Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de justice
p. 1-70
Texte intégral
« Juger, c’est, de toute évidence, ne pas comprendre, puisque si l’on comprenait, on ne pourrait plus juger. »
A. Malraux, Les Conquérants, p. 56.
Introduction
1L’objet de l’étude collective dans laquelle s’inscrit le présent travail est l’analyse des modifications de prérogatives du pouvoir judiciaire ainsi que des multiples phénomènes de substitution au judiciaire de nouvelles instances de règlement des conflits et, plus largement, de contrôle social. L’effectivité de ces mutations et de ces débordements ne fait aujourd’hui aucun doute. Ainsi, l’Association internationale des sciences juridiques qui tenait, en juillet 1981, à Pau, un congrès sur le thème du « Règlement des litiges en dehors des tribunaux » prenait-elle la mesure du rétrécissement, constaté un peu partout dans le monde, du champ occupé par les institutions judiciaires1. De même, les magistrats français du syndicat de la magistrature, récemment réunis en congrès, dressaient-ils un bilan éloquent du phénomène : « l’idée que les conflits trouvent leur solution grâce à la justice a subi des ébranlements sérieux au cours de nos différents congrès : les contacts avec le monde du travail nous ont montré l’existence de rapports de force créés par les travailleurs pour imposer des solutions ; la délinquance d’affaires, le phénomène des multinationales ont révélé des résolutions de conflits ailleurs que dans le judiciaire ; notre réflexion sur la « justice quotidienne », tout le monde du crédit, du logement, de la santé, du cadre de vie, a mis en lumière des infinités d’acteurs chargés, légalement ou pas, de prendre en charge les litiges, d’éviter le judiciaire. Existent aussi de nombreux « circuits de dérivation » dans le chef de multiples administrations qui retiennent les litiges, les détournent du judiciaire ou choisissent seulement le judiciaire dans certaines conditions2. Et ces magistrats de tirer deux conclusions : « tantôt la justice perd son pouvoir purement et simplement au profit de services administratifs ou privés, tantôt c’est la justice elle-même qui fonctionne de plus en plus comme n’importe quelle administration »3.
2La présente contribution se propose de rendre compte de ce double phénomène de mutation et de dessaisissement de la façon la plus large et la plus compréhensive possible, en s’efforçant d’éviter les écueils tant de l’abstraction formelle par excès de généralité que celui du pointillisme analytique qui diluerait la compréhension des modifications en cours dans l’abondance des détails ; en se gardant aussi de céder à ce qui n’a parfois du changement que l’apparence, tout en évitant, par ailleurs, l’aveuglement dogmatique qui ne parvient pas à saisir la mouvance du donné social derrière les catégories juridiques.
3Pour ce faire, nous nous servirons de deux instruments méthodologiques : d’une part, nous réunirons un ensemble de paramètres explicatifs de l’évolution du judiciaire ; d’autre part, nous utiliserons la technique des modèles ou types-idéaux de M. Weber. L’utilisation de paramètres explicatifs, dont certains sont fort éloignés, à première vue, de l’œuvre du juge — ainsi l’étude du contexte économique et social ou des modes de légitimation du discours juridique — procède de l’idée que, en dernière analyse, on ne peut rendre compte des prérogatives du juge que si celles-ci sont immergées dans le réseau de relations et phénomènes sociaux dont elles procèdent. Par ailleurs, la réunion en un tableau cohérent de divers paramètres s’inscrit directement dans la construction de modèles ou types-idéaux qui constitue notre propos principal. Seul le type-idéal devrait permettre, nous semble-t-il, d’évaluer les bouleversements observés sans verser ni dans la spéculation pure, ni dans l’empirisme historiographique. Rappelons que pour Max Weber, le type-idéal est un tableau de pensées qui réunit des relations et des événements déterminés de la vie historique en un « cosmos non contradictoire de relations pensées ». Il s’agit d’une « utopie rationnelle » que l’on obtient en accentuant par la pensée des éléments déterminés de la réalité et en enchaînant une multitude de phénomènes. Il n’a d’autre signification que celle d’un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants, et avec lequel on la compare4. Dès lors, Il ne faut attendre du type-idéal ou du modèle, ni une description historique ou recension statistique de phénomènes concrets, ni une prévision de l’évolution future. Le modèle consiste en une projection fictive, une construction approchée, regroupant un maximum de traits pertinents de l’objet à expliquer et destinés à être confrontés aux institutions et phénomènes réels, précisément pour en mesurer l’écart à l’égard du modèle idéal-typique. Ce genre d’instrument heuristique nous paraît particulièrement bien adapté pour l’étude de phénomènes évolutifs dont la difficulté consite précisément à évaluer leur degré d’originalité et leur importance relative à l’égard d’un système global. En les confrontant systématiquement aux types idéaux proposés, on devrait pouvoir aboutir à repérer leur logique sous-jacente et ainsi à dessiner des tendances générales.
4En ce qui concerne plus particulièrement notre propos, nous établirons trois modèles ou types-idéaux de justice en utilisant, pour qualifier chacun, un critère de qualification juridique et un critère de qualification politique. Nous dégageons un modèle de justice coutumière-traditionnelle ; un modèle de justice légaliste-libérale et un modèle de justice normative-technocratique.
5Le modèle coutumier-traditionnel a précisément été approché par Weber lui-même à l’aide du type idéal de la justice du Cadi : justice rendue sur la place du marché par le Cadi, personnage respecté et sage, sur base de jugements de valeur concrets inspirés par une éthique matérielle5. Afin de ne pas compliquer l’analyse en y ajoutant une dimension ethnologique, nous n’étudierons pas la justice coutumière-traditionnelle telle qu’elle se présente dans une société musulmane. Nous emprunterons nos éléments d’analyse, sans pour autant prétendre faire œuvre d’historien du droit, à la justice royale rendue dans nos régions à l’époque carolingienne. Précisons encore que cette partie de notre propos sera la plus succincte, notre intention étant principalement d’appréhender les institutions et procédures qui se situent à la marge des modèles légalistes-libéraux et normatifs-technocratiques. Ce n’est cependant pas par complaisance envers les classifications trinitaires que nous retenons ce premier modèle ; il devrait nous permettre de relativiser notre conception de la justice et nous rappeler que le modèle légaliste-libéral, par rapport auquel nous évaluons les évolutions présentes, n’est pas le seul possible et nécessaire, le centre de gravité naturel de toute réflexion sur la justice.
6Précisément, ce modèle légaliste-libéral est celui que nous connaissons le mieux ; c’est lui qui est enseigné dans les cours universitaires de droit judiciaire, c’est lui qui structure l’idéologie officielle des agents de l’instance judiciaire, c’est lui encore qui a fait l’objet, quant à son aspect méthodologique, des précédentes recherches de notre séminaire6.
7De cette forme de justice caractérisée par le primat de la loi et la séparation des pouvoirs se détachent aujourd’hui bon nombre d’institutions de résolution de conflits et de contrôle social qu’on tentera de penser dans les termes du modèle de justice normative-technocratique. La solution au problème social posé y est élaborée sur base non plus de coutumes intériorisées ou de lois préétablies, mais de « normes » qui prétendent à la scientificité dans un cadre sociétaire où le pouvoir est exercé par les détenteurs du savoir. Le caractère normatif des sources mises en œuvre renvoie à la fonction normalisante exercée par la juridiction. Alors que la justice coutumière est casuiste et concrète, adaptée au cas d’espèce et inspirée par des valeurs matérielles, que la justice légaliste est formelle et logique, déduite de règles générales et de concepts abstraits, la justice scientifique est essentiellement fonctionnelle, téléologique, instrumentale, évolutive et pragmatique : est présentée comme juste, la solution la plus adéquate à l’objectif — la norme — proposé par le planificateur social, la prise en compte des valeurs matérielles ou des règles formelles étant, dans ce cas, secondaire.
8C’est dans la littérature anglo-américaine contemporaine que l’on trouve les exemples les plus récents d’application au phénomène juridique de la méthode que nous venons de proposer, alors même que la référence à Weber n’y est jamais explicite7. Les exposés les plus convaincants sont ceux de R. M. Unger et de Ph. Nonet et Ph. Selznick8. Unger dispose quatre types d’univers juridiques : un modèle interactionnel ou coutumier (customary law), un modèle bureaucratique (bureaucratic or regulatory law) par quoi il vise le droit des Etats centralisés et autoritaires, comme les Etats impériaux de l’Antiquité où le droit est au service du Prince, un modèle libéral (modèle de la rule of law) et enfin un modèle post-libéral consacrant le déclin de la rule of law (decline of the rule of law). On aura observé que Unger présente un modèle plus complexe que le nôtre dans la mesure où il ménage une transition entre la justice coutumière et la justice libérale au travers du stade « bureaucratique ». Nonet et Selznick, quant à eux, s’en tiennent à une présentation tripartite en négligeant le stade coutumier ; trois types de droit sont retenus : un modèle de droit répressif (repressive law) qui correspond, selon eux, au type « bureaucratique » de Unger9, un modèle de droit autonome (autonomous law) qui vise le droit des sociétés libérales, et enfin un modèle de droit adaptatif (responsive law) recouvrant les manifestations contemporaines de régulation juridique, issues de larges processus participatifs et ainsi informées des réalités sociales et soucieuses de s’y adapter de façon constante.
9Ces premières précisions étant apportées, il convient de présenter une série de réserves à l’égard de la méthode des types-idéaux que nous préconisons. Tout d’abord, il faut absolument se garder de concevoir la collection des modèles comme formant un enchaînement nécessaire et donné. S’agissant de projections idéales, elles peuvent être raffinées et multipliées sans limite ; par ailleurs, elles ne participent pas, dans notre esprit, d’un quelconque « sens de l’histoire » conduisant inéluctablement à une société meilleure ou pire. A cet égard, la typologie de Nonet et Selznick n’est pas exempte d’historicisme mêlé d’idéalisme, la progression des formes juridiques allant de la répression des intérêts sociaux à leur large prise en compte. L’analyse montre au contraire de multiples formes de chevauchement de types-idéaux au cours d’une même période historique et dans la même formation sociale, voire même des phénomènes de régression à un modèle apparemment dépassé.
10On mentionnera également, au chapitre des réserves, le fait que, en ce qui concerne les mutations et débordements des instances judiciaires, l’évolution est particulièrement hésitante, cahotique, contradictoire, semblant défier toute classification10. Si l’on s’en tient à l’observation des réactions de la doctrine juridique, et plus particulièrement encore, aux écrits des magistrats, formant habituellement une société homogène, la plus grande diversité d’opinions sur la réalité et l’opportunité des changements doit être enregistrée. A cet égard, on notera la Mercuriale du procureur général Dumon intitulée « Projets de réformes et fonction juridictionnelle » qui représente un effort presque pathétique de réfutation globale de toutes les atteintes et modifications aux prérogatives, compétences et statut actuels de la magistrature11. Aussi bien, la matière dont on aborde l’étude abonde en projets avortés, en demi-réformes, en retours en arrière. Manifestement fait défaut, comme nous le montrerons, un vaste projet de société, qui insufflerait quelque cohérence aux réformes entamées aujourd’hui par la bande et comme avec hésitation. Un exemple parmi d’autres : en France, le courant « familialiste », favorisant des conceptions médico-éducatives plutôt que des solutions strictement juridiques, a conduit à la création d’une vingtaine de « Chambres de la famille » regroupant l’ensemble du contentieux familial et travaillant en osmose étroite avec divers « techniciens des sciences humaines » (assistants sociaux, psychologues, psychiatres, conseillers conjugaux, etc.). Alors que tout pouvait donner à penser que cette évolution témoignait de la force irrésistible d’un courant familialiste qui « paraissait susceptible d’imposer un nouveau modèle de justice »12, cette expérience ne fut que très partiellement consacrée par la loi du 11 juillet 1975 instituant un « Juge aux affaires matrimoniales » et se heurte aujourd’hui à de fortes critiques. De façon significative, ces critiques émanent tant des milieux progressistes stigmatisant l’extension du contrôle social sur les familles13, que des milieux juridiques traditionnels s’inquiétant de leur dépendance accrue à l’égard de spécialistes du savoir et du traitement social, voire de leur élimination au profit d’instances et de professionnels plus fonctionnels dans le traitement prophylactique de la famille14. Deux modèles de justice entrent donc en concurrence, l’un qui s’inscrit dans la logique de l’Administration de la Santé, l’autre qui s’en tient au rôle traditionnel du juge « gardien des libertés », « ultime recours contre le terrorisme bureaucratique et scientifique »15, ou encore à son rôle répressif classique.
11Une autre difficulté de l’analyse que nous entamons est la dualité de son objet : dessaisissement et mutation du judiciaire. Ainsi, si certains phénomènes suggèrent un véritable déclin de l’institution judiciaire, d’autres, au contraire, traduisent un dynamisme retrouvé, une volonté positive d’adaptation aux changements qui lui fait résolument occuper des champs nouveaux. La manifestation peut-être la plus connue de cet activisme judiciaire est fournie par la Cour suprême des États-Unis, du moins sous la présidence de Chief Justice Warren. S’érigeant en interprète souverain de la Constitution, la Cour suprême des États-Unis a développé une véritable politique judiciaire, passant par exemple, au plan des relations interraciales, de la prohibition de la ségrégation à l’imposition de mesures positives d’intégration16. Plus proche de nous, on citera la réalisation en France, en 1967, du « projet périphérique » comportant la création de trois tribunaux de grande instance dans les nouveaux départements de la région parisienne17. Née à l’occasion d’un simple découpage administratif, l’expérience allait être l’occasion d’une véritable expérimentation de formes nouvelles de justice : on n’hésita pas à remodeler des compétences (regroupement, devant un même juge, des aspects civils et pénaux du contentieux familial), à assouplir les procédures (les magistrats n’hésitant pas à appeler les avocats au téléphone)18, à aménager de nouveaux horaires (désormais le magistrat fait des journées de huit heures à son cabinet et reçoit les justiciables)19, à se doter de moyens modernes de travail (concours de secrétaires, bureaux accueillants, téléphone et telex)20, et à recourir largement à l’informatique même pour la rédaction des décisions21. On comprendra qu’il est extrêmement malaisé de déterminer si ces changements constituent des aménagements de détail destinés à assurer une meilleure exécution de la mission traditionnelle du juge ou s’ils témoignent au contraire d’une mutation fondamentale qui transforme progressivement le juge en administrateur. La difficulté est encore accrue si l’on s’avise du fait que l’appréciation du changement et de la nouveauté est nécessairement fonction des évaluations politiques de l’interprète. Ainsi un auteur comme R. Abel montre que les techniques informelles de résolution des conflits (arbitrage, conciliation, médiation) ne diffèrent des modes formels que par la méthode : plutôt que d’imposer la solution dictée par la règle « égale pour tous », on obtient l’acceptation d’une solution « négociée » inspirée par la persuasion et une attitude thérapeutique. Dans les deux cas, fonctionne une stratégie de récupération ou de légalisation des conflits, avec l’avantage, pour les techniques informelles, « d’assujettir à l’autorité de nouvelles formes d’action »22. La véritable distinction, selon cet auteur, opposerait les conflits « légaux » qui maintiennent le statu-quo, aux conflits politiques susceptibles de redéfinir les rapports de force entre les protagonistes23.
12Quoi qu’il en soit de cette difficulté d’appréciation du changement et donc d’application de nos modèles, il est impératif d’étudier la problématique de la régulation sociale comme un tout, les modes judiciaires de résolution des conflits n’y apparaissant que comme un élément parmi d’autres. C’est à l’égard d’une stratégie globale de contrôle social qu’il convient d’apprécier les mutations et débordements du judiciaire. On fera, à cet égard, une dernière observation. Les réformes qui apparaissent le plus fréquemment réalisent des formules hybrides où interfèrent intervention judiciaire et intervention administrative : soit qu’une procédure administrative soit susceptible d’un recours devant une instance judiciaire (ainsi pour les abus de puissance économique ou pour la collocation)24, soit qu’une décision judiciaire ne soit prise qu’à l’initiative de l’Administration (ainsi en matière de réglementation des prix)25. S’en dégage alors souvent l’impression que la justice n’est qu’un rouage de l’Administration ou des pouvoirs corporatifs, un point de passage qui leur fournit soit, dans le premier cas, une légitimation (possibilité, plus ou moins théorique, d’un contrôle judiciaire de leur intervention), soit, dans le second cas, la formule exécutoire qui leur fait défaut. Mais même ainsi réduite à des domaines partiels et largement « déterminés par l’amont »26, la justice classique n’en exerce pas moins un rôle structurant et symbolique sur l’ensemble du contentieux, soit que, répressive, la menace de sa mise en œuvre conforte l’efficacité des mesures administratives, sociales, économiques, pédagogiques ou médicales qui sont imposées par d’autres instances27, soit que, protectrice des droits et libertés individuels, elle fournisse une possibilité, plus ou moins réelle selon les cas, de sanction de ces intérêts28. Ainsi donc, même si la nature de l’intervention judiciaire demeure dans certains cas inchangée, sa position dans le processus global de régulation sociale peut conduire à en subvertir la logique, d’où une difficulté accrue d’appréciation de son rôle au regard de nos trois types-idéaux de justice.
13Ces réserves étant faites, nous pouvons procéder à la mise en œuvre de ces trois modèles en passant successivement en revue les divers paramètres que nous avons retenus. Sans doute les observations faites à propos de chacun de ces paramètres sont-elles destinées à se compléter et à s’éclairer mutuellement ; ce n’est que pour la clarté de l’exposé que nous les livrons sous des chapitres distincts.
CHAPITRE 1. Contexte économique et social
14Le contexte économique et social du modèle de justice coutumière-traditionnelle est celui de sociétés rurales vouées essentiellement à la production agricole29. L’individu y est très fortement intégré aux structures familiales et de clan30. On se trouve encore en deçà de la distinction entre la société et l’Etat ; en revanche, la distinction entre membres du groupe et étrangers est vivement ressentie. L’indistinction de la société et de l’Etat explique le caractère coutumier du droit en vigueur : la règle émane du groupe de façon spontanée ; elle est intériorisée et exemplifiée plutôt que verbalisée et édictée.
15Le modèle de justice légaliste-libérale suppose une économie industrielle et urbaine dont l’archétype reste les sociétés occidentales modernes ayant développé un mode de production capitaliste. Ce type d’économie échangiste suppose une atomisation du corps social, la dissolution progressive des communautés de base (familles, villages), et une mobilité sociale croissante. En même temps, apparaît la séparation de la société, comprise désormais comme collection d’individus, et de l’État, censé représenter l’intérêt général. Le Chapelier peut soutenir, au terme de la révolution française : « il n’y a que l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général ». La sphère privée est l’arène de la compétition économique, la sphère publique est le siège du bien commun. Le rôle de l’État, dans ce type de formation sociale, est minimal : « en règle générale, écrit Bentham, rien ne doit être fait ou tenté par le gouvernement pour augmenter la richesse nationale. Etre tranquille doit être le maître-mot du gouvernement »31. L’ordre social est compris comme ordre à la fois évolutif (à la différence de celui des sociétés traditionnelles) et spontané : on s’en remet à la « main invisible » qui préside aux échanges ; on croit en la convergence des intérêts privés et de l’intérêt général. Il s’agit d’un ordre mûri dans la pratique, plutôt que fabriqué de toutes pièces : « cosmos » plutôt que « taxis », pour emprunter la terminologie de Hayek32.
16La séparation de la société et de l’État, d’une part, et l’atomisation du corps social, d’autre part, entraînent à leur tour le caractère public et positif de la réglementation juridique33. Le droit émane désormais de l’État et prend la forme de règles écrites, portées à la connaissance de tous. Par ailleurs, le caractère échangiste et libéral de cette formation sociale implique la généralité et l’autonomie du droit. Si chacun doit pouvoir, en théorie du moins, accéder comme individu libre et égal au marché et prendre part, comme citoyen, à la vie politique, sans qu’aucun groupe n’ait de titre juridique à monopoliser le pouvoir et les richesses, il faut en effet que les règles soient générales, qu’elles s’adressent également à tous, y compris à la puissance publique elle-même. En outre, si l’ordre social est une ordre spontané, il faut que la réglementation soit la plus abstraite possible, se bornant à fixer des standards et principes généraux de conduite (bonne foi, réparation des dommages fautifs, prudence et vigilance) en se gardant d’interférer dans la conduite du jeu social par des mesures administratives au sens large (administration économique, médicale, monétaire), d’où l’autonomie de la sphère juridique.
17Le modèle de justice normative-technocratique suppose, quant à lui, une société post-industrielle34, où l’État abandonne sa réserve et s’engage de plus en plus loin dans l’interventionnisme sous forme de redistribution, de planification, de subsidiation, de contrôle, d’orientation, d’investissement, etc. Deux traits marquants caractérisent ces sociétés postindustrielles : d’une part, l’État y prend la forme de « l’État-providence », « Welfare State »35, d’autre part, il connaît une forme de corporatisation croissante qui, à cet égard, semble le faire régresser à un stade prélibéral.
18A la faveur de la croissance économique, l’État accroît sans arrêt les prélèvements obligatoires sur les revenus des ménages et des entreprises, afin d’opérer une socialisation des risques et une certaine redistribution des richesses. Le point limite est sans doute atteint lorsque l’État garantit le « bonheur » des citoyens ; ce point est frôlé dans notre législation, avec la loi du 8 juillet 1976, organique des « Centres publics d’aide sociale », en néerlandais « Openbare centra voor maatschappelijk welzijn » — ce qui doit se traduire par « centres publics de bien-être social ». Le but de la loi nouvelle est-il de garantir le droit au « bien-être social » ? Un amendement en ce sens fut rejeté, le Ministre arguant que ce serait reconnaître « le droit au bonheur », ce qui « serait assez illusoire »36. Néanmoins l’article premier de cette loi établit pour « toute personne » le droit à « l’aide sociale » en vue de « permettre à chacun de mener une vie conforme à la dignité humaine » ; ce droit recouvre l’aide matérielle mais aussi l’assistance psychologique, médicale et sociale conçue dans le sens le plus large. La question qui se pose alors — très révélatrice pour notre propos — est de savoir si le droit à l’aide sociale constitue un droit subjectif au sens propre du terme et si l’exécution peut en être réclamée devant un juge ordinaire. L’avis du Conseil d’État à cet égard est fort net : s’avisant de ce que les dispositions de la loi « sont pour la plupart rédigées en termes tellement vagues et généraux qu’elles ne sauraient être regardées comme définissant des droits subjectifs », cette haute instance conclut que le « droit à l’aide sociale constitue tout au plus une déclaration de principe »37, et qu’il ne convient pas d’en confier le respect à « un organisme à caractère juridictionnel dont la mission est d’appliquer des règles juridiques »38.
19Plus tard, ce droit à l’aide sociale fut défini par la Commission de la santé publique et de la famille de la Chambre comme un « nouveau genre de droit » appelant, pour sa sanction, une « solution sui generis »39. La loi du 8 juillet 1976 instaura à cette fin une nouvelle juridiction administrative : la Chambre de recours provinciale présidée par un magistrat (art. 69). Au moment donc où l’on tendait à renforcer le caractère juridique de l’aide sociale aux défavorisés (passage de l’assistance au droit à l’aide sociale) s’opérait la prise de conscience de ce que les cadres juridiques traditionnels ne convenaient pas à une intervention aussi ambitieuse ; pour y répondre, la loi, le droit subjectif et le juge hérités du système libéral doivent véritablement changer de nature40.
20Cette « Providence » étatique n’est cependant ni neutre, ni désintéressée : du même mouvement où l’État assiste et subventionne, il contrôle et normalise. L’aide sociale généralisée permet d’intégrer un maximum de personnes dans les circuits économiques de la consommation et maintient les autres sous un contrôle vigilant. Tout comme la loi du 8 juillet 1976 réalise le passage à la limite en matière d’aide sociale, une proposition de loi du 20 juin 1973 relative aux tribunaux de la famille41, réalise le passage à la limite en matière de contrôle social. En son article 13, alinéa 1°, ce texte dispose que le comité de protection de la jeunesse et de la famille intervient « lorsqu’une famille ou toute personne quelconque se trouve en difficulté pour quelque cause que ce soit ou même lorsqu’il y a lieu de craindre que celle-ci soit en difficulté ». Il est clair que, ici aussi, pour s’acquitter d’une telle mission, on ne saurait faire appel au juge légaliste-libéral classique.
