir un champ par retour au juridisme, conception attachée à maintenir le juge dans son rôle formel et qui tend à éviter que la fonction judiciaire ne soit abusivement interventionniste. C’est le cas de la justice de la famille actuellement. Le modèle d’une justice de la famille spécialisée, inspiré des chambres de la famille, s’est effacé au profit de l’orientation civiliste plus traditionnelle, selon laquelle le juge doit se borner à appliquer les lois sans en discuter les mérites. Nous ne développerons guère ce point dans le cadre de ce travail, puisqu’il ne s’agit pas réellement d’une modification des prérogatives du juge de la famille, mais plutôt d’un « retour aux sources »11.
16Illustrons la stratégie d’investissement d’un domaine du droit par les actions menées par les juges d’instance dans le domaine de la consommation. Des pratiques novatrices ont pu particulièrement s’y développer, mais le pouvoir judiciaire, ou même le pouvoir exécutif lui-même, ont pu les endiguer, soit, à l’intérieur de l’institution judiciaire existante, par les sanctions disciplinaires infligées aux magistrats trop indépendants, soit en modifiant progressivement, depuis 1958, l’organisation judiciaire pour la rendre plus docile. On pourrait sans doute faire la même démonstration en droit du travail, où de pareilles pratiques alternatives ont été innovées par certains magistrats du Parquet.
17La situation des juges d’instance12 — avant qu’ils ne soient supprimés par décret de M. Peyrefitte en avril 1980, puis maintenus dans leurs fonctions par son successeur — fournit un exemple intéressant de l’étendue du registre dans lequel les magistrats peuvent jouer leur rôle. Le juge d’instance est le juge du quotidien. Problèmes de logement et de crédit, conflits du travail, contentieux électoral... : c’est en ces matières, délicates et très proches des justiciables, qu’il peut concevoir son rôle et ses attributions, de manière plus ou moins extensive.
18Ainsi, lorsqu’une société de crédit constate que certains de ses clients cessent de régler les mensualités du prêt contracté, par exemple, pour l’achat de biens mobiliers, c’est le tribunal d’instance que cette société saisit pour obtenir la condamnation des débiteurs défaillants et demander de délivrer une injonction de payer, prélude bien souvent à la vente sur saisie du mobilier de ces débiteurs. Saisi d’une telle demande, le juge d’instance peut soit y faire droit sans difficulté, soit au contraire — et c’est là évidemment une conception différente de son rôle — examiner attentivement la régularité des contrats qui lui sont présentés, repousser les contrats illégaux et refuser, chaque fois que la loi le permet, les clauses abusives, les frais inutiles, etc.13.
19De même, en matière de loyers, au lieu d’estimer que le locataire doit supporter tout le coût des réparations destinées à remettre les lieux dans leur état initial, le juge d’instance peut-il convenir qu’un abattement proportionnel à la durée d’occupation doit être appliqué pour tenir compte de la vétusté résultant d’un usage normal.
20La manière dont certains juges d’instance définissent leurs prérogatives n’est pas nécessairement la même que celle d’autres juges d’instance ou que celle des chefs de cour. Elle paraît s’écarter assez largement de la conception du Garde des Sceaux. En d’autres termes, cette conception du « rôle » que peut jouer un juge d’instance dans une société découle d’un projet de société, projet qui ne peut se réaliser qu’à l’intérieur d’un système de contraintes, certes, mais que chacun tente de concrétiser de manière quelque peu différente, voire opposée, selon que son projet s’articule autour de la défense des libertés individuelles, de la protection des plus défavorisés par la conjoncture économique, ou qu’au contraire ce projet mette l’accent sur la sécurité, le maintien de l’ordre et la protection de la propriété privée.
21Appelé à rendre seul, dans un secteur géographique qu’il connaît bien, des décisions qui peuvent avoir des conséquences économiques et sociales certaines, le juge d’instance risque d’être rapidement perçu comme indésirable par le pouvoir politique, puisque son statut et son mode de fonctionnement le rendent pratiquement incontrôlable, « non-manipulable ».
22La hiérarchie n’hésite pas parfois à intervenir contre les juges d’instance estimés trop politisés. Certains d’entre eux ont fait l’objet de poursuites disciplinaires, comme ce fut le cas pour le juge d’instance au tribunal de Douai, Claude Joly. Ayant à trancher des litiges entre des organismes puissants et bien conseillés (organismes de crédit, HLM, etc.) et des débiteurs isolés et de condition modeste, Claude Joly a écarté des procédures qu’elle estimait trop expéditives comme l’injonction de payer et a examiné le bien-fondé des demandes en s’efforçant de trouver des solutions humaines et équitables. Ce magistrat a comparu devant le Conseil de la Magistrature pour avoir manqué à l’obligation de réserve, pour avoir rendu des jugements non conformes à « l’esprit traditionnel de la justice »14 et pour avoir eu une activité insuffisante.
23Les poursuites disciplinaires sont évidemment un moyen de mettre les juges au pas. Il en existe un autre : modifier l’organisation judiciaire de telle sorte que les juges d’instance qui prêtent une oreille trop attentive aux intérêts des débiteurs ne pouvant faire face à leurs obligations, mais ne s’inquiètent pas assez des intérêts des organismes financiers, puissent être davantage contrôlés par leurs supérieurs et aisément remplacés par des magistrats plus prudents.
CHAPITRE 2. L’organisation judiciaire
24Nous pensons en effet que c’est surtout par la maîtrise de l’organisation judiciaire que le Pouvoir exécutif va parvenir à contrôler (et dans certains cas à limiter) l’exercice de la fonction juridictionnelle.
25En ce qui concerne les juges d’instance, le problème est relativement simple :
261. En 1958, utilisant les possibilités que lui donne l’article 92 de la nouvelle Constitution de prendre, par voie d’ordonnances, les mesures nécessaires à la mise en place des institutions et, jusqu’à cette mise en place, au bon fonctionnement des pouvoirs publics, le gouvernement procède, dans le cadre de la rénovation des structures de l’État, à un réaménagement de l’organisation judiciaire.
27Un des effets de cette restructuration est la suppression des justices de paix, au nombre de 2.902 avant 1958. Toutes les juridictions du premier degré sont ainsi regroupées dans les Tribunaux de Grande instance. Ceux-ci comprennent à la fois les Tribunaux de Grande instance proprement dits (181, à raison d’un ou parfois plusieurs par département) et les Tribunaux d’instance. Si les compétences15 de ces Tribunaux d’instance restent assez proches de celles des anciennes Justices de paix, leur nombre est toutefois beaucoup plus limité : 456 Tribunaux d’instance au lieu des 2.902 Justices de paix avant 1958.
