Le contrôle de la constitutionnalité des lois et des décrets en Belgique : fonction juridictionnelle ou politique ?
p. 71-174
Texte intégral
Introduction
1A la lecture du titre de cette contribution, les publicistes seront sans doute envahis par un sentiment de lassitude très compréhensible : voilà une étude de plus consacrée à un débat déjà « tant et tant surchargé »1 ! Quant aux juristes qui admettent — et leur nombre va croissant — que toute activité juridictionnelle présente un caractère politique, ils ne manqueront pas de froncer le sourcil devant la formulation de l’alternative : « fonction juridictionnelle ou politique ? ».
2Et pourtant, force est de constater qu’en Belgique la controverse portant sur l’admissibilité, tant de lege lata que de lege ferenda, de contrôles juridictionnels de la constitutionnalité des lois et des décrets est loin de se terminer, et que les termes dans lesquels elle semble encore se poser n’échappent guère à l’alternative simple figurant dans ce titre.
3Dans un premier chapitre, nous nous proposons de démontrer cette assertion par une synthèse de l’évolution que la controverse a connue depuis 1830 jusqu’à nos jours.
4Dans le second, nous tentons d’en dégager la portée et les enjeux en mesurant la pertinence de ses termes à l’aune de ce que ceux-ci laissent dans l’ombre. Il s’agira donc de se distancier des propos qui, pour obéir à la logique de ceux qu’on peut tenir de lege lata et de lege ferenda, nous paraissent, pour la plupart, redevables d’un certain nombre de présupposés communs. Ceux-ci seront interrogés d’un point de vue qui se voudrait plus détaché et plus critique.
5On le voit, cette double entreprise est pleine de risques : aux dangers inhérents à une tentative de synthèse appliquée à une question plus que séculaire et à une littérature considérable émanant des auteurs les plus éminents2, s’ajoutent les aléas d’une analyse qui se permettra de suggérer l’existence d’une forme de clôture à l’intérieur de laquelle la question semble encore se mouvoir actuellement. Nous n’avons décidé de rencontrer ces périls que dans le but d’apporter notre contribution à une réflexion collective sur la fonction de juger, et de tirer parti de cette réflexion pour confronter certaines des conclusions qui nous semblent s’en dégager à notre objet.
CHAPITRE 1. Les termes de la controverse et son évolution
6La Constitution belge autorise-t-elle le pouvoir judiciaire à ne pas appliquer les lois qui seraient en opposition avec ses principes ? Telle est la question qui ouvre la controverse. Comme toute question d’interprétation en droit, elle sollicite une triple interrogation en direction du texte constitutionnel, de son « contexte d’énonciation » et de son « contexte d’application »3.
7Faut-il considérer qu’« une disposition de la Constitution — quelque interprétation qu’on puisse en donner — ne cesse de commander l’examen de la matière »4, à savoir l’article 1075 ? Ou bien faut-il admettre que la Constitution recèle sur ce point une lacune67 ? Faut-il déduire des travaux préparatoires de la Constitution que ses auteurs ont voulu — ou ont dû vouloir — que les cours et tribunaux puissent connaître de la constitutionnalité des lois8 ? Ou, au contraire, les travaux préparatoires montrent-ils que le constituant a exclu — ou a dû exclure — un tel contrôle9 ? Ou encore, doit-on rejoindre le propos que tenait déjà en 1928 — et non sans humour — l’avocat Henry De Cock : « Il semble... bien inutile de se livrer à la trépanation de Raikem, ni d’aucun autre membre du Congrès, en prétendant découvrir dans ces cerveaux des pensées qui jamais n’y ont habité. Cette ancienne méthode d’interprétation, si souvent artificielle et fausse, s’avère ici particulièrement inefficace »10 ? Ce qui est certain, c’est qu’un consensus doctrinal ne s’est jamais formé à propos d’une seule de ces questions.
8Le texte constitutionnel et son contexte d’énonciation sont ainsi passés progressivement à l’arrière-plan du débat. Plus exactement, ils ont été interprétés à la lumière de plus en plus décisive du contexte juridique d’application qui s’est évidemment modifié depuis 1830, et particulièrement depuis les années 195011 qui voient la Belgique ratifier la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, d’une part, et poser les prémisses de son évolution vers le fédéralisme, d’autre part12.
9L’unanimité ne s’est pourtant pas faite autour de cette prise en considération prioritaire du nouveau contexte d’application. Les raisons de ce « dissensus » persistant sont aisées à comprendre. D’abord la méthode d’interprétation dite « systématique et évolutive »13 ne peut convaincre les juristes qui estiment que la « démarche exégétique » doit « prendre, dans le domaine de l’interprétation constitutionnelle, le pas sur toute autre méthode »14. Ensuite, et surtout, ces nouvelles données contextuelles prêtent elles-mêmes à des interprétations divergentes : si personne n’en conteste la réalité, l’appréciation de leur caractère déterminant ou non divise. Il n’empêche, beaucoup d’auteurs s’accordent, depuis les années 1960, pour consacrer l’essentiel de leurs argumentations à ce travail d’appréciation. Celui-ci, cantonné d’abord dans des propos tenus de lege ferenda, se glisse insensiblement, à partir des années 70, dans les mailles de l’analyse menée de lege lata15. Les partisans du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois vont alors relier leur interprétation à celle proposée par certains auteurs du xixe et du début du xxe siècle. Les adversaires de ce contrôle, pour leur part, sont toujours restés tributaires des arguments de leurs prédécesseurs ; ils essaieront surtout de démontrer que leur pertinence n’est pas entamée.
10Il se forme ainsi deux chaînes d’arguments récurrents depuis 1830 jusqu’à nos jours. Les facteurs issus du nouveau contexte juridique d’application n’en ont pas, en réalité, bouleversé les termes. Pour rendre compte de cette évolution, notre démarche se divise donc en trois opérations : la première tente de dégager ces termes récurrents (section 1) ; la seconde explicitera les nouveaux éléments qui se font jour depuis 1950 (section 2) ; et la troisième s’attachera à déterminer l’incidence de ceux-ci dans la jurisprudence (section 3).
11Une dernière et importante mise au point doit encore figurer dans ces préalables. La question à laquelle nous consacrons ce chapitre doit évidemment être articulée avec celle qui sert d’intitulé à l’ensemble de notre travail. La question de l’admissibilité de lege lata des contrôles judiciaires de la constitutionnalité des lois ne se confond pas avec celle de l’admissibilité de lege ferenda de contrôles juridictionnels généralisés, susceptibles d’être exercés par une Cour constitutionnelle. On sait, par exemple, que MM. De Visscher et Delpérée répondent négativement à la première, et positivement à la seconde16. De la sorte, le débat actuel met en présence, non pas deux écoles comme notre présentation pourrait le faire croire aux lecteurs non avertis, mais trois. Ce n’est un mystère pour personne : l’école de Gand (M. Mast) s’oppose à tout contrôle juridictionnel, judiciaire ou non, tant de lege lata que de lege ferenda ; l’école de Bruxelles (MM. Ganshof van der Meersch, Vanwelkenhuyzen et Velu) est en faveur du contrôle judiciaire de lege lata ; et l’école de Louvain MM. De Visscher et Delpérée) appelle de ses vœux la création d’un organe juridicitionnel spécialisé. Cette esquisse, plus que schématique, ne rend évidemment pas compte des nuances propres à chacune des opinions exprimées par ces éminents constitutionnalistes. De plus, bien des auteurs importants n’y sont pas mentionnés17. Néanmoins, l’observation de ce que nous sommes tenté d’appeler le « champ doctrinal » révèle que celui-ci se structure autour de ces pôles privilégiés.
12Malgré la présence de ces trois écoles, nous croyons, au regard de l’objet de ce travail, pouvoir réduire la question telle que la doctrine la pose à l’alternative suivante : la fonction juridictionnelle, telle qu’elle est concrètement organisée en Belgique, comprend-elle, oui ou non, le pouvoir de statuer sur les conflits de normes dans lesquels une loi, ou un acte équipollent à la loi, est impliqué ? Si la réponse est affirmative, tant les cours et tribunaux que les juridictions administratives peuvent exercer un contrôle dont le caractère dit « décentralisé » ou « diffus » est, en réalité, tempéré par la prééminence exercée par la juridiction suprême (respectivement la Cour de cassation et le Conseil d’État)18. Si la réponse est négative, on peut soit approuver l’absence de contrôle juridictionnel, soit émettre le souhait de voir confier ce « contentieux » spécifique19 à un organe central ad hoc dont la nature juridictionnelle sera reconnue ou non. L’hypothèse de notre travail est évidemment que la réponse affirmative postule le caractère purement juridique de l’opération de contrôle ; et que la réponse négative, dans ses deux branches, postule le caractère politique de cette opération, ou au moins la présence en elle d’une coloration politique suffisamment déterminante pour ne pas en attribuer l’exercice aux juridictions ordinaires. Une certaine définition du politique et de la fonction de juger sont donc bien aux fondements de la controverse.
Section 1. Les termes récurrents de la controverse depuis 1830 jusqu’aujourd’hui
13Les arguments de lege lata que partisans et adversaires du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois invoquent, depuis la première prise de position doctrinale de 183820, se sont très rapidement cristallisés autour d’une sorte de « noyau dur » qui est, à notre sens, resté intact jusqu’aujourd’hui. L’observation pourra surprendre : les spécialistes de l’herméneutique constitutionnelle n’enseignent-ils pas que, « comme Héraclite ne se baignait jamais dans le même fleuve, le constitutionnaliste n’expose jamais la même Constitution »21, ses règles écrites n’eussent-elles pas changé d’un iota ? Certes, — nous l’avons annoncé — d’importantes modifications contextuelles vont donner à la controverse une tournure différente, mais le « noyau dur » va résister. Nous devrons en rendre raison. Pour l’instant, examinons de quoi il est fait. Il se compose d’arguments qui, pris isolément, sont tous réversibles : l’article 107, l’article 13822, le principe de la séparation des pouvoirs, les exigences de la logique23 et de l’ordre, le concept de volonté nationale sont tour à tour invoqués à l’appui des deux solutions. En réalité, tous ces arguments en présupposent un autre, le seul à ne pas être réversible : le contrôle est, pour les uns, une opération de nature juridique, pour les autres, une opération de nature au moins partiellement politique. Quand cette question est tranchée, tous les autres arguments s’enchaînent avec une logique impressionnante. Cette option de base — qui est évidemment une manière de résoudre la question par la question — est souvent simplement sous-entendue. Ce sont les autres arguments auxquels les auteurs attachent leurs plus amples développements. Quoi de plus normal ? Le texte constitutionnel, la volonté du constituant et la magique séparation des pouvoirs fournissent des données infiniment plus recevables pour l’auditoire des juristes qu’une fragile réponse à une question fondamentale — mais de ce fait « marginale » (au sens propre du terme) —, une question dangereuse, — et fréquemment éludée — : qu’est-ce que juger ? ; qu’est-ce que « faire de la politique » ? Cependant, personne ne peut contourner complètement cette interrogation ; certains ont même le courage de s’y attaquer avec franchise. Nous allons donc tenter de rassembler les éléments de réponse qu’ils fournissent, et dérouler ensuite le fil de tous les autres arguments qui s’y enracinent. Se constituera ainsi ce que l’on pourrait appeler la séquence logique des thèmes récurrents, séquence dont la version favorable à l’admission des contrôles est, point par point, parallèle à la version défavorable. Faut-il le préciser, si le choix de cette méthode d’exposition doit nous permettre de rendre compte le plus fidèlement possible de la logique propre aux deux argumentations en présence, et de faciliter ainsi l’analyse que l’on réserve pour le second chapitre, il s’agit évidemment d’une sorte de « passage à la limite ». Fatalement, aucun des auteurs qui ont pris part à ce débat n’y reconnaîtra son argumentation personnelle avec toutes ses nuances. D’autant plus que cette présentation est forcément anhistorique, — bien que nous montrerons l’évolution de certaines formulations —, puisqu’il s’agit d’expliciter des thèmes récurrents, de saisir, au-delà des colorations contextuelles, un noyau dur. Soulignons également que le travail qui consiste à réexposer les thèses de chaque auteur dans l’ordre chronologique de leur publication a déjà été réalisé24.
14Enfin, rappelons dès ores, à l’intention du lecteur qui serait étonné de ne voir figurer quasiment aucune référence jurisprudentielle dans cette section, qu’une jurisprudence aussi constante que laconique25, depuis 184926 jusqu’en 196627, a déclaré que le pouvoir judiciaire ne peut apprécier la conformité d’une loi à la Constitution, et que le Conseil d’État s’y est rallié en 195128. Seule une décision contient une motivation à laquelle nous nous référerons, encore qu’elle n’émane pas de la Cour de cassation29. Le tournant entamé par celle-ci en 1974 sera examiné dans la section 3.
1. l’argumentation type de lege lata des adversaires du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois
15Nous décrivons cette argumentation en cinq étapes.
1. Contrôler la constitutionnalité d’une loi, c’est faire œuvre politique
16Tous les auteurs qui s’opposent au contrôle judiciaire nous semblent adopter cette position. Celle-ci est toujours au moins sous-entendue30. Quand elle est franchement explicitée, il y va souvent d’une forme de postulat ou, du moins, d’une proposition dont l’évidence n’appelle pas une longue démonstration : une allusion au caractère politique de la Constitution suffit31. Trois auteurs, cependant, se sont attachés à motiver leur opinion plus amplement. Léon Hallet, en 1928, estime que le constituant n’a pas fait de nos « franchises constitutionnelles » des « droits positifs et intangibles »32. Le Congrès national, à son avis, « s’est borné à établir... des règles abstraites en leur laissant la souplesse nécessaire pour ne pas contrarier l’évolution constante de la vie sociale. Il a ainsi abandonné au pouvoir législatif le soin d’interpréter les droits constitutionnels et de les maintenir, étendre ou restreindre, selon les nécessités »33. Apprécier celles-ci relèverait d’une responsabilité politique. Et l’auteur de citer de nombreuses lois qui démontreraient que le législateur a été contraint, dans ce travail d’appréciation, de s’écarter des principes que la « science juridique » consacre dans le domaine de l’interprétation. En établissant l’obligation scolaire, le législateur n’a-t-il pas dû méconnaître la volonté du constituant qui a proclamé, dans l’article 17, la liberté de l’enseignement ? En fixant un maximum d’heures de travail par jour, la loi n’a-t-elle pas été obligée de faire violence à l’article 7 tel que le constituant l’a conçu, la « liberté individuelle » comprenant la liberté du travail ? Ces exemples font sans doute sourire aujourd’hui mais l’argument, formulé avec plus de nuances, se retrouve régulièrement, depuis 1970, sous la plume autorisée d’André Mast34. Celui-ci souligne le caractère premier et suprême, général et forcément lacunaire de cette norme principalement politique qu’est la Constitution. Celle-ci se laisse adapter sans révision formelle aux circonstances sociales nouvelles, grâce aux vertus de l’interprétation. Certes, elle est une norme qui prescrit ce qui doit être, mais elle ne repose pas seulement sur « la toute-puissance dérisoirement présumée » de son « verbe »35. Elle doit aussi appuyer son autorité sur une « éthique constitutionnelle »36, sur « la volonté qu’ont les gouvernants de respecter les règles du jeu », volonté qui doit leur être « imposée par une opinion publique consciente et sachant se faire écouter »37. Par tous ces traits, elle se distingue nettement de la norme légale. Cette spécificité impose un mode d’interprétation propre ; elle réclame une « interprétation téléologique et objective des textes ». Cette latitude dont disposent les pouvoirs constitués dans l’interprétation de la Constitution est fatale, vu « l’éloignement dans le temps et la relative inaccessibilité du pouvoir constituant »38. Mais il en résulte que « la vérité constitutionnelle n’est pas une vérité révélée : elle est fragile et incertaine »39. Un « critère objectif d’inconstitutionnalité... n’existe pas », si ce n’est pour les normes constitutionnelles qui ne prêtent pas à interprétation ; mais celles-ci sont rares et, plus que probablement, elles ne seront pas violées. Les articles qui sont effectivement susceptibles de poser un problème « mettent en œuvre des concepts qu’il appartient aux pouvoirs constitués de définir et de traduire dans la réalité vivante des rapports sociaux »40. Les juges ont bien sûr leur mot à dire en la matière, mais pas le dernier. Contrôler la constitutionnalité de la loi, c’est-à-dire l’« interpréter sans recours possible »41 est « un acte politique »42. Et l’auteur de citer souvent deux exemples. Comment déclarer telle ou telle loi contraire à l’article 6, qui proclame l’égalité des Belges, sans imposer une certaine conception du juste et de l’injuste ? Comment, dans le contexte politique actuel, refuser d’appliquer une loi parce qu’elle est contraire à l’article 23, qui règle l’emploi des langues, sans adopter « une prise de position politique »43 ?
17Beaucoup d’auteurs ont admis cette analyse ou, plus exactement, celle-ci exprime bien la pensée de plusieurs constitutionnalistes44. Elle semble, en effet, représenter la version la plus achevée de ce premier — et décisif — argument. Mentionnons encore, cependant, les réflexions de Jean Dabin. Pour lui, contrôler la constitutionnalité d’une loi, c’est « faire œuvre juridique (car l’utilité commune, loin d’être étrangère au droit, en fait partie et le domine) », mais ce n’est pas « faire œuvre judiciaire », parce que l’auteur du contrôle juge « non plus suivant la loi, non plus même de la loi suivant la Constitution, mais, à travers la Constitution, de la loi suivant le bien commun. Or, que signifie pareille fonction, sinon ce qu’on a appelé le « gouvernement des juges » ? »45. Cette opinion se fonde sur l’observation suivante : « la plupart des textes constitutionnels, ceux dont le jeu serait réellement utile et pratique, sont rédigés en une forme si vague, si elliptique parfois, que non seulement ils offrent matière à interprétation, par conséquent à divergence et à doute, mais qu’ils requièrent impérieusement délimitation et mise au point, eu égard à des « facteurs » (bien commun, possibilités techniques) que les tribunaux ne sont pas à même de bien apprécier, ni en fait, ni en droit »46. On le voit : les formulations varient et rivalisent de finesse ; mais l’argument est bel et bien le même.
2. Interprétation des textes constitutionnels fondée sur le premier argument
18Le second argument consiste dans une interprétation « naturellement » a contrario de l’article 107 de la Constitution. Si celui-ci n’investit les cours et tribunaux que du pouvoir de contrôler la légalité des normes réglementaires, et présente ainsi l’exercice de ce seul contrôle comme un attribut de la fonction juridictionnelle, c’est parce que le juge a, dans cette hypothèse, un pouvoir d’appréciation qui, comme l’écrit encore Jean Dabin, « reste enserré dans le cadre relativement rigide d’une loi organique précise, définissant nettement le genre d’intérêt public laissé à son appréciation » : il « n’a à connaître que d’un intérêt public déterminé ». Par conséquent, l’article 107 exclut tout contrôle de constitutionnalité, dans la mesure où celui-ci, comme on l’a vu, implique que le juge doit « connaître du bien public en général »47. Ce second argument ne convaincra donc que ceux qui se sont ralliés au premier.
3. La séparation des pouvoirs
19Tous les adversaires du contrôle judiciaire ont invoqué ce principe particulièrement au xixe siècle. Pourtant, sa force s’est trouvée compromise par l’utilisation tout aussi fréquente qu’en ont faite les partisans du contrôle, mais à partir de présupposés évidemment différents. Aussi, en 1927, Louis Wodon parle du « fallacieux principe de la séparation des pouvoirs », d’une doctrine stérile, « qui embrouille tout et n’explique rien »48. D’aucuns entendent, du coup, ne plus y recourir49. Cependant, on le retrouve encore sous une terminologie comme : « l’équilibre général des pouvoirs »50 « l’ordre logique des choses »51, etc. C’est que l’idée fondamentale est la même depuis les réflexions de Britz en 184952 jusqu’à celles de Mast en 198153 : le premier déclare sans ambages que le pouvoir judiciaire est « inférieur » au pouvoir législatif, « omnipotent et créateur »54 ; le second, plus nuancé, écrit que le pouvoir législatif a « la plénitude de compétence et la première place au rang des pouvoirs constitués »55. Entre ces deux expressions, les formules varient56, mais elles entendent toutes rappeler que le pouvoir législatif dispose du « résidu de la souveraineté », tandis que les deux autres pouvoirs « ne peuvent exercer que les attributions qui leur sont expressément dévolues par la Constitution »57. Il est bien sûr répété que cette situation est à déduire de ce que le pouvoir législatif « représente le plus parfaitement la volonté souveraine de la nation »58.
20Certes, aucun des adversaires du contrôle ne conteste le prescrit de l’article 25 de la Constitution aux termes duquel « tous les pouvoirs émanent de la nation » ; mais ils relient l’article 25 à l’article 32, qui proclame que ce sont « les membres des deux chambres » qui « représentent la nation »59. Aussi, c’est l’origine démocratique du pouvoir législatif qui lui confère une légitimité dont le pouvoir judiciaire ne peut se réclamer, et qui doit se traduire dans une prérogative du dernier mot.
21Ajoutons que l’argument s’accompagne très souvent d’une effrayante prédiction d’« anarchie » pour le cas où il ne convaincrait pas le pouvoir judiciaire60. Charles Faider s’en explique ainsi : la présomption de conformité des lois à la Constitution, en tant que corollaire du principe de la séparation des pouvoirs, est une des bases de l’ordre social61. Mais il semble que les études postérieures à 1928 ne brandissent plus, du moins sous cette forme62, une telle menace.
22On observera, au terme de l’exposé de ce troisième argument, que, pris isolément, celui-ci est dénué de toute force. En effet, la légitimité démocratique du pouvoir législatif n’est pas contestée par les partisans du contrôle. Ces derniers, comme nous le verrons, attirent seulement l’attention sur le nécessaire respect de la Constitution par ce pouvoir. Si les adversaires du contrôle peuvent prétendre que la séparation des pouvoirs commande une exclusion de toute sanction juridictionnelle pour les cas où ce « nécessaire respect » — qu’ils ne mettent nullement en cause évidemment — serait compromis, c’est seulement parce qu’ils présupposent que connaître d’une telle allégation ne peut se faire — du moins pratiquement, là où il est possible que celle-ci se produise — sans porter des appréciations de nature politique.
23L’argument n’est donc qu’une répétition du premier : s’il est admis que le contrôle de la constitutionnalité des lois est un acte politique, il va de soi que le principe de la séparation des pouvoirs exige que cette mission soit exercée par le pouvoir législatif qui est « l’organe politique par excellence »63.
4. Interprétation des textes constitutionnels fondée sur le troisième argument
24Trois articles de la Constitution sont invoqués dans la foulée du principe évoqué ci-avant : les articles 107, 28 et 138. L’article 237 du Code pénal est parfois cité dans le même esprit.
25a) L’article 107 de la Constitution tout d’abord. Il est ici l’objet d’une seconde interprétation qui vient compléter celle que nous avons reproduite à la suite du premier argument. On y voit à présent une confirmation de la volonté du constituant de conférer au pouvoir législatif la prééminence vis-à-vis des autres pouvoirs constitués. Il est surtout remarqué que c’est le pouvoir judiciaire, précisément, qui est chargé de veiller à cette prééminence. S’il reçoit ainsi mission de fortifier l’autorité de la loi, comment peut-on soutenir qu’il serait en même temps habilité à décider si la loi doit ou non être appliquée ? Si le constituant avait voulu confier aux juges une technique aussi dangereuse pour le crédit des lois — technique qui lui était bien connue d’ailleurs — il n’aurait pas manqué de le prescrire explicitement. S’il a fallu au pouvoir judiciaire une délégation expresse pour contrôler les simples règlements, n’en fallait-il pas une a fortiori pour contrôler les lois ? L’argument a été formulé par Faider en 1850 avec beaucoup de force. Il a été répété à d’innombrables reprises ; et il l’est toujours64.
26Souvent présenté indépendamment de ses prémisses, son autorité, appuyée sur un état d’esprit que l’on peut, en effet, raisonnablement imputer au constituant originaire65, ne se soutient cependant que du présupposé qui consiste à percevoir le contrôle de la constitutionnalité comme réellement dangereux pour le « crédit des lois ».
27b) L’article 28 de la Constitution réserve l’interprétation des lois par voie d’autorité au seul pouvoir législatif66. Traditionnellement, les adversaires du contrôle judiciaire en ont déduit que seul le législateur, en l’absence du constituant, a le droit de fournir une interprétation authentique des textes constitutionnels. Le motif allégué se situe toujours dans la prééminence du pouvoir législatif : celui-ci est « l’organe attitré de la volonté générale, explique ainsi Giron, et... il supplée le pouvoir constituant, quand celui-ci n’est pas en activité »67.
28Cependant, d’autres adversaires du contrôle judiciaire ont condamné cette déduction. A leurs yeux, l’article 28 n’est que l’interprétation du brocard : Eius est interpretari, eius est condere. Seul le pouvoir constituant peut interpréter la Constitution par voie d’autorité68. Il semble pourtant que les uns et les autres s’accordent encore pour tirer de l’article 28 — jumelé avec l’article 107 — une interprétation a contrario qui prohibe tout contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois : aucun juge ne peut « souverainement établir l’interprétation de la loi dont il se propose d’apprécier la compatibilité avec la Constitution »69.
29Mais il reste à déterminer si l’on peut assimiler le refus du juge d’appliquer une loi parce qu’il l’interprète comme inconstitutionnelle, avec l’interprétation authentique de la Constitution... A nouveau, on remarque que cette assimilation présuppose que contrôler la constitutionnalité d’une loi, c’est dépasser les limites d’une interprétation juridique de la Constitution, de la même manière qu’« interpréter le droit par voie d’autorité, c’est participer à son élaboration »70.
30c) L’article 138 de la Constitution71 inspire souvent un raisonnement a contrario : puisque le constituant n’a soumis à un contrôle de constitutionnalité que les lois antérieures à la mise en vigueur de la Constitution, il a dû exclure cette technique à l’égard des lois postérieures72.
31Il est évident que cet argument qui tire parti d’une disposition transitoire et abrogatoire, qui ne concerne d’ailleurs pas le seul pouvoir judiciaire, ne peut convaincre que... les convaincus.
32d) Il en est de même pour l’article 237 du Code pénal qui punit l’immixtion des juges dans l’exercice du pouvoir législatif73. L’invoquer dans ce débat74, c’est manifestement présupposer la question résolue.
5. Et s’il arrivait que le législateur viole franchement la Constitution ?
33Sous cette dernière rubrique formulée en terme de question, nous voudrions envisager brièvement les réponses qu’y ont apporté ceux qui, opposés à tout contrôle judiciaire, ne souhaitent pas non plus voir instauré un autre contrôle de type juridictionnel. Ici, l’argument est explicitement surabondant. Son intérêt n’en est pas négligeable pour autant...
34Dans un premier temps, ils relèvent les mécanismes qui devraient rendre l’hypothèse examinée toute théorique. Sont le plus souvent cités75 : le bicamérisme, la périodicité des élections, le rôle de l’opposition, celui du Roi, l’intervention préventive de la section de législation du Conseil d’État depuis 1946, et les nouvelles garanties introduites par la révision constitutionnelle de 1970 : protection des minorités idéologiques et philosophiques, majorités spéciales, composition paritaire du Conseil des ministres et autres sonnettes d’alarme. En définitive, c’est surtout sur les réactions de l’opinion publique que l’on compte : n’est-elle pas informée via la publicité des projets de loi et des débats parlementaires, eux-mêmes relayés par une presse libre ? M. de Robaux, un membre du Congrès national, disait en s’adressant à ses pairs : « la Constitution, c’est une arche d’alliance ; si vous y touchez, vous serez frappés de mort, oui vous serez frappés de mort par l’opinion »76. Ce langage n’est sans doute plus de mise, mais la confiance dans l’« opinion » qu’il révèle reste déterminante dans la pensée, toujours actuelle, de ceux que nous évoquons ici77.
35Dans un second temps, ces derniers se résolvent, malgré tout, à prendre en considération notre hypothèse, cette « situation extrême, près de l’abîme », pour reprendre les mots de Charles Faider78. On peut observer une différence dans les réactions qu’elle suscite. Les auteurs les plus anciens s’écrient immédiatement : imaginer que le législateur viole consciemment la Constitution, c’est « supposer par avance la législature, dans ses trois branches, capable, non d’une simple erreur, toujours réparable, mais d’un attentat voulu, criminel, contre la loi fondamentale, c’est supposer l’absurde ». Et Alfred Faider — qui est l’auteur de ces lignes — d’ajouter en citant Liedts : « quand on suppose l’absurde, il n’y a plus de nation »79. Charles Faider, 54 ans plus tôt, avait déjà tenu ce raisonnement : « toutes les garanties se tiennent, et... l’indépendance des tribunaux succombe nécessairement, le jour où ces garanties sont abolies »80. Il est donc inutile de reconnaître au pouvoir judiciaire le droit de contrôler la constitutionnalité des lois et de supprimer ainsi « la limite des pouvoirs, cette clé de voûte de l’édifice politique »81 puisque, si une violation de la Constitution « a lieu de propos délibéré..., elle sera suivie de toutes les autres et... le pouvoir judiciaire sera mis hors d’état d’agir »82. Ne raisonnons pas sur des révolutions83.
36Les auteurs postérieurs à la première guerre mondiale sont généralement plus nuancés. Ils admettent que dans certaines circonstances il est nécessaire que le législateur « passe outre à la lettre de la Constitution »84. C’est la théorie bien connue de l’état de nécessité. Le « caractère éminemment politique » des appréciations à faire est une nouvelle fois souligné85. Il en est déduit précisément qu’une telle responsabilité ne peut a fortiori être prise que par les représentants de la nation. Les risques d’abus ne sont pas ignorés pour autant, mais il y est répondu à nouveau que « jamais le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois n’a empêché un coup État »86.
37Tels sont les thèmes récurrents des adversaires du contrôle judiciaire. Les commentaires doctrinaux consacrés à la bien connue « présomption de constitutionnalité des lois » en fournissent la significative récapitulation. Pour clore ce paragraphe, il nous semble intéressant d’en examiner brièvement les deux versions.
38Ladite présomption a d’abord été présentée comme fondée dans un principe d’ordre social. C’est Charles Faider qui a le plus insisté sur cet aspect. Il cite M. Thimus, auteur d’un traité de droit public publié en 1845 : « La force de la loi n’est pas seulement dans la justice, mais aussi dans l’autorité du législateur... La loi est présumée bonne »87. Ce qui revient à dire : « la loi, bonne ou mauvaise, est toujours loi »88. Comment ne pas songer à Portalis en écoutant ces maximes ? Précisément, Faider fait appel à l’autorité de ce dernier qui disait dans son discours au corps législatif : « Quand la constitution d’un peuple est établie, le pouvoir constituant disparaît »89. Faider conclut : la loi est « le seul moyen de mettre la constitution en action ». Aussi ajoute-t-il, « il est absolument faux de dire qu’une loi consacrant une interprétation erronée de la Constitution n’est pas une loi, que cette loi suspend la Constitution, puisqu’elle la met au contraire en action ; que cette loi contient une révision indirecte de la Constitution, puisqu’elle la confirme en l’appliquant ; que cette loi n’est pas portée de la manière établie par la Constitution, puisqu’elle a fait l’objet d’études, de discussions et de votes solennels, puisque les doutes ou les dissentiments ont été plus vivement débattus, plus mûrement résolus »90. En définitive, explique le haut magistrat, une loi contraire à la Constitution reste une loi parce qu’il y a « chose jugée législative », de la même manière qu’un arrêt contraire à la loi reste un arrêt parce qu’il y a « chose jugée judiciaire ». Or, les deux « présomptions immuables » qui affirment, l’une : praesumuntur leges sancte et pie conditae, l’autre : res iudicata pro veritate habetur sont « le salut des sociétés »91. Faider leur reconnaît la nature d’« axiomes » et répète que ceux-ci sont « la base de tout ordre social »92.
39Actuellement, la présomption est plutôt présentée comme fondée dans un principe de légitimité démocratique93. Elle ne conduit pas, insiste-t-on, « à avancer que le législateur est le seul interprète de la Constitution mais à tenir seulement qu’il en est le dernier »94. « Il est juste, explique Mast en 1975, que le pouvoir du dernier mot appartienne au pouvoir législatif dans les questions dont les réponses peuvent orienter le destin de la Nation »95.
40Cependant que l’accent soit mis sur l’idée d’ordre social ou sur celle de légitimité démocratique, la présomption de constitutionnalité des lois ne nous semble jamais que l’expression d’une règle particulière de répartition des attributions du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire, fondée sur le postulat qui veut que décider sans recours si une loi est ou non conforme à la Constitution, c’est trancher une question de nature politique. M. Vanwelkenhuyzen s’est, à juste titre, interrogé sur la pertinence du concept de « présomption », généralement invoqué par la doctrine96. On a vu Charles Faider parler indifféremment de « présomption » ou d’« axiome ». M. Vanwelkenhuyzen, pour sa part, retient le ternie de « postulat »97. A notre sens, si l’on veut bien respecter la pensée des adversaires du contrôle juridictionnel, le seul postulat en cause est celui qui qualifie de politique une appréciation qui relève de ce fait du pouvoir législatif, et d’aucun autre. Il n’est pas interdit de chercher à légitimer cette règle d’attribution en présumant que l’appréciation est toujours correcte, mais cette présomption, évidemment discutable, ne doit pas occulter le postulat dont elle dérive.
2. l’argumentation type de lege lata des partisans du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois
41Cette argumentation, symétrique à la précédente, est également exposée en cinq étapes.
1. Contrôler la constitutionnalité d’une loi, c’est faire œuvre juridique
42Tous les auteurs qui estiment que le pouvoir judiciaire est de lege lata compétent pour contrôler lui-même la constitutionnalité des lois, adoptent cette position. Généralement98, celle-ci est explicite, mais le plus souvent présentée comme une évidence : les articles 30, 92 et 93 de la Constitution attribuent « logiquement » cette mission au pouvoir judiciaire99 qui est, selon l’expression de Vanden Bossche, un « pouvoir juridique »100. La version récurrente de ce postulat fait appel à « l’essence de la mission du juge »101 : son droit de refuser d’appliquer une loi inconstitutionnelle est inhérent à son pouvoir. Le légendaire juge Marshall ne l’a-t-il pas déjà dit en 1803, dans les termes les mieux choisis, à l’occasion de la célèbre affaire Marbury v/Madison ? Depuis les premiers articles d’Eugène Verhaegen en 1850, presque toutes les études favorables au contrôle invoquent cet arrêt de la Cour suprême des États-Unis102. La plupart du temps, elles argumentent comme si aucun problème particulier d’interprétation ne se posait. Dans ces conditions, elles ont beau jeu de montrer, avec force détails, que l’application d’une loi inconstitutionnelle revient à reconnaître à la loi une force juridique supérieure à celle de la Constitution, et à violer ainsi la procédure prévue pour la révision de la règle suprême. Les exemples d’inconstitutionnalité cités à titre d’hypothèses sont des cas aussi flagrants qu’émouvants. Tout au plus, il est concédé de temps à autre que « l’herméneutique a ses bizarreries, que produit la lutte de l’esprit et de la lettre »103, mais il n’y est consacré que de maigres développements.
43Un embryon de motivation apparaît parfois dans l’idée que le contrôle de la constitutionnalité d’une loi n’est, somme toute, que la mise en œuvre d’une technique très ordinaire et qui n’a pas donné lieu à des griefs de politisation, à savoir la solution des antinomies104. Mais, il nous semble qu’il faut attendre les prénétrantes réflexions de M. Vanwelkenhuyzen, en 1974, pour disposer d’une justification plus complète. Selon l’éminent constitutionnaliste, la Constitution belge a un « caractère concret et positif »105 : « les règles précises que la Constitution... consacre, par exemple, aux libertés individuelles, ne sauraient conférer aux cours et tribunaux la faculté de construire, selon leurs vues propres, les règles du droit constitutionnel. Les articles de caractère plus général, tels l’article 25 qui affirme le caractère démocratique de l’État, ou les articles 92 et 93 qui définissent en termes lapidaires la compétence du pouvoir judiciaire, ont reçu dès à présent, par l’œuvre de la doctrine et de la jurisprudence, une signification qui interdit de les transformer en instruments du « gouvernement des juges » »106. Toutefois, M. Vanwelkenhuyzen semble admettre le caractère général et lacunaire des dispositions constitutionnelles107. Il reconnaît même que « des considérations et des circonstances politiques peuvent influencer les solutions qui sont adoptées en droit constitutionnel »108. L’examen de la conformité des lois à la Constitution condamne donc le juge à pénétrer sur « le terrain de la controverse politique »109. Mais il est d’autres questions qui peuvent « faire surgir dans les prétoires des litiges comportant un enjeu politique »110. Et surtout, il apparaît possible à l’auteur de continuer à émettre « un jugement de juriste »111, tout en évoluant sur ce « terrain ». C’est à la condition de faire preuve de la prudence, des réserves et des « infinies précautions nécessaires »112. « Deux cas peuvent, en réalité, se présenter. Dans le premier, au moment du vote de la loi, la contradiction entre l’une de ses dispositions et tel article de la Constitution n’a pas été aperçue. Le rythme parfois accéléré du travail parlementaire et les préoccupations essentiellement politiques et non juridiques des membres des Chambres font que ce cas peut parfaitement se présenter. Comment soutenir, dans pareil cas, que les Chambres doivent avoir le dernier mot ? — En réalité, elles n’ont même pas eu véritablement l’occasion de se prononcer. Dans un second cas, l’objection d’inconstitutionnalité a été formulée au cours des travaux préparatoires, elle a été discutée et il y a été passé outre. Une certaine interprétation de la Constitution a été admise par la majorité parlementaire. Comment supposer que les juges, saisis de la même question de compatibilité entre la loi et la Constitution, rejetteraient l’interprétation plausible qui leur serait ainsi proposée, spécialement lorsque les dispositions constitutionnelles, générales et lacunaires, ne pourraient voir leur sens déterminé que par une appréciation de caractère politique ? »113.
44Telle est la démonstration la plus achévée de ce premier argument que M. le Procureur général Frédéric Dumon a fréquemment répété avec conviction : « Une juridiction qui constate qu’une loi ou un décret n’est pas conforme à la Constitution ne gouverne pas mais dit le droit et assure la protection de la charte fondamentale que la Nation s’est donnée »114.
2. Interprétation des textes constitutionnels fondée sur le premier argument
45L’appréciation de la légalité d’un règlement est une question dont la nature juridique est attestée par l’article 107 de la Constitution. Or, « la situation est identique, qu’il s’agisse d’un acte administratif ou d’un acte législatif »115 : contrôler la légalité du premier ou la constitutionnalité du second relève de la même démarche juridique. D’autant plus que « l’applicabilité directe de la plupart des normes constitutionnelles n’a jamais été contestée en cas de conflit entre une telle norme et une norme réglementaire »116. Dès lors, l’article 107 « reflète seulement un aspect d’un principe général qui veut que le juge, mis en présence de deux règles juridiques contradictoires, doit se prononcer en faisant abstraction de celle de ces règles qui, dans la hiérarchie des normes de droit, est inférieure à l’autre »117.
46De plus, il est rappelé que le contrôle exercé en vertu de l’article 107 sur les actes de l’exécutif a souvent conduit le pouvoir judiciaire à trancher des « litiges comportant un enjeu politique ». La question de la validité des arrêtés pris en vertu de pouvoirs spéciaux ou en vertu de pouvoirs extraordinaires, ou le problème de la légalité des mesures gouvernementales en matière de contrôle des prix sont, par exemple, autant de controverses juridiques qui se sont d’abord déroulées au parlement. Or, les décisions des juges rendues à ces occasions « ont pu faire l’objet de critiques du point de vue juridique quant à la pertinence et à l’exactitude de leurs motifs ». Mais « jamais elles ne sont apparues comme une tentative du pouvoir judiciaire ou de quelque juridiction que ce soit, d’empiéter sur les attributions du pouvoir politique »118.