21Mais l’extension indéfinie de l’État-Providence n’est cependant pas assurée. Deux facteurs viennent aujourd’hui remettre en question son développement apparemment sans limite. Il s’agit, d’une part, de la crise économique généralisée, qui, infirmant « l’équation keynésienne » qui avait assuré pendant plusieurs décennies le développement conjoint de la croissance économique et du progrès social42, entraîne aujourd’hui un retour à des expériences néo-libérales. L’État tente de renoncer à une partie de ces interventions dans le jeu économique et social et en revient, sur le plan pénal, à une politique de répression plus classique. Il s’agit, par ailleurs, d’une crise idéologique sous forme de doute quant à la solidarité anonyme et à l’égalité comme finalité sociale. Alors même que les transferts sociaux n’ont jamais été aussi intenses, aucun élément symbolique, aucune représentation sociale ne réanime la volonté de vie collective et solidaire43.
22Cette hésitation, de plus en plus perceptible, entre État providence et État néo-libéral contribue très certainement à expliquer le caractère cahotique et contradictoire des réformes apportées aux institutions judiciaires.
23Un second trait caractérise nos sociétés post-industrielles : la dissolution des frontières entre sphères publique et privée et la corporatisation du corps social qui en découle. Des intérêts privés s’organisent, auxquels sont confiées des responsabilités de puissance publique ; des finalités générales se discutent entre puissants partenaires privés et des responsabilités étatiques se répartissent entre eux. A l’image du grand contrat social rousseauiste, se substitue aujourd’hui la négociation permanente de multiples contrats sociaux régionaux et sectoriels44. On a pu comparer, à cet égard, la société nationale à la société internationale : entité formée de puissances souveraines ne s’associant que dans la mesure de leur intérêt45. Ballotté entre ces intérêts contradictoires, tiraillé dans des compromis sans cesse remis en cause, l’État en est alors souvent réduit à prendre des décisions plus symboliques que réelles. Prenant des mesures sans avoir les moyens financiers ou la volonté politique de les exécuter, l’État devient État-spectacle, masquant son impuissance de fait derrière des réformes en trompe l’œil46. Cette corporatisation du corps social et l’affaiblissement corrélatif de l’État central expliqueront, nous le verrons, l’émergence de juridictions sectorielles, de modes de solution ad hoc et aussi l’échec de certaines réformes, faute de crédits nécessaires à leur mise en œuvre47.
24Plus généralement, les caractères « providentiel » et corporatiste de l’État post-industriel emportent de profondes répercussions sur la sphère juridique. Les interventions de l’État en vue de régenter les divers aspects de la vie collective impliquent des politiques particulières et conjoncturelles : il convient de promouvoir tel type d’intérêt, d’atteindre tel résultat sur base de tels moyens et en fonction de telles connaissances. La généralité et l’autonomie du droit libéral sont ainsi sacrifiées à la bonne fin de politiques déterminées. Par ailleurs, la prolifération des « corps intermédiaires » et la segmentation de la société qui en résulte entraînent l’effritement des caractères public et positif de la réglementation. De multiples groupes sont régis par des sources juridiques autonomes (phénomène croissant du pluralisme juridique), tandis que de nombreuses règles « étatiques » s’avèrent originaires de milieux privés48, phénomènes qui ne manquent pas de compromettre la positivité et la publicité du droit en vigueur.
CHAPITRE 2. Mode de légitimation et de connaissance du droit
25Dans une société coutumière-traditionnelle, le consensus social est très intense, sans doute parce qu’il est peu verbalisé et conscient. La vie sociale et institutionnelle ne fait, en effet, pas l’objet d’une prise de conscience nette et distincte : l’homme est intégré dans des structures ressenties comme plus naturelles que sociales, sur le modèle de la structure familiale. Comme il est intégré dans une famille ou un groupe sans pouvoir modifier cette situation, l’homme participe d’une vie collective donnée, stable et inéluctable. Dans ces conditions, on se trouve encore en deçà de la distinction entre faits et valeurs, causalité et normativité, comportements et règles ; ce qui est, doit être et ce qui doit être, arrive. Le discours de légitimation s’appuie sur les thèmes de la fatalité, de la tradition et de la divinité. Jusque tard dans l’histoire occidentale, la figure divine incarnera cet accord toujours recherché entre ordre cosmique et ordre social.
26Avec la modernité, s’ouvre une brèche entre nature et société qu’il sera bien difficile de combler. L’homme prend conscience de sa faculté d’interférer dans le déroulement de sa vie personnelle et de l’existence collective. Du coup, apparaît le caractère conventionnel des règles juridiques et « auto-instituant » de la société49. L’idéologie démocratique constitue, dans ce contexte, la solution la plus rationnelle : c’est dans le contrat social que le pouvoir et la règle trouvent leur appui le plus solide, cela sans négliger la récurrence des discours traditionnels de légitimation (Dieu, la nature,...)50. Où nous trouvons une nouvelle version de l’autonomie du juridique à ce stade : l’obéissance à la loi est légitime parce qu’elle n’est que l’obéissance à une loi que la société se donne à elle-même. Il s’agit d’une légitimation formelle et immanente, ou encore d’une « auto-légitimation » : le bien-fondé d’une solution juridique réside dans la compétence de son auteur et la régularité de la procédure suivie, plutôt que dans son contenu matériel ou son effet social. Quant à la revendication de justice, elle se satisfait de la cohérence interne du discours juridique : qu’une règle soit générale et abstraite, qu’elle trouve sa place dans un ensemble de règles formant système et qu’elle fasse l’objet d’une application uniforme et impartiale, elle aura satisfait aux exigences de justice dans une société libérale. On résumera d’un mot en disant qu’ici la légalité de l’autorité et du droit leur tient de légitimité ; l’État est un « État de droit », caractérisé par le principe de la « Rule of Law »51. Etudiant ce principe de légalité, L. Fuller a pu en dégager huit caractères qui, réunis, forment ce qu’il appelle la « moralité interne » du droit — celle qui suffit, dans une société libérale, à faire toute la moralité du droit ; il s’agit de la généralité de la règle, de sa promulgation, de sa clarté, de sa non-rétroactivité, de sa stabilité, de sa compatibilité avec les autres règles, de son applicabilité pratique, de son application conforme à son prescrit52.
27Sur le plan de l’anthropologie juridique, on observera que l’homme est désormais affranchi de la tutelle des groupes naturels qui auparavant l’enserraient. L’homme juridique est un individu générique, libre, égal et responsable de ses actes.
28Les sociétés post-industrielles, ou encore de « capitalisme avancé » connaissent de façon générale une crise de légitimité53. Il semblerait que l’idéologie démocratique ne soit pas intégralement passée dans les masses et que les démocraties enregistrent « un échec à produire collectivement des normes rationnellement adéquates aux idéaux d’égalité et de liberté »54. Selon Habermas, cette crise de légitimation ne se traduit pas tant par une instabilité politique que par une passivité généralisée des citoyens. Ceux-ci troquent leur liberté d’action et de pensée contre leur sécurité à l’intérieur du système ; ils s’en remettent à des décideurs censés compétents qui s’entendent à s’assurer leur loyauté diffuse par la planification idéologique et l’emploi, plus symbolique que réel, de procédures de consultation. Dans ces conditions, le discours de légitimation n’invoque plus des valeurs matérielles déterminées, ni même la régularité des procédures suivies, mais adopte une logique instrumentale ou technique ; on parlera de « légitimation technocratique »55, ou encore on soutiendra, avec Habermas, que désormais « la science et la technique tiennent lieu d’idéologie »56. L’idéologie technocratique repose en fait sur une légitimation par la performance ou l’efficience ; une chose est bonne si elle s’avère adéquate au but poursuivi et ce but lui-même est désirable s’il produit des résultats satisfaisants eu égard à une finalité plus générale. De proche en proche, s’érige ainsi un système finalisé au sein duquel la logique de la performance risque bien de prendre le pas sur la désirabilité en elle-même de l’objectif poursuivi. De sorte qu’une relation instrumentale ou causale (la relation moyen-fin) finit par se substituer à une relation évaluative ou normative. La connaissance des rapports entre éléments du système et la technique de manipulation efficiente de ceux-ci tiennent lieu d’éthique. Extrapolée au plan sociétaire, cette logique technocratique conduit à la mise en place de vastes « technostructures »57, ou systèmes régulés sur l’optimisation de leur performance, indépendamment des projets et désirs des citoyens58. La poursuite de la croissance pour elle-même en constitue la meilleure illustration. Il est clair que, dans ce cadre, la fonction de la réglementation juridique est purement instrumentale ; le droit prête la formule exécutoire à des normes dictées par des politiques particulières ; ou encore, la performativité du juridique est inféodée à la performance du système. Une telle planification sociale repose, à la réflexion, sur un double postulat, également contestable : elle suppose d’abord qu’il soit possible de connaître l’état initial d’un système, c’est-à-dire l’ensemble des variables influençant son développement59, et elle implique ensuite qu’on parvienne à déterminer à l’avance la trajectoire qu’il empruntera nécessairement. Il semble bien que, sur ces deux points, les détenteurs du savoir se fassent beaucoup d’illusions, la particularité des phénomènes humains et sociaux étant précisément leur capacité d’influencer ou rétroagir sur la connaissance qu’on en prend et le traitement qu’on leur réserve. Ce néo-déterminisme influence cependant profondément l’anthropologie juridique contemporaine : déterminé par son milieu social et son capital génétique, l’homme juridique n’est plus livré à sa liberté formelle, il a besoin d’être assisté, protégé, mais aussi contrôlé et traité. Deux manifestations parmi d’autres de cette évolution : aux droits de l’homme classiques comprenant les libertés formelles s’ajoutent aujourd’hui les droits économiques et sociaux, tandis que, sur le plan pénal, le concept de dangerosité se substitue progressivement à celui de responsabilité.
29Face à cette crise de légitimation et aux dangers de l’idéologie technocratique, des voix se font entendre aujourd’hui en vue de ranimer l’idéal démocratique, sous forme d’une théorie du consensus : est bonne la solution acceptée par « l’auditoire universel » (Perelman), confortant des « intérêts universalisables » (Habermas). Il semble bien que l’idéalisme inhérent à un tel discours de légitimation ne pourra être surmonté que si la poursuite du consensus est équilibrée par le respect des différences ou capacité d’intégrer les dissensus, tout comme le savoir scientifique lui-même ne peut tendre à la vérité qu’en poursuivant une dialectique permanente entre acceptation des paradigmes et révolutions scientifiques60.
30Pour terminer ce chapitre, quelques observations relatives au savoir juridique dans les trois modèles retenus. Dans un univers coutumier-traditionnel, n’existe bien entendu pas de science juridique qui se donne pour telle61 ; le droit est recueilli dans la mémoire collective et exprimé dans le jugement des plus sages, souvent des plus anciens. En revanche, le droit légaliste-libéral développe un discours savant sous forme de doctrine ou de dogmatique (savoir en forme de définitions et de classements qui rationalise son objet sans chercher à le questionner) monopolisé par les nouveaux professionnels du droit. Enfin, le savoir juridique qui prévaut dans un modèle normatif-technocratique connaît une forme de dédoublement, à la doctrine juridique proprement dite venant s’ajouter une étude de l’homme et de la société. C’est que le droit n’apparaît plus comme un ensemble clos de normes tombées du ciel et s’appliquant sans distorsion au corps social. Dans le cadre du système social global, le droit n’est plus qu’une variable parmi d’autres, susceptible d’être lui-même conditionné, tant dans son élaboration que son application, par ces autres variables. A la limite, la science juridique perdrait sa spécificité, s’il s’avérait qu’elle était progressivement absorbée par un savoir socio-économique ou socio-médical général par exemple. Sans aller aussi loin, il est clair, comme nous le verrons plus loin, que les mutations tant des discours de légitimation que des formes de savoirs juridiques retentissent sur la pratique judiciaire.
CHAPITRE 3. Fonction du droit
31La fonction du droit dans une société traditionnelle, dont le rythme de développement est imperceptible aux acteurs sociaux, consiste à garantir le statu-quo, à maintenir ou rétablir la paix, vitale à la survie du groupe. La manifestation du droit ne prend d’ailleurs ni la figure du législateur, ni celle de l’administrateur, mais bien plutôt celle du juge-pacificateur. Ainsi s’exprime G. Duby à propos du droit franc : « la première fonction du souverain (...) est donc de maintenir (...) la paix et la justice. Au roi, revient la tâche de concorde et de conciliation. Il doit apaiser les conflits, éteindre les haines et amener ceux qui sont déchirés par la colère et la rancune à se donner devant lui le baiser de paix. Le roi est d’abord le juge, celui qui fait la paix, qui apaise : rex pacificus »62.
32Contrairement à ce qu’on lit parfois, la fonction du droit, dans une société libérale, n’est plus le maintien du statu-quo ; il s’agit bien plutôt de garantir le développement spontané du jeu social en l’encadrant à l’aide d’un minimum de règles du jeu impératives. Les fonctions dévolues à « l’Etat-gendarme » sont des fonctions d’autorité et d’encadrement, ce qui se traduit dans la réglementation qui vise essentiellement à protéger un ordre public conçu de façon assez restrictive. En sus de ces règles prohibitives, le droit reconnaît des droits subjectifs largement inconditionnés et discrétionnaires, sur le modèle du droit de propriété défini à l’article 544 du Code civil, et garantit les libertés formelles classiques à l’encontre de l’Administration et, plus rarement, lorsqu’un contrôle de constitutionnalité des lois est mis en place, à l’égard du législateur lui-même. Ce n’est qu’à titre supplétif que certaines dispositions présentent aux parties défaillantes des modèles de conduite déterminés. Les règles juridiques sont donc essentiellement des règles d’arbitrage du libre jeu du marché permettant de sanctionner des infractions, de réparer les dommages, de résoudre les conflits ; ce n’est qu’exceptionnellement que la règle a pour vocation de guider réellement les comportements des acteurs sociaux.
33Avec le passage de la société libérale à la société post-industrielle, la fonction du droit se transforme profondément. D’arbitre des échanges sociaux, le droit devient désormais instrument actif du changement social63, technique de gestion qui vise à promouvoir le développement économique et social optimum de la cité, et par là, à diriger pratiquement l’ensemble des activités de ses membres. Aux normes prohibitives classiques viennent s’ajouter des normes positives visant à promouvoir le progrès social entendu au sens le plus large. A côté des anciennes missions d’autorité, le droit réglemente aujourd’hui « de vastes secteurs de gestion, de prestation de services, d’allocation et de redistribution des ressources » ; il se voit aussi confier « la mise en œuvre d’actions de progrès, de stimulation et d’innovation »64. La main visible de l’État se substitue à la main invisible chère aux libéraux65, et la Providence étatique supplée celle du marché. Analysant l’évolution du régime juridique des biens depuis le Code civil jusqu’à nos jours, A. J. Arnaud a pu écrire que le droit français des biens se trouve aujourd’hui « entre jeu et providence ». L’équilibre supposé par la participation au jeu économique — égalité au moins potentielle de statut des « joueurs », d’accessibilité aux « mises » et de maîtrise des « coups » autorisés — est une hypothèse qui, avec le temps, s’est avérée fictive. Le législateur se charge, dans ces conditions, de rétablir l’équilibre en accordant aux uns des « avantages » qui se traduisent pour d’autres par des « handicaps », de sorte que le droit des biens se transpose progressivement du registre ludique au registre providentiel66. On trouvera, dans les diverses lois regroupées dans nos Codes sous le verbo « Expansion économique », des exemples significatifs de cette nouvelle forme de rationalité juridique. Ainsi la loi-cadre du 15 juillet 1970 portant « organisation de la planification et de la décentralisation économique »67, ainsi encore la loi du 30 décembre 1970 sur l’expansion économique. Cette loi, dont l’objectif est de « stimuler l’expansion économique et sa diffusion équitable entre les régions » (art. 1), met en place des procédures de concertation entre la puissance publique et les « principaux secteurs et entreprises et les principaux groupes économiques et sociaux », concertation qui « est organisée de la manière la plus conforme à l’efficacité » (art. 1). Cette concertation peut déboucher sur la conclusion, entre l’État et les entreprises, de « contrats de progrès » (art. 22), « conformes au plan économique et à la programmation scientifique », de contrats de promotion de l’administration des entreprises (art. 24), de contrats de promotion technologique (art. 25) ou encore de contrats relatifs à la reconversion ou à la restructuration des entreprises (art. 26). Si l’on peut émettre certains doutes quant à l’efficacité réelle des mécanismes ainsi mis en place, de même qu’on a pu se montrer sceptique à l’égard de l’effectivité d’une loi visant à « assurer à tous une existence conforme à la dignité humaine » (loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’aide sociale, art. 1), en revanche, personne ne niera que les législations fiscales ainsi que les réglementations relatives à la sécurité sociale et au crédit exercent quotidiennement une influence décisive sur le déroulement de la vie économique et sociale.
34Ces fonctions nouvelles de direction et de promotion assurées par le droit entraînent une extension considérable des normes de droit objectif en vue de fixer les cadres contraignants de la vie économique et sociale ; mais, du même mouvement, le champ des droits subjectifs reconnus aux personnes morales et physiques s’accroît dans des proportions comparables. Deux réserves cependant : d’une part, les nouveaux droits attribués (droit à l’emploi, à l’instruction, à la santé, au logement, à la qualité de la vie et de l’environnement,...) sont à la fois plus flous et plus diffus que les libertés classiques, ce qui rend leur mise en œuvre judiciaire plus aléatoire et malaisée, tandis que, d’autre part, le caractère discrétionnaire des droits subjectifs classiques (droits subjectifs « égoïstes ») tend à se réduire, les transformant progressivement en « droits-fonction », ce qui implique, en revanche, un contrôle judiciaire renforcé68, sinon plus aisé.
CHAPITRE 4. Structure du système juridique
35Le propos du présent chapitre est d’étudier l’instance juridique non plus sous l’angle de sa fonction, mais bien de sa structure ; ce pour quoi nous introduisons le concept de « système » juridique, qui ne convient cependant qu’à des droits déjà relativement développés. On se servira, pour cette approche, de la fameuse analyse que Hart propose des systèmes juridiques comme union de règles primaires (imposant des devoirs et des interdictions) et de règles secondaires (qui sont relatives aux règles primaires et qui accordent des pouvoirs)69.
36Comme il ressort déjà de nos précédents développements, une société traditionnelle, régie par des normes coutumières, ne connaît guère que des normes primaires, modèles de comportements généraux ou particuliers structurant la vie du groupe, mais ne formant pas système. Selon Hart, cette situation présente le triple désavantage de l’incertitude quant à la détermination des règles en vigueur et de leur portée précise, du statisme de la vie juridique du fait de l’absence de mécanisme formel d’abrogation ou de création délibérée de règles et d’inefficacité de la pression sociale diffuse en vue d’assurer le respect des règles70. Il faudrait sans doute nuancer cette analyse en précisant que les carences ainsi dégagées sont compensées par la forte intégration du groupe et la profonde intériorisation des règles collectives qui en résultent. Par ailleurs, il est sans doute exagéré de parler d’absence totale de règles secondaires dans ces sociétés ; Hart reconnaît d’ailleurs lui-même qu’une règle secondaire est sous-jacente à la promesse71.
37Un modèle juridique développé, comme l’est assurément le modèle légaliste-libéral, se produit comme système de règles primaires et secondaires. Désormais, des règles secondaires, relatives aux règles primaires, pallient les inconvénients antérieurs. Ainsi les règles de reconnaissance, qui fixent des critères permettant d’identifier les normes en vigueur, introduisent la certitude dans la vie du droit. Des règles de changement, accordant aux autorités le pouvoir de modifier les règles en vigueur et aux particuliers celui de modifier leur situation à l’égard de ces règles, assurent le dynamisme du commerce juridique ; tandis que des règles de sanction, qui habilitent certaines autorités à constater les transgressions des règles et à punir les coupables, garantissent l’efficacité de la contrainte72. Examiné de ce point de vue, un système juridique libéral nous paraît représenter un point d’équilibre entre règles primaires et secondaires ; c’est, au demeurant, en vue de l’analyse de ces systèmes juridiques que Hart a élaboré son modèle. Dans un tel système, les modèles de comportement ne sont sans doute plus aussi profondément intériorisés que dans une société traditionnelle, mais, en revanche, les règles sont beaucoup plus facilement identifiables et leur portée est mieux précisée ; de même, en ce qui concerne les sanctions, celles-ci ne bénéficient plus nécessairement de l’appui de la pression sociale, mais leur mise en œuvre est beaucoup mieux garantie en raison du monopole étatique de la force. Enfin, en ce qui concerne le changement des règles, les compétences dévolues aux autorités permettent une adaptation progressive de la réglementation aux circonstances nouvelles — le libéralisme ambiant conduisant ces autorités à manier avec réserve ce pouvoir de création normative.
38On ne trouve, sous la plume de l’éminent théoricien anglais du droit, aucune indication quant au sort de son modèle dans une société postindustrielle. L’observation permet de risquer les conjectures suivantes. Alors que dans un contexte coutumier on enregistre une quasi-absence de règles secondaires (une absence totale de règles secondaires est difficilement imaginable)73, que dans un contexte libéral on note une forme d’équilibre entre normes primaires et normes secondaires, dans un contexte post-moderne on s’achemine vers une inflation de règles secondaires liée à la dissolution progressive des normes primaires. Non que disparaissent les régies primaires imposant des devoirs, précisant des interdictions ; elles abondent au contraire. Mais, précisément, du fait de leur prolifération, de leur modification de plus en plus fréquente, ainsi que de la détermination le plus souvent a posteriori de leur contenu en raison, notamment, de leur rédaction vague, ces règles, pourrait-on soutenir, sont aujourd’hui de moins en moins connues et intériorisées. On a pu parler à cet égard d’« inflation législative »74. Or, le propre d’un phénomène d’inflation n’est pas tant la multiplication quantitative d’une chose, que la dépréciation qui en résulte75. La multiplication des normes entraîne leur perte d’effectivité : elles sont à la fois moins connues et moins appliquées. Les règles de reconnaissance se complexifient aujourd’hui à l’extrême, introduisant des sources du droit de plus en plus nombreuses et concurrentes, d’origine nationale, infra-nationale, internationale ou supra-nationale. On pourrait, par exemple, se référer à l’article 51 de la loi du 5 décembre 1968 sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. Cette disposition établit la hiérarchie des sources des obligations dans les relations de travail entre employeurs et travailleurs ; pas moins de neuf rubriques sont retenues où alternent des règles d’origine étatique (la loi), des règles d’origine corporative (les conventions collectives, le règlement de travail), des règles d’origine privée (la convention individuelle de travail) et enfin des règles d’origine collective ou spontanée (l’usage). Ces habilitations en chaîne entraînent à leur tour une production normative proportionnelle ; A. Molitor relève que « le Roi signe, bon an mal an, plus de quinze mille arrêtés »76. Or, l’activité juridique étant une activité combinatoire, l’accroissement du nombre des règles entraîne un développement exponentiel des possibilités de combinaisons77, et plus il y a de règles, plus nombreuses sont les possibilités de lacunes et de contradictions. Par ailleurs, le rythme toujours plus accéléré des modifications, révisions ou abrogations des textes, traduit un usage immodéré des règles de changement. On a noté en France que la législation sur les sociétés, entièrement refondue en 1966, a subi treize modifications entre 1966 et 197278. Dans ces conditions, on peut se demander si le normativisme débridé ne conduit pas l’Etat de droit à une impasse79 : censé garantir, par rapport à un système juridique formé uniquement de règles primaires, la certitude, la prévisibilité et la capacité d’adaptation au changement, il conduit au contraire à la méconnaissance de la règle, à l’instabilité chronique, à l’imprévisibilité. L’observation vaut également en ce qui concerne les régies de décision censées garantir l’effectivité de la sanction à la règle. La prolifération des normes ainsi que les distorsions, de plus en plus fréquentes, entre leur prescrit et la possibilité réelle de leur mise en œuvre entraînent la multiplication des phénomènes de tolérance à la transgression (en matière de respect de l’environnement ou de sécurité du travail, par exemple), ou encore le contournement de la justice étatique sous forme de « circuits de dérivation » (en matière de règlement conventionnel de responsabilité entre compagnies d’assurance, par exemple)80.
39Ce qui conduit à observer qu’en définitive, les règles secondaires elles-mêmes sont mises en échec et perdent leur effectivité.
40Ce bilan est évidemment extrêmement négatif ; la raison en est qu’il est dressé à partir d’un instrument conçu pour rendre compte d’un système juridique libéral où le contrôle social est de nature essentiellement juridique. En revanche, il ne peut qu’accentuer des traits négatifs lorsqu’il est appliqué à d’autres formations sociales, comme une société traditionnelle où le contrôle social est avant tout l’affaire des « mœurs », ou une société postindustrielle, planifiée par des règles essentiellement techniques. A cet égard, on peut supposer que, dans nos sociétés, l’indiscutable déclin du droit dans sa forme légaliste-libérale est compensé par la prégnance renforcée d’une rationalité sociétaire globale à laquelle chacun est contraint de s’intégrer sous peine de marginalisation.
