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Le « retour du narrateur » après « l’exécution du narrateur ». Une évolution récente dans la littérature allemande

p. 87-112


Texte intégral

1Une des évolutions les plus remarquées et les plus controversées dans la littérature allemande de la dernière décade se réflète dans le slogan : « Man erzählt wieder », en traduction libre : le narrateur et le récit sont remis à l’honneur dans le genre épique. Les titres de deux essais critiques remarqués illustrent parfaitement cette situation : en 1972 et 1973, Kurt Batt publie dans Sinn und Form, une des plus importantes revues littéraires de la R. D.A., son étude : « L’exécution du narrateur. Romans de l’Allemagne de l’Ouest entre 1968 et 1972 »1 ; en 1982 paraît une étude de Volker Hage, critique littéraire de la « Frankfurter Allgemeine Zeitung », dont le titre se réfère explicitement au travail de Kurt Batt : « Le retour du narrateur. Nouvelle littérature allemande des années septante »2. Le problème évoqué ici revient à celui de l’historicité du métier et de la vocation d’écrivain : dans quelle mesure peut-il à l’heure actuelle encore laisser libre cours à son imagination ? Cette imagination est-elle encore le principe inventeur de la matière narrative, ou bien l’écrivain devrait-il se concentrer sur son rôle d’analyste de matériaux fournis par la réalité objective ? S’agit-il dans l’art narratif plutôt de créer ou de construire, de combiner ? Dans l’optique ainsi définie, une littérature de l’expérimentation s’oppose à une autre qui se situe sous le primat de la fictionnalité. A la question des uns : n’est-il pas naïf, voire mensonger de prétendre saisir la réalité complexe du monde moderne par la voie de la fictionnalité narrative ?, les autres répondent : comment faire autrement, si nous voulons en parler en tant qu’artistes, et non comme sociologues, psychologues ou informaticiens ?

2Avant le revirement spectaculaire des années septante, ce débat semblait clos dans la littérature allemande non-socialiste. Ecrivains, critiques et théoriciens s’étaient prononcés en grande majorité en faveur de l’expérimentation dans l’art narratif. A leur avis l’évolution du monde moderne devait forcément entraîner une évolution quasi-parallèle des méthodes et techniques d’écriture, si du moins la littérature ne voulait pas renoncer à sa prétention d’interpréter la réalité. Or l’aspect le plus stupéfiant du nouveau revirement réside dans le fait que ses artisans principaux ne furent pas de jeunes artistes d’une nouvelle génération qui se seraient inscrits en faux contre le programme de leurs aînés, mais bien des auteurs qui s’étaient taillés une solide réputation dans la prose narrative expérimentale. Ainsi le même Peter Handke qui avait déclaré jadis qu’il ne pouvait plus supporter des récits (« Geschichten ») dans la littérature, et qu’une littérature moderne digne de ce nom devrait surtout se concentrer sur une analyse critique du langage en tant que système, proclame dans une interview de 1972 : « Maintenant je suis d’avis que la fiction est nécessaire, une fiction réfléchie qui puisse permettre aux lecteurs de s’identifier réellement »3. « Je veux devenir narrateur » : tel est le désir exprimé par l’auteur Gerhard Roth qui débuta avec des textes expérimentaux4.

3Il est étonnant de constater à quel point cette tendance vers la narration donne une orientation nouvelle à l’œuvre d’écrivains dont la voie parassait tracée depuis longtemps, qu’il s’agisse de romanciers comme Martin Walser ou de chefs de file reconnus de la littérature expérimentale comme Dieter Wellershoff ou Helmut Heissenbüttel. Plus étonnant encore est le fait que ce courant ait ranimé tout un genre narratif : la nouvelle, fleuron de la littétature allemande du XIXe siècle. Il y a à peine une décade encore, le diagnostic qu’établirent à son sujet tant les théoriciens de la nouvelle que les critiques et les auteurs fut presque unanime : on conclut à une mutation radicale de sa structure dans la littérature moderne, sinon à sa disparition. Or c’est justement la forme traditionnelle de la nouvelle — de composition serrée et rigide et d’une structure très « fermée » — que les auteurs contemporains réutilisent pour en tester les potentialités expressives à l’heure actuelle5.

4Bref : l’« anathema sit » de la critique ne frappe plus l’auteur qui ose prétendre : « Il était une fois... ».

5Comment considérer ce revirement ou — disons-le tout de suite — ce nouveau revirement dans un débat séculaire datant au moins des origines du roman moderne ? Dans une matière aussi mouvante et porteuse de tant d’expériences esthétiques, notre propos ne saurait être que d’illuminer certains aspects du dossier.

6Notre angle d’observation sera déterminé par le regain récent d’intérêt pour les éléments fictionnels et narratifs dont nous venons de parler.

Quelques constituants de base du récit

7Mais quelle est donc cette faculté de narrer, tantôt décriée, tantôt réhabilitée ? Elle se trouve actuellement au centre des débats, non seulement de la narratologie littéraire et linguistique6, mais — depuis l’Ecole des Annales —également de l’historiographie, plus récemment encore de la sociologie ainsi que de l’ethnologie7. Nous avons déjà eu recours à la formule « Il était une fois ». Il s’agit en effet d’une constante anthropologique, universelle et indéracinable, parce que l’acte de narrer, de raconter des histoires est un de ces actes par lequel se définit l’homme. Nous nous laissons fasciner par les contes des Mille et Une Nuits et du Touti-Nameh, tout comme le firent leurs destinataires de cultures et d’époques différentes. D’ailleurs nous racontons tous des histoires, vécues par nous et par d’autres, des mensonges, des blagues, et bien d’autres encore. Même les auteurs des romans les plus expérimentaux le font sans le moindre scrupule, quand ils ne sont pas justement occupés à écrire des romans expérimentaux. Dans son essai « Le Roman comme recherche », Michel Butor note : « [Le récit] est un des constituants essentiels de notre appréhension de la réalité. Jusqu’à notre mort, et depuis que nous comprenons des paroles, nous sommes perpétuellement entourés de récits. »8.

8Ces quelques considérations peuvent déjà nous préserver d’une erreur capitale dans la formulation même de la question qui nous préoccupe ici. Dans la controverse autour du nouveau roman et d’autres formes de prose narrative expérimentale, il s’agit en fait de définir les relations entre le récit comme constante anthropologique et une littérature qui s’entend comme une contribution à la formation d’une conscience moderne. L’idée de vouloir supplanter le récit de la vie des hommes serait évidemment absurde. Des « nouveaux romanciers » — comme Nathalie Sarraute dans son fameux essai « L’ère du soupçon » — concèdent volontiers l’exploitation de ce domaine au cinéma — considéré dans ce cas comme art mineur (l’essai date de 1950). Mais la question posée est celle-ci : un auteur qui suit plus ou moins son « instinct de narration » — même s’il le fait dans des formes très élaborées du roman réaliste ou psychologique — est-il encore à la hauteur de la tâche que devrait ou doit s’assigner la littérature en tant qu’art à l’époque moderne ? Ainsi s’explique aussi le fait remarquable que les innombrables stratégies narratives expérimentales qui furent développées depuis le XVIIIe siècle, se veulent toutes des formes alternatives ou des formes de substitution de la seule « narration traditionnelle », censée obéir trop aveuglement à l’« instinct de narration ».