3. La séparation des pouvoirs
47Deux idées dominent la conception que les partisans du contrôle judiciaire se font de la séparation des pouvoirs, qu’ils invoquent tous depuis Eugène Verhaegen jusqu’à André Vanwelkenhuyzen : la supériorité du pouvoir constituant par rapport au pouvoir législatif, et l’égalité des pouvoirs constitués.
48La Constitution est « plus sacrée » et « plus souveraine » que la loi119 ; elle est « la loi des lois »120. C’est, en effet, la Constitution qui, selon les termes de son article 25, exprime la volonté de la nation121. C’est en elle que les droits du peuple sont « scellés »122. Henry De Cock va même jusqu’à dire : la « Nation souveraine n’a qu’un seul et unique organe : l’Assemblé constituante »123. Plus nuancé, Eugène Verhaegen écrit : « le peuple belge, parlant par sa Constitution, voilà le mandant ; la législature, voilà un de ses mandataires »124. Et le fougueux avocat de reprocher que dans l’argumentation de Charles Faider, « l’idée de Constitution... n’y a plus de vie et, partant, n’y inspire plus de foi »125.
49Dès lors, « les trois Pouvoirs occupent, à rang égal, l’échelon inférieur »126. Le pouvoir législatif n’a pas de prééminence à faire valoir à l’égard du pouvoir judiciaire. Dira-t-on que le second se voit tout de même organisé par le premier, Verhaegen répond que la tâche de celui-ci ne consiste que dans « la mise en pratique de règles antérieures tracées par un être omnipotent »127. Observera-t-on que le Congrès national n’est pas resté insensible aux idées de 1791 et de l’an VIII, l’avocat général Soenens réplique, le rapport de Raikem à l’appui, que « nos constituants ont répudié, en général, le système de l’assimilation du judiciaire à l’exécutif, pour restituer à la Magistrature, organe d’un pouvoir juridique jusque-là « asservi » au pouvoir politique, la plénitude de ses attributions, avec les garanties d’une parfaite indépendance »128. De plus, la conception rousseauiste de l’infaillibilité du législateur n’a pas été retenue par notre Constitution, puisque celle-ci a distingué le pouvoir constituant du pouvoir législatif129. Soulignera-t-on, néanmoins, la légitimité démocratique toute particulière qui s’attache à ce dernier, le professeur Paul Vermeersch rétorque par une constatation : les pouvoirs exécutif et judiciaire qui émanent pourtant de la nation (art. 25) sont confiés à des autorités non-électives. « C’est donc que, pour émaner de la nation, un pouvoir n’a pas besoin d’être conféré par l’élection et que la nation ne se confond pas avec le corps électoral »130. Tous les pouvoirs, répétera encore le professeur Vanwelkenhuyzen, « tiennent leur compétence de la Constitution. Celle-ci ne fait aucune distinction entre des organes de la puissance publique qui seraient légitimes et d’autres qui ne le seraient pas ou le seraient moins »131.
50Cette manière de comprendre la séparation des pouvoirs semble alors commander au judiciaire, « pouvoir purement juridique » destiné « à faire contrepoids à la politique », de sanctionner les lois inconstitutionnelles qui en sont l’œuvre132. L’avocat général Soenens est encore plus explicite quand il reproduit ces mots de Hauriou : « antérieurement à la séparation des pouvoirs de Montesquieu, il y a une autre séparation des pouvoirs : séparation entre la souveraineté politique et la souveraineté juridique de l’État ; et ce qui est d’organisation constitutionnelle, c’est exclusivement l’équilibre entre ces deux formes de la souveraineté, équilibre d’où résulte la subordination du pouvoir de domination au droit positif »133. C’est toute la thématique de l’État de droit qui apparaît ici. Elle est très souvent invoquée134. Le principe du contrôle judiciaire est alors présenté comme appartenant au « droit commun des États civilisés »135.
51Quant à la menace d’« anarchie » invoquée par les adversaires du contrôle judiciaire, elle est écartée, dès 1850, par une manifestation de confiance dans l’unité du pouvoir judiciaire136. Et le « dogme de l’obéissance à la loi » ? Verhaegen répond qu’il vaut mieux porter une légère atteinte à ce dogme-là, plutôt que d’ébranler celui qui impose le respect de la Constitution : « rien de grave ne contrebalance [les] conséquences fâcheuses » qui résultent de l’application d’une loi inconstitutionnelle137. Il précise, par ailleurs, que si la pensée du législateur est incertaine, elle sera présumée fidèle à la Constitution138. Mais si une loi est vraiment inconstitutionnelle et, de ce chef, écartée par le juge, « le plus ou le moins de déconsidération qu’aura encouru le pouvoir législatif se trouvera compensé par la juste faveur qu’attirera à la magistrature son dévouement éclairé au pacte constitutionnel »139. Finalement, la menace d’anarchie est retournée à son auteur : c’est bien l’application judiciaire d’une loi inconstitutionnelle qui est entachée du péché de l’« anarchie »140 et de l’« arbitraire »141, péché dont la version plus récente prend le nom d’illogisme et d’incohérence, l’un et l’autre étant le plus souvent fustigés sous le haut patronage de Hans Kelsen142.
52Malgré la force de ce troisième ensemble d’arguments, qui ne voit que ceux-ci sont entièrement tributaires du premier ?
4. Interprétation des textes constitutionnels fondée sur le troisième argument
53Les articles 107, 28 et 138 de la Constitution sont interprétés ici dans la perspective du principe de la séparation des pouvoirs conçu comme nous venons d’en rendre compte.
54a) L’article 107, écrit Verhaegen, ne donne pas « carte blanche au législateur, parce qu’il détermine où finit le pouvoir administratif »143. Il doit être compris, enchaîne Soenens, comme un des indices de la volonté du constituant de restituer au pouvoir judiciaire toute son indépendance. Sous le régime précédent, la question s’est posée de savoir si les abus du pouvoir exécutif pouvaient être sanctionnés par la voie d’un refus d’application opposé par les tribunaux aux actes viciés par ces abus. C’est la raison pour laquelle le constituant n’a rencontré explicitement que cette hypothèse. S’il n’a pas envisagé celle d’un abus du pouvoir législatif, il n’en est pas moins évident qu’elle doit être réglée par une application du même principe144.
55b) L’article 28, pour sa part, doit être examiné à la lumière non plus du fallacieux principe de la prééminence du pouvoir législatif, mais bien de celui qui déduit de la Constitution elle-même la suprématie du pouvoir constituant. Il vise, observe-t-on, l’interprétation authentique des lois ordinaires, et non celle de la Constitution. Il ne livre, dès lors, aucun titre au législateur pour imposer un quelconque pouvoir du dernier mot en matière constitutionnelle. Ce pouvoir n’appartient qu’au constituant. L’article 28 ne fait donc nullement obstacle au droit des juridictions d’interpréter la Constitution chaque fois que cette interprétation est indispensable à la solution du litige porté devant elles145.
56c) Quant à l’article 138, certains reconnaissent qu’il est « simplement inapplicable aux lois postérieures à la promulgation de la Constitution »146. Mais d’autres n’hésitent pas à en tirer un argument positif : l’article manifesterait la volonté du constituant de voir écartées, de manière générale, toutes les lois inconstitutionnelles147.
57Bien entendu — faut-il le dire ? — aucun de ces arguments de texte n’est décisif s’il n’est relié aux prémisses exposées ci-avant.
5. Et s’il arrivait que le pouvoir judiciaire interprète erronément la Constitution ?
58Si jamais un juge écartait une loi non-inconstitutionnelle, les juridictions supérieures seraient assurément en mesure de corriger rapidement l’erreur. Si celles-ci se trompaient encore, la Cour de cassation interviendrait sans aucun doute. Et, conclut Verhaegen, « quoi qu’elle décide, [son] arrêt est censé vérité »148. D’ailleurs, les magistrats n’ont-ils pas, eux aussi, prêté serment de fidélité à la Constitution149 ?
59Mais cette autorité de chose jugée peut-elle couvrir des appréciations aussi difficiles que celle de l’« état de nécessité » ? La réponse est résolument affirmative. Warlomont montre d’abord que l’indispensable « plasticité » des institutions — pour reprendre une expression de P. Errera — peut être adéquatement maintenue par une « jurisprudence large et intelligente »150. Quant à l’état de nécessité proprement dit, MM. Velu et Vanwelkenhuyzen rappellent qu’il s’agit bel et bien d’une notion juridique151.
60Certains admettent cependant l’existence d’un risque. « Allez, finalement, jusqu’à évoquer l’impossibilité, écrit Verhaegen, figurez-vous que la plupart des hommes qui composent l’ordre judiciaire soient atteints de folie, au point de méconnaître de toute nécessité, et la Constitution et les lois, en s’abstenant, à chaque instant, d’appliquer celles de nos lois qui ne sont que la mise en œuvre des articles les plus importants de la Constitution ». Et l’avocat de répondre : « N’y aurait-il pas un moyen suprême à employer alors, la révision du pacte fondamental, ou plutôt de ce qui, dans son contenu, aurait été insuffisant à conjurer le désordre ? »152. Cette réponse est régulièrement reproduite depuis lors jusqu’aujourd’hui. « L’existence d’un contrôle juridictionnel n’exclut pas, rappelle ainsi M. Velu, la possibilité pour la nation, à l’occasion d’une révision constitutionnelle, de substituer son interprétation à celle du juge »153.
61Répliquera-t-on que cette réserve est quelque peu théorique154 ? En définitive, les partisans du contrôle judiciaire préfèrent que soit couru le risque, jugé hautement improbable, d’une mauvaise interprétation judiciaire de la Constitution dans l’un ou l’autre cas exceptionnel, plutôt que celui d’une violation législative sans sanction. En 1850, Verhaegen estime cette hypothèse d’une loi inconstitutionnelle « aux dernières limites des probabilités », tout en soutenant que le danger existe et que cela suffit pour justifier le contrôle judiciaire155. Mais progressivement les soupçons grandissent156. En 1966, Marcel Barzin déclare que « depuis quelque trente années..., on a procédé à des violations de la Constitution quand probablement ces innovations n’auraient pu rassembler les majorités nécessaires à une révision régulière »157. On montre surtout, à ce moment, que toutes les anciennes garanties destinées à prévenir la réalisation du péril sont devenues inefficaces, et que les nouvelles garanties invoquées par certains sont purement politiques, donc insuffisantes158. Or, dit-on, il faut, en particulier, protéger les libertés publiques. Les abus de certains régimes qui ont mené à la deuxième guerre mondiale ne démontrent-ils pas l’absolue nécessité de cette protection ? Une telle préoccupation, avoue même M. Barzin, « paraît devoir primer tous les scrupules légalistes »159.
62Nous avons passé en revue les thèmes qui nous semblent récurrents dans l’argumentation des partisans du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. Pour achever la comparaison que nous venons de réaliser ainsi, point par point, avec le raisonnement des adversaires de ce contrôle, et pour clore ce second paragraphe, examinons encore les réactions des défenseurs du contrôle face à la fameuse « présomption de constitutionnalité des lois ». Soenens nous laisse clairement entendre que le constituant n’a pas pu créer cette soi-disant « présomption absolue de la conformité de toute loi aux prescriptions constitutionnelles », parce que le pouvoir législatif n’est pas un pouvoir juridique, mais un pouvoir politique. Par contre, la présomption selon laquelle « la décision du juge est, pour les procès qu’elle termine, la seule et unique expression de la vérité juridique », elle, est fondée parce que le pouvoir judiciaire est un pouvoir juridique160. L’autorité de « chose jugée judiciaire », pour reprendre les termes de Charles Faider161, l’emporte donc sur l’autorité de « chose jugée législative ». Le serment de fidélité à la Constitution prêté par le législateur peut, tout au plus, créer une présomption iuris tantum de constitutionnalité des lois, conclut Frédéric Dumon162.
63Tout revient, faut-il le répéter encore, au premier argument.
64Arrivé au terme de cette première section, comment ne pas résumer l’impression que l’on éprouve par un mot : tautologie. Deux des significations qu’André Lalande163 reconnaît à ce concept retiennent notre attention :
« sophisme qui consiste à paraître démontrer une thèse en la répétant avec d’autres mots, c’est une forme de la pétition de principe ».
« vice d’élocution par lequel on redit toujours la même chose »164 « relève plutôt de la rhétorique ».
65Nous n’oserions affirmer que l’ensemble de la dogmatique juridique « fonctionne à la tautologie ». Mais force est de constater que la controverse qui nous occupe nous livre, de cette éventuelle tendance, un exemple frappant. Si d’aucuns devaient juger cette conclusion excessive — l’usage nuancé du concept de tautologie dans une matière comme le raisonnement juridique nécessite, en effet, une série de précisions qui ne peuvent trouver leur place ici —, ils admettront en tout cas que les deux argumentations-types dont nous avons déroulé le fil ressemblent à des « variations » au sens musical du terme. Le thème est toujours le même : « le contrôle est une opération juridique », ou « le contrôle est une opération politique ». Tout l’art des auteurs est de le dire et de le redire sous les formes les plus variées, en jouant sur le clavier des articles de la Constitution. La musique a-t-elle fini par lasser ? Pour démontrer notre point de vue, nous avons dû la reproduire le plus fidèlement possible, mais sans nous laisser prendre par son charme...
Section 2. Les nouveaux éléments de la controverse depuis 1950
66La majorité des publicistes estime qu’une transformation décisive s’est produite, approximativement depuis les années 50, dans le contexte juridique qui entoure l’application de la Constitution et de la règle que les cours et tribunaux en ont déduite, selon laquelle il ne leur appartient pas de contrôler la constitutionnalité des lois. D’une part, les relations entre le droit constitutionnel et le droit international se sont modifiées ; d’autre part, l’évolution de la Belgique vers le fédéralisme s’est traduite par une multiplication des actes équipollents à la loi. Une minorité persiste, cependant, à défendre la jurisprudence traditionnelle et à ne souhaiter l’instauration d’aucun contrôle juridictionnel généralisé. De plus, la majorité elle-même est divisée sur les leçons qu’il y a lieu de tirer de ces transformations.
67Il nous semble que notre explicitation des thèmes récurrents de la controverse permettra de comprendre aisément la permanence de ces clivages. Chaque auteur possède, en quelque sorte, une « grille de lecture » qui, à la fois, sélectionne les phénomènes juridiques nouveaux jugés pertinents et en oriente l’analyse.
1. l’internationalisation des droits de l’homme et la primauté du droit international
68En 1969, le professeur Paul De Visscher écrit : « l’évolution que la matière des droits de l’homme a connue, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, justifie à elle seule l’instauration... d’un contrôle de la constitutionnalité des lois »165. Qui ne le sait aujourd’hui ? La Convention européenne des droits de l’homme, dont de nombreuses dispositions ont des effets directs dans l’ordre juridique interne belge, reconnaît à toute personne relevant de la juridicition des Hautes Parties contractantes un ensemble de droits et de libertés qui sont très proches de ceux que consacre le titre II de la Constitution. Elle ouvre aussi la possibilité de recours, mus par les individus eux-mêmes, devant la Commission européenne des droits de l’homme. Il serait paradoxal, conclut M. De Visscher, de ne pas assurer aux droits garantis par notre Constitution la protection juridictionnelle que l’on accorde aux droits inscrits dans la Convention européenne166.
69Le retentissant arrêt rendu par la Cour de cassation le 27 mai 1971 dans l’affaire Le Ski — arrêt qui a consacré la primauté sur la loi du droit international conventionnel qui a des effets directs dans l’ordre juridique interne167 — renforce évidemment cette argumentation de manière remarquable168. La jurisprudence Le Ski conduit le juge à contrôler la conformité de la loi à la règle de droit international et à refuser d’appliquer celle qui y est contraire. La loi n’est donc plus, comme l’observe M. Vanwelkenhuyzen, « cette règle souveraine qu’aucune autre norme ne saurait empêcher de produire ses effets et que les juges ne sauraient refuser d’appliquer »169. Or, sauf quelques exceptions170, la doctrine est unanime pour approuver cette jurisprudence171.
70On ajoute que selon la jurisprudence progressivement élaborée par la Cour de justice des Communautés européennes, « les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assure le respect »172. Pour dégager cette sorte de « droit communautaire constitutionnel (non écrit) »173, la Cour est tenue, comme elle le déclare elle-même, de « s’inspirer des traditions constitutionnelles communes des États membres ». Elle ne saurait, dès lors, « admettre des mesures incompatibles avec les droits fondamentaux reconnus et garantis par les Constitutions de ces États » (171). M. Vanwelkenhuyzen en conclut : « désormais, le législateur national, qui méconnaît certaines dispositions constitutionnelles, viole simultanément des dispositions ou des principes du droit international qui s’imposent à la Belgique. Il paraît difficilement concevable que le juge belge puisse, dans pareil cas, refuser d’appliquer la loi en raison de sa contradiction avec l’ordre juridique international, mais qu’il doive fermer les yeux sur son incompatibilité avec des principes de la Constitution »174. M. Ganshof van der Meersch, dans ses conclusions précédant l’arrêt Le Compte rendu par la Cour de cassation le 3 mai 1974, résume le propos en une question : « est-il admissible et conforme à la nécessaire logique du droit que l’individu qui se plaint de la violation de l’un de ses droits doive recourir au détour de la procédure internationale, alors que la Constitution lui garantit le même droit, mais que le juge national ne pourrait pas lui en assurer la garantie judiciaire ? »175.
71Et pourtant, l’importante évolution dont il vient d’être rendu compte n’est pas jugée décisive par tous. Le professeur Mast, en particulier176, n’hésite pas à affirmer qu’est parfaitement concevable « un régime où le juge national n’a pas le droit de refuser l’application d’une disposition légale qu’il tient pour inconstitutionnelle, alors qu’il est tenu d’appliquer un traité antérieur, directement applicable et approuvé par les Chambres, qui est contraire à une loi postérieure. Le paradoxe n’existe que sur le plan des idées pures »177. L’éminent constitutionnaliste motive sa position par trois observations. Premièrement, « le législateur a sur la Constitution un pouvoir qu’il n’a pas sur le traité » parce que « le traité est une convention conclue par le Roi avec un ou plusieurs États étrangers », tandis que la Constitution est une norme émanant de l’action conjointe — dans le cadre d’une procédure spécifique — des trois branches du pouvoir législatif178. Deuxièmement, l’auteur recule d’effroi devant les « dernières conséquences » qu’implique « l’argument emprunté à la primauté du droit communautaire sur le droit national », à savoir que les cours et tribunaux seraient « non seulement les juges de la conformité de la loi, mais aussi les juges de la conformité de la Constitution aux lois communautaires et à la Convention européenne des droits de l’homme »179. Troisièmement, « les recours nationaux et ceux organisés par le traité de Rome ne sont pas de même nature, car l’État a dans le champ d’application de la Convention européenne des droits de l’homme des possibilités et une liberté de manœuvre dont il ne dispose pas à l’égard des juridictions nationales qui sont ou qui seraient chargées du contrôle de la constitutionnalité des lois »180. L’auteur songe notamment181 au rôle de la Commission européenne des droits de l’homme qui, quand elle a admis la recevabilité des requêtes dont elle est saisie, doit se mettre « à la disposition des intéressés en vue de parvenir à un règlement amiable de l’affaire qui s’inspire du respect des droits de l’homme, tels que les reconnaît la Convention »182.
72Qui ne voit sous ces trois arguments réapparaître le postulat de la nature politique du contrôle ? « Le législateur a sur la Constitution un pouvoir qu’il n’a pas sur le traité » parce qu’il doit avoir le pouvoir du dernier mot en matière d’interprétation constitutionnelle, alors qu’il ne peut évidemment pas — ni juridiquement, ni politiquement — disposer d’un tel pouvoir en matière d’interprétation du traité. Il est inconcevable que le pouvoir judiciaire apprécie la conformité de la Constitution au droit communautaire et à la Convention européenne, parce que cette appréciation est manifestement encore plus politique que celle qu’un contrôle de constitutionnalité suppose. Quant à la procédure suivie par la Commission européenne des droits de l’homme, elle témoigne du caractère politique des conflits à trancher. Est-ce à dire que M. Mast remet en cause la nature juridictionnelle du pouvoir exercé par la Cour européenne des droits de l’homme ? Non, mais ce qui permet à la Cour de trancher en arbitre des conflits essentiellement politiques sans être suspectée, c’est, précise-t-il, sa composition qui la place au-dessus des luttes politiques internes à l’État concerné. Evoquant l’arrêt rendu par cette Cour, le 23 juillet 1968, dans l’affaire « relative à certains aspects du régime linguistique en Belgique », il écrit que si une juridiction belge avait dû connaître de ce litige, ses membres auraient été suspectés, car ils auraient été « situés par leurs origines et par la langue qu’ils parlent et marqués par les opinions politiques que de ce chef ils sont, du moins chez nous, invinciblement censés avoir »183.
73Les répliques que M. Vanwelkenhuyzen a eu l’occasion d’opposer à l’argumentation du professeur Mast renvoient implicitement au postulat inverse de la nature juridique du contrôle184.
74Et au sein de la majorité doctrinale qui juge décisives pour notre question l’internationalisation des droits de l’homme et la primauté du droit international, la division se retrouve évidemment entre ceux qui, comme MM. De Visscher et Delpérée, en déduisent la nécessité d’une Cour constitutionnelle, eu égard à la nature juridico-politique du contrôle de la Constitutionnalité des lois, et ceux qui, comme MM. Ganshof van der Meersch et Vanwelkenhuyzen, souhaitent un simple revirement de jurisprudence, eu égard au caractère exclusivement juridique de ce contrôle, toute institution d’un organe spécifique étant estimé viciée par une inadmissible volonté de « marier l’eau et le feu, [d’]assurer une sorte de conciliation entre le juridique et le politique »185.
2. l’évolution vers une belgique fédérale
75Bien avant que la Belgique ne s’oriente vers le fédéralisme, la notion de norme juridique équivalente à la loi est connue : les arrêtés-lois pris durant les deux guerres mondiales se sont vus reconnaître la même force que les lois véritables, et les arrêtés pris en vertu de lois attribuant au Roi des pouvoirs spéciaux ou extraordinaires peuvent, tout en étant des actes du pouvoir exécutif, compléter, modifier ou abroger des lois antérieures. Or, les premiers, les arrêtés-lois dits « du Havre » et « de Londres », ont fait l’objet d’un contrôle judiciaire de constitutionnalité portant sur leur régularité externe186 ; les autres, les arrêtés royaux pris en vertu de pouvoirs spéciaux et les arrêtés-lois pris en vertu de pouvoirs extraordinaires, sont, en vertu de l’article 107 de la Constitution, soumis au contrôle judiciaire de leur conformité à la loi d’habilitation et même à la Constitution, du moins en ce qui concerne les arrêtés de pouvoirs spéciaux187. De lege lata, la Belgique admet donc certains contrôles judiciaires de la constitutionnalité d’actes « quasi législatifs ». S’agit-il d’un argument propre à faire admettre des contrôles généralisés applicables aux lois véritables ? Non, il s’agit plutôt d’une donnée supplémentaire, souvent invoquée par les partisans du contrôle188 et, bien sûr, jugée marginale par ses adversaires189. A ce type d’observation, d’aucuns ne manquent pas d’ajouter un autre rappel : des contrôles de constitutionnalité sont organisés non seulement à l’égard des règlements — dans le cadre de l’article 107 et de la compétence d’annulation qui revient, depuis 1946, à la section d’administration du Conseil d’État —, mais aussi à l’égard des « lois en préparation » — à l’occasion de l’examen que la section de législation du Conseil d’État leur consacre dans certains cas190.
76Il n’empêche, ces diverses constatations sont encore impuissantes à bannir « la formule classique des manuels de droit constitutionnel selon laquelle le droit belge ne connaîtrait pas de contrôle de constitutionnalité des lois »191. Par contre, la formule semble bel et bien frappée de caducité par la loi du 3 juillet 1971 relative à la répartition des membres des Chambres législatives en groupes linguistiques et portant diverses dispositions relatives aux Conseils culturels, loi adaptée suite à la révision constitutionnelle du 24 décembre 1970 qui a procédé à une première redistribution du pouvoir législatif. Cette révision, suivie par celle du 29 juillet 1980, a engagé la Belgique dans la voie d’une forme de fédéralisme qui projette fatalement une lumière toute nouvelle sur le problème dont nous nous occupons. Un contrôle spécialisé de constitutionnalité des lois est indéniablement introduit. Les questions deviennent alors : d’une part, quelle est la nature de ce contrôle spécialisé ? ; d’autre part, un contrôle généralisé peut-il ou doit-il le compléter et, si oui, par qui et comment peut-il ou doit il être exercé ? C’est évidemment à ce niveau que les divergences doctrinales réapparaissent et prolongent les clivages que nous connaissons.
1. La révision constitutionnelle de décembre 1970 et la section des conflits de compétence du Conseil d’État
77Le 24 décembre 1970, un article 3ter est introduit dans la Constitution, qui consacre l’avènement d’une nouvelle sorte de collectivité politique : les communautés qualifiées encore, à cette époque, de « culturelles »192. Leurs organes composés de parlementaires élus — les Conseils culturels — se voient reconnaître, par l’article 58bis, le pouvoir de régler certaines matières par des décrets ayant « force de loi ». Le pouvoir législatif national perd donc, pour les parties du territoire où les attributions des Conseils culturels trouvent à s’exercer, le pouvoir législatif dans ces matières. Une telle redistribution du pouvoir législatif rend les conflits de compétence inévitables. Aussi, le constituant a chargé le législateur d’organiser une procédure « tendant à prévenir et à régler les conflits entre la loi et le décret ainsi qu’entre les décrets »193. C’est la loi précitée du 3 juillet 1971 qui a réalisé cette mission194. Elle institue un organe spécifique : la section des conflits de compétence du Conseil d’État. D’une part, celle-ci est appelée à statuer à titre préjudiciel sur toute question relative à la « contradiction » entre une loi et un décret ou entre deux décrets195. L’hypothèse est la suivante : pour rendre sa décision, une juridiction, saisie d’une demande quelconque, estime nécessaire de disposer d’une réponse à cette question. Chaque juge est donc compétent pour apprécier si un problème de compétence se pose et si sa solution est nécessaire196. Si tel est le cas, il doit saisir la section de la question préjudicielle. D’autre part, la même section du Conseil d’État est appelée à connaître de tout conflit, actuel ou virtuel, entre une loi et un décret ou entre deux décrets, dont elle est saisie par le Conseil des ministres197. Dans les deux hypothèses, pour rendre son « arrêt de règlement »198, elle doit contrôler la constitutionnalité de la loi et/ou du décret concerné(s), c’est-à-dire vérifier si l’auteur de la règle a respecté les dispositions constitutionnelles qui déterminent son domaine de compétence ratione personae, materiae, loci et temporis199. Sur ce point, le constituant et la doctrine sont unanimes.
78Par contre, la nature de ce contrôle partiel de constitutionnalité est controversée. Rappelons que le législateur national de l’époque a régulièrement répété sa conviction que « la décision finale en matière de conflits de compétence »200 doit lui être réservée. Plus fondamentalement, il a toujours estimé que le contrôle de la constitutionnalité des lois est, en dernière instance, une opération politique dont la responsabilité lui revient201. Cette conception s’est bien entendu traduite dans la procédure de règlement des conflits. Les arrêts de règlement peuvent, dans les nonante jours de leur notification au président des assemblées parlementaires, faire l’objet d’une annulation par les Chambres législatives202. Dans ces conditions, certains, comme le professeur Cambier, ont estimé que le Conseil d’État n’est pas, dans l’exercice de cette fonction, à considérer comme une cour de justice, mais comme un « organe associé à l’œuvre du Parlement »203. L’intervention de celui-ci serait à comprendre comme une mise en œuvre de l’article 28 de la Constitution : il s’agirait, non de trancher un cas d’espèce, mais de clarifier un point de droit par la voie d’une interprétation d’autorité de certaines normes en vigueur. Le règlement des conflits constituerait ainsi une « attribution d’ordre législatif... assurée par les Chambres et, sous le contrôle de celles-ci, par le Conseil d’État »204. L’arrêt de règlement que rend ce dernier devrait alors se voir reconnaître une autorité qui n’est pas de chose jugée, mais de « chose réglée »205. Il n’acquiert cependant « force exécutoire »206 qu’à la condition de ne pas être l’objet de l’éventuelle annulation votée par les Chambres. Cette doctrine précise encore que le mécanisme de la question préjudicielle n’implique pas la substitution d’un juge à l’autre, puisque « la solution de la question posée ne peut revenir à aucune juridiction »207. Aussi, elle ne remarque aucune intrusion ni du Parlement, ni du Conseil d’État dans l’exercice des attributions du pouvoir judiciaire. Constatant qu’une procédure spécifique a été instaurée suite aux observations faites par le Premier président et par le procureur général à la Cour de cassation208, pour le cas où un conflit de compétence est soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation, soit par une partie, soit d’office, elle ne peut que s’étonner. Dans cette hypothèse, on sait que c’est devant les assemblées législatives que la question doit être directement renvoyée209. Les hauts magistrats avaient, en effet, estimé inacceptable que le renvoi opéré par la Cour de cassation elle-même se fît devant le Conseil d’État. Pour M. Cambier, leur opinion est inexacte, puisque le règlement des conflits ne donne pas lieu à l’exercice d’une compétence juridictionnelle, et le privilège réservé à la Cour de cassation ne trouve donc guère de justification.
79Sous cette réserve, cette doctrine s’accommode assez bien — on le voit — des dispositions examinées de la loi du 3 juillet 1971. Son principal mérite est de refléter fidèlement la pensée du législateur. C’est aussi, diront d’autres, son principal défaut. Elle repose tout entière sur cette idée que les interventions des Chambres dans la procédure de règlement des conflits — comme dans la procédure préventive du reste210 — sont une manifestation du droit d’interpréter les lois par voie d’autorité. Or, même si l’ancienne rédaction de l’article 28 de la Constitution211 pouvait laisser un doute, il est difficile de soutenir que le pouvoir législatif national en tire le droit d’interpréter par voie d’autorité la Constitution et les décrets212.
80Une autre analyse a été proposée par M. le procureur général Ganshof van der Meersch. L’arrêt de règlement participerait « à la fois de la nature de l’acte de juridiction et de celle de l’acte de législation »213. L’attention est attirée sur l’article 21 de la loi : après la publication au Moniteur de l’arrêt de règlement et, le cas échéant, de la décision d’annulation des Chambres, le Roi doit déposer un projet de loi ou de décret tendant à l’abrogation ou à la mise en concordance de la disposition déférée au Conseil d’Etat soit avec l’arrêt de règlement, soit avec la décision des Chambres. M. Ganshof van der Meersch en conclut que l’arrêt de règlement, même non annulé, n’a pas pour effet de « régler définitivement et complètement le conflit ; en particulier, il ne permet pas au juge saisi d’une contestation dans laquelle la norme affectée d’un vice d’incompétence, pourtant avéré, est invoquée, de se prononcer en considérant cette norme comme déjà effacée de l’ordonnancement juridique »214. Quant à la décision d’annulation des Chambres, elle est analysée comme un acte de « haute tutelle ». Il ne peut être question de lui reconnaître le caractère d’un acte de juridiction. Les assemblées ne tranchent pas la contestation ; « elles se bornent à annuler ». Elles « ne se prononcent même pas nécessairement » par leur décision : il se pourrait, par exemple, qu’elles annulent un arrêt qui s’est prononcé dans le sens de l’absence de conflit, parce qu’elles estiment qu’un conflit existe, mais sans en donner la même solution. Elles « peuvent annuler pour des raisons purement politiques ». Et leurs décisions ne doivent pas être motivées215. Quand elles sont appelées, en vertu de l’article 20, à trancher elles-mêmes le conflit de compétence que la Cour de cassation croit apercevoir, les décisions qu’elles prennent n’ont pas non plus la nature d’actes de juridiction. Elles apprécient « soit leur propre œuvre législative, soit la participation de leurs propres membres, c’est-à-dire de ceux qui ont commis l’excès de compétence, à l’élaboration et à l’adoption du décret, ce qui est... incompatible avec la mission du juge ». Et les délibérations sont publiques, « alors que le secret du délibéré des juges est de principe en droit belge »216. A ces observations, il a encore été ajouté que les parties au litige pourraient difficilement exercer leur droit de défense devant deux assemblées aussi nombreuses et que la motivation des décisions n’est pas plus imposée que dans le cas de l’annulation de l’arrêt de règlement217.
81Enfin, une troisième doctrine, plus critique encore, s’est formée progressivement à partir de la prémisse opposée à celle que nous avons relevée chez M. Cambier : il est affirmé, cette fois, que le règlement des conflits doit donner lieu à l’exercice d’une compétence juridictionnelle. C’est, estiment MM. Vanwelkenhuyzen et Velu, un raisonnement exclusivement juridique qui doit trancher la question préjudicielle que suscite la contradiction entre une loi et un décret ou entre deux décrets. Dès lors, « le juge saisi du litige principal serait normalement compétent pour tenir ce raisonnement et résoudre lui même la contradiction. Il s’agit, en réalité, d’un élément de la contestation qu’il lui appartient de trancher »218. En effet, l’article 30 de la Constitution n’entend-il pas que « dans les contestations qui relèvent de leur compétence, les juridictions judiciaires puissent se prononcer seules et de manière souveraine » ? L’article 92 de la Constitution ne réserve-t-il pas aux cours et tribunaux « une compétence exclusive à l’égard des contestations qui ont pour objet des droits civils » ? Ces deux articles excluent, par conséquent, que « dans le cas où un tribunal doit trancher un procès portant sur un droit civil, il doive, pour rendre son jugement, s’en rapporter d’une manière quelconque, fût-ce pour une seule des questions de droit qu’il doit résoudre, à la décision d’une instance ne relevant pas du pouvoir judiciaire »219. Or, la procédure de règlement des conflits conçue en 1971 méconnaît ces prescriptions. Non pas en ce que la section des conflits de compétence ne serait pas une juridiction : les auteurs se sont attachés à démontrer que l’arrêt de règlement est, malgré son nom, un acte de juridiction220. Certes, des assesseurs choisis pour leur expérience politique sont prévus parmi les membres qui devraient composer la section. Certes, les arrêts de celle-ci peuvent être annulés dans le cadre d’une forme manifeste de « justice retenue », pour reprendre l’expression de MM. De Visscher et Delpérée221. Mais la section se prononcera conformément au droit ; des magistrats inamovibles en feront partie ; et la procédure qu’elle suivra — elle a été réglée par un arrêté royal du 22 août 1975 — assure les indispensables garanties d’une correcte administration de la justice : publicité des audiences, motivation des arrêts, droits de la défense, etc. Non, si la loi du 3 juillet 1971 heurte les articles 30 et 92 de la Constitution, ainsi d’ailleurs que l’article 107 — interprété extensivement — c’est évidemment parce que la section des conflits relève du Conseil d’État, et non du pouvoir judiciaire ; c’est surtout parce que tant la Cour de cassation que le Conseil d’État, sont soumis à une tutelle des Chambres législatives, dont la double décision n’est manifestement pas, comme M. Ganshof van der Meersch l’a montré, un acte de juridiction.
82La question qui se pose alors est de savoir si l’article 59bis, §8 de la Constitution peut être compris comme ayant autorisé le législateur à procéder à ces dérogations. M. Vanwelkenhuyzen estime qu’il n’en est rien ; cet article prévoit l’organisation d’une procédure ; il ne permet pas au législateur de déroger aux articles 30, 92 et 107 de la Constitution, qui n’étaient d’ailleurs pas susceptibles de révision222. C’est ainsi que la première loi qui organise, en Belgique, un contrôle de constitutionnalité des lois et décrets est taxée elle-même d’inconstitutionnalité par un courant doctrinal important. De plus, selon celui-ci, les interventions du Conseil des ministres223 et des Chambres législatives « au cours d’un procès qui peut parfaitement porter sur des « droits et obligations de caractère civil » ou sur le bien-fondé d’une « accusation en matière pénale » » violent les droits garantis aux justiciables engagés dans tel procès, par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en particulier leur droit à ce que leur cause soit « entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial »224. Dira-t-on que la procédure de règlement des conflits est à détacher du procès qui l’engendre, M. Vanwelkenhuyzen réplique que l’affirmation d’une telle cloison est artificielle. Et d’ajouter que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’article 6, § 1er de la Convention s’applique à toute procédure dont l’issue est déterminante à l’égard de la décision qu’il vise, donc y compris à un incident qui survient au cours de l’action. Cependant, avec la grande honnêteté intellectuelle qui le caractérise, l’éminent publiciste admet une autre objection : si l’on suit l’interprétation évoquée ci-avant de M. Ganshof van der Meersch, les griefs d’inconstitutionnalité et de violation de la Convention des droits de l’homme deviennent, pour l’essentiel, sans objet225. Rappelons que le procureur général estimait qu’en cas d’excès de compétence avéré, le juge saisi du litige principal ne se prononce qu’après application de l’article 21 de la loi de 1971, c’est-à-dire après l’adoption d’une nouvelle loi ou d’un nouveau décret, propre à rétablir l’harmonie de l’ordre juridique. Certes, M. Vanwelkenhuyzen ne partage pas cette opinion et se rallie aux objections que M. Van Bunnen y avait opposées226, mais nous nous demandons, pour notre part, si cette interprétation de M. Ganshof van der Meersch ne s’impose pas, dans la mesure où elle seule rend la loi du 3 juillet 1971 conforme à la Constitution. Nous verrons, en effet, que la jurisprudence, depuis le fameux arrêt Waleffe227, juge que lorsqu’une loi se prête à une double interprétation — l’une qui maintient la loi dans les limites de la constitutionnalité et l’autre qui la rend inconstitutionnelle —, il faut préférer la première.
83Quoi qu’il en soit :, la diversité des thèses que suscite la loi de 1971 témoigne de la nature pour le moins ambiguë du contrôle spécialisé de constitutionnalité qu’elle a introduit ; plus fondamentalement, elle tend à reproduire la variété des réponses qui sont apportées à la question qui forme le titre de notre étude. MM. Mast228 et Cambier229, par exemple230, approuvent le pouvoir du dernier mot que les Chambres législatives se sont réservé en matière de conflit de compétence, parce qu’ils estiment qu’il appartient toujours au Parlement d’être l’ultime contrôleur de la constitutionnalité des lois comme des décrets. MM. De Visscher et Delpérée regrettent ce phénomène qu’ils qualifient de « justice retenue », parce qu’ils préféreraient voir confié le pouvoir du dernier mot à un authentique organe juridictionnel ; si leurs critiques sont vives231, elles ne vont pas jusqu’à des objections d’inconstitutionnalité. Tandis que MM. Velu et Vanwelkenhuyzen formulent ces objections parce qu’ils pensent que la Constitution confie tous les contrôles de constitutionnalité des lois et décrets au seul pouvoir judiciaire. Très logiquement, M. le procureur général Ganshof van der Meersch semble s’être rallié à leur doctrine232.
84Le contrôle de constitutionnalité, tel que la loi du 3 juillet 1971 l’organise, se situe exclusivement dans le cadre de l’article 59bis de la Constitution, c’est-à-dire sur le terrain des conflits de compétence entre le législateur national et les législateurs communautaires, et entre ces derniers. Si, par exemple, un décret — ou une loi — devait porter atteinte à la liberté d’association consacrée par l’article 20 de la Constitution, la nouvelle section du Conseil d’État ne pourrait pas en connaître. La question se pose donc de déterminer l’incidence de la création des communautés et de ce contrôle de constitutionnalité limité, sur l’admissibilité de lege lata et/ou de lege ferenda des contrôles généralisés, que le pouvoir judiciaire exercerait par ailleurs pour sanctionner les autres inconstitutionnalités. Il est presque inutile de préciser que chacun est resté, à ce propos, sur ses positions.
