Dieu dans l’œuvre poétique de Jean-Paul de Dadelsen
p. 47-66
Texte intégral
1La recherche de Dieu aura été la passion de la vie de Daniel Coppieters de Gibson. Mais il ne lui semblait pas qu’une telle quête puisse rencontrer un obstacle sans un vif intérêt pour les cultures humaines, bien au contraire, et son goût de la littérature était grand : la dernière lettre que j’ai reçue de lui en témoigne. Une étude sur l’émergence des thèmes religieux dans l’œuvre émouvante et, à mon sens admirable, d’un poète mort lui aussi prématurément, m’a parue digne d’être offerte en hommage à sa mémoire.
I. Approches
2Jean-Paul de Dadelsen est un des poètes français les plus attachants de ce siècle et son ton si personnel qu’il est impossible, lorsqu’on l’a découvert, de le confondre avec aucun autre. Sans doute est-il trop peu connu pour qu’il ne soit pas nécessaire de le présenter brièvement.
3Né à Strasbourg en 1913 de parents alsaciens, protestants, d’origine allemande, suisse et danoise, Dadelsen écrit bon nombre de poèmes dans sa jeunesse mais abandonne pratiquement cette forme d’écriture vers 1934. Sa conviction est alors qu’il ne faut pas faire de « littérature », mais plutôt vivre — un jour, la maturité venue, il sera donné d’« écrire parce qu’on ne peut pas faire autrement ». Alors, alors seulement, le poème deviendra « l’expression vraie de la vie secrète du poète »1.. Pendant une vingtaine d’années, il mène une vie agitée, changeante : professeur d’allemand, traducteur et interprète, secrétaire d’un industriel, résistant, fonctionnaire de l’information, correspondant de presse et chroniqueur de radio, conseiller d’organisations internationales ; grand voyageur, il a vécu un peu partout en Europe ; il a beaucoup de liaisons féminines, se marie deux fois. Ce personnage aventureux, haut en couleur mais semblant toujours inquiet, connaît en 1952 un tournant décisif : apprenant qu’il est atteint d’un cancer du cerveau, il accomplit son vœu ancien et écrit de 1952 à 1957, en versions successives sans cesse remaniées, une œuvre poétique de premier ordre.
4En attendant une édition critique comprenant tous les états des poèmes et une publication de la correspondance, qui semble très nécessaire pour l’intelligence de l’œuvre, nous disposons actuellement d’un recueil principal posthume, Jonas (textes de 1952 à 1957) et d’un petit volume complémentaire contenant des poèmes de diverses époques et des essais en prose, Goethe en Alsace2.. On trouvera dans ce dernier la seule étude existante sur la poésie de Dadelsen, celle de Baptiste-Marrey, qui est précieuse — même si l’on peut discuter son interprétation de la dimension religieuse de l’œuvre, nous le verrons. En effet, si Dadelsen est intéressant à beaucoup d’autres titres — en particulier, il est l’unique grand poète alsacien de langue française — et s’il ne peut aucunement être considéré comme un « poète religieux », son œuvre tardive présente, après les ruptures nettes et le sensualisme affiché des années trente dont témoigne le poème Hoffet, un souci religieux évident dont je voudrais essayer de suggérer ici les traits principaux3. Mais il me faut d’abord situer son œuvre dans la poésie française contemporaine, la décrire succinctement, et évoquer la poétique qui devrait lui être consacrée.
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5Pour la poésie qui a une visée religieuse on peut, comme pour toute autre, distinguer avec R. Barthes deux procédures différentes de production. Une première et plus ancienne manière de l’écrire, datant du XVIIe siècle, aboutit à un discours, qui est le lieu de la communication. Certes, depuis le début du XIXe siècle le vers ne suffit plus à distinguer de la prose le discours poétique et on reconnaît la poésie à la présence d’images — métaphores, métonymies — qui appartiennent à ce discours et concentrent en elles la puissance de suggérer le « mystère » que le mot poésie évoque désormais au point de s’étendre à toute écriture où affleurent des choses vagues. De ce type d’écriture poétique relèvent Hölderlin, Hugo, Baudelaire et encore Claudel — pour ne mentionner que ceux chez qui l’on trouve des thèmes religieux. Un autre apparaît plus tard et va s’imposer : on n’y découvre plus que l’apparence du discours — la syntaxe est presque toujours respectée — et la communication a désormais pour lieu non pas le mouvement de pensée ou les images développées elles-mêmes mais les mots : leur résonnance, leurs relations entre eux, leur récurrence semblable à celle des personnages d’un drame ou des thèmes d’une musique. Ce seront Hopkins, Eliot, Grosjean, Renard. En regard de cette partition, il faut placer Dadelsen dans la classe la plus traditionnelle — et cela explique peut-être pour une part son manque de notoriété actuel.