9On pourrait objecter ici — avec l’assentiment de la très grande majorité des écrivains et critiques — que la disparition totale d’éléments fictionnels entraînerait ipso facto la mort de l’art narratif ; et de fait, considéré de près, le débat tourne essentiellement autour de la minimalisation, la réduction et une nouvelle manipulation des anciens éléments fictionnels et narratifs.

10Résumons notre démarche : aux yeux des narrateurs expérimentaux, leur travail doit être opposé à la « narration traditionnelle ». Cette dernière catégorie englobe toutes les formes de récit qui seraient empreintes des tares inhérentes à l’art narratif en tant que constante anthropologique. Dans cette vue des choses, l’« instinct de narration » serait à l’œuvre tant pour l’histoire racontée au Café du Commerce que chez Balzac ou Zola. Il nous incombe dès lors de cerner de plus près l’action de cet « instinct de narration », du moins en quelques-uns de ses constituants, et plus particulièrement ceux qui retiennent l’attention critique des novateurs (il est vrai que le terme est à prendre au sens large : depuis le XVIIIe siècle, on ne compte plus leur nombre). Certains constituants de base de l’art narratif sont tellement élémentaires qu’il paraît difficile de les mettre en question. Ainsi, dans toute narration, le temps progresse d’une façon irréversible et dans le sens des aiguilles de la montre. De même, le noyau narratif de tout récit pourra être ramené à la reproduction d’une transformation (dans le temps), ce qui présume deux situations différentes, celle du début et celle de la fin. Puisqu’elles ont des prédications contradictoires, elles doivent s’exprimer en plusieurs propositions9. D’ailleurs le narrateur a besoin de place pour étaler la matière de son récit, ne serait-ce que pour créer la tension ponctuant les moments qui séparent la situation initiale de celle de la fin. A cet égard, le texte : « X alluma son briquet pour vérifier s’il y avait de l’essence dans le réservoir de sa voiture. L’enterrement aura lieu le vendredi à 10 heures » est une anti-narration, une « narration assassinée ». Pour qu’il y ait récit, il faut en plus que les éléments narrés aient un caractère (relativement) événementiel, qu’ils soient (relativement) singuliers et inhabituels. Ainsi la séquence « entrer dans la cuisine — peler les pommes de terre — les mettre sur le feu », quoique constituée de trois actions, ne fournira pas une matière suffisante pour une narration.

11Cette catégorie fondamentale d’événement est un problème commun à l’historiographie (du moins celle qui retrace l’histoire comme une suite d’événements) et à la narratologie : l’histoire se narre comme une histoire, c’est-à-dire comme une suite d’événements et de changements de situation non-déductibles et imprévisibles qui se déroulent suivant le prinicpe — si l’on ose dire — de la contingence10. Dans le récit, la qualité la plus intense que peut revêtir l’événement pour un personnage est l’aventure. En règle générale, les personnages d’un récit vivent le temps comme leur « arrivant » sous forme d’événements. Pour évidente que nous paraisse une telle conception d’événement, elle ne résiste pas à une analyse rationnelle et critique. On peut au moins se poser la question si tout ce qui peut arriver à un individu moyen a une portée autre que statistique et si la vraie réalité ne se réduit pas à des déterminismes biologiques, historiques et sociaux. Une vie dont le temps s’articule au rythme d’événements ne serait donc qu’une... fiction ; ou plus exactement : si une telle représentation du temps nous paraît néanmoins tellement normale, c’est précisément parce qu’elle correspond à celle élaborée normalement par notre faculté d’imagination.

12Les événements d’un récit s’enchaînent pour former une action. Dès 1939, le narratologue Eugen Gerlotei attira l’attention sur le fait que tout élément temporel d’un récit agit d’une double manière : comme un facteur ponctuel dans le temps, mais aussi à la façon d’un rayon qui traverse la chronologie des événements. Chaque phase momentanée porte en elle un « sens synthétique » par la « coexistence » (Beiexistenz) de phases antérieures et postérieures11. Ainsi naît la totalité du récit qui fait de lui un devenir cohérent où sont intégrés tous ses composants. L’expérience quotidienne qui nous prouve que la très grande majorité des moments et rencontres vécus par nous sont fortuits et nullement intégrés dans un projet global qui serait notre vie, cette expérience ne vaut pas dans le roman. Ulrich, l’homme sans qualités de Musil, comprend dans une de ses subites intuitions qu’aux yeux de la plupart des hommes « la loi de cette vie » n’est autre que « celle de l’ordre narratif », la douce illusion qu’un « fil de la narration » unit tout ce qui arrive. Et Ulrich de s’étonner de ce bizarre « raccourci perspectivique de la raison » et de continuer dans ses méditations : « Dans leurs rapports fondamentaux vis-à-vis d’eux-mêmes, la plupart des hommes sont des narrateurs [...] : ils aiment la succession ordonnée de faits, puisqu’elle ressemble à une nécessité, et se sentent d’une certaine manière à l’abri au milieu du chaos grâce à l’impression que leur vie a un « cours ». Et Ulrich remarqua qu’il avait perdu cette dimension épique primitive »12. Non, décidément, il n’est pas vrai que la vie écrive les plus belles histoires. Pour faire de la vie une histoire, il faut pouvoir l’élaguer de la majeure partie des choses qui s’y sont passées, se concentrer sur un certain nombre d’éléments sélectionnés et amplifier ceux-ci au moyen de l’imagination. En d’autres termes : il faut savoir oublier et exagérer. Dans un autre sens encore il faut oublier et élaguer : comme l’action d’un roman réduit l’infinité de moments vécus par les personnages à quelques grandes lignes, elle réduit également l’infinité de leurs liens avec le monde environnant à quelques traits dominants. La cohérence du récit est à ce prix-là.

13Paradoxalement, cette réduction-là engendre également dans le lecteur l’impression d’une totalité, d’un monde. C’est un monde semblable à celui représenté sur un tableau, isolé du monde extérieur par un cadre — peu importe par ailleurs le caractère fragmentaire ou global du contenu représenté. Comme c’était déjà le cas pour le temps, il ne s’agit pas d’une totalité dans la quantité ; elle naît d’un nombre réduit d’éléments parfaitement intégrés dans un ensemble. Une dernière remarque à propos de la temporalité propre au récit : aucun auteur ne termine sa narration à un moment quelconque ou arbitraire de l’action, en d’autres termes : sauf rarissismes exceptions un fragment sera immédiatement discernable d’un récit complet. Ceci revient à dire que la fin d’une narration sera toujours un aboutissement, sinon un accomplissement. Même l’échec final ou le triomphe de l’absurdité sont des catégories appelées à la rescousse pour comprendre et interpréter ce qui vient de se passer et pour lui donner un sens. La vie réelle ne connaît que peu d’aboutissements semblables. C’est sous l’emprise de la « dimension épique primitive » dont parle Musil que nous aimerions néanmoins y croire.