CHAPITRE 5. Caractères des sources juridiques
41Il ne s’agira pas, dans cette section, de revenir sur ce que nous savons déjà de la répartition, dans nos trois modèles, des normes juridiques en normes positives et négatives, primaires et secondaires. Le propos est d’approcher de plus près les différentes sources du droit en vigueur dans les trois modèles retenus.
42Nous serons très brefs concernant les deux premiers types-idéaux.
43Dans une société traditionnelle, la source dominante, sinon exclusive, est la coutume, règle collective et orale, exprimée à l’occasion du règlement des litiges par celui ou ceux qui exercent la fonction de juger81. Cette coutume est elle-même interprétée à la lumière des jugements de valeurs concrets dominant dans la communauté.
44Dans le modèle libéral, le droit, avons-nous dit, présente le caractère de la publicité, de la positivité, de la généralité et de l’autonomie : autant de traits qui désignent la loi comme source dominante d’un tel univers juridique. La loi, « verbe parfait du droit », qui émane de l’Etat central, est soumise à une publicité officielle, a vocation à s’appliquer à la généralité des citoyens et est suffisamment abstraite pour valoir par elle-même sans autre spécification, fait tout le droit du « cosmos » libéral, pour emprunter l’expression de Hayek. La délégation du pouvoir normatif à l’exécutif existe sans doute mais demeure d’interprétation stricte et d’usage modéré. Quant aux autres sources du droit, elles n’exercent qu’un rôle subordonné ou subsidiaire à l’égard de la loi : ainsi en va-t-il de la coutume82, de l’acte juridique privé et de la jurisprudence (cf. infra). La loi a vocation à régir l’entièreté du domaine juridique et l’intense effort de codification qui marque le xixe siècle traduit bien cette prétention du législateur à la complétude et à la cohérence83.
45La fonction de la puissance publique, dans un tel contexte, étant essentiellement une fonction de police, la loi présente par ailleurs deux traits significatifs. Elle rentre dans la catégorie des modèles de direction autoritaires des conduites humaines et elle est, par rapport à celles-ci, dans un rapport d’hétéronomie, l’impératif s’imposant à elles de l’extérieur. Aussi la théorie générale du droit a-t-elle pu présenter le droit comme un « ensemble de commandements » (Austin), ou un « ordre de contrainte » (Kelsen). Ajoutons cependant que, même si le fait n’est guère souligné par ces théories du droit, le contrat privé constitue, dans une économie libérale, la deuxième source dominante du droit ; grâce à sa souplesse et aux possibilités quasi illimitées de diversification des relations juridiques qu’il permet, il est l’instrument par excellence du libéralisme économique. On peut donc résumer : à l’Etat, la loi ; aux particuliers, le contrat.
46Cette situation allait connaître, dans une économie post-industrielle et une culture post-moderne, de profondes modifications. L’Etat, désormais, gère le changement social ; la distinction public-privé se brouille, de puissants organismes privés exercent des prérogatives de puissance publique (cf. supra). Conséquences : partout le contrat privé recule, enserré de réglementation et de statut84, inversement, la loi, comme mode autoritaire et hétéronome, général et public, de direction des comportements se voit supplantée par des sources nouvelles. De manière générale, on peut dire que la technique de la recommandation remplace celle du commandement : promoteur du meiux-être social, l’État fixe les objectifs qu’il est souhaitable d’atteindre, indique des directives qu’il est opportun de suivre. La technique du plan et des lois-programmes s’inscrit dans cette tendance. Par ailleurs, à l’hétéronomie de la loi et l’autonomie du contrat, se substitue de plus en plus souvent la concertation entre partenaires publics et privés85. A tous les échelons de la vie économique et sociale se négocient des accords visant à s’inscrire dans une stratégie macroéconomique : quasi-contrats de plan, contrats de programme en matière de prix, agréments fiscaux, accords sociaux conclus au sein du Comité national d’expansion économique, accords sectoriels conclus dans certains secteurs clés de l’économie, tels le gaz, l’électricité, la sidérurgie86. De plus en plus souvent également des personnes privées sont associées à la fonction réglementaire ; leur est reconnu un véritable monopole d’élaboration de projets de réglementation, que le Roi peut seulement approuver — en les transposant ainsi en règlements — ou rejeter : ainsi la loi du 15 décembre 1970 qui habilite les fédérations professionnelles des petites et moyennes entreprises commerciales et artisanales à solliciter du Roi qu’il rende obligatoire les conditions d’exercice de la profession qu’elles ont élaborées87. C’est fondamentalement de la même technique que relèvent, dans le domaine social, les conventions collectives de travail (loi du 5 décembre 1968).
47On peut donc dire maintenant que tant l’État que les organismes privés — ces derniers pour autant qu’ils atteignent une certaine puissance — recourent indistinctement à la loi et au contrat, aux techniques de commandement ou de concertation, pour atteindre des objectifs économiques et sociaux de plus en plus intégrés. Ce qui ne manque pas d’entraîner une mutation de la nature même de ces sources du droit : souvent la loi se négocie et s’applique comme un contrat, tandis que le contrat exerce des fonctions réglementaires ou d’administration générale.
48Deux remarques encore. La première vise à constater que la fonction législative et réglementaire, non contente de se partager entre partenaires publics et privés, connaît aussi un phénomène de dégradation très sensible. Altération de la précision des termes employés, usage systématique de concepts vagues et évolutifs qui laissent ainsi une marge d’appréciation considérable aux autorités chargées d’en assurer l’application : l’administration qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire défiant le contrôle de légalité, le juge, souvent bien en peine de déterminer une priorité parmi les intérêts concurrents. Un exemple parmi beaucoup d’autres : la notion « d’intérêt de la famille » qui fait son apparition dans le droit de la famille en France et en Belgique et qui contraint le juge à de délicates évaluations, l’intérêt de la famille étant un intérêt distinct de celui de ses membres pris individuellement, et parfois même de la majorité d’entre eux, de même qu’en droit des sociétés, « l’intérêt social » n’est pas nécessairement conforme aux intérêts de la majorité, comme la jurisprudence l’a rappelé dans le célèbre arrêt Fruehauf88.
49Dégradation également de la source normative elle-même : on a souvent relevé le glissement du pouvoir normatif des assemblées parlementaires vers les Administrations ; en France — on le sait — le gouvernement est devenu, au terme de la Constitution de la Ve République, « législateur de droit commun » et le Parlement « législateur d’exception »89. Mais au sein de l’Administration elle-même, la fonction normative se délègue encore90 ; bon nombre de matières sont régies par des directives ou des circulaires, non signées par le Ministre, soumises à des modifications très fréquentes et ne bénéficiant que d’une publicité confidentielle. Au risque de rupture de l’égalité devant la loi viennent alors s’ajouter ceux de la perte de visibilité de la loi et d’insécurité juridique.
50Par ailleurs, seconde observation, la corporatisation du tissu social, liée au phénomène de pluralisme juridique déjà relevé, donne naissance à des ensembles normatifs pourvus d’une large autonomie à l’égard de la réglementation nationale. Le phénomène le plus marquant à cet égard est certainement le développement d’une « lex mercatoria » ou droit des échanges commerciaux et financiers qui déborde d’ailleurs largement les frontières nationales91. ). On pourrait également citer le droit sportif et le droit humanitaire92. Dans tous ces cas, des codifications privées et déterritorialisées, des usages stabilisés, des conventions tantôt standardisées, tantôt soumises à une négociation permanente, remplacent la réglementation étatique, tandis que des organismes ad hoc, où prédominent l’enquête technique, la prévention et la conciliation, tiennent lieu d’instances de règlement des conflits. Si l’on admet que le rôle du juge est directement déterminé par la nature des règles qu’il a mission d’appliquer, les différentes mutations des sources du droit que nous venons de rappeler contribuent directement à la modification de son rôle.
CHAPITRE 6. Caractères des sanctions juridiques
51Dans une société coutumière-traditionnelle, la mise en œuvre des sanctions n’est que faiblement centralisée. En principe, les familles se font justice à elles-mêmes et ce n’est qu’en cas de difficultés qu’il est fait recours à l’autorité pour arbitrer la vengeance privée : fixer le prix de l’offense par exemple. Dans le cas d’infractions très graves cependant, le coupable peut être traduit devant le juge pour se voir appliquer une sanction (le bannissement, la mutilation ou la mort) susceptible de laver la souillure qui a été portée à l’ensemble de la collectivité93.
52Dans l’univers libéral, les sanctions présentent trois caractères dominants : elles sont négatives, leur application s’opère selon des règles strictes et elles interviennent a posteriori. Si l’objectif tout à fait général des sanctions en droit est d’assurer l’efficacité du système juridique et si ce système poursuit essentiellement un but de police, il est logique que les sanctions se présentent comme privations d’un bien (sanctions négatives) : nullité d’un acte juridique, dommages-intérêts, amendes, déchéances, emprisonnement, etc. L’application de ces sanctions n’est cependant laissée, dans le modèle légaliste-libéral, ni à l’initiative privée, ni à l’arbitraire du prince. Centralisée entre les mains de la puissance publique, l’application de la sanction est, en principe à tout le moins, régie par le principe de légalité : légalité des incriminations et des peines, rédaction précise et interprétation restrictive des textes répressifs, non-rétroactivité de la loi pénale. Le principe de légalité s’applique bien entendu également à la mise en œuvre de la sanction, qui s’opère selon une procédure réglementée visant à garantir la présomption d’innocence, l’égalité devant la peine, les droits de la défense et le principe du contradictoire. Autant de traits conditionnés par l’anthropologie libérale qui représente l’homme comme libre et égal, responsable de ses actes et donc aussi, le cas échéant, de ses fautes94. S’en dégage un troisième caractère de la sanction dans ce système : elle intervient seulement a posteriori lorsque l’acte fautif a été commis et que la responsabilité de son auteur est établie. Dans cette hypothèse, en théorie toujours, la sanction est censée proportionnée à la gravité du délit ou de la faute, l’idée présidant à la répression étant une idée de rétribution ou de réparation du tort causé.
53Ces principes connaissent, dans une société post-industrielle, des bouleversements à la mesure de ceux que nous avons déjà relevés dans les précédents chapitres. Si les sanctions et les principes libéraux subsistent dans certains domaines et à l’égard de certains destinataires, on peut dire, en revanche, que se développe, à côté de ce système classique, un ensemble de sanctions qui présentent des caractères exactement opposés aux précédentes. Il y va donc de sanctions tant positives que négatives, beaucoup moins strictement régies par le principe de légalité et intervenant autant a priori, de façon préventive, qu’a posteriori, de façon rétributive.
54L’introduction, dans le droit positif, d’incitants, alloués avant l’action afin de l’encourager, et de primes, accordées après l’action, pour la récompenser, consacre l’apparition de sanctions positives95. Celles-ci traduisent bien le changement de finalité de l’intervention juridique au sens large, qui poursuit aujourd’hui la promotion du changement social plutôt que le maintien des règles du jeu. Il arrive parfois que des sanctions positives récompensent des comportements simplement conformes à une législation impérative ; on y verra un indice de l’ineffectivité de cette législation, ainsi que des sanctions classiques qui, en principe, devraient en assurer le respect. Ainsi, un arrêté royal du 27 décembre 1977 prévoit la possibilité, pour le Fonds d’indemnisation des conditions du travail, d’octroyer une prime aux employeurs qui prennent une des « initiatives » énumérées en son article 3. Ces initiatives, qui tendent à l’amélioration des conditions de travail, constituent en fait de simples mises en règle vis-à-vis de la législation existante qui fait déjà devoir aux employeurs de veiller à la santé et la sécurité des travailleurs. Avisé de la très relative effectivité de cette législation, le gouvernement préfère alors récompenser l’action, plutôt que de punir l’inaction96.
55Par ailleurs, la nouvelle philosophie interventionniste de l’État, liée à une anthropologie déterministe (cf. supra), explique un changement de la politique pénale qui se fait aujourd’hui volontiers préventive plutôt que punitive. Ce passage, qui se traduit, sur le plan théorique, par la substitution du concept de dangerosité à celui de culpabilité97, se manifeste dans diverses législations visant au contrôle de populations qui restent généralement en marge de la rationalité économique et sociale globale98. On observera une tendance comparable en matière commerciale, où les tribunaux consulaires préfèrent aujourd’hui à la sanction a posteriori de la faillite, la « guidance » des sociétés présentant des difficultés (cf. infra). A noter encore que, dans ces différentes hypothèses, le contrôle social, non content de peser a priori, a tendance à se faire permanent, puisqu’aussi bien l’objectif poursuivi — l’intégration de tous les acteurs sociaux au jeu économique et social — est littéralement infini. Ainsi la contrainte se manifeste-t-elle souvent aujourd’hui au-delà de la période d’accomplissement « normal » de la peine ; on pense notamment aux mesures de liberté à l’essai, de sursis, de probation, et d’autres formes de tutelle et de guidance imposées.
56Ces changements de finalité et d’exercice de la politique répressive ne pouvaient laisser intact le principe de légalité. Alors même qu’on observe une extension sans précédent du nombre de lois spéciales comportant des sanctions pénales99, cet accroissement du champ couvert par le droit pénal s’accompagne d’une certaine dégradation du principe de légalité. A des textes prévoyant des conditions d’incrimination dans les termes les plus vagues, correspondent des éventails de sanctions à ce point larges qu’ils rendent la sentence indéterminée, compromettant, du fait même, l’égalité devant la peine et la proportionnalité de la peine au délit100. Ici encore, le rôle traditionnel du juge est remis en question dans la mesure où il sera parfois contraint, pour appliquer ces textes, de faire prévaloir une logique socio-psychologique, ou économique, ce qui a permis à certains de souligner un phénomène de dépénalisation au moins apparent, tantôt sous forme de médicalisation, tantôt sous forme de fiscalisation101.
57On retiendra également l’apparition du mécanisme contractuel — la transaction — dans la technique pénale102. La transaction, qui s’analyse comme la sanction d’une infraction proposée par un organe non judiciaire, a pour effet, si elle est acceptée par le contrevenant, d’éteindre l’action publique103 : nouvel exemple de contournement du judiciaire au nom de l’efficacité (désencombrement des tribunaux, répression plus adéquate, moins stigmatisante). Aux États-Unis, il semblerait que 90 % des condamnations soient fondées sur « l’offre de plaider coupable » (guilty plea bargaining) obtenue au terme d’une négociation menée entre l’accusation et le prévenu, en échange d’une réduction des charges ou d’une modification de la peine proposée au juge104. Si ce mécanisme n’épargne pas le recours au juge, il en altère profondément la nature, l’appréciation du tribunal étant largement prédéterminée tant en ce qui concerne la responsabilité du contrevenant que la mesure de la sanction qui lui est appliquée. On observera une évolution comparable dans le domaine de la responsabilité civile cette fois avec la multiplication des règlements extra-judiciaires des dommages105, et le passage d’une responsabilité fondée sur la faute à une responsabilité objective ou sans faute. Tout comme la responsabilité pénale a tendance aujourd’hui à se fondre dans l’impératif de défense sociale, la responsabilité civile paraît se diluer dans l’exigence plus générale de sécurité sociale106.
CHAPITRE 7. Aménagement des pouvoirs dans l’Etat
58La question qui se pose à ce stade d’élaboration de nos modèles — question des rapports respectifs des pouvoirs dans l’État — ne présente aucune pertinence à l’égard des sociétés traditionnelles. Nous avons déjà relevé que ces sociétés se développaient en deçà de la distinction de la société et de l’État et qu’elles ne connaissaient qu’un vague embryon de normes secondaires.
59En revanche, cette question reçoit, dans une société libérale, une réponse ferme et élaborée sous la forme de la théorie de la séparation des pouvoirs. Bien que la pensée de Montesquieu soit plutôt une théorie de l’interférence des pouvoirs, en vue de leur contrôle réciproque et du maintien des libertés, elle a toujours été comprise et diffusée par l’idéologie juridique comme théorie de la séparation des pouvoirs, au sens d’exercice exclusif de compétences déterminées107. Au législatif revient la confections des lois, à l’exécutif leur application générale ou particulière, au judiciaire leur application aux cas particuliers. La séparation du législatif et de l’exécutif est censée garantir la généralité de la loi, tandis que la séparation de l’exécutif et du judiciaire doit assurer l’impartialité de son application. Par ailleurs, cette représentation conforte la distinction entre droit et politique, à tout le moins entre droit à appliquer par le juge et commenté par la doctrine, lex lata, et droit à élaborer par le législatif, lex ferenda. L’autonomie institutionnelle et méthodologique du judiciaire n’est gagnée qu’au prix d’un refoulement de tout le débat politique dans la sphère du législatif et, à la rigueur, de l’exécutif108. Ainsi s’exprime encore, très récemment, le procureur général Dumon : « on doit opposer droit et politique, car celle-ci concerne essentiellement des choix et des options, alors que telle n’est pas la mission de ceux qui doivent dire le droit. Le droit résulte certes d’options politiques antérieures, mais dès qu’il est créé, il a sa mission et ses objectifs propres »109. L’importance de l’enjeu explique l’insistance du haut magistrat sur la nécessité de préserver l’autonomie du judiciaire, alors même que la doctrine de la séparation des pouvoirs pourrait bien, sans autre dommage, céder en ce qui concerne les rapports du Parlement et l’Administration : « la nature même de la fonction juridictionnelle (...) exige la non-intervention sinon il y a atteinte à sa fonction même exigeant par essence indépendance absolue »110. D’un point de vue strictement juridique, cette manière de postulat que représente la théorie de la séparation des pouvoirs explique que l’organisation de la justice soit assurée en vue de ménager l’indépendance de la fonction exercée : ainsi l’article 94 de la Constitution dispose que « nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établi qu’en vertu d’une loi. Il ne peut être créé de commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit », tandis que les articles 100, 102 et 103 consacrent l’indépendance de statut des magistrats. Par ailleurs, c’est encore la même philosophie de cloisonnement des pouvoirs qui inspire les articles 6 et 23 du Code judiciaire. Le pouvoir du juge s’exprime dans des décisions d’espèce ; celles-ci n’ont qu’une autorité relative de chose jugée : elles ne s’imposent — au civil à tout le moins — qu’entre les mêmes parties et à propos de l’objet et la cause de la demande sur laquelle il a été statué.
60Sans que la doctrine de la séparation des pouvoirs fasse l’objet d’une remise en question explicite dans les sociétés post-industrielles, elle n’en subit pas moins une profonde érosion. La chose a déjà été évoquée pour ce qui concerne les rapports entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif. Mais elle n’est pas moins réelle quant à l’isolement et l’indépendance du pouvoir judiciaire. On observera d’abord que les juridictions du travail et les juridictions consulaires comprennent, comme par le passé, des assesseurs qui ne bénéficient pas d’un statut comparable à celui des magistrats ordinaires111. Plus fondamentalement, si on attend désormais du juge qu’il collabore avec l’Administration, celle-ci, à son tour, conduisant le mouvement législatif, à l’encadrement juridique du changement social, il n’y a plus de raison théorique d’isoler ce juge dans sa tour d’ivoire. Lorsque, par exemple, il est amené à dicter le rythme des évolutions esquissées par des textes seulement programmatiques, à individualiser le régime juridique que des concepts vagues laissent dans l’indétermination ou à reconnaître des droits subjectifs nouveaux à l’initiative d’actions d’intérêt collectif (cf. infra), le juge désormais fait œuvre politique au sens large : il n’est plus nécessairement l’agent de conservation des textes en vigueur, il devient coauteur du changement juridique. Ce qui, évidemment, ne manque pas de poser, sous un jour nouveau, la question de la politisation de la magistrature.
61Par ailleurs, les frontières deviennent particulièrement difficiles à cerner entre les juridictions qui relèvent du pouvoir judiciaire et qui tendent à adopter des modes d’action inspirés de la démarche administrative, et les commissions, instituées au sein de l’Administration, en vue d’y exercer des fonctions contentieuses112. L’affirmation répétée par la doctrine juridique de principes de démarcation apparemment formels et décisifs ne peut masquer aujourd’hui ce fait que la gestion et le contrôle sociaux s’opèrent à l’initiative d’instances hybrides et selon des méthodes composites, empruntant autant à la fonction de juger qu’à celle d’administrer. Un exemple parmi beaucoup d’autres : le statut des commissions de défense sociale113. Sous l’empire de la loi de défense sociale du 9 avril 1930, tant la Cour de cassation que le Conseil d’État s’accordaient pour reconnaître aux commissions instituées auprès des annexes psychiatriques des prisons le caractère d’autorités administratives. Leur rôle consistait à ordonner, le cas échéant, la mise en liberté des personnes internées par la juridiction répressive pour une durée qui, à l’époque, était une durée déterminée selon la gravité du fait commis par l’inculpé. Un pourvoi en cassation ne pouvait donc être formé contre les décisions de ces commissions que la Cour de cassation qualifiait d’« administratives »114. Le Conseil d’État, cependant, déclinait à son tour sa compétence dans la mesure où ces commissions « collaborent à l’exécution de jugements rendus par les juridictions de l’ordre judiciaire »115. Se créait ainsi une sorte de no man’s land entre nos deux ordres de juridictions. La loi du 1er juillet 1964 allait modifier cette situation : elle remplaça le régime antérieur par celui de l’internement ordonné par la juridiction répressive pour une durée indéterminée et confia aux commissions de défense sociale le soin de déterminer la durée pendant laquelle celui qui a été interné sera privé de sa liberté. La loi nouvelle accroissait ainsi le caractère juridictionnel de la commission de défense sociale au même moment où elle réduisait ce caractère dans le chef de la juridiction répressive. Saisie d’un pourvoi contre une décision d’une commission de défense sociale, la Cour de cassation, dans un arrêt du 2 décembre 1965116, en cause Retourné, confirmait sa jurisprudence antérieure. Le sieur Retourné forma alors un recours en annulation devant le Conseil d’État qui, à son tour, maintint son point de vue antérieur117. A ce moment, le sieur Retourné introduisit auprès de la Cour de cassation une requête en règlement de conflit d’attributions. Siégeant chambres réunies, la Cour suprême admit cette fois que « les décisions des commissions de défense sociale, lorsqu’elles déterminent la durée effective de la privation de liberté ordonnée par la juridiction répressive, ont le caractère de décisions qui, dans cette mesure, relèvent du pouvoir judiciaire »118. La Cour précisa cependant, quelques mois plus tard, que si les décisions des commissions, statuant au sujet de la liberté individuelle, relèvent du pouvoir judiciaire, en revanche, « ces commissions de défense sociale elles-mêmes ne font pas partie de l’ordre judiciaire »119. On en déduira qu’aujourd’hui, aux yeux de la Cour de cassation, la commission de défense sociale n’est plus une autorité administrative, tout en n’appartenant pas au pouvoir judiciaire ; seules celles de ses décisions qui statuent sur la liberté individuelle relèvent de ce pouvoir. On verra dans cette valse-hésitation et ces distinguos subtils la difficulté d’enserrer dans les schémas classiques de la séparation des pouvoirs les nouveaux modes d’action de la puissance publique qu’inspire une philosophie sociale protectionniste et interventionniste.
CHAPITRE 8. Statut du juge
62Dans le modèle traditionnel-coutumier, le juge doit présenter des qualités humaines particulières ; il incarne la conscience morale de la communauté, il fait preuve de sagesse, il est pénétré de la tradition. Parfois même il est revêtu d’un caractère sacré. Le Cadi auquel se réfère Max Weber est un personnage quasi sacerdotal, ce qui ne l’empêche pas de rendre la justice seulement après s’être entouré des conseils des sages120. De même, le roi franc est, dans sa fonction de justicier, le mandataire de Dieu sur la terre ; il est « sacré, revêtu de l’huile sainte, pénétré de la puissance de Dieu ». Lui aussi rend la justice au milieu de l’assemblée des hommes libres réunis en « assemblée de concorde »121.