6Si dans un second temps et cette fois quant au sens de la création poétique on adopte l’opposition proposée par Y. Bonnefoy entre le courant issu de Mallarmé (celui qui œuvre dans la clôture acceptée du langage pour célébrer un ailleurs impossible) et celui qui peut se réclamer de la « réalité rugueuse » de Rimbaud, de la part de Baudelaire qui sacrifie à l’instant et à notre finitude (c’est-à-dire celui qui ne renonce pas à conjoindre, par le langage, le je et la réalité sensible), J.-P. de Dadelsen se place sans aucun doute dans le second. Pour n’en donner qu’un indice, si malgré ses fruits admirables le romantisme allemand lui semble un « égarement » c’est parce qu’il fait une grandeur de « l’évasion » et qu’il voit notre condition humaine enclose dans de « décevantes limites », or c’est elles qui nous sont données et qu’il faut affronter, pour le poète (malgré les richesses inexplicables qui montent en lui des profondeurs et le contraignent à sa périlleuse tentative) comme pour tout un chacun4.
7Ce n’est donc pas seulement par une analogie de forme, mais aussi par un même souci du concret qu’il y a lieu de comparer Dadelsen — comme l’a fait J. Brenner — à Claudel et à St. John-Perse, deux poètes qu’il a connus personnellement et qu’il admirait. Sans doute s’agit-il ici du Claudel des « Cinq grandes odes » et de la « Cantate à trois voix » ! Si un trait frappe, en effet, à la lecture de Jonas, c’est la forte saveur du texte, avec un vocabulaire foisonnant et parfois truculent — un indéniable legs du dialecte et de l’ethos alsacien. Mais les influences du romantisme allemand et de la poésie moderne de langue anglaise, en particulier T.S. Eliot et E. Pound, ne sont pas moins sensibles, comme le signale Baptiste-Marrey ; à ces derniers se rattache à nouveau le sens du concret, propre à leur idiome, avec le constant arrière-plan allusif d’une poésie de culture.
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8Le corpus poétique de Dadelsen est limité et aisé à décrire. Un groupe A comprend trois poèmes majeurs, à forte implication personnelle, à portée religieuse et aussi, surtout pour les deux premiers, à lien vigoureux avec son « pays ancien », cette Alsace — plus particulièrement le Ried, région du vieux Rhin et de ses bras morts — qu’il a quittée à dix-sept ans pour y revenir de loin en loin :
9Bach en automne » (1952-55) ; Bach médite, à la fin de sa vie : tout le poème est mêlé d’allusions musicales, voire construit musicalement5.
10Jonas (1945 puis 1954-5) ; souvenir d’amis morts à la guerre et évocation de leurs « ombres » ; Dadelsen y ajouta plus tard des fragments assez différents, dans lesquels certains thèmes du premier reviennent6.
11[Pâques 1957] — le titre n’est pas de lui — poèmes et fragments écrits dans les tout derniers jours de sa vie.
12Un second groupe de quatre poèmes (B) constitue avec le premier l’œuvre vraiment caractéristique de Dadelsen. Il comprend un texte long (Oncle Jean 1954-5) et trois autres plus courts (La fin du jour 1954, Peupliers et trembles, et ce que l’on pourrait nommer Sainte Odile : cinq versions très différentes d’une élégie de la douloureuse vie et de la prière des femmes de l’Alsace à leur patronne). Ces poèmes s’inscrivent dans la ligne du souvenir alsacien auquel se mêle toujours une inquiétude religieuse7.
13Un troisième ensemble (C) comprend quinze poèmes plus courts, en général moins originaux mais parfois très beaux, dans lesquels le questionnement existentiel et religieux est marquant. Voici leur titres ou incipit : Logique formelle, Exercice pour le soir, Grand livre, La femme de Loth (1953-4), [Le faux oisif...] (1953), [Comment en soi jamais découvrir...], [Aveuglément le sang...] [Ame tu n’es que panse...], [Seigneur, donnez-moi seulement...], [Il y a beau temps que le soir est tombé...] (1954), Amérique du Sud, hauts plateaux, guitare (1955), [Ton visage sombre], Crépuscule (1956), Dépassé. Provisoirement, [Faut-il toujours attendre...]8.