28Cette restructuration, motivée par la nécessité d’adapter l’appareil judiciaire aux nouvelles données démographiques, économiques et sociales (exode rural, migration vers les villes, modification des circuits d’affaires...), s’accompagne d’une diminution du nombre des magistrats dans les juridictions inférieures et d’une augmentation des effectifs des Cours d’appel et des juridictions parisiennes. De sorte que l’on a pu dire que ce mouvement de contraction de l’appareil judiciaire, la création de grandes unités judiciaires, la revalorisation des Cours d’appel, s’ils répondaient à des nécessités objectives et même en partie aux souhaits des magistrats eux-mêmes, « relèvent d’une conception technocratique et centraliste qui fleurit à toute époque de concentration du pouvoir »16. Une telle réforme procède aussi de la volonté du pouvoir politique d’obtenir une production judiciaire plus efficace et moins coûteuse, mais aussi plus contrôlable sur le plan idéologique.
292. Depuis 1970, les juges d’instance sont en quelque sorte en compétition avec des conciliateurs. A la fin de l’année 1980, il y avait en France environ 1.000 conciliateurs, chargés de faciliter le règlement amiable des « petits conflits » entre particuliers17. Ce sont des bénévoles, nommés par les Premiers Présidents des Cours d’appel sur proposition du Procureur général18 et qui exercent leur « mission pacificatrice » dans le cadre du canton, tout comme autrefois les juges de paix. Mais, à la différence de ces derniers, ils ne sont pas magistrats et ne disposent d’aucun pouvoir juridictionnel.
30Actuellement, la compétence de ces conciliateurs, définie par le Garde des Sceaux, est limitée aux conflits de voisinage, aux relations entre propriétaires et locataires, aux petites créances, pensions alimentaires et droit de visite.
31Le bilan de leurs activités ne semble pas très étoffé, mais il faut signaler qu’ils sont systématiquement utilisés par certains organismes de logement et de recouvrement de créances. Rien ne permet de dire que leurs interventions ne pourraient pas augmenter et se diversifier et que leurs compétences ne pourraient s’étendre dans un proche avenir. Le nouveau code d’organisation judiciaire prévoit que les juges d’instance leur délégueront certaines fonctions. Ce que ces juges d’instance craignent d’ailleurs. En effet, les litiges soumis au conciliateur et au juge d’instance sont fort semblables et, dans certains cas, les juges eux-mêmes tendent à la conciliation. Or ces juges souhaitent non seulement conserver la conciliation dans leurs attributions, mais aussi pouvoir la mettre en pratique réellement. En insistant sur la disparition progressive des conciliations judiciaires pour justifier l’existence des conciliateurs, le pouvoir exécutif masque, selon ces juges, les raisons véritables qui conduisent à cette quasi-disparition : surcharge de travail, rôle des avocats qui citent à toutes fins, réforme du code de procédure civile...19. Dans le cadre de la procédure de conciliation, la saisie du conciliateur est d’ailleurs fort proche de celle du juge d’instance.
32La Chancellerie répond à cela :
que les juges d’instance sont trop éloignés des justiciables (il n’existe qu’un juge d’instance par arrondissement, sauf dans la région parisienne). Mais on peut alors se demander pourquoi l’on a supprimé les juges de paix en 1958 ?
que les juges d’instance ont d’autres fonctions fort absorbantes. Mais pourquoi, répliquent certains magistrats, décharger des juges d’affaires contentieuses qui étaient autrefois précédées d’une phase de conciliation (rôle des anciens juges de paix), alors que, par ailleurs, on leur confie de nouvelles charges administratives ou gracieuses (vote par procuration, commission d’admission à l’aide sociale, etc.) ?
33L’institution des conciliateurs semble fort en relation avec le rôle que l’on voudrait assigner aux juges professionnels. Ne peut-on y voir un choix politique ? Cette impression est encore renforcée quand on constate que les caractéristiques socio démographiques des conciliateurs aussi bien que les modalités de leur recrutement font nécessairement d’eux des « notables ».
34En effet, du point de vue de leurs caractéristiques, 93 % des conciliateurs sont des hommes et leur moyenne d’âge est de 63 ans. 85,5 % d’entre eux sont des retraités, mais une étude de leur catégorie socioprofessionnelle d’origine fait apparaître que la fonction de conciliateur s’adresse de manière privilégiée aux juristes et à ceux qui ont occupé des postes d’autorité dans l’armée, la police, l’administration ou le secteur privé. Les commerçants et les agriculteurs y sont rares, les employés et ouvriers quasi inexistants. Quant aux modalités de recrutement, on observe que l’acte de candidature fait le plus souvent suite à une demande formulée soit par la gendarmerie, soit par les autorités locales, soit encore par des magistrats. Un quart seulement des conciliateurs ont présenté spontané ment leur candidature sans avoir été préalablement sollicités pour cette fonction.
35Il semblerait donc, comme il ressort du rapport du CREDOC (Centre de Recherches pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie) (17) que « le conciliateur devienne, dans le vide créé en milieu rural par la disparition des juges de paix, l’interlocuteur privilégié — obligé — des populations rurales, jouant à leur égard le rôle autrefois détenu par les curés et les notables. Accessoirement la création de l’institution de la conciliation offrirait à d’anciens notables l’occasion de regagner une audience déclinante, depuis des années, sans qu’il en coûte grand-chose aux pouvoirs publics ».
36On peut dès lors comprendre la « réserve » des juges d’instance vis-à-vis de cette nouvelle institution. Pour beaucoup d’entre eux, la nomination des conciliateurs exprime un certain choix de la part de la Chancellerie, avec lequel ils sont en désaccord. Au lieu d’améliorer le fonctionnement de l’appareil existant, on a en effet créé une institution parallèle reposant sur le bénévolat, ce qui, soulignent ces magistrats, risque de porter atteinte au service public de la justice. D’après l’enquête du CREDOC, les magistrats craignent que l’institution des conciliateurs ne contribue à détériorer encore un peu plus l’image de la justice et ne favorise la mise en place d’organismes « extérieurs » de traitement des litiges. Pour eux, la mise en place de cette institution parallèle participe de la « dépossession » de l’appareil judiciaire.
37Le projet de Code d’organisation judiciaire ressuscite les juges suppléants et décide même que leur recrutement se fera parmi les conciliateurs, auxquels les juges d’instance délégueront même certaines de leurs attributions. Ce projet prévoit également d’intégrer le Tribunal d’instance au Tribunal de Grande instance, ce qui permettrait au Président de cette juridiction d’affecter les magistrats à chacune des tâches judiciaires en fonction de l’opportunité que commande une « bonne » administration. Ces mesures présenteraient tous les risques de manipulation dénoncés par le Syndicat de la Magistrature : la hiérarchie judiciaire pourra être tentée, au gré des circonstances, d’affecter tel magistrat de confiance dans tel tribunal... C’est alors que l’on attendait la discussion et le vote de ce projet par le Parlement que Μ. A. Peyrefitte, Garde des Sceaux du gouvernement sortant, a tout bonnement supprimé les juridictions d’instance, par décret, dans le cadre de « l’exécution des affaires courantes » ! Le nouveau Garde des Sceaux ne s’en est apparemment pas ému et les juges d’instance sont restés dans leurs fonctions.
