La prière d’action de grâce de Jésus dans son contexte lucanien (Lc 10, 21-22)
p. 613-635
Texte intégral
Discipulo et amico
1Les évangiles de Matthieu et de Luc relatent, en des termes presque identiques, une prière d’action de grâces et une déclaration de Jésus concernant la connaissance du Père qu’il accorde à qui il veut (Mt, 11, 25-27 et Lc 10, 21-22). Tout le monde admet que le morceau se trouvait dans la source commune ; on reconnaît également de plus en plus le caractère sémitique du morceau1. Les difficultés commencent dès lors qu’il s’agit de reconstituer le contexte primitif du logion : en effet, le fait que Jésus ne soit pas nommé et la formule liminale (quelle qu’elle soit) indiquent que le fragment appartenait, dans la source, à un ensemble plus vaste.
2Un premier texte doit être pris en considération : les paroles menaçantes pour les villes du lac (Mt 11, 21-23 et Lc 10, 13-15) se trouvent peu auparavant. On peut cependant se demander légitimement si elles précédaient immédiatement notre logion : normalement, on aurait dû s’attendre à une particule indiquant le contraste et on voit mal pourquoi la constatation de l’incroyance des cités devant les miracles aurait pu déclencher l’action de grâces.
3Il faut donc supposer qu’il y avait un morceau évoquant un aspect positif de salut ou de révélation. Chez Matthieu le contexte d’ensemble est constitué par les déclarations de Jésus qui, ayant répondu à l’interrogation des disciples de Jean « Es-tu celui qui vient ou faut-il en attendre un autre ? », renvoie à la considération de ses œuvres de puissance qui répondent aux promesses d’Isaïe2. Mais il souligne aussi la difficulté de le reconnaître d’autant plus que les violents s’opposent au Royaume et empêchent de le recevoir3. Certes, le plus petit dans le royaume est plus grand que Jean (Mt 11, 11 : μιϰϱότεϱος/μείξων). Mais l’ensemble du morceau insiste sur la légèreté coupable devant la manifestation de Jésus et sur l’incroyance (Mt 11, 12-24).
4Luc par contre a introduit le logion d’action de grâces dans le vaste contexte de la mission des disciples et plus particulièrement des soixante-douze ; celle-ci a pu connaître des refus (Lc 10, 10-15) mais la vue d’ensemble est nettement positive : la Paix ou la venue du Royaume sont annoncées avec de bons résultats partout où le Seigneur lui-même doit venir (10, 1-9, 16). Finalement les disciples reviennent à Jésus et rapportent le signe, à leurs yeux le plus saisissant, la domination des démons (Lc 10, 17) : c’est alors que Jésus prend la parole et interprète la véritable portée de l’événement, s’adressant d’abord aux disciples (Lc 10, 17-20), pour dire ensuite au Père sa joyeuse reconnaissance (21-22) et pour revenir enfin à ses disciples (23-24). On accordera volontiers que, à considérer les choses dans leur ensemble, le contexte lucanien est mieux adapté au logion d’action de grâces.
5Faut-il aller plus loin, et considérer que dans la source les versets de Luc (10, 17-20) précédaient également le logion ?
P. Hoffmann a cru pouvoir démontrer que le morceau serait une création de Luc et on retrouve de fait, surtout en 17, des traits lucaniens. Mais il n’y pas de raison de supposer que Luc aurait introduit les données de 10, 18, concernant des aspects charismatiques de la mission, alors que l’on professe que l’ensemble serait destiné à définir le statut de la mission chrétienne où les phénomènes extraordinaires auraient disparu4. Il est plus probable que Lc 10, 17-20 provient de la Source commune et que Matthieu, qui avait restreint le discours de mission à l’envoi des Douze (lesquels n’avaient pas exercé leur tâche), n’avait pas eu à relater leur retour. Il est donc vraisemblable que la section évoquant le retour de mission appartenait, pour l’essentiel à la Source : ce qui expliquerait l’expression de 10,21 « à cette heure même ».
6Quoi qu’il en soit, nous sommes en droit de considérer le texte de Luc dans son ensemble et de l’interpréter synchroniquement. En d’autres termes, nous voudrions interpréter le logion dans son contexte lucanien. Notons d’abord que la section qui suit le logion est différente chez nos deux évangélistes : chez Matthieu, il s’agit d’une invitation à prendre sur soi le joug de Jésus et à mener à son exemple une vie humble et douce, tandis que chez Luc (10, 23-24), il est question d’exalter le privilège qui est accordé présentement aux disciples qui ont la possibilité de voir et d’entendre ce que les anciens d’Israël ont, en vain, désiré percevoir. Ce logion qui a son parallèle dans la section des paraboles de Matthieu (Mt 13, 16-17) semble ici mieux en situation5.
La mission et ses fruits (Lc 10, 1-16)
7L’évangile de Luc relate deux envois en mission au cours de la vie de Jésus : l’envoi des Douze (9, 1-6) au retour duquel se situent la multiplication des pains, la profession de foi de Pierre, les premières annonces de la Passion et la Transfiguration. Cette section s’achève par un logion concernant ceux qui expulsent les démons au nom de Jésus sans appartenir au groupe des Douze (9, 49-50). Le départ vers Jérusalem et la première étape en Samarie sont interrompus par le récit d’une mission des soixante-douze disciples qui vont, deux par deux, en avant de Jésus « dans toute ville ou endroit où lui-même devait aller » (10, 1). En fait, l’ordre de mission reprendra les mêmes données que Matthieu avait conservées dans le cadre de la mission des Douze (Mt 10, 9-16). Mais Luc entend sans doute esquisser un élargissement de la mission aux évangélistes qui, tout en débordant le cadre des Douze apôtres, sont chargés de la même tâche et appelés aux mêmes obligations de total dépouillement. Le nombre soixante-dix (ou douze) correspondrait au nombre des nations6. Ce qui est surtout important c’est que la mission est destinée à préparer la venue et la rencontre de Jésus lui-même : il ne peut s’agir que de l’intervention du Seigneur après la résurrection (comment Jésus aurait-il pu se rendre en personne dans chacune des cités visitées par les trente-six groupes d’envoyés ?). Reliée à la mission des Douze, la mission des soixante-douze évoque donc la mission de l’Eglise d’après Pâques, que narre le livre des Actes.
8Cette mission a comme tâche la proclamation et la première réalisation de l’Evangile qui tient en deux formules :
- « Paix à cette maison » (10, 5). Cette formule courante prend, dans le contexte, une portée nouvelle : c’est la venue du salut de Dieu qui seul peut établir au sein de la maison la véritable harmonie et les conditions d’une vie épanouie et heureuse. Luc en était particulièrement conscient et l’avait souligné plus que les autres évangélistes. Jésus est le roi qui apporte la paix aux hommes que Dieu aime (Lc 2, 14 ; 19,38) ; avec la guérison c’est l’accomplissement de la vie qu’il apporte aux hommes (8, 48 ; 7, 50). Cette paix est surtout le don du Seigneur ressuscité (24, 36) qui est portée au monde par les évangélistes (Ac 10, 36). Mais ce don de la paix peut être récusé.
- En cas d’accueil dans une ville ; « mangez ce qu’ils vous présenteront et guérissez les malades qui s’y trouvent et dites-leur : « Le Règne de Dieu est là sur vous » (ἤγγιϰεν ἐφ’ ὑμᾶς ἡ βασιλεία τοῦ θεοῦ) (Lc 10, 9). La phrase est irrégulière : on passe en effet de la ville au pronom personnel pluriel αὐτοῖs. Mais quoi qu’il en soit des problèmes de composition, le sens est clair : les guérisons sont le signe que le Règne de Dieu est à l’œuvre ici et maintenant. On rapprochera avec raison de 11, 20 « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, alors le Règne de Dieu vient de venir sur vous (ἄϱα ἐφθασεν ἐφ’ ὑμᾶς ἡ βασαιλεία τοῦ θεοῦ) ». Certes, les deux verbes sont différents, mais on rencontre de part et d’autre l’emploi de la préposition ἐπί (ἐφ’ ὑμᾶς) et l’idée est la même : les actions qui libèrent les hommes des infirmités ou de la servitude des démons, sont le signe de la venue du Règne de Dieu sur eux. De ce point de vue, l’action des disciples envoyés par Jésus est la mise en œuvre de la même puissance divine qui opère en Jésus.