14Enfin deux poèmes excellents dans lesquels domine l’inspiration amoureuse (Variations sur un thème de Baudelaire 1953, Un chant de Salomon 1953)9, deux poèmes humoristiques où l’on reconnaît le ton d’Apollinaire (Itinéraire de Londres à Valparaiso 1953 et Vilanelle pour Betty)10 et l’inclassable Folie de Hölderlin (Goethe p. 23-24) seul texte des années qui précédèrent la seconde guerre mondiale, forment un dernier ensemble plus composite (D).
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15Tout classement par « sujets » — semblable à celui que je n’ai proposé ici que pour donner une idée précise du recueil — est superficiel en poésie et c’est une poétique de Dadelsen qu’il faudrait tenter : on sait bien que seules les analyses les plus techniques révèlent les obsessions secrètes comme les visées délibérées et éventuellement les élans spirituels d’une œuvre11.
16J’espère ne pas me tromper en avançant que cette étude n’aurait pas à s’attarder longuement sur la métrique. Il y a très peu de vers mesurés dans ces recueils et pas de rimes, sauf exceptionnellement12 ; on ne trouve pas non plus de versets13. Il s’agit donc de vers libres ou blancs, groupés en strophes (de longueur variable) dans chaque poème ou chaque section d’un poème. Outre l’habituelle longueur inégale des vers selon les poèmes, le trait le plus caractéristique est la fréquence des vers plus courts qui brisent le rythme, soit par strophe, soit en alternance binaire. Dans ces cas on observe un rejet abrupt ou une phrase lapidaire, mais il y a aussi de fréquents rejets très vifs en dehors des vers courts et parfois des combinaisons plus complexes pour souligner un passage14. Je ne suis pas sûr non plus qu’une analyse de la syntaxe soit très prometteuse : elle semble régulière, avec des phrases longues et ponctuées. La ponctuation tend à devenir plus économique au fil du recueil et elle disparaît presque dans Oncle Jean, tandis que la syntaxe se fait plus heurtée et le style presque parlé.
17De l’examen systématique du vocabulaire et des figures on peut attendre déjà beaucoup plus de fruit. Un inventaire rapide donne l’impression que les substantifs, très remarquablement concrets, sont dominants, et que les adjectifs sont plus rares (au double sens : moins fréquents et plus recherchés). On note aussi de nombreux mots anglais, un peu moins de termes allemands ou dialectaux, mais bon nombre de néologismes humoristiques et souvent argotiques. Certains substantifs sont d’une fréquence très frappante, comme les « eaux » omniprésentes, en général calmes et plates, souvent noires, parfois vives et désirables ; d’autres liquides aussi, comme le sang, et des mots tels que : femme, arbres, animaux, âmes, anges15. Les métaphores dont la fréquence est la plus notable n’ont semblé celles qui contiennent des termes physiologiques, comme ventre de la terre, cerveau/ noix, sang/ fleuve/ immanence divine, sang/ constellations stellaires/ arbres/ danse, eaux acides et méandres de la femme. Mais par-delà ces figures particulières, il faudrait étudier des images qui se présentent de façon récurrente et qui, sans avoir toujours une portée symbolique16 témoignent de l’affleurement de motif essentiels. Je pense en particulier à la correspondance répétée liquides/ arbres (p. 15, 16, 17, 56...), et au parallélisme ou reflet haut/bas (musique/ étoiles p. 14, expérience spirituelle-étoile/ chair-fond du puits p. 15).
18En fait, chez un écrivain à la fois aussi classique et aussi existentiel dans sa conception de la poésie — sinon dans sa pratique du vers — on trouve de véritables thèmes qui tantôt jouxtent l’imaginaire pur (comme les anges, les ombres des disparus) et tantôt représentent l’expression presque directe d’expériences, de questions ou de convictions : sous forme d’images, bien sûr, mais que l’on ne peut se contenter de repérer comme mots ou comme figures sous peine de manquer les thèmes englobants eux-mêmes. Il en résulte que si d’une part on ne saurait se livrer sans risque de contresens à une recherche d’« idées religieuses » chez Dadelsen et si d’autre part une poétique rigoureuse qui nous fait défaut serait indispensable à toute étude approfondie17, cependant un inventaire des principaux thèmes ayant un caractère religieux paraît possible en première approximation18. Mais cela à deux conditions : que l’attention se porte de façon privilégiée sur les images qui sont les vecteurs de ces thèmes, et que l’on respecte la différence des voix qui se font entendre dans les recueils.