63Dans le modèle libéral-légaliste, la principale caractéristique du juge tient moins à ses qualités humaines, à son charisme, qu’à ses connaissances techniques. Désormais le juge est un professionnel du droit et un technicien de la procédure122. A cette autonomie du savoir juridique que le juge est appelé à mettre en œuvre, répond son autonomie institutionnelle : l’indépendance de statut garantie par la séparation des pouvoirs (cf. supra). Isolé de l’extérieur, le magistrat n’est cependant pas livré à lui-même : il s’intègre dans un corps hiérarchisé et discipliné dont on lui demande de partager l’esprit. Ainsi s’exprimait récemment le procureur général J. Leclercq : « le corps judiciaire, pour être efficace, doit être cohérent et hiérarchisé ; cohérent, parce que sans un corps permanent et organisé c’est le règne de la dispersion, de la confusion, sinon de la fantaisie, au détriment du justiciable et de la justice ; hiérarchisé, parce que, sans une hiérarchie, il n’est pas de cohésion ni de discipline possible, ni de responsabilité, chacun étant livré à soi-même et n’ayant de compte à rendre à personne »123.
64A la fois professionnel du droit et rouage d’un corps hiérarchisé, le magistrat doit être détaché du milieu dont il juge les membres ; tout le contraire du « juge naturel » représentatif de milieux particuliers. Il interviendra de façon impersonnelle, à la manière bureaucratique : sine ira ac studio)124) sans haine et sans zèle. Le juge est donc aussi interchangeable, fongible. On a noté que, dans une même affaire de divorce, étaient intervenus treize juges différents du même tribunal, du simple fait du roulement dans la composition des chambres125. Cette impersonnalité est encore renforcée par la règle de la collégialité du délibéré126 et l’absence, en Belgique et en France à tout le moins, de publication des opinions dissidentes. Ajoutons encore que, dans l’univers libéral, prévaut l’idée — qui est aussi, dans une large mesure, une réalité — que le juge est l’instance unique de résolution des conflits juridiques (le cas de l’arbitrage privé excepté).
65Avec le passage au modèle de justice normative-technocratique, le profil du juge se modifie profondément. Ses connaissances juridiques et procédurales, si elles demeurent indispensables, sont cependant loin d’être suffisantes aux tâches nouvelles qui lui sont reconnues. De tous côtés s’élèvent des voix qui réclament la spécialisation des juges127. Plusieurs degrés dans la spécialisation peuvent être envisagés : tantôt on pense à une spécialisation juridique, le magistrat ou le tribunal en son entier se spécialisant dans une matière juridique déterminée et ne connaissant plus que des affaires relatives à cette branche : on parle ainsi d’une magistrature de la jeunesse, d’une magistrature familiale, d’une magistrature économique. Tantôt on réclame du juge — et le glissement se fait insensiblement — non seulement une spécialisation juridique, mais encore de sérieuses connaissances de sciences et techniques non juridiques présentant une utilité pour le règlement des problèmes qui lui sont soumis : du juge spécialiste, on passe ainsi au juge expert, la troisième étape de l’évolution étant l’expert-juge, dont il sera question plus loin. Il n’est pas étonnant que le procureur général Dumon, interprète fidèle des principes d’un modèle de justice légaliste-libérale, s’oppose à cette évolution : « Où irait-on si on devait donner suite à toutes ces revendications !... »128. Les auteurs des revendications en faveur de la spécialisation des magistrats perdent de vue, soutient-il, que « le droit forme un tout et ne saurait être écartelé » et que, par ailleurs, la mission du juge est essentiellement différente de celle de l’expert129.
66Quelle que soit la pertinence de ces objections, il semble bien que la tendance, sinon encore la réalité, soit aujourd’hui à la spécialisation des magistrats, suivant en cela une évolution qui s’observe également au sein du barreau. Le prédécesseur de M. Dumon à la tête du Parquet général de la Cour de cassation, M. Ganshof van der Meersch, s’avisant des dangers de contournement du judiciaire qu’entraînerait une absence de réformes sur ce point, avait même proposé lui-même la création de « sections particulières » au sein des juridictions, ainsi que l’association d’experts — des « assesseurs laïques » — aux délibérations des juges traditionnels130.
67Plus généralement, on peut observer que la multiplication des connaissances exigées des juges correspond à la multiplication des rôles qu’ils sont appelés à tenir. Ainsi on a demandé au juge des mineurs qu’il soit tour à tour un « père »131, un « confesseur »132, un « psychologue » et un « médecin »133. Du futur juge de la famille, on voudrait qu’il soit « un père de famille », qu’il se fasse « psychologue, sociologue, conseiller »134. Du juge commercial, on attend qu’il devienne « gardien de la bonne gestion financière et commerciale »135.
68Par ailleurs, si l’indépendance est encore exigée du magistrat au sens où on attend de lui la capacité de résister aux pressions des pouvoirs publics et privés et aux séductions de l’argent, en revanche, elle ne signifie plus le détachement du juge à l’égard des personnes et des contentieux dont il a à connaître. Tout au contraire, le magistrat devra s’impliquer dans le règlement des affaires, à mesure que se personnalisera le service de la justice, phénomène dont témoigne déjà la multiplication des compétences dévolues au juge unique. Un aspect de cette personnalisation de l’intervention du juge est la prise en charge, par le même magistrat, d’une affaire dans l’intégralité de son déroulement et l’ensemble de ses aspects : le même homme suivra l’affaire depuis l’introduction de la demande jusqu’à la décision sur le fond et connaîtra de toutes les mesures provisoires à prendre et des incidents à juger136. Réalisant le passage à la limite de cette exigence, P. Rouard écrit, à propos du futur juge de la famille dont il préconise la création : « non seulement un dossier serait ouvert par famille, mais il serait confié à un seul magistrat qui le prendrait en charge et le suivrait aussi longtemps qu’il demeurerait dans la même juridiction, ce qui signifie (...) souvent pendant toute sa carrière de magistrat »137.
69Mais l’évolution va beaucoup plus loin encore. De nouvelles professions apparaissent au prétoire qui débordent largement le face-à-face traditionnel de l’avocat et du juge et tendent à intervenir de façon de plus en plus déterminante dans le règlement des litiges. Ainsi, dans les nouvelles juridictions de la périphérie parisienne a été mis en place un « service d’accueil et de renseignements » dont les fonctions vont de « la simple réception du public au conseil, voire à la solution de ses problèmes, en passant par son information et son orientation »138. Dans ce cas, une fonction qui peut aller jusqu’à la solution d’un problème juridique est manifestement exercée par des professionnelles — « les hôtesses d’accueil » — licenciées en droit, certes, mais n’appartenant ni au barreau, ni à la magistrature. Le plus souvent cependant le service d’accueil et de renseignements se borne à un rôle d’aiguillage des justiciables vers les instances compétentes, ce qui ne manque pas cependant d’entraîner, dans la foulée de cet esprit nouveau de service dû au justiciable, une redistribution des rôles et une relative indistinction des fonctions. Ainsi peut-on lire dans un rapport d’activité d’un de ces nouveaux tribunaux parisiens : « le service d’accueil et de renseignements est en relation constante avec les magistrats du tribunal qui, dans les cas particuliers, reçoivent personnellement les intéressés »139. Un substitut attaché à cette juridiction n’hésite pas à écrire : « le temps perdu à recevoir quelqu’un est souvent très utile. Théoriquement on ne peut pas les conseiller, mais on le fait »140.
70Autre fonction née de la pratique : l’éducateur d’orientation attaché, en France toujours, aux tribunaux de la jeunesse. Cet éducateur spécialisé, dépendant le plus souvent des services extérieurs de l’Éducation surveillée, propose au juge la solution de placement des mineurs qui lui paraît la plus opportune141. Faute de temps et d’information, le magistrat se range le plus souvent à son opinion.
71Ceci conduit à évoquer une dernière catégorie de professionnels, les experts, dont l’intervention dans la solution des litiges est à la fois la plus fréquente et la plus décisive. Si cette intervention s’explique partiellement par la technicité croissante des problèmes soumis au juge, sa principale raison d’être réside sans doute dans la modification des fonctions dévolues au juge et dans la dilution de la généralité, de la précision et de la fixité des critères légaux de solution mis à sa disposition142. A partir du moment où le juge doit, beaucoup plus souvent que par le passé, évaluer des biens et des dommages, apprécier des intérêts, des besoins, des aptitudes143, et qu’il ne peut plus s’appuyer sur des règles fixes et générales, il est contraint de chercher les éléments de solution du litige dans les données de fait de l’affaire dont le dossier ne lui donne qu’une idée très approximative. D’où le recours à l’expert. En principe, les domaines respectifs du juge et de l’expert sont clairement délimités. Au juge seul revient la charge d’apprécier le droit et de trancher le litige. Au juge et à l’expert reviennent concurremment la connaissance et la preuve du fait144. En pratique cependant, ces distinctions s’obscurcissent précisément dans la mesure où la règle de droit fait largement dépendre la solution de données factuelles. C’est ainsi que les rapports de synthèse du Xe Colloque des Instituts d’Études Judiciaires, consacré aux « rôles respectifs du juge et du technicien dans l’administration de la preuve » soulignent tous l’empiètement de l’expert sur la fonction normative du juge. Un auteur relève la « propension insidieuse à l’adoption pure et simple (par le juge) des rapports d’experts, aboutissant de facto à consacrer de véritables délégations de la fonction juridictionnelle »145. Un autre note que « tous les témoignages convergent sur l’influence considérable que les conclusions d’expertises exercent en fait sur le jugement rendu par le tribunal, dans le contentieux administratif, fiscal y compris, comme dans le contentieux judiciaire »146. Parfois même l’intervention de l’expert ne se limite pas à déterminer le contenu de la décision judiciaire ; dans certains cas, elle permet d’en faire l’économie ou, à tout le moins, de la réduire à une simple formalité. Ainsi le Président Molines, étudiant le rôle de l’équipe multi-professionnelle à laquelle est confiée l’enquête sociale dans les conflits portant sur la garde de l’enfant de parents divorcés ou en instance de divorce, peut-il écrire : « l’intervention des spécialistes aura, dans la plupart des cas, suscité une évolution des esprits, proposé et testé des solutions. Elle aboutira souvent, avec la collaboration du juge et des conseils des parties, à un accord arbitré par le magistrat »147. Parfois même cet accord ou cette mesure n’a qu’une portée provisoire, l’équipe pluri disciplinaire étant chargée d’une mission de contrôle de l’opportunité de la mesure après l’écoulement d’un certain temps. Le nouveau rapport qu’elle remet pourra conduire le juge à réajuster la solution proposée. Dans certaines matières, psychiatriques et familiales par exemple, il devient ainsi très délicat de distinguer, dans l’intervention des spécialistes, le rôle d’information du magistrat et le rôle de solution du conflit ou de traitement de ses protagonistes qu’ils exercent. Ainsi le médecin psychiatre Bertolus note-t-il, à juste titre, « l’ambiguïté de la mission » confiée à l’expertise socio-médico-psychologique dont « la visée diagnostic ne peut être clairement séparée de la visée thérapeutique »148.
72Enfin, le dernier stade de l’évolution est atteint lorsque les conflits sociaux sont résolus entièrement en dehors de la sphère du judiciaire. Sans pouvoir opérer le relevé, dans les limites de la présente contribution, des innombrables professionnels et instances qui contribuent au dessaisissement du juge, on se contentera d’en évoquer l’un ou l’autre.
73Les enseignements tirés du droit comparé conduisent à observer les formes les plus variées de « justice alternative ». Tantôt le litige est réglé par arbitrage privé : on signale qu’aux États-Unis, 90 % des affaires civiles enrôlées font l’objet d’une transaction avant même de venir à l’audience149. Tantôt ce sont des organismes corporatifs, sous forme de chambres arbitrales propres à des branches particulières de l’activité économique, qui offrent leurs services aux professionnels concernés. Tantôt l’État lui même met à la disposition des particuliers, des fonctionnaires ou instances administratives susceptibles d’opérer, en marge de la justice classique, un règlement plus rapide, plus accessible, plus efficace et moins coûteux des litiges. On mentionnera à cet égard les très nombreux organismes visant à résoudre les « petits litiges » (small claims) qui opposent, notamment, les consommateurs aux producteurs et les locataires aux bailleurs150.
74On pourrait également relever l’intervention, dans les litiges du travail à caractère collectif, de contrôleurs et de conciliateurs sociaux, voire du Ministre de l’Emploi et du Travail lui-même151. Enfin, à côté de ces formes de « justice » privée, corporative et administrative, il faut encore avoir égard à diverses manifestations de justice communautaire ou populaire. On songe à l’expérience des Neighborhood Justice Centers aux États-Unis ou à celle des « Commissions de conciliation sociale » en Pologne ; il s’agit, dans les deux cas, d’organismes fondés sur la participation volontaire de la communauté et qui visent à aplanir les différends quotidiens et locaux par des techniques de discussion et de conciliation, plus que par application de normes préétablies152.
75Le succès de ces différentes expériences est cependant loin d’être uniforme. Dans certains cas, on peut même parler d’un relatif déclin d’une formule concurrente au pouvoir judiciaire. Ainsi en est-il, semble-t-il, de l’arbitrage réalisé à l’intervention d’organismes corporatifs153. Plusieurs causes concourent au déclin de cette forme d’arbitrage : l’avènement de l’économie dirigée qui a pour conséquence indirecte de soustraire bon nombre de relations économiques à la justice privée, l’amélioration de la technique de rédaction des contrats-types et la substitution de l’expertise technique à l’arbitrage154.
76Par ailleurs, la réforme, par le Code judiciaire de 1967, des juridictions du travail a eu incontestablement pour effet de ramener dans le champ de compétence du pouvoir judiciaire d’innombrables contestations relatives aux droits sociaux, dont connaissaient auparavant de très nombreuses juridictions administratives155.
77Où l’on voit encore que lorsqu’on passe de l’univocité du modèle à l’ambiguïté de la réalité, les traits se brouillent, défiant les conclusions unilatérales.
CHAPITRE 9. Fonction du juge
78Nous voici arrivés au point central de notre étude. Ce sont bien évidemment les fonctions particulières réclamées par chaque formation sociale à ses juges qui permettent d’en définir avec le plus de netteté, le modèle de justice qui s’en dégage. Le moment est ainsi venu de commenter, en guise d’introduction à ce chapitre, le titre que nous avons choisi pour synthétiser nos réflexions : juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. C’est la considération du monde des jeux et des sports qui inspire cette classification. Si l’on voulait en effet représenter les trois formations sociales que nous avons en vue : la société traditionnelle, la société libérale et la société post-industrielle, à l’aide de différents types de jeux, nous dirions que la première se produit comme jeu ritualisé, la deuxième comme jeu réglé et la troisième comme jeu performant. Quelques mots d’explication.
79Dans une société traditionnelle, les règles de conduite sont relativement peu nombreuses et l’idée de performance ou de progrès est absente. Le jeu social y est essentiellement ritualisé. On dira, dans ces conditions, que le juge y exerce une fonction de pacificateur, restaurant l’ordre lorsqu’un conflit particulièrement aigu ou une faute particulièrement grave risque de compromettre la poursuite du jeu.
80Dans une société libérale, les règles de conduite sont plus nombreuses et plus strictes, tandis que l’idée de progrès et la recherche des performances y font leur apparition, mais au plan individuel seulement : dans le cadre tracé par les règles impératives, chaque joueur tente de gagner la partie. Le jeu social est donc avant tout un jeu réglé et le juge y exerce une fonction comparable à celle de l’arbitre dans une compétition sportive : il est chargé uniquement d’assurer le respect des règles du jeu.
81Enfin, dans une société post industrielle, les rapports sociaux sont à ce point intégrés que les performances recherchées y sont nécessairement collectives. Sans doute les règles de conduite à caractère juridique continuent-elles d’être prises en considération, mais elles ne font que partiellement contenir un procès social entièrement finalisé par la poursuite de performances qu’orientent des stratégies, des règles à caractère technique. Nous dirons que le jeu social est alors essentiellement un jeu performant ; tandis que le juge est appelé à se départir de son rôle passif d’arbitre pour adopter celui, actif, de l’entraîneur qui, tantôt par ses conseils, tantôt par ses décisions, s’efforce de concourir à la victoire collective156.
82Nous ne nous appesantirons pas sur le juge-pacificateur. Comme, d’une part, il a déjà été noté que la fonction du droit, dans une société traditionnelle, était quasi exclusivement le maintien de la paix au sein du groupe et que nous savons, par ailleurs, que le juge représente, dans ce type de formation sociale, la seule incarnation du droit, on en déduira, comme le note Duby, que le juge est « homme de concorde » qui doit « amener les adversaires à composer »157.
83Il est significatif que pour qualifier l’office du juge dans une société libérale, le professeur Cambier utilise encore les expressions « rétablir l’ordre » et « assurer la paix judiciaire »158. Mais une précision d’importance est immédiatement ajoutée : préposé au rétablissement de l’ordre perturbé, le juge est, dans l’accomplissement de cet office, au service de la loi (158). La fonction du juge revient donc à trancher, de façon définitive, des contestations portant sur des droits et réaliser ainsi, dans l’espèce litigieuse, la volonté de la loi. Sans doute, même dans le modèle libéral-légaliste, cette conception demandera-t-elle à être nuancée et amendée ; néanmoins telle est la figure dont il importe de partir.
84Le juge tranche : sa fonction est de décision et d’adjudication : donnant raison à l’un, il donne tort à l’autre. A chacun, il attribue le sien159. Il ne lui revient ni de conseiller les parties sur la conduite à tenir, ni de prévoir des difficultés ultérieures, ni d’exercer une mission de médiation ou de bons offices.
85Conséquence du caractère en quelque sorte « instantané » de cette décision du juge : celle-ci revêt un caractère définitif. Ce qui a été décidé, la « chose jugée », bénéficie de la force décisoire. Le jugement définitif au fond (par opposition aux jugements d’avant dire droit et aux ordonnances rendues au provisoire) « épuise la juridiction du juge sur la question litigieuse » (Code judiciaire, art. 19). Contrairement à l’administrateur et à l’auteur d’une règle générale, le juge épuise son pouvoir en l’exerçant ; il ne lui appartient pas d’amender ou de retirer ce qu’il a préalablement statué.
86Par ailleurs, le juge connaît des contestations portant sur des droits. Pour donner matière à intervention du juge, il faut que des prétentions opposées s’affrontent, qu’il y ait contestation ou, à tout le moins, contestation virtuelle résultant de la menace grave pesant sur un droit. En principe, le juge intervient donc a posteriori. Précision supplémentaire, déjà inscrite dans les articles 92 et 93 de la Constitution, les contestations débattues devant le juge portent sur des droits subjectifs, civils ou politiques, et non sur de simples intérêts rivaux. Il faut donc, en principe toujours, que l’intérêt dont se prévaut la partie litigante ait acquis la netteté et la consistance d’un droit subjectif pour donner ouverture au droit d’action160.
87Enfin, le règlement du litige qui s’opère à l’initiative du juge traduit, dit-on, la volonté de la loi dans l’espèce. Le juge tranche par « droit et sentence »161 ; il dit le droit (jurisdictio) et c’est à ce titre que sa décision s’impose comme vérité légale. Sans doute advient-il que le juge se décide selon des opportunités ou se livre à une appréciation des exigences de l’intérêt général162, mais sa décision reste contenue dans les limites tracées par la loi. Celle-ci, comme l’a bien écrit le professeur Cambier, « informe et enferme » la solution jurisprudentielle163. On résumera d’un mot en qualifiant l’œuvre de ce juge-arbitre de « judicature », par opposition au concept élargi de « magistrature » qui suppose l’exercice d’une compétence de règlement, de tutelle, de protection et de conservation de certains intérêts164.
88C’est précisément le passage de la judicature à la magistrature qui s’opère lorsque, dans une société post-industrielle, le juge-entraîneur tend à se substituer au juge-arbitre. Du juge-entraîneur on attend désormais, aux termes du modèle normatif-technocratique, qu’il participe à la réalisation de politiques déterminées et assure, pour ce faire, le meilleur règlement des intérêts concernés. S’il lui arrive encore de trancher des différends en faisant application de la loi, on peut dire que son intervention peut aussi bien se situer ailleurs qu’avant et après la décision, au sens du prononcé par « droit et sentence ». Avant qu’une contestation ne se forme, le juge est investi d’une mission de prévention, de conseil, d’orientation. Après que des mesures aient été suggérées ou ordonnées, le juge reste en charge des intérêts en cause et peut, à tout moment, revenir sur des solutions qui n’ont été prises que « rebus sic stantibus ». Enfin, la mision nouvelle dévolue au juge le conduit au-delà du champ clos des droits subjectifs déterminés par des lois ; il est responsable de la conservation et de la promotion d’intérêts finalisés par des objectifs socio-économiques et régulés par les systèmes de normes techniques correspondantes.
89L’activité du pouvoir judiciaire aux États-Unis livre une assez bonne anticipation de cette forme de justice. Non contentes de reconnaître, au terme d’une interprétation parfois très extensive de la Constitution, des droits subjectifs et libertés, la Cour suprême et les juridictions de district ont été progressivement amenées, dans la défense des causes et la poursuite des politiques qu’elles jugeaient bonnes, à imposer aux particuliers et aux Administrations des standards de conduite, voire des directives précises, en dehors de tout texte préétabli. Ainsi, en matière de relations ethniques, les juridictions sont à l’initiative de véritables politiques d’intégration raciale ; des plans détaillés ont été imposés aux municipalités et aux établissements d’enseignement, comprenant notamment l’ordre de fermeture de certaines écoles et de construction de nouvelles, l’engagement de personnel supplémentaire, l’achat ou la location de bus et d’autres équipements, l’élection de comités de contrôle, l’obligation de faire rapport régulièrement, la nomination d’auxiliaires spéciaux des juridictions elles-mêmes165. En matière de santé publique, une juridiction a imposé la réduction de 5 000 à 250 du nombre de patients d’un centre de rééducation pour handicapés mentaux et a nommé un comité de contrôle chargé de surveiller l’exécution de cette décision166, une autre a imposé une norme extrêmement basse d’exposition des ouvriers à un gaz toxique dans l’industrie du plastique167. En matière de protection de l’environnement, des groupes de défense de la nature sont parvenus à obtenir des juridictions, en l’absence de textes toujours, des moratoires au développement des centrales nucléaires, la cessation de certains forages pétroliers, des ralentissements considérables dans la mise en place de l’oléoduc trans-Alaska168. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que certains commentateurs de la pratique judiciaire américaine aient pu parler de « révolution copernicienne » dans l’administration de la justice ou encore de « renversement des principes de justice sur lesquels repose historiquement notre système de justice »169 — ceci sans se dissimuler l’inévitable appréciation idéologique qui conditionne ce jugement.
90Sans connaître déjà une telle extension de leur mission, certaines de nos juridictions se sont aujourd’hui vu reconnaître, quand elles ne se les sont pas attribuées d’initiative, des compétences débordant largement la simple application de textes préétablis.
91Ainsi en est-il, par exemple, du service des enquêtes commerciales (anciennement appelé « service de dépistage des faillites ») créé à l’initiative des juges eux-mêmes, auprès de la juridiction consulaire. L’objectif de ce service est de dépister les faillites latentes et d’amener ainsi, à l’occasion d’un dialogue suivi entre les commerçants et le tribunal de commerce, les entreprises en difficulté à respecter leurs obligations légales et/ou de prendre, s’il en est encore temps, des mesures de redressement.
92Donnant toute son extension au pouvoir qui lui est reconnu par la loi de prononcer la faillite d’office, le tribunal se départit donc de son rôle passif. Il n’attend pas d’être saisi par le commerçant aux abois ou par ses créanciers, il se saisit lui-même du problème constitué par l’entreprise en difficulté. Un des promoteurs de cette initiative justifie cette façon d’agir en ces termes : « Le tribunal de commerce poursuit, de plus en plus, un rôle résolument actif. Il estime en avoir le droit et s’inscrire ainsi parfaitement dans le monde économique que caractérisent ou devraient caractériser les impératifs de dynamisme, d’efficacité et d’intérêt général. La loi et les principes classiques de l’économie de marché impliquent que disparaissent, au plus tôt, les entreprises commerciales qui ne sont plus en mesure de respecter leurs engagements »170. Le dialogue noué entre le juge « dépisteur », selon l’expression consacrée dans le jargon judiciaire, et le commerçant conduit le plus souvent à l’élaboration d’un plan détaillé de redressement à la bonne exécution duquel est conditionné le sursis de la tribunal de commerce dans des voies plus classiques. Aux termes de ce déclaration de faillite. Le Service des enquêtes commerciales prend une part active dans le contrôle, mais aussi la conception et même la réalisation de ce plan de redressement ; tout particulièrement, il met son autorité en jeu aux fins d’obtenir l’assentiment au plan des personnes intéressées, bailleurs de fonds ou acquéreurs potentiels notamment. Ce faisant, le tribunal de commerce remplit une mission de « gestion assistée » ; il « agit ou risque d’agir en pure opportunité. Il devient ainsi davantage une commission de gestion que l’auteur d’un acte réellement juridictionnel »171. Il ne « juge plus, comme il se doit, après coup. Il prévient et prévoit, ce qui est le propre de l’administrateur et du consultant »172.