9On comprend dès lors la déclaration qui clôt le discours de mission : « Celui qui vous écoute, m’écoute et celui qui vous repousse, me repousse ; mais qui me repousse, repousse celui qui m’a envoyé » (10, 16). Il y a donc un parallélisme strict entre la mission de salut de Jésus et celle qu’il confie aux disciples. La mission de Jésus vient de Dieu et elle lui confère la puissance de réaliser dès maintenant le Règne promis par les prophètes (quoique ce Règne doive encore être parachevé lors de la Parousie : 17, 20-21 ; 21,31). En envoyant ses disciples proclamer l’avènement du Royaume, Jésus leur confie la puissance de salut qui est sienne. En eux, c’est l’œuvre du Christ, et donc aussi l’œuvre du Père, qui s’opère7. Il importe de voir que les disciples sont invités à reconnaître combien la mission du Christ fait de lui l’opérateur et le révélateur du Père et que dès lors ils ne peuvent se comprendre dans leur activité de proclamation et de réalisation du salut sans reconnaître leur rapport étroit avec Jésus et Celui qui l’envoie.
La victoire sur Satan (Lc 10, 17-20)
10Le retour des envoyés auprès de Jésus est l’occasion d’évaluer la véritable portée de l’action accomplie. Dans l’évangile de Marc, il était dit : « les envoyés (ἀπόστολοι) se réunissent auprès de Jésus et ils lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné » (Mc 6, 30) ; il n’est fait aucun commentaire parce que leur action avait été évoquée brièvement en 6, 13 : « Ils partirent et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et ils les guérissait ». Chez Luc, il n’y a aucune relation de l’activité missionnaire elle-même, mais la notice concernant le retour est développée.
11Le texte est un peu heurté, des données hétérogènes semblent assemblées artificiellement et dès lors, la section 10, 17-20 a donné lieu à bien des hypothèses concernant la préhistoire du texte8. Il faut néanmoins le constater : il y a une ligne maîtresse qui, partant du fait des exorcismes réalisés par les envoyés et attestés par eux, conduit à une interprétation exhaustive que Jésus développe par étapes. On notera symétriquement le thème de la joie qui est repris à quatre reprises (v. 17, 20, 21, 23).
12Tout le développement part d’un fait, d’une expérience attestée par les envoyés : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ». On notera tout d’abord la variété du vocabulaire désignant ici la puissance démoniaque : démons (17), Satan (18), serpents et scorpions (19a), la puissance de l’ennemi (19b), les esprits (20). Ces diverses dénominations désignent la réalité innombrable, et finalement innommable, de la puissance qui avait jusqu’alors écrasé l’humanité. On notera en particulier la formule « la puissance de l’ennemi (ἡ δύναμις τοῦ ἐχθϱοῦ) » : il s’agit de celui/ceux qui se définissent par la haine destructrice (Mt 13, 25 ; 1 P 5, 8 ; Jn 8, 44). A cette puissance s’oppose souverainement l’exousia de Jésus (Mc 1, 21-28 par. Lc 4, 31-37 ; Mc 1, 34 par. Mt 8, 16 ; Lc 4, 41 ; Mc 3, 22-30 par. Mt 12, 22-32 ; Lc 11, 14-23 ; etc). La supériorité entière de Jésus et de ceux qui agissent en invoquant son nom, est le signe du changement radical qui s’est opéré à partir du moment où fut proclamé l’évangile du Royaume de Dieu. D’où la joie des apôtres qui ont constaté la réalité du salut offert par Dieu dès maintenant.
13Dans notre contexte, Jésus va exprimer la portée de l’événement en recourant au vocabulaire apocalyptique. La domination de la terre étant liée à la position élevée dans le ciel, on avait parfois imaginé un siège satanique situé à une certaine hauteur, sans jamais l’envisager d’ailleurs comme l’adversaire opposé symétriquement à Dieu (Jb 1, 6 ; 2,1 jusqu’à Jn 12, 31 ; Ap 12, 7 ou Ep 2,2)9. L’avènement du Royaume suppose l’élimination préalable et entière de la puissance du mal sur la terre et donc son expulsion du ciel. Il n’est pas question ici d’un combat un moment incertain : Satan tombe foudroyé. Les expulsions des démons et la puissance conférée aux disciples sont les signes aux yeux de Jésus, de l’accomplissement eschatologique. Dieu seul règne dans les cieux (Ps 33, 14 v ; 103, 19) et bientôt Jésus montant au ciel siégera à la droite du Père10. Cette défaite complète de la puissance satanique va de pair avec le pouvoir invincible que Jésus a conféré aux messagers : « Voici que je vous ai donné le pouvoir (ἐξουσία) de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemi et rien ne vous nuira » (10, 19). Le rapprochement du serpent qui insidieusement cherche à tuer l’homme, et la mystérieuse puissance satanique était classique. Il y a ici une réminiscence du Ps 90, 13 LXX : « sur aspic et basilic tu marcheras et tu fouleras lion et dragon » (il n’est pas inutile de noter qu’il s’agit surtout d’animaux mythologiques). Mais on passe du langage figuré à l’évocation de l’ennemi : cette façon de désigner Satan était connue (Mt 13, 39). Ce qui rejoint des notations de Test. Levi 18.
14Mais la séquence s’achève en déplaçant le centre d’intérêt ; plus que de la puissance victorieuse dont ils sont investis dans l’exercice de leur mission, les envoyés doivent se réjouir de ce que leurs noms sont inscrits dans le ciel11. L’image des livres célestes où les noms des élus sont inscrits selon la volonté de Dieu, appartient à la symbolique apocalyptique12. C’est la certitude de l’élection divine de ceux qui ont assumé la mission, qui est la raison première de la véritable joie. Mais aussi la raison de la joie spirituelle qui possède Jésus et s’exprime dans l’action de grâces qui suit ; la liaison est fortement soulignée par la formule « à cette heure même ».
Action de grâces et béatitude
15Parvenu à ce point, Jésus peut proclamer la béatitude des disciples qui sont les témoins de ces événements et de ce qu’ils annoncent. Mais il s’adresse d’abord à Celui qui est dans le ciel et qu’il nomme son Père, car la révélation qui s’opère désormais sur la terre a en lui son origine et son sens. Cette séquence comprend deux temps qui ont chacun quatre segments comme Norden l’avait bien vu13 :
la Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre
b d’avoir caché cela aux sages et aux intelligents
c et de l’avoir révélé aux tout-petits
d Oui Père, c’est ainsi que tu en as disposé dans ta bienveillance
IIa Tout m’a été transmis par mon Père,
b et nul ne connaît qui est le Fils si ce n’est le Père
c ni qui est le Père si ce n’est le Fils
d et celui à qui le Fils veut bien le révéler.
16Il y a donc une parole que Jésus adresse comme Fils au Père pour reconnaître, dans la joie, le fait que la révélation est offerte actuellement aux petits. Le second logion apporte une précision importante : c’est effectivement par l’activité du Fils que le Père leur est révélé, il y a donc un véritable parallélisme entre les deux paroles et une différence qu’il faut reconnaître sans l’exagérer : la seconde parole se rattache étroitement à la première dans la mesure où c’est par l’activité du Fils, qui est Jésus, que s’opère la pleine révélation du dessein du Père. Le commentaire doit mettre en lumière comment ces paroles s’inscrivent dans l’ensemble de l’enseignement de Jésus tel que Luc l’a perçu et rapporté, et comment il constitue un lieu d’émergence qui ouvre un vaste horizon.
1710, 21 : à cette heure même, il exulta sous l’action de l’Esprit Saint : Luc a donc fortement souligné la relation avec ce qui précède (« à cette heure même ») et la joie spirituelle qui anime Jésus alors qu’il reconnaît l’action généreuse de son Père. Le verbe ἀγαλλιάω ne peut se comprendre que dans la perspective ouverte par la LXX : traduisant les mots gîl et sûs, il indique la joie profonde que l’on ressent en contemplant les œuvres par lesquelles Dieu sauve son peuple (Ps 50, 14). Cette joie s’exprime dans le culte ou la prière qui loue le Seigneur et reconnaît ses bienfaits (Ps 34, 27 ; 91, 5-6 ; 96, 8-9). Le même terme appartient aussi, on le comprend aisément, au langage apocalyptique : le monde à venir, où l’action de salut se déploiera pleinement, sera aussi le lieu de la joie la plus pure et la plus vive (Ps 95, 11-12 ; 96, 8 ; 125,2,5 ; Test. Levi, 18, 5, 14).