85MM. De Visscher, Delpérée et Mast estiment toujours que le pouvoir judiciaire ne peut pas contrôler la constitutionnalité des lois et décrets sans une révision constitutionnelle en ce sens. Mais les premiers déduisent du caractère préfédéral de la Belgique de 1970 une logique qui impose au constituant la création d’une cour constitutionnelle233. Et de citer les nombreux exemples que fournit le droit constitutionnel comparé et qui montrent que la plupart des États à structure fédérale attribuent à un organe juridictionnel spécialisé non seulement l’indispensable contrôle de la répartition des compétences législatives, mais aussi les autres contrôles de la constitutionnalité des lois. M. De Visscher ajoute que « la distinction entre les deux types d’inconstitutionnalité » est « beaucoup moins nette qu’il n’y paraît à première vue »234. Tandis que M. Mast réplique en tentant de montrer que le contrôle juridictionnel des lois n’est pas « l’attribut nécessaire des structures fédérales »235. Et d’invoquer l’exemple de l’URSS236, et surtout celui de la Suisse, État plurilingue comme le nôtre, dont le Tribunal fédéral peut seulement contrôler la constitutionnalité des lois cantonales, mais pas celle des lois fédérales.
86Enfin, M. Ganshof van der Meersch rappelle que la soi-disant présomption irréfragable de constitutionnalité des lois, invoquée par le courant doctrinal que l’on connaît, se fonde sur l’élection directe par la nation des Chambres législatives. Or, les décrets « ne sont issus que d’assemblées « infra-nationales » »237. M. Vanwelkenhuyzen ajoute que la loi elle-même s’est diversifiée puisqu’il faut distinguer les lois à adopter à la majorité ordinaire, de celles qui requièrent une majorité qualifiée238 ou surqualifiée239. Songeant à tous les cas de conflits qui peuvent se produire entre ces différentes normes législatives ou entre l’une d’elles et la Constitution, et qui ne sont pas envisagées par la loi du 3 juillet 1971, ils concluent que seul le juge peut et doit, de lege lata et dès ores, les résoudre en refusant d’appliquer la loi ou le décret contraire à la Constitution240. MM. Vanwelkenhuyzen et Velu se tournent d’ailleurs, à leur tour, vers le droit comparé. Ils constatent que, « dans certains États fédéraux, le contrôle de la répartition des compétences législatives est exercé par les juridictions ordinaires »241 ; et ils pensent tout particulièrement aux États-Unis242.
87Tel est le tableau des principales positions doctrinales que l’on peut enregistrer à la veille de la révision de 1980.
2. La révision constitutionnelle de juillet 1980 et la Cour d’arbitrage
88Le 17 juillet 1980, un article 26bis est inséré dans la Constitution, qui dispose : « Les lois prises en exécution de l’article 107quater déterminent la force juridique des règles que les organes qu’elles créent prennent dans les matières qu’elles déterminent ». L’alinéa 2 ajoute : « Elles peuvent conférer à ces organes le pouvoir de prendre des décrets ayant force de loi dans le ressort et selon le mode qu’elles établissent ». Cet article tranche une des controverses que le fameux « 107quater » avait suscitées depuis sa promulgation, le 24 décembre 1970. C’est, en effet, — faut-il le rappeler ? — en 1970 que la Constitution créait, outre les trois communautés, trois régions : wallonne, flamande et bruxelloise. « La loi, précise l’article 107quater, attribue aux organes régionaux qu’elle crée et qui sont composés de mandataires élus, la compétence de régler les matières qu’elle détermine... ». Qu’entendait-on par « régler » ? Quelle force juridique pouvait être reconnue aux règles de droit régional ? Cette énigme, jointe à bien d’autres difficultés politiques sur lesquelles il est inutile de revenir ici, a retardé de 10 ans l’exécution de l’article 107quater. Toujours est-il que la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 a pu, conformément à l’article 26bis de la Constitution, attribuer aux décrets régionaux, comme aux décrets communautaires, la « force de loi »243. Faut-il dire qu’à partir de ce moment la question des conflits de compétence prend une acuité encore plus préoccupante qu’auparavant. D’autant plus que la liste des matières communautaires, pour leur part, a été complétée par de nouvelles matières culturelles et par les matières dites « personnalisables »244. Si on a pu, pendant neuf ans, s’offrir le luxe de laisser la section des conflits de compétence du Conseil d’État dormir dans les limbes d’un texte légal qui n’a reçu aucune exécution — la section n’a pas été et ne sera pas installée245 —, même les esprits les plus indifférents aux affres d’un droit que le désordre menace, n’envisagent pas que cette situation puisse se prolonger. Pour convaincre les derniers hésitants, M. le procureur général Dumon a multiplié les avertissements : « dès le jour où la Nation aura décidé de conférer la compétence législative — ou son équivalent — non seulement aux Chambres nationales mais aussi à des assemblées communautaires et régionales, plus personne ne songera à prétendre que chacune de ces assemblées peut librement interpréter une Constitution unique, ce qui reviendrait à en nier l’existence même. En raison de l’autonomie qui appartiendra à ces assemblées communautaires et régionales, le Parlement national ne pourra, de surcroît, leur imposer son interprétation de la Constitution ou son contrôle de la conformité des décrets... à la Constitution »246. Le constituant a entendu répondre à cet appel en instituant, par un nouvel article 107ter, une Cour d’arbitrage. Cependant celle-ci n’est chargée que de régler les conflits entre la loi et les décrets, ou entre les décrets. Au cours des travaux préparatoires, il a été précisé qu’elle n’est pas une cour constitutionnelle247. M. le procureur général Dumon, dans sa dernière mercuriale, a répété le propos248. Celui-ci se doit pourtant, d’être plus nuancé. Il est évident que la Cour d’arbitrage devra résoudre les conflits dont elle sera saisie en appliquant la Constitution249. Le contrôle spécialisé de constitutionnalité tel qu’il avait été, sur le papier, confié à la section des conflits de compétence du Conseil d’État est, à cet égard, simplement transféré à la Cour d’arbitrage. Une différence de taille ne peut être négligée cependant. L’article 107ter précise cette fois que la Cour « règle les conflits »250. A l’occasion des travaux de la Commission de la révision de la Constitution et des réformes institutionnelles de la Chambre, le Premier Ministre a, selon le rapport, « fait remarquer l’importance de l’option prise en la matière. Jusqu’à présent, c’était le pouvoir législatif qui en dernier était compétent pour régler les conflits entre les normes »251. Le fameux pouvoir du dernier mot a donc bel et bien été attribué à la Cour, sous réserve, bien sûr, de celui qui appartient toujours au pouvoir constituant. Comme l’observe très justement M. Delpérée, sur ce point, les esprits ont évolué : « l’idée de l’annulation d’un arrêt de la Cour n’a pas germé »252.
89Selon sa disposition transitoire, l’article 107ter devait entrer en vigueur dans les six mois suivant sa promulgation. « La loi, ajoute-t-il, organise, à titre transitoire, une procédure tendant à prévenir et à régler les conflits entre la loi et le décret, ainsi qu’entre les décrets ». C’est la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980 qui s’est acquittée de cette tâche253. Elle s’est contentée, pour l’essentiel, d’adapter et de retoucher sur un point le système institué en 1971 : d’une part, elle étend le champ d’application de celui-ci au règlement des conflits entre un décret régional et une loi ou un décret communautaire, et, d’autre part, elle donne à la Cour de cassation le pouvoir de se prononcer elle-même pour le cas où une question préjudicielle est soulevée pour la première fois devant cette Cour. Cependant, l’arrêt rendu par celle-ci, comme l’arrêt de règlement de la section des conflits de compétence, peut encore être annulé par les Chambres législatives254. Les observations que nous avons faites à propos de la loi du 3 juillet 1971 restent donc valables pour cette procédure transitoire.
90Le délai de six mois est expiré depuis longtemps, et la loi chargée par l’article 107ter de la Constitution de déterminer « la composition, la compétence et le fonctionnement » de la Cour d’arbitrage n’est toujours pas adoptée au moment où nous écrivons ces lignes. Lors des travaux de la Commission de la révision de la Constitution de la Chambre, le Premier Ministre avait précisé que, dans ce cas, il n’y aurait pas de « vide juridique, par l’application de la théorie de la continuité des institutions »255. Mais, comme la section des conflits de compétence du Conseil d’État n’est pas non plus installée, il faut bien admettre qu’on est, au moins partiellement, dans le « vide juridique », la Cour de cassation et les Chambres législatives étant seules en mesure de participer au règlement des conflits.
91Dans de telles conditions, il est encore prématuré d’examiner les réponses fournies aux deux questions essentielles que nous devrions aborder ici : quelle est la nature du contrôle spécialisé de constitutionnalité dont la Cour d’arbitrage aura la charge ? Et un contrôle judiciaire est-il encore admissible pour les problèmes de constitutionnalité qui échappent à ladite Cour ? Certes, l’article 107ter de la Constitution et les travaux de la constituante qui en ont préparé l’adoption, fournissent des éléments essentiels de réponse, et on peut, pour le reste, s’appuyer sur le projet de loi no 246 qui est actuellement en discussion au Sénat256. Mais notre propos, dans cette section comme dans la précédente, n’est pas de faire directement œuvre de doctrine ; il est seulement de rendre compte d’une controverse doctrinale dont on veut délibérément se distancier. Or, pour l’instant — et c’est bien normal — les constitutionnalistes sont dans l’expectative ou, du moins, encore très réservés257. Nous nous limiterons donc à quelques observations.
92Rappelons tout d’abord que, selon le projet 246, la Cour d’arbitrage devrait statuer, par voie d’arrêts, sur les questions relatives à la violation par une loi ou par un décret des « règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l’État, des communautés et des régions »258. Elle pourrait être saisie de deux manières : soit sur recours en annulation introduit par le Conseil des ministres ou par l’exécutif d’une communauté ou d’une région259, soit, à titre préjudiciel, sur renvoi opéré par n’importe quelle juridiction judiciaire ou administrative qui, pour rendre sa décision, doit disposer d’une réponse à ce type de question260. Ce sont donc aussi bien des conflits actuels que des conflits virtuels qui seront portés devant la Cour d’arbitrage. Les arrêts d’annulation auront « autorité absolue de chose jugée à partir de leur publication au Moniteur belge »261. Les arrêts rendus sur questions préjudicielles s’imposeront aux juridictions qui les auront posées, ainsi qu’à toutes les autres juridictions qui statueraient à la suite de recours dans les mêmes affaires262.
93La Cour d’arbitrage sera qualifiée de juridiction par la majorité de la doctrine. Cette qualité lui a été reconnue à plusieurs reprises au cours des travaux préparatoires263 ; et le Conseil d’État n’a pas manqué d’observer que lorsque la Cour statue sur des questions préjudicielles, « elle est tenue, en tant que juridiction, par les règles de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment en ce qui concerne le respect des droits de la défense »264. Mais le débat n’en est que simplement déplacé : s’agit-il d’une juridiction qui, malgré quelques particularités, exerce en définitive une fonction juridictionnelle au sens classique du terme, ou bien s’agit-il d’une juridiction tout à fait particulière, d’une « juridiction politique » ?
94Telle est la question en forme d’alternative que les constitutionnalistes vont, à coup sûr, formuler et tenter de résoudre d’ici peu. Elle n’est pas très différente de la question : la Cour d’arbitrage est-elle une juridiction ? Car ceux qui opteront pour la thèse, typique dans ce genre de débat, selon laquelle la Cour est une institution juridictionnelle peut-être, mais surtout sui generis, se verront accuser de dérobade par les autres. Ceux-ci exigeront une réponse claire : la Cour sera un organe régulateur original, certes, mais s’agira-t-il d’une « régulation » juridictionnelle ou politique265 ? Au point de vue des exigences du droit positif, ils auront raison de réclamer cette clarté. Il suffit de songer, par exemple, à l’article 177 du Traité de Rome qui oblige les juridictions nationales dont les décisions ne sont pas susceptibles d’un recours juridictionnel de droit interne, à saisir la Cour de justice des Communautés européennes de certaines questions d’interprétation du droit européen. On sait que ladite Cour a forgé une notion communautaire de « juridiction », mais on sait aussi que « la qualification incontestable donnée par les droits nationaux s’impose normalement à la Cour »266.
95Sans jouer au prophète, on peut deviner sans peine les grandes prises de position qui vont animer cette enième version du débat qui nous occupe. Appuyons-nous sur les premières réactions des trois écoles que nous connaissons. Nous nous permettrons de les prolonger parfois à l’aide de réflexions émanant de ces mêmes écoles, mais antérieures à 1980. Cette extrapolation se verra peut-être démentie. Elle n’est livrée qu’à titre d’hypothèse, dans le seul but d’achever notre tableau.
96On n’est pas étonné en consultant tout d’abord la sixième édition du magistral traité de droit constitutionnel de M. Mast, de découvrir que celui-ci insiste sur « le caractère sui generis » de la Cour d’arbitrage que le constituant a d’ailleurs instituée, non dans le chapitre III (consacré au pouvoir judiciaire) du titre III de la Constitution, mais dans un chapitre IIIbis distinct267. Le propos s’appuie sur les travaux du constituant qui a, en effet, régulièrement insisté sur ce caractère sui generis268 : le Premier ministre a précisé que l’insertion de l’article 107ter dans le chapitre IIIbis est destiné à « indiquer qu’il s’agit bien d’une juridiction mixte qui sera composée de juristes et de personnalités politiques ayant une expérience politique. La matière en cause ne peut être assimilée à une question purement juridique, elles est autant politique que juridique »269.
97On ne sera pas étonné non plus en enregistrant la vive satisfaction de MM. De Visscher et Delpérée qui ne peuvent s’empêcher de voir dans la Cour d’arbitrage un embryon de Cour constitutionnelle telle qu’ils la préconisent depuis plus de dix ans270. Certes, ils regrettent que les hommes politiques qui y siégeront seront probablement aussi nombreux que les juristes271. Mais n’ont-ils pas toujours dit que le contrôle de la constitutionnalité des lois et des décrets est « participation au pouvoir politique »272 Et n’était-ce pas le prix à payer pour que les parlementaires acceptent enfin que ce contrôle soit exercé par une juridiction sans qu’ils se réservent le pouvoir du dernier mot. si ce n’est en tant que pouvoir constituant ? Par ailleurs, le Conseil constitutionnel français, que la majorité de la doctrine considère comme une juridiction273274, n’accorde-t-il pas, lui aussi, une large place aux « politiques »275 ? Ce qui compte, c’est que la Cour pourra régler par une décision définitive une contestation, au sens large, portant sur une question de droit. Dira-t-on que la question est aussi politique que juridique ? M. Delpérée répond d’ordinaire à cette interrogation par « la leçon de Jean Dabin » : « le droit est tout entier construit... la matière juridique, dès son point de départ — des directives premières jusqu’à la mise en œuvre — est de nature politique... L’œuvre à construire est unique »276. « Le droit fait œuvre politique et la politique trouve à s’exprimer dans le droit », résume-t-il277. Il en conclut que si les aspects politiques d’une loi sont inséparables de celle-ci, ils n’échappent pas par nature à toute appréciation constitutionnelle278. Le grand apport de la Cour d’arbitrage est qu’elle permettra le règlement des conflits de compétence, non « selon la loi du plus fort ou du plus arrogant, mais selon les règles inscrites dans la Constitution et dans le droit »279. La nature juridique de ces litiges n’est-elle pas, d’ailleurs, attestée par la distinction que le législateur fait lui-même entre les « conflits de compétence » et les « conflits d’intérêts » ? On sait, en effet, que la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980 a institué un Comité de concertation, « composé dans le respect de la parité linguistique » de représentants de l’État, des communautés et des régions280. Le Comité est appelé à intervenir pour prévenir et tenter de régler les conflits d’intérêt grâce à la négociation politique, et « selon la procédure du consensus »281. Et tous les juristes insistent sur le caractère politique de cette procédure, par opposition au caractère juridique de celle qui doit aboutir au règlement des conflits de compétence282. M. Delpérée n’en arrive cependant pas à nier la dimension politique de ceux-ci. Pourquoi, sinon, répète-t-il son souhait de voir les magistrats de la Cour d’arbitrage « assistés dans leur tâche par des assesseurs qui pourraient faire entendre une autre voix que celle des prétoires »283 ? Pourquoi, sinon, se réjouit-il de constater que le constituant n’a pas fait confiance à « l’armada de nos innombrables juridictions », et ne leur a pas permis d’imposer, « chacune de leur côté, et chacune à sa manière,... la conception qu’elles pourraient se faire très empiriquement du respect du droit »284 ? La Cour d’arbitrage, pour l’école de Louvain, est donc une juridiction, mais pas n’importe laquelle : elle est une juridiction constitutionnelle, même si elle doit encore se limiter à un contrôle spécialisé. Ce qu’elle fera, c’est du droit, mais pas n’importe lequel : il s’agit de droit constitutionnel, Sa mission revient à des magistrats, mais pas n’importe lesquels : « des juges ayant passé par tous les échelons de la carrière de magistrat, selon le schéma général de la carrière judiciaire dans nos pays, n’auraient pas... l’autorité, le poids, l’indépendance d’esprit nécessaires pour s’imposer aux pouvoirs publics », a dit récemment Jean Rivero à l’occasion d’un rapport de synthèse, destiné à clore un colloque international consacré aux cours constitutionnelles européennes285. « Il est admis également, poursuit l’éminent Docteur honoris causa de la Faculté de droit de Louvain, que les Cours constitutionnelles ne peuvent pas être composées exclusivement de juristes... Il faut, étant donné l’élément politique qui intervient nécessairement dans la décision que prend toute Cour constitutionnelle,... des hommes ayant le sens de la vie politique, ayant derrière eux un certain vécu politique... »286. Mais ce qui importe alors, précise encore M. Rivero, « c’est peut-être moins le mode de nomination des juges qu’en définitive leur statut : statut garantissant leur indépendance, c’est-à-dire leur assurant la durée, et surtout interdisant leur renouvellement »287. Et telle est aussi la réaction de M. Delpérée : à ceux que choque le pouvoir de nomination du Roi sur proposition des groupes linguistiques du Sénat, il rappelle que « les plus hauts magistrats du pays se voient conférer leurs fonctions par le Roi, qu’ils peuvent être nommés à ces charges, alors même qu’ils n’ont aucune attache avec le milieu judiciaire, et qu’ils sont désignés sur présentation des listes dont l’une est confectionnée par le Sénat »288. Que les membres de la Cour soient nommés à vie, par contre, est beaucoup plus important289. En définitive, pour M. Delpérée, il n’y a pas lieu de craindre le gouvernement des juges, mais plutôt « le gouvernement des mauvais juges »290.
98Quant aux conceptions de l’école de Bruxelles, force est de constater qu’elles n’ont pas emporté la conviction du constituant. M. le procureur général Dumon ne s’est pas fait faute de le regretter avec éclat, dans sa fameuse mercuriale intitulée : « Quo vadimus » ? Le Pouvoir judiciaire, selon lui, n’a pas été entendu ; et pourtant il n’a négligé aucune occasion pour se faire entendre. A cet égard, l’éminent magistrat n’a pas hésité à révéler les nombreuses démarches qui ont été entreprises, en vain, auprès des présidents des Chambres législatives, des premiers ministres, des ministres de la Justice, des formateurs des différents gouvernements...291. Il s’agissait de leur faire comprendre combien les projets gouvernementaux pouvaient se résumer en quatre mots : « insécurité, arbitraire, chaos... aventure »292. En effet, tout d’abord, il est rappelé que la procédure transitoire est inacceptable. En particulier, le droit que les Chambres législatives se sont attribué d’annihiler les arrêts de la « Cour suprême du Royaume », fait « fi des principes les plus évidents de toute organisation démocratique... ». Cette « véritable révolution institutionnelle » a « porté un coup mortel » à l’existence même du Pouvoir judiciaire293. De manière générale, « laisser « le dernier mot » aux Chambres législatives relativement à la solution d’une question... qui conditionne l’issue des litiges pendants devant les juridictions, c’est à la fois instituer un régime de Parlement-juge, introduire dans l’administration de la justice l’élément politique créant l’insécurité et suscitant la méfiance des justiciables et, enfin, méconnaître les règles internationales liant la Belgique qui imposent pour le jugement des litiges un juge impartial et le respect des droits de la défense »294. Se tournant ensuite vers la Cour d’arbitrage en projet295, le procureur général déclare qu’« il ne convient ni de dépouiller le Pouvoir judiciaire et le Conseil d’État des attributions qui leur apppartiennent dans l’intérêt général, ni d’accroître ; encore la complexité de notre organisation juridictionnelle en créant des juridictions nouvelles »296. Plus, « il est manifeste » que les problèmes de conflits de compétence « ne peuvent recevoir une solution que si cette mission est confiée à des juges, habitués à juger et à trancher journellement d’autres questions empreintes de difficultés et de complexité semblables, avec la sûreté et l’objectivité qui caractérisent leur état »297. Aussi la présence d’hommes politiques au sein de la Cour d’arbitrage est inadmissible dans la mesure où elle révèle que des préoccupations politiques pourraient intervenir dans son office. S’il devait en être ainsi, conclut M. Dumon, « je ne vois pas comment des membres du Pouvoir judiciaire et du Conseil d’État, sans faillir à leur mission et spécialement au devoir qu’ils ont d’inspirer confiance aux justiciables dans l’administration de la justice que la Nation leur confie, pourraient consentir à faire partie de l’institution nouvelle ayant un tel rôle « politique », qui, on ne saurait se le dissimuler, fausserait fondamentalement l’œuvre de la justice »298. Par conséquent, quand l’auteur de la mercuriale use du mot « juridiction » pour designer la Cour d’arbitrage, c’est en ayant soin de l’entourer de guillemets révélateurs...
99En 1979, MM. Vanwelkenhuyzen et Velu avaient été plus nuancés dans l’expression, mais tout aussi fermes sur le fond : « l’introduction d’hommes politiques dans la juridiction à créer, avaient-ils déclaré, serait... incompatible tout à la fois avec la nécessité de garantir efficacement les structures nouvelles de l’État, les exigences minimales d’une bonne administration de la justice, les impératifs de la sécurité juridique ainsi que l’autorité et la crédibilité de cette juridiction. Si l’opinion contraire venait à prévaloir, avaient-ils ajouté, les personnalités autres que les magistrats professionnels devraient en tout cas ne constituer qu’une minorité au sein de la juridiction »299. A notre connaissance, ils n’ont pas, depuis lors, pris publiquement position sur la nature exacte de la Cour d’arbitrage telle que les derniers projets l’organisent. Il sera, notamment, intéressant de découvrir comment ils apprécieront la constitutionnalité de la loi qui sera adoptée en application de l’article 107ter de la Constitution, particulièrement en regard des articles 30, 92 et 107. Persisteront-ils à déduire de ces dispositions que seule une juridiction judiciaire est en droit de trancher les questions préjudicielles dont le règlement est confié par les derniers projets à la Cour d’arbitrage ? Ou admettront-ils que l’article 107ter y déroge, à la différence de l’article 59bis, §8 ? Nous noterons seulement, à ce propos, que le Conseil d’État n’a en tout cas pas estimé cette attribution de la future Cour contraire à l’article 92 de la Constitution, pourvu que le législateur ne lui confie pas la mission de se prononcer sur la pertinence de la question préjudicielle, appréciation qui relève exclusivement des cours et tribunaux saisis de l’action initiale300.
100Après cet aperçu schématique des premières questions qu’a suscitées l’examen de la fonction juridictionnelle de la Cour d’arbitrage, il nous reste à envisager la dernière énigme : le constituant de 1980 a-t-il exclu tout contrôle judiciaire pour trancher les autres problèmes de constitutionnalité des lois et des décrets, ceux qui échappent à la Cour d’arbitrage ? A ce propos, les auteurs semblent manifester — et on les comprend — une prudence et une réserve redoublées. Tout au plus, peut-on dégager une première tendance qui serait de répondre par l’affirmative. M. Mast ne paraît pas, dans la dernière édition de son traité, modifier les positions que nous lui connaissons, ni même se préoccuper de la volonté du constituant de 1980 à cet égard301. M. Dumon croit certain que le constituant a exclu un tel contrôle, et il le regrette amèrement. Cependant, les motifs relevés nous semblent surtout trahir la lassitude du procureur général, bien compréhensible d’ailleurs. Il remarque que l’article 107ter de la Constitution ne prévoit rien « en ce qui concerne le contrôle de la conformité des lois et des décrets à la Constitution »302 et que le constituant a souligné que la Cour d’arbitrage ne serait pas une Cour constitutionnelle. On a vu que ce propos doit être nuancé. Il lui paraît, « au surplus, quasi certain qu’en donnant ou en permettant de donner dans les articles 26bis et 59bis de la Constitution « force de loi » aux décrets, le constituant a cru exclure un tel contrôle »303. Le propos s’appuie seulement sur un présupposé, à savoir que « dans l’opinion de la majorité des personnalités politiques, dès qu’une norme est une « loi » ou a « valeur » ou « force de loi », il est exclu qu’un contrôle quelconque, spécialement celui de sa conformité à la Constitution, puisse être exercé »304. Comme nous le verrons dans la prochaine section, l’observation était incontestable, disons, jusqu’en 1978. Depuis lors, une évolution manifeste des esprits appelle, pour le moins, des nuances305. M. Delpérée, enfin, laisse entendre qu’à son avis l’article 107ter clôt le débat opposant la doctrine favorable au contrôle diffus et celle qui militait en faveur d’un contrôle centralisé ; c’est celui-ci qui a reçu la préférence du constituant, mais il a été limité à un contrôle spécialisé. Tout autre contrôle s’en trouverait, par conséquent, exclu306. Cette opinion présuppose que le constituant est cohérent, au sens où il ne saurait tolérer simultanément deux contrôles s’inspirant de logiques distinctes, si pas incompatibles.
101Les partisans du contrôle judiciaire sont-ils donc définitivement battus ? Nous ne le pensons pas. Ils auront sûrement l’occasion de montrer que l’absence de tout contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois et des décrets dans les domaines étrangers aux problèmes des conflits de compétence, et particulièrement dans celui des libertés publiques, révèle une incohérence dans l’ordre juridique, bien plus insupportable que celle qui résulterait d’une juxtaposition d’un contrôle général diffus et d’un contrôle spécial centralisé.
102On le voit : la controverse n’est pas terminée. Pour prendre une image polémique, on dira que les combattants sont un peu fatigués, mais la trêve qu’ils respectent ne manquera pas d’être rompue, particulièrement dès l’adoption de la loi tant attendue.
103Nous pouvons conclure cette deuxième section par une seule observation. La détermination de la nature juridique ou politique du contrôle de la constitutionnalité des lois et des décrets est toujours au cœur de la question de l’admissibilité de lege lata et de lege ferenda de contrôles juridictionnels généralisés. Le débat a manifestement évolué depuis 1950. Les données du problème ont considérablement changé. Mais l’analyse doctrinale qui en est faite reste indéniablement tributaire des thèmes récurrents que nous connaissons.
104Avant de clore ce chapitre par le bilan que cette situation appelle, une dernière donnée essentielle doit être présentée : la jurisprudence.
Section 3. L’incidence de ces nouveaux éléments dans la jurisprudence
105Nous savons que les cours et tribunaux, comme le Conseil d’État, ont toujours déclaré, malgré les divergences doctrinales que nous venons d’examiner, qu’il ne leur appartient pas d’apprécier la conformité d’une loi à la Constitution307. Si le Conseil d’État est, pour sa part, resté fermement attaché à cette jurisprudence308, il n’en va pas de même du pouvoir judiciaire. Le fameux arrêt Le Compte rendu par la Cour de cassation le 3 mai 1974309 a, au moins, posé la question dans des termes différents, et a d’ailleurs eu un retentissement considérable aussi bien dans la doctrine qu’au Parlement. A l’analyse, il apparaît cependant que cet arrêt doit être situé dans la ligne d’une jurisprudence antérieure, qui remonte en tout cas à l’arrêt Waleffe du 20 avril 1950310.
106D’autre part, la problématique des conflits de compétence est à l’origine d’une jurisprudence qui justifie un examen distinct. Deux arrêts de cassation retiendront surtout l’attention : les arrêts Vandenplas et Van Hoet.
1. l’arrêt le compte. ses antécédents et ses prolongements
1. Ses antécédents : l’arrêt Waleffe
107En 1838 déjà, MM. de Brouckère et Tielemans recommandaient aux cours et tribunaux de ne refuser l’application d’une loi inconstitutionnelle que « s’il y a entre la Constitution et la loi une opposition si directe qu’il est impossible de les concilier par une interprétation raisonnable »311. Cette démarche conciliante a trouvé à s’appliquer, de manière exemplaire, dans l’affaire Waleffe. Il s’agissait au départ, rappelons-le, d’apprécier la constitutionnalité, non d’uni : loi, mais d’un arrêté royal pris en vertu d’une loi dite de « pouvoirs spéciaux ». Promulguée le 17 mai 1933, celle-ci attribuait « compétence au gouvernement pour lui permettre de prendre certaines mesures en vue du redressement de l’équilibre financier et de la réalisation de l’équilibre budgétaire ». Ses termes très généraux paraissaient à première vue autoriser le Roi à prendre un arrêté portant réduction de toutes les pensions à charge de l’Etat. Tel était l’objet de l’arrêté du 31 mai 1933. Application en fut faite à la pension d’un magistrat de l’ordre judiciaire, et celui-ci vit sa situation matérielle amoindrie du fait de son accession à l’éméritat. La Cour de cassation estima que cette diminution était incompatible avec l’article 100 de la Constitution qui garantit aux juges l’inamovibilité. Le raisonnement de la Cour lui fut inspiré par son procureur général qui déclarait : « interpréter la loi de pouvoirs spéciaux comme ayant permis au Roi de prendre une mesure inconstitutionnelle serait commettre envers le législateur l’injure de présumer qu’il a été infidèle à son serment d’observer la Constitution »312. La Cour dit en effet : « bien que les termes de cette loi soient généraux et répugnent à une interprétation restrictive, il est certain cependant que ses auteurs n’ont pas entendu donner au gouvernement le pouvoir de prendre des mesures qui violeraient la Constitution »313. Toute loi doit donc être interprétée dans un sens qui permet de concilier ses prescriptions avec celles de la Constitution. En l’occurrence, la loi du 17 mai 1933 est, en quelque sorte, rendue constitutionnelle, par une interprétation telle qu’elle est censée ne pas viser la diminution de la pension des magistrats, ce qui permet de conclure que l’arrêté royal dépasse les limites des pouvoirs qu’elle lui accorde. On peut tirer de cet arrêt deux leçons.
108Tout d’abord, il faut y voir au moins un tempérament à la théorie du sens clair des textes. Cette théorie, dont le caractère fallacieux a été parfaitement démontré314, inspire encore toujours la jurisprudence et la doctrine. L’arrêt Waleffe prouve cependant que « des règles, qui eussent été tenues pour dérivées — « selon le sens clair » — d’un texte, ne le seront plus dès lors qu’elles apparaissent inconstitutionnelles au juge »315.
109Ensuite, l’arrêt, tout en s’appuyant sur la présomption de conformité des lois à la Constitution, ouvre la porte à une forme implicite de contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. Certes, celui-ci reste limité. Il ne peut conduire qu’à un constat final de conformité : il n’autorise pas le juge à refuser l’application d’une loi qu’il estimerait inconciliable avec la Constitution. Plus, théoriquement il n’autorise pas le juge à interpréter la loi dans le sens qu’il considère comme le seul compatible avec la Constitution, mais qui a été manifestement écarté par les travaux préparatoires316. Cependant, dans tous les autres cas, — et ceux-ci ne sont-ils pas plus nombreux ? — il faut reconnaître que la méthode Waleffe, si l’on veut bien appeler ainsi cette technique de l’interprétation conciliante, aboutit à un résultat très analogue à un refus d’application des lois inconstitutionnelles. La principale différence, finalement, — mais elle n’est pas négligeable — réside dans l’abri, — qui peut parfois servir de camouflage317 — constitué par « l’invocation de la rationalité du législateur »318, dont le juge bénéficie quand il met en œuvre la méthode Waleffe. Tandis qu’en refusant explicitement l’application de la loi inconstitutionnelle, le juge opère à découvert. Comme l’a fait très justement remarquer Michel Leroy, l’arrêt du 20 avril 1950 est passé inaperçu : le Parlement n’a pas ressenti la moindre censure. Tel ne fut pas le cas de l’arrêt du 3 mai 1974319.
2. L’arrêt Le Compte
110On a vu combien une part importante de la doctrine attendait avec impatience un arrêt de cassation qui exerçât enfin un contrôle explicite de la constitutionnalité d’un acte de valeur législative. Le moindre attendu susceptible de répondre à cet espoir ne pouvait donc échapper à la vigilance du monde des constitutionnalistes. C’est l’arrêt du 3 mai 1974 qui, le premier, livra ces quelques mots tant espérés. La Cour avait été invitée à revoir sa jurisprudence par son procureur général, M. Ganshof van der Meersch, dont les arguments mettaient remarquablement en lumière les deux éléments nouveaux que nous avons développés dans la section précédente de ce travail. Elle resta, cependant, des plus prudentes, de telle sorte que, loin de trancher par un indubitable revirement de jurisprudence la vénérable controverse, elle eut surtout le mérite de donner à celle-ci une nouvelle jeunesse. Pour les partisans du contrôle judiciaire, elle a incontestablement accepté de vérifier la validité constitutionnelle d’une loi. Aussi cet arrêt serait l’annonce « d’un nouveau printemps et d’un nouveau bruissement »320. Pour les adversaires du contrôle judiciaire, la Cour « ne s’est pas prononcée, même implicitement, sur la question du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois »321. C’est évidemment l’école de Louvain qui était dans la meilleure position pour arbitrer le débat. Opposé tout à la fois au contrôle judiciaire et à l’absence de contrôle juridictionnel, M. Delpérée a pu, trois ans après le prononcé de l’arrêt, en fournir le commentaire que nous croyons le plus objectif et le plus serein322.
111Les faits de la cause étaient simples. Le docteur Le Compte a été condamné à une peine disciplinaire par le Conseil provincial de l’ordre des médecins de Flandre occidentale. Le Conseil d’appel de l’ordre avait confirmé la sanction. Contre cette décision, le demandeur invoquait quatre moyens, dont trois griefs d’inconstitutionnalité dirigés contre un arrêté royal pris en vertu d’une loi de pouvoirs spéciaux, l’arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967 relatif à l’Ordre des médecins. La Cour pouvait très bien y répondre sans s’attacher au problème du contrôle de la constitutionnalité des lois. Son procureur général l’admettait lui-même323. Et pourtant, à l’occasion de l’examen du troisième moyen, « sans revendiquer solennellement » cette compétence, « elle l’a exercée »324. Ce moyen mettait en cause la validité de l’abrogation par l’arrêté no 79 de la loi du 25 juillet 1938 qui a créé l’Ordre des médecins, au regard de l’article 67 de la Constitution qui veut que le Roi « fait les règlements nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution ». Comme on pouvait s’y attendre, la Cour rejeta le moyen et admit qu’un arrêté royal de pouvoirs spéciaux puisse abroger une loi antérieure, mais c’est évidemment la démarche suivie qui importe. Celle-ci conduit la Cour à déclarer que « l’article 78 de la Constitution permet qu’une loi particulière, portée en vertu de la Constitution même, étende l’exercice du pouvoir réglementaire du Roi au-delà des limites fixées par l’article 67 de la Constitution ;... dès lors, le Roi a, sur base de la loi d’habitation du 31 mars 1967, pu décider, par l’arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967, l’abrogation de la loi du 25 juillet 1938... »325. Ces deux attendus recèlent une forme de contrôle de la conformité d’une loi à la Constitution. Certes, il est impossible, comme l’a fait remarquer M. Delpérée, de déterminer si ce contrôle s’est exercé « dans l’ordre des procédures » ou dans celui des « compétences matérielles » ; si la Cour a tiré « les leçons d’une disposition exceptionnelle de la Constitution qui voudrait que, sur un point, les lois seront soumises à un contrôle de conformité à la Constitution » ou si elle a de manière plus générale, vérifié « la portée du principe selon lequel « les pouvoirs s’exercent de la manière établie par la Constitution » (art. 25, al. 2) »326. Mais, elle ne s’en est pas moins, pour la première fois, prononcée sur la non-contrariété d’une loi à la Constitution.
112La différence entre cet arrêt Le Compte et l’arrêt Waleffe est indéniable sur le plan des effets virtuels de leurs raisonnements respectifs : un constat final de divergence pourrait être, dans une autre occurrence, la conclusion du premier, alors qu’il ne pourrait jamais résulter du second. Mais, sur le plan pratique, ces deux méthodes sont surtout complémentaires : on ne saurait admettre le recours au « bras sacrilège »327 que permet la première, sans avoir préalablement épuisé toutes les ressources de l’herméneutique qu’offre la seconde.
3. Ses prolongements dans la jurisprudence et au Parlement
a) Dans la jurisprudence
113Les arrêts rendus par la Cour de cassation depuis le 3 mai 1974 ont offert aux publicistes l’occasion de prolonger leur débat. Une correspondance échangée dans le Journal des Tribunaux, en 1981, entre MM. Falys et Vanwelkenhuyzen qui, pourtant, tiennent tous les deux que les juges ont de lege lata le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois, paraît exemplaire à cet égard. Le premier avait terminé une note de jurisprudence en écrivant : « l’on relèvera la tranquille assurance avec laquelle la décision annotée énonce qu’il n’appartient pas aux tribunaux de procéder au contrôle de la constitutionnalité des lois. Ajouté à d’autres, survenus depuis le 3 mai 1974, ce jugement confirme l’impression qu’avaient d’aucuns que la décision rendue à cette date par la Cour de cassation, était appelée à prendre rang parmi ces arrêts de rencontre qui ne sont point promis à l’accomplissement »328. Il s’est ensuivi un dialogue portant sur l’interprétation à donner d’une série de décisions judiciaires. M. Vanwelkenhuyzen y voit « plusieurs signes de la continuité de l’évolution amorcée en 1974 »329, tandis que M. Falys parle de « régressions » dans la mesure où la Cour de cassation n’irait jamais plus loin, depuis lors, que la jurisprudence Waleffe.
114Pour y voir clair, nous devrions consacrer à ces arrêts une analyse minutieuse pour laquelle l’espace manque, hélas, dans les limites de cette contribution330. Retenons seulement deux observations. Tout d’abord, l’arrêt du 3 mai 1974 n’est en tout cas pas resté sans lendemains. La Cour s’est prononcée dans le même sens et dans les mêmes termes, à deux reprises, le 25 juin et le 6 septembre 1974, à l’occasion de recours introduits par le même demandeur au sujet de problèmes analogues. L’arrêt du 25 juin, en particulier, tout en répétant mot pour mot la formule du 3 mai que nous avons citée, est plus indicatif encore du fait que le demandeur a modifié le libellé de son moyen, et a mis explicitement en cause la constitutionnalité de la loi d’habilitation331. C’est donc l’ensemble des trois arrêts Le Compte qui suscite la question de savoir s’il constitue un accident. Dans un arrêt du 14 janvier 1976, la Cour déclare : « Attendu... que, cette branche du moyen étant ainsi dénuée d’intérêt, il n’y a pas lieu d’examiner si le pouvoir judiciaire a ou non le pouvoir d’apprécier la constitutionnalité des lois »332. Alors que son premier avocat général F. Dumon avait dit dans ses conclusions qu’il n’y avait, en effet, aucune raison de discuter du problème dans cette affaire333, la Cour paraît avoir voulu saisir l’occasion pour préciser qu’en toute hypothèse, la jurisprudence ferme qui avait été la sienne jusqu’en 1966 pourrait être au moins réexaminée si ce n’était déjà fait. Comment ne pas voir dans cet attendu une réponse à ceux qui prétendaient qu’il ne s’était rien passé en 1974334 ?