38Le raisonnement qui a été tenu à propos des juges d’instance pourrait s’appliquer de la même manière au juge d’application des peines (JAP) qui, après avoir vu ses pouvoirs développés jusqu’en 1975, les voit désormais extrêmement réduits.
39Le JAP est né en 1959, issu du nouveau Code pénal. Les réformes intervenues depuis 1970, élaborées sous la pression des crises qui agitent périodiquement les prisons, ont fait du JAP, à un moment, « le juge le plus puissant de France ». Alors qu’il statuait pratiquement seul20 et sans aucune des garanties habituelles de la justice, le JAP était devenu le maître d’une condamnation prononcée par une Cour d’assises ou un Tribunal correctionnel. Mais à partir de la loi du 22 novembre 1978, les pouvoirs du JAP régressent nettement, parce que
la loi impose une période de sûreté pendant laquelle aucune mesure d’application des peines n’est possible ;
les décisions concernant les permissions de sortie des condamnés à plus de trois ans sont désormais prises par la Commission d’application des peines à la majorité des trois membres, et à l’unanimité pour certaines infractions particulières (hold-up, mœurs, etc.).
40La loi du 2 février 1981 réduit les fonctions du JAP à la présidence d’une commission administrative de trois membres, dont deux (le chef de l’établissement et le représentant du Parquet) sont hiérarchiquement soumis à l’autorité centrale. Le JAP ne conserve son pouvoir de décision antérieur qu’en ce qui concerne les condamnés à trois ans et moins (sauf toujours s’il y a infraction spéciale et période de sûreté).
41Les élections du 10 mai 1981 ne semblent pas, pour l’instant du moins, avoir modifié les choses. Tout au plus la commission Léauté a-t-elle déposé un projet de loi confiant les attributions du JAP à un tribunal de l’exécution des peines, émanation du Tribunal de Grande instance, dont les décisions pourraient être frappées d’appel devant la Cour d’appel. Si certains magistrats21 se félicitent que ce projet restitue au judiciaire les pouvoirs relatifs aux modalités d’application de la peine, ils craignent néanmoins que le système proposé ne soit trop lourd et ne permette pas de prendre rapidement des décisions qui en tout état de cause nécessitent une très bonne connaissance tant du milieu pénitentiaire que du milieu social du condamné. Ces magistrats souhaitent l’extension des pouvoirs du JAP, dont les décisions auraient un caractère juridictionnel, c’est-à-dire contradictoire (la défense étant introduite à tous les stades de la prise de décision), et seraient susceptibles de recours.
42Quoi qu’il en soit des projets de la commission Léauté, il n’est pas question de modifier le mode de nomination du JAP. Or celui-ci les rend vulnérables. En principe, les JAP sont nommés par décret, mais en fait ils le sont de plus en plus souvent directement, en assemblée générale, par le président du tribunal (ce qui les met en position d’infériorité par rapport au JAP nommé par décret). De plus, les décrets ne sont pas renouvelés quand l’administration pénitentiaire n’y est pas favorable.
43L’histoire des JAP montre bien que les prérogatives d’une fonction juridictionnelle peuvent être réduites presque à néant par des lois successives, mais aussi pratiquement vidées de leur contenu par l’organisation judiciaire. En effet, plusieurs exemples rendus publics par le Syndicat de la Magistrature prouvent que si le JAP ne se montre pas suffisamment docile vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, celle-ci en réfère aux services judiciaires et le magistrat contesté se verra confier d’autres fonctions où il sera moins gênant...
44En ce qui concerne les autres magistrats, on a pu dire que si, avant 1958, le terme d’« indépendance de la magistrature » par rapport aux autres pouvoirs ne figurait dans aucun texte légal, ce n’était ni sans raison, ni par simple oubli22. Depuis 1958, il est bien question d’« indépendance » dans la Constitution, mais il ne s’agit plus du pouvoir, mais seulement de l’autorité judiciaire. Quant à l’indépendance de la magistrature, elle est garantie par un certain nombre d’institutions et de règles.
45Tout d’abord, le Président de la République lui-même est garant de cette autorité judiciaire. Mais, comme l’a fait remarquer P. Lyon-Caen, « depuis qu’il est élu au suffrage universel, nul ne conteste plus que le Chef de l’État a perdu son rôle d’arbitre au profit de celui de chef de l’exécutif. Comment celui qui dirige l’exécutif pourrait il protéger le judiciaire des empiètements que le premier a tendance, par la nature des choses, à exercer sur le second ? »23.
46Ensuite le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) a été institué en 1946 pour garantir et préserver l’indépendance des magistrats. Mais il a perdu peu à peu toute influence, par suite de la mollesse des prises de position de ses membres pendant la guerre d’Algérie, des modifications successives apportées à sa composition et des limitations à sa compétence24. Actuellement, le CSM est présidé par le Président de la République et comprend onze membres, dont six magistrats élus sur proposition par le bureau de la Cour de cassation, mais après que le Président ait pu user de son droit d’éliminer deux propositions sur trois. Les cinq autres membres sont nommés directement par le Président de la République. Le Conseil Supérieur de la Magistrature ne garde finalement que deux compétences fort restreintes :
en matière disciplinaire ;
un pouvoir de proposer aux nominations certains magistrats, mais ce pouvoir ne concerne en fait que 3 % d’entre eux...25.
47Tout cela a pu faire dire que, depuis 1958, tout le déroulement de la carrière du magistrat était entre les mains du pouvoir exécutif !
48Enfin, l’indépendance de la magistrature par rapport au pouvoir exécutif ne peut apparaître que plus relative encore si l’on examine les règles de recrutement et d’avancement, tout comme celles qui assurent en principe l’inamovibilité.
49Examinons de manière plus approfondie quelques-unes de ces règles.
1. Le recrutement
50Alors que d’autres procédures seraient possibles, telles par exemple l’élection des magistrats par l’assemblée ou la cooptation par les magistrats eux-mêmes, les premières nominations sont en fait effectuées par le pouvoir exécutif. Le recrutement se fait de trois façons :
Par la voie principale, à la suite d’un concours. Cette procédure, bien que favorisant un esprit technocratique, semble supprimer, dans un premier temps au moins, le favoritisme politique et garantir la compétence.
Par le recrutement latéral, qui permet au pouvoir exécutif de nommer à des postes de magistrats des membres des professions judiciaires ayant exercé pendant huit années, des enseignants des facultés de droit, des fonctionnaires, des agents publics et des officiers ayant une formation économique et sociale les qualifiant pour l’exercice de fonctions judiciaires26.