14Les structures très particulières de la temporalité dans le récit, dont nous venons d’analyser sommairement quelques aspects, font apparaître que l’« instinct de narration » est un guide bien peu fiable pour l’aperception rationnelle et critique de la réalité. Un examen des autres constituants de base de la fiction narrative aboutirait à des conclusions similaires. Nous nous limiterons ici à deux aspects particulièrement controversés parmi les romanciers et critiques modernes. La problématique autour du personnage romanesque nous paraît des plus révélatrices. En effet : dans le domaine du savoir au sujet de l’homme, le romancier doit de toute évidence céder le pas au psychologue, au sociologue, à l’historien... D’autres en savent plus que lui sur les forces motrices de l’homme et de la société. Valéry n’hésite pas à classer parmi « les superstitions littéraires » « (l’)existence et (la) psychologie des personnages, ces vivants sans entrailles »13. Et les soupçons de Nathalie Sarraute se portent en tout premier lieu sur les personnages : « Et, selon toute apparence, non seulement le romancier ne croit plus guère à ses personnages, mais le lecteur, de son côté, n’arrive plus à y croire »14.

15Une phrase du même essai éclaire subitement le nœud du débat : « Et tout d’abord le lecteur, aujourd’hui, se méfie de ce que lui propose l’imagination de l’auteur »15. La rationalisation de l’acte narratif devrait être considérée comme une exigence historique de l’époque contemporaine. Nathalie Sarraute croit avoir découvert la solution dans une forme de roman qui ne traite plus que du moi de l’auteur. En fait, c’est le malentendu le plus complet. Le savoir (rationnel et empirique) constitue-t-il vraiment la seule forme de connaissance ? Celle-ci ne peut-elle surgir d’une heureuse combinaison entre savoir et intuition ? Freud avait-il tort d’attribuer à son ami Schnitzler une connaissance de l’âme humaine supérieure à la sienne ? Quels critères permettent au narrateur d’éliminer tout facteur imaginaire dans l’observation de son propre moi ? A quelle qualité un caractère romanesque doit-il d’être « vrai » : est-ce parce qu’il est suggestif ou parce qu’il est observé avec une précision infaillible ?

16Ces problèmes soulevés autour du personnage romanesque s’intègrent dans le vaste complexe des fonctions émotives et sociales de l’acte narratif. Le créateur de fictions jouit d’un statut exceptionnel au sein du groupe social qui le reconnaît dans cette qualité. Son privilège le plus important est sans doute ce que nous appellerons ici la licence auctorielle. Là où un essai p. ex. fait appel à tout instant au consentement intellectuel du lecteur, la licence auctorielle confère au narrateur le droit de prétendre : C’est ainsi parce que je le dis. Si le moi-narrateur énonce : « La marquise sortit à cinq heures » — pour reprendre la phrase célèbre abhorrée par Valéry —, personne n’est autorisé à le reprendre en prétendant qu’en réalité, il s’agissait d’une comtesse et que par ailleurs, il n’était que quatre heures et demie. Une telle réaction anéantirait toute possibilité de narrer. Dans le domaine des émotions, les privilèges accordés par le public à son narrateur sont plus exorbitants encore. Des notions comme tension narrative, illusion fictionnelle et « Einfühlung » (participation intérieure aux événements et aux aventures des personnages qui s’opère d’habitude par l’identification avec le personnage principal), essentielles pour le récit, impliquent en fait que le public abdique momentanément ses facultés intellectuelles actives en faveur d’une réceptivité émotionnelle intense. Il attend de son narrateur que celui-ci éveille en lui une forte tension intérieure et la résolve à sa satisfaction. Il n’y a pas de doute : la fascination émanant du récit surgit des couches pré-rationnelles de l’homme.

17Dans un monde qui se rationalise à un rythme effréné depuis des siècles, cela pose des problèmes considérables au narrateur. Comment un intellectuel — et les auteurs de quelque renommée le sont presque tous — peut-il se consacrer à des tâches si vaines et peu sérieuses que de « raconter des histoires ? ». Comment un auteur sans compétence particulière (dans le sens qu’accorde à cette notion notre civilisation rationalisée et spécialisée) peut-il créer l’image de tout un monde social avec le seul appui de son imagination subjective ? Ce sont là des doutes que Nathalie Sarraute partage avec un grand nombre d’écrivains allemands, particulièrement durant les années 60. Et ce n’est certes pas un hasard, si le « retour du narrateur » dans la littérature allemande, point de départ de nos considérations, coïncide avec la grande crise de confiance vis-à-vis d’une rationalité fonctionnelle envahissant résolument tous les secteurs de la vie, crise qui secoue le monde intellectuel depuis les années 70. De plus, les scrupules du narrateur cultivé n’empêcheront pas de plus frustes que lui d’accomplir la tâche. L’abdication hypothétique de Balzac et Tolstoï ne nous délivrera pas de « Dallas ». Aux problèmes socio-psychologiques du créateur de fictions devant l’usage de ses facultés d’imagination s’ajoutent des scrupules moraux.

18Un tel travail d’illusionniste et de manipulateur d’émotions est-il encore compatible avec la conscience d’un auteur éclairé ? Platon avait déjà répondu par la négative et avait conseillé de chasser les poètes de la république. Et une des œuvres dramatiques les plus brillantes de notre siècle, celle de Bertolt Brecht, est entièrement bâtie sur la méfiance du moraliste (marxiste) vis-à-vis de l’imagination et de l’Einfühlung. Toute la théorie et la pratique du « théâtre épique » (que Brecht appelle également « théâtre de l’ère scientifique ») est concentrée sur l’élaboration d’effets de distanciation (Verfremdungseffekte) qui poursuivent le seul but d’endiguer l’identification émotionnelle et aveugle des spectateurs avec l’action représentée et de favoriser leur participation intellectuelle active, critique et créatrice au spectacle. « L’art s’approprie ce privilège qui consiste à pouvoir se bâtir son propre monde, non nécessairement identique à l’autre, par un phénomène particulier qui est l’identification (Einfühlung) du spectateur à l’artiste et à travers lui aux personnages et événements sur scène, identification produite sur base de suggestion [...]. L’identification est un des principaux piliers de l’esthétique dominante. » Dans ce texte, Brecht tente d’analyser les rapports qui peuvent naître sous ces conditions entre spectateurs et scène : « Puisque la communication entre scène et public s’établissait sur la base de l’identification, le spectateur ne pouvait voir dans une situation donnée que ce que voyait le héros auquel il s’identifiait. Et ses réactions émotionnelles face à certaines situations sur scène ne pouvaient être que celles que « l’atmosphère » sur scène lui permettait d’avoir [...]. Il n’y avait pas à discuter, mais seulement à partager. Les phénomènes sociaux se présentaient comme phénomènes éternels, naturels, inchangeables et anhistoriques qui ne pouvaient être discutés »16 Au moment où il rédige ce texte, Brecht tente donc de créer un théâtre de la rationalité d’où seraient bannis les effets irrationnels et ataviques de la suggestion et de l’Einfühlung. Cela nous permet également de formuler une première conclusion : tout comme le théâtre, la narration n’est pas seulement constituée de structures rationnelles. L’imagination y est également présente sous la forme de processus qui sont irréductibles à une rationalisation intégrale. Depuis le XVIIIe siècle, des tentatives nombreuses et diverses vont être entreprises pour rationaliser l’acte narratif.