II. Quelques thèmes
19Si, comme nous le verrons, la tonalité de « Bach en automne » est plutôt claire, le musicien éprouve cependant notre condition comme celle d’un exil, suggérant que celui-ci correspond à un Dieu caché :
Entre la nue basse et l’horizon convexe s’éloigne une gloire exténuée De lumière inaccessible. Le monde à travers fastes et largesses demeure Etabli dans l’exil19.
20Et ce thème est repris dans la VIIIe section du poème, dans laquelle la voix du compositeur semble s’effacer derrière celle de l’écrivain :
Que puis-je, aveugle et séparé,
Sinon par mon vide même, mesurer encore
L’absence du Seigneur20.
21De là naît l’interrogation de Jonas, devant le vide que créent en lui ses amours :
Mais cet espace qu’en moi tu creuses, toujours plus vacant, plus sonore,
Pour quel Maître, pour quelle Voix ?21,
22question qui devient tantôt accusation de soi-même, tantôt découragement, tantôt révolte, tantôt critique des consolations faciles de la religion, tantôt effroi devant un Dieu cruel et tantôt enfin appel.
23Quand Dieu demande à Jonas « Qu’as-tu fait de ton frère Maurice ? », compagnon d’armes qui s’est suicidé pendant la guerre, il répond : « J’étais ailleurs. Je n’ai rien entendu./Je n’écoutais pas. Je me regardais dans un miroir ». Quel pain, quelle eau aurait-il pu lui donner :
Je n’ai pas marché vers les eaux désirables,
Je n’ai pas de quoi te donner à boire. (...)
Comme le cerf brame après la fraîcheur des eaux...
Je n’ai pas eu soif pour mes frères. (...)
Le cerf
brame à la recherche des eaux vivantes. Voici que
je n’ai accumulé que la citerne de la mélancolie,
la fontaine de Narcisse, qui ne désaltère personne,
et ces larmes
pleurées sur moi-même22.
24Un peu plus loin on reconnaît la voix du prophète biblique qui dit la tristesse de l’éloignement de Dieu et de son propre égarement :
Pourtant, Seigneur — et certes, ce que j’en dis,
Ce n’est pas pour élever ma voix contre l’Eternel.
Plutôt contre moi et pour remâcher ma folie (...).
Mais en l’absence du Seigneur je m’assieds et je m’attriste,
25au point de désirer l’anéantissement :
liquéfaction métaphysique, noyade bouddhique
dispense de composer une personne superflue
lassitude et secret désir d’enfin se perdre pour de bon
Dans les ténèbres internes de quelque baleine définitive.
26Tel est le sort peu enviable de « celui qui vit dans l’entre-deux » :
celui qui n’aime assez ni son moi ni Dieu
celui qui a été craché des ténébres de la baleine personnelle
sur un rivage vide où il n’a pas su parler à Dieu
celui-là, que fera-t-il ?23.
27Mais notre Jonas alsacien, lui, connaît aussi une vraie révolte. A la façon de la femme de Loth, qui ne veut pas être sauvée seule dans la plaine, contre la perte d’une ville :
Je ne veux pas vivre sans espérance.
Ces palmes sans malice, ces enfants sans amour, ces toits
Sans défense témoignent contre ta loi.
La femme de Loth, l’étrangère, regarde les toits
De tous ces hommes sans amour aveuglés dans la plaine
Et calmement descend se perdre dans la ville24.
28Oui, de la même façon, il recense les paradoxes du « Grand Livre » dans lequel nulle sagesse ne se montre. Sans savoir d’où il vient, ni ce qui est marqué pour ou contre lui dans le Livre, il dit : « J’ai honte de n’avoir pas crié contre toi/Eternel ». C’est alors que s’introduisent les deux thèmes connexes d’un Dieu immanent, démesuré, et d’une critique des religions dérisoires :
L’Éternel est en moi qui me regarde-moi, plus futile
Qu’un souffle de brise au soir sur une eau calme
Et sans mémoire.