Enfin, une loi de 1980 ouvre à certaines catégories de personnes des concours exceptionnels. Ces concours ont d’ailleurs fait l’objet, dans plusieurs quotidiens et hebdomadaires, d’une publicité assez tapageuse qui a suscité quelques remous.
2. L’inamovibilité
51L’inamovibilité peut être un moyen parmi d’autres d’assurer l’indépendance des magistrats ; mais l’on ne saurait confondre inamovibilité et indépendance, pas plus, pour reprendre une expression de Casamayor27, que le muscle ne se confond avec le mouvement. Il faut donc examiner la portée réelle de l’inamovibilité et ses limites. Il convient pour cela de rappeler :
que jusqu’à la Ve République les atteintes au principe de l’inamovibilité ont été fréquentes ;
que la Ve République elle-même a limité la portée de l’inamovibilité par des textes réglementaires ;
que les magistrats du Parquet ne jouissent pas de l’inamovibilité et que les déplacements leur sont souvent appliqués comme sanctions ;
qu’enfin l’inamovibilité n’a qu’un contenu purement géographique et n’offre dès lors aux magistrats comme aux justiciables qu’une garantie bien faible si le président de la juridiction peut à sa guise (après avis du Procureur de la République) décider ou modifier tant les affectations internes des magistrats dans les différentes formations de jugement que la ventilation des dossiers entre les divers magistrats.
52Le Syndicat de la Magistrature a rappelé d’ailleurs, dans une motion votée à son 13e congrès, que la garantie du justiciable que constitue l’inamovibilité du juge peut être complètement vidée de son contenu par les procédures qui président à la répartition des tâches juridictionnelles au sein des tribunaux ou à la distribution des moyens de travail28. Ainsi, en définitive, comme a pu l’écrire M. Jéol, alors magistrat à la Cour d’appel de Paris, « la seule chose garantie au magistrat du siège qui ferait preuve de trop d’indépendance d’esprit ou de caractère est de rester jusqu’à la retraite dans la fonction du début, le principe de l’inamovibilité prenant alors une bien curieuse signification »29.
3. L’avancement
53Ce qui précède a permis à R. Charvin30 de dire que proclamer l’inamovibilité tout en laissant aux mains du pouvoir exécutif l’avancement des juges, c’était détruire l’indépendance des magistrats après en avoir proclamé la nécessité.
54Sans entrer dans le détail des procédures d’avancement31, qui sont assez complexes, il suffira à notre propos de noter ce qui suit :
Les magistrats sont notés par leur chef de juridiction et ces notes sont consignées dans un dossier au Ministère de la Justice. C’est sur base des renseignements contenus dans ce dossier que le Président de la République (en fait le Ministre de la Justice) va décider de l’avancement des magistrats de grade inférieur, après leur inscription sur une « liste d’aptitude » dressée par une Commission de 22 membres : 5 membres choisis par le gouvernement, 7 hauts magistrats et 10 magistrats élus par leurs pairs mais après que le Ministre de la Justice ait pu récuser deux candidats sur trois. Il faut noter en outre que le Ministre n’est pas tenu de suivre l’ordre de présentation, ni même de nommer les magistrats inscrits sur cette liste, et que la Commission n’a pas à intervenir pour des mutations à égalité de grade.
Pour les chefs de juridiction, sous réserve de la seule obligation de recueillir, outre l’accord de l’intéressé, l’avis confidentiel du CSM (avis purement consultatif qu’il n’est donc pas tenu de respecter), le Président de la République peut librement puiser parmi les 400 noms inscrits au tableau d’avancement (ces inscriptions se font annuellement sur propositions des chefs des Cours d’appel) pour nommer le président d’un tribunal comprenant plus de deux chambres. Or nous avons vu l’importance stratégique de cette fonction !
55Disons pour terminer ce paragraphe que l’organisation judiciaire n’échappe pas à certaines formes de bureaucratisation qui ont des avantages (notamment celui de réduire la lenteur et les encombrements), mais aussi des inconvénients (on risque d’aboutir à des formes de justice stéréotypées limitant en fait l’initiative et l’autonomie des juges). Comme le fait remarquer A. J. Arnaud, « sur le plan judiciaire il est certain que le traitement de certaines procédures les plus simples sera accéléré (chèques sans provision, circulation routière, petits vols), mais les usagers de cette justice seront dans la plupart des cas issus des classes sociales défavorisées. Une justice de luxe, artisanale, fonctionnera parallèlement pour les affaires importantes, la délinquance qui est le fait de la classe dominante »32.
CHAPITRE 3. L’accroissement des prérogatives d’autres institutions, qui empiètent progressivement sur le judiciaire
56Nous n’évoquerons ici que le partage de compétences entre le pouvoir judiciaire et les instances administratives qui dépendent du pouvoir exécutif. En effet, il ne nous appartient pas, dans les limites de cette étude, de traiter des problèmes liés au partage des savoirs dans le champ juridique ou à l’affrontement entre la logique judiciaire et les logiques scientifiques, qu’elles soient médico-éducatives ou techniciennes.
57Dans l’étendue comme dans l’exercice de ses prérogatives, le juge se trouve confronté à une situation de dépendance croissante à l’égard de l’administration. En effet, dans bien des cas il est obligé d’accepter les affaires que les instances situées en amont du processus judiciaire veulent bien lui transmettre, et ses possibilités de contrôler les conditions dans lesquelles ces affaires sont transmises sont de plus en plus limitées. Nous pensons, de manière générale, à toutes les administrations publiques qui exercent cette fonction de ventilation, mais plus particulièrement à la police.
58Cette situation n’est certes pas nouvelle, mais il semblerait, à travers les positions prises ces dernières années, tant par les syndicats de policiers que par certains syndicats de magistrats, que le pouvoir et l’autonomie de la police, notamment en matière de récolte d’informations et de garde à vue, s’accroissent.
59Dans d’autres domaines, le magistrat doit se résigner à partager sa compétence avec les instances administratives, voire leur déléguer une partie de ses pouvoirs ou redéfinir son rôle par rapport à elles. L’évolution de la justice des mineurs constitue un exemple de cette situation.
60Nous envisagerons successivement dans ce paragraphe les relations entre police et justice, et les relations entre justice et santé dans le domaine de la justice des mineurs.