Contraintes historiques et culturelles : Les servitudes du romancier moderne

19Nous voyons dès lors : la fictionnalité narrative et la licence auctorielle sont des instruments bien peu fiables, s’il est vrai — comme le prétend Thomas Mann dans son « Doktor Faustus » — que « l’art veut devenir connaissance ». Et c’est sur ce point précis que le débat acquiert une nouvelle dimension. Car dans la littérature moderne, celle à partir du XVIIIe siècle, il existe de toute évidence un genre narratif qui s’est assigné comme tâche de représenter et d’analyser la réalité en tant que totalité, soit celle de la société, soit l’univers psychique de l’homme, soit — dans la littérature du XXe siècle — celle du langage. Dans les deux premiers cas, il s’agit évidemment du roman réaliste et du roman psychologique. Balzac, Tolstoï, Zola, Proust, Joyce, Virginia Woolf sont autant de témoins d’efforts titanesques entrepris à cet effet. La question qui se pose au romancier moderne est dès lors celle-ci : comment combiner, réconcilier — ou bien : peut-on tout simplement réconcilier l’obligation esthétique et morale de donner une représentation véridique de la société et de l’individu avec le statut de narrateur de fictions ? Puisqu’en fin de compte, la seule façon de garder à la littérature narrative son statut autonome par rapport à la sociologie et la psychologie, c’est de définir l’auteur comme celui qui grâce à son intériorité et son imagination créatrices crée un monde plus vrai dans son essence que ne l’est la perception du monde des spécialistes. C’est bien dans ce sens que Friedrich Engels affirme avoir appris dans la « Comédie humaine » de Balzac « même dans des détails économiques (p. ex. la redistribution de la propriété réelle et personnelle après la Révolution) [...] plus que chez tous les historiens, économistes et statisticiens professionnels de l’époque réunis »17. Pour autant que le jugement d’Engels exprime ce que le lecteur moderne attend de ses grands romanciers, ceux-ci doivent se sentir écrasés sous le poids de l’espérance que nourrit leur public. Vis-à-vis de leur public, ils doivent faire preuve d’une subjectivité créatrice et représentative.

20Si l’auteur du grand roman réaliste et psychologique se sent écrasé sous le fardeau de telles espérances de la part de ses lecteurs, il en est redevable à l’héritage de l’histoire littéraire. En effet, en ce qui concerne la représentation du monde dans sa totalité, le romancier reprend la succession du chantre d’épopées ; mais les circonstances historiques qui font de lui l’héritier d’Homère et de Virgile, changent profondément le sens de son activité esthétique. Vers la moitié du XVIIIe siècle, auteurs, critiques et esthéticiens commencent à se rendre compte des profondes mutations qui sont en train de se dérouler. Ainsi en 1740, l’esthéticien suisse Breitinger tente dans sa « Critische Dichtkunst » de définir l’épopée par référence à son « action, qui concerne des nations entières à cause de son importance »18. Les luttes et le mariage d’Enée vont aboutir à la fondation de Rome ; dans son « Paradis perdu », Milton pense même dépasser l’épopée antique dans la dignité du sujet traité, en chantant à son tour l’Histoire du Salut qui ne concerne pas seulement « des nations entières », mais toute l’humanité. Il va presque de soi que l’épopée sera héroïque, tant par ses personnages que par son action, ce qui créera un problème supplémentaire pour le roman. Contrairement au mythe p. ex., l’épopée est tenue à représenter un monde dans sa totalité. Hegel note dans son « Esthétique » : « Le contenu de l’épopée est la totalité (das Ganze) d’un monde dans lequel se passe une action individuelle »19.

21A la même époque, Goethe donne dans ses « Maximes et réfexions » une des définitions les plus célèbres du roman : « Le roman, écrit-il, est une épopée subjective dans laquelle l’auteur demande la permission de traiter le monde à sa façon »20. Quand il avait composé vingt ans plus tôt son « Hermann und Dorothea », une espèce d’épopée bourgeoise, le même Goethe avait déjà compris que les héros de son temps ne pourraient plus être des personnages exceptionnels, ni leurs actions des exploits incomparables « Car — et c’est de nouveau Hegel qui formule — tout l’état actuel du monde a pris une forme qui dans son ordonnance (Ordnung) prosaïque s’oppose diamétralement aux exigences que nous trouvions indispensables pour la vraie épopée »21. Et en effet, quand nous parlons de « littérature réaliste », nous sous-entendons la connotation : littérature traitant d’un sujet quotidien ou prosaïque.

22Si donc le romancier moderne veut nous donner une image véridique de la réalité, nous montrer ce qui meut le monde et l’histoire de l’époque contemporaine (au sens historique du terme), il doit bien nous parler de Monsieur Tout-le-monde. Il doit nous parler de destinées statistiquement représentatives. Ainsi, le héros devient simple personnage. Ce que formule l’écrivain autrichien Adalbert Stifter dans l’avant-propos de son recueil « Bunte Steine » (1853) aura force de dogme pour toute la littérature dite « réaliste » et une bonne partie de la littérature psychologique : « Mais quelque puissant et général que puisse être l’effet de l’élément tragique et épique, quelqu’excellent que puisse être leur effet dans l’art, ce sont néanmoins essentiellement les actions humaines habituelles, quotidiennes, mille fois répétées » qui illustrent la loi de la vie, « parce que ce sont ces actes qui sont durables, fondateurs. Ce sont pour ainsi dire les millions de radicules de l’arbre de la vie »22. Nous assistons dans la littérature épique des deux derniers siècles à un changement fondamental de la matière qui entraîne à son tour un changement des procédés d’écriture.

23Pour saisir la réalité de nos jours, il faut donc descendre au niveau prosaïque. Mais la définition de Goethe (le roman comme épopée subjective, dans laquelle l’auteur demande la permission de traiter le monde à sa façon) requiert notre attention à un autre égard encore. La réflexion de Goethe rejoint en effet entièrement les analyses de l’« Esthétique » de Hegel pour qui l’homme moderne « n’éprouve d’intérêt réel (tieferes Interesse) dans les représentations de l’art que pour la seule subjectivité concrète »23. Hegel s’explique : nous ne vivons plus à l’époque où l’artiste était « spontanément un avec sa matière, en y croyant et en étant identique à elle dans son moi le plus profond »24. L’époque contemporaine se caractérise par contre par le « développement de la réflexion », la « critique » et la « liberté de la pensée ». La « subjectivité concrète » de l’artiste moderne doit dès lors « se confronter entièrement à sa matière » ; c’est ainsi que « l’artiste trouvera son contenu par référence à lui-même » (erhält der Künstler seinen Inhalt an ihm selber » — 25. En d’autres termes : le chantre de l’épopée ne devait pas élaborer sa propre vision du monde ; elle lui était donnée par et dans le consensus avec la culture qu’il représentait ; à lui de l’approfondir par sa réflexion.

24Et en effet : parler d’une épopée contestataire serait une contradiction dans les termes. A moins qu’elle ne soit satirique, une épopée tend toujours à rencontrer les aspirations idéologiques du public auquel son auteur s’adresse. Par contre, le message essentiel du romancier moderne à son public consiste à lui dépeindre la réalité comme il la voit. Chaque grande œuvre romanesque procède d’une démarche personnelle de son auteur. Contrairement au travail scientifique qui se base nécessairement sur un examen critique de l’état de la question, nous voyons mal un Zola continuer l’œuvre de Balzac et de Flaubert en en retenant une partie et en rejetant l’autre.