115Pour le reste, nous sommes enclin à penser que tous les autres arrêts de cassation cités par MM. Falys et Vanwelkenhuyzen, à l’exception de ceux qui concernent la matière des conflits de compétence que nous examinerons dans le paragraphe suivant, se situent seulement dans la lignée de la jurisprudence Waleffe335. Mais nous n’y voyons aucun indice de régression, à raison de la complémentarité démontrée ci-avant qui unit cette technique et celle de l’arrêt Le Compte. D’autant plus que la première s’affine manifestement sous l’effet de la remise en cause, provoquée par la seconde, du caractère « inconditionnel, irréfragable et absolu » de la vieille présomption de conformité des lois à la Constitution336. Cette présomption dont on ne sait pas encore si le pouvoir judiciaire acceptera, dans la logique des arrêts Le Compte, qu’elle puisse être nettement renversée, est suffisamment « dédogmatisée » pour servir, dès ores, d’instrument discret capable de légitimer un contrôle judiciaire limité, mais certain, de la constitutionnalité des lois337.
b) Au Parlement
116On le sait, le pouvoir législatif a toujours estimé que c’est lui, et lui seul, qui peut décider souverainement de la constitutionnalité des lois. En 1867, à l’occasion de l’examen du texte qui allait devenir l’article 237 du Code pénal, le rapporteur, le baron d’Anethan, le dit explicitement338. En 1950 et en 1957, à l’occasion de discussions portant sur l’opportunité de consulter la section de législation du Conseil d’État, MM. Van Cauwelaert et Huysmans, présidents successifs de la Chambre des représentants, le répétèrent339 En 1965, la Commission tripartite pour la réforme des institutions créée par le Premier Ministre, M. Théo Lefèvre, ne retint pas le principe du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois qu’elle avait étudié340. Entre 1968 et 1971, les Chambres constituantes, bien que sans qualité pour débattre valablement de la question puisque celle-ci n’était pas inscrite dans le programme de révision341, l’ont abordée dans le cadre du débat relatif à l’article 59bis, § 8. La Commission sénatoriale de révision de la Constitution, en particulier, estima que notre droit public a fait du Parlement « le gardien suprême de la constitutionnalité »342. Dans un discours prononcé au cours du débat public à la Chambre des représentants, M. Wigny, fut, sur ce point, d’une netteté et d’une franchise qui méritent qu’on s’y attarde : « Sous l’impulsion du Procureur général Henrion de Pansey, la Cour de cassation a refusé de contrôler la constitutionnalité des lois... Elle a raison. Pourquoi ? Parce qu’elle prendrait des responsabilités politiques, parce qu’elle se trouverait impliquée dans un procès qui peut inciter les passions partisanes, parce que la réputation d’impartialité qui lui assure le respect et la confiance des justiciables se trouverait contestée... Toute loi peut être équivoque à une Cour, celle-ci ne peut raisonner qu’en droit, en se fondant uniquement sur des considérations juridiques. Or, nous savons très bien, nous, que le droit est mêlé de politique, et par conséquent, lorsque plusieurs interprétations sont possibles, nous pouvons choisir entre elles, celle qui nous paraît la meilleure pour le Pays. C’est la différence qu’il y a entre les parlementaires responsables devant la Pays et les juges qui ne peuvent invoquer que le Code... »343. Nous avons vu combien la loi du 3 juillet 1971 est imprégnée de cette conception344.
117Il fallait donc s’attendre à une réaction du Parlement contre l’arrêt Le Compte. Et en effet, le Sénat adopta le 26 juin 1975, par 132 voix contre 9 et 3 abstentions, une proposition de loi « sur la constitutionnalité des lois et des décrets », déposée par MM. Pierson et de Stexhe, qui tient en une seule phrase : « Les cours et tribunaux ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois et des décrets ». Le rapport fait au nom de la Commission de la justice par M. de Stexhe motive cette position, de manière très documentée, à partir de « la jurisprudence constante depuis 1830 », « l’esprit de la Constitution et la séparation des pouvoirs... », « la volonté formelle des Chambres constituantes », « l’ordre dans l’État et la sécurité juridique » et « les intérêts supérieurs de la Nation »345. L’idée y prévaut qu’il y a véritablement péril en la demeure.
118La doctrine, celle de Louvain comme celle de Bruxelles346, a très vivement réagi à cette proposition qui, précisons-le, n’a jamais été discutée devant la Chambre. M. De Visscher la résume en quelques mots : le vote de ce texte « serait de toute évidence dépourvu d’une portée juridique quelconque à l’égard du pouvoir judiciaire tant il est vrai qu’une telle loi ne peut être que superflue ou inconstitutionnelle »347. Ce propos a été largement développé par M. Delpérée. Dans une mise au point très ferme, celui-ci rappelle que la Constitution ne recèle pas de lacune à ce sujet, que l’article 107 « ne cesse de commander l’examen de la matière »348, et que seul le constituant peut en fournir une interprétation authentique. Notons que cette réplique est récurrente dans les rapports que la doctrine favorable à un contrôle juridictionnel a entretenus avec le pouvoir législatif349.
119Est-ce sous l’influence de ce dialogue, toujours est-il que les conceptions du pouvoir législatif ont manifestement évolué depuis lors. En 1976, les partis de la majorité gouvernementale comme ceux de l’opposition sont divisés au sujet de l’opportunité de créer une Cour constitutionnelle350. En 1977, à l’occasion de la discussion parlementaire relative à la Cour d’arbitrage prévue par le fameux pacte communautaire du 24 mai 1977, M. de Stexhe reconnut lui même que sa thèse n’était plus adaptée à la situation qui « se modifiait avec les réformes institutionnelles annoncées », et il se déclara partisan de la création de cette Cour351. En 1978, il compléta ce revirement en exprimant la conviction qu’une Cour constitutionnelle apte à protéger les libertés publiques se justifierait, « en tout cas à l’égard des Conseils de communauté et des Conseils régionaux », et il s’annonça même « prêt à examiner avec attention la création d’une Cour constitutionnelle pour respecter l’égalité des trois pouvoirs, Parlement, Conseil régional et Conseil de communauté »352. Cette évolution est partagée par d’autres personnalités353. Elle a rendu possible l’institution de la Cour d’arbitrage354. Mais c’est, plus largement, l’idée d’un contrôle juridictionnel généralisé de la constitutionnalité des lois qui semble faire lentement, mais sûrement son chemin dans l’esprit de nos pères conscrits355.
2. les arrêts vandenplas et van hoet
1. Les antécédents
120Nous l’avons montré, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 3 juillet 1971, tout juge est compétent pour décider si un problème de conflit de compétence entre une loi et un décret ou entre deux décrets se pose, et s’il doit nécessairement en connaître la solution pour trancher le litige dont il est saisi. Comme l’écrit très justement M. Delpérée, les cours et tribunaux sont donc habilités à « considérer que la constitutionnalité d’une loi ou d’un décret leur pose problème et à demander au Conseil d’État de connaître de cette difficulté »356. En réalité, le juge dispose le plus souvent d’une option : ou bien il renvoie les parties devant la section des conflits de compétence, et celle-ci est alors en mesure d’exercer franchement un contrôle portant sur la conformité des lois et décrets en cause aux règles constitutionnelles qui répartissent les compétences législatives ; ou bien il exerce lui-même ce contrôle de constitutionnalité sous la forme discrète de la méthode Waleffe : il élimine alors la contradiction alléguée en donnant aux normes concernées une interprétation conciliante et conforme à la Constitution. La doctrine n’a pas assez souligné l’existence de cette option : en se contentant de répéter que le juge est légalement obligé de poser la question préjudicielle au Conseil d’État chaque fois qu’une contradiction de compétence apparaît comme inévitable, on ne montre pas que dans la plupart des cas, la contradiction est précisément évitable grâce à la technique Waleffe. Il « suffit » de « rendre constitutionnelle » la norme que l’on croit entachée d’un excès de compétence. La jurisprudence relative aux conflits de compétence — qui se sont principalement présentés dans la matière de l’emploi des langues — démontre amplement le propos357. Certains se sont étonnés du petit nombre de questions préjudicielles qui ont été posées à la section des conflits358. Cet étonnement procède, à notre sens, d’une sous-évaluation des ressources qu’offre la jurisprudence Waleffe, ressources dont l’exploitation a dû paraître d’autant plus nécessaire à bien des juges que la nouvelle section du Conseil d’État n’a jamais été installée : le souci de ne pas renvoyer les parties devant un autre juge dont on sait, par hypothèse, qu’il ne se prononcera pas, a probablement balayé les éventuels scrupules des magistrats qui devaient, tout de même, se rendre compte qu’ils ne jouaient pas vraiment le jeu que le législateur du 3 juillet 1971 attendait d’eux. Il reste que leur attitude n’est pas critiquable d’un point de vue strictement juridique. En réalité, ce sont les conséquences de celle-ci que la doctrine déplore, à savoir la disparition de toute sécurité juridique en cette matière de l’emploi des langues, tant sont nombreuses les divergences jurisprudentielles qui l’émaillent. Il faut dire que les dispositions constitutionnelles qui s’y appliquent sont singulièrement déficientes. Elles autorisent une multiplicité d’interprétations qui n’ont en commun que la vertu d’éliminer la contradiction entre les normes prétendument en conflit.
121Tel était le contexte antérieur à l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 juin 1979 dans l’affaire Vandenplas359. A ce moment, précisons-le, aucune question préjudicielle n’avait encore été posée au Conseil d’État.
2. L’arrêt Vandenplas
122Cet arrêt prend le contre-pied de la jurisprudence des juridictions de fond dont nous venons de rendre compte. « A aucun moment, la Cour ne semble avoir cherché à donner de la loi et du décret une interprétation conciliante », comme l’observe pertinemment Michel Leroy360. L’arrêt décide donc de poser une question préjudicielle et, conformément à la législation antérieure au 9 août 1980, il la soumet aux Chambres législatives361.
123Les faits sont les suivants. Le demandeur, M. Vandenplas, étant au service de la société défenderesse en qualité de représentant de commerce, se voit notifier son licenciement pour motifs graves par une lettre rédigée en français. Il exerçait ses prestations principalement dans la région de langue néerlandaise, tandis que son employeur avait son siège d’exploitation dans la région de langue française. L’article 52, § 1er des lois sur l’emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, impose, en effet, l’usage de la langue de la région où est ou sont établis le siège ou les sièges d’exploitation de l’entreprise, donc le français en l’espèce. Mais le décret du Conseil culturel de la communauté culturelle néerlandaise du 19 juillet 1973 réglant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs prescrit l’emploi du néerlandais dans la mesure où il s’applique, selon son article 1er, « aux personnes physiques et morales ayant un siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise ou occupant du personnel dans la région de langue néerlandaise ».
124Ces deux dispositions sont donc, apparemment du moins, antinomiques. La Cour du travail d’Anvers avait résolu la difficulté par la méthode Waleffe. Donnant au décret du 19 juillet 1973 l’interprétation restrictive que commanderait l’article 23 de la Constitution362, elle avait jugé qu’il n’aurait force de loi « qu’à l’égard des actes qui doivent être accomplis dans la région de langue néerlandaise ou, à tout le moins, qui sont inséparablement liés au lieu d’occupation » et que la lettre de licenciement de l’espèce ne tombait pas dans cette catégorie363. La Cour de cassation repousse ce raisonnement et y substitue la démarche suivante. Tout d’abord, elle fournit une interprétation littérale du décret : celui-ci « ne fait pas de distinction selon que le personnel des personnes physiques ou morales n’ayant pas de siège d’exploitation en région de langue néerlandaise est occupé exclusivement ou non dans ladite région linguistique ». Ensuite, elle vérifie, dans la ligne de la jurisprudence Le Compte364, la conformité de l’article 1er du décret à l’article 59bis, §4 de la Constitution : en vertu de ce dernier, rappelle-t-elle, « les décrets du Conseil culturel de la communauté culturelle néerlandaise réglant l’emploi des langues n’ont force de loi que dans la région de langue néerlandaise ; [attendu] qu’il est cependant satisfait à cette exigence de validité territoriale lorsque l’application de la réglementation linguistique concernant les relations sociales entre les employeurs et leur personnel est déterminée par l’occupation de ce personnel dans la région de langue néerlandaise... ». La Cour en déduit naturellement que le juge du fond ne pouvait pas refuser d’appliquer le décret au litige dont il était saisi. Notons au passage que ce raisonnement, tel qu’il est opposé à celui du juge du fond, manifeste très clairement que la méthode Waleffe dont celui-ci avait fait usage est une véritable technique de contrôle de la constitutionnalité : la déclaration d’inapplicabilité du décret émanant de la Cour du travail apparaît, à la lumière de l’arrêt de cassation, comme un refus d’appliquer le décret dans le sens littéral. Les deux juridictions divergent seulement dans leur appréciation de la constitutionnalité de cette interprétation littérale. Enfin, dans un troisième temps, la Cour de cassation examine la question préjudicielle soulevée par la défenderesse et conclut que l’article 52 des lois coordonnées de 1966 est concurremment applicable à la même situation. La Cour transmet aussitôt la question préjudicielle aux Chambres législatives.
125Comme l’ont fait observer MM. Fallon et Lejeune, la clé de l’arrêt Vandenplas réside dans un passage des conclusions de M. l’avocat général Lenaerts qui le précèdent : « la loi et le décret ont chacun un champ d’application bien précis et aucun des deux n’a empiété sur le domaine de l’autre... Le présent conflit ne trouve donc pas son origine dans une inconstitutionnalité, ni de la loi, ni du décret »365. L’originalité de cette thèse ne peut manquer de frapper. En général, qui ne le sait, tout juge confronté à une antinomie se donne pour mission impérieuse de la résoudre, en manière telle qu’il n’existe guère que des antinomies apparentes ou, en tout cas, provisoires366. Certes, le propre de la procédure de règlement des conflits instituée par la loi du 3 juillet 1971 est d’inviter le juge saisi de n’importe quel litige, à repérer l’antinomie opposant une loi à un décret ou deux décrets entre eux, mais c’est pour en confier la solution à la section des conflits du Conseil d’État ou aux Chambres législatives qui, elles, devraient finalement soit déclarer l’antinomie apparente, soit résoudre l’antinomie réelle par la mise à l’écart de la norme entachée d’un excès de compétence commis par un législateur au détriment de l’autre. En toute hypothèse, pour le constituant de 1970 comme pour celui de 1980, tout conflit de compétence réel présuppose la méconnaissance de la Constitution par l’auteur d’une des normes en conflit. En d’autres termes, la Constitution est présumée iuris et de iure367 suffisamment complète et cohérente pour permettre le règlement de n’importe quel conflit de compétence. L’originalité du propos de M. Lenaerts et de l’arrêt Vandenplas est de faire apparaître au grand jour le caractère fictif de cette présomption dans un cas où l’imprévoyance du constituant est, en effet, trop manifeste pour être tue. Mais le problème qu’il suscite auprès des parlementaires chargés de le résoudre se mue alors en impasse. Comment faire encore « comme si » le constituant avait prévu la solution ? Comment la motiver en droit ? Comment la légitimer ? On comprend l’indignation de plusieurs commentateurs de l’arrêt : le raisonnement de la Cour de cassation « aboutit en fait à institutionnaliser l’incohérence du système juridique belge... »368.
126On comprendra aussi que le Parlement n’a toujours pas résolu la question préjudicielle.... Seul le Sénat a adopté le 1er avril 1981 un projet de résolution369. On y remarque que la Haute assemblée saisit d’abord l’occasion pour rappeler que l’intervention des Chambres législatives dans cette affaire se justifie par le pouvoir du dernier mot que le législateur de 1971 leur a reconnu, « conformément à la doctrine et à la jurisprudence constante de la Cour de cassation depuis 1831 », chaque fois que « se pose une question de constitutionnalité d’une loi ou d’un décret »370. Ce rappel peut surprendre si l’on songe qu’il date de 1981, à un moment où manifestement le problème ne peut plus être posé dans ces termes. Il a suscité d’ailleurs de vives réactions doctrinales371. Mais nous serions enclin à croire qu’il reflète plus l’intention de mettre les points sur les i au sujet de la ratio legis qui est celle d’un système presque révolu, que la volonté de nier l’évolution des mentalités que nous avons pu observer depuis 1978. Quant à la résolution elle-même, elle reproche à la Cour de cassation de ne pas avoir respecté les conseils de prudence que lui avait donnés son procureur général, M. Ganshof van der Meersch, en 1972. Celui-ci avait dit : « La Cour se gardera de toute affirmation concernant l’existence de la contradiction. Elle pourrait, en effet, se trouver en situation difficile dans le cas où, les Chambres ayant estimé qu’il n’y a pas contradiction, elle serait obligée, la question étant réglée de la sorte, de se prononcer différemment sur l’existence d’une règle dont elle doit contrôler le respect par le juge du fond, d’une part dans l’arrêt de renvoi aux Chambres et, d’autre part, dans l’arrêt statuant définitivement sur le pourvoi »372. Et telle est bien la situation qui naîtrait si la résolution du Sénat devait être adoptée par la Chambre. En effet, le Sénat a appliqué, en quelque sorte, la jurisprudence Waleffe, c’est-à-dire celle, notamment, de la Cour du travail d’Anvers. Le décret du 19 juillet 1973 est déclaré inapplicable en l’espèce tout en n’étant pas écarté comme inconstitutionnel, grâce à une interprétation qu’imposerait « le contexte de l’article 59bis de la Constitution » et qui fait dire au décret ce qu’il ne dit pas littéralement : quand celui-ci « retient comme critère le fait d’être « occupé dans la région de langue néerlandaise », prétend le Sénat, ce critère ne peut être étendu au fait d’être « occupé dans les régions de langue néerlandaise et de langue française »373.
127Notons que, depuis l’arrêt Vandenplas, les juridictions de fond ont multiplié les renvois devant la section des conflits de compétence du Conseil d’État374. Selon MM. Fallon et Lejeune, une dizaine d’affaires sont actuellement pendantes devant cet organe-fantôme375. Il appartiendra à la Cour d’arbitrage, dès son installation, d’en connaître376.
3. L’arrêt Van Hoet
128Cet arrêt rendu par la Cour de cassation le 30 mars 1981377 se situe dans le droit fil de la jurisprudence Vandenplas. Mieux, il mène celle-ci jusqu’à son terme. En effet, la Cour se prononce cette fois après l’entrée en vigueur de la loi du 9 août 1980. C’est donc elle qui tranche la question préjudicielle, sous la réserve d’une annulation par les Chambres législatives dans les nonante jours378, annulation qui n’a d’ailleurs pas eu lieu. L’affaire est la même que dans la cause précédente, sauf que l’employeur est établi dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale et qu’il plaide que, par application de l’article 59 des lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative, le dépôt d’une traduction néerlandaise de la lettre de licenciement pour motifs graves, initialement rédigée en français, validait le congé à sa date, tandis que le représentant de commerce, demandeur, soutient que, par application de l’article 10 du décret de septembre, le dépôt d’une traduction néerlandaise, n’opérant qu’ex nunc, était impuissant à valider le congé puisqu’il tombait fatalement en dehors du délai de trois jours prescrit par la loi sur le contrat d’emploi. La Cour du travail d’Anvers avait résolu la difficulté, comme dans l’affaire Vandenplas, par la méthode Waleffe et avait aussi conclu à l’inapplicabilité du décret au même motif que celui-ci suppose un acte qui doit être accompli dans la région de langue néerlandaise ou qui est indissolublement lié au lieu d’exercice de l’activité professionnelle379. La Cour de cassation y substitue à nouveau son raisonnement en trois temps : 1. interprétation littérale du décret (implicite cette fois) ; 2. nouveau brevet de constitutionnalité décerné au décret et déclaration d’applicabilité de celui-ci ; 3. repérage de l’antinomie à l’occasion de l’examen de la question préjudicielle.
129Tout l’intérêt de l’arrêt réside évidemment dans les derniers attendus qui résolvent cette antinomie. Constatant que l’employeur est établi dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale et qu’il s’agirait d’une affaire localisée ou localisable dans la région unilingue néerlandaise, il construit une « règle de conflit interterritorial »380 à partir de l’analogie qui unirait cette situation et l’article 17 des lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative. Cette disposition impose aux services administratifs locaux de la région bilingue de Bruxelles-Capitale la langue de la région où l’affaire est localisable ou a son origine. La Cour ajoute « que la même idée sert de fondement à l’article 52 des lois précitées, qui régit l’emploi des langues par les entreprises » et qui se réfère à la langue du destinataire des actes établis par les entreprises siégeant sur le territoire de Bruxelles-Capitale. Relevons que le représentant était en l’occurrence d’expression néerlandaise. La règle de conflit qui est déduite de ces considérations s’énonce alors comme suit : « lorsqu’une réglementation sur l’emploi des langues à Bruxelles-Capitale et une réglementation sur l’emploi des langues dans une région unilingue de langue néerlandaise ou française sont applicables en même temps, la réglementation pour la région unilingue prime celle de la région bilingue de Bruxelles-Capitale ». Pour saisir l’originalité de ce raisonnement, nous devrions le comparer systématiquement aux autres règles de conflit qui ont pu être élaborées dans « la pratique belge des conflits interterritoriaux ». Ce travail a été réalisé, de la manière la plus rigoureuse qui soit, par MM. Fallon et Lejeune381. Nous ne pouvons qu’y renvoyer le lecteur. Nous remarquerons seulement que la Cour de cassation n’échappe à l’impasse technique à laquelle devait la conduire, comme nous l’avons montré ci-avant, la jurisprudence Vandenplas qu’elle applique ici, qu’au prix de l’inspiration unilatérale qu’elle trouve dans « une norme matérielle de l’un des textes en conflit, les lois coordonnées de 1966 »382. Quelle que soit la justification que l’on peut fournir à cette « interprétation », il est indéniable que son imprévisibilité n’est pas la dernière de ses caractéristiques383.
130Cette observation ne peut manquer d’intéresser ceux qui s’interrogent sur la nature juridictionnelle de la fonction qui sera exercée par la Cour d’arbitrage, puisque d’ici peu c’est à celle-ci qu’il appartiendra de résoudre ce genre d’antinomie. La complexité des « conflits de compétence matérielle »384 dont elle aura à connaître est bien connue depuis 1970. Mais les difficultés propres aux conflits interterritoriaux n’avaient, jusqu’à présent, guère retenu l’attention. Or, tout porte à croire que leur nombre ne va faire que croître385. Juridiquement, c’est à la Constitution qu’il appartient de formuler les règles de conflit interterritorial386. Pour l’essentiel, la Constitution confie cette délicate mission au législateur national statuant à la majorité spéciale387. Mais il faut constater que celui-ci est politiquement incapable de s’en acquitter. La même incapacité politique rend parfaitement vain — du moins à moyen terme — l’espoir qu’avaient d’aucuns de voir le même législateur améliorer la rédaction de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 pour prévenir la multiplication des conflits de compétence matérielle à laquelle on assiste déjà. La Cour d’arbitrage devra donc résoudre ces conflits à l’aide de règles déficientes. L’idée a été avancée au cours d’un colloque récent : le monde politique a fait ce qu’il pouvait ; il appartient aux juristes de prendre la relève388. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, de lire sous la plume autorisée de MM. Fallon et Lejeune cette conclusion : « Dotée du pouvoir d’interpréter par voie d’autorité les règles distributives de la fonction législative, la Cour d’arbitrage sera investie d’une fonction quasi normative... Lorsque sa jurisprudence aura acquis la fermeté souhaitable, le législateur spécial pourra s’en inspirer pour codifier le droit interterritorial belge »389.
Conclusions
131L’ampleur de ce chapitre appelle une brève récapitulation. Le contrôle de la constitutionnalité des lois et des décrets en Belgique relève-t-il d’une fonction juridictionnelle ou politique ? A bien des égards, cette question reste aussi controversée en 1983 qu’en 1838. A partir de quel moment un juge est-il réputé ne plus faire du droit, mais de la politique ? C’est en définitive cette interrogation, élémentaire s’il en est, sur laquelle la doctrine se divise et se bloque depuis 1838. Le nombre impressionnant des arguments échangés ne fait, à cet égard, que masquer la structure essentiellement tautologique des raisonnements tenus. Or, la discussion, qui est apparemment de celle que les séminaires de théorie générale du droit se réservent, a une portée pratique indéniable, puisqu’elle apparaît encore et toujours au cœur de l’interprétation que la Constitution reçoit pour déterminer si elle autorise ou non le pouvoir judiciaire à juger les lois, et à refuser l’application de celles qui seraient inconstitutionnelles. Sur cette interprétation, la discorde n’a pas cessé de diviser et d’opposer les uns aux autres le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et celui que l’on pourrait appeler le troisième pouvoir dans cette controverse, la doctrine. De plus, la même discussion commande, depuis 1970, l’examen de l’opportunité de créer une Cour constitutionnelle.
132Cette sorte de « stagnation théorique » est cependant impuissante à paralyser une évolution des données du problème, même si elle en retarde le terme — que nous croyons inéluctable — et en obscurcit l’analyse. On peut faire le point, à cet égard, à l’aide de trois observations.
133Tout d’abord, la primauté du droit international et l’évolution de la Belgique vers le fédéralisme ont incontestablement renforcé la position de ceux qui militent en faveur d’un contrôle juridictionnel généralisé de la constitutionnalité des actes à valeur législative, même si leurs thèses ne font pas encore l’unanimité. On peut dire que la controverse tend à connaître ainsi un premier rétrécissement. Si la majorité des auteurs admet progressivement que le contrôle puisse revenir à un juge, la question devient : quel juge ? Ceux qui mettent l’accent sur la nature juridique de l’opération ne voient aucune raison pour retirer aux juges ordinaires cette compétence qu’ils estiment d’ailleurs inhérente à l’essence même de l’acte juridictionnel. La jurisprudence Le Compte s’inscrit dans cette perspective, mais la Cour de cassation hésite manifestement à la consacrer avec la netteté que ses partisans attendent. Aussi, nous avons vu que c’est par la méthode Waleffe que les juridictions, tant judiciaires qu’administratives, préfèrent exercer une forme — moins audacieuse, mais parfois tout aussi efficace — de contrôle des lois et décrets. Ceux qui sont plus sensibles à la dimension politique des évaluations sous-jacentes au refus d’application des lois inconstitutionnelles ne peuvent rien y redire puisque la technique Waleffe a l’habileté de déguiser ce refus en une interprétation conforme à la Constitution. Les limites propres à cette forme de contrôle les incitent cependant à vouloir en confier l’exercice, de manière plus explicite et plus complète, à une Cour constitutionnelle, dont des hommes dotés d’une expérience politique devraient faire partie.
134On a observé ensuite que l’introduction en 1980 d’un contrôle juridictionnel spécialisé et confié à un organe centralisé, la Cour d’arbitrage, est le signe d’une certaine évolution de l’esprit des milieux politiques. Jusqu’alors, ceux-ci avaient toujours revendiqué le pouvoir du dernier mot en toute matière constitutionnelle. En 1980, ils admettent, dans la matière des conflits de compétence, que ce pouvoir appartienne à une « juridiction » ad hoc. Cette évolution est consacrée par la Constitution elle-même. Certains diront que la controverse connaît ainsi un second rétrécissement : le constituant a décidé que le contrôle de la constitutionnalité ne peut être confié qu’à un organe centralisé. On peut débattre de la nature juridictionnelle, plus ou moins pure ou impure, de cet organe mais le constituant aurait tranché une fois pour toutes en disant que la matière est trop politique pour être prise en charge par n’importe quel juge. Le pouvoir créateur dont la Cour de cassation a dû faire preuve dans l’affaire Van Hoet n’est-il pas, d’ailleurs, le meilleur exemple qui puisse illustrer la pertinence de cette option ? Mais d’autres répliqueront : certes, le constituant a tranché en ce sens à propos des conflits de compétence. Mais sa réserve pour le reste n’interdit pas aux cours et tribunaux de déduire des articles 30, 92 et 107 de la Constitution — articles qui n’ont pas été modifiés — qu’ils sont toujours compétents pour contrôler la constitutionnalité des lois et des décrets dans les autres domaines. Ceux-ci ne sont-ils pas, d’ailleurs, moins « politiques » que celui qui est attribué à la Cour d’arbitrage ? Et un troisième groupe, plus sceptique, considérera que l’institution de cette Cour manifeste moins la sensibilité du pouvoir politique à la nécessité de contrôles juridictionnels que le simple souci de réagir à des excès que l’on ne peut se dissimuler, tant ils prennent « la forme grossière du désordre né de commandements contradictoires »390.
135Quoi qu’il en soit — et c’est notre dernière observation — on ne peut nier que l’idée d’une Cour constitutionnelle gagne du terrain. A cet égard, l’exemple de la France, de la République Fédérale d’Allemagne et de l’Italie, pour ne prendre que les pays les plus proches du nôtre, ne laisse aucun publiciste indifférent. En outre, comment ne pas voir que la tâche du constituant qui se déciderait à étendre les compétences de la Cour d’arbitrage serait plus aisée que celle des autres juridictions qui se risqueraient à vouloir les compléter elles-mêmes. Il est probable cependant que le constituant belge ne se pressera guère pour faire ce dernier pas. L’occasion se présentera alors, peut être, au pouvoir judiciaire comme aux juridictions administratives de prendre leurs responsabilités.
CHAPITRE 2. La portée de la controverse et ses enjeux
136Nous connaissons la manière dont les juristes posent habituellement les termes de la controverse étudiée. Nous voudrions à présent tenter de mettre en lumière, d’une part, le caractère fallacieux du dilemme dont ils ne parviennnent guère à s’échapper et, d’autre part, la nécessité d’aborder plus explicitement les raisons pour lesquelles se développe aujourd’hui un courant de plus en plus favorable au contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois. Nous allons ainsi envisager deux questions, aussi élémentaires que généralement refoulées ou mal posées. La première : un juge peut-il assumer, dans les limites de sa fonction juridictionnelle, la tâche de vérifier la conformité des lois à la Constitution ? A notre sens, c’est une certaine méconnaissance de la dimension herméneutique et politique du problème qui explique que cette question est toujours pendante. Nous y consacrons notre première section. La seconde : pourquoi veut-on actuellement, de manière pressante, voir cette tâche confiée à des juges ? C’est la dimension historique du problème. Elle semble largement ignorée, ou plutôt considérée comme irrelevante, puisqu’elle fait apparaître des facteurs extra-juridiques. Si ceux-ci s’avèrent décisifs, pourquoi le juriste se sent-il obligé de faire comme s’il était possible d’en faire abstraction ? C’est l’objet de notre deuxième section.
Section 1. La dimension herméneutique et politique du problème
137Le caractère radicalement herméneutique de notre problème semble être insuffisamment reconnu. Quant à sa dimension proprement politique, elle paraît tantôt refoulée, tantôt surestimée. Nous consacrons à chacun de ces deux propos complémentaires un paragraphe distinct.
1. la tendance au refoulement de la dimension herméneutique
138Le phénomène que M. Ost qualifie de « refoulement de l’interprétation » semble récurrent dans la pensée juridique en général391. L’idée que « toute application d’une loi implique son interprétation préalable »392 n’est toujours pas acceptée par l’ensemble des juristes, bien qu’on n’aperçoive pas comment elle pourrait être contestée. Nous avons l’impression que les constitutionnalistes comptent parmi ceux qui y résistent, consciemment ou non, avec le plus d’acharnement. Nous voudrions d’abord justifier cette « impression » par trois indices, et en déterminer ensuite l’incidence sur notre problème.
139Premier indice : on ne peut qu’être frappé par le petit nombre d’études consacrées à l’interprétation de la Constitution393. Le professeur français Michel Troper explique cette situation, dont notre pays n’a pas l’apanage, par l’influence de la doctrine privatiste qui associe l’interprétation à l’activité juridictionnelle. Or, « l’hypothèse où un conflit d’interprétation ne peut être tranché par aucune juridiction se réalise... très fréquemment » en matière constitutionnelle, même dans les systèmes qui comportent un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, les organes compétents n’étant jamais habilités à régler toutes les contestations que les dispositions de la Constitution sont susceptibles de soulever. Ne pouvant analyser ce cas comme ils analysent les interprétations juridictionnelles, « les auteurs doivent ou bien ignorer le problème ou bien proposer une solution pour chaque difficulté concrète en procédant eux-mêmes à l’interprétation, ou encore énoncer des principes généraux d’interprétation »394. Ce diagnostic s’applique parfaitement à la Belgique.
140Deuxième indice : aucun de ceux qui n’ignorent pas le problème n’admet sans restriction que la Constitution, comme n’importe quelle autre règle de droit, est toujours interprétée, et jamais simplement appliquée. Pour la plupart, « le pouvoir d’interprétation s’arrête là où le texte constitutionnel est clair et précis et ne prête par conséquent pas à interprétation »395, et certaines règles constitutionnelles sont claires par elles-mêmes396. D’aucuns concèdent que « la doctrine du « sens clair » est aujourd’hui et à juste titre contestée »397. Mais ils semblent ne pouvoir s’empêcher de s’appuyer sur une sorte de doctrine substitutive du « sens précis ». Or l’idée est la même : un texte constitutionnel pourrait être précis en soi. et ne laisserait à l’interprète, quel que soit le contexte d’application, qu’une marge très limitée d’appréciation398. Il semble, en réalité, que la précision d’un texte, aussi grande soit-elle sur le plan sémantique et syntaxique, est toujours tributaire du contexte dans lequel il trouve à s’appliquer399. Cette résistance de la doctrine peut paraître paradoxale, car elle insiste simultanément sur la spécificité de la Constitution quant au nombre de ses dispositions générales, indicatives, vagues, imprécises, et même judicieusement énigmatiques400. Combien de fois n’a-t-on pas dit que la principale qualité d’une Constitution est de pouvoir accompagner l’évolution de la société qu’elle encadre, de manière assez souple pour ne devoir être révisée qu’un minimum de fois ? Elle ne doit pas résoudre tous les problèmes, mais elle doit faciliter les solutions, répète-t-on401. Et c’est évidemment aux vertus de l’interprétation que l’on songe pour lui faire jouer ce rôle nuancé. L’interprétation en droit constitutionnel est donc, apparemment, à la fois refoulée et célébrée. Il nous semble cependant qu’au total, le premier terme du paradoxe l’emporte sur le second ; il n’y a même, en réalité, aucun paradoxe. On peut dire, sous une forme raccourcie, que l’interprétation de la Constitution doit être suffisamment refoulée pour que les vertus de celle-ci comme de celle-là puissent être célébrées. En effet, admettre que la Constitution est tout entière à la merci de ses interprètes, c’est rendre trop fragile une norme dont la suprématie justifie d’incessants rappels. Précisons que notre propos ne se veut nullement iconoclaste. Nous voulons seulement souligner que « toute application même non contentieuse d’un texte implique l’interprétation préalable de ce texte »402, et qu’il est scientifiquement incorrect de réduire la portée de cette dimension herméneutique, sous prétexte de vouloir renforcer l’autorité de la première des règles de droit. Sa situation au sommet de la hiérarchie formelle des normes est — le propos est connu — le gage de son autorité et de sa faiblesse à la fois. Aucune règle, par hypothèse, ne peut sanctionner son irrespect. Elle doit compter sur ses propres forces. Ces dernières résident-elles en son verbe ? Certes, à force de croire à la magie, celle-ci devient réalité403, mais n’est-elle pas en train de perdre son efficacité aujourd’hui ? Ne vaut-il pas mieux reconnaître alors franchement que ses forces, ce sont ses interprètes, bien plus que ses pauvres mots404 ?
141Le corollaire de cette position est qu’il ne peut y avoir de « vérité constitutionnelle »405 : l’interprétation n’est pas un acte scientifique. Sur ce point, l’ambiguïté règne aussi dans la doctrine. Tout en répétant souvent que l’interprétation est un art, elle prend soin d’épingler ce qui formerait les préalables scientifiques de cet art. Appartiendrait, par exemple, aux concepts propres à « la science de l’interprétation constitutionnelle », selon M. Delpérée, la notion d’interprétation authentique de la Constitution406. Or, cette notion ne peut qu’être construite à partir d’une interprétation de l’article 28 de la Constitution. Elle a été très controversée, comme on l’a vu, dans le débat qui nous occupe. On connaît les divergences qui séparent à cet égard MM. Vanwelkenhuyzen et Delpérée d’un côté, Wigny, Mast, Pierson, de Stexhe, de l’autre, sans parler des nuances internes à ces deux groupes407. Récemment, M. Rimanque a pu ajouter une troisième thèse qui consiste à nier la possibilité même d’une interprétation authentique de la Constitution408. Si nous sommes enclin à partager celle de M. Delpérée, nous ne la croyons pas « scientifique » pour autant. Si les publicistes se jettent parfois des anathèmes, n’est-ce pas parce qu’ils restent convaincus que l’essentiel de leurs arguments trouve sa légitimité dans une science, même si aucun d’entre eux ne nie que l’interprétation est « aussi » un art ? Est-ce à dire que nous tenons que l’interprétation est un acte de volonté409 ? Non, du moins pas au sens où Kelsen a entendu l’expression410. Nous nous rallions plutôt à la position de MM. Ost et van de Kerchove : l’interprétation est « un jeu régi par des règles spécifiques »411. La figure du jeu convient à merveille pour désigner l’articulation des deux pôles de la régulation et de la liberté, qui caractérisent l’interprétation en droit. Elle a aussi été employée pour désigner la Constitution elle-même. Celle-ci est « règle du jeu » a-t-on dit412. Interpréter la Constitution, c’est en effet jouer avec une règle du jeu. Aussi, l’image de « coups » plus ou moins conformes à cette règle nous semble plus adéquate que la notion de « vérité constitutionnelle ».
142Troisième indice : Quand on consulte la doctrine relative à l’interprétation de la Constitution, on constate, comme l’a encore très bien observé Michel Troper, qu’elle raisonne « sur la base du postulat de la suprématie de la Constitution écrite », c’est-à-dire à l’envers. Si on admet que la Constitution est à la merci de ses interprètes, il faut accepter, dans le cadre d’une démarche qui, cette fois, peut être appelée scientifique, que « l’étude de l’interprétation commande celle de la hiérarchie des normes »413, et non le contraire. A nouveau, il ne s’agit pas de mettre en cause la suprématie de la Constitution — que nous croyons souhaitable —, mais de distinguer ce qui est et ce qui doit être. Tous les constitutionnalistes commencent par exposer la nature et les fonctions que la dogmatique juridique attribue à la règle constitutionnelle, pour en déduire comment elle doit être interprétée. Cette démarche est d’un intérêt que nous ne nions pas, mais elle n’est hélas guère complétée par une analyse de la pratique réelle des interprètes de la Constitution. Ce troisième indice de refoulement est commun à l’ensemble des théories de l’interprétation juridique en général414, mais il semble plus net encore en droit constitutionnel.
143L’incidence de ces trois remarques sur notre propos est évidente. On se demande si un juge peut assumer, en tant que tel, la vérification de la conformité des lois à la Constitution. Or, on ne dispose d’aucune théorie approfondie capable de déterminer comment la Constitution est effectivement interprétée tant par le législateur que par les juges. On suppose alors, de manière plus conjecturale que fondée, que ceux-ci auront telle ou telle attitude : tantôt on les suspecte des pires abus ; tantôt on les crédite d’une confiance absolue ; tantôt encore, on les répute incapables de se hisser au niveau de la règle suprême.