93Quelle que soit l’utilité de cette intervention préventive et tutélaire de la juridiction commerciale, particulièrement dans le contexte actuel de crise économique et de redéploiement industriel et commercial, elle ne laisse pas de susciter interrogations et critiques. Ainsi le procureur général Krings considère-t-il qu’aucune considération d’opportunité économique — même pas un jugement positif concernant la rentabilité virtuelle de l’entreprise — ne dispense le commerçant de faire l’aveu de la faillite ou le tribunal de commerce de la prononcer d’office lorsque les deux conditions légales sont réunies : cessation des paiements et ébranlement du crédit173. Or il est clair que l’adoption, par le tribunal, d’un plan de redressement à la réalisation duquel il a parfois contribué, rend assez malaisée, voire invraisemblable, l’exécution de ces obligations légales. Par ailleurs, le même auteur considère que l’indépendance du magistrat et le principe de séparation des pouvoirs lui font défense de prodiguer des conseils au commerçant : « il ne saurait être question de l’[le magistrat] autoriser à aller au-delà de l’information »174. Au vue de ces critiques et d’autres encore concernant notamment le risque de rupture de l’égalité devant la loi et d’érosion des droits de la défense, des propositions alternatives se sont multipliées. Ainsi, le projet de loi relatif à la « gestion assistée » qui ramène la compétence du projet, le plan de redressement serait dressé à l’initiative d’experts indépendants, la juridiction consulaire limitant son rôle à approuver ou rejeter le plan. On notera cependant qu’un juge délégué en surveillerait l’application et pourrait, le cas échéant, provoquer des modifications aux mesures originales175. Ce projet ne semblant pas devoir aboutir dans un avenir prochain, d’aucuns proposent d’associer au tribunal de commerce un auditorat économique176. Des magistrats spécialisés du Parquet pourraient exercer, sans les ambiguïtés caractérisant aujourd’hui l’intervention des magistrats du siège, des fonctions préventives et des tâches d’investigation indispensables à la bonne régulation de l’économie. Notamment, l’office d’un Parquet spécialisé éviterait à la juridiction consulaire de devoir négocier des aides d’État en faveur des entreprises en difficulté et la garderait ainsi de la tentation « de se déterminer en faveur d’impératifs politiques »177.
94Par-delà l’exemple significatif de la « gestion assistée » d’entreprises en difficulté par la juridiction consulaire, cette pratique prétorienne, ainsi que les débats qu’elle suscite, pose la question de la création d’une magistrature économique178. Il est clair que, dans l’hypothèse où, en définitive, prévaudrait l’idée de confier à la juridiction consulaire le contentieux de droit économique, ceci ne pourra se faire sans une modification, non seulement de son organisation interne, mais aussi et surtout de ses modes d’action. L’intervention du juge dans la vie économique impliquera alors nécessairement le recours aux techniques de l’administration contentieuse : tentatives de conciliation, procédés de dissuasion, usage de recommandations susceptibles de révision179. Par ailleurs, la juridiction ne pourra plus se limiter à un strict contrôle de légalité des décisions et mesures à caractère économique ; la nature même des questions litigieuses, liée à l’affaiblissement déjà noté du principe de légalité, entraînera le juge sur le terrain de l’appréciation de l’opportunité économique et même, plus largement, des exigences de l’intérêt général180.
95Tout comme les idées de protection et d’égalité expliquent le contrôle étatique renforcé sur les relations économiques et justifient la sorte de « guidance » qu’exercent les juridictions sur les entreprises en difficulté, de même, en ce qui concerne les relations familiales, le souci de protéger tantôt les enfants, tantôt le partenaire le plus vulnérable, lié à la progressive égalisation des rôles au sein du couple, explique l’intervention croissante du juge dans la vie familiale. Ici aussi, l’évolution des idées et des textes amène le juge à exercer une forme de « gestion assistée » des familles en crise. Conduit ainsi à prendre en charge un problème existentiel dans l’ensemble de ses aspects, le juge sanctionne moins des droits subjectifs en application de la loi, qu’il n’apprécie en opportunité des intérêts (de l’enfant, du ménage, de la famille) sur base d’éléments subjectifs et concrets181. Pratique qui l’amènera, le cas échéant, à se substituer aux titulaires de la fonction familiale182, exerçant ainsi un rôle « très différent du pouvoir de juger »183.
96La loi française du 11 juillet 1975 portant réforme du divorce et instituant, dans chaque juridiction de grande instance, un ou plusieurs juges aux affaires matrimoniales, a tenté d’officialiser et de rendre plus opérationnel le rôle nouveau reconnu au juge de la famille. Deux principes ont présidé à la réforme : le souci de centralisation et de continuité dans le règlement des difficultés familiales et la collaboration étroite des parties à l’élaboration de la solution. En réaction contre la dispersion des juges et la multiplication des procédures, l’institution d’un juge aux affaires matrimoniales a pour effet de permettre au même magistrat de connaître de l’ensemble des problèmes soulevés par la relation familiale et d’en assurer le règlement continu. Ce juge a donc tour à tour pour mission de tenter une conciliation entre les époux avant et pendant l’instance, de mettre l’affaire en état, de faire office de juge des référés, de participer au jugement, de régler les problèmes soulevés par l’exécution de la décision184. L’intervention du juge aux affaires matrimoniales s’inscrit donc dans la durée réelle et non plus dans l’éther intemporel du texte juridique et de sa formule exécutoire. Avant l’instance, le juge conseille et oriente les parties ; après l’instance, il reste compétent pour tous les problèmes subséquents (ainsi, après le prononcé du divorce, le juge statue sur les demandes de modification de la pension alimentaire et du régime de garde des enfants). Chargé en outre d’accorder, le cas échéant, une « prestation compensatoire » destinée à compenser la disparité que le divorce provoque dans les conditions de vie respectives des parties, le juge français de la famille devra se livrer à un véritable exercice de prospective puisqu’aussi bien la prestation compensatoire est déterminée selon les besoins et ressources respectifs des époux calculés au moment de la rupture du lien conjugal, mais aussi en fonction de l’avenir prévisible (art. 271 du Code civil français). Bien que fixée forfaitairement, cette prestation reste susceptible de révision au cas où « l’absence de révision aurait pour l’un des (ex-) conjoints des conséquences d’une exceptionnelle gravité » (art. 273 du Code civil français).
97La communication avec le justiciable et son association étroite à la solution constituent le second axe de la réforme. Les missions nouvelles reconnues au juge aux affaires matrimoniales impliquent le contact continu entre ce magistrat et les familles en difficulté ; les séances de conciliation se multiplient tout au long de l’instance, tandis que s’élaborent de concert les décisions, toujours révocables, qui prévaudront185.
98C’est un même courant d’idées qui a conduit, en Belgique, certains parlementaires à déposer une proposition de loi créant des « tribunaux de la famille »186. L’objectif est on ne peut plus large ; ainsi peut-on lire, dans les développements de la proposition de loi, cette considération : « Il paraît de plus en plus nécessaire de protéger et d’aider la famille dans son ensemble. Une juridiction spécialisée semble nécessaire pour s’occuper de tous les problèmes concernant la famille, qu’il s’agisse de différends entre époux, de problèmes posés au sein de la famille par l’un ou l’autre des parents ou enfants et des problèmes posés par la jeunesse délinquante, en danger ou abandonnée. » Il s’agirait, en somme, d’étendre les compétences, procédures et modes d’action du juge de la jeunesse, à la famille tout entière. L’extension du contrôle social qui ne manquerait pas d’en résulter se dégage bien de ce commentaire, favorable à la réforme envisagée, de M. Rouard : « dès qu’une difficulté surgirait dans une famille et que le tribunal de la famille en serait saisi, un dossier “famille” serait ouvert à la juridiction de la même manière que s’ouvre un dossier de la procédure, mais avec la différence essentielle que le dossier famille, une fois ouvert, le resterait »187.
99Ces propositions de loi qui, à ce jour, n’ont pas abouti, ne sont cependant pas restées sans échos. La loi du 14 juillet 1976, relative aux droits et devoirs des époux et aux régimes matrimoniaux, a, en effet, multiplié les interventions du juge dans la vie familiale. Tantôt il intervient comme arbitre des dissensions familiales188, tantôt il pallie l’incapacité de gestion d’un des conjoints ou remédie à ses actes intempestifs par des mesures de prévention et d’annulation189. Le nouvel article 223 définit du reste de la façon la plus large le rôle du juge de paix dans le règlement des crises conjugales : lorsque l’un des époux « manque gravement à ses devoirs » ou que l’entente entre les conjoints « est sérieusement perturbée », il appartient au magistrat cantonal de prendre « les mesures urgentes et provisoires relatives à la personne et aux biens des époux et des enfants ». Une gamme apparemment illimitée de mesures s’offre ainsi au juge de paix en vue d’assurer un règlement à la fois rapide et toujours modifiable de la situation de crise. Ici encore, l’intervention du magistrat s’apparente plus à celle d’un administrateur que d’un juge entendu au sens classique ; plusieurs traits de l’action administrative caractérisent en effet la compétence ainsi définie du juge de paix : le magistrat siège seul, il décide au terme d’une instruction accélérée et de modes procéduraux simplifiés, il prend, en opportunité, des mesures qui, rendues « rebus sic stantibus », sont toujours sujettes à révision ultérieure, le juge étant, comme on l’a écrit, « en état de saisine permanente »190. Sans doute dira-t-on que, même lorsqu’il apprécie souverainement les intérêts mis en cause, le juge ne dispose que de pouvoirs contenus et liés dans la mesure où il « s’agit toujours pour lui d’assurer le respect de situations légales, de pourvoir au règlement de questions de droit sensu lato, de maintenir en fin de compte l’ordonnancement juridique »191. Certes ; toute la question est cependant de savoir si les axes constitutifs et spécifiques de cet ordonnancement et les hiérarchies de valeurs qu’ils traduisent sont encore susceptibles d’être dégagés avec netteté et, partant, de réellement déterminer ie juge dans l’exercice de ses nouvelles compétences.
100Le recours fait, de plus en plus fréquemment aujourd’hui et dans les branches du droit les plus variées, aux magistratures présidentielles, par la technique du référé, traduit également une mutation profonde du sens de l’intervention judiciaire. L’article 584 du Code judiciaire permet aux présidents des tribunaux (de première instance, de commerce et du travail) de « statuer au provisoire », dans les cas dont « ils reconnaissent l’urgence » et cela pour les matières qui sont respectivement de la compétence de ces tribunaux. Alors même que l’appréciation de la condition « d’urgence » a toujours été analysée comme relevant d’un « important pouvoir discrétionnaire du juge »192, c’est aujourd’hui la notion de décision rendue au « provisoire » qui connaît une interprétation assouplie et élargie. Sans doute n’a-t-on jamais opposé provisoire à définitif ; on admet que le président prenne des mesures aux effets parfois irréversibles. De même, l’obligation de s’en tenir au provisoire n’empêche pas le magistrat de se référer au droit en vigueur, d’apprécier la valeur d’un titre, voire de prendre en considération la consistance d’un droit subjectif. Une réserve est faite cependant : si les circonstances de la cause soulèvent une « contestation sérieuse » dont le règlement entraînerait préjugé de la décision à rendre sur le fond, le juge des référés déclinera sa compétence193. Cette réserve cependant semble aujourd’hui remise en question par un important courant doctrinal et jurisprudentiel qui ramène la notion de provisoire à la règle qu’énonce l’article 1039 du Code judiciaire : « les ordonnances sur référé ne portent préjudice au principal ». De sorte que, dans cette optique, « le provisoire est moins une condition de la compétence du juge des référés qu’un effet limité de sa décision »194. On dira donc que, en cas d’urgence, le président du tribunal peut statuer provisoirement sur le fond du litige, sans que sa décision ne lie le juge du fond qui prononcera la décision définitive195. Si cette interprétation devait désormais prévaloir, il est clair que le champ d’intervention du juge des référés s’en trouverait considérablement élargi. La consécration du référé-provision en est une manifestation significative : il s’agirait de permettre au président du tribunal d’allouer une provision imputable sur le montant d’une éventuelle condamnation à des victimes ou des créanciers démontrant « l’urgence » de leur dédommagement ou de leur désintéressement. On imagine sans peine les nombreuses applications du mécanisme : responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, pensions alimentaires, baux d’immeuble, affaires de construction et de droit social196.
101C’est que sont apparus, de longue date déjà, les avantages inhérents à la décision rendue sur référé. On cite notamment la promptitude de l’intervention faisant contraste avec les traditionnelles lenteurs de la justice ; on évoque la variété des mesures qui sont à la disposition du président du tribunal lui permettant de rendre une justice efficace197. On souligne l’influence décisive qu’exerce, en fait, la décision provisoire sur la décision définitive ; mieux, on attend du référé l’exécution d’une œuvre de justice qui permette de faire l’économie du procès au fond198.
102Or, ce qui est significatif pour notre propos, c’est que la faveur renforcée dont bénéficie ainsi la compétence présidentielle va à une forme de justice qui, de l’avis unanime, tient plus de l’action administrative que de la judicature. Rendant des « ordonnances » — terme qui sert à qualifier des actes pris d’autorité dans l’exercice d’une fonction de réglementation ou d’administration — le juge des référés s’exprime non pas tant « avant dire droit » que « sans dire droit »199, il lui appartient d’ordonner toutes mesures appropriées aux circonstances de fait et de droit. Autrement dit : l’action du juge s’exerce, dans le cadre légal, selon les opportunités du moment. Le rapprochement avec la rationalité qui préside à l’intervention de l’administrateur se renforce encore si on rappelle que la compétence est centrée sur un souci de prévention, tandis que la décision, ne bénéficiant pas de l’autorité de chose jugée, présente, en revanche, ce caractère d’être exécutoire d’office. Ce magistrat s’en avise qui ainsi qualifie sa propre intervention : « il [le juge des référés] exécute sa mission spécifique, laquelle relève de ce que l’on a appelé la police civile, la tutelle judiciaire, l’aspect administratif de la fonction judiciaire, l’administration judiciaire ; comme dit la doctrine, il ne statue pas par voie de jurisdictio, mais plutôt comme un magistrat investi de l’imperium »200.
103Le recours croissant qui est fait à la procédure de référé réalise une extension de l’œuvre du juge dans le sens de l’amont, du précontentieux ; si l’on admet cependant que l’ordonnance n’est rendue que « rebus sic stantibus » et peut donc toujours être modifiée ou révoquée, il y va tout autant d’une extension vers l’aval, vers le post-judiciaire. C’est une évolution du même ordre que nous avions déjà enregistrée à l’occasion de l’analyse de certaines compétences du tribunal du commerce et du tribunal de la famille. Le besoin est aussi pressant d’une justice continue, que d’une justice préventive. Parmi les nombreuses manifestations de ce phénomène, on retiendra les projets, souvent réitérés, qui visent à associer le juge pénal au contrôle de l’exécution des peines privatives de liberté201. On sait que la situation qui prévaut aujourd’hui est celle de la scission du procès pénal : une phase juridictionnelle de poursuite et de jugement qui conduit, le cas échéant, au prononcé d’une peine individualisée, est suivie d’une phase proprement administrative d’exécution de la peine. Alors que les magistrats fixent la durée maximale de la peine privative de liberté, c’est l’Administration pénitentiaire qui en détermine la durée effective. Ce qui conduit à cette situation paradoxale, dénoncée par le procureur général Matthijs : « si le juge, comme le médecin, ordonne un traitement individualisé, il ne peut, contrairement au médecin, surveiller et suivre l’effet de sa prescription sur la personne du patient, ni, en vue de sa guérison, adapter éventuellement le traitement à l’évolution de la maladie »202. Diverses propositions de réformes sont élaborées, qui toutes se réclament de l’exemple français du « juge de l’application des peines » auquel diverses dispositions ont confié des missions autrefois dévolues à l’Administration pénitentiaire. Dans sa Mercuriale déjà citée, le procureur général Matthijs envisage quant à lui une commission composée pour partie de magistrats et pour partie de représentants de l’Administration ; la procédure développée devant cette commission aurait un « caractère administratif », en dépit de son pouvoir de décision juridictionnelle ; elle serait « détachée de tout combat judiciaire et uniquement dirigée sur l’information aussi complète que possible de la commission »203.
104On pourrait multiplier les illustrations des compétences nouvelles aujourd’hui dévolues ou proposées au pouvoir judiciaire. Si, dans un sens, cette extension de pouvoirs vers le pré-contentieux, le post-contentieux et même l’extra-contentieux (domaine des simples intérêts à promouvoir ou préserver), témoigne de la vitalité de l’institution judiciaire à laquelle on continue à faire confiance pour assurer, dans des champs sans cesse élargis, la préservation de la légalité conçue de la manière la plus large, dans un autre sens cet élargissement sollicite à ce point la résistance des principes libéraux toujours constitutifs de la fonction de juger, qu’on peut se demander si le point de rupture n’est pas atteint. Le recours à la technique des types-idéaux, qui réalisent dans l’abstrait le passage à la limite d’une évolution, devrait aider à savoir si le juge-entraîneur n’est pas, en définitive, bien plus joueur que juge.
CHAPITRE 10. Méthode du juge
105La méthode du juge traditionnel est dialectique. De la libre discussion sur le juste partage et la bonne conduite se dégage la solution de droit. Le juge n’applique pas une règle préétablie ; il « trouve » le droit au terme d’un échange d’opinions qui conduit au prononcé d’une sentence soumise à l’approbation des membres du groupe204. Ainsi, pour ce qui concerne la justice rendue par les rois Francs, la sentence est élaborée par l’assemblée des hommes libres, le mall205, tandis que le cadi ne prononçait la décision qu’après avoir consulté son conseil (mashura) ou recueilli les avis des sages (fatawi)206. Le jugement procède donc d’un travail de dialogue et de rhétorique par échange d’arguments largement basés sur les faits et organisés autour de lieux communs représentant les valeurs qui, héritées de la tradition ou dégagées de l’observation, structurent la vie du groupe.
106Quant au juge libéral — celui que nous avons qualifié de « juge-arbitre » — sa mission consiste à trancher des contestations particulières en application de normes générales. Il n’est dès lors pas étonnant que sa méthode soit logique et formelle, articulée autour de chaînes de syllogismes dont la loi représente la majeure, les données de fait la mineure et le dispositif du jugement, la conclusion. A l’autonomie institutionnelle du judiciaire répond ainsi son autonomie méthodologique. Sans doute dira-t-on que toute application d’une norme générale à un cas particulier requiert interprétation de ce texte et qu’ainsi s’insinuent dans l’œuvre du juge des éléments d’appréciation qui ne relèvent plus de la systématicité juridique207. Certes, toute application de la loi suppose son interprétation et donc, au moins partiellement, sa reformulation ; mais on a pu montrer, dans le cadre des travaux antérieurs de ce séminaire notamment, qu’à son tour cette reformulation du texte juridique était polarisée par des « idéaux logiciens » : tels ceux de la clarté des textes, de la cohérence, de la complétude et de la non-redondance du système juridique208. Certes, il y a un « jeu » de l’interprétation ; mais ce jeu est, au moins pour partie, régi par des règles ; et pour le reste, les joueurs ne sont pas livrés à leur seule inspiration : un « sens du jeu », une conscience du « but du jeu » et de ses véritables « enjeux » les déterminent plus sûrement encore que des directives explicites209. C’est l’image du législateur rationnel, auteur censé omniscient et équitable du texte juridique, gardien de sa cohérence et de sa pérennité, en même temps que garant du maintien de la cohésion sociale et de l’ordre établi, qui nous est apparu la figure la plus explicite de cette rationalité formelle et intégrative, opérant comme idée régulatrice de la démarche juridictionnelle. On connaît les traits principaux du discours juridique qui s’en dégagent : usage parfois abusif des catégories formelles, systématisation parfois artificielle des concepts et des solutions, travestissement des faits matériels seulement retenus dans la mesure de leur pertinence à l’égard du système et de leur qualification par les concepts disponibles, attention réduite portée aux conséquences des solutions, seulement envisagées en termes de cohérence conceptuelle et institutionnelle. C’est à ce prix que se maintient, ou se restaure, sous le contrôle de la Cour de cassation, la clôture du discours jurisprudentiel, lui-même attaché à la perpétuation du système juridique au travers de ses inévitables ajustements.
107On comprendra que la méthode du juge ainsi conçue devient aujourd’hui de plus en plus malaisée au fur et à mesure que s’accroissent les tensions, conceptuelles et idéologiques, qui affectent le système juridique. Par ailleurs, la modification des fonctions confiées au « juge-entraîneur » ne peut rester sans effet sur sa démarche intellectuelle. De sorte que s’impose aujourd’hui une méthode de raisonnement téléologique, prônée de longue date en doctrine210, mais restée peu appliquée jusqu’ici. Il est clair que lorsque les obligations dont le juge doit assurer le respect prennent la forme de directives souples ou de standards, que lorsque les droits subjectifs dont il assure la sanction prennent la forme de simples intérêts, que lorsque des concepts précis comme ceux de « cessation des paiements » ou de « culpabilité » sont remplacés par d’autres comme la « viabilité d’une entreprise » ou la « dangerosité » d’un individu, le juge est contraint de décider en s’inspirant des finalités sociales et politiques qui président aux institutions et mécanismes au sein desquels prennent place ces standards, intérêts et concepts.
108Or, il arrive que ces finalités, ainsi que les règles techniques qui les appuient, ne soient pas toujours clairement définies : le juge est alors conduit à statuer en opportunité pure et simple ; parfois aussi, un objectif bien déterminé peut entrer en conflit, dans le cas d’espèce, avec un autre objectif tout aussi déterminé et respectable : de délicats arbitrages s’imposent alors au magistrat.
109Certains jugent favorablement la mission nouvelle ainsi confiée au pouvoir judiciaire par un système juridique qui, après avoir successivement traversé un stade « répressif » et un stade « autonome », se caractériserait aujourd’hui par son ouverture et son adaptabilité (« responsive law »)211. La méthode du juge est qualifiée, dans ce cadre, d’« instrumentalisme dynamique »212. Le juge n’est plus l’applicateur passif de règles et principes préétablis ; il collabore à la mise en œuvre de finalités sociales et politiques. Mais, à la différence d’un « instrumentalisme statique » qui opère au service des seuls objectifs imposés par un pouvoir unique, la méthode ainsi décrite suppose un environnement politique à la fois pluraliste et mouvant, de sorte que le juge est amené à réaliser de permanents arbitrages entre valeurs et politiques concurrentes. Son rôle consiste à comparer systématiquement des objectifs alternatifs au vu de leurs résultats respectifs et des valeurs qui leur sont sous-jacentes. Plusieurs traits configurent cette méthode qui constituent autant de différences à l’égard de la démarche du juge légaliste. Une grande attention est portée aux éléments de fait, matériels et psychologiques, de l’affaire. A cette fin sont mobilisées toutes les ressources de l’enquête empirique. Une discussion particulière est consacrée à la qualification et l’interprétation de ces faits qui ne s’opèrent pas uniquement en termes juridiques ; le recours à une multiplicité d’autres savoirs conduit à une pluralité de reconstructions et d’éclairages de l’objet en litige. La solution du problème est ensuite élaborée tant au regard des normes existantes que des finalités socio-politiques, dûment réactualisées, qui les fondent. Ce qui conduira le juge, le cas échéant, à opérer comme agent du changement social comme c’est le cas par exemple, lorsque, accueillant l’action d’intérêt collectif des groupements, il consacre de nouveaux types d’intérêts. Dans tous les cas, le juge s’efforcera d’anticiper les résultats pratiques de sa décision ; parfois il organisera des procédures d’auto-contrôle des mesures qu’il préconise en prévoyant tantôt des mesures d’adaptation de celles-ci, tantôt même la possibilité de leur révision. Enfin, une large participation du justiciable est assurée à tous les niveaux de cette procédure, de sorte qu’ils apparaissent en définitive comme codécidants213.