25Nous avons dit que le romancier moderne devait faire preuve d’une subjectivité créatrice communicative et représentatrice. Cela revient à dire : en parvenant à transmettre à travers son œuvre romanesque la vision du monde qui est la sienne, il espère que celle-ci enrichira l’expérience du monde de son lecteur. On comprendra aisément que l’histoire du roman est constituée par une alternance de phases où le romancier se sent assuré de la représentativité de son message avec des phases de crise de confiance. En règle générale, la fictionnalité narrative et la licence auctorielle sont particulièrement mises en cause pendant ces dernières phases.

26Une troisième loi assujettit l’artiste moderne et donc aussi le romancier. C’est celle du progrès obligatoire. A défaut de changer de contenu, chaque nouvelle génération d’auteurs doit au moins changer de forme ou de technique d’écriture. Le critique et auteur allemand Reinhard Baumgart constate : « Car cela aussi faisait partie des convictions fondamentales de la littérature moderne au déclin de l’époque bourgeoise : en écrivant on devait continuellement progresser à l’instar de la science et de la technologie (...). Etre écrivain progressiste était ainsi devenu une question de forme d’écriture26 ».

27Arrêtons-nous brièvement ici pour résumer notre démarche. Le type de narration que nous sommes habitués à désigner de « narration traditionnelle » repose sur une attitude fondamentalement confiante vis-à-vis de la fictionnalité narrative et de la licence auctorielle. Ces deux catégories sont universelles, communes à tous les temps et toutes les cultures. D’ailleurs, toutes les autres façons de narrer, toutes les stratégies narratives expérimentales et alternatives se veulent des correctifs par rapport à la « narration traditionnelle » ; à leur base se trouve toujours une réflexion critique à l’égard de la fictionnalité narrative et des falsifications qu’elle est censée entraîner dans la représentation véridique du monde et des hommes. La fictionnalité narrative est donc mise en cause en tant qu’instrument de travail du narrateur. Sa critique est indissociablement liée à la tâche que l’auteur s’assigne par rapport à la société. En plus cette critique revient toujours à la question : « Peut-on encore narrer ainsi de nos jours ? ». Elle contient donc implicitement ou explicitement une analyse de la situation actuelle comme fruit d’une évolution historique. A ce propos il est frappant de constater que chaque nouvelle génération d’auteurs et de critiques semble être victime de la même illusion optique : à leurs yeux, la « crise du roman » apparaît toujours comme un phénomène strictement actuel et contemporain.

28Or, de très nombreuses études permettent de l’affirmer de façon catégorique : ce qu’on a appelé erronément la crise du roman est un phénomène qui affecte le roman depuis deux siècles, c’est-à-dire depuis les origines du roman moderne. Si — suivant l’expression de Theodor W. Adorno — la forme du roman chez Proust se dilate par une « précision prenant des allures chimériques » et aboutit « à une technique micrologique qui finit par fendre en atomes l’unité du vivant »27, le narrateur du « Tristram Shandy » ne procède pas d’une façon fort différente. Valéry aspire au roman cérébral ; la forme moderne du roman est selon lui le roman d’une théorie dont il croit fournir un modèle avec « Monsieur Teste » ; la « Lucinde » de Friedrich Schlegel, datant de 1799, illustre déjà brillamment ce type de roman ; Valéry lui-même qualifie le « Discours de la Méthode » de roman moderne. Flaubert avoua qu’il préférerait écrire un livre sans sujet, reposant sur la seule force de son style. Pour Gottfried Benn, l’art romanesque a cessé d’être productif, tandis que s’annonce l’époque « des mots ordonnés et de l’art des phrases, un art absolu »28. Bref : la prétendue crise du roman n’en est guère une. Elle n’est en fait qu’un autre épisode dans l’histoire de croissance qui assure à ce genre sa prestigieuse variété et multiplicité de formes. Certains indices pourraient plaider en faveur de la thèse que les « crises » de la fictionnalité et sa résurgence se suivent à un rythme alternatif. Il n’est pas sans intérêt de remarquer que cette alternance se retrouve également chez beaucoup d’auteurs, comme André Gide, Thomas Mann, Alfred Döblin et Raymond Queneau.

La « crise du narrateur » dans la littérature d’après-guerre en R. F. A.

29Dans la littérature narrative allemande de l’immédiat après-guerre, l’expérimentation ne joua qu’un rôle réduit. Il y a à cela des raisons évidentes : de jeunes auteurs, revenant du front et des camps de prisonniers et ne disposant pas encore d’un métier solidement acquis, se voulaient les fondateurs d’une nouvelle littérature allemande qui ne fit pas seulement table rase de tout ce qui avait été écrit en Allemagne sous le régime nazi, mais aussi — et c’est plus étonnant — de la grande littérature allemande écrite depuis l’expressionisme dont les auteurs avaient du partir en exil. La ferveur de l’engagement de ces jeunes auteurs — ainsi que leur besoin de communiquer de la façon la plus directe et spontanée ce qu’ils avaient vécu, ce qu’ils vivaient —, se prêta mal à la distance analytique des formes expérimentales. En plus, la politique culturelle du régime nazi avait entièrement coupé cette génération de la grande littérature expérimentale des décades précédentes, tant allemande (Musil, Mann, Kafka...) qu’étrangère (Proust, Joyce, Faulkner...). Quand l’œuvre de tels auteurs fut enfin accessible et avidement consommée, leur réception provoqua une réaction excessive, bien que compréhensible : seule la littérature expérimentale fut désormais considérée comme valable (en R. F. A.). Ce fut donc de nouveau la crise du roman, et — comme toujours dans des cas pareils — celle-ci fut irréversible et définitive. Le rejet de la narration traditionnelle prit des allures de dogme et de décret littéraires et aboutit à des jugements sommaires qu’on imagine difficilement en France et pas du tout en Angleterre. Ecoutons l’avis émis par Hans Mayer, l’un des critiques les plus influents du fameux « Gruppe 47 », en notant que son point de vue rejoint entièrement celui d’Adorno et de la plupart des autres autorités en la matière : « Il est encore toujours possible d’impressionner ses lecteurs par la répétition des histoires d’antan, si on en varie légèrement la pointe tout en maintenant le procédé qui met en scène un narrateur objectif omniscient comme un dieu. Mais si les narrateurs sérieux parmi la génération des jeunes et même déjà celle des aînés détestent cette façon de narrer des histoires, leur réaction n’a rien d’un avant-gardisme outrancier »29. Dans la même étude Hans Mayer décrit les difficultés qui pèsent sur le narrateur à l’heure actuelle : « Nous assistons actuellement à une production de romans qui pèse sur la plupart de ceux qui y contribuent comme un poids presque insupportable. Ils veulent narrer une réalité dont ils sont persuadés qu’ils la comprennent de moins en moins. Ils veulent narrer avec l’instrument d’une langue que dans leur conviction intime ils ne croient plus capable de définir adéquatement n’importe quel état de fait sans le déformer. Ils doivent rédiger des narrations au moyen de règles qui ne comptent plus »30. L’étude dont proviennent ces extraits date des années 60 (elle fut publiée en 1969) et Mayer y formule les diverses coercitions que les auteurs de cette décade sentent peser sur eux. Etre spécialiste en subjectivité intériorisée ne permet plus de saisir la réalité ; le langage et la fictionnalité narrative sont des instruments beaucoup trop ataviques et archaïques pour désigner et analyser le monde d’aujourd’hui. Néanmoins le jugement de Mayer se fonde sur un malentendu. Il présente les difficultés de narrer comme résultat d’une nécessité objective, imposée de l’extérieur, une loi historique pour ainsi dire, en rejoignant sur ce point les thèses d’Adorno et de nombreux autres critiques. Mais en fait, il s’agit d’un statut de la littérature narrative que l’auteur s’assigne à lui-même avant de s’y conformer librement. Il serait dès lors facile de rétorquer à Mayer que l’incapacité de narrer que ressent l’auteur des années 60 et 70 est une impuissance imaginaire due à l’auto-suggestion. En plus, dans l’extrait cité, Mayer semble confondre la finalité de la littérature avec celle des sciences.