144D’autre part, le refoulement de la dimension herméneutique propre à la controverse elle-même n’en clarifie pas les termes415. Sa prise en considération ferait au moins mieux apparaître le cercle vicieux où la querelle s’enferme : chacun des partenaires qu’elle met en présence cherche à interpréter la Constitution en dernier ressort, pour répondre à la question de savoir qui a le droit de l’interpréter en dernier ressort. Tant le pouvoir législatif que le pouvoir judiciaire en appellent ainsi, vainement, à leurs attributions constitutionnelles respectives : représenter le peuple et trancher les litiges par le droit. Le premier se présume irréfragablement respectueux de la Constitution ; le second se prétend le seul à pouvoir dire la vérité constitutionnelle. L’un et l’autre se targuent du serment qu’ils ont prêté à la Constitution. Dès lors, quand l’un veut s’imposer, l’autre n’y voit qu’un coup de force illégitime, voire une menace pour son existence. Rappelons-nous les réactions du Sénat à l’arrêt Le Compte416 et les réactions des hauts magistrats de la Cour de cassation tant à la loi du 3 juillet 1971 qu’à sa modification du 9 août 1980417. Seul le constituant pourrait trancher en cette absence de l’indispensable consensus, mais il ne veut décidément pas s’exprimer clairement sur ce point ! La doctrine cherche alors à s’y substituer et à arbitrer le débat au nom de la science constitutionnelle, mais elle ne parvient pas à se mettre d’accord.
145Si l’on veut bien considérer la controverse dans la perspective de ce « cercle vicieux », on ne peut s’empêcher d’observer qu’elle est parfois tributaire d’une certaine forme de « dramatisation ». Dans un article récent, M. Delpérée nous semble le suggérer, avec beaucoup de finesse et d’humour, en imaginant un séminaire de droit public où participeraient, outre des professeurs et des étudiants, un haut magistrat, un parlementaire et un avocat. On ne peut mieux faire apparaître le côté théâtral du débat. Cette « pièce en un acte » reflète aussi, mais peut-être sans le vouloir, le rôle d’arbitre que la doctrine entend y jouer. Elle s’intitule : « le palais de la nation et le palais de la justice »418. Il ne manque dans ce titre que l’alma mater...
2. la dimension politique tantôt refoulée, tantôt surestimée
146Nous avons pu constater que la doctrine est divisée quant à la nature politique de la démarche d’un juge qui serait habilité à contrôler explicitement la constitutionnalité des lois. Il convient de distinguer trois plans à cet égard : l’objet de la démarche, la démarche elle-même, et ses implications. Nous évoquons d’abord les premier et troisième plans, le second, ensuite.
147Tous les auteurs pensent que le caractère au moins partiellement politique de la Constitution est un des traits qui en font l’originalité parmi les autres règles de droit. On peut immédiatement relever que cette unanimité traduit une tendance à confondre le politique et la politique. Est politique, pour les constitutionnalistes, l’ensemble des activités qui se rattachent à la « scène politique »419, au sein de laquelle les acteurs de la classe politique s’affrontent selon les règles codées par la Constitution. Si le propos en soi n’est pas contestable, ce qui l’est plus, c’est le préjugé que rien n’est plus politique que les actes qui se produisent sur cette scène. Il nous semble que la sociologie politique420 condamne depuis longtemps cette manière de voir, ainsi que son présupposé421 qui consiste à définir le politique par l’État422. Les publicistes sont donc amenés à penser qu’un juge constitutionnel se meut, plus que tout autre, « sur le terrain de la controverse politique »423, alors que ce juge nous paraît dans la même situation que tout autre magistrat interprétant du droit social ou du droit économique, par exemple, dans un contentieux où un rapport de force un tant soit peu aigu oppose des intérêts collectifs, dont l’un au moins est assez structuré pour attirer, le cas échéant, l’attention de l’opinion publique sur le sort qui lui sera fait. Sur le plan de l’objet de la démarche, nous croyons ainsi pouvoir dénoncer une surestimation générale de sa dimension spécifiquement politique. Il en est de même sur le plan de ses implications424. A notre sens, la répercussion politique d’un arrêt de cassation portant sur la licéité des occupations d’usine est beaucoup plus importante que celle produite par une décision se prononçant sur la constitutionnalité d’une loi imposant le port de la ceinture de sécurité aux conducteurs de véhicules automobiles. En soi, les conséquences politiques d’une décision constitutionnelle ne sont pas a priori plus grandes que celles qui peuvent s’attacher à d’autres jugements qui ne mettent pas directement en cause la Constitution, contrairement à ce que l’on semble, généralement, au moins sous-entendre.
148L’examen que la doctrine consacre à la nature politique de l’opération de contrôle elle-même nous semble, pour sa part, s’appuyer sur trois présupposés communs. Premièrement, il est postulé qu’un juge ne fait jamais de politique, puisqu’il ne peut pas en faire. Qui ne voit que c’est à nouveau la confusion entre l’être et le devoir être qui est à l’œuvre dans cette assertion ? Pour répondre à la question de savoir s’il est admissible qu’un juge exerce la mission de contrôler la constitutionnalité des lois dans le cadre de sa fonction juridictionnelle, la doctrine est amenée à se poser une question à laquelle elle s’interdit de répondre. Comment ne pourrait-elle pas, en effet, s’interroger sur le caractère politique que présente l’activité juridictionnelle classique en général, avant de se demander dans quelle mesure cette mission nouvelle — dont la dimension politique fait précisément problème — s’inscrit bien dans cette activité ? Mais au lieu de répondre à cette interrogation, on répète le propos de Duport : « il faut interdire toute fonction politique aux juges »425 ; et on en conclut que la décision juridictionnelle est toujours « étrangère à toute préoccupation « politique », à toute considération de choix ou d’opportunité »426. Or, ce refoulement de la dimension politique est irréaliste. Nous avons vu que l’activité juridictionnelle, comme toute activité d’application du droit, implique un pouvoir d’interprétation. Le juge n’étant que rarement lié sans réserve par la norme qu’il applique, la nature politique de son œuvre ne paraît pas pouvoir être niée : celle-ci n’a-t-elle pas pour objet de déterminer le comportement d’autrui, par des décisions dont la portée générale — via la notion de jurisprudence — ne peut être dissimulée, et dont la source réside dans une volonté qui n’est pas entièrement commandée par des normes juridiques préexistantes427 ?
149Deuxième présupposé de la doctrine : un juge se politise — c’est-à-dire sort de sa fonction juridictionnelle — quand il est en situation de pouvoir être accusé de faire preuve d’un esprit de parti du fait qu’il dispose d’une trop grande marge d’appréciation dans le domaine des problèmes débattus sur la scène politique. Dès lors, ceux qui plaident en faveur d’un contrôle juridictionnel diffus de la constitutionnalité des lois refoulent la dimension politique de cette opération en minimisant la marge d’appréciation qu’elle laisse ; ceux qui luttent contre tout contrôle juridictionnel surévaluent cette dimension en exagérant la marge d’appréciation qu’elle ouvre ; tandis que ceux qui militent pour une cour constitutionnelle « coupent la poire en deux » et croient nécessaire, du coup, de la composer à la fois de magistrats et d’anciennes personnalités politiques. L’idée sous-jacente à ces trois écoles, leur commune référence à l’épouvantail du « juge politisé » tel qu’elles le perçoivent, nous semble fallacieuse. Elle reproduit l’identification dénoncée ci-avant du politique à la politique, et néglige les nombreux domaines politiquement sensibles, mais éloignés du droit constitutionnel, où d’importantes marges d’appréciation sont laissées aux juges sans que ceux-ci ne soient particulièrement suspectés de politisation428. Il nous semble qu’une définition plus adéquate du « juge politisé » peut être déduite de l’analyse de MM. Ost et van de Kerchove sur l’interprétation comme « jeu ». Si tout juge exerce, à notre sens, une fonction politique, il n’en est pas toujours « politisé » pour autant. Il ne peut « faire de la politique » que dans les limites d’un « jeu » qui possède ses règles propres, sa logique propre. Un juge politisé apparaît alors comme un juge qui « ne joue pas le jeu ». Pour les auteurs dont nous nous inspirons, le but ultime du jeu de l’interprétation judiciaire « réside dans le maintien ou la restauration de la rationalité du système juridique considéré dans son ensemble »429. Si nous prenons cette proposition comme hypothèse de travail, la question pertinente devient, pour notre objet : un juge investi du pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois aurait-il une dangereuse tendance, inhérente à sa position et à sa fonction spécifique dans le système juridique, à ne pas en renforcer l’harmonie et la cohérence ? Pourrait-il, tout seul, jouer un autre jeu, et se révéler ainsi « un juge politisé » ? Avant de suggérer une réponse, explicitons le troisième et dernier présupposé.
150Un homme politique ne peut pas devenir juge. Pour certains, il est comme marqué d’un péché originel. Aussi, c’est une offense à la nature des choses que de vouloir associer d’anciens hommes politiques au siège d’une juridiction, c’est « marier l’eau et le feu »430. Celle-ci aura fatalement tendance « à faire prévaloir des éléments politiques » dans ses prises de position et à interpréter le droit en opportunité431. Or, estime le procureur général Dumon, il faut faire « la distinction nécessaire entre les décisions politiques et les décisions sereines, les mêmes pour tous et objectives qui sont le propre de l’acte de juridiction »432 (nous laissons au lecteur le soin de trouver les mots qui conviennent pour traduire a contrario l’idée que le haut magistrat se fait du monde politique). Pour d’autres, on le sait, la collaboration de magistrats professionnels et d’hommes politiques peut être féconde. Mais pourquoi en va-t-il ainsi si ce n’est parce que les seconds se distingueraient toujours des premiers ? De plus, il est toujours vivement souhaité que les personnalités politiques soient minoritaires, sinon la perversion dénoncée par les plus radicaux est jugée menaçante par les plus accommodants.
151Nous partageons le souci qui anime ce troisième présupposé. Les règles du jeu de l’homme politique ne sont pas celles du juge, et il n’est pas sans intérêt pour le citoyen qu’elles ne soient pas confondues. Nous voudrions seulement introduire deux nuances. La qualité de magistrat tient à un statut et à une fonction. L’homme politique qui reçoit ce statut pour pouvoir exercer cette fonction, ne peut y être insensible. Nous ne croyons pas qu’il soit incapable par essence de devenir magistrat433. Mais si cette métamorphose possible et souhaitable se réalise, nous ne voyons pas du tout l’utilité réelle de leur présence. Les magistrats professionnels peuvent très bien appréhender la dimension politique des problèmes dont ils sont saisis ; ils ne pourraient d’ailleurs pas en faire l’économie, même s’ils le voulaient. L’expérience politique de leurs collègues ne leur apportera rien qu’ils ne peuvent apprendre par eux-mêmes. A cet égard, il nous paraît dénué de sens de vouloir présenter un ancien parlementaire comme un expert ou un technicien434. Il est également difficile de le percevoir comme celui qui apporte la connaissance d’un milieu socio-professionnel particulier, comme le sont les assesseurs des tribunaux de commerce, sociaux ou militaires...435. Les seuls motifs susceptibles de justifier cette juxtaposition sont d’ordre tactique. Les milieux politiques semblent espérer conserver une forme d’emprise sur une telle juridiction via leurs « représentants ». Cet espoir est probablement très naïf, et les partisans du contrôle qui l’ont compris sont d’autant plus prêts à faire cette concession qu’elle est en définitive essentiellement symbolique.
152Venons-en enfin à la question essentielle : le juge constitutionnel a-t-il vocation à être un juge politisé ? Nous n’étonnerons pas le lecteur qui connaît nos prémisses, en répondant par la négative. La démonstration mériterait cependant d’amples recherches. Elle ne peut qu’être esquissée ici. Le sens du jeu juridique comporte « la connaissance, par le juriste, de l’ordonnance générale qui préside au système, la vue permanente de l’architecture qui range les principes en une perspective, assurant leur superposition organique et leur cohérence logique »436. Le juriste qui « joue le jeu » se montre capable d’isoler, dans la réalité complexe, le juridique et de le situer dans le système437. Le magistrat qui « joue le jeu » manifeste, à l’occasion de toutes ses interprétations, « son attachement au système juridique, son sens des intérêts et des valeurs qu’il incarne »438. Plus, il est toujours prêt à prendre la défense de « l’ordre social établi »439. Comment ne pas voir qu’un juge constitutionnel a toute chance de répondre, plus que tout autre, à ce modèle ? Examinant l’apport du Conseil constitutionnel au droit français, M. Favoreu a montré combien cet organe réalise un processus de « réunification » et de « rejuridicisation » du droit constitutionnel440, de « remise en ordre » de la hiérarchie des normes441. Le propre d’un juge constitutionnel est de réaliser, à partir du soubassement constitutionnel, d’abord et avant tout, une « activité harmonisante »442, et rien n’est plus juridique que cette activité-là. Non qu’elle soit dénuée de présupposés politiques, au contraire. Mais c’est à travers elle et dans ses limites, que le juge est prié d’exercer sa fonction. Celle-ci est politique, mais incompatible avec toute « politisation ». Autrement dit, elle est conçue pour être exercée sans que sa dimension politique n’apparaisse. Mais répliquera-t-on que le juge constitutionnel, situé comme il est au sommet de la pyramide des normes — ou à sa base, l’image est réversible —, pourrait profiter de cette position et du caractère imprécis de bien des normes constitutionnelles pour suggérer un autre jeu, ou pour paralyser les évolutions que le pouvoir politique pourrait légitimement vouloir provoquer au sein du système existant ? C’est évidemment l’hypothèse du juge « trop » progressiste ou « trop » conservateur. Et l’on songe, en particulier, au « rôle politique » joué par la Cour suprême des Etats-Unis443, surtout entre 1890 et 1937. Outre les habituelles réserves qu’il convient de rappeler quand un contre-exemple est tiré d’un système juridique différent du nôtre, il faut rappeler que cette jurisprudence « trop » conservatrice n’a pas pu résister longtemps aux pressions que l’opinion publique a exercées à travers le président Roosevelt, lors du conflit du New Deal444. En réalité, les juges constitutionnels peuvent difficilement ne pas jouer le jeu en tirant parti de leur position stratégique, parce que celle-ci est précisément trop visible. Ils sont politiquement condamnés à jouer le jeu, c’est à-dire, en quelque sorte, à mener une politique « centriste »445. Traduite dans le langage juridique, celle-ci se nomme « prudence ». Et cette prudence est moins à comprendre, il faut bien le dire, comme cette vénérable faculté de l’esprit qu’Aristote qualifie par le concept de « phronèsis », que comme l’art, plus prosaïque, de « ne pas se brûler ». Ainsi, M. Vanwelkenhuyzen n’a pas tort de manifester sa confiance dans la « tradition de notre magistrature » en prédisant qu’elle « va inciter le juge constitutionnel, si un jour une Cour constitutionnelle est créée, à être spécialement prudent et réservé, à ne s’aventurer dans les problèmes politiques qu’avec d’infinies précautions »446. Le droit comparé peut d’ailleurs fournir des exemples de cette prudence. Prenons le cas de la France. A travers la déception qu’elle éprouve pour la jurisprudence du Conseil constitutionnel, Danièle Loschak démontre involontairement que celui-ci a joué le jeu, c’est-à-dire oscillé « continuellement entre l’audace et la prudence ; l’audace qu’exige l’invalidation de textes législatifs sur la base de dispositions constitutionnelles fuyantes et incertaines, la prudence indispensable pour éloigner le spectre du gouvernement des juges »447. La crainte de voir les juges constitutionnels censurer systématiquement la volonté du pouvoir législatif paraît donc bien déplacée. Elle s’est à nouveau exprimée récemment en France, à propos du rôle joué par le Conseil constitutionnel — dont on connaît la composition — confronté au « flot du changement » imposé par la nouvelle majorité socialiste. Or, l’effet de son intervention semble s’être limité à un ralentissement et à une « canalisation » de ce flot448. Remarquera-t-on qu’à l’occasion de « l’affaire » des nationalisations, il a réussi — tout en finissant par donner son feu vert — à reconnaître pour la première fois la valeur constitutionnelle du droit de propriété, et à en dire pour droit que sa « conservation constitue l’un des buts de la société politique »449 ? On sait que d’éminents constitutionnalistes, comme MM. Luchaire et Robert, estimaient que le droit que définit l’article 544 du Code civil n’est plus, dans la France de 1982, ce « droit inviolable et sacré » de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789450. L’essentiel n’est-il pas cependant que la promulgation de la loi de nationalisations n’a pas été paralysée ? Mieux, grâce aux quelques modifications dont elle a dû faire l’objet, toute controverse sur sa valeur juridique est écartée. Et l’autorité du Conseil constitutionnel en sort également renforcée451. Par sa politique non politisée452, il a progressivement réussi à conquérir sa place dans le concert des institutions françaises453.
153En définitive, pourquoi, au vu de ces exemples, la doctrine favorable au contrôle juridictionnel n’a-t-elle toujours pas réussi à ôter la crainte du gouvernement des juges de l’esprit des adversaires de cette technique ? Une des raisons majeures de cet échec réside, selon nous, dans les déficiences dénoncées ci-avant de la théorie de l’interprétation de la Constitution commune aux uns et aux autres. Cette théorie, avons-nous observé, dit comment la Constitution doit être interprétée. Elle se prétend du fait même applicable à toutes les interprétations qui en sont fournies, quels qu’en soient les auteurs. Or, une étude plus soucieuse du réel nous apprendrait que le pouvoir législatif n’interprète pas la Constitution comme le juge. L’homme politique, agissant en tant que tel sur la scène politique, perçoit le droit comme une contrainte ou une arme. Il le respecte ou s’en saisit, avec un empressement qui est à la mesure des risques et des opportunités du moment. Pour le reste, il ignore la rationalité juridique, souvent à ses dépens d’ailleurs parce qu’il en est plus tributaire qu’il n’en a conscience, mais c’est un autre problème... Ce rapport d’instrumentalisation et de méconnaissance n’est évidemment pas celui du juge. Pour lui, le droit est une fin. L’interprétation que le législateur — ou plus généralement le « jurislateur » — procure à la Constitution est au moins à dominante téléologique. Or, elle est, en général, chronologiquement la première. Comment ne pas voir qu’elle constitue pour le juge qui intervient après coup, un « fait » sur lequel il n’a plus qu’une prise marginale454. Il aura même tendance à légitimer cette première interprétation par le faisceau de ses méthodes propres455. Certes, il peut — et c’est même tout l’intérêt de son intervention — en borner les « audaces » et en écorner les « excès ». Mais, pour l’essentiel, il sera beaucoup moins tenté d’y substituer sa propre interprétation que d’examiner dans quelle mesure la première s’intègre dans le droit positif, et de systématiser les leçons qui se dégagent de cet examen. Le meilleur exemple de cette approche est l’interprétation que la doctrine a « trouvée » pour légitimer la pratique des pouvoirs spéciaux — dont on sait que la compatibilité avec notre Constitution est, pour le moins, délicate —, tout en indiquant au législateur certaines limites à ne pas franchir456. Un juge constitutionnel ne ferait rien d’autre. On peut ajouter qu’un juge est politiquement impuissant à remettre radicalement en cause un simple projet de loi qui répond à un besoin jugé impérieux par le pouvoir politique. La section de législation du Conseil d’Etat belge ou le Conseil constitutionnel français ne peuvent manquer d’en avoir pleinement conscience. L’institution d’une justice constitutionnelle habilitée à censurer des lois promulguées est donc une menace dérisoire pour le législateur. Il est politiquement inconcevable que le juge constitutionnel devienne son concurrent. C’est la confusion dogmatique qui est encore faite entre les méthodes d’interprétation réelles du pouvoir législatif et celles du juge, qui alimente cette crainte et une part de la dramatisation des enjeux évoquée ci-avant. Le premier a le pouvoir d’interpréter la Constitution en faisant éventuellement peu de cas de la cohérence du système juridique global ; le second est contraint d’interpréter la Constitution en fonction des lois, les lois en fonction des règlements, et les règlements en fonction des circulaires457. Tous les constitutionnalistes mettent l’accent sur le mouvement inverse458, mais ils s’intéressent plus à l’idéal de la hiérarchie des normes qu’à son fonctionnement réel. Pour comprendre ce dernier, il faut d’abord rappeler que « la « créativité » de la norme inférieure par rapport à la norme supérieure... est beaucoup plus grande que ne le suggère la théorie du Stufenbau »459. D’un point de vue plus politique, on peut utilement recourir à la notion de « système constitutionnel » tel que le définit Michel Troper : un système de pouvoirs et d’organes créés par la Constitution de telle sorte que le faisceau de leurs relations nombreuses et complexes « limite la liberté de chacun de déterminer seul ses propres compétences »460. Le juge constitutionnel n’est qu’un élément de ce système. Les autres autorités entretiennent avec lui des rapports de force et/ou de coopération461. L’interprétation de la Constitution est le produit de cet ensemble de relations, c’est-à-dire des diverses interprétations que chacun des acteurs du système lui procure selon sa logique propre. Il est fallacieux de faire comme si celle du juge pouvait s’élaborer et s’imposer dans un environnement neutre. Le pouvoir politique du juge constitutionnel ne serait à craindre que dans cet univers purement fictif. Ajoutons qu’il est d’autant moins à redouter dans le système réel que la position que ce juge y occupe semble le condamner à développer des interprétations... plus « nomo-centriques » que « socio-centriques »462, c’est-à-dire plus soucieuses de renforcer la systématicité juridique que de répondre à des besoins sociaux dont l’hétérogénéité implique des choix délicats abandonnés au pouvoir politique. D’autres juges, moins visibles, peuvent être amenés à produire des interprétations plus « socio-centriques », et une tendance manifeste en ce sens est décelable dans différents domaines463. Elle ne paraît pas s’accompagner d’un phénomène de « politisation » au sens que nous avons retenu, mais elle reconnaît un plus grand pouvoir d’appréciation au profit du juge. Peut-elle concerner la justice constitutionnelle ? Les « concepts-énigmes » de la Constitution faciliteraient une telle évolution. Mais, en toute hypothèse, une Cour constitutionnelle ne peut débuter sa carrière qu’en étant particulièrement « nomo-centrique ». C’est la seule manière pour elle de se faire accepter. Une lente et prudente évolution vers un certain « socio-centrisme » n’est pas à exclure, mais elle ne peut se produire, ici comme ailleurs, qu’avec le consentement tacite du pouvoir politique.
154Une justice constitutionnelle en Belgique ne serait donc nullement une révolution sur le plan politique. Une dernière réserve doit cependant être formulée à propos de la Cour d’arbitrage. La sensibilité toute particulière des juges constitutionnels à la cohérence du système juridique existant sera certainement aussi la sienne, mais son rôle propre est de participer activement à une importante mutation de ce système, mutation dont on a relevé que les termes légaux ont été définis de manière très insuffisante464. A première vue, on pourrait donc songer à une comparaison entre cette juridiction et la Cour de justice des Communautés européennes. On a pu dire que l’interprétation de celle-ci est « créatrice et évolutive, l’ordre juridique de référence étant situé en aval de [son] intervention » dans la mesure où les Communautés constituent un « ordre juridique prospectif à la création duquel elle participe directement »465. L’observation serait transposable mutatis mutandis à la Cour d’arbitrage si l’ordre juridique envisagé en Belgique était sous-tendu par un dessein qui ferait l’objet d’un consensus politique suffisant. Mais la division du monde politique en une tendance centrifuge et une tendance centripète risque de rendre politiquement impossible toute interprétation « créatrice et évolutive », celle-ci supposant un choix résolu en faveur d’une direction ou d’une autre. A moins que la « crise belge » ne trouve sa solution, la Cour d’arbitrage devra être la plus « prudente » de toutes les juridictions. Les milieux politiques auront les yeux braqués sur elle. Elle sera contrainte de préférer les vertus de l’exégèse aux audaces de la méthode téléologique, et si elle devait avoir des vélléités en faveur de cette dernière — elle sera parfois obligée d’y recourir faute de matière pour son exégèse —, son art « politique » sera de le camoufler le plus habilement possible. Mais, en tout cas, nous ne voyons pas de place, ici non plus, pour une « politisation » au sens où l’on l’a crainte.
155On observera enfin que la prudence de la Cour sera d’autant plus grande que tous les conflits qu’elle devra trancher sur recours en annulation seront ceux que la procédure politique dite des « conflits d’intérêt »466 aura été impuissante à faire trancher. Il faut se rendre compte, en effet, que la distinction entre les « conflits de compétence » et les « conflits d’intérêt » n’est pas plus nette que celle qui oppose, en droit international, les « différends juridiques » et les « différends politiques »467. N’importe quel conflit de compétence peut être présenté comme un conflit d’intérêt, et trouver une solution politique, conforme ou non aux exigences du droit telles qu’un juge les comprendrait, du moment qu’elle fait l’objet d’un consensus entre les collectivités qui s’affrontent. A cet égard, la procédure de règlement des conflits d’intérêt fait office de « circuit de dérivation »468. Inversement, la rédaction de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 rend très facile la présentation d’un conflit d’intérêt, qui met en cause une norme en vigueur, sous les apparences d’un conflit de compétence. Autrement dit, tous les conflits de compétence dont la Cour d’arbitrage aura à connaître sur recours en annulation sont pratiquement des conflits d’intérêt aigus ; elle n’en procédera qu’avec d’autant plus d’« infinies précautions ».
156Faut-il conclure ? La justice constitutionnelle n’est nullement incompatible avec les traits réels de la fonction juridictionnelle classique. C’est la déformation imaginaire dont celle-ci fait souvent l’objet qui semble devoir expliquer qu’elle est encore invoquée pour faire obstacle à l’institution de cette justice. Cette « non-contrariété » ne suffit cependant pas à justifier une telle innovation. Aussi, nous devons nous demander pourquoi la justice constitutionnelle n’a jamais été réclamée avec autant d’énergie qu’aujourd’hui.
Section 2. La dimension historique du problème
157La dimension historique de la controverse n’est guère prise en considération par l’ensemble de la doctrine. Les facteurs historiques qu’elle met en avant se réduisent à ceux qu’une analyse exclusivement juridique du droit positif permet de discerner469. Or, le courant favorable à l’introduction de contrôles juridictionnels de la constitutionnalité des lois nous semble plus fondamentalement redevable de facteurs socio-politiques. Si ceux-ci sont bien connus des juristes, d’autant plus que leurs incidences proprement juridiques sont manifestes, ils sont jugés marginaux, probablement parce qu’inappréhendables à l’aide de la seule discipline juridique. Cet aveuglement monodisciplinaire, propre à l’ensemble de la « science du droit » comme on le sait470, produit ici des effets immédiats : on a vu que les propos que l’on peut tenir sur une justice constitutionnelle en Belgique sont — volens, nolens — plus axés sur la lex ferenda que sur la lex lata. On veut donc répondre à une question qui est principalement d’opportunité en recourant à une méthode qui n’a de pertinence que pour des commentaires de droit positif. Dès lors, ce dont on débat le plus âprement et sous un ton parfois dramatique tourne autour de concepts un peu « magiques », et surtout « dés-historicisés »471 : pour l’essentiel, l’État de droit, la séparation des pouvoirs et la fonction juridictionnelle. Les vrais problèmes sont au contraire ceux dont on parle le moins, ou à mots couverts : il s’agit, selon nous, de l’État de droit, non dans son essence intemporelle, mais dans sa crise contemporaine ; et plus particulièrement de la séparation des pouvoirs, non dans les limbes d’un Montesquieu, objet d’hommages aussi récurrents que superficiels, mais dans sa crise qui est celle du parlementarisme depuis les années 1920. Ces phénomènes en eux-mêmes ne sont ignorés par personne. Aussi, l’objet de notre section se limite à une rapide évocation des rapports évidents, mais refoulés, qui les unissent à notre question. Notons dès ores que ceux-ci expliquent le rythme que la controverse doctrinale a connu depuis 1838 : si la première vague de 1846 à 1860 se justifie par le souci de réagir aux premières décisions rendues par la Cour de cassation, la seconde, de 1925 à 1930, ne semble pas étrangère aux élections d’avril 1925 qui renforcèrent le nombre des parlementaires socialistes et permirent, pour la première fois, à deux représentants communistes de faire leur entrée à la Chambre des représentants472. Elle est, en tout cas, liée à la première loi dite « de pouvoirs spéciaux » du 16juillet 1926473. La troisième vague, elle, a débuté vers la fin des années 1960, et nous y sommes toujours plongés comme on le constate...
158Comment ne pas voir le paradoxe ? On ne compte plus les juristes qui déclarent qu’un État de droit dépourvu de contrôles juridictionnels de la constitutionnalité des lois est incomplet474475. Kelsen a rarement été autant cité qu’à ce propos : « Une constitution dans laquelle les actes inconstitutionnels et en particulier les lois inconstitutionnelles resteront aussi valables... équivaut à peu près, au point de vue proprement juridique, à un vœu sans force obligatoire »476. On cite aussi Duguit : « un pays dans lequel on ne reconnaît pas ce droit de contrôle] ne vit pas véritablement sous un régime d’État de droit »477. Certes, l’histoire a apparemment rencontré ces appels dans un nombre croissant d’États. Mauro Cappelletti n’hésite pas à parler, à ce point de vue, d’un « grandiose phénomène universel »478. Mais ce terme n’a de valeur descriptive que pour une époque récente, postérieure à 1945479. Or, c’est à ce moment que des analyses de plus en plus nombreuses sont consacrées à la crise de l’État de droit, voire à sa déliquescence480. L’achèvement de l’État de droit par l’instauration de la justice constitutionnelle coïnciderait-il avec sa disparition ?
159Nous n’allons pas décrire à notre tour cette crise, d’autant plus que F. Ost l’évoque à plusieurs reprises dans sa contribution à cet ouvrage481. Il situe d’ailleurs la justice constitutionnelle dans la logique du modèle « légaliste-libéral »482, qui est évidemment celui de l’État de droit. Il montre aussi la crise dont celui-ci fait fatalement l’objet au moment où s’opère le passage vers le modèle « normatif-technocratique ». Il nous semble, pour notre part, que si cette période critique se révèle favorable à une célébration des vertus de la justice constitutionnelle, c’est précisément parce que celle-ci est assez ambiguë pour apparaître comme une des réponses qu’appellent à la fois l’effondrement du premier modèle et l’avènement du second. Telle est l’analyse que nous voudrions brièvement suggérer.
160Que la justice constitutionnelle réponde aux exigences théoriques du modèle « légaliste-libéral » ne doit pas être démontré. Pour faire bref, on peut dire qu’il suffit de songer à Kelsen483 si l’on s’attache au point de vue de la logique juridique, et à la protection des libertés formelles classiques si l’on s’attache au point de vue de l’idéologie politique. Il reste cependant que ce rapport de convenance est fort abstrait aussi longtemps que le culte révolutionnaire voué à la loi est prégnant dans les esprits : les lois incarnent la raison, elles sont immuables, elles sont générales, peu nombreuses et censées assurer par elles-mêmes la liberté, la sécurité et l’égalité484. André Blondel parle, à cet égard, d’un « connubium hybride mais fécond entre la conception de Rousseau et celle des Physiocrates »485. Du premier, on tient que les lois sont les « actes authentiques de la volonté générale » ; des seconds que celles qui ne participent pas à l’ordre idéal de justice n’en sont pas, mais que le pouvoir législatif ne peut que se conformer aux lois naturelles. Comment un juge pourrait-il oser lever un « bras sacrilège » sur de telles œuvres, alors que son office est d’en être le « fidèle serviteur » ? C’est, pour lui, d’autant plus impossible que ce culte de la loi va manifestement de pair avec une conception qui relègue la Constitution à un rôle aussi prestigieux que révolu. Rappelons, à cet égard, les mots très révélateurs de Portalis qui est — faut-il le dire ? — un des principaux thuriféraires de cette religion de la loi. Pour lui, « quand la constitution d’un peuple est établie, le pouvoir constituant disparaît. C’est la parole du Créateur qui commande une fois pour gouverner toujours ; c’est sa main toute-puissante qui se repose pour laisser agir les causes secondes, après avoir donné le mouvement et la vie à tout ce qui existe. Par la Constitution, le corps politique acquiert tout ce qui lui est nécessaire pour être viable ; il acquiert une volonté et une action. Mais alors il se suffit à lui-même pour se conserver et se conduire »486. Le catéchisme du juge, dans cette perspective, ne laisse pas de place pour le doute : « rends grâce au Constituant de t’avoir créé, mais obéis au législateur. Celui-ci se chargera lui-même de respecter les volontés du Créateur », pourrait-on dire. Il serait erroné de croire que ce cathéchisme est rapidement tombé en désuétude. Comme on l’a remarqué, Charles Faider le reproduit en 1850 et on sait combien l’éminent magistrat a fait longtemps autorité dans notre controverse.
161La crise du parlementarisme, contemporaine à l’avènement du suffrage universel487, engendre un long processus, toujours en cours, connu sous le nom de « déclin des lois ». Entre 1925 et 1930, les partisans du contrôle judiciaire sont nombreux qui cherchent à démontrer que la Constitution belge n’a jamais épousé la thèse « rousseauiste » de l’infaillibilité du pouvoir législatif488 Le professeur Vermeersch écrit en 1928 : « nous ne voyons plus dans la loi une divinité tutélaire, nous ne lui vouons plus un culte aveugle. Au dur contact des réalités, l’auréole qui nimbait le front du législateur, s’est évanouie. Si dans notre Brabançonne, nous unissons encore la loi et la liberté, dans la pratique, nous les voyons, hélas, trop souvent opposées l’une à l’autre »489. La même année, Léon Hallet, tout en refusant les contrôles judiciaires, concède que, sous « le règne de l’État-Providence », « l’individualisme fait momentanément place à l’Étatisme », et qu’à cet égard, le législateur « méconnaît l’esprit de nos libres institutions ». Hulin, qui s’oppose aussi au contrôle, admet la « gravité exceptionnelle » de certaines des critiques qui ont pu être formulées et qui tendent à « représenter le législateur actuel — on est toujours en 1928] — comme plus préoccupé d’entretenir et d’accentuer la lutte des classes, qu’à assurer le libre essor des facultés individuelles et la protection des droits de chacun »490. C’est donc au moment où le pouvoir se démocratise et où la loi devient « le lieu d’affrontement d’intérêts contradictoires »491, qu’un refuge indéniablement conservateur est recherché dans la Constitution, sommée de descendre, pour la bonne cause, de l’éther où Portalis préférait la voir séjourner. Cette « revalorisation » de la Constitution s’inscrit en outre, chez certains auteurs, dans une perspective jusnaturaliste. On « n’est pas loin de soutenir que toute loi contraire au droit naturel doit être pratiquement assimilée à une règle contraire à la Constitution »492. Cette tendance ne fait cependant pas l’unanimité des partisans du contrôle.
162Depuis 1960, la crise de la loi et les plaidoiries en faveur de la justice constitutionnelle ne sont plus que rarement associées de manière explicite. Il faut la franchise du professeur italien Cappelletti pour qu’on entende dire tout haut ce que plusieurs publicistes pensent tout bas. Pour lui, dans beaucoup d’États du monde occidental, les parlements se donnent un trop grand nombre d’objectifs ; ils votent des lois vite périmées, souvent inefficaces, parfois même contre-productives — quand elles ne déconsidèrent pas le droit ; ils sont tributaires de « priorités locales ou de groupes », démagogues, etc. Il rappelle que ce déclin s’accompagne évidemment d’une puissance accrue des exécutifs et de la bureaucratie493. Notons bien que ce genre d’observation n’est plus aujourd’hui l’apanage des esprits conservateurs. En réalité, en deçà de l’indéniable crise du parlementarisme, c’est — on l’a dit — l’ensemble du modèle « légaliste-libéral » qui craque. La justice constitutionnelle apparaît alors à la fois comme l’ultime parade de l’État de droit menacé, et l’une des manifestations de la nécessaire adaptation de la fonction juridictionnelle au nouveau modèle « normatif-technocratique ». A ceux qu’inquiète encore le « gouvernement des juges », il est aisé de montrer que l’autorité des lois a tout à gagner d’un contrôle juridictionnel de leur constitutionnalité : pour quelques censures marginales, combien de brevets ne seront pas décernés ? Et à ceux qui espèrent qu’un « rehaussement du rôle des juridictions » pourrait remédier aux déséquilibres actuels des pouvoirs dans l’État, on assure que la diffusion actuelle des contrôles juridictionnels se situe résolument dans ce sens, les juges allant enfin devenir le « troisième géant dans la chorégraphie de l’État moderne »494. Les juristes belges favorables au contrôle se limitent à la première version, tant la peur du « gouvernement des juges » règne encore dans ce pays. Mauro Cappelletti développe à fond la seconde, en se livrant à une véritable apologie du rôle essentiel que la justice serait appelée à jouer dans le monde d’aujourd’hui et de la légitimité qu’il faudrait lui reconnaître au regard des exigences de la démocratie. Si l’on compare, terme à terme, sa description des qualités du juge et celle des défauts du législateur, on en arrive à constater un surprenant transfert des vertus reconnues à la loi au moment où celle-ci bénéficiait encore du culte que nous avons évoqué, au profit du juge. En schématisant, on obtient le tableau suivant : 1. Le Parlement peut adopter une loi sans « cause » objective, pour des raisons démagogiques ; le juge statue sur une demande concrète. 2. Le Parlement peut légiférer sans se référer aux idéaux profonds et avérés de la société ; le juge doit motiver son raisonnement sur la base des lois et de principes qui font l’objet d’un consensus social. 3. Le Parlement est dépendant de groupes puissants qui font pression sur lui ; le juge est indépendant et peut prendre en considération des intérêts minoritaires ou marginalisés. 4. Le Parlement se décide ex abrupto·, la jurisprudence se forme par tâtonnements successifs. Nous ne sommes guère convaincu par cette approche, ainsi que nous allons le suggérer dans nos conclusions, mais il est probable qu’elle est celle qui représente le mieux les nouveaux présupposés des plus ardents défenseurs de la justice constitutionnelle.
163Ajoutons enfin que ceux-ci s’inscrivent également dans le courant actuel de célébration des droits de l’homme, dont les connotations parfois jusnaturalistes ne sont pas négligeables. Plus personne n’ose dire ouvertement qu’une loi contraire au droit naturel est assimilable à une violation de la Constitution, mais beaucoup voient dans celle-ci une « positivisation » de celui-là495. Si M. Ost a pu dire que le concept de droit subjectif fait office de « cheval de Troie » du jusnaturalisme dans le champ du positivisme496, on est tenté d’ajouter que le contrôle de la constitutionnalité des lois peut former un support de l’« insidieuse machine »497 ! Le risque existe en tout cas — même s’il ne doit pas être grossi — de voir des juges constitutionnels « fétichiser des contenus prétendument intemporels du droit », et « restreindre les libertés en créant une catégorie des ennemis de la Constitution ou de la constitutionnalité »498. D’autre part, il semble qu’au moment où les législateurs sont de moins en moins capables de s’appuyer sur une doctrine morale des droits individuels claire, ils soient de plus en plus enclins à faire trancher certains conflits politico-éthiques, comme le problème de l’avortement, par des juridictions constitutionnelles qui doivent se prononcer sous le couvert du droit499. Notons cependant que cette dernière tendance n’a rien de spécifique à notre matière. On peut dire que les juges actuels sont régulièrement amenés à procéder à de « délicats arbitrages »500 entre des intérêts contradictoires, parce que le législateur ne parvient pas toujours à choisir le type d’intérêt dont la protection doit être assurée prioritairement. A cet égard, les lois se sont rapprochées des normes constitutionnelles dont le caractère souvent indéterminé n’est plus l’apanage.