1. Les relations entre justice et police
61Nous tenterons, par quelques exemples, de montrer qu’au cours de la Ve République, le pouvoir de la police s’est accru en matière de récolte d’informations et de garde à vue, alors que les magistrats qui entendent exercer effectivement leur droit de contrôle légal sur les officiers judiciaires se sont heurtés à des difficultés croissantes. On sait qu’une instruction « officieuse », confiée aux services de police à compétence judiciaire, précède l’instruction « officielle ». Ces services procèdent ainsi à des auditions et à des interrogatoires, soit de leur propre initiative, soit, comme c’est la règle, en vertu de commissions rogatoires qui sont devenues extrêmement nombreuses sous la Ve République et de plus en plus souvent délivrées dans des conditions et en des termes qui laissent aux policiers la plus grande liberté de manœuvre : comme par exemple de leur demander d’accomplir « tous actes utiles à la manifestation de la vérité »... Et il n’est pas rare que des aveux soient ainsi obtenus sans que l’accusé ait pu utiliser tous ses moyens de défense ou même sans témoins. « En fait, la présomption d’innocence n’a pas joué », ainsi que le fait remarquer R. Charvin. « Présumé coupable dès l’abord, le justiciable est rapidement devenu un inculpé de fait sans pouvoir bénéficier des garanties auxquelles il aurait eu droit devant un juge. L’instruction est dès lors souvent pratiquement terminée avant même d’avoir officiellement commencé et le juge en est réduit à la seule vérification des auditions déjà faites par la police »33.
62D’autre part, légalisant ainsi des pratiques policières jusqu’alors illégales, le nouveau Code judiciaire a prolongé les délais de la garde à vue, pendant lesquels la police peut garder une ou plusieurs personnes dans ses locaux pour les besoins de l’enquête. Comme le souligne encore R. Charvin34, il existe bien, en droit, une possibilité de contrôle par l’autorité judiciaire, mais, en pratique, la police a carte blanche, car la jurisprudence de la Cour de cassation n’annule pas une procédure en raison de violations de la légalité durant la garde à vue, sauf « atteinte abusive » aux droits de la défense...
63De plus, le pouvoir judiciaire n’est pas en mesure d’exercer un contrôle, ni sur le point de départ du délai de garde à vue, ni sur les conditions dans lesquelles se déroule l’attente préalable dans les locaux de la police, ni sur la fréquence et les modalités de ce que les commissariats appelent « examen de situation ». La police peut, en effet, interpeller une personne pour vérification d’identité et la détenir dans ses locaux sans les garanties minimales de la garde à vue. On se doute que ces « examens de situation » permettent d’éventuels marchandages, offres ou pressions. Ils aboutissent en tout cas à la récolte de renseignements et à l’établissement de fiches avec photographie, sans que l’autorité judiciaire connaisse ou puisse contrôler l’utilisation qui sera faite de tels documents.
64Les magistrats qui entendent exercer effectivement leur droit de contrôle légal sur les officiers de police judiciaire35 se heurtent à un certain nombre de difficultés :
La police nationale relève exclusivement du Ministère de l’Intérieur : l’autorité hiérarchique de ce dernier continue donc de s’exercer en permanence sur les officiers de police judiciaire. La justice ne peut d’ailleurs diriger l’activité de ces policiers que « par la voie de leurs chefs hiérarchiques ». Or la notation et l’avancement des policiers dépendent de ces mêmes chefs hiérarchiques. La magistrature a donc peu de prise sur la police, au point que l’on a pu dire qu’« il n’y a pas d’authentique autorité de la justice sur la police judiciaire ».
Les tendances « autonomistes » qui existent au sein de la police se développent. Rien n’empêche en fait, par exemple, que la police, soucieuse de préserver certains secrets, ne communique qu’une partie seulement des résultats de ses investigations à la justice et oriente ainsi de façon parfois décisive une enquête. La récente « affaire de Broglie » l’a abondamment prouvé.
Les travaux préparatoires au 13e Congrès du Syndicat de la Magistrature, consacrés aux rapports « Police et Justice », ont mis en évidence les difficultés pratiques, pour un substitut, d’exercer le contrôle de la garde à vue dans les commissariats. La répartition différente des tâches dans les deux corps (équipes de jour et de nuit ne coïncident pas) rend difficile sinon impossible toute continuité dans le contrôle. En outre, certains commissariats « hébergent » des inculpés en provenance d’autres commissariats encombrés. Le substitut de service n’a pas toujours compétence pour contrôler les conditions de la garde à vue de ces inculpés qui ne sont pas de son ressort.
Les magistrats du Parquet, pour des raisons statutaires, psychologiques et pratiques, ne sont pas toujours en mesure d’exercer efficacement leur droit de contrôle de la garde à vue auprès d’une police avec laquelle ils sont en étroite et constante relation de travail. S’opposer à la police sur ce point risquerait de remettre en question les relations de « collaboration » dont la justice a besoin pour remplir sa mission.
2. Les relations de la Justice et de la Santé dans le domaine de la justice des mineurs
65Des chercheurs36 ont pu observer que les juges d’enfants s’estiment souvent « dessaisis » non seulement par la police, qui prendrait en charge, de façon de plus en plus autonome, une partie de la délinquance des mineurs et classerait elle-même un grand nombre d’affaires, mais aussi par le Parquet qui, outre sa propre politique de classement, orienterait actuellement vers les juges d’instruction plutôt que vers les juges des enfants, et enfin par les administrations dépendant du Ministère de la Santé.
66Bien que les textes législatifs votés sous la Ve République aient donné au juge des enfants une compétence très large (notamment avec la loi du 4 juin 1970 sur la protection de l’enfance en danger), le développement parallèle d’institutions qui gèrent le secteur de l’enfance a singulièrement réduit son « pouvoir discrétionnaire ».
67Cet « empiètement » s’est réalisé en plusieurs étapes :
Les décrets du 7 janvier 1959 et du 2 décembre 1975 ont étendu aux enfants dits « à risques » la protection sociale exercée par le département d’action sanitaire et sociale (DASS) créé par le Ministère de la Santé publique. Par ailleurs le DASS assume toujours sa tâche traditionnelle de tutelle et de protection des enfants confiés par le juge. Avec le consentement des parents, le DASS peut prendre toutes les mesures appropriées à la situation du mineur et de sa famille (différents types de placement, mesures éducatives en milieu ouvert, secours financier...), mesures très proches de celles que peut prendre le juge des enfants dans le cadre de sa mission de protecteur de l’enfance en danger. On ne distingue plus dès lors très clairement ce qui motiverait une intervention du juge plutôt que celle du Département d’action sanitaire et sociale. Tout au plus pourrait-on dire que l’administration intervient lorsqu’il y a « risque de danger » et que le judiciaire intervient lorsque le danger est caractérisé. Mais on constate que peu à peu le DASS s’est attribué les prérogatives dévolues traditionnellement au judiciaire. Il mène en effet depuis longtemps une politique plus interventionniste que celle des juges des enfants, qui restent, eux, très sensibilisés au danger d’une extension du contrôle social et peu enclins à s’immiscer dans le domaine de la vie privée. Par ailleurs, le DASS semble actuellement très soucieux d’entourer ses interventions administratives de garanties procédurales calquées sur les principes judiciaires, risquant ainsi de faire perdre au mode d’intervention judiciaire sa spécificité. Enfin, le DASS est le pourvoyeur de fonds puisqu’il finance toute mesure concernant l’enfance en danger, que les mesures soient des mesures de placement ou d’éducation en milieu ouvert. Dès lors, observe J. Delatte, « pourquoi faire intervenir le judiciaire là où la prévention suffit, là où il n’est question que d’aide, d’assistance et de rééducation ? »37.
La loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des handicapés et surtout la circulaire du 16 mai 1977 concernant les handicapés physiques, sensoriels et mentaux, et les mineurs délinquants en danger ont suscité beaucoup de nouvelles prises en charge médico-éducatives et ont éveillé la méfiance des juges des enfants, entraînant une position de retrait. Cette loi met en place, à partir de l’école, un réseau de dépistage et de traitement de l’inadaptation, à partir de banques de données informatisées et en définissant de manière très vague le « handicap », ce qui laisse place aux interprétations « socio culturelles » que l’on peut imaginer.
68Les juges des enfants sont réticents à appliquer cette loi et se montrent peu « collaborants » avec l’administration, car ils craignent de se voir piéger dans un système où ils n’auraient plus comme seule fonction que de légitimer une intervention sociale, parfois mal acceptée par les familles, fondée sur des critères psychiatriques et sociaux sur lesquels les juges ne peuvent se prononcer.
69Dans les deux cas, la montée du pouvoir médical et administratif s’accompagne d’une intervention croissante et de plus en plus précoce dans la vie des familles, de façon à éviter, dans la majorité des cas, un renvoi devant le judiciaire et à ne plus laisser au juge que les cas les plus désespérés. Le juge des enfants deviendrait ainsi en quelque sorte le juge de l’échec de l’intervention administrative ; il voit son action réduite à une dimension répressive. Placé dans cette situation, le juge des enfants peut être amené, par exemple, comme l’écrit un magistrat syndiqué, à devoir placer dans les établissements du Ministère de la Justice qui dispensera un enseignement professionnel des jeunes que, pour une série de raisons, on ne veut plus voir dans les filières « normales » de l’enseignement technique38.
CHAPITRE 4. L’importance et la nature du contentieux judiciaire
70L’importance réelle des prérogatives du juge est aussi fonction de la nature et du volume des affaires qu’il a à traiter. Ses prérogatives s’étendent peut-être en droit, mais en fait, le volume des affaires s’amenuise, des litiges sont réglés en dehors du judiciaire, et le pouvoir du juge devient fort illusoire.
71Il est très difficile d’évaluer l’ampleur des modifications du contentieux judiciaire sans disposer à la fois de données statistiques précises et détaillées et d’une grille d’interprétation qui permette d’évaluer les biais par lesquels elles se sont constituées. A notre connaissance, pareille étude n’a jamais été réalisée pour l’ensemble du contentieux judiciaire. En revanche, en matière pénale, les travaux menés depuis plusieurs années par A. Davidovitch39, Ph. Robert, Cl. Faugeron et leurs collaborateurs ont permis d’éclairer certains aspects de la modification du contentieux pénal40.
72S’il est difficile de mesurer les évolutions du contentieux judiciaire, il est plus difficile encore d’apprécier le rôle que le pouvoir exécutif joue dans ces transformations. Ce rôle n’apparaît nettement qu’au travers des pratiques du Parquet en matière pénale et de la mise en place de procédures non juridictionnelles de règlement de conflits, que celles-ci soient confiées à des administrations (office des contributions, douanes, etc.) ou à des personnes privées (les conciliateurs par exemple).
73On peut également penser que si l’État n’intervient pas lui-même activement, il laisse faire le secteur privé, comme en témoignent l’augmentation des réglementations professionnelles et déontologiques, qui règlent les conflits intra muros, et le développement de ce que l’on pourrait qualifier de « polices parallèles », tels les organismes de recouvrement de créances et les grands magasins qui règlent par des voies officieuses une bonne partie de la petite délinquance41.
74Etant donné la complexité de la question — qui en elle-même pourrait faire l’objet d’une étude — nous nous contenterons ici de souligner quelques grandes tendances de l’évolution du contentieux juduciaire, et nous tenterons, dans un exemple, celui de la délinquance d’affaires, de repérer les différents types d’interventions du pouvoir exécutif dans un contentieux spécifique.
75Il convient d’être prudent dans l’appréciation des fluctuations du contentieux soumis à la justice. Ce contentieux augmente-t-il réellement ? Ou est-ce seulement la demande de justice qui augmente ? Une partie de cette demande pouvant d’ailleurs rester sans réponse, ou être partiellement satisfaite en dehors du pouvoir judiciaire.
76On a fait justement remarquer qu’il y avait eu, dans un premier temps, juridicisation peut-être excessive des rapports sociaux et qu’en tout cas la justice avait été submergée par un accroissement considérable des demandes : accidents de la circulation, chèques sans provision, vols dans les grands magasins, divorces, etc. avaient littéralement envahi les tribunaux. La crise provoquée par cet encombrement s’est peu à peu résorbée. Mais elle l’a été en partie par le passage du règlement de certains conflits à des institutions privées : banques, compagnies d’assurances, etc.42. D’autre part, dans l’intervalle, la justice a manqué de disponibilité pour des arbitrages importants et a été désertée par des gens qui se méfiaient de sa lourdeur et de sa publicité et ont dès lors préféré trouver une solution plus rapide et plus discrète à leurs litiges en recourant au règlement amiable ou à l’arbitrage privé. De sorte que la justice ne traiterait plus aujourd’hui qu’une part seulement du contentieux qui paraît devoir lui revenir. Elle fonctionnerait, pour le reste, surtout comme instance symbolique — sa manière de régler les affaires servirait de modèle de référence, comme par exemple en matière d’accidents de la circulation — ou comme instance d’appel — des instances extra-judiciaires auraient, en amont, déjà tenté de résoudre un certain nombre de situations, comme dans le domaine de la justice des mineurs, évoqué plus haut.
77Les fluctuations du contentieux judiciaire peuvent être provoquées par
des modifications législatives ;
des changements socio-culturels qui affectent la clientèle de l’institution judiciaire ou traduisent des transformations sociales liées au développement de l’industrialisation ou de l’État capitaliste. Nous songeons ici au contentieux lié au développement de la vie urbaine, des relations industrielles et commerciales, à la modernisation du secteur agricole ; ou encore à l’inexécution des décisions de justice due à la crise, à la dégradation du contractuel au bénéfice du réglementaire qui fait dépendre de décisions administratives la mise en œuvre de nouveaux droits tels que les allocations de chômage ou le droit au minimum d’existence vitale ;
par la politique criminelle (droit de suite du Parquet et privilège de l’opportunité des poursuites).
78Le rôle du pouvoir exécutif n’intervient théoriquement pas dans le premier cas ; il est manifeste dans le troisième ; mais beaucoup plus ambigu dans le second.