30Néanmoins les thèses formulées par Mayer reflètent fidèlement les problèmes d’un nombre important de romanciers et de narrateurs de ces décades qui virent également se développer le « nouveau roman ».

31Cette fois-ci, la fameuse « crise du roman » semble bien cacher une « crise du narrateur ». Critiques et auteurs sont unanimes à nier toute représentativité à la subjectivité créatrice et à définir toute forme d’individualisme artistique comme mythe, comme refuge qui masque mal le fait que l’homme en est réduit à être une pure fonction anonyme, une petite roue arbitrairement interchangeable d’une méga-machine. Déjà en 1958, Adorno avait déclaré : « Narrer quelque chose signifie en effet : avoir quelque chose de particulier à dire, et c’est précisément cela qu’empêche notre monde sous le signe de l’administration, de la standardisation, du sempiternel retour de l’identique »31. Et de qualifier d’idéologique la foi implicite à la narration qui veut que le cours du monde soit représentable dans des individualisations. On serait tenté de croire à un phénomène de mode, si l’authenticité de cette crise d’identité du narrateur ne se manifestait pas de façon si diverse et dans des formes littéraires tellement variées. Elles se fondent toutes sur le même dogme : le moi-sujet — tant comme source de connaissances que comme agent historique — a été dépassé par l’évolution historique.

32Nous avons déjà mentionné le critique Kurt Batt, originaire de la R. D. A., et son étude « L’exécution du narrateur ». Il y distingue trois formes que prend le refus de la narration. Une première catégorie d’écrivains renonce à l’art au profit d’une pratique politique radicale ; s’ils écrivent encore, ils se limitent à la forme du manifeste. Dans ce contexte, il faut situer la fameuse déclaration sur la mort de la littérature, rédigée par H. M. Enzensberger et W. Boelich en 1968 dans le 15e numéro du « Kursbuch ». D’autres, considérant la fictionnalité littéraire comme inauthentique, veulent retourner à l’authenticité des documents. C’est la grande vague de la littérature documentaire. Au lieu de narrer, on montre. En annihilant la distance auctorielle entre la matière et son narrateur, on élimine simultanément la subjectivité de ce dernier en tant qu’instance ordonnatrice et appréciatrice32.

33Un troisième groupe préfère une forme de littérature qui renonce à véhiculer des contenus et qui se veut uniquement réflexion critique sur le langage. Ce courant rencontra un vif succès dans les années 60 et 70. Helmut Heissenbüttel en était le plus éminent théoricien — du moins jusqu’à la fin des années 70. Depuis lors, il lui arrive d’écrire des choses qui ressemblent à s’y méprendre à des narrations.

34Pour mieux comprendre les motivations d’ordre théorique qu’invoquent les adversaires de la narration, nous donnerons un bref aperçu des conceptions littéraires de Heissenbüttel.

Un théoricien de la littérature expérimentale : Helmut Heissenbüttel

35Quand Heissenbüttel reçut le très convoité prix Büchner, il se paya le luxe de déclarer : « Au fond, je n’ai rien à dire » — il fallait cependant sous-entendre : mais beaucoup à montrer. Son aspiration est même de rendre un monde dans sa totalité ; en cela, il se situe très consciemment dans la grande tradition du roman moderne. Cependant pour Heissenbüttel, la totalité du monde, pour autant que la littérature puisse la saisir, est identique à la totalité du langage. Non pas une totalité que l’auteur devrait créer, mais celle qui existe effectivement autour de lui, sa tâche consistant à collectionner et à reproduire.

36En plus, le langage — et cela vaut également pour la conscience des personnages — n’est pas considéré sous l’angle de ses rapports avec les choses ou le monde qu’il reproduirait, mais uniquement comme matériel et comme structure. La catégorie de la créativité est quasiment exclue de l’univers littéraire de Heissenbüttel — qu’il s’agisse du langage, des personnages et de leur conscience ou des rapports qu’ils entretiennent entre eux. Il est dès lors compréhensible que Heissenbüttel fasse la distinction fondamentale entre la « littérature imaginative » du passé et la littérature « récapitulative du langage » qui seule serait adaptée à notre temps. Si la littérature veut continuer à contribuer à la recherche de la vérité à l’époque que nous vivons, elle doit s’adapter à une civilisation déterminée par les sciences exactes qui perçoivent le monde en tant qu’ensemble de structures.

37En fait, l’application de telles méthodes à la littérature correspond — à l’insu de l’auteur probablement — à la vision très pessimiste d’un monde où tout se serait figé en structures immuables et dont seraient absentes tant la catégorie d’événement que celle d’individu. Heissenbüttel s’attache donc à démontrer que l’auteur sujet qui invente une action est victime d’un leurre, tout comme les personnages qui s’imaginent agir. Pour lui, il s’agit uniquement de mettre à nu les rouages et les schémas auxquels les hommes obéissent en croyant naïvement à leur individualité. Ainsi, la littérature actuelle doit avoir recours à des procédés « désanthropomorphisants » dont la nature ne saurait être que descriptive (Lukács avait attribué à la littérature une fonction anthropomorphisante).

38Sous ces conditions, personnages et auteur se réduisent à un « faisceau d’habitudes linguistiques »33. Puisque — pour Heissenbüttel — « le langage dans lequel je vis signifie le monde dans lequel je vis »34, il en va de même pour ses personnages et le contenu de leur conscience : « Leur conversation a la forme du jargon. Mais il faut voir en même temps que les contenus de leurs conversations sont également du jargon ; que leur situation se caractérise par le fait que leur conscience a pris la forme du jargon »35.

39La tâche de la littérature consistera en la reproduction authentique du monde sous forme de citations — c’est ce que Heissenbüttel qualifie d’« authenticité synthétique ». Par des procédés de réduction (qui consistent p. ex. à ne pas reproduire les paroles des personnages, mais à varier uniquement des formes comme dire, répondre, reprendre, déclarer...), l’auteur soulignera que tout « contenu », toute « intentionnalité », tout acte individuel est interchangeable avec une série illimitée de cas analogues. Le roman à l’ère de « l’épopée post-subjective » se présentera comme une addition de fragments textuels. Le dernier refuge de l’auteur-créateur réside dans la liberté d’arranger ces segments dans l’espoir que l’arrangement soit porteur de significations.