Conclusions
164La présente étude a essayé de montrer que la controverse portant sur l’admissibilité de contrôles juridictionnels de la constitutionnalité des lois et des décrets en Belgique est restée prisonnière d’un faux dilemme depuis 1830 jusqu’aujourd’hui. Une certaine méconnaissance des dimensions herméneutique, politique et historique du problème nous a semblé pouvoir expliquer ce phénomène. L’excessive dramatisation des enjeux qui en résultent a également été soulignée à plusieurs reprises.
165Même si notre objet n’a pas été de faire à notre tour œuvre proprement doctrinale, nous voudrions, en guise de conclusions, récapituler les leçons positives que nous croyons pouvoir tirer, pour notre part, de cette réflexion.
1661. Le contrôle de la constitutionnalité des lois est une fonction politique dont l’exercice peut être confié à un juge en tant que tel. Cette mission ne le condamne pas a priori à sortir des sentiers battus de la fonction juridictionnelle classique. Si la Belgique devait s’orienter résolument vers l’instauration d’un contrôle juridictionnel généralisé, il ne conviendrait pas d’en déduire d’office une importante mutation de la fonction de juger. Ce serait plutôt une simple extension de son champ, du moins au départ. En définitive, si l’« essence » de la fonction juridictionnelle — qui n’est en réalité qu’un modèle historique — est souvent invoquée dans la controverse, elle nous semble bien plus concernée, voire menacée, par certaines des évolutions que les autres contributions de cet ouvrage soulignent dans différents secteurs qui ont pourtant moins retenu l’attention des juristes.
1672. Un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois est-il obligatoire dans un État de droit ? A notre sens, celui qui en est dépourvu peut encore être qualifié d’État de droit501 : si la logique de ce dernier appelle un tel contrôle, elle ne l’impose pas. Il y va, en réalité, d’un choix politique. C’est au pouvoir constituant qu’il appartient de le faire, le pouvoir judiciaire étant l’interprète de ses volontés.
1683. C’est au même pouvoir constituant qu’il revient de choisir entre un contrôle centralisé et un contrôle diffus. Nous avons relevé, à cet égard, que le contentieux constitutionnel n’est pas d’une spécificité telle que la première formule s’imposerait. Pour le reste, il ne rentrait pas dans notre objet d’évoquer les différences techniques qui distinguent l’une de l’autre. Nous noterons seulement deux observations. D’une part, un contrôle centralisé va de pair avec une tendance à faire de la Constitution un domaine réservé à des spécialistes, vite transformés en « oracles ». Les partisans d’une Cour constitutionnelle insistent d’ailleurs beaucoup sur le nécessaire prestige et l’indispensable autorité de celle-ci. D’autre part, dans un État fédéral, « le respect de l’ordre constitutionnel par les ordres juridiques particuliers, ce qui inclut, il faut y insister, l’État fédéral ou l’État national, ne peut être laissé aux organes propres à l’un ou à l’autre de ces ordres »502. Une juridiction unique, siégeant en qualité d’organe de l’ordre constitutionnel503, paraît donc s’indiquer dans cette hypothèse pour trancher les conflits de compétence entre les ordres particuliers.
1694. En droit positif belge, nous avons vu combien les données susceptibles d’être tirées du texte constitutionnel et de son contexte d’énonciation sont équivoques. Aussi, le pouvoir judiciaire nous semble fondé à faire du contexte d’application l’élément décisif de son interprétation. Les modifications que ce contexte a connues, tant sur le plan juridique que sur le plan politique, autorisent de lege lata le revirement que la Cour de cassation a timidement esquissé dans les arrêts Le Compte (rappelons que la portée de ce revirement doit être relativisée au regard de la jurisprudence Waleffe). C’est un choix politique sous contrainte juridique, du type de ceux que la Cour a pu faire dans bien d’autres domaines, avec l’approbation de l’ensemble de la doctrine d’ailleurs. Dans ces cas, ne faut-il pas reconnaître que c’est en quelque sorte la lex lata qui autorise les organes chargés de son application à raisonner de lege ferenda ? Mais cette idée selon laquelle la Cour pouvait de lege lata opter librement pour ou contre le contrôle judiciaire, n’a guère été admise par tous ceux qui tiennent qu’il y a, en la matière, une seule vérité constitutionnelle. Les contraintes textuelles et contextuelles ont de ce fait été surévaluées.
170Quant à l’institution de la Cour d’arbitrage en 1980, elle modifie les données du problème, comme on l’a montré, mais, à notre sens, elle n’interdit pas de lege lata au pouvoir judiciaire de persévérer dans la ligne de sa jurisprudence Le Compte, dans les domaines où la Cour d’arbitrage n’est pas compétente.
1715. Sur le plan des enjeux enfin, nous avons suggéré que le pouvoir d’un juge constitutionnel est moins grand que d’aucuns l’ont espéré ou redouté. Il semble, en particulier, que le courant de plus en plus large qui s’exprime aujourd’hui en faveur de la justice constitutionnelle, en attende bien plus que ce qu’elle peut donner. Nous ne voyons en tout cas pas comment elle pourrait apporter un quelconque remède à une crise comme celle du parlementarisme. Elle n’en serait pas plus capable que la Cour d’arbitrage ne pourrait, par elle-même, préserver la Belgique d’une irrémédiable rupture que d’autres facteurs entraîneraient. M. De Visscher a raison de dire que « le contrôle juridictionnel du pouvoir politique n’est jamais la cause de la paix publique »504. On pourrait ajouter qu’il n’est jamais en mesure de guérir les maux profonds dont ce pouvoir est victime. Il est vain de magnifier les vertus des juges pour faire entendre le contraire. La crise du parlementarisme appelle des remèdes505 plus radicaux, plus efficaces et plus inspirés par les exigences de la démocratie. Il n’est du reste même pas sûr que les réformes institutionnelles les plus vastes et les plus intelligentes pourraient s’y attaquer en profondeur, tant ses racines plongent bien au-delà des limites de la société politique.
172Certes, dans l’état actuel de cette crise, un contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, sans être en aucune manière ce remède-miracle, ne semble pas inutile ; mais, en définitive, il y a plus de quoi s’en alarmer que de s’en réjouir. Que l’on se résolve à cette technique « en attendant », soit. D’un point de vue juridique, rien ne l’interdit ; rien n’y contraint. Cependant, quand nous entendons proclamer urbi et orbi que les législateurs doivent être impérativement munis de « tuteurs » destinés à leur rappeler les exigences de leur Constitution, parce qu’on a de bonnes raisons de douter de l’attention qu’ils y accordent, nous sommes enclin à penser qu’il est plus urgent de s’attaquer aux problèmes des législateurs que de légitimer leurs tuteurs. Mais voilà, la plupart des juristes sont manifestement lassés par cette vieille crise du parlementarisme dont on ne voit d’ailleurs pas la fin, tandis qu’ils sont fascinés par une formule partiellement neuve, qui a le mérite de susciter de « beaux problèmes ».
Notes de bas de page
1 J. FALYS, L’abrogation par désuétude et la caducité des lois, in J.T., 1981, p. 402.
2 En 1928 déjà, un auteur commence l’article qu’il consacre à ce problème par ces deux phrases : « Encore ! s’écriera sans doute le lecteur, non sans un mouvement d’impatience bien naturel. Et de fait, on hésite à traiter ce sujet après tant de si éminents jurisconsultes » : P. VERMEERSCH, Le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, in B.J., 1928, col. 321. Que devons-nous écrire en 1983 ?
3 Nous empruntons ces deux concepts à M. van de KERCHOVE, La doctrine du sens clair des textes et la jurisprudence de la Cour de cassation de Belgique, in L’interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire, Bruxelles, 1978, p. 19 et suiv.
4 F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, in J.T., 1975, p. 489. C’est nous qui soulignons. En ce sens aussi, cf. notamment P. DE VISSCHER, La sauvegarde de la suprématie de la Constitution, in A.P.T., 1976-1977, t. 3, p. 94.
5 « Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois. »
6 En ce sens, cf. notamment J. FALYS, F. LEURQUIN et H. SIMONART, Le contrôle juridictionnel des lois. Etat de la question. La doctrine (1831-1940), in Actualité du contrôle juridictionnel des lois, Bruxelles, 1973, p. 324-325, note 4 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux et le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois. A propos de l’arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 1974, in J.T., 1974, p. 599 et note 137 ; Proposition de loi sur la constitutionnalité des lois et des décrets. Rapport fait au nom de la Commission de la justice par M. de Stexhe, in Doc. parl. Sénat, s.o., 1974-1975, no 602/2, p. 24 et suiv. ; P. de STEXHE, Au nom de la loi, correspondance avec F. Delpérée, in J.T., 1975, p. 625 ; J. VELU, Notes de droit public, t. I, Bruxelles, 1979-1980, p. 137.
7 Une importante réserve doit être faite à propos de cette alternative et des références qui figurent dans les notes 4 et 6 : la question est ici évoquée abstraction faite du nouvel article 107ter de la Constitution qui institue une Cour d’arbitrage. L’incidence de cette disposition, introduite le 29 juillet 1980, est discutée infra.
8 Cf. notamment E. VERHAEGEN, Etudes sur les lois inconstitutionnelles, extrait de la Flandre judiciaire, Gand, 1905, reproduisant les articles publiés par l’auteur en 1850, 1851 et 1859 ; L. SOENENS, Le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, in B J., 1927, col. 625 et suiv.
9 Cf. notamment Ch. FAIDER, Note résumée sur l’application des loi inconstitutionnelles, in Bulletin de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 1re série, t. XVIII, 1re partie, 1851, p. 340 ; Réquisitions de M. le procureur général HAYOIT DE TERMICOURT, alors substitut du procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles, avant Bruxelles, 7 juillet 1928, in Pas., 1928, II, p. 207-208 ; J. DABIN, Réponse au discours de M. Barzin, in Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique, 5e série, t. LU, 1966, p. 348 ; P. DE VISSCHER, Réflexions sur le contrôle de la constitutionnalité des lois en Belgique, in Ann. Dr., 1969, p. 349.
10 H. DE COCK, Encore le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, in J.T., 1928, col. 49. Admettent également, après « trépanation » ou sans, que le constituant ne s’est pas prononcé : notamment P. ERRERA, Traité de droit public belge, Paris, 1918, p. 270, §175 ; R. WARLOMONT, Le pouvoir judiciaire devant la loi inconstitutionnelle, in Rev. droit belge, 1927, p. 58 ; J. BORGINON CANTONI, Le pouvoir judiciaire et la constitutionnalité des lois, in J.T., 1928, col. 18 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 327 ; M. BARZIN, Du contrôle de la constitutionnalité des lois, in Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique, 5e série, t. LU, 1966, p. 337 ; J. FALYS, F. LEURQUIN et H.SIMONART, op. cit., p. 324 325, note 4 ; A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 599, note 137.
11 Les années-pivots que nous retenons ici concernent le contexte juridique d’application, c’est-à dire l’ensemble des données juridiques qui ont été considérées par la doctrine majoritaire comme susceptibles non seulement de justifier, en opportunité, la réouverture d’un débat — on avait pu croire celui-ci clos entre 1930 et 1963 —, mais surtout d’en bouleverser les termes juridiques eux-mêmes. En réalité, le contexte politique d’application qui s’est modifié bien avant les années 1950, dès les lendemains de la première guerre mondiale, a eu une influence considérable sur l’intérêt manifesté pour le problème, ainsi qu’en témoigne l’abondance des prises de position intervenues entre 1925 et 1930. Cependant, même ses prolongements juridiques — consécration du suffrage universel pur et simple par la loi du 9 mai 1919 et promulgation le 16 juillet 1926 de la première loi dite « de pouvoirs spéciaux » (loi relative à certaines mesures à prendre en vue de l’amélioration de la situation financière) — n’ont guère été jugés pertinents — sauf quelques allusions marginales — pour figurer parmi ces éléments proprement juridiques de la discussion. C’est la raison pour laquelle nous n’abordons cet aspect que dans le second chapitre : voy. infra, p. 165 et suiv.
L’incidence du nouveau contexte juridique sur l’interprétation de la Constitution de lege lata a été particulièrement mise en relief par les fameuses conclusions de M. le procureur général GANSHOF van der MEERSCH avant Cass., 3 mai 1974, in J.T., 1974, p. 565 et suiv. (cf. infra, p. 101 et suiv.) et développée par les très nombreux annotateurs de cet arrêt. (Cf. la bibliographie figurant dans : FONDS D’ÉTUDES SUR LE DROIT DES COMMUNAUTÉS ET DES RÉGIONS, Dossier pour une Constitution nouvelle, Louvain la-Neuve, 1979, p. 75-79). Il en a été très bien rendu compte, sur le plan des méthodes d’interprétation, par P. DE VISSCHER, La sauvegarde de la suprématie de la Constitution, in A.Ρ.Τ., 1976-1977, t. 2, p. 94-95. Celui-ci admet, avec une objectivité trop rare dans ce débat pour ne pas être soulignée, que l’on peut concevoir à juste titre deux manières d’argumenter : l’une, « fondée sur une analyse de l’économie générale du régime constitutionnel belge, tel qu’il avait été façonné au début du xixe siècle et tel qu’il a subsisté, au moins dans ses grandes lignes, jusqu’à la moitié du xxe siècle », exclut le contrôle judiciaire ; l’autre, « partant de l’idée que le droit est règle de vie », estime « qu’il appartient à la jurisprudence d’assurer la cohérence globale du régime constitutionnel en l’adaptant à l’esprit du temps et en tenant compte, chaque fois que les textes ne s’y opposent pas de manière expresse, de l’évolution des faits politiques, économiques et sociaux » (p. 94).
12 La Belgique a ratifié la Convention le 13 mai 1955. Le rapport final du Centre Harmel (Centre de Recherche pour la solution nationale des problèmes sociaux, politiques et juridiques en régions wallonne et flamande) est publié le 24 avril 1958 dans les documents parlementaires (cf. Doc. parl., Chambre, s.o., 1957-1958, no 940. Adde R. SENELLE, La réforme de l’État belge, Bruxelles, t. I, 1978, p. 5 et suiv.).
13 P. DE VISSCHER, La sauvegarde de la suprématie de la Constitution, op. cit., p. 14.
14 F. DELPÉRÉE, La Constitution et son interprétation, in L’interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire, op. cit., p. 199.
15 Cette confusion des genres est déjà relevée en 1928 par P. VERMEERSCH, op. cit., col. 331, qui souligne que « les arguments juridiques cachent mal ou même laissent parfaitement apercevoir des motifs d’opportunité ». Adde K. RIMANQUE, Overwegingen naar aanleiding van het Cassatiearrest van 3 mei 1974 inzake Le Compte tegen de orde der Geneesheren, in T.B.P., 1974, p. 260 ; F. DELPÉRÉE, La conformité de la loi à la Constitution, in R.C.J.B., 1977, p. 452.
16 Cf. en particulier P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, Pour une juridiction constitutionnelle en Belgique, in Actualité du contrôle juridictionnel des lois, op. cit., p. 241 et suiv.
17 Le lecteur désireux d’étudier les thèses de chacun de ces auteurs trouvera les indispensables données bibliographiques dans : FONDS D’ÉTUDES SUR LE DROIT DES COMMUNAUTÉS ET DES RÉGIONS, op. cit., loc. cit. Adde surtout J. VELU et A. VANWELK.ENHUYZEN, Le contrôle de la conformité des normes avant force de loi aux règles redistribuant le pouvoir législatif in A.P.T., 1979-1980. t. 2. p. 120 et suiv
18 Cf. J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, ibidem, p. 130 et 145. Cette prééminence nous incite à ranger ceux qui souhaitent confier le contrôle à la Cour de cassation et au Conseil d’État dans le même courant : cf. F. DUMON, Projets de réforme et fonction juridictionnelle, in J.T., 1977, p. 568.
19 Sur ce concept de « contentieux constitutionnel », cf. L. MOUREAU. Remarques sur le contrôle de la constitutionnalité des lois, in A.P.T., 1976-1977, t. 1, p. 23.
20 Cf. C. de BROUCKERE et F. TIELEMANS, Répertoire de l’administration et du droit administratif de la Belgique, Bruxelles, t. V, 1838, p. 194-195.
21 M. PRELOT cité par A. MAST, L’interprétation de la Constitution, in Rapports belges au VIIIe Congrès international de droit comparé, Bruxelles, 1970, p. 544.
22 Il dispose : « A compter du jour où la Constitution sera exécutoire, toutes les lois, décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires, sont abrogés ».
23 Beaucoup ont prétendu, et prétendent toujours, que la logique juridique impose, par elle-même, le contrôle judiciaire. P. DE VISSCHER (Réflexions sur le contrôle de la constitutionnalité des lois en Belgique, op. cit., p. 348) a bien montré qu’il convient de distinguer le « plan de la logique appliquée à l’idée de droit » du « plan de la logique interne d’un droit construit ». Adde sur ce thème notamment J. DABIN, Réponse au discours de M. Barzin, op. cit., p. 347 ; A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 600 et suiv.
24 Cf. J. FALYS, F. LEURQUIN et H. SIMONART, op. cit., p. 323 et suiv. pour la doctrine de 1831 à 1940 ; P. ORIANNE, in ibidem, p. 339 et suiv. pour la doctrine de 1940 à 1971 ; K. RIMANQUE, op. cit., p. 258 et suiv. pour la doctrine de 1964 à 1974.
25 Cf. pour une analyse complète de cette jurisprudence P.-E. TROUSSE, Le contrôle juridictionnel des lois. État de la question. A. La jurisprudence, in Actualité du contrôle juridictionnel des bis, op. cit., p. 299 et suiv. Adde A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 597.
26 Cass., 23 juillet 1849, Pas., 1849, I, 443 : « il n’appartient pas au pouvoir judiciaire de rechercher si cette disposition est ou non en harmonie avec l’article 122 de la Constitution ». Il s’agissait de l’article 59 de la loi du 8 mai 1848 sur la garde civique, article qui attribue au Roi la nomination des rapporteurs des conseils de discipline de la garde civique.
27 Cass., 21 octobre 1966, Pas., 1967, I, 240 : « les cours et tribunaux sont sans pouvoir pour apprécier si ces dispositions légales sont ou ne sont pas conformes à l’article 11 de la Constitution ». Il s’agissait de la loi du 17 avril 1835 sur l’expropriation pour cause d’utilité publique.
28 C.E., 23 mars 1951, Petitbois, no 810, RA.A.C.E., 1951, p. 123 : « ce moyen tendant à faire déclarer que l’attribution de compétence contenue dans la loi du 17 mai 1933 serait inconstitutionnelle, ne peut être accueilli ». Le moyen se contentait de soutenir l’inconstitutionnalité d’une loi de pouvoirs spéciaux, « les dits pouvoirs spéciaux n’étant pas inscrits dans la Constitution belge ». L. MOUREAU (op. cit., p. 21, note 14) estime que la formule du Conseil d’État « réservait l’avenir et, le cas échéant, le sort à faire à d’autres moyens moins inconsistants... ». Mais la haute juridiction administrative est déjà plus nette dans son arrêt du 12 octobre 1953 (Huysmans, no 2801, in R.J.D.A., 1954, p. 7) : « ni le pouvoir judiciaire, ni le Consel d’État n’ont à examiner la constitutionnalité d’une loi ».
29 Bruxelles, 7 juillet 1928, Pas., 1928, II, 206 ; cf. infra.
30 Cf. notamment : en 1849, M. BRITZ, Revue méthodique des arrêts de la Cour de cassation de Belgique en matière de droit public et administratif depuis son installation jusqu’aujourd’hui, in Revue des Revues de droit, t. XII, 1849, p. 89 ; en 1850, Ch. FAIDER. Etude sur l’application des lois inconstitutionnelles, in Bulletins de l’Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 1re série, t. XVII, 2e partie, 1850, p. 435 et suiv. ; en 1852, Μ. N. J. LECLERCQ, Un chapitre du droit constitutionnel des Belges, in B.J., 1852, col. 1282 et suiv. ; en 1884, A. GIRON, Le droit public de la Belgique, Bruxelles, 1884, p. 151-152 : une norme constitutionnelle « reste toujours vague et plus ou moins obscure... » ; « les textes constitutionnels... ont besoin d’être fécondés par une interprétation d’ensemble... » ; cette interprétation « appartient au législateur » ; en 1918, P. ERRERA, op. cit., p. 270 : « il serait dangereux de donner un pareil pouvoir d’interprétation aux magistrats, dont l’esprit conservateur est nourri de strictes méthodes juridiques ; mieux vaut laisser aux représentants de la Nation le soin d’appliquer la Constitution dans l’esprit du moment, selon les nécessités sociales, ce qui maintient aux institutions la plasticité qui leur est indispensable » ; en 1927, A. CHOMÉ, Le pouvoir judiciaire et la constitutionnalité des lois, in J.T., 1927, col. 738 : la thèse du contrôle est défendable « en droit pur » ; en 1928, HAYOIT de TERMICOURT, op. cit., p. 207-208 ; en 1952, P. WIGNY, Droit constitutionnel. Principes et droit positif, Bruxelles, 1952, p. 196 : le contrôle « a été sagement écarté pour des raisons politiques » ; en 1974, K. RIMANQUE, op. cit., p. 262.
31 Cf. notamment, en 1966, P. DE VISSCHER, Réponse au discours de M. Barzin, op. cit., p. 345. « l’interprétation d’une constitution politique est une forme de pouvoir politique et... l’exercice d’un tel pouvoir se concilie mal avec l’indépendance que nous entendons conserver au pouvoir judiciaire » ; en 1969, le même auteur écrit dans ses Réflexions sur le contrôle de la constitutionnalité des lois en Belgique, op. cit., p. 361 : « Parce qu’il est vrai que le contrôle de la constitutionnalité des lois est une forme de participation au pouvoir politique, il est essentiel que cette fonction soit réservée à une Cour suprême ». Il doit alors montrer que, si le contrôle est une opération trop politique pour être confiée aux juges ordinaires, elle n’en est pas moins assez juridique pour être exercée par une juridiction spéciale. Il s’explique ainsi ; « Sans doute, la Constitution... est une œuvre politique mais elle ne l’est que dans son processus d’élaboration. Le seul intérêt d’une Constitution, en tant que catégorie autonome, est précisément de placer momentanément à l’abri de toute contestation politique l’ensemble des règles de vie sociale que les différentes fractions politiques ont convenu de respecter. Une fois adoptée, et aussi longtemps qu’une procédure nouvelle de révision n’est pas entamée,... la Constitution doit échapper à l’emprise du pouvoir politique établi, à peine de ne plus exister » ; en 1971, P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, Pour une juridiction constitutionnelle en Belgique, op. cit., p. 278, citent MM. Eisenmann et Hamon : « on répugne à confier aux juridictions normales — que ce soit la judiciaire ou l’administrative — la connaissance et la décision d’importantes questions qui touchent de très près à la politique, notamment celles qui concernent l’équilibre constitutionnel des pouvoirs étatiques supérieurs ; il ne reste donc, si l’on veut avoir la chance d’obtenir que ces questions soient traitées sur la base du droit et que leur solution bénéficie d’une autorité morale très forte, qu’à remettre ces questions à une instance spéciale et entourée d’autant de prestige que possible ».
32 L. HALLET, Le pouvoir judiciaire est-il appelé à rechercher si une loi est ou non conforme à la Constitution ?, in B J., 1928. col. 353. Il cite l’exemple de l’article 7 de la Constitution.
33 Ibidem, col. 369.
34 Cf. A.MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit„ p. 521-553 ; De grondwettelijke norm, in T.B.P., 1970, p. 426-439 ; De rechterlijke toetsing van de wetten opnieuw in branding, in Miscellanea Ganshof van der Meersch, t. 3, Bruxelles, 1972, p. 191-215 ; Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, in R.C.J.B., 1975, p. 216-228 ; Overzicht van het Belgisch Grondwettelijk Recht, 6e éd., Gent-Leuven, 1981, p. 98 et suiv. Adde intervention au cours des 6es journées d’études juridiques Jean Dabin. in Actualité du contrôle juridictionnel des lois, op. cit„ p. 532 et suiv.
35 A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 541.
36 Ibidem, p. 540.
37 Ibidem, p. 541.
38 Ibidem, p. 553.
39 A. MAST, De rechterlijke toetsing van de wetten opnieuw in branding, op. cit., p. 217.
40 A. MAST, Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, op. cit., p. 223.
41 Ibidem, p. 224.
42 Ibidem, p. 225.
43 Ibidem, p. 224.
44 Cf. notamment Ch. HUBERLANT, intervention au cours des 6es journées d’études juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 551-552 ; L.-P. SUETENS, De toetsing van de wet aan de Grondwet, in R.W., 1973-1974, col. 101 1 1016 ; P. de STEXHE, Rapport..., loc. cit., p. 12 et suiv. ; comp. L. MOUREAU, op. cit., p. 16-26 et R. VEKEMAN, En nogmals de toetsing van de Wet aan de Grondwet, in T.B.P., 1980, p. 322-328 : ces deux derniers auteurs suggèrent une sorte de compromis entre partisans et adversaires du contrôle judiciaire, fondé sur une distinction qui serait à faire entre les normes constitutionnelles au point de vue de leur nature. Celle-ci serait soit essentiellement politique ou politico-juridique, soit essentiellement juridique. M. Moureau estime que le pouvoir judiciaire n’est pas compétent pour trancher un conflit entre le constituant et le législateur ordinaire vu la nature généralement juridico-politique de ce conflit, sauf quand son objet coïncide « avec une contestation portant sur un droit subjectif que les tribunaux ordinaires ont mission de protéger », et que la Constitution elle-même a voulu opposable au législateur — cas assez rares visés par le titre II de la Constitution (cf. P. DE VISSCHER, La sauvegarde de la suprématie de la Constitution, op. cit., p. 93 et suiv. pour certaines des objections que cette suggestion appelle). M. Vekeman estime que le contrôle est un acte politique dés lors que la norme constitutionnelle en cause est obscure ; par contre, il constitue un acte juridictionnel si celle-ci est claire en elle-même, ou si sa signification est établie par « une interprétation généralement acceptée » (p. 328). L’auteur déduit de ces prémisses que le contrôle est admissible en ce qui concerne les droits fondamentaux et les libertés, parce que ceux-ci sont consacrés par des règles de contenu visant à maintenir les autorités à l’intérieur des limites qu’impose le respect pour la personne humaine, tandis que les autres règles concernent l’exercice de l’autorité, et sont donc de nature politique.
45 J. DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif, Paris, 1929, p. 741.
46 Ibidem, p. 741-742.
47 Ibidem, p. 742-743. C’est nous qui soulignons. Cf. dans le même sens notamment : en 1927-1928, L. HALLET, op. cit., col. 369-370 ; L. WODON, A propos de la loi dite « des pleins pouvoirs », cité par E. HULIN, Considération sur le contrôle de la constitutionnalité des lois, in Revue de droit belge, 1928, p. 250 ; en 1971, A. MAST, intervention..., loc. cit., p. 532 ; en 1975, A. MAST, Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, op. cit., p. 225 ; en 1976, L. MOUREAU, Remarques sur le contrôle de la constitutionnalité des lois, op. cit., p. 18-19.
48 L. WODON, ibidem. Rappelons aussi que le fameux arrêt « La Flandria », approuvé par Wodon, date du 5 novembre 1920 (Pas., 1920, I, 193) et repose sur la dissipation d’un « malentendu » relatif à ce principe de la séparation des pouvoirs.
49 Cf. notamment J. DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif, op. cit., p. 734 ; P. WIGNY. Cours de droit constitutionnel, Bruxelles, 1973, p. 66 qui déclare l’argument « spécieux ».
50 P. DE VISSCHER, Réflexions sur le contrôle..., op. cit., p. 350.
51 A. MAST. intervention.... loc. cit., p. 535.
52 M. BRITZ, op. cit., p. 39.
53 A. MAST, Overzicht van het Belgisch Grondwettelijk Recht, op. cit., p. 432 et suiv.
54 M. BRITZ, op. cit., p. 39.
55 A. MAST. Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, op. cit., p. 228.
56 Parlent de la « domination » exercée par le pouvoir législatif sur les deux autres : Ch. FAIDER, Etude sur l’application des lois inconstitutionnelles, op. cit., p. 482 ; A. GIRON, Le droit public de la Belgique, op. cit., p. 153 et E. HULIN, op. cit., p. 203. Faider cite Liedts pour qui on ne peut « admettre que ceux qui n’existent que par la loi pussent se constituer juges de la loi » : le seul juge, c’est « l’opinion publique, cette souveraine du monde » (p. 445). Il rappelle (p. 445 et suiv.) les principes de 1790 et, en particulier, l’article 10 du titre II de la loi organique du 24 août 1790 : « les tribunaux ne peuvent, à peine de forfaiture, prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif... ».
L. HALLET, op. cit., col. 359-360, parle de « prépotence » ; C. CAMBIER, Principes du contentieux administratif, Bruxelles, t. I, 1961, p. 94, de « primauté » ; P. DE VISSCHER. Réponse au discours de M. Barzin, op. cit., p. 345, de « prééminence » (cf. aussi La sauvegarde de la suprématie de la Constitution, op. cit., p. 94) ; P. de STEXHE, Rapport fait au nom de la Commission de la justice du Sénat, op. cit., no 602/2, p. 13, d’« autorité suprême ».
57 P. DE VISSCHER, Réponse..., op. cit., p. 344. Comp. Bruxelles, 7 juillet 1928 et les réquisitions de M. le procureur général HAYOIT de TERMICOURT, loc. cit., p. 206 et suiv.
58 A. CHOMÉ, Le pouvoir judiciaire et la constitutionnalité des lois, in J.T.. 1927, col. 739.
59 Cf. ainsi L. HALLET, op. cit., col. 360-361 : « la nation, dont parle l’article 25, c’est la nation organisée par l’article 32 et représentée par les mandataires élus pour exprimer et faire prévaloir sa volonté souveraine » (col. 361). Adde dans le même sens, P. de STEXHE, Rapport..., loc. cit., p. 22. Ainsi exprimée, la thèse est hardie, car elle néglige l’article 131.
60 Le mot « anarchie » se retrouve ainsi sous la plume de : en 1849, M. BRITZ, op. cit., p. 89 ; en 1850, Ch. FAIDER, Etudes sur l’application des lois inconstitutionnelles, op. cit., p. 466 ; en 1852, M. N. J. LECLERCQ, op. cit., col. 1283 ; en 1895, A. GIRON, Dictionnaire de droit administratif et de droit public, Bruxelles, t. 2, 1895, V ° Lois, p. 424 ; en 1928, L. HALLET, op. cit., col. 370 ; E. HULIN, op. cit., p. 267.
61 Ch. FAIDER, Note résumée..., op. cit., p. 349-350.
62 On observe que P. de STEXHE, dans son rapport (loc. cit., p. 19) parle, en 1975, d’une menace pour « l’ordre dans l’Etat et la sécurité juridique ».
63 A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 226.
64 Cf. notamment : en 1850-1851, Ch. FAIDER, Etudes..., op. cit., p. 460-464 ; Note résumée..., op. cit., p. 346-347 ; en 1852, Μ. N. J. LECLERCQ, op. cit., col. 1283 ; en 1879, J. J. THONISSEN, La Constitution belge annotée, 3e éd., Bruxelles, 1879, sub. 107 ; en 1884, A. GIRON, Le droit public..., op. cit., p. 154 ; en 1904, A. FAIDER, La sanction des Constitutions, Liège, 1904. p. 10-11 ; en 1927, A. CHOMÉ, op. cit., col. 741 ; en 1928. L. HALLET, op. cit., col. 369-370 ; E. HULIN, op. cit., p. 204 ; Bruxelles, 7 juillet 1928, et les réquisitions du ministère public, loc. cit., p. 206 et suiv. ; en 1966, P. et Ch. DE VISSCHER et J. DABIN, Réponses à M. Barzin, op. cit., p. 344-347 ; en 1975, F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, in J.T., 1975, p. 489.
65 Pour la discussion que suscite l’interprétation de cette volonté du constituant originaire, cf. supra les références sub notes 8, 9 et 10.
66 L’article 28 de la Constitution était, jusqu’au 17 juillet 1980, formulé ainsi : « l’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’au pouvoir législatif ». Sa rédaction actuelle est le fruit de son adaptation à la réforme de l’État que nous évoquerons plus loin : « l’interprétation des lois par voie d’autorité n’appartient qu’à la loi. L’interprétation des décrets par voie d’autorité n’appartient qu’au décret ».
67 A. GIRON, Le droit public..., op. cit., p. 153 et Dictionnaire..., op. cit., p. 424. Cf. dans le même sens notamment : en 1850, Ch. FAIDER, Etudes..., op. cit., p. 465 et suiv. ; en 1904, A. FAIDER, op. cit., p. 13 ; en 1928, L. HALLET, op. cit., col. 358 et 365 et suiv. ; E. HULIN, op. cit., p. 204 ; en 1952, P. WIGNY, Droit constitutionnel. Principes et droit positif, Bruxelles, 1952, n °82 ; cependant voy. no 104 ; en 1966. P. DE VISSCHER, Réponse à M. Barzin, op. cit., p. 344 ; en 1975, P. de STEXHE, Rapport..., loc. cit., p. 24-24-25 ; comp. A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 534 et suiv.
68 F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 492.
69 P. DE VISSCHER, Réponse à M. Barzin, op. cit., p. 344. Comp. F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 493 : « La conjonction des articles 107 et 28 de la Constitution — tous deux analysés a contrario,... aboutit à une conclusion qui paraît bien dans la logique du texte constitutionnel : le constituant a prohibé tout contrôle, de qui que ce soit et sous quelque forme que ce soit, de la constitutionnalité des lois... Le législateur est, lui aussi, touché par cette exclusion » ; P. DE VISSCHER, La sauvegarde de la suprématie..., op. cit., p. 94.
70 F. DELPÉRÉE, ibidem.
71 Cf. supra, note 22.
72 Cf. notamment : en 1850, Ch. FAIDER, Note résumée..., op. cit., p. 347-348 ; en 1884, A. GIRON, Le droit public..., op. cit., p. 154 ; en 1918, P. ERRERA, op. cit., p. 270 ; en 1928, E. HULIN, op. cit., p. 204 ; en 1966, P. DE VISSCHER, Réponse à M. Barzin, op. cit., p. 344 ; en 1977, P. DE VISSCHER, La sauvegarde..., op. cit., p. 94.
73 Il dispose : « Seront punis... les membres... des cours et tribunaux... qui se seront immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif... soit en arrêtant ou en suspendant l’exécution d’une ou plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si ces lois seront exécutées... ».
74 Cf. notamment : en 1867, Baron d’ANETHAN, rapporteur au Sénat du projet qui a donné naissance à l’article 237 en question cité par P. de STEXHE, Rapport..., op. cit., p. 13 ; en 1884, A. GIRON, Le droit public..., op. cit., p. 153-154 ; en 1911, O. ORBAN, Le droit constitutionnel de la Belgique, t. III, Liège-Paris, 1911, p. 76-77 (cet auteur regrette l’existence de l’article, mais croit utile d’en suggérer l’abrogation) ; en 1928, E. HULIN, op. cit., p. 205-207 ; en 1975, P. de STEXHE, Rapport..., op. cit., p. 13.
75 Cf. notamment : en 1850, Ch. FAIDER, Etudes..., op. cit., p. 449 et suiv. ; en 1884, A. GIRON, Le droit public..., op. cit., p. 152 ; en 1904, A. FAIDER, op. cit., p. 12 ; en 1927, A. CHOME, op. cit., col. 739 ; en 1928, E. HULIN, op. cit., p. 209-210 et p. 262 ; en 1952, conclusions des membres du corps professoral des Facultés de droit des Universités belges réunis à l’occasion de la XIIe journée interuniversitaire d’études juridiques (21 juin 1952), in A.D.S.P., 1953, p. 43-44 ; en 1971, A. MAST, intervention..., loc. cit., p. 535 ; en 1973, L. P. SUETENS, De toetsing van de wet aan de Grondwet, noot 2 onder rechtb. Brussel, 5 juin 1973, in R.W., 1973-1974, col. 1013 ; en 1974, K. RIMANQUE, op. cit. p. 262 ; P. de STEXHE, Rapport..., loc. cit., p. 23. Adde pour une démonstration de la relative inefficacité de ces garanties, P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, Pour une juridiction constitutionnelle..., op. cit., p. 247 et suiv.
76 Cité par A. FAIDER, op. cit., p. 12.
77 Cf. p. ex. A. MAST, intervention..., loc. cit., p. 535.
78 Ch. FAIDER, Etudes..., op. cit., p. 452.
79 A. FAIDER, op. cit., p. 25.
80 Ch. FAIDER, Etudes..., op. cit., p. 474.
81 Ibidem.
82 Ibidem. Notons que l’auteur réserve le cas d’une violation due à « une inconcevable inadvertance » : « le premier avertissement suffira pour l’abolir » (p. 473).
83 Cf. Ch. FAIDER, Note résumée..., op. cit., p. 351.
84 Ch. HUBERLANT et Ph. MAYSTADT, Exemples de lois taxées dinconstitutionnalité, in Actualité du contrôle juridictionnel des lois, op. cit., p. 491 et p. 552-553. Adde notamment en ce sens L. HALLET, op. cit., col. 362-365 ; A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 223 ; P. de STEXHE, Rapport..., loc. cit., p. 20 et suiv.
85 Ch. HUBERLANT, intervention au cours des 6es journées d’études juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 553. Adde notamment les références figurant sous la note précédente.
86 A. MAST, intervention..., loc. cit., p. 535-536. Cf. dans le même sens notamment : en 1927, L. WODON, op. cit., cité par E. HULIN, op. cit., p. 250 : « Lorsque la légalité prend des vacances, il n’est plus de limites à ses débordements. On ne légifère pas en prévision de pareilles hypothèses » ; en 1928, L. HALLET, op. cit., col. 365 : cet auteur reprend l’argumentation vue supra de Ch. Faider pour répondre à l’hypothèse imaginée par H. DE COCK (op. cit., col. 51) d’une majorité communiste violant la Constitution ; E. HULIN, op. cit., p. 529 cite Ch. FAIDER ; en 1966, P. DE VISSCHER, Réponse à M. Barzin, op. cit., p. 346 : « Si (l’)acte de foi (de nos constituants) dans la vigilance du corps électoral devait se révéler mal fondé, croit-on vraiment que le pouvoir judiciaire pourrait y apporter remède ? » ; en 1972, A. MAST, De rechterlijke toetsing..., op. cit., p. 215 ; en 1975, A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 223 : l’auteur observe que les lois qui ont été taxées d’inconstitutionnalité n’ont jamais été « le fruit d’une volonté tendant à mettre la légalité constitutionnelle en vacance ou à brimer les libertés politiques ».
87 Cité par Ch. FAIDER, Etudes..., op. cit., p. 438.
88 HELLO, Du régime constitutionnel, cité par ibidem, p. 449. Dans le même sens, cf. notamment J. J. THONISSEN, op. cit., sub art. 107 ; F. LAURENT, Principes de droit civil, Bruxelles-Paris, t. I, 1887, p. 66-68 ; E. HULIN, op. cit., p. 207.
89 Cité par Ch. FAIDER, Etudes..., op. cit., p. 478, note 1.
90 Ibidem, p. 477-478.
91 Ch. FAIDER, Note résumée..., op. cit., p. 349.
92 Ibidem, p. 350 (citant un « habile publiciste »). Adde en ce sens Μ. N. J. LECLERCQ, op. cit., col. 1284 ; A. FAIDER, op. cit., p. 13 et 30.
93 L’idée d’ordre social n’en a évidemment pas disparu pour autant : cf. notamment en 1975, P. de STEXHE, Rapport..., loc. cit., p. 15 : « la loi, c’est la loi », et p. 19-20.