18Dans l’évangile de Luc le mot apparaît deux fois : en 1, 47, dans le cantique de Marie « Mon âme exalte (μεγαλύνει) le Seigneur et mon esprit est comblé d’allégresse (ἠγάλλίασεν) à cause de Dieu mon Sauveur ». Il y a une réminiscence du Ps 34, 4 mais le texte précise combien c’est la révélation de Dieu comme sauveur, au moment de l’accomplissement des espérances eschatologiques d’Israël, qui détermine cette exaltation jubilante. En 10, 21 c’est Jésus qui proclame la grandeur de Dieu et de son œuvre de salut ; il le fait sous l’action de l’Esprit Saint14.
Relevons d’abord une question de critique textuelle ; quelques témoins ont une formule brève (ἐν) τῶ πνεύματι (P45 ; A W min. Clem. Bas.) ce qui pourrait éventuellement désigner une joie intérieure envahissant l’âme de Jésus. La formulation longue (ἐν) τῷ πνεύματι τῷ ἁγίῳ) est beaucoup mieux attestée (P75 Bomit ἐν ; D al it) et correspond bien à l’écriture de Luc (les usages courts de 2, 27 et 4, 1b s’expliquent par la mention longue qui précède immédiatement : 2, 25 et 4, 1a15.
19Plus nettement que Mc et que Mt, Luc a en effet mis en lumière le fait que Jésus a reçu immédiatement le don de l’Esprit Saint en plénitude (πλήρης πνεύματος ἁγίου, Lc 4, la) et de façon permanente16. L’Esprit Saint ne cesse d’agir en lui et par lui (Lc 4, lb. 14. 18 ; Ac 10, 38) ; en 10, 21, Luc souligne que c’est le même Esprit Saint qui confère à Jésus et la claire vue de l’œuvre de révélation et de salut qui s’opère, et la joie profonde17 qui l’anime et qui va s’exprimer dans la prière d’action de grâces. Peut-être faut-il ajouter que l’évangéliste a voulu mettre en lumière que l’Esprit Saint est associé à la relation du Père et du Fils. La prière que Jésus adresse à Dieu est introduite par le mot ἐξομολογοῦμαι : ce verbe qui comme la forme simple ὁμολογεῖν, désignait en grec classique le fait de parler d’une seule voix et donc aussi d’accorder et de reconnaître (ainsi notamment en Lc, 22,6) ; à la voie moyenne, il signifiait surtout avouer une erreur17. Dans la Bible grecque, le mot assume un sens nouveau dans la mesure où il traduit habituellement le mot YDH, lequel désigne la reconnaissance au sein de l’assemblée des fidèles des grandes œuvres de salut de Dieu, et donc aussi la louange de Dieu lui-même, ainsi que la gratitude envers lui. Les écrits prophétiques et surtout les psaumes offrent de nombreux exemples de cette proclamation de l’action merveilleuse et pleine de miséricorde du Dieu d’Israël.
Quelques exemples suffiront à mettre en lumière la structure de cette prière : Ps 9,3 : « Je te louerai (ἐξομολογήσομαί σοι) de tout cœur / je raconterai (διηγήσομαι) toutes tes merveilles / je me réjouirai et j’exulterai (ἀγαλλιάσομαι) en toi/je jouerai en l’honneur de ton nom, Très Haut / parce que... » (cf. Ps 74, 2-3 ; 110, 1-2 LXX) ; soit encore la prière qui clôt le livre de Ben Sirac : « je te louerai Seigneur Roi (ἐξομολογήσομαί σοι Κύριε Βασιλεῦ) et je te célébrerai (αἰνίσω) Dieu Sauveur ; je louerai ton nom (ἐξομολογήσομαι τῷ ὀ νὁματί σου) parce que (őτι)... » (Si 51, 1). On notera donc l’utilisation de divers verbes signifiant le fait de dire, de narrer les œuvres de salut de Dieu ; le verbe (ἐξομολογεῖσθαι) est employé au futur et à la première personne du singulier, ce qui indique qu’un croyant va parler dans l’assemblée avec la volonté de rendre témoignage concernant l’expérience qu’il a faite de la puissance et de la miséricorde de Celui qu’il invoque ; c’est pourquoi après l’avoir nommé il entame l’exposé des œuvres divines (οτι)18.
20Dans la version lucanienne en particulier, Jésus reprend donc une forme traditionnelle de la prière d’Israël, où le point de départ se trouve dans une expérience personnelle de l’action de Dieu pour le salut des siens ; l’action des disciples qu’il a envoyés, qui préfigure celle des missionnaires qui sont appelés à aller jusqu’aux extrémités du monde (Ac 1, 8), est désormais le motif premier de la louange et de l’action de grâces.
Père, Seigneur du ciel et de la terre
21La prière biblique s’adressant à Dieu au sein de l’alliance qu’il a offerte aux siens, commence normalement par invoquer le nom qu’il a lui-même révélé ou des titres qui évoquent divers aspects de ce qu’il représente pour son peuple. Elle appartient au monde du vocatif19. Alors que Jésus utilise, dans presque tous les cas, l’invocation « Père », il la complète dans notre texte par la formule « Seigneur du ciel et de la terre ». Il importe d’analyser conjointement les deux expressions et de percevoir dans quelle mesure elles s’éclairent mutuellement.
22Le fait que Jésus ait employé habituellement le nom du Père dans sa prière ne peut être contesté. M. Jeremias a montré que l’invocation se rencontre dans toutes les couches de la tradition des évangiles20 et que, à une exception près, elle se retrouve dans toutes les prières de Jésus qui nous sont conservées21. Le fait est d’autant plus remarquable que l’Ancien Testament, qui avait certes utilisé la métaphore du père pour caractériser l’adoption pleine de miséricordieuse bonté d’Israël, n’en avait pas fait néanmoins une manière de s’adresser à son Dieu22. Le mot « père » comme invocation de Dieu n’apparaît que très rarement dans la littérature judéo-hellénistique (Si 23, 1, 4 LXX ; 3 Macc 6, 3, 8) ; dans le judaïsme palestinien, on peut signaler une prière qui était peut-être déjà en usage du temps de Jésus et qui sera souvent redite dans la liturgie ultérieure, il s’agit de la seconde bénédiction qui précédait la récitation du Shemah, le matin, au Temple :
D’un amour éternel, tu nous aimés, Ya notre Dieu ; d’une grande et surabondante pitié tu as eu pitié de nous, notre Père, notre Roi (’abinou malkenou). C’est nous que tu as choisis de toute nation et langue ; par amour tu nous a introduits en ton grand nom, notre roi, pour te louer, célébrer ton unité, craindre et aimer ton nom... 23.
23Encore faut-il observer qu’il s’agit d’une prière liturgique, prononcée au nom du peuple et que le père (plein de pitié) est surtout le roi de la communauté choisie en vue du culte. On ne rencontre pas l’apostrophe « mon Père ». Jésus tranche donc par son emploi du nom de père ; bien plus, les divers usages grecs que l’on peut observer dans les évangiles se rattachent selon toute vraisemblance au mot araméen abba qui accentuait la note de tendresse familière (Mc 14, 36 ; et aussi Ga 4, 6 ; Rm 8, 15).