79Il est certain par exemple que l’arrivée sur la scène juridique de catégories sociales qui en étaient autrefois écartées dépend du degré d’information de celles-ci et de l’existence ou non d’organisations d’aide juridique. Les pouvoirs publics, tout comme les organisations professionnelles, peuvent prendre ou non des initiatives en ce domaine. Le pouvoir exécutif peut aussi mettre en place des juges ou des juridictions spécialisées (par exemple en matière de contrat de travail, de sécurité sociale, de loyers, de tutelle, etc.) ; et l’on peut fort bien imaginer que plus nombreux seront les juges-techniciens, plus les justiciables auront recours à eux.
80Nous tenterons d’illustrer ces différents points en montrant, sur un cas précis, celui de la délinquance d’affaires, les modalités d’intervention du pouvoir exécutif. Nous empruntons l’essentiel des informations qui suivent à une recherche menée par P. Lascoumes43.
81Les dossiers à caractère financier n’ont de place importante dans l’ensemble des condamnations en matière « astucieuse et d’affaires » qu’à Paris et dans quelques métropoles. De plus, dans certaines régions économiquement importantes, ce type de délinquance n’est que faiblement poursuivi. L’auteur attribue ces différences à l’existence ou non et au fonctionnement effectif ou non d’une section du Parquet spécialisée en matière financière. Bien que de telles sections existent théoriquement dans le ressort de chaque Cour d’appel depuis une loi du 6 août 1976, elles sont en fait absentes dans un certain nombre de régions importantes sur le plan économique. On peut, de là, se poser un certain nombre de questions : là où ces sections n’existent pas, quelle est la raison de cette absence ? Là où elles existent, comment sont formés les magistrats ? Sur quels critères se font les nominations ? Ne risque-t-on pas de « déplacer » un magistrat trop vigilant ?... Il suffit de rappeler ici l’affaire Ceccaldi qui fit quelque bruit. Ce magistrat prit, il y a quelques années, une position très ferme à propos d’ententes illicites entre compagnies pétrolières dans la région de Marseille. Cette attitude ne fut pas appréciée de ses supérieurs qui, pour tenter de se débarrasser de lui et sous prétexte de lui accorder un avancement auquel il avait droit, le nommèrent Procureur de la République à Hazebrouck. Soutenu par les deux organisations syndicales de magistrats, Ceccaldi refusa cette nomination et demeura à son poste.
82Dans les affaires financières, la justice se situe au terme d’un réseau complexe de présélections et de règlements à l’amiable. Il existe, en effet, un certain nombre de règlements qui vont de l’amiable (on échappe au contrôle judiciaire grâce à des ententes à l’amiable, à l’arbitrage, à la médiation des conseils juridiques) à la dérivation (certaines agences administratives ont le pouvoir de transiger44 (en n’infligeant qu’une amende administrative). Ces filières permettent d’éviter la poursuite judiciaire ou l’exécution d’une condamnation. Seule une faible partie des dossiers parvient ainsi aux tribunaux qui ont encore le choix entre la réprobation (classement sans suite, relaxe après audience, sanction symbolique) et la sanction réelle.
83On peut donc dire qu’en ce domaine l’impact de l’institution judiciaire est minime et que le secret qui entoure les procédures de règlement non juridictionnel des conflits laisse le champ libre aux jeux éventuels du pouvoir politique.
84Nous avons tenté de montrer, dans ce travail, l’influence importante exercée par le pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire en France, sous la Ve République. Cette situation a été rendue possible principalement à cause des modifications apportées à l’organisation judiciaire sous la Constitution de 1958, modifications qui se sont traduites par un contrôle accru sur les magistrats de base et par un renforcement du pouvoir des chefs de cour.
85Cette influence s’est aussi manifestée par un accroissement des prérogatives des institutions administratives dépendant du pouvoir exécutif, ce qui a entraîné un mouvement de « dessaisissement du juge » aboutissant, dans bien des cas, à restreindre le contentieux soumis au pouvoir judiciaire.
86Il ressort de cette analyse que l’influence du pouvoir exécutif n’est pas facilement isolable de celle d’un pouvoir politique plus large, qu’elle est médiatisée par l’institution judiciaire et diluée à travers elle par des mécanismes en grande partie occultes.
87Il n’en reste pas moins vrai que ce jeu politique ne s’exerce pas dans un monde clos, coupé de la vie sociale, et que tous les acteurs judiciaires, même ceux qui ne sont pas en position dominante, peuvent en infléchir le déroulement. Il faut rappeler que les magistrats sont des acteurs sociaux, que leur appartenance à l’univers judiciaire ne justifie nullement qu’ils se sentent autonomes, extérieurs aux conflits qui agitent la société.
88C’est en ce sens que nous avons envisagé la possibilité, pour les magistrats, d’élaborer des stratégies, qui ne seront cependant véritablement porteuses de changement dans l’institution judiciaire que si elles s’articulent aux luttes sociales qui se déroulent en dehors de cette institution.
Notes de bas de page
1 Jurisprudences comparées du Tribunal correctionnel de Valenciennes et de la Cour d’appel de Douai, in Justice, no 53, avril 1977, p. 9.
2 P. DURAND. La décadence de la loi dans la Constitution de la Ve République, in Semaine juridique, 1959, 1, p. 1470 et suiv.
3 J. CARBONNIER, Essais sur les lois. Répertoire du Notariat Dufrenois, Paris, 1979, p. 235.
4 D. CHARVET, Crise de la justice, crise de la loi, crise de l’État, in La crise de l’État, sous la direction de N. POULANTZAS, Paris, PUF, 1976.
5 Sur cette question, il est intéressant de connaître la position du Syndicat de la Magistrature, exprimée dans le livre de cette organisation, Au nom du peuple français, Paris, Stock, 1974, p. 20 et suiv.
6 J. COMMAILLE, Justice : crise de confiance, in Français qui êtes-vous ?, sous la direction de J. D. REYNAUD et Y. GRAEMEYER, Paris, La Documentation française, 1981.
7 M. CROZIER et F. FRIEDBERG, L’acteur et le système, Paris. Seuil, 1977.
8 P. CAM, Juges rouges et droit du travail, in Actes de la recherche en sciences sociales, janvier 1978, p. 23-24.
9 M. WIEWORKA, Les magistrats et la défense des consommateurs, in Temps Modernes, août-sept. 1977, p. 280-287.
10 Sur cette question, cf. J. DELATTE, Les limites du pouvoir du juge des enfants, in Sociologie du Travail, 1/81.
11 Le lecteur intéressé par les évolutions récentes du droit de la famille en France consultera avec profit l’ouvrage de J. COMMAILLE, Familles sans justice ? Le droit et la justice face aux transformations de la famille, Paris, Le Centurion, 1982.