94 J. FALYS, op. cit., p. 403.
95 A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 227.
96 A. VANWELKENHUYZEN, La présomption de constitutionnalité de la loi et du décret en droit belge, in Les présomptions et les fictions en droit, Bruxelles, 1975, p. 259-277, qui attribue à Léon Cornil la première application du concept de présomption à l’idée de la nécessaire conformité des lois à la Constitution (cf. concl. avant Cass., 20 avril 1950, Pas., 1950, I, 562). Il nous semble, comme vu supra, que la tradition est bien plus ancienne.
97 Ibidem, p. 27. Adde F. OST, L’interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur, in L’interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire, op. cit., p. 166-170 ; J. LENOBLE et F. OST, Essai sur la dérive mytho logique de la rationalité juridique, dissertation présentée en vue de l’obtention du grade de docteur en droit, Louvain, 1980, p. 211-217. Ces auteurs, particulièrement M. Vanwelkenhuyzen (voy. p. 268), présupposent que « la question de savoir si une loi est ou non conforme à la Constitution est une question de droit ». La présomption analysée leur apparaît alors forcément comme un postulat qui contredit le leur.
98 Elle est implicite chez les premiers défenseurs du contrôle judiciaire : C. de BROUCKERE et F. TIELEMANS, op. cit., p. 194-195.
99 Cf. notamment : en 1850, E. VERHAEGEN, op. cit., p. 15 et suiv. ; en 1928, P. VERMEERSCH. op. cit., col. 326 et suiv.
100 G. VANDEN BOSSCHE, La loi des « pleins pouvoirs » et l’avenir du régime parlementaire, in B.J., 1926, col. 589-590. Adde dans le même sens notamment : L. SOENENS, op. cit., col. 614 ; J. BORGINON CANTONI, Le pouvoir judiciaire et la constitutionnalité des lois, in J.T., 1928, col. 17 et suiv. ; H. DE COCK, op. cit., col. 49 et suiv. ; R. WARLOMONT, Le pouvoir judiciaire devant la loi inconstitutionnelle, in Rev. de droit belge, 1927, p. 45 et suiv.
101 Conclusions de M. le Procureur général W. J. GANSHOF van der MEERSCH, avant Cass., 3 mai 1974, in J.T., 1974. p. 566. Comp. F. DUMON, Les confits de compétence, in La réforme de l’État 150 ans après l’indépendance nationale, Bruxelles, 1980, p. 287 et p. 322 et suiv. : ceux qui préconisent la création d’une Cour constitutionnelle, précise M. le Procureur général Dumon, « se fondent consciemment ou inconsciemment, sur une notion inexacte de la fonction juridictionnelle » (p. 322) et sur une « conception erronée... de la notion même du « politique » » (p. 324).
102 Cf. notamment : en 1850, E. VERHAEGEN, op. cit., p. 9 ; en 1927, L. SOENENS op. cit., col. 623 et suiv. ; en 1928, J. BORGINON CANTONI, op. cit., col. 18 ; P. VERMEERSH, op. cit., col. 323-324 ; R. WARLOMONT, op. cit., p. 55-56 ; en 1974, J. DE MEYER, noot sub Cass., 3 mai 1974, in R.W., 1974-1975, col. 105-106 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux et le contrôle de la constitutionnalité des lois..., op. cit., p. 604-605.
103 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 30.
104 Cf. M. BARZIN, op. cit., p. 338.
105 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 605.
106 Ibidem, p. 606.
107 Ibidem, p. 601.
108 A. VANWELKENHUYZEN, De quelques lacunes du droit constitutionnel belge, in Le problème des lacunes en droit, études publiées par Ch. PERELMAN, Bruxelles, 1968, p. 359.
109 A. VANWELKENHUYZEN, intervention au cours des 6es journées d’études juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 542.
110 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 605.
111 A. VANWELKENHUYZEN, intervention..., loc. cit., p. 542.
112 Ibidem, p. 543.
113 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 600-601.
114 F. DUMON, Quo vadimus ?, in J.T., 1980, p. 506.
115 P. VERMEERSCH, op. cit., col. 327.
116 J. VELU, op. cit., p. 159.
117 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 598.
118 Ibidem, p. 605.
119 C. de BROUCKERE et F. TIELEMANS, op. cit., p. 185.
120 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 5 (l’auteur se réfère principalement aux articles 130, 131, 25 et 78 de la Constitution).
121 Cf. notamment ibidem, p. 8 ; L. SOENENS, op. cit., col. 616 et 625 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 327 328 ; R. WARLOMONT, op. cit., p. 53 et 66.
122 J. BORGINON CANTONI, op. cit., col. 19.
123 H. DE COCK, op. cit., col. 52.
124 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 8.
125 Ibidem, p. 64.
126 R. WARLOMONT, op. cit., p. 53.
127 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 11.
128 L. SOENENS, op. cit., col. 621-622. L’auteur en déduit que l’article 237 du Code pénal, directement issu de l’article 127 du Code pénal français de 1810 qui est l’œuvre d’un régime issu de la Constitution de l’an VIII, ne peut être interprété à la lumière de celle-ci (cf. col. 629). Adde en ce sens notamment P. VERMEERSCH, op. cit., col. 328 ; J. BORGINON CANTONI. op. cit., col. 19.
129 Cf. notamment L. SOENENS, op. cit., col. 616 et P. VERMEERSCH, op. cit., col. 322, 327 : on ne peut pas confondre « la souveraineté de la nation avec l’omnipotence parlementaire » (col. 327).
130 P. VERMEERSCH, op. cit., col. 328.
131 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 599. Adde F. DUMON, De toetsing van de grondwettigheid der wetten in vergelijkend recht gezien, in T.B.P., 1968, p. 204 et 209 ; J. VELU, op. cit., p. 158 : « la plénitude d’attributions du pouvoir législatif ne signifie pas que le législateur peut tout faire ; elle n’affecte pas l’exercice de la fonction juridictionnelle que la Constitution réserve en principe au pouvoir judiciaire ».
132 G. VANDEN BOSSCHE, La loi des « pleins pouvoirs »..., op. cit., col. 589-590.
133 M. HAURIOU, Principes de droit public, p. 33 cité par L. SOENENS, op. cit., col. 614. Notons que G. VANDEN BOSSCHE, La loi des « pleins pouvoirs »..., op. cit., col. 589 cite également G. RENARD, Le droit, la logique et le bon sens, p. 370 : « cet équilibre du droit et de la politique, la première et la plus nécessaire des séparations de pouvoirs. » Comp. en 1928, J. BORGINON CANTONI, op. cit., passim ; H. DE COCK, op. cit., passinr, P. VERMEERSCH, op. cit., passim ; R. WARLOMONT, op. cit., p. 55 ; en 1966, M. BARZIN, op. cit., p. 338 et suiv. ; en 1968, F. DUMON, De toetsing van de grondwettigheid..., op. cit., p. 202 ; en 1974, W. J. GANSHOF van der MEERSCH, Conclusions..., loc. cit., p. 567-568 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 598 ; en 1979, J. VELU, op. cit., p. 157.
134 Cf. notamment G. VANDEN BOSSCHE, La loi des « pleins pouvoirs »..., op. cit., col. 550 ; H. ROUSSEAU, intervention au cours des 6es journées juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 546 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 601.
135 G. VANDEN BOSSCHE, La loi des « pleins pouvoirs »..., op. cit., col. 550.
136 Cf. p. ex. E. VERHAEGEN, op. cit., p. 28 et A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 604.
137 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 28.
138 Ibidem.
139 Ibidem, p. 29.
140 Ibidem, p. 18.
141 M. BARZIN, op. cit., p. 341.
142 Cf. surtout A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 600-601 : l’auteur invoque « le principe de la non-contradiction », « un impératif d’élémentaire logique » (p. 600).
143 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 22.
144 L. SOENENS, op. cit., col. 626-627. Cf. dans le même sens notamment P. VERMEERSCH, op. cit., col. 326 ; R. WARLOMONT, op. cit., p. 58 ; F. DUMON, De toetsing van de grondwettigheid..., op. cit., p. 131 ; J. VELU, op. cit., p. 151.
145 Cf. en ce sens notamment E. VERHAEGEN, op. cit., p. 48 ; L. SOENENS, op. cit., col. 615 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 329-330 ; M. BARZIN, op. cit., p. 349 ; J. VELU, op. cit., p. 151.
146 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 598.
147 Cf. notamment L. SOENENS, op. cit., col. 626-628 et P. VERMEERSCH, op. cit., col. 330.
148 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 31.
149 Cf notamment L. SOENENS, op. cit., col. 613 et H. DE COCK, op. cit., col. 51.
150 R. WARLOMONT, op. cit., p. 59.
151 J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 100, notes 45-47.
152 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 31-32, adde p. 58.
153 J. VELU, op. cit., p. 158. Adde en ce sens, en 1928, P. VERMEERSCH, op. cit., col. 338 ; en 1968, F. DUMON, De toetsing van de grondwettigheid..., op. cit., p. 209 ; en., 1974, A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 603 ; en 1977, F. DUMON, Projets de réformes et fonction juridictionnelle, in J.T., 1977, p. 565.
154 Cf. A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 537.
155 E. VERHAEGEN, op. cit., p. 40.
156 Cf. p. ex. R. WARLOMONT, op. cit., p. 60 et H. DE COCK, op. cit., col. 51 : cet auteur imagine « l’hypothèse extrême d’une majorité communiste sapant les droits les plus essentiels par des violations délibérées de la Constitution ».
157 M. BARZIN, op. cit., p. 340.
158 Cf. Supra, p. 87 et note 74 in fine. Adde A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux, op. cit., p. 603.
159 M. BARZIN, op. cit., p. 350. Cf. aussi notamment, en 1927, L. SOENENS, op. cit., col. 615 ; en 1928, H. DE COCK, op. cit., col. 51 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 337 ; en 1962, H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, Bruxelles, t. I, 1962, p. 290.
160 L. SOENENS, op. cit., col. 626 et note 19.
161 Cf. supra, p. 90.
162 Conclusions de M. le Procureur général F.DUMON, alors avocat général, devant Cass., 8 juin 1967, in J.T., 1967, p. 462 ; F. DUMON, De toetsing van de grondwettigheid.... op. cit., p. 133. Adde en ce sens J. VELU, op. cit., p. 153. Comp. A. VANWELKEN-HUYZEN, La présomption de constitutionnalité..., op. cit., p. 269 et suiv. (à propos de la position de cet auteur ; cf. supra, p. 90-91.).
163 A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 10e éd.. Paris, 1968, p. 1103-1104.
164 LITTRÉ cité par ibidem.
165 P. DE VISSCHER, Réflexions sur le contrôle..., op. cit., p. 353.
166 Ibidem, p. 354.
167 Cass., 27 mai 1971, Pas., 1971, I, 886 et les conclusions de M. le Procureur général GANSHOF van der MEERSCH.
168 Cf. par exemple P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 252 et suiv.
169 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 602.
170 Cf. notamment R. SENELLE, De onschendbaarheid van de wet, in R.W., 1971-1972, col. 641-644. Adde correspondance avec H. ROLIN, col. 876, 1127-1 128, 1516-1517.
171 Cf. la doctrine citée par W. J. GANSHOF van der MEERSCH, Conclusions avant Cass., 3 mai 1974, loc. cit., p. 566, note 23. Adde J. SALMON, Les problèmes d’adaptation de l’ordre juridique interne à l’ordre juridique international, in La réforme de l’Etat, 150 ans après l’indépendance nationale, Bruxelles, 1980.
172 C.J.C.E., arrêt du 14 mai 1974, aff. 4/73, Nold c. Commission, Recueil, 1974, p. 508, § 13.
173 Selon l’expression de M. CAPPELLETTI, Nécessité et légitimité de la justice constitutionnelle, in Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, sous la direction de L. FAVOREU, Paris, Aix-en-Provence, 1982, p. 491.
174 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 602.
175 Conclusions citées, p. 566.
176 Se rallient à cette opinion de A. Mast, notamment : L.-P. SUETENS, De toetsing van de wet aan de Grondwet, op. cit., col. 1012 ; K. RIMANQUE, Overwegingen..., op. cit., p. 266. Cf. aussi Ch. HUBERLANT, intervention..., loc. cit., p. 547 et suiv.
177 A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 226.
178 Ibidem.
179 Ibidem, p. 226-227.
180 A. MAST, De rechterlijke toetsing..., op. cit., sommaire français, p. 216.
181 Cf. ibidem, p. 205-206.
182 Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, art. 28, b. A. MAST, dans De rechterlijke toetsing..., op. cit., p. 205-206 et dans son intervention au cours des 6es journées juridiques Jean Dabin, loc. cit., p. 531 précise : « cette procédure d’amiable compositeur met la commission en état d’exercer une action qui n’est pas motivée par des considérations proprement juridiques ; elle permet aussi d’éviter d’aller jusqu’à la décision finale grâce à une concession librement consentie par l’État. J’ajoute à cela que la commission peut, mais ne doit pas déférer l’affaire à la Cour dans un délai de trois mois et qu’enfin, si les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux décisions de la Cour, c’est un organe politique, le comité des ministres, qui en assure l’exécution ».
183 A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 227.
184 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 603.
185 Ibidem, p. 604.
186 Cf. conclusions de W. J. GANSHOF van der MEERSCH avant Cass., 3 mai 1974, loc. cit., p. 565, note 19.
187 Cf. A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 58 1 et suiv.
188 Cf. notamment conclusions de W. J. GANSHOF van der MEERSCH avant Cass., 3 mai 1974, loc. cit., p. 565, note 19 ; A. VANWELKENHUYZEN, ibidem, p. 601 ; J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 96-97.
189 Cf. notamment K. RIMANQUE, Overwegingen..., op. cit., p. 264-265.
190 Cf. notamment F. DELPÉRÉE, Droit constitutionnel, t.I, Bruxelles, 1980, no 59-60.
191 P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 287.
192 La révision du 17 juillet 1980 a supprimé l’adjectif « culturelle ». Le lecteur désireux de disposer d’indications bibliographiques relatives à la révision constitutionnelle du 24 décembre 1970, les trouvera dans F.E.D.C.R., Dossier pour une Constitution nouvelle, op. cit.. notamment p. 17-19.
193 Article 59bis, §8 de la Constitution.
194 Les références des principaux commentaires doctrinaux dont cette loi a fait l’objet sont indiquées dans F.E.D.C.R., Dossier pour une Constitution nouvelle, op. cit., p. 79-81. Adde notamment J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 97 et suiv. ; A. VANWELKENHUYZEN, Les conflits entre loi et décret et entre décrets, in J.T., 1980, p. 609 et suiv. ; F. DUMON, Les conflits de compétence, op. cit., p. 277-329 ; M. LEROY, Les conflits de compétence en matière d’emploi des langues et leur règlement, in A.P.T., 198 1, p. 48 et suiv. ; Ph. ULLMANN, La solution des conflits de compétence, in Les compétences régionales et communautaires, Colloque du 27 octobre 1982, Namur, polycop.
195 Cf. article 14. L’interprétation de la notion de « contradiction » divise la doctrine : une question préjudicielle peut-elle être posée pour excès de compétence, si celui-ci ne s’accompagne pas encore d’un conflit actuel entre deux normes ? Cf. par exemple W. VAN ASSCHE, Section des conflits de compétence, in Les Novelles, Droit administratif - Conseil d’État, 1975, no 2304 et suiv. (réponse négative, notamment parce que l’article 14 confirmerait implicitement, selon l’auteur, « le principe admis par les cours et tribunaux selon lequel les juridictions ne sont point juges de la constitutionnalité des lois » et qu’il aurait entendu « que l’application de ce principe soit étendue aux décrets qui ont valeur de loi ». Il s’ensuivrait « que les juridictions sont tenues d’appliquer les lois et des décrets sans examiner s’ils excèdent la compétence du législateur ou du conseil culturel ») et M. LEROY, op. cit., p. 47-48 (réponse affirmative).
196 Sur ce pouvoir d’appréciation, cf. notamment W. J. GANSHOF van der MEERSCH, Réflexions sur la révision de la Constitution, in J.T., 1972, p. 488.
197 Cf. article 13.
198 Cf. article 15.
199 Cf. notamment P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 290.
200 Doc. parl., Sénat, s.o., 1970-1971, no 399, p. 7 cité par ibidem, p. 279.
201 Cf. infra, p. 135.
202 Cf. article 15.
203 C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, 1re partie, Université Catholique de Louvain, Bruxelles, 1972-1973, p. 400, note 59, Adde C. CAMBIER, Deux aspects de la révision de la Constitution. La décentralisation et la redistribution des pouvoirs, in J.T., 1972, p. 165 et suiv. Cf. en ce sens notamment P. de STEXHE, La révision de la Constitution belge, 1968 1971, Bruxelles, 1972, nos 191 et 217 ; J. J. MASQUELIN, Procédure tendant à prévenir et à régler les conflits de compétence en matière culturelle, in R J.D.A., 1975, p. 136-137. Adde infra, note 229.
204 C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, op. cit., p. 388.
205 Ibidem, p. 390.
206 Cf. article 15.
207 C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, op. cit., p. 398, note 58.
208 Cf. J.T., 1971, p. 475 et suiv.
209 Cf. article 10.
210 Cf les articles 10 et 11 : la section de législation du Conseil d’Etat, qui intervient au stade de l’élaboration des décrets, remet un avis motivé qui, s’il conclut que le projet ou la proposition excèdent la compétence du Conseil culturel concerné, en paralyse l’adoption, sauf vote par les Chambres législatives d’une résolution favorable propre à lever ce véto.
211 Cf supra, note 65.
212 Cf F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 492 et suiv. Adde notamment M. LEROY, op. cit., p. 45. Il a aussi été fait remarquer que l’éventuelle annulation de l’arrêt de règlement n’émane pas du pouvoir législatif puisque le Roi n’y participe pas : cf. notamment W. VAN ASSCHE, op. cit., no 2323.
213 W. J, GANSHOF van der MEERSCH. Réflexions sur la révision de la Constitution, op. cit., p. 491-492. Cette opinion semble partagée par A. MAST, De wet van 3 juli 1971, bevoegdheidsconflicten en scheiding der machten, in Liber amicorum baron Jean Van Houtte, t. II, Bruxelles, 1975, p. 653. Comp. P. DE VISSCHER et F. DELPEREE, op. cit., p. 281 282 : « Pour reprendre une expression du sénateur Van Cauwelaert, l’organisation de la section des conflits de compétence du Conseil d’État poursuit un objectif : donner un « partenaire juridictionnel » au pouvoir législatif. La formule est significative. Un partenaire, c’est-à-dire tout le contraire d’un organe indépendant, autonome, impartial ; bien plutôt, un associé, voire un auxiliaire. Ce partenaire, sans soute, est qualifié de juridictionnel. Mais (il n’y a pas lieu) de s’illusionner sur le sens de l’expression ; elle signifie simplement que le partenaire aura à respecter un certain nombre de règles de procédure en usage devant les juridictions et que c’est sur le plan juridique qu’il aura à examiner les excès de compétence ».
214 W. J. GANSHOF van der MEERSCH, ibidem, p. 491. Contra notamment G. VAN BUNNEN, L’article 21 de la loi du 3 juillet 1971, in J.T., 1973, p. 473-476 : « c’est l’arrêt qui commande la modification de la loi ou du décret dans le sens réglé par lui, mais ce n’est pas la disposition législative modifiée à la suite de cet arrêt qui, seule, permet au juge ayant posé la question préjudicielle, de statuer définitivement sur l’ensemble du procès dont le jugement est conditionné par cette question » (p. 475) ; W. VAN ASSCHE, op. cit., no 2334 et références citées.
215 W. J. GANSHOF van der MEERSCH, ibidem, p. 491. Sur ce caractère non juridictionnel de l’intervention des Chambres, un consensus doctrinal semble se dégager. Cf. notamment en ce sens : A. MAST, De wet van 3 juli 1971, op. cit., p. 657-661 ; J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 99 ; A. VANWELKENHUYZEN, Les conflits entre loi et décret et entre décrets, op. cit., p. 612. Comp. M. LEROY, op. cit., p. 51. Contra M. DUMONT, Les nouvelles compétences du Conseil d’État, in R.J.D.A., 1971, p. 247.
216 W. J. GANSHOF van der MEERSCH, ibidem, p. 493-494.
217 Cf. J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 99.
218 A. VANWELKENHUYZEN, Les conflits entre loi et décrets et entre décrets, op. cit., p. 613. Adde J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 126-129.
219 A. VANWELKENHUYZEN, ibidem, p. 613. L’auteur invoque aussi, bien sûr, l’article 107 de la Constitution « interprété de manière extensive ».
220 Cf. ibidem, p. 612. Adde J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 98-100.
221 P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 281.
222 Cf. A. VANWELKENHUYZEN, Les conflits entre loi et décrets et entre décrets, op. cit., p. 614. Comp. J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 129.
223 Dans les trente jours qui suivent la dénonciation de l’arrêt de règlement au Premier Ministre, le Conseil des ministres donne aux Chambres législatives son avis motivé sur l’arrêt de règlement (art. 15, al. 2). Le motif de cette intervention réside dans la garantie qu’elle apporte à la minorité francophone, vu la composition paritaire du Conseil.
224 A. VANWELKENHUYZEN, Les conflits..., op. cit., p. 614 citant l’article 6.1 de ladite Convention.
225 Ibidem, p. 615, note 74.
226 Cf. supra, note 213.
227 Cf. infra, p. 128 et suiv.
228 A. MAST. De wet van 3 juli 1971, op. cit., p. 660-661.
229 Cf. supra, p. 108-109.
230 Cf. aussi notamment O. COENEN, Grondwettigheidstoezicht door de Raad van Siale bij het totstandkomen van wetten en decreten en bij de regeling van conflicten tussen wet en decreet, in T.B.P., 1974, p. 222 ; J. J. MASQUELIN, op. cit., p. 136-137. Adde les auteurs cités par MM. J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 120-122, nos 87-89.
231 P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 280 ; « C’est, tout à la fois, la structure préfédérale de l’État, le service correct de la justice et la sécurité du droit qui... sont mis en question par la loi du 3 juillet 1971 ».
232 Cf. débats oraux, non retranscrits, qui ont eu lieu à l’occasion du colloque organisé, en 1980, par le Jeune Barreau sur « La réforme de l’État, 150 ans après l’indépendance nationale ». Concernant les autres réactions doctrinales critiques à l’égard de la loi de 1971 cf. la synthèse de J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 122-126.
233 P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 266. Adde P. DE VISSCHER, Réflexions sur le contrôle..., op. cit., p. 355 et suiv.
234 P. DE VISSCHER, La sauvegarde de la suprématie..., op. cit., p. 95. Cf dans le même sens J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 141.
235 A. MAST, intervention..., loc. cit., p. 530. Adde De rechterlijke toetsing..., op. cit., p. 198-200. Cf. dans le même sens notamment L. P. SUETENS, De toetsing van de wet..., op. cit., col. 1012-1013. Comp. K. RIMANQUE, Overwegingen..., op. cit., p. 265.
236 L’exemple fourni en 1971 reste valable pour la Constitution du 4 novembre 1977.
237 W. J. GANSHOF van der MEERSCH, Conclusions avant Cass., 3 mai 1974. loc. cit., p. 566, note 21.
238 Cf. art. 47, al. 3 et 56bis, al. 2 de la Constitution.
239 Cf. art. 1er, al. 5 ; 3bis ; 596/s, §1", al. 1 et 2 ; 59bis. § 2, 1 ° et 3 ° ; 59bis, § 2bis et § 4bis ; 107quater et 108, al. 3 de la Constitution (cette énumération tient compte de la révision de 1980).
240 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux.... op. cit., p. 602.
241 J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 131.
242 Ibidem, p. 145.
243 Cf. article 19, § 2 de ladite loi.
244 Cf. pour les nouvelles matières culturelles, la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, art. 4, 11 ° à 16 ° ; et pour les matières personnalisables l’article 59bis, § 2bis de la Constitution et l’article 5 de la même loi. Pour une vision de l’ensemble de la réforme issue de la revision constitutionnelle de juillet 1980, cf. notamment J. BRASSINNE, Les institutions de la Flandre, de la Communauté française, de la Région wallonne, Dossiers du C.R.I.S.P., no 14, mars 1981 ; F. DELPÉRÉE, Droit constitutionnel, op. cit., p. 289-460 ; du même auteur, La nouvelle grammaire constitutionnelle, in Wallonie 80, 6, p. 413-420 ; F. LEONARD, La Belgique des Communautés et des Régions, in Revue régionale de droit, no 17, janvier 1981, p. 7-32 ; F. PERIN, La réforme de l’État, in Wallonie 80, 6, p. 439-448 ; du même auteur : De la Belgique unitaire à la Belgique régionalisée, in La communauté française et la région wallonne devant le monde, Liège, 1982, p. 13-18 ; J. M. VAN BOL, Les matières communautaires et régionales, in J.T., 1981, p. 633-642 ; A. VANWELKENHUYZEN, Les compétences régionales et communautaires, in Wallonie 80, 6, p. 423-437. Adde Ch. E. LAGASSE, La contre-réforme de l’État, Louvain-la-Neuve, 1982 ; P. TAPIE et M. HANOTIAU, Les lois des 8 et 9 août 1980 et la jurisprudence du Conseil d’État, in Les compétences régionales et communautaires, polycop., Namur, 1982 ; J. M. VAN BOL, Deux années d’application de la loi du 8 août 1980, in Les compétences régionales et communautaires, op. cit.
245 On a invoqué, parmi les motifs de cette inertie, des « difficultés d’ordre linguistique dans le recrutement des assesseurs ». Cf. M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge des confits interterritoriaux à l’épreuve du droit comparé, in Ann. Droit de Louvain, 1982/4, no 50.
246 F. DUMON, Les conflits de compétence, op. cit., p. 286. Cf. aussi du même auteur : Projets de réformes et fonction juridictionnelle, op. cit., p. 565 et De l’État de droit, op. cit., p. 476. Adde déclaration du Premier Ministre devant la Commission de révision de la Constitution et des réformes institutionnelles de la Chambre, in Rapport de MM. SUYKER BUYK et VAN CAUWENBERGHE, Doc. parl., Chambre, s.e., 1979, no 10/9/4 °, p. 14 : « alors qu’en 1970 la Constitution n’a accordé que des compétences assez réduites aux Conseils culturels, il s’agira désormais d’une matière beaucoup plus vaste et il faut de toute façon s’attendre à ce que des conflits surgissent ».
247 Cf. notamment le Rapport fait au nom de la Commission de révision de la Constitution et de la réforme des institutions par MM. de STEXHE et LINDEMANS, Doc. parl., Sénat, s.e., 1979, no 100/53, p. 2. Adde le rejet de l’amendement de M. PERSOONS qui proposait d’adopter le terme de « Cour constitutionnelle » : Doc. parl., Chambre, s.e., 1979, no 10/9/2 °, I et no 10/9/4 °, p. 12.
248 F. DUMON, « Quo vadimus » ?, op. cit., p. 506.
249 Cf. F. DELPÉRÉE, Le palais de la nation et le palais de la justice, à paraître dans les Mélanges F. Dumon.
250 Comp. l’article 59bis, §8 qui parle de « procédure tendant à... régler les conflits... ».
251 Rapport cité, p. 2.
252 F. DELPÉRÉE, Le palais..., op. cit.
253 Cf. articles 24 à 30. Ces articles modifient les lois sur le Conseil d’Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, lois qui reproduisent les articles commentés ci-avant de la loi du 3 juillet 1971.
254 Cf. article 28. Cons. A. VANWELKENHUYZEN, Les conflits entre loi et décret et entre décrets, in J.T., 1980, p. 610 et suiv. On peut encore relever que l’article 26 étend aux Exécutifs communautaires et régionaux le droit de saisir la section des conflits de compétence « s’ils estiment qu’il y a conflit ou possibilité de conflit ».
255 Doc. parl., Chambre, s.e., 1979, no 10/9/4 °, p. 11.
256 Cf. Projet de loi portant l’organisation, la compétence et le fonctionnement de la Cour d’arbitrage, Doc. parl., Sénat, s.o. 1981-1982, no 246/1, avec l’avis du Conseil d’État. Pour les projets précédents, cf. Doc. parl., Sénat, s.o. 1979-1980, no 435/1, art. 23 à 44, p. 37-44 et no 435/1, annexe pour l’avis du Conseil d’État ; Doc. parl., Sénat, s.o. 1980-1981, no 704/1, avec l’avis du Conseil d’État.
257 Cf. notamment F. DUMON, « Quo vadimus » ?, op. cit., p. 501 et suiv. ; P. de STEXHE, A propos d’une mercuriale, in J.T., 1980, p. 665-669 ; F. DELPÉRÉE, Droit constitutionnel, op. cit., p. 119-120 ; du même, La nouvelle grammaire constitutionnelle, op. cit., p. 418-419 ; G. SCHRANS et M. MARESCEAU, Het Europese recht vergeten bij de staatshervorming ?, in R.W., 1980-1981, col. 281-296 ; A. MAST, Overzicht van het Belgisch Grondwettelijk Recht, op. cit., p. 268-269 ; J. DELVA, Het ontwerp van wet houdende de inrichting, de bevoegdheid en de werking van het Arbitragehof. Enkele aspecten, in T.B.P., 1982, p. 3-12 ; Ph. ULLMANN, La solution des conflits de compétence, in Les compétences régionales et communautaires, op. cit. ; M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge des conflits interterritoriaux à l’épreuve du droit comparé, op. cit., no 51-52 ; F. DELPÉRÉE, Le palais..., op. cit. Nous avons aussi bénéficié de la lecture d’un excellent travail manuscrit de A. Rasson Roland sur la Cour d’arbitrage telle que l’organisait le projet 704. Nous remercions vivement son auteur de nous en avoir permis la consultation. Enfin, nous apprenons la prochaine parution de : F. DELPÉRÉE et A. RASSON-ROLAND, En route pour la Cour d’arbitrage, in A.P.T., 1982, t. IV, que nous n’avons pas pu consulter avant l’impression de la présente étude.
258 Art. 1er et 7, § 7.
259 Cf art. 1er.
260 . Cf art. 7, § 2, al. 1 : « Lorsqu’une telle question est soulevée devant la Cour de cassation ou le Conseil d’État, ces juridictions sont obligées de demander à la Cour d’arbitrage de statuer sur cette question », sous réserve des deux exceptions visées à l’alinéa 2. Lorsqu’elle est soulevée devant une autre juridiction, celle-ci peut décider le renvoi, « si la réponse... est nécessaire pour rendre sa décision », précise le §3. Cf. sur cette étonnante distinction, les observations du Conseil d’État relatives au projet 246, in Doc. parl, cité, p. 46-48.
261 Art. 4. Quant aux arrêts portant rejet des recours en annulation, ils sont « obligatoires pour les juridictions en ce qui concerne la question de compétence tranchée par ces arrêts » (art. 4, § 2). Cf. à ce propos l’avis du Conseil d’État relatif à l’article 3 du projet 704, in Doc. parl. cité. p. 41.
262 Art. 8.
263 Cf. notamment Doc. parl., Chambre, s.e. 1979, no 10/9/4 °, p. 5, 12, 13. Adde l’avis du Conseil d’État concernant le projet 435, in Doc. parl. cité, p. 3.
264 Avis du Conseil d’État relatif au projet 704, in Doc. parl. cité, p. 42.
265 Comp. p. ex. avec le débat, en France, à propos du Conseil constitutionnel. Cf F. LUCHAIRE, Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction ?, in R.D.P.. 1979, p. 27-52.
266 M. MAHIEU, L’interprétation du droit communautaire, in L’interprétation en droit, op. cit., p. 353, adde p. 354 et les références de la note 9 ; intervention de J. RIDEAU, au cours du colloque : Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, op. cit., p. 457.
267 Cf. A. MAST, Overzicht..., op. cit., p. 268-269.
268 Cf. notamment Doc. parl., Chambre, s.e. 1979, no 10/9/4 °, p. 4 et 13.
269 Ibidem, p. 5. Nous nous sommes permis de corriger la traduction fournie par les documents parlementaires : « een louter gerechtelijke aangelegenheid » y est rendu par : « une seule question judiciaire ». Adde p. 6 et 12 : selon un intervenant, la Cour d’arbitrage est « plus qu’une simple institution juridique ». Un autre considère que « le règlement des conflits entre les normes constitue un problème politique qui ne peut se résoudre par un collège de droit traditionnel » (p. 6).
270 Cf. F. DELPÉRÉE, La nouvelle grammaire constitutionnelle, op. cit., p. 418. Adde le débat mettant en présence MM. De Visscher, Delpérée, De Meyer et Perin, lors de l’émission télévisée intitulée : « Où va la Belgique ? », réalisée par le C.A.V. et diffusée en avantpremière à Louvain-la-Neuve, le 16 février 1983.
271 Cf. projet 246 cité supra dans la note (255), art. 22, § 2. La Cour comporterait douze membres : six d’expression française et six d’expression néerlandaise ; six anciens parlementaires (qui ont eu cette qualité pendant au moins huit ans) et six jurisconsultes (issus de la Cour de cassation, du Conseil d’État et du corps professoral des universités). Comp. P. DE VISSCHER, La sauvegarde de la suprématie..., op. cit., p. 98 : l’éminent professeur souhaitait « une forme de Tribunal des Conflits formé en nombre égal, de conseillers à la Cour de cassation et de conseillers d’État recrutés, également en nombre égal, dans chacun des deux rôles linguistiques ». A ces, magistrats de carrière, il suggérait d’adjoindre des « juristes du Parlement » au titre d’assesseurs, mais leur nombre n’aurait pas dû excéder « le quart du nombre total des membres de l’organe de contrôle ».
272 Cf. supra, p. 79, note 31.
273 Cf. F. LUCHAIRE, Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction ?, op. cit.
274 Cf. F. LUCHAIRE, Le Conseil constitutionnel est-il une juridiction ?, op. cit.
275 On sait qu’aux termes de l’article 56 de la Constitution française, « font de droit partie à vie du Conseil constitutionnel les anciens Présidents de la République ». Quant aux neuf autres membres dont celui-ci se compose, leur nomination n’est tributaire du respect d’aucune condition. « Selon les années, la composition du Conseil a donc professionnellement varié », conclut François LUCHAIRE (Le Conseil constitutionnel, Paris, 1980, p. 64). Cet auteur résume l’évolution de la manière suivante : « De 1959 à 1965, la majorité revenait aux « politiques » surtout si l’on tient compte des membres de droit. De 1965 à 1971, la majorité revient au contraire aux juristes dont trois sont des professeurs ou anciens professeurs MM. Cassin, Waline et Luchaire). A partir de 1971, et à chaque renouvellement, l’élément politique l’emporte malgré les désignations de M. Ségalat et du Doyen Vedel » p. 64).
276 J. DABIN, La technique de l’élaboration du droit positif, Paris, 1935, p. 53, 54 et 56 cité par F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 494.
277 F. DELPÉRÉE, Ibidem.
278 Ibidem.
279 F. DELPÉRÉE, La nouvelle grammaire constitutionnelle, op. cit., p. 418. C’est nous qui soulignons.
280 Cf. art. 31.
281 Cf. art. 32 et 33.
282 Cf notamment F. PERIN et B. DEWEZ, Les conflits d’intérêts, in A.P.T., 1979-1980, t. 2, p. 159-172 et M. LEJEUNE, Les conflits d’intérêts entre l’État, les communautés ou les régions, in Les compétences régionales et communautaires, op. cit. Adde A. VANWELKENHUYZEN, Les compétences régionales et communautaires, op. cit., p. 436 et l’interview de F. Delpérée au journal parlé de 13 heures du premier programme de la R.T.B.F. le 25 novembre 1982.
283 F. DELPÉRÉE, La nouvelle grammaire..., op. cit., p. 419.
284 Ibidem, p. 418.
285 J. RIVERO, Rapport de synthèse, in Cours constitutionnelles européennes et droits fondamentaux, op. cit., p. 520. Cf. dans le même sens, P. DE VISSCFIER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 278.
286 J. RIVERO, ibidem. Comp. l’exposé des motifs du projet 704 : « L’admission d’anciens parlementaires dans la composition de la Cour manifeste le souci de voir s’établir un équilibre dans l’interprétation entre le droit abstrait et la pratique. La Cour devra en effet donner aux questions qui lui sont soumises des solutions juridiques tout en veillant à ce que son interprétation des règles de compétence soit conçue dans une optique dynamique » (Doc. parl. cité, p. 12).
287 Ibidem, p. 521.
288 F. DELPÉRÉE, Le palais..., op. cit. Comp. l’avis du Conseil d’État relatif à l’article 24 du projet 704, in Doc. parl. cité, p. 61.
289 Cf. F. DELPÉRÉE, ibidem. Ce point est acquis dans l’article 21, § 2 du dernier projet 246 (Doc. parl. cité, p. 26). Par contre, selon l’article 23, § 2 du premier projet 435, les conseillers étaient nommés pour un terme de huit ans : cf. avis du Conseil d’État in Doc. parl. cité p. 4.
290 F. DELPÉRÉE, ibidem.
291 F. DUMON, « Quo vadimus » ?, op. cit., p. 504-505.
292 Ibidem, p. 508.
293 Ibidem, p. 502.
294 Ibidem, p. 506-507. Le procureur général se réfère ici à la doctrine examinée supra de MM. Velu et Vanwelkenhuyzen.
295 Le projet 435 à l’époque.
296 F. DUMON, « Quo vadimus » ?, op. cit., p. 507.
297 Ibidem. On sait que M. Dumon suggère « que ce soient la Cour de cassation et le Conseil d’État formant, chacun, une chambre mixte, composée des mêmes magistrats des deux juridictions », qui statuent sur les questions préjudicielles, tandis que MM. Velu et Vanwelkenhuyzen estimaient que « le contrôle du respect de leurs compétences législatives respectives par le législateur national, les législateurs culturels et les législateurs régionaux devrait être attribué à l’ensemble des juridictions judiciaires et administratives » (op. cit., p. 155).
298 F. DUMON. ibidem, p. 508.
299 J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 135.
300 Avis du Conseil d’État relatif au projet 704, in Doc. parl. cité, p. 43 et 47-48 ; et avis du Conseil d’État relatif au projet 246, in Doc. parl. cité, p. 47-48.
301 A. MAST, Overzicht..., op. cit., p. 430-445.
302 F. DUMON, « Quo vadimus » ?, op. cit., p. 506.
303 Ibidem, p. 506.
304 Ibidem.
305 Cf. infra, p. 136-137.
306 Cf. F. DELPÉRÉE, Le palais..., op. cit.
307 Cf. supra, p. 78.
308 Cf. les références citées par A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 528, note 117 ; J. FALYS, L’abrogation par désuétude..., op. cit., p. 261, note 10 ; et A. VANWELKENHUYZEN, L’abrogation par désuétude et la caducité des lois, correspondance avec J. FALYS, in J.T., 1981, p. 402.
309 J.T., 1974, p. 564 et suiv.
310 Pas., I, 560 avec les conclusions de M. le procureur général L. Corail.
311 C. de BROUCKÈRE et F. TIELEMANS, op. cit., p. 125. Adde en ce sens E. VERHAEGEN, op. cit.. p. 29 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 331 ; notons que cet auteur se réfère aux travaux des Français E. LAMBERT (Le gouvernement des juges et la lutte contre la législation sociale aux États-Unis, Paris, 1921) et P. BLONDEL (Le contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, Paris, Aix-en-Provence, 1928) qui ont bien montré combien, dans la jurisprudence américaine, il n’est pas rare qu’« au lieu de repousser la loi, on la soumet à une « interprétation » qui la prive de tout effet » col. 331). Pour Blondel, il s’agit d’une technique de « construction du statut » qui « n’est au fond qu’une déclaration atténuée d’inconstitutionnalité, mais tout aussi efficace ; comme la reconnaissance d’inconstitutionnalité, elle arrive à faire écarter certaines dispositions du statut... » (P. BLONDEL, op. cit., p. 90-91). Cette technique est bien connue des cours constitutionnelles contemporaines, notamment allemande et italienne.