24La place entièrement neuve que prend l’invocation de Dieu comme Père dans la prière de Jésus permet de déceler le rapport absolument singulier qu’il entretient avec Dieu. Jésus vit et agit dans une communion incomparable avec Dieu qu’il appelle son père, auquel il se fie avec amour et auquel il se réfère dans une obéissance sans réserve24. Mais simultanément, Jésus salue son Père comme le Seigneur du ciel et de la terre. L’expression pouvait rappeler certaines formules de l’Ancien Testament et notamment Gn 14, 19 (formule peut-être tardive qui double et généralise 14, 20) : « Béni soit Abram par le Dieu Très Haut qui créa ciel et terre » ; dans l’apocryphe de la Genèse découvert à Qumran paraît la formule : « le Dieu Très Haut, Seigneur du ciel et de la terre » (I QGenAp 22 21). La formule reparaît dans divers textes rabbiniques25. Elle évoque la puissance créatrice de Dieu qui non seulement pose l’univers entier, terre et ciel26, dans l’existence mais l’oriente souverainement vers l’accomplissement qu’il lui a fixé dès avant la création, accomplissement dont la connaissance sera accordée aux élus en même temps qu’ils en seront devenus participants.
25Ainsi donc l’association de deux dénominations si diverses met en lumière que le Dieu créateur de l’Univers et maître de l’histoire et de la Révélation est aussi et d’abord celui auquel Jésus peut dire Père en un sens unique et ineffable. Cette invocation nous prépare donc à saisir la portée des paroles qui vont suivre.
Tu as caché cela aux sages et aux intelligents et tu l’as révélé aux tout-petits
26Selon la tradition biblique, qui parle de révélation et affirme l’existence d’un ordre de réalités, événements et paroles, qui par leur nature même échappent complètement aux instruments de la connaissance humaine, seuls pourront les connaître ceux que le Seigneur aura voulu rendre capables de les percevoir ; cette perception, qui reste nécessairement partielle pour ceux qui pérégrinent en ce monde, est tournée vers l’heure de la pleine manifestation à la fin des temps27. On est donc amené à utiliser l’antithèse révéler-cacher et à déterminer les notes caractéristiques de ceux qui accèdent ou n’accèdent pas au don de la révélation.
a) Cacher-Révéler
27Les antithèses cacher (ϰϱύπτειν) — manifester / montrer (φανεροῦν), ou encore voiler (ϰαλύπτειν) — dévoiler ou révéler (ἀποϰαλύπτειν), étaient assez courantes dans le langage biblique. On pouvait les combiner comme c’est le cas en Lc 10, 21 ; ajoutons que Luc dont le goût pour les mots composés est bien connu, semble avoir affiné la formulation en opposant ἀποϰϱύπτειν-ἀτοπαλύπτειν.
28Pour beaucoup de penseurs hellénistiques, puisque la divinité est l’énergie qui anime et rythme le Cosmos, elle peut par conséquent être discernée et reconnue par les sages28 ; dans la pensée biblique, au contraire, le Dieu unique et personnel, créateur du ciel et de la terre, est essentiellement caché (Is 45, 15) ; les moyens normaux de la connaissance humaine sont impuissants à l’atteindre et donc aussi à connaître ses desseins. « Car vos pensées ne sont pas mes pensées et mes voies ne sont pas vos voies, oracle de Yahvé. Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sont élevées mes voies au-dessus de vos voies et mes pensées au-dessus de vos pensées » (Is 55, 8-9).
29Mais Dieu, s’il le veut, peut se donner à connaître à ceux qu’il choisira et qu’il rendra capables de percevoir quelque chose de ce qu’il fait et de ce qu’il est. La révélation sera donc un acte où Dieu habilite une créature humaine à percevoir quelque chose de son mystère. Cette manifestation se fait conjointement par des interventions dans l’histoire d’Israël ou dans l’existence de certains de ses membres, et par la parole de « prophètes » qui déclarent la signification des faits. Ces interventions, qui s’inscrivent dans le temps, ont aussi pour fonction d’orienter le peuple élu vers le terme glorieux que Dieu assigne à l’ensemble de l’histoire ; c’est dans la même perspective que Dieu révèle ses volontés concernant la poursuite de la communion de vie qu’implique l’alliance (Ps 119). On comprend aisément que durant la sombre époque qui précède l’intervention de Jésus, alors que la prophétie s’était tue29, les apocalypticiens aient soutenu la fidélité des pieux en évoquant la grande révélation de la puissance et de la miséricorde que serait le Jour de Yahvé30.
30Le logion de Mt 11, 25-27 Lc 10, 21-22 s’inscrit évidemment dans cette perspective : Jésus n’est pas seulement l’ultime prophète d’un événement eschatologique imminent, il est clair qu’il envisage une action qui entame, de par Dieu, la réalisation du Royaume des cieux (Mc 1, 15 par.) : les exorcismes et l’élimination victorieuse des forces du Mauvais sont le signe de l’action de l’Esprit qui est aussi la Force de Dieu : « Si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc qu’est arrivé sur vous le Royaume de Dieu » (Lc 11, 20 ; Mt 12, 28). Et s’il est vrai, comme on l’a vu dans les versets 10, 16-20 que les missionnaires expulsent eux aussi les démons sur l’ordre de Jésus, il faut bien constater que la révélation eschalologique est en train de se déployer. Les disciples en sont les acteurs et les témoins éblouis ; Jésus voit plus et mieux qu’eux la portée de ce signe. L’objet de la révélation (ταῦτα), c’est donc aussi la réalisation concrète du Royaume et l’intelligence qui en est donnée ; mais nous verrons que c’est en outre, comme et plus que dans l’Ancien Testament, Dieu lui-même comme source et principe de l’événement et comme Père.
b) Sages et intelligents — petits
31Mais dans le temps présent, la révélation est effectivement reçue par ceux que Jésus qualifie de νήπιοι alors que ceux que l’on considère comme « sages et intelligents » continuent à l’ignorer. Il s’agit donc d’une situation historique, d’un état de fait, que Jésus constate et interprète en y reconnaissant la manière d’agir de Dieu. Les sages et les intelligents sont ceux qui étaient reconnus comme tels en vertu du statut qu’ils avaient acquis dans la société juive ; il s’agit certainement des scribes des divers groupes religieux qui non seulement avaient pris leurs distances vis-à-vis de Jésus mais qui engageaient leur prestige pour détourner les simples de lui31.
Les Pharisiens, on le sait, étaient pour la plupart des laïcs et leurs scribes avaient supplanté les prêtres gardiens des traditions. Dans leur étude ils se servaient de la raison. A un adversaire qui invoquait miracles et voix célestes R. Yosua ben Hananya ripostait : La loi (halakha) n’est plus dans le ciel (Baba Meçia 59b). « C’est la raison qui conçut de nouvelles règles herméneutiques au moyen desquelles de nouvelles vérités devaient être tirées de l’Ecriture, ou des prescriptions traditionnelles y être rattachées. Et, en plus des résultats concrets auxquels elle aboutissait, elle réalisa l’unification du savoir : il n’y avait plus qu’une seule loi puisque la loi orale pouvait être retrouvée dans la loi écrite »32.
Cette supériorité acquise par les membres du groupe allait de pair avec un vif sentiment de leur supériorité vis-à-vis des autres et notamment de la masse juive (leur nom même signifie probablement « séparés »). De là, dans trop de cas, un goût de l’ostentation, des honneurs, et finalement une attitude orgueilleuse et suffisante (Lc 15, 15 ; 18, 9-14) encore qu’ils aient souvent célébré l’humilité. Cette même attitude explique le refus de beaucoup face au message et à la personne de Jésus. Ils sont sans doute ces violents qui depuis les jours de Jean s’emparent du Royaume des cieux (Mt 11, 12 à rapprocher de 13, 19 où le mauvais s’empare de la parole semée, dans le cœur d’un homme : dans les deux cas Mt utilise le verbe ἁϱπάξω).
32On a observé que Luc atténue ou laisse tomber certains reproches adressés aux scribes et aux Pharisiens33 ; peut-être est-il moins sensible que Matthieu aux réalités palestiniennes dont il est déjà éloigné ; par contre il est possible qu’il ait pensé davantage à des « sages et intelligents » qui pontifiaient dans le monde hellénistique34. A cette catégorie de ceux qui s’imposent socialement par le pouvoir lié au savoir, Jésus oppose ceux qu’il nomme (νήπιoι)35.