Le retour du narrateur. Du bon et du mauvais usage de l’imagination

40Telle est donc l’évolution littéraire que vient manifestement interrompre le phénomène appelé « le retour du narrateur ». D’évidence, il se caractérise par une réhabilitation de « l’instinct de narration » et de la licence auctorielle. A l’heure actuelle, il paraît encore impossible de situer ce nouveau courant à partir du point de vue neutre et objectif du théoricien littéraire ; essayer de le décrire dans ses origines et ses motivations implique déjà une prise de position, propre au critique littéraire. De prime abord, le « retour du narrateur » ressemble indéniablement à une régression. Du point de vue des partisans d’un art expérimental, un tel abandon de positions déjà acquises et la négation de constats qui semblaient unanimement reconnus par les diverses analyses, paraissent même carrément réactionnaires. Mobiliser les facultés d’imagination de l’auteur et par transfert suggestif celles du public, n’est-ce pas faire fi de l’aliénation de l’homme moderne ? A quoi les « nouveaux narrateurs » rétorquent que leurs efforts se portent justement sur la lutte contre cette aliénation. Les uns comme les autres reconnaissent donc son existence et prétendent lutter contre elle, même s’ils le font avec des stratégies diamétralement opposées. Retenons également que le fond du débat tourne autour d’une question non pas esthétique, mais bien éthique.

41Le rôle central dans ce débat revient à l’opposition entre le rationalisme et l’irrationalisme ; c’est elle qui érige les facultés d’analyse et celles de l’imagination en principes radicalement antagonistes. Dans cette perspective, les nouveaux romanciers et autres auteurs expérimentaux sont les derniers héritiers de l’Aufklärung, de la culture rationaliste, confiante dans les vertus pédagogiques de l’usage des facultés rationnelles. Pour expliquer les formes que l’expérimentation littéraire prend au XXe siècle, il faut faire appel à une notion supplémentaire : celle de l’aliénation de l’homme moderne. Dans son acception néo-marxiste, elle désigne la perte d’identité et de personnalité de l’homme moderne absorbé par un monde qui se transforme résolument en système ou en réseau de systèmes. Cette menace est d’autant plus pernicieuse qu’elle crée en l’homme une « fausse conscience » — pour reprendre une notion fondamentale chez Adorno. Un premier pas dans la thérapie par la raison consiste à lui faire prendre conscience de son état, à détruire en lui la conviction que la réalité qu’il vit est évidente. Et le moyen employé à cet effet consiste en général en une représentation déformée de la réalité. Dépayser le lecteur pour lui faire prendre conscience de la « vraie réalité » ou du moins lui faire découvrir sa « fausse conscience » : tel est le dénominateur commun d’un très grand nombre de stratégies artistiques développées entre Kafka et les nouveaux romanciers. La théorie dramatique de Brecht formule sans doute de la façon la plus heureuse leur dénominateur commun : l’élaboration d’effets de distanciation (la Verfremdung hégélienne) permet à l’auteur de faire prendre conscience à son public de son aliénation (l’Entfremdung marxiste). Contrairement à Kafka cependant qui fait très largement appel à la catégorie de la suggestion, la plupart de ces auteurs adhèrent à une esthétique de type rationaliste qui en appelle à la créativité intellectuelle et à l’activité critique du public. Néanmoins un tel type de démarche analytique, en voulant mettre en lumière la « fausse conscience », est presque forcément tenu à représenter l’homme comme produit de structures, et non — comme le faisait encore Kafka — en lutte désespérée contre les structures. Dans le passage cité plus haut, l’homme sans qualités de Musil constate déjà que si dans le domaine de la vie privée, la croyance en des histoires reste inébranlée, « dans la vie publique, tout est devenu le contraire d’une narration et ne suit plus “un fil”, mais s’étend en une surface dont les lignes s’entrecroisent à l’infini »36. Dans la logique de pareils raisonnements, tout événement n’est qu’une apparence résorbée par la statisitique ; et ce qui paraît être action n’est en fait que fonction. La conséquence en est une transformation de la structure romanesque que l’on peut observer dans d’innombrables œuvres modernes : l’axe vertical de la fable est remplacé ou ne sert plus que de prétexte pour l’axe horizontal de la description d’une structure. Il est intéressant à cet égard de noter une réflexion de Brecht ; elle concerne le roman policier qui — à ce moment — était encore un genre traditionnel : « Le lecteur éprouve du plaisir à voir des hommes qui agissent, à participer à des actions qui ont des conséquences effectives et immédiatement constatables. » Et d’ajouter : « La vie actuelle des masses atomisées et de l’individu absorbé par des collectifs se déroule sans laisser des traces »37. C’est précisément sur ce point qu’une telle démarche risque d’être la victime de sa propre dialectique. Le pessimisme dont sont empreintes les analyses d’un Adorno illustre ce danger d’une façon quasi-exemplaire : en affirmant que dans la situation actuelle de notre monde, il n’arrive plus rien de particulier dans la vie d’un homme et que dès lors, il n’y a plus d’histoires à raconter, Adorno définit comme un fait accompli ce qu’il voudrait prévenir. D’où le danger qu’une représentation de l’aliénation moderne devienne une simple reproduction de la déshumanisation qu’elle met en cause, et l’on sait que la littérature moderne occidentale a été très fréquemment l’objet de cette critique, tant de la part des marxistes orthodoxes que des conservateurs. Danger ne signifie certes pas automatisme ou fatalité, mais il est sans doute vrai qu’une œuvre représentant l’aliénation vaut par ce qui la distingue d’une reproduction pure et simple de cette aliénation.

42L’écrivain Alfred Andersch, peu suspect de convictions réactionnaires, crut devoir prononcer — dans une interview de 1972 — cette mise en garde : « A mon avis — et je le dis à mon regret — quelque chose d’inhumain se cache dans les polémiques contre la narration. J’espère que les ennemis de la narration se rendront compte un jour de cette tendance inhumaine. Celui qui ne veut plus écouter des histoires concernant des hommes m’est suspect »38. Et Heinrich Böll a délibérément choisi comme sujet de son œuvre la lutte que mènent les petites gens — parfois avec désespoir, parfois avec une astuce victorieuse — contre les structures et les systèmes qui les oppriment. La « narration traditionnelle » fait explicitement partie du message humaniste de son œuvre ; il plaide passionnément pour une littérature qui allie « l’imagination à la compétence concernant le sujet traité » (« Phantasie als Ergänzung des Sachkundigkeit »)39. Il faut rendre hommage à ces auteurs d’une génération plus ancienne déjà — à qui on peut ajouter Siegfried Lenz avec une position tout aussi nettement définie — parce qu’ils ont eu le courage d’affirmer leurs convictions envers tous les courants de mode. A partir du début des années 70, un nombre sans cesse croissant d’auteurs de la jeune génération partagent leur point de vue. Ceux-ci témoignent déjà d’un changement radical des mentalités qui semble se produire depuis une bonne décade, spécialement dans les pays de tradition anglo-saxonne et germanique, et qui trouve ses expressions les plus spectaculaires dans les mouvements régionalistes, écologistes et pacifistes. Désormais on s’insurge contre la tendance de définir l’homme comme pure fonction d’un système ; finalement, décréter la « fausse conscience » des hommes équivaut à déclarer ceux-ci mineurs. Face à la « mécanisation rationnelle » (G. Lukács), la « rationalité fonctionnelle » (E. Fromm), la « rationalité répressive » (H. Marcuse) du système, la première tâche de l’artiste ne consiste plus en l’analyse éclairante et spécialisée, mais en une restitution de l’homme intégral. Le rationalisme des années 60 cède le pas à un nouveau personnalisme, une croyance en l’homme avec ses convictions, ses espérances et — en fin de compte — ses possiblités d’agir. Un tel personnalisme ne doit pas être suspecté à priori d’idéologie : le retour au narrateur et à la narration qu’il implique dans ses applications littéraires rejoignent en effet des positions qui n’ont jamais été abandonnées dans la littérature socialiste de la R. D.A. La doctrine du « réalisme socialiste » issu des théories de Lukács, pour nuisible qu’elle fût au développement de la littérature en R. D. A., veilla cependant jalousement à la sauvegarde des possibilités d’agir et des perspectives d’avenir pour les héros de ses récits, pour autant qu’ils soient conformes au système bien entendu.