12 Le service des juridictions d’instance est assuré, depuis 1970, par des magistrats des tribunaux de grande instance désignés par décret pour trois ans ; sauf dans les circonscriptions de la ville de Paris et de ses trois départements périphériques, où les tribunaux d’instance sont dotés d’un effectif propre.
13 On trouvera de nombreux exemples de telles pratiques professionnelles dans le journal du Syndicat de la Magistrature, Justice, no 46, avril 1976.
14 Cité dans Le Monde du 3 février 1977, p. 23. On trouvera tout un dossier sur Claude Joly dans Justice 77, no 53.
15 Le juge d’instance a compétence en matière de loyers, de saisies, de contrats de travail (en l’absence d’un Conseil de Prud’hommes), de litiges en matière rurale, d’actions possessives, de contestations relatives à l’établissement des listes électorales, d’indemnités de réquisition et de pension. Outre son activité purement contentieuse, ce magistrat doit faire face à de nombreuses tâches administratives et exerce aussi les fonctions de juge des tutelles.
16 P. HÉBRAUD, Justice 59 : les juridictions, in Dalloz, 24 juin 1959, Chronique XXII, p. 151-160.
17 La plupart de nos renseignements sur les conciliateurs sont extraits de l’étude de A. JOBERT et P. ROZENBLATT, Le rôle du conciliateur et ses relations avec la justice, CREDOC, Paris, 1981.
18 Les conditions formelles de nomination sont les suivantes : 1 ° être électeur là où le postulant exercera ses fonctions ; 2 ° ne pas être investi d’un mandat électif ; 3 ° n’exercer aucune activité judiciaire à titre professionnel.
19 Voir la position du Syndicat de la Magistrature sur la question in Justice, janv.-fév. 1981, nos 82-83.
20 La Commission d’application des peines comprend des représentants des personnels administratif et éducatif de l’établissement pénitentiaire, ainsi qu’un membre du Parquet : elle n’avait alors qu’un « avis » à donner au JAP.
21 Cf. Juge de l’application des peines : les espoirs d’un moribond, in Justice, juin 1982, p. 16.
22 CASAMAYOR, L’indépendance judiciaire, in Le Monde du 8 juin 1965.
23 P. LYON-CAEN, L’expérience du Syndical de la Magistrature, in Pouvoirs, no 15, 1981, p. 59.
24 G. MASSON, Les juges et le pouvoir, Paris, A. Moreau-Syros, 1977, p. 266 et suiv.
25 Au moment où nous écrivons ces pages, le nouveau Garde des Sceaux, M. Badinter, a certes promis de réformer le Conseil Supérieur de la Magistrature, mais ces promesses n’ont pas encore été suivies de réalisation ; et si, lors de son XVe congrès, le Syndicat de la Magistrature rend hommage au travail effectué ou entrepris par le Parlement, il regrette néanmoins « la persistance de l’étranglement de la vie des juridictions par la hiérarchie judiciaire, le « maintien de l’ordre » dans la justice, l’impossibilité d’y aménager un quelconque changement » (in Justice, Vers des droits nouveaux..., déc. 1982, no 3, p. 2).
26 Le « recrutement latéral » semble avoir été une procédure favorisée sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing.
27 CASAMAYOR, La justice, l’homme et la liberté, Paris, Arthaud, 1954.
28 Cf. Justice, janvier-février 1981, no 82-83, p. 29.
29 M. JÉOL, Changer la justice, Paris, Simoën, 1977, p. 49.
30 R. CHARVIN, Justice et politique, Paris, LGDJ, 1968, p. 197.
31 On trouvera une description synthétique et critique de ces procédures dans l’article d’E. BLOCH, Faire carrière dans la Ve République, in Pouvoirs. 1981, no 16, p. 97 et suiv.
32 A. J. ARNAUD, Clefs pour la justice, Paris, Seghers, 1977, p. 175-176.
33 R. CHARVIN, La justice en France, Paris, Editions sociales, 1976, p. 51.
34 Ibid., p. 53.
35 Le décret du 28 septembre 1966 dispose que « les officiers de police judiciaire, à l’occasion d’une enquête ou de l’exécution d’une commission rogatoire... ne peuvent solliciter ou recevoir des ordres ou instructions que de l’autorité judiciaire dont ils dépendent ».
36 J. COMMAILLE, Familles sans justice ? Le droit et la justice face aux transformations de la famille, Paris, 1982, p. 173.
37 J. DELATTE, Les limites du pouvoir du juge des enfants, in Sociologie du Travail, 1/81, p. 89.
38 Cf. Justice, no 80-81, oct.-nov. 1980, p. 22.
39 Cf. entre autres A. DAVIDOVITCH, Fonctionnement des Parquets en France, recherche sur un mécanisme de régulation du système de la justice pénale, in Le fonctionnement de la justice pénale, Paris, CNRS, 1979.
40 On trouvera plusieurs références bibliographiques sur cette question dans l’ouvrage de Ph. ROBERT et Cl. FAUGERON, Les forces cachées de la justice, Paris, Le Centurion, 1980.
41 A. J. ARNAUD, o.c., p. 189 et suiv.
42 J. COMMAILLE, Contribution à une approche sociologique de la politique judiciaire : les accidents de la circulation, in L’année sociologique, vol. 27, 1976, Paris PUF. 1978.
43 P. LASCOUMES, Rapaces et passereaux, ou la justice pénale à l’affût de la délinquance d’affaires, in Economie et humanisme, mars-avril 1981, p. 23-43.
44 La transaction intervient principalement dans les matières relevant du patrimoine et du monopole de l’État (impôts, douanes, postes....) et en matière économique (infractions à la réglementation des prix, contrats illicites, etc.).
Notes de fin
1 Mis au point fin 1982, cet article ne peut tenir compte des projets et des changements intervenus après les élections de mai 1981, la période d’observation étant trop courte. L’étude a été réalisée dans le cadre de travaux préparatoires à une thèse de doctorat en sciences politiques et sociales, sur le Syndicat de la Magistrature en France.
Auteur
Juriste et sociologue
Première assistante aux Facultés universitaires Saint-Louis
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Imaginaire et création historique
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2006
Socialisme ou Barbarie aujourd’hui
Analyses et témoignages
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2012
Le droit romain d’hier à aujourd’hui. Collationes et oblationes
Liber amicorum en l’honneur du professeur Gilbert Hanard
Annette Ruelle et Maxime Berlingin (dir.)
2009
Représenter à l’époque contemporaine
Pratiques littéraires, artistiques et philosophiques
Isabelle Ost, Pierre Piret et Laurent Van Eynde (dir.)
2010
Translatio in fabula
Enjeux d'une rencontre entre fictions et traductions
Sophie Klimis, Laurent Van Eynde et Isabelle Ost (dir.)
2010
Castoriadis et la question de la vérité
Philippe Caumières, Sophie Klimis et Laurent Van Eynde (dir.)
2010