110Ce sont cependant les mêmes auteurs qui décrivent dans ces termes enthousiastes la démarche du juge-entraîneur, qui multiplient les critiques à l’égard de la méthode actuellement mise en œuvre par les juridictions américaines et qu’on désigne généralement du terme d’« incrementalism »214. L’incrementalism n’affiche pas autant d’ambition que l’« instrumentalisme dynamique » (214). Partant de l’idée, évidente selon eux, que les juridictions sont des « agences politiques » comme les autres et que le juge applique une méthode de décision qui n’a rien d’original215, les théoriciens de l’incrementalism le présentent comme une technique de décision plus pragmatique que rationnelle. Il s’agit d’opérer, dans chaque cas, la meilleure adaptation possible du droit au problème concret, et cela au prix du minimum de changement. La jurisprudence se présente donc comme une somme d’ajustements marginaux des solutions données, réalisant ainsi une forme de changement permanent dans la continuité216. Si ce trait pourrait encore assez bien caractériser la jurisprudence classique, en revanche cet autre s’en écarte qui consiste à rejeter les principes et la logique déductive et à adapter, dans un souci de réalisme présenté comme prioritaire, les finalités aux moyens dont on dispose et non l’inverse217. Ce qui attire, bien entendu, sur cette méthode les reproches de l’éclectisme et de l’opportunisme : perdant le souci de poursuivre des objectifs généralisables, la méthode téléologique dégénère en technique du jugement au coup par coup. Par ailleurs, on relève aussi les risques auxquels peut conduire l’association trop étroite des justiciables à la prise de décision. Si cette association ne s’opère que sous la pression des puissants groupes qui concourent aujourd’hui à la corporatisation de l’État déjà relevée, l’œuvre de justice sera tantôt injuste, lorsqu’elle opère sous des pressions trop unilatérales, tantôt bloquée lorsque s’équilibrent les forces qui s’exercent sur elle218.
111Quoi qu’il en soit de ces appréciations en sens divers dont ne sont pas absents, répétons-le, des enjeux axiologiques, il est certain que progresse le style téléologique, pragmatique et empirique des décisions. Pour illustrer ce point, nous avons choisi trois décisions empruntées à la justice rendue sur référé, qui constitue, comme nous avons tenté de le montrer dans le précédent chapitre, un mode expédient de solution des conflits et de plus en plus souvent sollicité aujourd’hui.
112Notre premier exemple est tiré d’une ordonnance rendue par le président du tribunal de Liège le 4 septembre 1975219. Ce magistrat était saisi d’une requête qui tendait à la désignation urgente d’un expert en vue d’établir le texte définitif du procès-verbal d’une récente réunion du Conseil d’entreprise établi au sein de la société requérante. Vu la divergence irréductible qui opposait, dans cette affaire, l’employeur au secrétaire du Conseil d’entreprise quant à la portée exacte des propos et des concessions échangés au cours d’une séance importante de ce Conseil, appel était fait au juge des référés. Celui-ci accède à la demande et justifie sa compétence dans des termes qui témoignent d’un souci bien plus large que celui du seul maintien de la cohérence de l’ordre juridique :
113« Attendu qu’au vu de la situation sociale et économique de la région liégeoise, la survie des entreprises et la sauvegarde de l’emploi constituent des problèmes essentiels à la solution desquels aucune instance ne peut rester indifférente. Que la requête tend en fait à obtenir du tribunal une mission d’investigation entre des parties concernées au premier chef par ces questions cruciales qui se posent de façon particulièrement aiguë à l’Entreprise... Attendu que si le tribunal du travail doit avant tout conserver sa compétence contentieuse, il ne peut ignorer la recherche des solutions qui pourraient avoir pour conséquence d’éviter les litiges sociaux et ainsi contribuer à la paix sociale ; que c’est dans ce cadre qu’il faut admettre le bien fondé de la requête et y faire droit... »220.
114Ce sont des préoccupations du même ordre qui ont conduit le président du tribunal de commerce de Mons à nommer, par ordonnance, un administrateur provisoire dans une société dont le fonctionnement était hypothéqué en raison d’une mésentente grave entre ses actionnaires221. Après avoir rappelé que les « juges n’ont en principe pas à intervenir dans la vie des sociétés », ce magistrat établit cependant que « les tribunaux doivent toutefois envisager d’intervenir dès qu’il y a péril non seulement pour des actionnaires, mais aussi pour la société elle-même ; que le droit, et plus spécialement le droit des sociétés, doit suivre l’évolution sociologique et économique du monde dans lequel cette société est appelée à fonctionner. Attendu que l’intervention des tribunaux en la matière se justifie surtout par une notion de protection ; que cette protection ne doit pas concerner uniquement des intérêts particuliers ; qu’une société fût-elle commerciale, présente d’autres aspects qu’une simple association de capitaux ; que dans notre droit moderne, la société commerciale tend de plus en plus à constituer une entité indépendante de ses composantes humaines et financières ; que les administrateurs d’une société non seulement doivent tenir compte de problèmes d’intérêts des actionnaires, mais qu’ils doivent s’astreindre à administrer la société dans le but d’assurer sa bonne marche, de la conduire au succès au milieu des aléas du commerce ». Cet ensemble de prémisses conduira le juge à nommer un administrateur provisoire, non sans qu’au préalable il ait encore relevé que la société dont question avait « à son service un certain nombre de personnes et représentait un élément créatif du produit national brut ». C’est pour « apaiser les esprits et tenter de sauvegarder l’entité économique que constitue cette entreprise » que le juge accède à la requête qui lui est faite222.
115Notre troisième illustration d’une démarche à la fois préoccupée de la matérialité des faits et de la finalité de la régulation juridique est tirée d’une ordonnance rendue cette fois par le président du tribunal civil223. Dans cette affaire, le magistrat accorde à titre provisionnel une indemnité de 750 000 F aux parents d’une victime d’un accident de la circulation alors même que la responsabilité de cette victime risquait d’être sérieusement mise en cause lors du règlement définitif de l’affaire. Aussi le magistrat s’emploie-t-il à motiver sa décision avec beaucoup de soin. Il commence par rappeler la mission générale impartie au judiciaire : « Attendu que la mission traditionnelle du service judiciaire consiste à vider les contestations par droit et sentence ; que cette manière de rendre la justice exige le respect des nombreux délais imposés par le Code judiciaire, à tous les degrés, pour que le procès puisse être équitable ». Considération immédiatement suivie par une appréciation factuelle : « qu’actuellement ces délais légaux sont prolongés par l’éloignement des dates de fixation des causes aux audiences, dû à l’encombrement des rôles, et par les difficultés de tous ordres, que rencontrent les plaideurs pour préparer les procès ». Vient ensuite l’évocation des conséquences sociales auxquelles conduit cette situation empirique : « Attendu que le procédé se révèle relativement peu efficace lorsque sont en litige des intérêts qui participent à l’existence journalière et sont contingents du temps qui s’écoule ; qu’alors, le justiciable qui peut attendre, est dans une position favorable par rapport à un adversaire qui, pressé par le temps, doit se résoudre à engager des négociations « pour faire bref procès » ; qu’en conséquence, bien que la loi dispose également pour tous, la lenteur de sa disponibilité pratique crée des inégalités que les uns craignent et dont d’autres peuvent tirer profit ; attendu que pour pallier ces inconvénients, la loi permet de prendre des mesures provisoires plus administratives que juridictionnelles, pour régler le sort des parties pendant la durée de la contestation sur le fond ». C’est cette conception de sa mission « plus administrative que juridictionnelle » qui le conduit à accorder la provision réclamée. Voici l’attendu décisif : « Attendu que, lorsque l’urgence est invoquée par celui dont les intérêts pécuniaires sont intimement liés au mode d’existence, on voit mal pourquoi le juge des référés ne pourrait allouer au provisoire, c’est-à-dire sans préjudice au fond et aux risques et périls de celui qui l’obtient, une avance raisonnable destinée à payer des frais normaux de subsistance ». La solution est ensuite appuyée par un argument d’analogie relevant d’un logique juridique, mais aussi sociologique : « qu’il est fait une application courante de cette faculté notamment lorsqu’un demandeur postule en référé une avance sur pension alimentaire après transcription d’un jugement de divorce obtenu par lui, même alors que reste pendante une action en divorce intentée par la partie défenderesse au référé ; que l’on ne pourrait comprendre pourquoi ce qui est normal en matière de divorce, épidémie des sociétés industrielles, ne le serait pas dans celle des accidents de la route avec blessés, calamité plus considérable encore de ces mêmes sociétés ». Enfin, la mesure est tempérée par cette ultime considération : « que l’avance doit être appréciée d’une manière plus modérée dans la mesure où la demande au fond fait apparaître certains éléments qui peuvent donner lieu à une contestation sérieuse ; qu’à l’égard de ces éléments, en effet, l’avance n’est plus accordée sur base du bon droit apparent du demandeur, mais uniquement à titre de mesure d’administration équitable destinée à aménager entre les parties une situation d’attente »224.
116Ces trois décisions montrent bien le lien intime qui relie méthode mise en œuvre et mission dévolue : dès que s’élargit le champ des intérêts pris en considération au terme d’une démarche empirique et instrumentale, se développe le domaine d’intervention du juge ainsi que ses modes d’action. Une telle évolution ne pouvait manquer d’affecter la procédure elle-même. C’est l’objet de la section suivante que de le montrer.
CHAPITRE 11. La procédure judiciaire
117Seront successivement examinées dans ce chapitre les questions relatives à la nature de la procédure mise en œuvre dans les trois modèles de justice retenus, les questions relatives à la production de la preuve et celles relatives à l’accès au prétoire.
118Il est bien connu que dans le modèle traditionnel-coutumier, la procédure est essentiellement orale et informelle, parfois même irrationnelle et magique. On relèvera notamment que, conformément à une mentalité qui distingue mal le fait du droit, la production de la preuve consiste plutôt en l’accomplissement d’épreuves, à la réussite desquelles est liée la reconnaissance du bon droit. Retenons parmi ces pratiques : le serment, le duel, les ordalies ou jugements de Dieu225. Quant à l’initiative de l’action en justice, on notera que le juge ne statue que sur plainte ou clameur, ce qui suppose déjà un trouble social assez grave ; pour le reste, le principe est que l’homme libre se fait d’abord justice lui-même226.
119Dans le modèle de justice libérale-légaliste, la procédure prend une place considérable ; la place prépondérante, pourrait-on dire, tant il est vrai que toute la justice réside dans le respect des règles procédurales, garantes du correct déroulement du « due process of law ». La procédure est donc strictement réglementée, empreinte d’un profond formalisme227. On y voit la meilleure garantie des libertés individuelles. L’œuvre de justice trouve à s’exprimer dans des actes rendus publiquement et spécialement motivés ; elle se déroule selon des débats réglés de façon à permettre l’égale expression des points de vue antagonistes et elle est susceptible de divers recours. Deux principes dominent la matière : celui de la publicité et celui du contradictoire ou respect des droits de la défense ; ces principes informent tout le fonctionnement de la justice et expliquent en particulier le formalisme des actes et des délais228. Plus généralement, ils participent de cette idéologie libérale qui, en principe à tout le moins, garantit la visibilité des antagonismes sociaux et l’égalité de tous dans l’expression des points de vue opposés229. C’est encore la représentation libérale de la société qui entraîne la dualité des procédures accusatoire et inquisitoire. Au règlement des conflits d’intérêt engageant l’ordre public et au contentieux de légalité est réservée la procédure inquisitoire qui consacre la maîtrise du juge et sur la décision et sur l’instruction du procès. En revanche, lorsque le contentieux est celui des droits subjectifs — règlement d’intérêts privés donc — le principe dispositif et la procédure accusatoire garantissent la maîtrise par les parties du déroulement de l’instance. Dans ce cas, le juge se maintient dans un rôle relativement neutre et passif, l’initiative de la preuve revenant aux parties. Cette situation, encore renforcée par le principe de la preuve réglementée, conduit généralement à creuser l’écart entre vérité judiciaire et vérité existentielle. Le partage des sphères publique et privée se répercute également au plan de l’initiative de l’action elle-même : au ministère public est réservée l’action publique, tandis que l’action civile est à la disposition des particuliers. Certes, des aménagements sont prévus sous forme d’une association des victimes à l’instance pénale (constitution de partie civile) et d’un droit d’action du parquet au civil lorsque le litige met en jeu l’ordre public (art. 138 du code judiciaire), mais ce ne sont là que des tempéraments à la règle de l’étanchéité des domaines d’intérêts public et privé. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que les actions d’intérêt collectif qui, par hypothèse, dissolvent cette distinction, ne trouvent guère d’aboutissement dans ce contexte230. Enfin, si le droit d’action est reconnu comme une des assises les plus fondamentales de « l’État de droit », en revanche, nulle réflexion sociologique ne vient éclairer les conditions réelles de l’accès en justice, ce qui conduit — conformément à la logique de l’Etat libéral — à des situations très différenciées à cet égard.
120Lorsque le juge-entraîneur se substitue au juge-arbitre, d’importants aménagements de la procédure peuvent être observés. On ne se satisfait plus désormais du respect formel de règles procédurales ; on recherche l’efficacité de l’intervention judiciaire, sa rapidité, sa souplesse. Le contact informel avec le justiciable est préféré au rituel réglé des actes et délais de la procédure classique. La procédure s’invente ainsi au jour le jour au gré des nécessités. Relevons un témoignage parmi d’autres de cette conception nouvelle, ici emprunté à un commentaire de la proposition de loi relative à la création d’un tribunal de la famille : « les parties sont tenues de comparaître personnellement, sans pouvoir se faire assister d’un conseil. Relevons qu’il n’est pas précisé comment le juge doit procéder au cours de cette tentative de conciliation ; nous y voyons l’avantage que le juge n’est lié par aucun système-type fixé à l’avance. La plus grande latitude serait donc laissée au juge, non seulement sur la manière de conduire la tentative de conciliation, mais encore sur sa réitération »231.
121Il s’en dégage nécessairement que des atteintes sérieuses sont ainsi portées aux deux principes structurant le procès libéral : la publicité des débats et le respect des droits de la défense. De plus en plus d’affaires se traitent aujourd’hui à huis clos ou en chambre du conseil, devant le juge de la jeunesse en Belgique232¸ le juge de la famille en France233, tandis que les idées avancées de protection des plus faibles ou de promotion de l’intérêt général conduisent parfois le juge à ne plus respecter strictement l’égalité des parties. Ainsi, en matière de faillite déclarée d’office par le tribunal de commerce, la jurisprudence, s’autorisant de son rôle de police économique, hésite aujourd’hui sur le point de savoir s’il convient de convoquer le commerçant en vue de faire valoir ses moyens de défense234. En matière de protection de la jeunesse encore, il a été souvent relevé que l’intervention de l’avocat y est plus symbolique que réelle, celui-ci n’intervenant le plus souvent qu’à l’audience publique au moment où la situation est déjà fixée235. On relèvera également, dans le même ordre d’idées, que la multiplication des expertises et enquêtes en tous genres, ainsi que leur influence croissante sur le dispositif des décisions (cf. supra), sont également de nature à énerver le jeu du contradictoire. Ainsi, par exemple, l’étude sociale réalisée à l’intervention d’un délégué appartenant au service social de protection de la jeunesse, sur base d’une mission qui lui est confiée dans des procédures relatives à l’exercice du droit de garde ou de visite de l’enfant, échappe à toute règle de droit ; c’est l’assistant social qui fixe lui-même, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, l’objet de sa mission et la manière dont il s’en acquitte — le plus souvent en dehors de tout respect du contradictoire. Une fois terminée, l’information sociale n’est pas communiquée aux parties. Seuls les avocats sont autorisés à en prendre connaissance, avec défense de la communiquer aux parties236. Ce qui conduit à cet autre effet de modifier les rôles respectifs des protagonistes du procès : tout comme le ministère public abandonne, en l’espèce, son rôle répressif au profit d’un rôle tutélaire, l’avocat est tenu de collaborer à la recherche collective d’une solution rationnelle plutôt que de camper sur une position défensive. C’est à la faveur de l’idée que ces conflits — viabilité d’une entreprise, épanouissement d’un enfant — relèvent plus d’un savoir objectif que de jugements de valeurs, que tente de se légitimer l’érosion progressive du respect du débat public et contradictoire.
122C’est encore la même idée selon laquelle l’instruction du procès et le déroulement des débats doit conduire plutôt à l’établissement de vérités objectives qu’à l’expression de positions et valeurs antagonistes, qui conduit aujourd’hui au progrès généralisé du style inquisitoire237. Le Code judiciaire de 1967 consacre à cet égard des dispositions qui renforcent considérablement le pouvoir d’investigation du magistrat en matière civile. Ainsi, par exemple, l’article 872 qui permet au juge « en matière d’exercice de la puissance paternelle et de garde des enfants, de résidence des époux, de pension alimentaire et d’adoption » de requérir le ministère public de « recueillir des renseignements sur les objets que limitativement il précise ». De lege ferenda, on tend à s’inspirer des très larges pouvoirs d’information présentement reconnus au juge de la jeunesse par les articles 50 et 51 de la loi du 8 avril 1965, pour configurer les modes d’action du nouveau juge de la famille238. De manière générale, l’association étroite, tantôt d’experts, tantôt du parquet et de ses services spécialisés, à l’instruction des affaires, concourt à renforcer le style inquisitoire de la procédure civile. A propos de l’intervention du ministère public, on notera notamment qu’en matière de sécurité sociale, le Code judiciaire a créé un auditorat spécialisé à l’initiative duquel s’opère l’instruction des affaires, leur assurant le plus souvent un règlement rapide et efficace.
123On oppose traditionnellement à l’initiative du juge, en matière civile à tout le moins, le principe selon lequel il ne peut statuer ultra petita, et ne peut donc modifier l’objet de la demande. Mais ce principe vient à céder à son tour. Si l’on part de l’idée que le juge est plus l’exécutant d’un ordre public de protection, que l’arbitre d’une compétition particulière, il n’y a plus de raison de s’opposer à ce que ce magistrat, saisi des éléments de fait d’un litige, collabore avec la partie la plus faible dans l’élaboration de l’objet de sa demande. C’est dans la matière du contentieux de la sécurité sociale, où s’opposent généralement particuliers et puissants organismes publics et privés, que cette évolution est la plus nette ; mais on en trouve trace également à l’occasion de l’application de l’article 223 nouveau du Code civil qui permet au juge de paix de prendre, en cas de crise de la société conjugale, toute « mesure urgente et provisoire » qui lui semble opportune, à défaut même pour les parties de s’être prononcées sur celle-ci239.
124Il est enfin un dernier trait du procès libéral qui connaît aujourd’hui une sérieuse remise en question, à savoir sa relative indifférence à l’égard de l’accès réel du justiciable au prétoire. Le souci contemporain de réaliser une égalisation réelle des conditions, au-delà de la proclamation de l’égalité formelle, a conduit, si l’on en croit Cappelletti et Garth240, à un mouvement de réformes en trois phases. Dans un premier temps, la préoccupation va aux plus démunis, qu’on tente de soutenir dans leurs procès par divers mécanismes d’assistance judiciaire. Dans un second moment, on tente non seulement de faciliter l’accès de tous au prétoire, mais aussi d’améliorer l’intervention qualitative du judiciaire en assurant un accueil favorable aux intérêts diffus de catégories générales de citoyens. C’est de ce souci que s’inspire, d’une part, la reconnaissance, en France, de l’action d’intérêt collectif qui suppose encore la constitution d’un groupement de défense d’un intérêt collectif déterminé et, d’autre part, la création aux États-Unis de la « class action » qui permet à un seul individu, jugé représentatif d’une classe déterminée de citoyens, d’obtenir en leur faveur un dédommagement collectif. Enfin, dans un troisième temps, c’est l’idée même de défense en justice qui est mise en discussion au profit de formules nouvelles visant à adapter systématiquement les institutions de prévention et de règlement des conflits aux divers types de litiges et aux diverses catégories de justiciables, ce qui ne manque pas d’entraîner des bouleversements importants des règles classiques de la procédure.
125Cette dernière observation referme la boucle de notre propos et le renvoie à l’ambiguïté de son objet : mutation et/ou débordement du judiciaire.
Conclusions
126On se gardera, au moment de conclure cette étude nécessairement programmatique, de prendre des conclusions qui risqueraient encore de durcir des propos déjà par trop affirmatifs et schématiques. La confrontation systématique de trois modèles de justice à leur indices concrets de réalisation, au travers des divers paramètres que nous avons retenus, suscite sans doute plus d’interrogations qu’elle n’en résout.
127Parmi celles-ci, il en est une qui n’a pas encore été présentée pour elle-même et qui sous-tend l’ensemble du travail accompli. Sans doute déborde-t-elle les frontières du droit judiciaire, mais elle mérite, nous semble-t-il, d’être posée dans le cadre d’un séminaire interdisciplinaire. La question revient à savoir s’il est réellement possible de penser le droit en dehors des figures de la loi et du juge. Bien qu’on tente de se garder de toute forme d’ethnocentrisme et d’historicisme qui nous ferait tenir le droit occidental moderne pour seule forme possible du juridique, il faut néanmoins se demander sérieusement s’il est concevable d’appréhender du droit en dehors de cette règle sociale, à la fois imposée et intériorisée, crainte et aimée, et de ce tiers auquel il est fait recours pour dire le contenu de la règle et ainsi départager les parties en litige. Remonter en deçà de ces figures, n’est-ce pas verser dans quelque utopie iusnaturaliste qui a vu tour à tour dans la fratrie originelle soit ce paradis des « bons sauvages », soit cet enfer où « l’homme est un loup pour l’homme » ? Se projeter au-delà du juge et de la loi, comme nous y invite un courant d’idées et de réformes que nous avons tenté de présenter, n’est-ce pas plonger également dans une forme d’utopie que l’on appréhendera, selon sa sensibilité et ses opinions philosophiques, tantôt sous les traits enchanteurs de la cité scientifique aux rapports sociaux transparents et rationnels, tantôt sous les traits inquiétants de quelque « meilleur des mondes » ?
128Si nous prenons le parti de renoncer à ces enfers et ces paradis pré- et post-modernes pour tenter d’assumer notre humaine condition, sommes-nous alors vraiment contraints de reconnaître la règle et le tiers pour figures indépassables du juridique — figures dont la modernité fournirait les contours les plus nets ? Voilà l’interrogation ultime qui surgit, presque par devers nous, des quelques observations rassemblées dans cette étude.
Notes de bas de page
1 On trouvera un compte rendu de ce congrès dans J. VERIN, Le règlement extrajudiciaire des litiges, in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, no 1, janvier-mars 1982, Paris, p. 171-183.
2 Justice 78, p. 10.
3 Ibid., p. 10-11.
4 Max WEBER, Essais sur la théorie de la science, trad. J. Freund, Paris, 1965, p. 179-186 ; cf. aussi, pour l’explication du type-idéal, P. BOURDIEU, J.-C. CHAMBOREDON et J.-C. PASSERON, Le métier de sociologue, Paris, 1968, p. 79 et suiv.
5 Cf. M. WEBER, On Law in Economy and Society, trad. E. Shils et M. Rheinstein, Cambridge (Massachusetts), 3e éd., 1969, p. 213-317-351 ; pour des commentaires de cette forme de justice, cf. M. RHEINSTEIN, ibid., p. XLVIII ; J. FREUND, La rationalisation du droit selon M. Weber, in Archives de philosophie du droit, t. 23, Paris, 1978, p. 89 ; J. GROSCLAUDE, La sociologie juridique de M. Weber, thèse ronéotypée, Strasbourg, 1960, p. 45-46. A noter la difficulté de ces commentateurs à ranger la justice du Cadi dans un type de droit matériel irrationnel (le Cadi jugeant selon les prescrits du Coran et en accord avec les sentiments éthiques de la population). Il semblerait que les islamologues conçoivent le rôle du Cadi comme fortement encadré par la révélation coranique : en ce sens, cf. L. MILLIOT, Introduction à l’étude du droit musulman, Paris, 1953, p. 685.
6 L’interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire, sous la direction de M. van de Kerchove, Bruxelles, 1978.
7 On trouvera, dans la littérature de langue française, une typologie très succincte des types de justice dans A. J. ARNAUD, Le médium et le savant. Signification politique de l’interprétation juridique, in Archives de philosophie du droit, t. 17, Paris, 1972, p. 170-171. L’auteur distingue trois types de justice : celle du juge médium (système de la « toge »), celle du juge logicien (système du « faux-col ») et celle du juge savant (système de la « blouse »). Voyez aussi en langue néerlandaise, G. J. WIARDA, Drie typen van rechtsvinding, Zwolle, 1972. Suivant une typologie qui remonte à Montesquieu, l’auteur distingue un juge entièrement déterminé par la loi, un juge qui statue selon l’équité et un juge qui fait la part des textes et de l’équité.
8 R. M. UNGER, Law in modem society. Toward a criticism of social Theory, New York-London, 1976 ; Ph. NONET et Ph. SELZNICK, Law and society in transition : toward responsive law, New York, 1978. Voyez aussi A. THOMSON, Law and the social sciences. The demise of legal autonomy, doc. ronéotypé, Kent, 1981, p. 29-44 ; cf. aussi R. WINTER, The growth of judicial power, in The judiciary in a democratic society. L. Theberge éd., Lexington, 1979, p. 29 et suiv. L’auteur oppose deux modèles de justice : « the interpretive model » où le juge résout des cas particuliers à l’aide de règles et valeurs générales préétablies et « the judicial-power model » où le juge n’hésite pas à consacrer des règles et valeurs nouvelles.