43Quant à l’évolution récente, un passage de « Paare, Passanten » de Botho Strauss pourrait bien avoir une signification-clé : « Pendant les dernières années, nous avons pu observer que l’état et le comportement subjectifs de chaque individu en particulier se définissaient de plus en plus par rapport à toute notre planète menacée. » Et Botho Strauss de s’étonner du glissement des critères d’identification : les mots « l’homme, la terre, l’humanité » sont redevenus crédibles et ont remplacé l’appartenance à une classe sociale, l’identification par le marxisme ou par la contestation de l’ordre établi. Le problème d’une condition humaine meilleure et plus libre s’est effacé devant celui de la survie pure et simple. Et « ce sera en fin de compte (de nouveau) le seul individu qui devra trouver cette réponse »40. Concluons pour notre matière qui est la narration, fille de l’imagination : si l’imagination de l’homme et la réalité de ce monde étaient devenues tellement irréconciliables que l’homme rêvant de l’homme serait naïf ou fou, l’humanité serait irrémédiablement malade. Mais en fait, l’homme n’a nullement cessé de produire et de reproduire l’image que lui projette son imagination de lui-même, de la société et du monde. Le danger est ailleurs : si l’artiste renonce à cette tâche par scrupules ou par résignation, d’autres, plus routinés et plus intéressés que lui, feront le travail.

Notes de bas de page

1 K. BATT, Die Exekution des Erzählers. Westdeutsche Romane zwischen 1968 und 1972. Nous avons consulté l’édition Frankfurt/M., 1974 (Reihe Fischer 44).

2 V. HAGE, Die Wiederkehr des Erzàhlers. Neue deutsche Literatur der siebziger Jahre. Frankfurt/M.-Berlin-Wien, Ullstein Sachbuch, 1982.

3 V. HAGE, op. cit., p. 116.

4 V. HAGE, op. cit., p. 20.

5 Citons à titre d’exemples Martin Walser (Ein fliehendes Pferd), Dieter Wellershoff (Die Sirene), Michael Schneider (Das Spiegelkabinett).

6 Notre démarche se situe aux antipodes des travaux sémiotiques de l’Ecole de Paris pour qui la « narrativité générale » « est considérée comme le principe organisateur de tout discours » (cfr. article « narrativité » in : A. GREIMAS/J. COURTHÈS, Sémiotique-dictionnaire raisonné de la théorie du langage. Paris, 1979, p. 250 s.

7 Cfr. le programme du présent colloque et aussi p.ex. : Erzählforschung. Ein Symposion, Herausgegeben von Eberhard Lämmert. Stuttgart, 1982.

8 M. BUTOR, Le Roman comme recherche, in M. Butor : Essais sur le roman, Paris, Gallimard, 1969, p. 7, Coll. « Idées ».

9 W.-D. STEMPEL, Narrative Identität konversationeller Erzahlungen. In Erzählforschung, l.c., p. 10s.

10 H. LÜBBE, Was sind Geschichten und wozu werden sie erzählt ? Rekonstruktion der Antwort des Historismus. In Erzählforschung, op. cit., p. 625.

11 E. GERLÖTEI, Die Vorausdeutung in der Dichtung. Keime einer Anschauung vom Leben der Dichtung. Helicon, vol. II, fasc. I, 1939, p. 56.

12 Trad. d’après R. MUSIL, Der Mann ohne Eigenschaften. Reinbeck, 1952, p. 650.

13 P. VALÉRY, Oeuvres. Tome II, Paris, 1960, « Bibliothèque de la Pléiade », p. 569.

14 N. SARRAUTE, L’ère du soupçon. Paris, 1964, Coll. « Idées », p. 71.

15 Ibid., p. 74.

16 Trad. d’après B. BRECHT, Gesammelte Werke 15. Schriften zum Theater I., Frankfurt/M., p. 298 et 299 (werkausgabe edition suhrkamp).

17 Cité et trad. d’après P. DEMETZ, Marx, Engels und die Dichter. Ein Kapitel deutscher Literaturgeschichte. Frankfurt/M., 1969, p. 171.

18 Trad. d’après J. BREITINGER, Critische Dichtkunst. Repr. Stuttgart 1966, p. 88.

19 Trad. d’après G. F. W. HEGEL, Vorlesungen über die Ästhetik. Dritter Band. In : Sàmtliche Werke. Jubiläumsausgabe in 20 Bänden. Vierte Auflage, Stuttgart-Bad Cannstatt, 1964, p. 375

20 Trad. d’après : Goethes Werke, Band XII Hamburger Ausgabe, p. 498.

21 G. F. W. HEGEL, op cit, p. 417.

22 Trad. d’après A. STIFTER, Bunte Steine und Erzählungen, München, s. d., p. II.

23 G. F. W. HEGEL, op cit., Erster Band, p. 304.

24 G. F. W. HEGEL, op cit., Zweiter Band, p. 231.

25 G.F.W. HEGEL, op. cit., Zweiter Band, p. 232 et 235.

26 Trad. d’après R. BAUMGART, Das Poetische, seine Tradition und Aktualität. In : Positionen des Erzäblens. Analysen und Tbeorien zur deutschen Gegenwartsliteratur. Herausgegeben von Heinz Ludwig Arnold und Théo Buck. München, 1976, p. 164 (Beck’sche schwarze Reihe 140).

27 Trad. d’après Th. W. ADORNO, Standort des Erzählers im zeitgenössischen Roman. In : Positionen..., op. cit., p. II.

28 Trad. et cité d’après R. GRIMM, Romane des Phänotyp. In : Positionen..., op. cit., p. 21.

29 H. MAYER, felix Krull und Oskar Matzerath, In : Positionen, op. cit., p. 66.

30 Ibid., p. 67.

31 T.W. ADORNO, l.c., p. 10.

32 Cf. K. BATT, op. cit., p. 73.

33 H. HEISSENBÜTTEL, Über Literatur. Auf Sätze, München, 1970, p. 202 Serie « D.T.V. ».

34 H. HEISSENBÜTTEL, op. cit., p. 86.

35 H. HEISSENBÜTTEL, D’Alemberts Ende, Berlin, Neuwied, 1970, p. 164.

36 R. MUSIL, op. cit., p. 650.

37 B. BRECHT, Schriften zur Literatur und Kunst 3.1934-1956, Frankfurt/M., s.d., p. 97.

38 Cité d’après V. HAGE, op. cit., p. 30 s.

39 H. BÖLL, Für Sachkunde und für Phantasie. In : Die Zeit 26/1971, n. 32, p. 10.

40 B. STRAUSS, Paare, Passanten. München, 1981, p. 169s.

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