Le mot (νήπιος) désigne un être « tout jeune » et qui, du point de vue de l’adulte, est puéril. L’expression désigne donc l’enfant avec toutes les faiblesses qui le caractérisent et, en particulier, son immaturité intellectuelle et même son incapacité de s’exprimer verbalement. Cette conception se retrouve dans plusieurs textes de la LXX, car en relation avec la valorisation du pauvre qui se fie à Dieu, le mot commence à désiger l’Israélite pieux qui est mal jugé par ceux qui considèrent les choses du point de vue de la réussite en ce monde (Ps 18, 8 ; 118, 30 LXX). Dans 13, 11 ; 14, 20 ; Ga 4, 1, 3 ; Ep 4, 14 ; He 5, 13 ; mais 1 Th 2, 7).
33Lorsque, dans notre contexte, Jésus utilise le mot, il le fait en écho au langage méprisant de ceux qui se présentaient comme les sages et les intelligents. L’accent ne porte pas directement sur les qualités intérieures de simplicité et de disponibilité. Jésus constate un fait, Dieu a choisi de se révéler aux hommes que les maîtres du savoir méprisaient (cf. Lc 18, 15-17).
Oui, Père, parce que ta bienveillance en a disposé ainsi
34Littéralement il faudrait traduire « parce que ainsi fut bon plaisir devant toi » (ὅτι οὕτως εὐδοϰία ἐγένετο ἔμπϱοσθέν σου). Le mot (εὐδοχία), qui désigne l’approbation, le contentement, se rencontre surtout dans la Bible grecque où il traduit l’hébreu râçôn ; il s’agit le plus souvent d’exprimer l’attitude de Dieu qui dispose le cours des choses par pure bienveillance, car son bon plaisir est d’aimer chaque créature humaine. Dans le langage de la communauté de Qumran par exemple, le mot râçôn revient très souvent pour désigner la pure bienveillance de Dieu à l’égard de ses élus.36. Dans le Nouveau Testament l’expression reparaît pour désigner la générosité divine qui est à l’origine du dessein (ou du μυστήϱιov) qui se dévoile avec les derniers temps (Ep 1, 5, 9). En écho sans doute à Is 42, 1, Jésus est lui-même désigné comme « le fils bien-aimé en qui Dieu se complaît (εὐδόϰησα) (Mt 3, 17 ; 12, 18 ; 17, 5 ; Mc 1, 11 ; Lc 3, 22). Mais Luc applique aussi le vocabulaire au groupe des disciples : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père a trouvé bon (εὐδόϰησεν) de vous donner le Royaume » (Lc 13, 32). Dans le chant des anges lors la naissance de Jésus, il est question des hommes (qui sont l’objet) de la bienveillance divine : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de la Bienveillance (ἄνθϱωποi εὐδοκίαs) (Lc 2, 14)37
35Ainsi donc le fait que le Royaume est révélé aux simples, alors qu’il reste caché aux sages et aux intelligents s’explique uniquement par l’εὐδοϰία du Père, par un acte de pure bienveillance divine. Celle-ci privilégie les petits, les plus dépourvus de puissance, et notamment de la puissance liée au savoir. Le point de vue est proche de la béatitude des pauvres, des affamés et des souffrants de Lc 6, 20-2238. On sait combien Luc y était sensible.
Tout m’a été remis par mon Père
36Jusqu’ici Jésus n’avait été présent que comme locuteur et témoin de l’événement de la révélation. Il s’adresse maintenant de façon directe aux auditeurs humains. Le vocabulaire utilisé évoque d’abord la délégation d’un pouvoir (Mt 25, 14, 20, 22). Il est particulièrement intéressant de rapprocher notre texte de la rédaction lucanienne de la tentation de Jésus au désert. Là où Matthieu écrivait que le diable, ayant montré à Jésus tous les royaumes du monde avec leur gloire, lui disait : « Tout cela je te le donnerai (δώσω), si tu te prosternes pour m’adorer » (Mt 4, 9), Luc développe : « Je te donnerai tout ce pouvoir (ἐξουσία) avec la gloire de ces royaumes parce que c’est à moi qu’il a été remis (παραδέδοται) et que je le donne à qui je veux (ᾦ ἐὰν ϑέλω δίδωμι αυτήν). Toi donc, si tu te prosternes devant moi, il sera à toi tout entier » (Lc 4, 6-7). Il y a donc un contraste voulu : le diable se vante de posséder la plénitude du pouvoir sur l’ensemble des royaumes de la terre (on ne voit guère de qui il le tient) et d’avoir la capacité de la déléguer souverainement. Il suffirait de lui faire allégeance en le traitant comme Dieu. Dans le texte que nous étudions, au contraire, il apparaît que la puissance de Satan s’écroule irrémédiablement (10, 18-19). Le fils de Dieu, qui au désert, avait répondu : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et c’est à lui seul que tu rendras un culte » (Lc 4, 8), se trouve maintenant investi de la plénitude du pouvoir (πὰντα) et de la capacité d’en user à discrétion (ᾦ ἐὰν βούληται). Il s’agit donc bien de la transmission par le Père à son Fils du pouvoir de salut sur l’ensemble des hommes39.
37Mais ce pouvoir est aussi un pouvoir de révélation (ᾦ ἐὰν βούληται ὁ νἱòs ἀποκαλύψαι) qui se rattache à la connaissance du Père que le Fils a reçue et possède en perfection : le motif suprême de la joie de ceux auxquels il donne la révélation provient du fait que, leurs noms étant inscrits dans le ciel, ils sont appelés à connaître le Père40.
Et personne ne connaît qui est le Fils si ce n’est le Père et qui est le Père si ce n’est le Fils et celui auquel le Fils veut le révéler
38Ce qui fait de Jésus le révélateur du Père, c’est la connaissance qu’il en reçoit et qui est étroitement corrélative de la connaissance que le Père a de lui. Il s’agit donc d’une connaissance réciproque dont il faut apprécier exactement la portée. En bonne méthode, il convient d’examiner d’abord les apports que l’examen de la conception hébraïque de la connaissance divine dans les textes vétéro-testamentaires est susceptible de nous fournir41.
Le verbe γινώσϰειν retenu par saint Luc (Matthieu utilise le composé (ἐπιγινώσϰειν) traduit dans la Bible grecque, dans presque tous les cas, le verbe hébreu YD’comme le substantif yvῶσιs traduit da’at. Il s’agit normalement d’une connaissance concrète acquise par la recherche et la rencontre de l’objet ; dans le cas de la connaissance d’autrui le mot peut désigner la sympathie et le partage des soucis ; le verbe connaître pouvant même désigner l’union sexuelle (Gn 4, 1, 17, 25 ; 1 S 1, 19)42. On voit cependant se développer un aspect plus purement noétique en relation avec le thème de la sagesse43.
L’Ancien Testament parle fréquemment de la connaissance que les hommes peuvent avoir, ou plus exactement, recevoir de Dieu. Il s’agit concrètement de connaître la volonté de Dieu et de la pratiquer, mais l’aspect de connaissance ne peut être négligé. Lorsque le petit Samuel entend le premier appel, l’auteur note : « Samuel ne connaissait pas encore Yahvé et la parole de Yahvé ne lui avait pas encore été révélée » (1 S 3, 7) ; « Puisqu’il s’attache à moi, je l’affranchis ; je l’exalte puisqu’il connaît mon nom ; il m’appelle, je lui réponds » (Ps, 91, 14) : on le voit, s’attacher à Yahvé, connaître son nom (révélé) et l’appeler (dans la prière) sont très proches. « Je te fiancerai à moi dans la vérité-fidélité et tu connaîtras Yahvé » (Os 2, 22).
Par ailleurs, Yahvé connaît l’homme dans toute la vérité de son existence, il le juge avec droiture mais a également pitié de celui dont il sait la faiblesse (Ps 139, 1-10 ; 1R8, 39). Le même verbe YD‘ peut être rapproché du verbe BHR qui désigne l’élection par l’amour de Dieu : « Je n’ai connu que vous de toutes les nations de la terre » (Am 3, 2). L’élection de Jérémie est exprimée en ces termes : « Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu ; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré ; comme prophète des nations je t’ai établi » (Jr 1, 4-5).
39On comprend donc que F. Hahn ait cherché à interpréter notre logion en se référant à cette notion d’élection. Dieu seul a choisi le Fils et lui a conféré la mission de le révéler ; le Fils reconnaît et confesse le Père en réalisant le Royaume et en manifestant ses exigences ainsi que le pardon44.