9 Ph. NONET et Ph. SELZNICK, op. cit., p. 54, note 2.
10 Cf. en ce sens, W. HEYDEBRAND et B. VALLET, Technocratie et indépendance du pouvoir judiciaire, in Sociologie du Travail, 1981, no 1, p. 66 : « d’où la nature contradictoire des propositions de réforme présentées par une partie de la profession et rejetées par l’autre, ou encore le rythme hésitant et l’évolution inégale de la réforme des tribunaux. »
11 F. DUMON, Projets de réformes et fonction juridictionnelle, in J.T., 1977, p. 537-553.
12 Cf. J. COMMAILLE. Redéfinition de l’institution judiciaire : déclin de la justice de la famille, in Sociologie du travail, 1981, no 1, p. 97 ; cf. aussi, du même auteur, Familles sans justice ?, Paris, 1982, p. 175 et suiv.
13 Cf. J. DONZELOT, La police des familles, Paris, 1978, p. 97-98 : « la famille apparaît comme colonisée (...) ; se resserre autour de la famille pauvre l’étau d’une puissance tutélaire (...). Le patriarcat familial n’est détruit qu’au prix d’un patriarcat d’Etat. »
14 Sur la concurrence entre professionnels du droit et professionnels des sciences sociales dans le champ familial, cf. R. ABEL, Delegalization. A critical review of ils ideology, manifestations and social consequences, in Jahrbuch für Rechtssoziologie und Rechtstheorie, 1980, no 6, p. 275.
15 L’expression est de J. COMMAILLE, loc. cit., p. 103.
16 Sur l’activité de la Cour suprême et celle des Cours fédérales et juridictions inférieures qui s’en est inspirée, on lira les différents articles — souvent très critiques — rassemblés dans The judiciary in a democratie society, op. cit.
17 Sur cette expérience, cf. C. BALLE, B. BASTARD, D. EMSELLEM et G. GARIOUD, Le changement dans l’institution judiciaire. Les nouvelles juridictions de la périphérie parisienne. Ministère de la Justice. Service de coordination de la recherche, Paris, 1981.
18 Ibid., p. 159.
19 Ibid., p. 166.
20 Ibid., p. 152.
21 Ibid., p. 161.
22 R. ABEL, Règlement formel et informel des conflits : analyse d’une alternative, in Sociologie du travail, op. cit., p. 41 : « cette légalisation n’est pas répartie au hasard parmi la population : par leur localisation, la constitution de leur personnel, la matière d’application de leur juridiction et les réseaux qui s’y soumettent, les institutions informelles sont destinées aux ouvriers, aux pauvres, au prolétariat urbain, aux minorités ethniques et aux femmes. Elles prennent en mains des problèmes que ceux, relativement privilégiés, résolvent, soit par la négociation directe avec un adversaire, soit en consultant un professionnel privé, par exemple un thérapeute. »
23 R. ABEL, Ibid., p. 36.
24 Abus de puissance économique : loi du 27 mai 1960 ; le contrevenant qui refuse de donner suite aux constats de manquements et aux injonctions qui lui sont faites par arrêté royal (après intervention du conseil du contentieux économique), répond de sa conduite devant le tribunal correctionnel.
Collocation : loi du 18 juin 1850 ; l’individu retenu dans un établissement d’aliénés (sur décision de l’autorité communale) peut se pourvoir devant le tribunal de première instance pour demander sa mise en liberté.
25 Loi du 30 juillet 1971 dite « loi sur la réglementation économique et les prix » ; cette loi confère à l’inspection générale économique le pouvoir d’éteindre l’action publique par voie de transaction. Lorsque des agents de I’I.G.E. constatent des infractions à la loi sur les prix, ils peuvent fixer une somme d’argent dont le paiement volontaire éteint l’action publique. Seules les affaires qui n’ont pu se régler « à l’amiable » seront, le cas échéant, transmises pour suite au Parquet.
26 Sur ce point, cf. Ph. ROBERT et Cl. FAUGERON, Les forces cachées de la justice. La crise de la justice pénale, Paris, 1980, passim.
27 Voyez par exemple, à propos de la fonction de « légitimation de la contrainte » qu’exerce le tribunal de la jeunesse, M. van de KERCHOVE, L’évolution du droit des mineurs et les fonctions d’un tribunal de la jeunesse, in Fonction sociale du tribunal de la jeunesse, Centre d’étude de la délinquance juvénile, Bruxelles, 1979, p. 29 et suiv.
28 J. Commaille montre que la justice classique ne traite qu’une part minime de l’énorme contentieux suscité par les accidents automobiles. Mais, même réduite et souvent contradictoire, cette intervention assure une défense minimale des intérêts des victimes (souvent d’ailleurs les victimes privilégiées qui peuvent supporter la longueur et les aléas des procès), sert d’étalon pour les autres formes, non judiciaires, de règlement de ces différends et contribue à individualiser le phénomène des accidents de la circulation, écartant du même coup des solutions collectives du problème (Contribution à une approche sociologique de la pratique judiciaire : les accidents de la circulation, in L’Année sociologique, vol. 27, 1976, p. 197 et suiv.). Cf. aussi Y. DEZALAY, Le juge, le marchand et le débiteur, in Le Monde diplomatique, janvier 1978, p. 13 : « l’efficacité des condamnations judiciaires ne vient pas de leur rendement économique mais de leur visibilité sociale. »
29 A propos de la société féodale, M. Ph. Godding parle d’« une économie exclusivement rurale ne connaissant que des échanges limités » (Jurisprudence et motivation des sentences du Moyen Age à la fin du XVIIIe siècle, in La motivation des décisions de justice, Bruxelles, 1978, p. 39).
30 Sur ce point, cf. N. BOBBIO, Il modello giusnaturalistico, in La formazione storica del diritto moderno in Europa, Firenze, 1977, p. 78-79.
31 J. BENTHAM, Jeremy Bentham’s economic writings, Londres, 1954, vol. III, p. 333.
32 F. A. HAYEK, Droit, législation et liberté. Une nouvelle formulation des principes libéraux de justice et d’économie politique, t. I, Règles et ordre, trad. par R. Audoin, Paris, 1980, p. 41 et suiv.
33 En ce sens, R. M. UNGER, op. cit., p. 66-86.
34 A. TOURAINE, La société post-industrielle, Paris, 1969 ; D. BELL, The coming of post industrial society. New York, 1973.
35 Sur l’origine de ces expressions, cf. P. ROSANVALLON, La crise de l’Etat-providence, Paris, 1981, p. 141-148.
36 Annales Parlementaires, Chambre, session 1975-1976, p. 4876, intervention du Ministre de la Santé publique et de la Famille, M. De Saeger.
37 Avis du Conseil d’Etat, Doc. Parl., Sénat, 1974-1975, no 581, 1, p. 86.
38 Ibid., Commentaire de l’art. 76.
39 Doc. Parl., Chambre, 1975-1976, no 923, p. 3. Pour un commentaire de la loi du 8 juillet 1976, cf. P. HUVELLE, La loi organique des centres publics d’aide sociale, in J.T., 1977, p. 449 et suiv.
40 Il est intéressant de noter que la loi du 7 août 1974, instaurant le minimum de moyens d’existence, prévoit, quant à elle, pour sanctionner ce droit à une intervention sociale précise et tarifiée, un recours devant le tribunal du travail.
41 Proposition de loi Barbeaux, no 615/1 déposée à la Chambre le 20 juin 1973 et prise en considération à cette même date. Pour un commentaire, cf. P. ROUARD, La proposition de loi créant les tribunaux de la famille, in J.T., 1973, p. 701 et suiv.
42 P. ROSANVALLON, op. cit., p. 49 et suiv.
43 Ibid., p. 31 et suiv.
44 En ce sens, cf. N. BOBBIO, Le contrat social aujourd’hui, in Archivio di filosofia, Padova, 1979, p. 61 et suiv. ; cf. aussi P. ROSANVALLON, op. cit., p. 39 : « la société est de plus en plus segmentée, oligopolisée, balkanisée sous la pression des structures économiques et des structures de régulation sociale (...). L’Etat clientélaire commence à s’édifier dans l’État providence » ; A. PIETTRE, Les trois âges de l’économie, Paris, 1955, p. 268, dénonce la méthode de non-gouvernement qui aboutit à un « État démantelé dans son être qui se trouve assailli du dehors par les mille conditions d’intérêts privés : groupes économiques, syndicats, agents publics eux-mêmes ».
45 En ce sens, P. AMSELEK, L’évolution de la technique juridique dans les sociétés libérales avancées, in Equality and Freedom, Gray Dorsey éd., vol. III, New York, 1977, p. 949.
46 En ce sens. cf. J.-P. HENRY, Vers la fin de l’État de droit ?, in Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger, t. XCIII, 1977, no 6, p. 1210 et suiv. A propos de la planification étatique, cf. A. JACQUEMIN, Ph. MAYSTADT et B. MICHAUX, Politiques d’intervention de l’État et administration économique, in Aspects juridiques de l’intervention des pouvoirs publics dans la vie économique, Bruxelles, 1976, p. 31-32 : « On peut se demander pourquoi l’on continue à consacrer autant de temps à l’élaboration de plans globaux dont on sait à l’avance qu’ils ne seront pas respectés. L’explication réside sans doute dans le fait que l’opération répond à d’autres besoins que ceux qui sont généralement avoués. Parmi ces besoins, on peut citer celui de montrer que l’État se soucie des divers aspects de l’activité économique et sociale et qu’il les aborde d’une manière originale et cohérente, une telle attitude pouvant contribuer à améliorer son « image de marque ». »
47 Ainsi en est-il, par exemple, du volet « protection sociale » de la politique de protection de la jeunesse élaborée par la loi du 8 avril 1965.
48 Sur tout ceci, cf. R. M. UNGER, op. cit., p. 192-202.
49 Sur ce point, cf. C. CASTORIADIS, L’institution imaginaire de la société, Paris. 1976 ; Cl. LEFORT, Esquisse d’une genèse de l’idéologie dans les sociétés modernes, in Les formes de l’Histoire, Paris, 1978, p. 278-279.
50 Sur ces phénomènes de récurrence, cf. M. van de KERCHOVE, Le problème des fondements éthiques de la norme juridique et la crise du principe de légalité, in La loi dans l’éthique chrétienne, Bruxelles, 1981, p. 39 et suiv.
51 ) Cf. Le principe de légalité dans une société libre. Rapport sur les travaux du Congrès international des juristes tenu à New Delhi (janvier 1959), Genève ; cf. aussi F. DUMON, De l’Etat de droit, in J.T., 1979, p. 473-481. On rappellera que M. Weber a utilisé la technique des types-idéaux pour étudier les différentes formes de « légitimation de la domination » ; il a pu ainsi opposer un type de légitimation « légale-rationnelle », reposant sur la croyance en « la légalité des règlements et arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens » à un type de domination « traditionnel », « reposant sur la croyance quotidienne en la sainteté des traditions valables de tout temps » (Economie et société, trad. J. Freund et al., t. I, Paris. 1971, p. 222).
52 L. FULLER, The morality of Law, New Haven and London, revised edition, 1978.
53 Sur ce point, cf. J. HABERMAS, Raison et légitimité. Problèmes de légitimation dans la capitalisme avancé, trad. J. Lacoste, Paris, 1978.
54 A. BERTEN, Légalité et légitimité. A propos de J. Habermas, in Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1980, 4, p. 12.
55 Cl. MUELLER, cite par J. F. Lyotard (La condition postmoderne, Paris, 1979, p. 77, note 162), écrit : « dans les sociétés industrielles développées, la légitimation légale-rationnelle est remplacée par une légitimation technocratique, qui n’accorde aucune importance aux croyances des citoyens ni à la moralité en elle-même. »
56 J. HABERMAS, La technique et la science comme idéologie, trad. J. R. Ladmiral, Paris. 1973.
57 L’expression est de J. K. GALBRAITH dans Le nouvel Etat industriel. Essai sur le système économique américain, Paris, 1968.
58 Pour une discussion entre ce point de vue défendu par la Systemtheorie et le point de vue critique défendu notamment par les théoriciens de l’Ecole de Francfort, cf. J. HABERMAS. N. LUHMANN, Theorie der Gesellschaft oder Sozialtechnologie ?, Francfort. 1971.
59 C’est une prétention que Hayek (op. cit., p. 16) critique fortement dans le chef du législateur interventionniste.
60 En ce sens. cf. J. F. LYOTARD, op. cit., p. 98-108.
61 Cf. en ce sens, G. DUBY, La justice et le juge aux temps féodaux, in La justice. Centre de sciences politiques de l’institut d’études juridiques de Nice, vol. VII, Paris, 1961, p. 217 : « Au xe siècle le droit savant s’est perdu. A peu près partout le droit est fondé sur la coutume, sur un ensemble de règles et d’usages conservés dans la mémoire collective. »
62 G. DUBY, loc. cit., p. 216.
63 Sur ce point, cf. N. BOBBIO, Dalla struttura alla funzione, Milan. 1977. notamment le premier chapitre, La funzione promozionale deI diritto, p. 13-22.
64 En ce sens, cf. A. MOLITOR, L’administration de la Belgique, Bruxelles, 1974, p. 51.
65 Cf. A. JACQUEMIN, Nouveaux rapports entre l’Etat et l’entreprise privée : concertation ou corporatisme, in J.T., 1977, p. 465.
66 A. J. ARNAUD, Le droit français des biens entre jeu et providence, in Archives de philosophie du droit, 1979, t. 24, p. 222. L’auteur hésite cependant sur l’interprétation définitive du phénomène. L’interventionnisme juridique, s’il traduit incontestablement un passage du registre ludique au registre providentiel, a aussi — et peut-être surtout — cet effet de rétablir l’équilibre, et donc la viabilité, de l’ancien système libéral ludique (p. 225).
67 Article premier : « La planification a pour but d’assurer dans le cadre de la politique économique, globale et nationale, tant pour l’ensemble du territoire que dans chacune des régions, une expansion maximale économique équilibrée et, dans ce cadre, une constante amélioration en matière d’emplois, de revenus du travail, de pouvoir d’achat, de logement, d’infrastructure et d’équipements. »
68 Cf. à propos des droits subjectifs familiaux, J. VAN COMPERNOLLE, Etendue et limites des pouvoirs du juge dans le conflit familial, in Famille, droit et changement social dans les sociétés contemporaines, travaux des VIIIe journées d’études juridiques Jean Dabin, Bruxelles. 1678, p. 570.
69 H. L. A. HART, Le concept de droit, trad. M. van de Kerchove, Bruxelles, 1976, chapitre V.
70 Ibid., p. 116-118.
71 Ibid., p. 122.
72 Ibid., p. 119-123.
73 N. Bobbio, commentant la construction de Hart, observe qu’un « système juridique simple “comportant des normes primaires” ne peut cependant se passer de la norme de reconnaissance pour l’identification des normes du système » (Nouvelles réflexions sur les normes primaires et secondaires, in La règle de droit, Bruxelles, 1971, p. 114-115).
74 R. SAVATIER, L’inflation législative et l’indigestion du corps social, in Recueil Dalloz, 1977, chr., p. 43 et suiv. ; J. CARBONNIER, L’inflation des lois, in Essais sur les lois, 1979, p. 272 et suiv.
75 En ce sens, J. P. HENRY, Vers la fin de l’Etat de droit ?, loc. cit., p. 1215.
76 A. MOLITOR, L’Administration de la Belgique, op. cit.. p 75
77 Cf. J. P. HENRY, loc. cit., p. 1217.
78 Cf. P. AMSELEK, L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales, in Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2, 1982, p. 281, qui relève quelques chiffres significatifs : chaque année les nouvelles acquisitions de la bibliothèque juridique de l’Université de Harvard nécessitent plus de six kilomètres de rayonnages supplémentaires ; le décalogue contient 297 mots ; la déclaration d’indépendance des États-Unis. 15 000 mots ; l’arrêté de l’office américain de stabilisation des prix concernant la hausse du prix du charbon en 1969, 26 911 mots.
79 Cf. W. LEISNER, L’Etat de droit. Une contradiction ?, in Recueil d’études en hommage à Ch. Eisenmann, Paris. 1975, p. 65 et suiv.
80 Sur ces deux points, cf. J. P. HENRY, op. cit., p. 1219.
81 Cf. pour la société franque : F. L. GANSHOF, Charlemagne et l’administration de la justice dans la monarchie franque, in Karl der Grosse, H. Beumann éd., t. I, Düsseldorf 1965, p. 495 : « les droits nationaux germaniques en vigueur dans le Regnum Francorum sont restés, pendant le règne entier de Charlemagne, avant tout des droits coutumiers, connus par tradition orale. » Charlemagne tenta cependant de favoriser la mise par écrit des droits nationaux et de lier plus strictement les juges (p. 402).
82 Cf. les explications de J. Dabin sur le rôle de la coutume dans un Etat moderne (Théorie générale du droit, nouvelle édition, Paris, 1969, p. 38-42).
83 Sur ce phénomène de codification et l’idéologie qui l’anime, cf. C. VARGA, Utopias of rationality in the development of the idea of codification, in Rivista internazionale di filosofia del diritto, 1978, 1, p. 23 et suiv. ; J. VANDERLINDEN, Le concept de code en Europe occidentale du XIIIe au XIXe siècle, Bruxelles, 1967.
84 En ce sens. cf. J. MERTENS de WILMARS, Le juge et le droit économique, in J.T., 1976, p. 721.
85 Sur ces deux points, cf. P. AMSELEK, L’évolution de la technique juridique..., loc. cit., p. 946 et suiv.
86 Cf. A. JACQUEMIN, Nouveaux rapports entre l’État et l’entreprise privée..., loc. cit., p. 466-467 ; pour un recensement exhaustif de ces procédés d’inspiration contractuelle, cf. Μ. A. FLAMME et J. M. FAVRESSE, Les instruments juridiques de l’intervention des pouvoirs publics, in Aspects juridiques de l’intervention des pouvoirs publics..., op. cit., p. 277-294.
87 On trouvera de nombreux autres exemples, ibid., p. 234-235.
88 Sur ce rapprochement, cf. H. CROZE, L’intervention judiciaire dans la famille, in Mariage et Famille en question, t. II, Paris, 1979, p. 206-217 ; cf. aussi R. THERY, L’intérêt de la famille, in Jurisclasseur périodique, 1972, I, p. 2485 et suiv.
89 Cf. notamment P. DURAND, La décadence de la loi dans la Constitution de la Ve République, in Jurisclasseur périodique, 1959, I, p. 1470.
90 En ce sens, A. JACQUEMIN, Nouveaux rapports..., loc. cit., p. 467.
91 Cf. notamment B. GOLDMAN, Frontières du droit et lex marcatoria, in Archives de philosophie du droit, 1964, p. 177-192 ; du même, Le contrat international, in Renaissance du phénomène contractuel, Liège, 1971, p. 444 à 485 ; Ch. del MARMOL, Réflexions sur l’utilisation des techniques contractuelles dans la vie des affaires, in J.T., 1973, no 3.
92 Sur ces différentes manifestations du phénomène juridique, cf. F. RIGAUX, Le droit au singulier et au pluriel, in Revue interdisciplinaire d’études juridiques. 1982, 9, p. 1-61 ; F. RIGAUX et R. VAN DER ELST, Dialogue à deux voix, in J.T., 1982, p. 427.
93 Sur ceci, cf. G. DUBY, La justice et le juge aux temps féodaux, loc. cit., p. 216-217.
94 En ce sens, cf. F. TULKENS et F. DIGNEFFE, La notion de dangerosité dans la politique criminelle en Europe occidentale, in Dangerosité et justice pénale. Ambiguïté d’une pratique. Paris Genève, 1981, p. 64.
95 Sur ce point, cf. N. BOBBIO, Dalla struttura alla funzione, op. cit., Le sanzioni positive, p. 33-42.
96 Cf. M. SOJCHER-ROUSSELLE, Droit de la sécurité et de la santé de l’homme au travail, Bruxelles, 1979, p. 315-316.
97 M. van de KERCHOVE, Culpabilité et dangerosité. Réflexion sur la clôture des théories relatives à la criminalité, in Dangerosité et justice pénale..., op. cit., p. 291-311.
98 Loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse ; loi du 9 juillet 1964 de défense sociale à l’égard des anormaux et des délinquants d’habitude ; loi du 27 novembre 1891 pour la répression du vagabondage et de la mendicité.
99 Cf. en ce sens, J. LECLERCQ, Variations sur le thème pénalisation-dépénalisation, in Rev. dr. pén. et crim., 1978, LVIII, p. 815.
100 L’exemple le plus connu est offert par la loi du 8 avril 1965 sur la protection de la jeunesse ; cf. sur ce point A. JADOUL, Fonction de juger et protection de la jeunesse, ce volume, p. 295 ; les travaux préparatoires de cette loi révélent que la volonté du législateur est « de laisser à la juridiction spécialisée la plus grande liberté de choix pour lui permettre d’adapter la mesure à la personnalité du mineur et aux nécessités de sa réadaptation », ce qui implique renonciation à « toute idée de gradation, basée sur la gravité des faits commis par le mineur » (Exposé des motifs, Pasinomie, 1965, p. 509 et 501). Le Conseil d’État marque de nettes réserves à l’égard de ce texte en rappelant notamment que « quel que soit le but poursuivi par la loi, qu’il s’agisse de châtier un délinquant (...) ou qu’il s’agisse de guérir un asocial », la loi qui a pour objet « de priver un individu de sa liberté est soumise aux articles 7 et 9 de la Constitution qui exigent, par crainte de l’arbitraire : 1° que la loi indique avec précision les cas ainsi que la nature et la durée des mesures privatives de liberté ; 2° que cette loi soit appliquée par le pouvoir judiciaire » (Avis du Conseil d’État, Doc. Parl., Chambre, 1957-1958, 885, I, p. 41).
101 M. van de KERCHOVE, « Médicalisation » et « fiscalisation » du droit pénal : deux versions asymétriques de la dépénalisation, in Déviance et Société, Genève, 1981, vol. 5, no 1, p. 1-23 ; cf. T. SZ ASZ, Le péché second, trad. F. Verne, Paris, 1975, p. 63 : « la justice traditionnelle est fondée sur les principes du bien et du mal, la justice moderne sur ceux de santé et de maladie. »
102 Cf. J. F. DUPRÉ, La transaction en matière pénale, Paris, 1977 : « la transaction en matière pénale constitue un droit particulier qui se situe en marge des droits pénal et administratif. La richesse des matières pour lesquelles la transaction est possible fait que ce droit prend une importance considérable. » Cf. en droit économique : « dans un souci d’efficacité et pour ne pas détruire la vie économique, il (l’ordre public économique) a moins de goût pour les peines que pour les transactions, et aime moins les nullités que les rectifications. Il ne sévit que si elles sont refusées » (R. SAVATIER, Le juge dans la Cité française, D., 1967, Chron. XXII, p. 202).
103 Sur les caractéristiques de la transaction pénale en Belgique, cf. J. MESSINNE, La notion juridique de la transaction en matière répressive, note sous Bruxelles, 22 janvier 1970, in R.C.J.B., 1972, p. 56-79.
104 Sur ce point, cf. F. TULKENS, Le rôle et les limites de la fonction judiciaire dans la justice pénale aux États-Unis, ce volume, p. 503 ; « le lieu du procès pénal s’est largement déplacé du jugement vers la négociation — from trial to plea bargaining. »
105 Cf. à propos du règlement des dommages consécutifs aux accidents de la circulation, J. COMMAILLE, Contribution à une approche sociologique de la pratique judiciaire : les accidents de la circulation, loc. cit., p. 197 et suiv.
106 Cf. R. SAVATIER, Comment repenser la conception française actuelle de la responsabilité civile ?, in D., 1966, Chron., p. 157 : « la responsabilité civile n’est plus aujourd’hui qu’un élément, il est vrai fort important, d’un service social de sécurité. » Cet ensemble comporte quatre éléments : la responsabilité de l’auteur d’une faute ; la responsabilité des créateurs de risques du fait d’autrui et du fait des choses ; les assurances de toutes sortes ; la sécurité et l’aide sociales.