Il regarde du plus intérieur de moi mes pensées, mes idoles,
Mon besoin puéril d’un Dieu qui ait un prénom,
Mon désir insensé d’une femme qui n’aime
Que moi25.
29Cette critique, associée à la prétention d’être le seul adorateur du Dieu vrai qui est Non-Etre, « l’Ange de la mélancolie » la reprend à son compte et la développe dans deux textes très durs :
Quelle âme ? Quel Éternel ?
Belle âme en vérité, faite de vent et d’ordure !
O Sulamite, toute béante vers un Dieu qui te remplisse,
Sultane affriolée d’un Dieu qui te choisisse,
Un Dieu tantôt satyre et tantôt pain d’épice ! On le connaît ton Dieu
Il s’appelle Nombril.
Qui, sinon Moi, adore le vrai Dieu dans Sa perfection première (...)
Moi seul pour le repos de tous travaille vers le jour
Où Dieu renaît à la perfection du Non-Etre26.
30La question le plus terrible que « Jonas » adresse à Dieu est celle de sa souffrance, de sa mort prochaine : faut-il les Lui attribuer ? Parfois elle devient même une affirmation et il lui arrive de voir ce Dieu, avec un mélange d’admiration et d’effroi, comme un animal cruel. Interrogation, d’abord :
le faux oisif
qui lentement m’assaille, me désarme, me déchire,
qui de ses pouces m’ouvre comme une quetsche mûre
qui m’égare et me ruine et me sépare et me disperse
serait-ce Dieu ?27,
31qui est aussi celle de la femme de la plaine, se demandant :
Quel jardinier bizarre est le maître qui
fait attendre à celui qui plante un arbre qu’il soit mort
avant de laisser mûrir le fruit28.
32Affirmation, maintenant :
Nous fûmes entiers, carapacés de noir et de dur.
Eternel, tu nous a rompus. Où est présentement
le dehors, le dedans ? Eternel, tu nous as
cassés29.
33Comment s’étonner que Jonas, dans le très beau poème Peupliers et trembles, après avoir évoqué le soir :
Peupliers et trembles. Dans la dernière clarté horizontale
à cette heure où la feuille la plus haute, qui tout le jour
était prise dans la rivière de brise invisible
soudain se fige en un miel de silence,
34puis décrit la chasse nocturne qui s’ouvre, impitoyable, pousse soudain ce cri extraordinaire :
L’Eternel
est un grand hibou au plumage de silence.
L’Eternel est une martre.
L’Eternel tue l’Eternel et se nourrit de son propre sang.
L’Eternel est ce qui n’a pas de sens,
n’a point de lieu, de nom, de temps —
35Ainsi, l’annonce du crépuscule qui avait soulevé une espérance, « n’apporte rien » :
O confitures du quiétisme ! miel vénéneux à l’âme, et pourtant
le soir est l’image du pays natal
le soir nous ouvre un pays ancien.
36Rien, donc, sinon le retour à l’origine heureuse30. De même, quand par leurs chants les enfants évoquent des noms divers, à la messe pour les camarades disparus, chacun de ces noms en appelle d’autres plus inquiétants : « SEIGNEUR... chef de guerre, chef de clan, fils de l’ancien totem,/ roi sacrifié pour nos semailles,/ père qui défend et qui punit ; HAGIOS O THEOS...créateur de la tarentule et du serpent,/ inventeur des muqueuses et des sphincters (...) ; HAGIOS ISCHYROS...illusionniste, escamoteur, enfant qui fait des bulles d’hydrogène,/ovaire d’une seule menstrue pondant les galaxies ; DIEU SABAOTH... Seigneur des cohortes spirituelles,/ Seigneur aussi de notre déroute (...) »31.
37A ce « Seigneur des armées (...) qui nous jeta dans la gueule de la baleine », il est pourtant demandé une fois de ne pas faire cesser les épreuves qu’il est censé infliger, afin que nous puissions découvrir toute sa grandeur :
donne-nous aujourd’hui
non pas encore ta paix, mais
notre quotidienne nourriture d’erreur, de confusion,
d’aveuglement, d’injustice,
afin que, mâchant notre pain de poussière et de vent
nous nous rappelions chaque jour
que l’Eternel n’est pas une poupée faite de main d’homme
qu’il n’est pas un fantôme docile à notre appel,
qu’il ne donne, même contre Caïn, nulle victoire,
qu’il n’est pas justice, pas ordre,
pas amour au sens de notre langage cannibale,
n’est pas vie, n’est pas dieu,
n’est rien de ce que dit une parole humaine32.