40Mais pourquoi vouloir tout ramener à l’aspect volitif, alors que l’aspect de connaissance du dessein de Dieu est étroitement lié à la connaissance, dans une certaine mesure, de Dieu lui-même. Il faut ajouter que la version grecque de la Bible qui reflète bien l’interprétation de l’époque néotestamentaire45 oriente vers des formules de connaissance mutuelle46
41Il est intéressant notamment de comparer le texte hébreu et la version grecque de Ex 33, 12 :
Heb : Moïse dit à Yahvé : « Vois, tu me dis ’Fais monter ce peuple’ et tu ne me fais pas connaître qui tu enverras avec moi. Tu avais pourtant dit :’Je te connais par ton nom et tu as trouvé grâce à mes yeux’. Si donc j’ai trouvé grâce à tes yeux, daigne me faire connaître tes voies pour que je te connaisse et que je trouve grâce à tes yeux. Considère aussi que ce peuple est ton peuple ». Yahvé dit : « J’irai moi-même et je te donnerai le repos » (Ex 33, 12-14).
LXX : Et Moïse dit au Seigneur : « Voici tu me dis :’Fais monter ce peuple’ ; mais tu ne me montres pas (ἐδńλωσας) qui tu vas envoyer avec moi. Tu me dis :’Je te connais (oἶδά) plus que tous (παϱά πάντας) et tu as (trouvé) grâce auprès de moi’. Si donc j’ai trouvé grâce en face de toi, manifeste toi à moi (ἐμφάνισόν μοι σεαυτόν) ; je te connaîtrai (ou ’te verrai’ : ἲδω) clairement (γνωστῶς) pour que je puisse trouver grâce devant toi et afin que je sache (yvῶ) que ton peuple est ce grand peuple ». Et Il dit : « Je marcherai devant toi et je te donnerai le repos ».
Ainsi donc Moïse n’hésite pas à demander une manifestation qui, en lui assurant une claire connaissance ou vision du Seigneur, doit permettre de connaître aussi ses desseins sur son peuple. Trouver grâce — connaître clairement le Seigneur et connaître ses desseins vont de pair.
42Il est donc légitime de considérer que la formule énonçant la connaissance réciproque du Père et du Fils dépasse les aspects d’élection et de communication des desseins de Dieu concernant la réalisation du Royaume ; Jésus, dans la mesure où il est le Fils de Dieu qu’il invoque comme son Père en un sens éminent et incomparable, le connaît autant qu’il est connu de lui. On peut reconnaître certes, une influence hellénistique agissant alors, dans une certaine mesure, sur le Judaïsme contemporain, mais il n’est pas nécessaire d’expliquer le texte par un recours direct à la mystique grecque dont les expressions majeures sont d’ailleurs plus tardives47.
La béatitude des disciples
43La dernière strophe ramène expressément l’attention sur les disciples : le logion se retrouve chez Matthieu mais dans le contexte des paraboles (Mt 13, 16-17). Les différences permettent de mieux reconnaître les intérêts lucaniens.
Mt 13, 16-17
Or, heureux vos yeux
parce qu’ils voient
et vos oreilles
parce qu’elles entendent
Amen, je vous dis :
Beaucoup de prophètes et de justes
ont désiré
voir ce que vous voyez
et n’ont pas vu
et entendre ce que vous entendez
et n’ont pas entendu
Lc 10, 23-24
Et s’étant tourné vers ses disciples,
il leur dit en particulier
Heureux les yeux qui voient
ce que vous voyez.
Car, je vous le dis
Beaucoup de prophètes et de
rois ont voulu
voir ce que vous voyez
et n’ont pas vu
et entendre ce que vous entendez
et n’ont pas entendu
44Luc interrompt donc le discours pour souligner que Jésus s’adresse directement à ses disciples, tout en redisant dans une certaine mesure le thème de la première strophe ; l’emploi de κατ’ ἰδίαν (en particulier), qui n’est pas lucanien, souligne que la béatitude qui va être proclamée les concerne, et eux seuls, alors qu’elle échappe à ceux du dehors (oἱ ἔξω Mc 4, 11) et, en l’occurrence, aux sages et aux intelligents.
45La béatitude des yeux qui voient n’est pas aussi clairement attribuée aux disciples qui entourent Jésus que chez Matthieu ; est-ce un simple souci de style ou faut-il déceler le souci d’élargir le champ de l’application à tous ceux qui deviendront disciples dans l’avenir ? Il faut noter, par ailleurs, que dans le premier logion il n’est question que de voir. Il va de soi que cette activité ne se borne pas à la simple perception sensible et que le voir implique une capacité spirituelle qui va de pair, pour eux, avec l’expérience concrète qu’ils vivent. La révélation n’est pas réduite à des paroles, elle est d’abord dans les événements qu’il leur est donné de voir (et d’abord dans la victoire sur les puissances sataniques)48. Dans le second logion, Luc laisse tomber le Amen mais souligne le caractère solennel de la déclaration de Jésus. Il préfère parler de vouloir (ἐϑέλησαν) plutôt que de désir (ἐπεϑύμησαν) mais la nuance n’est guère sensible (Lc 17, 22). Il est question cette fois de voir et d’entendre car il y a complémentarité des événements et des paroles de révélation. Il y a surtout la mention des rois (βασιλεῖς) là où Matthieu parle des justes (δίϰαιoι).
46Jésus marque donc très nettement la différence avec les temps anciens qui ont vécu dans l’espérance suscitée par les promesses ; aujourd’hui ceux qui, si petits soient-ils, deviennent les disciples de Jésus expérimentent l’événement du salut et écoutent les paroles de la révélation plénière. On est très proche d’un autre logion relaté par Mt 11, 11 / Lc 7, 28 : « Je vous dis, il n’est personne de plus grand, parmi les enfants des femmes, que Jean ; mais le plus petit (ὁ δὲ μιϰϱότεϱος) dans le royaume de Dieu est plus grand que lui ». On peut considérer l’emploi du mot δίϰαιoι par Matthieu comme une simplification et une clarification aisée d’un texte un peu obscur : peut-être la parole conservée par Luc fait-elle mention des rois (symboles des nations) auxquels il est fait allusion en Is 52, 15 ; 60, 349. En tout cas, il s’agit de mettre en lumière le privilège incomparable accordé dans le temps présent aux petits qui vivent la réalité du Royaume : ils l’emportent, en fonction de la bienveillance de Dieu, sur les hommes les plus prestigieux du passé. La victoire décisive sur les forces du mal et le salut sont les signes les plus tangibles d’une réalité nouvelle qui avait été l’objet des espérances d’Israël et qui les dépasse : l’élection par la pure bienveillance de Dieu et l’appel à découvrir par Jésus l’indicible communion du Père.
Notes de bas de page
1 Cf. la bibliographie abondante citée par S. LEGASSE, Le logion sur le Fils révélateur (Mt., XI, 27 par. Lc., X, 22). Essai d’analyse prérédactionnelle, dans La notion biblique de Dieu. Le Dieu de la Bible et le Dieu des philosophes, éd. J. Coppens (Bibl. Ephem. theol. lov., 41), Louvain-Gembloux, 1976, p. 245-246, à compléter par I.H. MARSCHALL, The Gospel of Luke (The New Intern. Greek Testament Comm.), Exeter, 1978, p. 432.
2 Mt 11, 2-5 citant Is 35,5-6 ; 42,18 ; cf. D. HILL, The Gospel of Matthew (New Century Bible), Londres, 1972, p. 197 et E. SCHWEIZER, Das Evangelium nach Matthäus (Das N.T. Deutsch, 2) Göttingen, 1973, p. 166.
3 Mt 11, 6, 12 : les violents qui ravissent le Royaume sont les adversaires qui usent de leur prestige pour détourner les hommes de l’accueil du message (cf. Mt 13, 19) ; Luc, qui a conservé le logion en dehors de son contexte, ne l’a sans doute plus compris et parle d’une violence nécessaire de la part des croyants (Lc 16, 16).