312 Pas., I, 562.
313 Ibidem, p. 572.
314 Cf. M. van de KERCHOVE, op. cit.
315 J. FALYS, L’abrogation par désuétude..., op. cit., p. 403. Adde ibidem, p. 32.
316 En ce sens, J. FALYS, op. cit., p. 403.
317 Comp. F. OST, L’interprétation logique et systématique..., op. cit., p. 169.
318 Ibidem.
319 M. LEROY, op. cit., p. 58. Cet auteur cite à la page 57 de nombreux arrêts du Conseil d’État qui appliquent cette jurisprudence Waleffe. Adde au sujet des rapports entre l’arrêt Waleffe et l’arrêt Le Compte, notamment K. RIMANQUE, Overwegingen..., p. 257 et 270 ; F. DELPÉRÉE, La conformité de la loi à la Constitution, in R.C.J.B., 1977, p. 463 et suiv. ; J. DELVA, Actualiteit van de confrontatie van de rechter met de toetsing van de wet aan de Grondwet, in T.B.P., 1978, p. 387-388 (cet auteur cite de nombreux arrêts de cassation qui mettent en œuvre la jurisprudence Waleffe). Adde encore au sujet de la méthode Waleffe elle-même, A. VANWELKENFIUYZEN, La présomption de constitutionnalité..., op. cit., p. 263 et suiv. ; F. DUMON, Conclusions avant Cass., 20 avril 1972, Pas., I, 769 ; J. VELU, Conclusions avant Cass., 20 novembre 1975, Pas., I, 352 ; F. DELPÉRÉE, La Constitution et son interprétation, in L’interprétation en droit, op. cit., p. 196-197 ; J. LENOBLE et F. OST, Essai sur la dérive..., op. cit., p. 211 et suiv.
320 J. DE MEYER, op. cit., col. 102. Adde en ce sens A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution de pouvoirs spéciaux..., op. cit., p. 577 et suiv. ; W. J. GANSHOF van der MEERSCH, La protection des droits de l’homme en droit constitutionnel comparé, in Rapports généraux du IXe Congrès international de droit comparé, Bruxelles, 1971, p. 654 et suiv. Comp. L. MOUREAU, op. cit., p. 20 et suiv.
321 A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 217. Adde en ce sens L. P. SUETENS, Gerechtelijke toetsing van de wet en het constitutionaliteitsprobleem van wetten met regionaal toepassingsgebied, in R.W., 1974-1975, col. 1723-1725. Comp. K. RIMANQUE, Overwegingen..., op. cit.
322 F. DELPÉRÉE, La conformité de la loi..., op. cit.. p. 450 et suiv.
323 Conclusions citées, p. 568.
324 F. DELPÉRÉE, La conformité de la loi, op. cit., p. 457-458.
325 J.T., 1974, p, 571.
326 F. DELPEREE, La conformité de la loi..., op. cit., p. 457.
327 J. FALYS, L’abrogation par désuétude..., op. cit., p. 403.
328 Ibidem, p. 261.
329 A. VANWELKENHUYZEN, L’abrogation par désuétude..., op. cit., p. 402.
330 Cf. notamment J. DELVA, Actualiteit..., op. cit., p. 372 et suiv.
331 Cf. Cass. 25 juin 1974, Pas., I, 11 14 ; R.W., 1974-1975, col. 108, avec les conclusions de M. le Procureur général F. DUMON, alors premier avocat général, et Cass., 6 septembre 1974, Pas., 1975, I, 15. En ce sens, F. DELPÉRÉE, La conformité de ta loi..., op. cit., p. 458.
332 Pas., I, 541-542.
333 Cf. R.W., 1975-1976, col. 1752. Cependant, à l’occasion de l’examen d’un autre moyen, le ministère public a invité la Cour à consacrer la doctrine traditionnelle qui voit dans la promulgation la couverture des vices dont l’élaboration des lois par les Chambres pourrait être entachée. Cette importante prise de position, qui exclut tout contrôle juridictionnel de la régularité externe des lois, a été suivie par la Cour. Cf. à ce sujet les observations de J. DE JONGHE et F. REYNTJENS, De twijfels van het Hof van Cassatie, in R.W.. 1975-1976, col. 2121 et suiv.
334 En ce sens, ibidem, col. 2114 et suiv.
335 Cf Cass., 20 novembre 1975, Pas., 1976, I, 347 avec les conclusions de M. l’avocat général J. VELU ; Cass., 6 octobre 1976, Pas., 1977, I, 447 ; Cass., 13 octobre 1976, Pas., 1977, I, 196 ; Cass., 8 décembre 1976, Pas., 1977, I, 394 avec les conclusions de M. le Procureur général F. DUMON, alors premier avocat général ; comp. Cass., 29 mars 1977, Pas., 1977, I, 818.
336 Cf F. DELPEREE, La conformité de la loi..., op. cit., p. 460 et suiv.
337 Quant aux juridictions de fond, elles sont divisées. Cf notamment Bruxelles, 4 avril 1974, in J.T., p. 732 ; Pol. Charleroi, 21 juin 1974, in J.T., 1974, p. 736 ; et Corr. Charleroi, 18 novembre 1980, in J.T., 1981, p. 260, qui refusent tout contrôle. Cf. notamment Trib. Trav. Bruxelles, 1 1 mars 1975, in R.W., 1975-1976, col. 107 et J.P. Etterbeek, 4 novembre 1976, in J.T., 1977, p. 257 qui acceptent d’exercer un contrôle. Adde l’étonnante décision du Trib. Corr. de Liège, 27 septembre 1982, in J.L., no 34, 23 octobre 1982, p. 382, qui affirme que « les tribunaux n’ont pas le contrôle de la constitutionnalité des lois », tout en déclarant, quelques attendus plus haut, que le conseil de la communauté française a, dans un décret déterminé, « excédé son pouvoir ».
338 Baron d’ANETHAN, op. cit.
339 Cf. Ch. HUBERLANT et Ph. MAYSTADT, op. cit., p. 446 447.
340 Cf. Ch. L. CLOSSET, Les travaux de la révision constitutionnelle, in Actualité du contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 354 et suiv. : K. RIMANQUE, Overwegingen..., op. cit., p. 255 et suiv.
341 En ce sens, J. VELU, Notes de droit public, op. cit., p. 156.
342 Rapport CUSTERS, HERBIET et VAN BOGAERT, Doc. parl, Sénat, s.o. 1970-1971, no 469, p. 14.
343 Ann. parl. Chambre, séance du 1er juillet 1971, p. 38 cité par P. de STEXHE, Rapport cité, p. 18.
344 Cf. supra, p. 108 et suiv. Acide M. FALLON et Y. LEJEUNE, Contradiction entre loi et décret : le décret du 19 juillet 1973 devant les Chambres législatives, in J.T., 1979, p. 640 ; P. DE VISSCHER et Y. LEJEUNE, La prévention des conflits de compétence, in A.P.T., 1979 1980, t. 2, p. 73 74, 81 et 85 ; J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 100 ; M. LEROY, op. cit., p. 45 46 ; Ph. ULLMANN. op. cit., p. 11 et suiv.
345 Rapport cité, p. 2.
346 Cf. A. VANWELKENHUYZEN, Du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois, in J.T., 1975, p. 335 et 403-404 (correspondance avec M. A. PIERSON).
347 P. DE VISSCHER, La sauvegarde..., op. cit., p. 94.
348 F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 489.
349 Cf. L. SOENENS, op. cit., col. 630 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 328.
350 Cf. J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 104-105, notes 1 et 2.
351 Ann. parl., Sénat, séance du 14 juin 1977, p. 100 cité par ibidem, p. 110.
352 Ann. parl., Sénat, séance du 9 mars 1978, p. 1057. Cf. J. VELU et A. VANWEL-KENHUYZEN, op. cit., p. 111 et 117.
353 Cf. notamment ibidem, p. 112.
354 Cf. supra, p. 117.
355 Cf. en ce sens. J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 148-149.
356 F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 495.
357 Cf. notamment Cour Trav. Anvers, 13 mars 1978, in R.W., 1977-1978, col. 55 ; Cour Trav. Anvers, 8 septembre 1978, in Doc. parl., Sénat, s.o. 1980-1981, no 631/1, annexe IV. p. 60 ; Trib. Trav. Liège, 17 janvier 1979, in J.L., 1978-1979, p. 214 ; Trib. Trav. Bruxelles, 4 juin 1980, in J.T.T., p. 294 ; Trib. Trav. Bruxelles, 15 octobre 1981, in J.T., 1982, p. 47 et obs. M. MAHIEU. Comp. Trib. Trav. Anvers. 13 décembre 1977, in J.T.T., 1978, p. 336 ; Cour Trav. Bruxelles, 20 octobre 1980, in R.W., 1980-1981, col. 1082.
358 Cf. notamment J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 103.
359 Cass., 11 juin 1979, in J.T., 1979, p. 642 ; T.B.P., 1979, p. 504 avec conclusions de M. l’avocat général LENAERTS.
360 M. LEROY, op. cit., p. 60.
361 Cf. supra, p. 109.
362 « L’emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ; il ne peut être réglé que par la loi, et seulement pour les actes de l’autorité publique et pour les affaires judiciaires. » Adde art. 59bis, § 3 de la Constitution.
363 Cour Trav. Anvers. 8 septembre 1978, loc. cit.
364 En ce sens notamment M. FALLON et Y. LEJEUNE, Contradiction..., op. cit., p. 637-638 ; J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 101 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’abrogation..., op. cit., p. 402. Adde J. BORRET. Bedenkingen bij het arrest van 11 juni 1979 van het Hof van Cassatie over en door het „taaldecreet” gesteld bevoegdheidsprobleem, in R.W., 1979-1980, col. 1596 ; J. GIJSSELS et J. VELAERS, Een conflict tussen wet en decreet van de Senaat naar de Kamer, in R. W., 1981-1982, col. 1262. Sur l’ensemble de l’arrêt, adde encore outre les références fournies ci-avant et ci-après : P. VAN ORSHOVEN, Het conflict tussen taaldecreet en bestuurstaalwet Bedenkingen bij een cassatiearrest van 11 juni 1979, in R.W., 1979-1980, col. 1523 et suiv. ; R. VEKEMAN, Het eerste bevoegdheidsconflict tussen de wet en de decreet voor het Hof van Cassatie en de Wetgevende Kamers, in R.W., 1979-1980, col. 2403.
365 Conclusions citées, trad. française in Doc. parl., Sénat, s.o. 1980-1981, no 631/1, annexe II, p. 52. Cf. M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge des conflits interterritoriaux à l’épreuve du droit comparé, op. cit., no 39.
366 Cf. notamment F. FORIERS, Les antinomies en droit, in Les antinomies en droit, Bruxelles, 1965, p. 23-24.
367 M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge..., op. cit., no 40. Adde en ce sens, des mêmes auteurs, Contradictions..., op. cit., p. 638 et suiv. ; M. LEROY, op. cit., p. 63-64 ; Ph. ULLMANN, op. cit., p. 3 et suiv. ; Exposé des motifs du projet 704, Doc.parl. cité, p. 6. Contra J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 101-102 et 140 ; ces auteurs admettent que « la règle de répartition des compétences que fournit le droit écrit est insuffisante. Il faut soit la compléter, soit appliquer un principe de hiérarchie des normes » (p. 102) ; F. DUMON, Les conflits de compétence, op. cit., p. 297 et suiv. Les derniers auteurs présentent cependant leurs propos, non comme reflétant la volonté du constituant, mais comme ceux que l’affaire Vandenplas contraint de formuler.
368 M. FALLON et Y. LEJEUNE, ibidem.
369 Cf. Rapport fait au nom de la commission de la justice par M. VANDERPOORTEN. Doc. parl., Sénat, s.o. 1980-1981, no 631/1.
370 Ibidem.
371 Cf. notamment M. MAHIEU, Le décret de septembre, la Cour de Cassation et le Sénat, in J.T., 1981, p. 308-310 qui parle de « perversion ».
372 W. J. GANSHOF van der MEERSCH, Réflexions sur la revision..., op. cit., p. 493 cité par le Rapport, p. 30.
373 Rapport cité, p. 38.
374 Cf. notamment Cour Trav. Anvers, 10 décembre 1979, in J.T.T., 1980, p. 354 ; Cour Trav. Gand, 12 décembre 1979, cité par A. VANWELKENHUYZEN, L’abrogation..., op. cit., p. 402 ; Trib. Trav. Hasselt, 25 février 1980, cité par M. LEROY, op. cit., p. 42 ; Trib. Trav. Hasselt, 13 mars 1980, cité par le même, eod. loc.
375 Cf. M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge..., op. cit., no 50, note 179.
376 Cf. en effet l’article 51 du projet 246, Doc. parl. cité, p. 33.
377 In J.T., 1981. p. 411, obs. M. MAHIEU.
378 Cf. supra, p. 118.
379 Cour Trav. Anvers, 13 mars 1978, loc. cit.
380 Cf. M. FALLON et Y. LEJEUNE. La pratique belge..., op. cit., no 64 et suiv.
381 Ibidem.
382 Ibidem. no 64.
383 Adde notamment au sujet de cet arrêt Van Hoet, P. VAN ORSHOVEN, Conflict tussen taaldecreet en bestuurstaalwet, in R.W., 1981-1982, col. 112-114.
384 M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge..., op. cit., no 2.
385 Cf. ibidem, no 3. Pour s’en convaincre, il suffit de lire, entre autres, le décret (dit « Lagasse », du nom de son promoteur) du 30 juin 1982, relatif à la protection de la liberté de l’emploi des langues et de l’usage de la langue française en matière de relations sociales entre les employeurs et leur personnel ainsi que d’actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements, Mon. b., 27 août 1982, p. 9863. Cf. au sujet de ce décret : ibidem, nos 9 et 41 ; E. CARLIER, Le décret d’août, in J.T.T., 1982, p. 361-363 ; P. SMEDTS, Het septemberdecreet op losse schroeven, in J.T.T., 1982, p. 363-365.
386 Cf. M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge..., op. cit., no 45.
387 Cf. ibidem, no 46.
388 Intervention orale de Μ. P. TAPIE, Président de Chambre du Conseil d’État, au cours du colloque organisé à Namur le 22 octobre 1982 sur « les compétences régionales et communautaires ».
389 M. FALLON et Y. LEJEUNE, La pratique belge..., op. cit.. no 51.
390 J. FALYS, L’abrogation..., op. cit., p. 403.
391 F. OST, L’interprétation logique et systématique..., op. cit., p. 111.
392 Ibidem, p. 110. Cf. à ce propos H. KELSEN, Théorie pure du droit, 2e éd., trad. Ch. Eisenmann, Paris, 1962, p. 453 et suiv. ; M. van de KERCHOVE, La doctrine du sens clair..., op. cit., p. 19 et suiv.
393 On relève en Belgique : A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit.·, F. DELPÉRÉE, La Constitution et son interprétation, op. cit.·, du même, La vie de la Constitution, in 150 ans d’interprétation constitutionnelle, numéro spécial des Ann. de Droit, 1980, p. 123-124 et K. RIMANQUE, De interpretatie van de Grondwet, in De Grondwet Honderdvijftig Jaar, Bruxelles, 1981, p. 45-67.
394 M. TROPER, Le problème de l’interprétation et la théorie de la supralégalité constitutionnelle, in Mélanges Ch. Eisenmann, Paris, 1975, p. 134.
395 W. J. GANSHOF van der MEERSCH, intervention au cours des 12es journées interuniversitaires d’études juridiques, op. cit., p. 17.
396 Cf. notamment A. MAST, Le contrôle juridictionnel..., op. cit., p. 223. Pour cet auteur, tel serait le cas des dispositions « qui fixent la composition des corps constitués, déterminent certains aspects du statut de leurs organes ou encore intiment une défense précise » ; du même, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 543 ; R. VEKEMAN, En nogmaals de toetsing..., op. cit., p. 324 et 327.
397 F. DELPÉRÉE, La vie de la Constitution, op. cit., p. 130-131. Adde en ce sens K. RIMANQUE, De interpretatie van de Grondwet, op. cit., p. 55.
398 Cf. F. DELPÉRÉE, ibidem. Comp. K. RIMANQUE, ibidem, qui, tout en se référant à l’enseignement de M. VAN HOECKE (De interpretatievrijheid van de rechter, Antwerpen, 1979) ne résiste pas non plus à la tentation de citer quelques articles qui seraient si clairs qu’ils ne prêteraient qu’à une interprétation textuelle et univoque.
399 Cf. M. van de KERCHOVE, La doctrine du sens clair..., op. cit., p. 20 et suiv. Aussi, tous les exemples que ne peuvent s’empêcher de fournir MM. Mast, Delpérée et Rimanque cités ci-avant nous semblent soit infirmés par une controverse qui a déjà eu lieu et qui a pu opposer des opinions dites « raisonnables », soit à la merci de n’importe quelle situation susceptible de révéler une obscurité ou une imprécision.
400 Cf. notamment A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 536, 541 ; F. DELPÉRÉE, La vie de la Constitution, op. cit., p. 130 ; K. RIMANQUE, De interpretatie..., op. cit., p. 50, 65.
401 Cf. notamment R. WARLOMONT, Le Pouvoir Judiciaire et la Fonction Législative dans l’histoire du droit public belge, in B.J., 1929, col. 612-613, note 20 qui reproduit les propos de Benjamin Constant : « La sobriété dans les articles constitutionnels, a cet avantage qu’alors on peut changer tout ce qui n’est pas compris dans ces articles, sans effrayer l’opinion sur les changements et donner à l’État une secousse toujours dangereuse... Je ne connais rien de si ridicule que ce qui s’est renouvelé sans cesse durant notre révolution...Mille lacunes se découvrent... On commente la Constitution, on l’interprète comme un manuscrit ancien qu’on aurait nouvellement déterré. La Constitution ne s’explique pas, diton, la Constitution se tait. La Constitution a des parties ténébreuses... » (Cours de politique constitutionnelle, 1837, p. 56) ; A. MAST, ibidem, p. 528 et suiv. ; K. RIMANQUE, ibidem, p. 53, 64 et suiv.
402 M. TROPER, Le problème..., op. cit., p. 134.
403 C’est tout le thème de l’ouvrage de J. LENOBLE et F. OST, Droit, mythe et raison, op. cit.
404 Comp. A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 540-541, cité supra, p....
405 En ce sens, Y. LEJEUNE et H. SIMONART, Réflexions sur l’interprétation de l’article 78 de la Constitution, in Ann. Dr., 1980/2-3, p. 145. Contra notamment A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 534 et F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 495 : « la vérité constitutionnelle... s’appréhende toujours malaisément à travers le mouvement des textes, des idées et des faits qui en façonne, chemin faisant, le contenu ». Comp. A. MAST, De rechterlijke toetsing..., op. cit., p. 217 : « La vérité constitutionnelle n’est pas une vérité révélée : elle est fragile et incertaine ».
406 F. DELPEREE, La Constitution et son interprétation, op. cit., p. 191 et suiv.
407 Cf. références citées in ibidem, p. 192-193, notes 6 à 10.
408 K. RIMANQUE, De interpretatie..., op. cit., p. 53-54.
409 Cf. en ce sens, M. TROPER, Le problème..., op. cit., p. 134. Comp. Y. LEJEUNE et M. SIMONART, op. cit., p. 145.
410 Cf. H. KELSEN, op. cit., p. 459 et suiv.
411 F. OST et M. van de KERCHOVE, Le « jeu » de l’interprétation en droit. Contribution à l’étude de la clôture du langage juridique, in A.P.D., 1982, p. 404.
412 A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 544. Comp. avec la métaphore du « tempo constitutionnel » — qui connote une plus grande rigueur — employée par F. DELPÉRÉE, Au nom de la loi, op. cit., p. 496.
413 M. TROPER, Le problème..., op. cit., p. 135.
414 Cf. notamment J. LENOBLE et F. OST, Droit, mythe et raison, op. cit., p. 123.
415 La discussion évoquée supra portant sur la question de savoir si la Constitution recèle, sur ce point, une lacune objective ou non est un des indices de ce refoulement : l’affirmation d’une lacune est toujours consécutive à une préalable interprétation des normes considérées : cf. notamment F. OST, L’interprétation logique et systématique.... op. cit.. p. 111. Constitue un autre indice, la sous-estimation des ressources de la jurisprudence Waleffe : cf. supra, p. 128 et suiv. Or, la correcte évaluation de celles-ci est essentielle pour déterminer les enjeux de la controverse.
416 Cf. supra, p. 136-137.
417 Cf. supra, p. 109 et 124-125. Cf. aussi les répliques du premier avocat général SOENENS au baron d’ANETHAN (supra, p. 98 et 100).
418 Op. cit.
419 Cf. à propos de ce concept Ph. BRAUD, Le suffrage universel contre la démocratie, Paris, 1980, p. 19 et suiv.
420 Cf. notamment J. P. COT et J. P. MOUNIER, Pour une sociologie politique, t. 1. Paris, 1974, p. 14 et suiv.
421 Cf. notamment J. DABIN, L’État ou le Politique. Essai de définition, Paris, 1957.
422 Adde au sujet des problèmes que pose cette critique J. L. DE BROUWER et H. DUMONT, Réflexions sur le dialogue noué entre la science du droit public interne, la sociologie politique et les sciences administratives, in R.I.E.J., 1982/8, p. 145-172.
423 A. VANWELKENHUYZEN, intervention au cours des 6es journées d’études juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 542. Adde en ce sens notamment F. DUMON. La mission des cours et tribunaux. Quelques réflexions, in J.T., 1975, p. 569-570 ; L. MOUREAU, op. cit., p. 24.
424 Cf. notamment F. DUMON, ibidem, note 312 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution..., op. cit., p. 605 ; L. MOUREAU, ibidem ; F. DUMON, Les conflits de compétence, op. cit., p. 324-325 ; du même, « Quo vadimus ? », op. cit., p. 508 ; M. LEROY, op. cit., p. 55.
425 DUPORT, assemblée constituante, 27 mars 1790, cité par L. SOENENS, op. cit., col. 618.
426 F. DUMON, Les conflits de compétence, op. cit., p. 325.
427 Cf. pour une plus ample démonstration M. TROPER, Fonction juridictionnelle ou pouvoir judiciaire ?, in Pouvoirs, 1981, no 16, p. 5-16.
428 Ces « marges » tendent même à s’élargir de plus en plus : cf. sur le plan des normes P. AMSELEK, L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales, in R.D.P.,1982/2, p. 275-294 ; et sur le plan de la fonction du juge, F. OST, Juge pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de justice, supra, p. 44 et suiv.
429 F. OST et M. van de KERCHOVE, Le « jeu » de l’interprétation..., op. cit., p. 407. Adde F. OST, L’interprétation logique et systématique..., op. cit., p. 100 et suiv.
430 A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution..., op. cit., p. 604.
431 J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 134. Dans le même sens, F. DUMON, Projets de réforme et fonctions..., op. cit., p. 567, no 36.
432 F. DUMON, « Quo vadimus ? », op. cit., p. 507.
433 Cf. en ce sens M. LEROY, op. cit., p. 49 et F. DELPÉRÉE, Le palais..., op. cit.
434 Cf. sur le rôle de l’expert en justice, M. van de KERCHOVE, Le juge et le psychiatre. Evolution de leurs pouvoirs respectifs, infra, p. 385 et suiv.
435 Il semble du reste que ceux-ci ne se distinguent guère des juges professionnels dans l’exercice de leur office. Cf. p. ex. U. DEPREZ, Les juridictions du travail, in Revue de l’Université de Bruxelles, 1978, nos 1-3, p. 277, cité par J. LENOBLE et F. OST, Droit, mythe et raison..., op. cit., p. 268, note 39.
436 Cl. DU PASQUIER, Valeur et nature de l’enseignement juridique, Genève, 1950, p. 22, cité par F. OST et M. van de KERCHOVE, Le « jeu » de l’interprétation..., op. cit., p. 408.
437 Cf. ibidem.
438 F. OST et M. van de KERCHOVE, Le « jeu » de l’interprétation..., op. cit., p. 408.
439 G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, Paris, 1944, p. 14 cité par ibidem.
440 L. FAVOREU, L’apport du Conseil constitutionnel au droit public, in Pouvoirs, 1980, no 13, p. 23.
441 Ibidem, p. 20.
442 M. BARZIN, op. cit., p. 335.
443 Cf. M. SOMERHAUSEN, Naar een „gouvernement des juges”, in T.B.P., 1976, p. 131-135.
444 Cf. A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution..., op. cit., p. 604, note 200 et P. DE VISSCHER, La sauvegarde..., op. cit., p. 97.
445 Certains disent qu’un juge constitutionnel ne fait pas de politique « politicienne », mais seulement de la « haute politique ». Cette présentation nous semble à éviter, parce qu’elle conduit à confondre des genres distincts : le juge n’est pas et ne peut pas être ce qu’on appelle un « homme d’État » (notion d’ailleurs ambiguë et qu’il ne faudrait pas trop vite opposer à la figure du « politicien », mais c’est une autre histoire...).
446 A. VANWELKENHUYZEN, intervention au cours des 6" journées d’études juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 543. L’auteur parlait plus précisément de la tradition de ne pas contrôler la constitutionnalité. Nous pensons que son propos s’applique aussi à la tradition tout court. Adde intervention de J. DE MEYER au cours des mêmes journées, op. cit., p. 541.
447 D. LOSCHAK, Le Conseil constitutionnel protecteur des libertés ?, in Pouvoirs, 1980, no 13, p. 41.
448 Cf. L. FAVOREU, Les décisions du Conseil constitutionnel dans l’affaire des nationalisations, in R.D.P., 1982, p. 419.
449 Décision no 81-132 D.C. du 16 janvier 1982, in R.D.P., 1982, p. 423. Cf. ibidem p. 406-408.
450 Cf. ibidem.
451 Cf. ibidem, p. 386.
452 Comp. G. CARCASSONNE, Une voie sans issue ? La recherche de variables politiques objectives, in Pouvoirs, 1980, no 13, p. 95-100.
453 Sur les étapes de cette progression, cf. J. RIVERO, Fin d’un absolutisme, in Pouvoirs 1980, no 13, p. 11 et suiv.
454 Comp. A. VANWELKENHUYZEN, De quelques lacunes du droit constitutionnel belge, in Le problème des lacunes en droit, études publiées par Ch. PERELMAN, Bruxelles, 1968, p. 360.
455 Cf. en ce sens M. VANQUICKENBORNE, Quelques réflexions sur la notion de validité, in A.P.D., 1968, p. 195.
456 Cf. en ce sens l’excellente approche de Y. LEJEUNE et H. SIMONART, Réflexions sur l’interprétation de l’article 78 de la Constitution, in Ann. Dr., 1980/2-3, p. 135-146.
457 Dans l’espace limité qui nous reste, nous ne pouvons que livrer des indices de cette tendance. La démarche du Conseil d’État dans l’arrêt Masip nous paraît exemplaire. D’aucuns la croient exceptionnelle (cf. M. LEROY, op. cit., p. 57, note 87). Nous pensons qu’elle est rarement aussi explicite, mais qu’elle est récurrente. La haute juridiction administrative déclare : « si le principe de l’égalité des citoyens devant la loi, consacré par l’article 6 de la Constitution, est fondamental dans un régime démocratique, le champ d’application de ce principe est nécessairement déterminé par la conception que le constituant s’est faite, et par celle que le législateur se fait à tout moment des exigences de son respect ; que ce champ d’application se circonscrit donc dans les limites que la Constitution a établies ou consacrées, et varie selon les extensions que le législateur lui donne à raison des circonstances qu’il prend en considération ». Et le Conseil d’État de chercher ensuite dans la législation si le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi implique celui de l’égalité des sexes (C.E., no 16.303, 15 mars 1974, R.A.A.C.E., p. 263). Adde à propos des nouvelles interprétations que le législateur donne à cet article 6 de la Constitution, F. DELPÉRÉE et H. DUMONT, L’égalité, à la troisième génération, in De Grondwet Honderdvijftig Jaar, op. cit., p. 95-128. Dira-t-on que le principe d’égalité constitue un exemple trop « facile », on peut se tourner vers la liberté d’enseignement (personne ne prétend que la législation scolaire est contraire à l’article 17 de la Constitution, et pourtant que reste-t-il de cet article ?), vers l’article 67 de la Constitution (A. MAST, L’interprétation de la Constitution, op. cit., p. 545, note 48, relève que le pouvoir judiciaire admet que le pouvoir exécutif dispose d’une grande marge d’appréciation pour « exécuter » les lois. Nous y voyons moins le signe d’une interprétation audacieuse que le pouvoir judiciaire procurerait à l’article 67 que la trace du respect « naturel » que ce pouvoir ne peut manquer de conserver vis-à-vis des interprétations, même larges, que le pouvoir exécutif donne aux lois), vers l’article 78 de la Constitution (cf. supra), vers les articles 31 et 108 (cf. D. DEOM et G. de KERCHOVE, L’intérêt communal, in Ann. Dr., 1980/2-3, p. 147-205 : l’intelligente position de repli que ces auteurs sont contraints d’adopter pour maintenir au profit du concept d’« intérêt communal », un sens normatif compatible avec ce que la législation en a fait, nous paraît symptomatique), etc. Adde pour un arrêt du Conseil d’État qui interprète explicitement un arrêté royal en fonction d’une circulaire : C.E., no 12.958, 15 mai 1968, Ploegaerts, R.A.A.C.E., p. 385 (cité par M. LEROY, op. cit.. p. 57, note 87).
458 L’observation de K. RIMANQUE (De interpretatie..., op. cit., p. 57) est cependant révélatrice : trop souvent, remarque-t-il, on interprète la Constitution en fonction de son exécution ou de son application légale. L’auteur regrette ce phénomène et accuse la doctrine de s’en rendre complice, mais il reste en défaut d’en expliquer les raisons.
459 M. VANQUICKENBORNE, op. cit., p. 191.
460 M. TROPER, Le problème..., op. cit., p. 150.
461 Cf. ibidem, p. 149.
462 Nous empruntons ces concepts à J. LENOBLE et F. OST, Droit, mythe et raison, op. cit., p. 123.
463 Cf. F. OST, Juge-pacificateur..., op. cit., supra, p. 46 et suiv.
464 Cf. supra, p. 145.
465 J. LENOBLE et F. OST, Droit, mythe et raison, op. cit., p. 145.
466 Cf. supra, p. 122-123.
467 Cf. A. BEIRLAEN, La distinction entre les différends juridiques et les différends politiques dans la pratique des organisations internationales, in R.B.D.I., 1975/2, p. 405-441 ; J. VERHOEVEN, A propos de la fonction de juger en droit international public, infra, p. 466 et suiv. Faut-il préciser que les cours constitutionnelles étrangères connaissent très bien ces glissements entre conflits de compétence et conflits d’intérêt ? Ainsi, en R.F.A., le principe de la « Bundestreue » fait « glisser les conflits d’intérêt dans la sphère des conflits de compétence » : cf. F. PERIN et B. DEWEZ, op. cit., p. 170.
468 Aussi, la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980 a dû préciser dans son article 33, §4, que « dans l’hypothèse où une procédure relative à un conflit de compétence a été ou est engagée, toute procédure de règlement d’un conflit d’intérêt sur la même matière est suspendue ».
469 Cf. la section 2 du premier chapitre.
470 Cf. M. van de KERCHOVE et F. OST, Possibilité et limites d’une science du droit, in R.I.E.J., 1978/1, p. 1 et suiv.
471 Sur cette tendance générale de la discipline juridique, cf. M. MIAILLE, Introduction critique au droit, Paris, 1976, 1re partie.
472 Cf. la date du premier article qui réveille la controverse : G. VANDEN BOSSCHE, Le régime parlementaire en Belgique, in B.J., 1925, col. 550 (il s’agit d’un discours prononcé le 20 octobre 1925). Cf. les allusions à une hypothétique majorité communiste faites par H. DE COCK, op. cit., col. 51 et par L. HALLET, op. cit., col. 365, en 1928. Sur cette période de l’histoire de notre pays, cf. notamment G. H. DUMONT, Histoire de la Belgique, Paris, 1977, p. 460 et suiv.
473 Cf. G. VANDEN BOSSCHE, La loi des « pleins pouvoirs » et l’avenir du régime parlementaire, in B.J., 1926, col. 589 : « Je suis... de ceux, déclare l’auteur, qui croient que, si le rôle du Parlement est peut-être menacé de déclin, celui du pouvoir judiciaire pourrait bien être appelé, dans un avenir prochain, à se développer et à grandir ». Son plaidoyer en faveur d’un contrôle judiciaire s’insère dans un ensemble de propositions visant à « limiter le législatif », notamment par une diminution du nombre de parlementaires, et à accroître les qualités intellectuelles de ceux-ci. Un vote plural destiné à avantager le père de famille nombreuse est aussi suggéré. Adde les allusions aux défaillances du régime parlementaire de L. HALLET, op. cit., col. 353 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 337.
474 Cf. p. ex. G. VANDEN BOSSCHE, Le régime parlementaire..., op. cit., col. 550 ; H. ROUSSEAU, intervention au cours des 6es journées d’études juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 545 ; P. DE VISSCHER et F. DELPERÉE, op. cit., p. 246 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution..., op. cit., p. 600 ; F. DUMON, De l’État de droit, op. cit., p. 475 ; du même. Les conflits de compétence, op. cit., p. 321 ; P. DE VISSCHER, La sauvegarde..., op. cit., p. 99 ; J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 127.
475 Cf. p. ex. G. VANDEN BOSSCHE, Le régime parlementaire..., op. cit., col. 550 ; H. ROUSSEAU, intervention au cours des 6" journées d’études juridiques Jean Dabin, op. cit., p. 545 ; P. DE VISSCHER et F. DELPERÉE, op. cit., p. 246 ; A. VANWELKENHUYZEN, L’attribution..., op. cit., p. 600 ; F. DUMON, De l’État de droit, op. cit., p. 475 ; du même. Les conflits de compétence, op. cit., p. 321 ; P. DE VISSCHER, La sauvegarde..., op. cit., p. 99 ; J. VELU et A. VANWELKENHUYZEN, op. cit., p. 127.
476 H. KELSEN, La garantie juridictionnelle de la Constitution (La justice constitutionnelle), in R.D.P., 1928, p. 250 cité par A. VANWELKENHUYZEN, ibidem ; adde P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, ibidem ; W.J. GANSHOF van der MEERSCH, concl. citées avant Cass., 3 mai 1974, p. 566-567.
477 L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, t. III, 1923, p. 673 cité par E. HULIN, op. cit., p. 214.
478 M. CAPPELLETTI, Nécessité et légitimité..., op. cit., p. 464.
479 Cf. ibidem, p. 461 et réf.
480 Cf. notamment J. RIVERO, L’État moderne peut-il être encore un État de droit ?, in Ann. Fac. Dr. Liège, 1957, p. 65-101 ; W. LEISNER, L’État de droit. Une contradiction ?, in Mélanges Ch. Eisenmann, op. cit., p. 66-79 ; J.-P. HENRY, op. cit.·, J.-M. VINCENT, Kelsen et l’État de droit, in Analyse de l’idéologie (Centre d’Étude de la Pensée Politique), t. I, Paris, 1980, p. 239-250 ; F. TERRE, La « crise de la loi », in A.P.D., 1980, p. 17 et suiv. ; M. van de KERCHOVE, Le problème des fondements éthiques de la norme juridique et la crise du principe de légalité, in La loi dans l’éthique chrétienne, Bruxelles, 1981, p. 44-44-86 ; D. LOSCHAK, Le principe de légalité. Mythes et mystifications, in A.J.D.A., 1981, p. 387-401 ; F. OST, Juge-pacificateur..., op. cit., supra, p. 11 et suiv., et 22 et suiv. Notons que l’idéal de l’État de droit est en même temps beaucoup rappelé (cf. F. DUMON, De l’État de droit, in J.T., 1979, p. 473 et suiv.) et analysé (cf. Bl. BARRET KRIEGEL, L’État et les esclaves, Paris. 1979).
481 F. OST, ibidem.
482 Ibidem supra, p. 19.
483 Cf. H. KELSEN, Théorie pure du droit, 1re éd., trad. H. THEVENAZ, Neuchâtel, 1953, p. 129-134 et 2e éd., trad. Ch. EISENMANN, Paris, 1962, p. 360-367.
484 Cf. M. van de KERCHOVE, Le problème des fondements éthiques..., op. cit.
485 A. BLONDEL, op. cit., p. 292.
486 PORTALIS, Discours au corps législatif, le 23 frimaire, an IX, sur le premier projet du titre préliminaire du Code civil, cité par Ch. FAIDER, Etude sur..., op. cit., p. 478, note 1 (souligné par nous).
487 Sur cette « coïncidence », cf. E. PISIER KOUCHNER, L’obéissance et la loi : le droit, in Histoire des idéologies, sous la direction de F. CHÂTELET et G. MAIRET, t. III Paris, 1978, p. 127.
488 Cf. L. SOENENS, op. cit., col. 616 ; P. VERMEERSCH, op. cit., col. 327 328 ; R. WARLOMONT, Le pouvoir judiciaire devant la loi inconstitutionnelle, op. cit., p. 52.
489 P. VERMEERSCH, ibidem, col. 340.
490 E. HULIN, op. cit., p. 201.
491 M. van de KERCHOVE, Le problème des fondements..., op. cit., p. 85.
492 G. VANDEN BOSSCHE, Le régime parlementaire. Questions spéciales, in B.J„ 1927, col. 579-580 (à propos de G. Renard).
493 M. CAPPELLETTI, Nécessité et légitimité..., op. cit., p. 464 et suiv.
494 Ibidem, p. 468.
495 Cf. p. ex. M. CAPPELLETTI, Quelques précédents historiques du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, in Studi in memoria di Tullio Ascarelli, Milan. 1969, p. 2790.
496 F. OST, Cours de sources et principes du droit, Bruxelles, F.U.S.L., 1982-1983.
497 Cf. à cet égard la mise au point de P. DE VISSCHER et F. DELPÉRÉE, op. cit., p. 283 : ces auteurs estiment qu’« une conception extensive de la notion de Constitution doit être... radicalement exclue ». Comp. J. DABIN, La philosophie de l’ordre juridique positif, op. cit., p. 733-745 : M. Dabin ne croit pas qu’il soit possible de fermer la voie à cette conception extensive et à ses dangers.
498 J. M. VINCENT, op. cit., p. 240.
499 Cf. p. ex. les décisions constitutionnelles prononcées entre 1973 et 1977 aux USA, en France et en RFA, à propos de l’avortement. Voy. A. GROSSER, Cours constitutionnelles et valeurs de référence, in Pouvoirs, 1980, no 13, p. 117 et suiv., en particulier l’opinion des deux juges minoritaires du Tribunal de Karlsruhe reproduite page 123.
500 F. OST, Juge-pacificateur..., op. cit., supra, p. 59.
501 Cf. en ce sens K. RIMANQUE, Overwegingen..., op. cit., p. 261.
502 F. RIGAUX, Le droit au singulier et au pluriel, in R.I.E.J., 1982/9, p. 27.
503 Sur ce problème, cf. ibidem, p. 23-29.
504 P. DE VISSCHER, La sauvegarde..., op. cit., p. 96.
505 Cf. en particulier F. PERIN, Germes et bois morts dans la société politique contemporaine, Bruxelles-Paris, 1981, p. 75 et suiv. Adde nos observations : Autour de la démocratie, in R.I.E.J., 1982/9, p. 225 et suiv.
Auteur
Juriste
Assistant aux Facultés universitaires Saint-Louis et chercheur associé au Centre interuniversitaire de droit public
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