107 En ce sens, M. MIAILLE, L’État du droit, Grenoble, 1978, p. 212-220.
108 Cf. sur ce point, Ph. NONET et Ph. SELZNICK, op. cit., p. 54.
109 F. DUMON, Projets de réformes et fonction juridictionnelle, loc. cit., p. 543.
110 F. DUMON, Le pouvoir judiciaire. Cet inconnu et ce méconnu, in J.T., 1981, p. 458 ; cf. aussi C. CAMBIER, Principes du contentieux administratif, Bruxelles, 1.I, p. 90 : « il est de l’essence même de la fonction de juger d’être remplie dans une totale indépendance. »
111 Pour une critique de cette situation, cf J. LECLERCQ, Renouveau ou déclin du pouvoir judiciaire, in J.T., 1971, p. 620.
112 Sur ce problème, cf. J. LECLERCQ, loc. cit., p. 618-619 ; W. GANSHOF van der MEERSCH, Conclusions avant Cass., 21 décembre 1956, Pas., 1957, I, p. 433 et suiv.
113 Cf. Y. LEJEUNE, En marge de l’organisation judiciaire traditionnelle : les commissions de défense sociale, in J.T., 1974, p. 1-7 ; A. POTVIN, Le contrôle des décisions des commissions de défense sociale par la Cour de Cassation, in J.T., 1977, p. 389 et suiv.
114 Cass., 23 septembre 1957, Pas., 1958, I, p. 38.
115 C.E., 13 novembre 1953, Lamaille, no 2906, A.A.C.E., p. 1282.
116 Pas., 1966, I, p. 554.
117 C.E., 21 avril 1967, Retourné, no 12341, Pas., IV, p. 185.
118 Cass., ch. réunies, 15 février 1968, J.T., 1968, p. 327, Obs., H. BOSLY.
119 Cass., 9 septembre 1968, Pas., 1969, I, p. 35.
120 Cf. L. MILLIOT, introduction à l’étude du droit musulman, op. cit., p. 696.
121 Cf. G. DUBY, La justice et le juge aux temps féodaux, loc. cit., p. 216.
122 Cf. F. DUMON, La mission des cours et tribunaux. Quelques réflexions, in J.T., 1975, p. 543 : « Exercer une fonction judiciaire exige modestie, conscience de ses limites et de la nécessité d’une formai ion et d’une information toujours requises et qui sont servies par une saine collaboration. »
123 J. LECLERCQ, Renouveau ou déclin du pouvoir judiciaire, loc. cit., no 9.
124 Cf. M. WEBER, On Law in Economy and Society, op. cit., p. 351.
125 J. MATTHIJS, Le tribunal de la famille : essai d’une expérience judiciaire, in J. T., 1974, p. 390.
126 Cf. C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, première partie, titre I, Bruxelles, 1972, p. 226.
127 Cf. entre autres, M. STORME, Moet de rechter deskundig, specialisi zijn ?, in Actes du colloque sur la magistrature économique, op. cit., II, 4, 1 à 13 ; R. SAVATIER, 1965-1967. Le juge dans la Cité française, loc. cit., p. 204 ; A. KEBERS, La spécialisation du juge en matière familiale, in Famille, droit et changement social dans les sociétés contemporaines, Bruxelles, 1978, p. 613-630 ; F. POELMAN, Une expérience française (II) : le juge aux affaires matrimoniales, in J.T., 1976, p. 522 ; G. BLONDEEL, Réflexions sur la formation et te recrutement des magistrats, in J.T., 1978, p. 737-740.
128 F. DUMON, Projets de réformes et fonction juridictionnelle, loc. cit., p. 544.
129 Ibid.
130 W. J. GANSHOF van der MEERSCH, Réflexions sur l’art de juger et l’exercice de la fonction judiciaire, in J.T., 1973, p. 520 : « la justice a perdu son principe monolithique. Le maintien de la compétence des juridictions qui composent le pouvoir judiciaire n’implique pas que les juridictions doivent nécessairement conserver, dans tous les domaines, leur composition traditionnelle. Il peut paraître souhaitable de voir des “assesseurs laïques”, spécialisés, participer aux délibérations des juges traditionnels, fût-ce à titre consultatif. Des sections particulières peuvent être instituées au sein des juridictions qui composent aujourd’hui le pouvoir judiciaire. » Voyez dans le même sens, C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, t. II, La compétence, Bruxelles, 1981, p. 562-565.
131 Pasinomie, 1912, p. 272.
132 Ibid., p. 319.
133 Ibid., p. 324.
134 P. ROUARD, La proposition de loi créant les tribunaux de la famille, in J.T., 1973, p. 702.
135 J.-L. DUPLAT, Le service des enquêtes commerciales ou la juridiction insolite, in L’entreprise en difficulté. Bruxelles, 1981, p. 69.
136 En ce sens, cf. M. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. II, La compétence, Paris, 1973, p. 45.
137 P. ROUARD, La nouvelle proposition de loi créant des juridictions de la famille, in J.T., 1976, p. 477 ; cf. aussi A. KEBERS, La spécialisation du juge en matière familiale, loc. cit., p. 629.
138 C. BALLE, B. BASTARD, D. EMSELLEM, G. GARIOUD, Le changement dans l’institution judiciaire, op. cit., p. 92.
139 Ibid., p. 95.
140 Ibid.
141 Ibid., p. 133.
142 En ce sens, cf. J. L. RENCHON, La place des auxiliaires sociaux et médicopsychologiques dans le processus de solution des conflits relatifs à l’attribution du droit de garde et du droit de visite, in Le Code judiciaire. Réalisations et perspectives au travers des contentieux économique, social et familial, XIes journées d’études juridiques Jean Dabin, Louvain-la-Neuve, octobre 1982 (à paraître), qui évoque la problématique de l’attribution de la garde des enfants à un des deux parents divorcés ou en instance de divorce. Si naguère le juge pouvait résoudre la question en s’appuyant sur des règles stables telles que la non-attribution de la garde à l’époux qui a violé les obligations du mariage ou la règle selon laquelle des enfants en bas âge doivent, sauf circonstances exceptionnelles, être confiés à leur mère, aujourd’hui c’est le critère flou et évolutif de « l’intérêt de l’enfant » qui détermine la solution.
143 Sur le rôle du juge en tant qu’« évaluateur » et « appréciateur » d’intérêts, de besoins d’aptitudes, cf. G. CORNU, Rapport de synthèse, in Les rôles respectifs du juge et du technicien dans l’administration de la preuve, Paris, 1976, p. 121-123.
144 Cf. G. CORNU, Ibid., p. 109-110.
145 B. OPPETIT, Les rôles respectifs du juge et du technicien dans l’administration de la preuve en droit privé, in Les rôles respectifs..., op. cit., p. 60.
146 L. DUBOIS, Les rôles respectifs du juge administratif et du technicien dans l’administration de la preuve, in Les rôles respectifs..., op. cit., p. 96.
147 Cf. H. MOLINES, Le nouveau visage du juge du divorce, in La protection judiciaire de l’enfant en fonction de l’évolution du droit et des institutions judiciaires (sous la direction de M. Ancel et H. Molines), Paris, 1980, p. 124. A propos des juridictions administratives, cf. L. DUBOIS, Les rôles respectifs du juge administratif et du technicien..., loc. cit., p. 105 : « Les membres des tribunaux administratifs savent, d’autre part, que dans un nombre non négligeable de cas l’expertise ordonnée en référé permet de faire l’économie du procès au fond. »
148 J. B. BERTOLUS, Autour de l’enquête sociale, in La protection judiciaire de l’enfant..., op. cit., p. 64.
149 En ce sens, J. VERIN, Le règlement extra-judiciaire des litiges, p. 175. Ce sont les avocats eux-mêmes qui, dotés de pouvoirs plus importants que dans nos pays (notamment celui d’entendre eux-mêmes les témoins), négocient la transaction et se chargent ensuite de « vendre » à leurs clients respectifs l’arrangement qu’ils estiment juste et raisonnable.
150 Sur ces différents organismes en général, cf. M. CAPPELLETTI et B. GARTH. Access to Justice : the worldwide movement to make rights effective. A general report, in Access to justice (M. Cappelletti, general editor), vol. I, livre 1, Milan-Alphenaandenrijn, 1978, p. 49-124 ; sur les différents modes de solution des conflits relatifs à la consommation, cf. Th. BOURGOIGNIE. G. DELVAX, F. DOMONT, Chr. PANIER, L’aide juridique au consommateur, Bruxelles, 1981, p. 339-389.
151 Sur ce point, cf. J. PIRON et P. DENIS, Le droit des relations collectives du travail en Belgique, Bruxelles, 1970, p. 101-107.
152 Sur les « Neighborhood Justice Centers », cf. M. CAPPELLETTI et B. GARTH, op. cit., p. 85 et suiv. ; sur les « Commissions de conciliation sociale », cf. J. VERIN, loc. cit., p. 181.
153 Cf. pour la France, les conclusions du rapport de recherche du professeur E. BERTRAND, L’arbitrage en droit privé (Coll. Ministère de la Justice, service de coordination de la recherche), Paris, 1979 ; B. OPPETIT, Eléments pour une sociologie de l’arbitrage, in L’année sociologique, vol. 27, 1976, p. 179-195.
154 En ce sens, cf. B. OPPETIT, Ibid., p. 185-186.
155 Sur ce point, cf. J. LECLERCQ, Renouveau ou déclin du pouvoir judiciaire, loc. cit., no 9.
156 On trouve, sous la plume du professeur Cambier, une comparaison du même ordre entre le juge (exerçant le rôle d’arbitre) et l’administrateur (pour lequel l’observation de la règle ne relève que de l’ordre des moyens à mettre en œuvre, la fin étant de gagner la partie) : cf. C. CAMBIER, Droit judiciaire civil, première partie, La fonction de juger, Bruxelles, 1972, p. 188.
157 G. DUBY, loc. cit., p. 18.
158 C. CAMBIER, op. cit., p. 186.
159 Cf. P. AMSELEK, L’évolution de la technique juridique, loc. cit., p. 946.
160 En ce sens, J. DABIN, Le droit subjectif. Paris, 1952, p. 102.
161 Cf. C. CAMBIER, op. cit.. p. 188.
162 C. CAMBIER, op. cit.. p. 90.
163 C. CAMBIER, Au-delà et en deçà de la juridiction, in Mélanges en l’honneur de Jean Dabin. t. II, Bruxelles-Paris, 1963, p. 459. On remarque une évolution significative de la pensée du professeur Cambier dans le sens d’un élargissement des fonctions dévolues au juge. Cette redéfinition s’opère au prix d’une nouvelle compréhension du principe de la séparation des pouvoirs, principe qui, selon l’éminent auteur, n’exclut pas le cumul des fonctions dans le chef d’un même pouvoir (cf, en ce sens, C. CAMBIER, Rapport d’introductions aux XIes journées Jean Dabin (à paraître)).
164 Sur cette distinction, cf. C. CAMBIER, op. cit., t. II, La compétence, p. 324, note 2.
165 Cf. N. GLAZER, The Judiciary and social policy, in The Judiciary in a democratic society, op. cit., p. 67.
166 Ibid., p. 74.
167 E. EFRON, Product bans and the law : the copernician revolution in our courts, in The Judiciary..., op. cit., p. 163.
168 L. MANNING-MUNTZING, The courts and energy policy, in The Judiciary..., op. cit., p. 131.
169 E. EFRON, loc. cil., p. 168-169.
170 J.-L. DUPLAT, Le service des enquêtes commerciales ou la juridiction insolite, loc. cit.. p. 68.
171 Ibid., p. 71.
172 Ibid., p. 76.
173 E. KRINGS, La juridiction consulaire et la situation économique, in J.T., 1979, p. 534.
174 Ibid.·, cf. aussi Corr. Bruxelles, 31 octobre 1980, J.T., 1981, p. 274 : « que le service de dépistage n’a pour fonction que d’examiner la situation précaire des entreprises et les possibilités qu’elles ont de la surmonter, qu’il ne donne ni conseil ni injonction, le tribunal n’assumant pas les responsabilités de l’entreprise qui restent à charge de ses organes. Que si par ce service le tribunal accorde un sursis au prononcé d’une faillite d’office pour permettre de trouver les moyens de redresser la situation compromise, c’est évidemment aux risques et périls du commerçant qui, sachant qu’il est en état de cessation de paiement, doit prendre ses responsabilités et reste soumis à l’obligation d’ordre public de faire, le cas échéant, l’aveu de la faillite. Qu’ainsi l’intervention du service de dépistage du tribunal de commerce ne peut engendrer ni cause d’excuse ni erreur invincible. »
175 Projet de loi sur la gestion assistée, Doc. Parl., Chambre des Représentants, session 1975-1976, 22 juin 1976, 937, no 1, Exposé des motifs, p. 2.
176 I. VEROUGSTRAETE, L’action du Ministère public auprès du tribunal de commerce, in Le Code judiciaire. Réalisations et perspectives..., op. cit.
177 F. t’KINT, Le pouvoir d’office du juge en matière de faillite, in Le Code judiciaire. Réalisations et perspectives..., op. cit.
178 Sur le problème en général, cf. A. JACQUEMIN et G. SCHRANS, A ctes du colloque sur la magistrature économique, Paris-Bruxelles, 1976.
179 En ce sens, C. CAMBIER, op. cit., t. II, p. 564.
180 En ce sens, A. JACQUEMIN et G. SCHRANS, Vers une magistrature économique, Rapport général, in Actes du colloque..., op. cit., p. 0.0-1 et suiv.
181 Cf. Μ. T. MEULDERS, Le contentieux familial. Rapport de synthèse, in Le Code judiciaire. Réalisations et perspectives..., op. cit.
182 J. VAN COMPERNOLLE, Etendue et limites des pouvoirs du juge dans le conflit familial, in Famille, droit et changement social... op. cit., p. 571.
183 F. RIGAUX, Les Personnes, t. Ier, Les relations familiales, Bruxelles, 1971, no 410.
184 H. MOLINES, Le nouveau visage du juge du divorce, loc. cit., p. 114-115.
185 F. POELMAN, Une expérience française (II) : le juge aux affaires matrimoniales, in J.T., 1976. p. 522. « Les juges aux affaires matrimoniales devront s’efforcer d’établir avec les parties elles-mêmes une concertation étroite et d’obtenir, en conséquence, leur adhésion à l’élaboration et à l’exécution des décisions prises » (H. SOLUS et R. PERROT, Droit judiciaire privé, t. II, La compétence, Paris, 1973, p. 45).
186 Proposition de loi visant à la création des tribunaux de la jeunesse et de la famille déposée à la Chambre le 14 juin 1973 (Doc. Parl., Chambre, session 1972-1973, no 615/1) ; une nouvelle proposition de loi créant des juridictions de la famille a été déposée le 5 décembre 1975 (Doc. Parl., Chambre, session 1975-1976, no 733/1).
187 P. ROUARD, La nouvelle proposition de loi créant les juridictions de la famille, in J.T., 1976, p. 477.
188 Cf. article 214 du Code civil : « à défaut d’accord entre les époux [sur le choix de la résidence conjugale] le juge de paix statue dans l’intérêt de la famille » ; cf. aussi les articles 215 (protection du logement familial) et 216 (exercice d’une profession et utilisation du nom du conjoint à des fins professionnelles).
189 Cf. les articles 223 (« le juge de paix peut notamment interdire à l’un des époux... ») et 224 (« sont annulables à la demande du conjoint (...) les donations faites par l’un des époux et qui mettent en péril les intérêts de la famille »).
190 Cf. C. PANIER. L’article 223 du Code civil, in J.T., 1980, p. 327.
191 J. VAN COMPERNOLLE, Etendue et limites des pouvoirs du juge dans le conflit familial, loc. cit., p. 573.
192 C. CAMBIER, op. cit., t. II, p. 338 ; A. M. STRANART, Les référés commerciaux et le rôle préventif du tribunal du commerce, in Le Code judiciaire. Réalisations et perspectives. op. cit.
193 C. CAMBIER, ibid., p. 331-333 ; R. PERROT, La compétence du juge des référés, in Gaz. Pal., 1974, doctr., p. 299.
194 G. de LEVAL, L’examen du fond des affaires par le juge des référés, in J.T., 1982, p. 423 ; cf. Civ. Liège, Réf., 11 janvier 1979, in Jurisprudence de Liège, no 36 du 16 juin 1979, p. 225 : « même en cas de contestation sérieuse, il peut examiner les apparences et donner une appréciation provisoire et superficielle des droits en conflit. »
195 En ce sens, Comm. Bruxelles, Réf., 9 juin 1978, J.C.B., 1978, 361 ; Comm. Courtrai, 29 novembre 1979, J.C.B.. 1980, 128.
196 G. de LEVAL, op. cit., p. 426 et la jurisprudence publiée à la suite de l’article.
197 Cf. J. VAN RIJN et P. VAN OMMESLAGHE, Examen de jurisprudence : les sociétés commerciales, in R.C.J.B., 1973, n°49, p. 412.
198 Cf. E. GUTT et A. M. STRANART, Examen de jurisprudence (1965 à 1970) ; droit judiciaire privé, in R.CJ.B., 1973, p. 194 : « l’ordonnance prive bien souvent la décision au fond de tout objet ou de tout intérêt et exerce en tout cas une autorité incontestable sur le juge du principal » ; dans le même sens, cf. G. HORSMANS, Le juge des référés et le droit des sociétés, in R.P.S., 1969, p. 47.
199 C. CAMBIER, op. cit., t. II, p. 329.
200 Civ. Liège, Réf., 11 janvier 1979, loc. cit., p. 285.
201 Cf. J. MATTHIJS, La participation du juge à l’exécution des peines privatives de liberté, in J.T., 1975, pp. 253 à 261 et 273 à 278 et l’abondante bibliographie citée.
202 Ibid., p. 256. Il est très significatif de constater que cet auteur peut réfuter l’objection tirée du non-respect de l’autorité de la chose jugée (en cas de modification par le juge de la peine après son prononcé) au motif que cette « chose jugée » ne couvre pas la peine elle-même qui n’est pas tant le châtiment d’un mal passé qu’un diagnostic, la « transposition dans l’avenir d’une appréciation qui, à chaque instant, est susceptible de modification »... de sorte que, quant au montant de la peine, à tout le moins, « le jugement n’a plus qu’une valeur indicative » (ibid., p. 260).
203 Ibid., p. 276. Ainsi les décisions de la commission ne sont-elles susceptibles d’aucun recours (p. 277).
204 En ce sens, Ph. GODDING, Jurisprudence et motivation des sentences..., loc. cit., p. 39.
205 G. DUBY, La justice et le juge aux temps féodaux, loc. cit., p. 217.
206 L. MILLIOT, Introduction à l’étude du droit musulman, op. cit., p. 701 702.
207 En ce sens, Ph. GÉRARD, Compte rendu de l’ouvrage de J. Lenoble et F. Ost : Droit, mythe et raison, in Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1982/8, p. 190 : « A propos de la démarche juridictionnelle, il nous semble que les auteurs rejettent trop rapidement l’argument selon lequel la justification d’une solution à partir des ressources du droit positif est parfois un leurre qui masque le fait que le juge tient compte de prémisses idéologiques qui ne peuvent être considérées comme des éléments de ce droit. »
208 Cf. notamment, M. van de KERCHOVE, La doctrine du sens clair des textes et la jurisprudence de la Cour de Cassation de Belgique, in L’interprétation en droit. Approche pluridisciplinaire (sous la direction de M. van de Kerchove), Bruxelles, 1978, p. 13 et suiv. ; F. OST, L’interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur, ibidem, p. 77 et suiv.
209 Cf. M. van de KERCHOVE et F. OST, Le « jeu » de l’interprétation en droit. Contribution à l’étude de la clôture du langage juridique, in A rchives de philosophie du droit, 1982, p. 395 et suiv.
210 Cf. notamment H. DE PAGE, De l’interprétation des lois, Bruxelles-Paris, 1925 (méthode de « l’induction sociale ») ; P. VANDER EYCKEN, Méthode positive de l’interprétation juridique, Bruxelles-Paris, 1907 (méthode « téléologique en fonction des besoins sociaux »).
211 Ph. NONET et Ph. SELZNICK, Law and society in transition : toward responsive law, op. cit.
212 Cf. D. TRUBEK, Toward a social theory of law : An essay on the study of law and development, in Yale Law Journal, 82 (1972), p. 1 et suiv. ; Ph. NONET et Ph. SELZNICK, op. cit., p. 83 et suiv.
213 Sur tout ceci, cf. J. TER HEIDE, Ontwikkelingen in de rechlsbedeling van de laalsle twintig jaar, in H. F. CROMBAG et al.. Het rechterlijk oordeel, Zwolle, 1973. p. 69 84 ; Ph. NONET et Ph. SELZNICK, op. cit., p. 83 à 109.
214 Sur cette méthode, cf. M. SHAPIRO, Stability and change in judicial decision-making : incrementalism or stare decisis ?, in L. FRIEDMAN et S. MACAULAY, Law and the behavioral sciences, New York, 1969, p. 701-721.
215 M. SHAPIRO, loc. cit., p. 701.
216 Ibid., p. 710.
217 Ibid., p. 703.
218 Pour ces critiques, cf. Ph. NONET, Taking purpose seriously, in G. DORSEY, éd., Equalily and Freedom, New York, 1977, III, p. 905-923.
219 J.T.T., 1976, p. 13 et note L. François.
220 Ibid., p. 14.
221 Trib. comm. Mons (Réf.), 10 juillet 1979, R.P.S., 1979, p. 254 et suiv.
222 Ibid., p. 255-256.
223 Civ. Liège (Réf.), 2 avril 1980, J.T., 1982, p. 430 et suiv.
224 Ibid., p. 431-432.
225 Sur ce point, cf. F. L. GANSHOF, loc. cit„ p. 409 : « La plupart des jugements de Dieu étaient originairement des actes de magie païenne, christianisés en la forme » ; G. DUBY, loc. cit., p. 218 : « Pour établir qui a raison ou qui a tort, on utilise des pratiques magiques : la justice est l’affaire de Dieu. A lui d’éclairer les juges. »
226 G. DUBY, loc. cit., p. 217.
227 H. SOLUS et R. PERROT, op. cit., p. 22.
228 En ce sens, C. CAMBIER, op. cit., p. 178.
229 Pour une discussion critique du principe du contradictoire, cf. F. OST et J. LENOBLE, Contraddittorio (principio del), in Dizionario critico del diritto, C. Donati, éd., Perugia, 1980, p. 57-61.
230 Sur ce point, cf. M. CAPPELLETTI, La protection d’intérêts collectifs et de groupe dans le procès civil, in Revue internationale de droit comparé, 1975, p. 571-597.
231 P. ROUART, La nouvelle proposition de loi créant des juridictions de la famille, loc. cit., p. 477.
232 Ce point a été nettement dégagé lors de la discussion parlementaire relative à la loi du 15 mai 1912 sur la protection de l’enfance ; cf. cette déclaration de M. Carton de Wiart : « ce principe (de la publicité) sera concilié autant que faire se pourra avec les exigences d’une juridiction dont l’intimité tout au moins relative est une des conditions d’efficacité... Cette juridiction spéciale exige, pour qu’elle donne tous ses fruits, une sorte de caractère confidentiel. »
233 H. CROZE, L’intervention judiciaire dans la famille, loc. cit., p. 217 : « cette audience (de la juridiction statuant dans le contentieux familial) se déroule normalement en chambre du conseil. La règle est prévue assez généralement par les textes. »
234 Sur cette question, cf. T. AFSCHRIFT, La comparution du commerçant déclaré d’office en état de faillite, in J.T., 1981, p. 717 et suiv.
235 En ce sens, cf. A. JADOUL, Fonction de juger et protection de la jeunesse, ce volume, p. 293.
236 Sur cette question, cf. J. L. RENCHON, La place des auxiliaires sociaux et médico-psychologiques dans le processus de solution des conflits relatifs à l’attribution du droit de garde et du droit de visite, in Le Code judiciaire. Réalisations et perspectives, op. cit.
237 Sur cette tendance, cf. A. KOHL, Procès civil et sincérité, Liège, 1971.
238 Sur ce point, cf. Le tribunal de la famille. Essai d’une expérience judiciaire, loc. cit., p. 391.
239 Cf. J.P., Saint-Trond, 25 novembre 1980, Tegenspraak, 1982, p. 175 et note, M. LAMBRECHTS.
240 M. CAPPELLETTI et B. GARTH, Access to Justice : the worldwide movement to make rights effective. A general report, op. cit., p. 5-124 ; cf. aussi Chr. PANIER, L’accès au droit et à la justice. Jalons pour une démocratie judiciaire, in R.I.E.J., 1980, 5, p. 1-34.
Auteur
Juriste et philosophe
Chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis Doyen de la Faculté de Droit
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