4 P. HOFFMANN, Studien zur Théologie der Logienquelle, Munster, 1972, p. 248-254.
5 L’authenticité est généralement admise. Ainsi R. BULTMANN : « Luc n’en est pas moins sûrement primitif en ceci que les auditeurs ne sont pas loués en tant qu’ils voient et qu’ils entendent en général mais à cause de ce qu’ils voient et entendent », L’Histoire de la Tradition synoptique, trad. A. Malet, Paris, 1973, p. 142 ; P. HOFFMANN, op. cit., p. 210.
6 Cf. B.M. METZGER, Seventy or Seventy-two Disciples, dans New Test. Stud., t. 5, 1958-1959, p. 299-306 ; pour d’autres suggestions : EH. MARSHALL, op. cit., p. 414 et sv.
7 Cf. Mt 10, 40 ; 18, 5 ; Mc 9, 37 ; Lc 9, 48 ; 10, 16 ; Jn 13, 30 ; 5, 23. Voir R. BULTMANN, op cit., p. 181-183 ; C.H. DODD, Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge, 1963, p. 343-347. Nous avons un donné traditionnel qui a été transmis sous diverses formes.
8 H. SCHUERMANN, Traditionsgeschichtliche Untersuchungen zu den zynoptischen Evangelien, Dusseldorf, 1968, p. 146, n. 37 distingue trois segments : le retour des envoyés qui racontent les expulsions de démons (10,17 = Mc 6,30) ; l’affirmation de la ruine de Satan (10, 18 = Mc 3, 27) ; un complément et un correctif : les dons charismatiques alloués aux envoyés (10, 19 qu’on peut rapprocher de Mt 7, 21 et sv).
9 R. SCHNACKENBURG, Die Macht des Bösen und der Glaube der Kirche, Düsseldorf, 1979, p. 21-31 (bibliographie) ; K. KERTELGE, Teufel, Exorcismen in biblischer Sicht, dans Teufel, Dämonen, Besessenheit. Zur Wirklichkeit des Bösen, éd. W. Kasper, Mayence, 1978, p. 9-40.
10 G. LOHFINK, Die Himmelfahrt Jesu. Untersuchungen zu den Himmelfahrtsund Erhôhungstexten bei Lukas, Munich, 1971 ; M. GOURGUES, A la droite de Dieu. Résurrection de Jésus et actualisation du Ps. 110,1 dans le Nouveau Testament, Paris, 1978. M. Gourgues, qui ne cite pas Lc 10, 18, n’a pas été frappé par l’aspect de victoire sur les puissances du mal que connote la montée au ciel du Seigneur.
11 Le ciel est une manière de désigner Dieu et les biens divins qui caractérisent l’éon eschatologique ; le nom inscrit dans le ciel équivaut à l’affirmation de l’élection divine qui fait une place aux disciples dans la réalisation du monde à venir. RENGSTORF, Das Evangelium nach Lukas (Das N.T. Deutsch, 3) Göttingen, 1958, p. 136 ; H. BIETENHARD, art. ὄνομα, dans Theol. Wört. z. N.T., t. 5, p. 281.
12 Ex 32, 32-33 ; Ps 69, 29 ; Dn 12, 1 ; Henoch ethiop., 47, 3 ; 108, 3 ; Jubilés, 19, 9 ; 30, 20-21. Cf. STRACK-BILLERBECK, Komm. z. N.T. aus Talmud u. Midrasch, t. 2, 169-170 ; t. 3, 840 ; t. 4, 1037, 1041.
13 E. NORDEN, Agnostos Theos. Untersuchungen zur Formengeschichte religiöser Rede, (1912), réédition photomécanique Darmstadt, 1956 p. 277 et sv., surtout p. 285.
14 Cf. E. GULIN, Die Freude im Neuen Testament, I-II, Helsinki, 1932, 1936.
15 B.M. METZGER, A Textual Commentary on the Greek New Testament, Londres, 1971, p. 152.
16 H. von BAER, Der Heilige Geist in den Lukasschriften, Stuttgart, 1926 ; G.W.H. LAMPE, The Holy Spirit in the Writings of St. Luke, dans Studies in the Gospels. Essays in Memory of R.H. Lightfoot, Oxford, 1955, p. 159-200 ; E. SCHWEIZER, art. πνεῦμα, dans Theol. Wort. z. N.T., t. 6, p. 401 et sv. : « So ist bei Lukas eine theologische Entscheidung klar gefallen. Markus und Matthaus konnten Jesus noch naiv als Pneumatiker schildern, obwohl sie schon deutlich machten, dass sie ihn damit als den einzigartigen eschatologischen Retter zeichnen wollten. Lukas hat diese Einsicht ins Bewusstsein erhoben : Jesus ist nicht Pneumatiker, wie es die Pneumatiker in der Gemeinde sind. Er ist nicht Objekt des auch in der Gemeinde wirkenden Geistes ; in ihm offenbart sich überhaupt erst Gottes Geist, durch ihn kommt er der Gemeinde zu » (p. 403).
17 O. MICHEL, art. ὁμολογέω, dans Theol. Wört. z. N.T., t. 5, p. 199-213 ; G. MAYER — J. BERGMAN — W. von SODEN, art YDH, dans Theol. Wört. z. A.T., t. 3, col. 455-474.
18 Il faut également noter l’usage fréquent des prières introduites par YDH dans les hymnes de Qumran : 1 QH 2, 20, 31 ; 3, 19, 37 ; 4, 5 etc.
19 M. NEDONCELLE, Prière humaine, prière divine, Bruges-Paris, 1962, p. 11-16.
20 J. JEREMIAS, Abba. Studien zur neutestamentlichen Théologie und Zeitgeschichte, Gottingen, 1964, p. 15-66 = Abba. Jésus et son Père, trad. Sr Chr. Péquinot, Paris, 1972, p. 9-72 ; W. MARCHEL, Abba, Père ! La prière du Christ et des chrétiens, Rome, 1963.
21 Mc 14, 36 ; Mt 6, 9 par. Lc 11, 2 ; Mt 11, 25-26 par. Lc 10, 21 a b ; Mt 26, 42 ; Lc 23, 34, 46 ; Jn 11, 41 ; 12, 27-28 ; 17, 1, 5, 11, 21, 24-25 ; exception : Mc 15, 34 par. Mt 27, 46, citation du Ps 22, 2.
22 Is 63, 16 a b ; 64, 7.
23 J. BONSIRVEN, Le Judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ. Sa théologie, t. 2, Théologie morale. Vie morale et religieuse, Paris, 1935, p. 144, d’après I. ELBOGEN, Der jüdische Gottesdienst in seiner geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, 1913, p. 17 et sv.
24 J. JEREMIAS, Théologie du Nouveau Testament, t. 1, La prédication de Jésus, trad. J. Alzin et A. Liefooghe, Paris, 1973, p. 87 et sv.
25 STRACK-BILLERBECK, op. cit., t. 1, 177 ; t. 2, 606.
26 Il est très typique que Marcion (et quelques manuscrits, dont P45) ait supprimé la mention de la terre (laquelle est le fait d’un démiurge inféodé au Mauvais) ; cf. I.N. BIRDSALL, The New Testament Text, dans The Cambridge History of the Bible, éd. par P.R. Ackroyd — C.F. Evans, Cambridge, 1970, t. 1, p. 331-332.
27 La révélation par P. Ricœur, e.a. Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, 1977. On se reportera aussi à ce grand texte conciliaire qu’est Dei Verbum.
28 Ainsi CICERON à la suite sans doute de Posidonius : « haec igitur et alia innumerabilia cum cerninus, possumusne dubitare, quin iis praesit aliquis vel effector, si haec nata sunt, ut Platoni videtur, vel si semper fuerunt, ut Aristoteli placet, moderator tanti operis et muneris (Tusculane, I, 70) ».
29 La disparition du prophétisme était considérée comme un fait (1 M 9, 27 ; Apoc. Baruch syr, 85, 3-4 ; voir de nombreux textes rabbiniques dans J. BOWMAN, Prophets and Prophecy in Talmud and Midrash, dans The Evangelical Quarterly, t. 22, 1950, p. 107-114 ; 205-220 ; 255-275). En fait, l’importance des scribes interprètes autorisés des textes canoniques ne laissait plus guère de place à la prophétie ; cf. J. GIBLET, Prophétisme et attente d’un Messie prophète dans l’Ancien Judaïsme, dans L’attente du Messie, par L. CERFAUX e.a. (Recherches bibliques), Bruges-Louvain, 1954, p. 86-99.
30 M. DELCOR, Le Dieu des Apocalypticiens, dans La notion biblique de Dieu, op. cit., p. 211-228 ; à Qumran la connaissance de la révélation est réservée à ceux qui, appartenant à la communauté, scrutent les Ecritures selon les perspectives indiquées par le Maître de Justice ; cf. O. BETZ, Offenbarung und Schriftforschung in der Qumransekte, Tübingen, 1960.
31 Cf. A. MICHEL — J. LE MOYNE, art. Pharisiens, dans Dict. de la Bible, Suppl., t. 7, col. 1022-1115 ; A. FINKEL, The Pharisees and the Teacher of Nazareth, Leyde-Cologne, 1974.
32 A. MICHEL — J. LE MOYNE, art. cit., col. 1058.
33 A. MICHEL — J. LE MOYNE, art. cit., col. 1071-1072.
34 Il suffit d’évoquer le thème du philosophe-roi suggéré par Platon et développé par les Stoïciens et les Cyniques (Epictète, Diatribae, III, 22, 63 ; Plutarque, Moralia, 472a ; Philon, De Abrahamo, 261 ;
35 G. BERTRAM, art. νήπιος, dans Theol. Wört j. N.T., t. 4, p. 913-925 ; W. GRUNDMANN Die νήπιοι in der urchristlichen Paränese, dans New Text Stud., t. 5, 1958-59, p. 188-205 ; S. LEGASSE, La révélation aux νήπιοί dans Rev. bibl., t. 67, 1960, p. 321-348 ; J. DUPONT, Les « simples » (petâyim) dans la Bible et à Qumran. A propos des νήπιοι de Mt. 11, 25 ; Lc 10, 21, dans Studi sull’Oriente e la Bibbia offerti al p. Giovanni Rinaldi, Gênes, 1967, p. 329-336.
36 G. SCHRENK, art. εὐδοϰία, dans Theol. Wört. z. N.T., t. 2, p 740-748 ; J. DUPONT, Les Béatitudes, t. 2, Paris, 1969, p. 204-215.
37 W. PESCH, Zur Formgeschichte und Exegese von Lk 12, 32, dans Bibl., t. 41, 1960, p. 25-40 ; 356-58 ; J. JEREMIAS, Ἄνθϱωποι εὐδοϰίας (Lk 2, 14) dans Zeitschr. f. die neuter. Wiss., t. 28, 1929, p. 13-20, avait montré que l’expression ne signifiait pas « hommes de bonne volonté » mais « hommes objets de la bienveillance » ; les documents de Qumran ont confirmé cette interprétation (1 QH 4, 32 ; 11, 9) ; E. VOGT, « Pax hominibus bonae voluntatis » Lc 2, 14, dans Bibl., t. 34, 1953, p. 427-429 ; il serait erroné de faire dépendre le texte de Luc de la conception qumranienne de la prédestination (H. BRAUN, dans Theol. Rundschau, t. 28, 1962, p. 180).
38 L’accent porte donc plus sur la disposition généreuse du Père que sur l’attitude intérieure des « simples » ; le P. S. LEGASSE, art. cit., a peut-être effectué trop facilement le passage, comme le P. Dupont l’a souligné. Mais replacé dans le contexte d’ensemble de l’évangile cette disposition ne peut être entièrement négligée.
39 W. POPKES, Christus traditus. Eine Untersuchung zum Begriff der Dahingabe im Neuen Testament, Zurich, 1967, p. 136-137. J. DUPONT, Gnosis. La connaissance religieuse dans les épitres de saint Paul, Louvain-Paris, 1949, p. 60, n. 1 ; A. FEUILLET, Jésus et la Sagesse divine d’après les évangiles synoptiques dans Rev. bibl., t. 62, 1955, p. 188-189. Par contre plusieurs auteurs s’attachent exclusivement à la notion de la tradition d’une sagesse : ainsi J. SCHMID, Das Evangelium nach Matthäus, Regensburg, 1956, p. 199 ; W. GRUNDMANN, art. cit., p. 203, n. 1 ; A. M. HUNTER, « Crux criticorum ». Mt XI, 25-30. A Re-appraisal, dans New Test. Stud., t. 8, 1961-62, p. 241-249.
40 F. HAHN, Christologische Hoheitstitel. Ihre Geschichte im frühen Christentum, Göttingen, 1963, p. 325-326 qui souligne le rapport avec Mt 28, 18-19, où il est question de l’ἐξονσία universelle accordée au Christ ressuscité par Dieu ; S. LEGASSE, Jésus et l’enfant, Paris, 1969, p. 138.
41 L’article de base reste F. BAUMANN, YD ’und seine Derivate, dans Zeitschr. f. die altest. Wiss. t. 28, 1908, p. 22-41 ; 110-143 ; R. BULTMAN, art. γινώσχω, dans Théol. Wört. z. N.T., t. 1 p. 688-719 ; J. BERGMAN — G.J. BOTTERWECK, art. YD | dans Theol. Wört. z. A.T., t. 3, col. 479-512 (avec bibliographie).
42 G.J. BOTTERWECK, art. cit., col. 494.
43 G. von RAD, Weisheit in Israël, Neukirchen, 1970, p. 75-76.
44 F. HAHN, op. cit, p. 325 : « Das ’Erkennen’ des Sohnes durch den Vater kann nur heissen dass Gott ihn erwählt und legitimiert hat, und umgekehrt besagt das ’Erkennen’ des Vaters durch den Sohn, dass der Sohn allein den Vater wahrhaft anerkennt und aus der Gemeinschaft mit dem Vater lebt ».
45 R. LE DEAUT, La Septante, un Targum ? dans Etudes sur le Judaïsme hellénistique, éd. R. Kuntzmann et J. Schlosser, Paris, 1984, p. 147-195.
46 Il n’est pas sans intérêt de rappeler que les langues sémitiques ne disposaient pas d’un pronom exprimant la réciprocité : cf. Tob 5, 2 ; αύτòς oὐ γινώσιϰει με xαì ἐγώ οὐ γινώσϰω αύτόν.
47 On cite souvent une formule magique (Pap. Lond., 122, 50) : « oἶδἀ σε Ἑϱμῆ ϰαί συ ἐµέ, ἐγώ εἰµί συ ϰαί συ ἐγώ » ; ainsi W. BOUSSET, Kyrios Christos. Geschichte des Christusglaubens von den Anfängen des Christentums bis Irenaeus, 5e éd., Göttingen, 1964, p. 48. Il s’agit sans doute du dieu égyptien Thoth (P. FESTUGIERE, La révélation d’Hermès Trismégiste, t.l, L’astrologie et les sciences occultes, Paris, 1944, p. 70-71. Mais il s’agit alors de fusion, ce qui n’est pas le cas dans la parole de Jésus.
48 Dans le domaine biblique, il faut éviter de mettre une sorte d’antithèse entre voir et entendre, comme le fait trop souvent une tradition philosophique qui a bien des affinités avec certains courants protestants ; ainsi W. MICHAELIS, art ὁράω, dans Theol. Wört. z. N.T., t. 5, p. 341 et sv. Ajoutons que Luc est particulièrement sensible au témoignage oculaire.
49 A. DESCAMPS, Les Justes et la Justice dans les évangiles et le christianisme primitif hormis la doctrine proprement paulinienne, Louvain-Gembloux, 1950, p. 43 et sv., note que le couple prophètes-justes n’avait jamais été rapproché dans l’Ancien Testament ; son utilisation par le Jésus matthéen s’explique sans doute « par le souci de décerner implicitement aux disciples les mêmes titres » et il renvoie à Mt 10, 41. Par contre, il suggère à la suite du P. LAGRANGE, Evangile selon saint Matthieu (Etudes bibliques), Paris, 1923, p. 261, que le couple prophètes et rois évoquerait la liaison établie entre David (auteur des Psaumes) et les prophètes (Le 24, 44). Mais alors pourquoi le pluriel ?
Auteur
Professeur à l’Université catholique de Louvain et à l’École des sciences philosophiques et religieuses
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