38Théologie négative radicale, par conséquent, mais qui n’empêche pas Jonas d’être un de ces « tutoyeurs » de Dieu qui crient leur appel comme dans ce beau poème :
Seigneur, donnez-moi seulement,
sur mon opacité, mon absence, mon vide,
Seigneur, ah laissez seulement tomber
comme derrière le char de la moisson on laisse glaner à ces gens
de peu qui n’ont su amasser nul bien,
laissez jusqu’à moi, Seigneur, tomber un peu de
Votre lumière.
Seigneur, je ne sais plus, je ne sais pas si c’est moi ou vous qui
faites ou qui fais ces ténèbres du langage ces ténèbres où je chemine
comme en un cauchemar (...).
Et pourtant Seigneur
je suis Vous, je suis une goutte infime de la même mer que les saints et les
anges, je suis un fil de la même tunique sans couture33.
39A plusieurs reprises, nous avons vu l’immanence de Dieu au monde friser l’identification. D’autres passages encore vont dans ce sens :
(...) l’énorme création
Est une seule chair sans partage, une tunique sans couture jetée
Sur quelle nudité, sur quel Corps effrayant de Dieu ?
Toute adoration charnelle est licite. Dieu dans les ténèbres de Noël
Nous demande, comme un enfant de notre fragilité,
De le bercer.
40Mais un texte décisif du même Bach en automne montre avec quelle précision théologique Dadelsen équilibrait l’immanence par la différence et la séparation : Si Dieu est sève, chaleur, lumière, Esprit « expulsant/à perte de pensée les nébuleuses d’âmes et d’anges », il n’en est pas moins « Extérieur à toute chose, étranger à tout être ». S’il est encore « Dans tous les êtres planté plus profond que leur identité », il faut ajouter que « Dieu indéfiniment déploie le monde/Qu’il nie. » En effet : « Absent de tout lieu et d’une merveilleuse nullité de matière/Dieu n’est pas vie, vorace, vulnérable (...). Dieu n’est pas substance, fût-elle/Aussi vive, aussi volatile/Que l’Esprit ». Ainsi, « Le monde qu’il expire (...)/Une de Ses respirations l’anime (...)/Une de Ses respirations l’annule »34.
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41A l’automne d’une année et d’une vie, « Bach » célèbre sa gratitude et son espoir. Plusieurs perspectives positives mêlées fondent ce dernier : des images de l’accès à une autre vie, la présence intime de Dieu en l’homme, une autre vision de Lui que celle qui s’exprimait dans les textes précédents, des allusions ou des références à Jésus. On les retrouve presque toutes, en tension avec les thèmes douloureux déjà rencontrés, dans les poèmes que nous attribuons à Jonas. Toutefois, en raison de la nette différence de climat, il nous faut évoquer d’abord Bach en automne. Cette atmosphère paisible, cette reconnaissance, cet espoir que suggère un thème pascal, nous sont rendus sensibles d’emblée par quelques vers du début du poème, consacrés au samedi :
Dernier des jours anciens, samedi s’étire au soleil qui s’éloigne.
C’est le jour où la terre, même sous la herse d’octobre, se souvient
D’avoir porté, dedans son ventre saturé de sucres funèbres,
Le Corps du Fils de l’Homme. (...)
(...) au seuil de la dernière nuit de notre semaine, il est doux d’écouter
Dimanche en marche sous l’horizon.
(...) Bienvenus,
Soir de notre journée, samedi de notre vie, saison aux mains ouvertes !
Seigneur, je suis content35.
42Le plus souvent la référence de l’espoir est la spiritualité de l’âme : à l’horizontalité de la route des voyages, du pédalier de l’orgue, de la vie, de la partition musicale, s’oppose l’oiseau, avec ce dont il est la figure :
Seule l’alouette s’élance dans la verticalité divine.
Avant qu’à la suite de son Soleil
Hors de la tombe, de l’ordre, de la loi, l’âme éployée ne parvienne à jaillir.
La terre apprise avec effort est nécessaire36.
43Nous retrouvons le chemin ascendant de l’âme, la nécessité de la vie et de la lutte présentes, mais cette fois mêlés au thème évangélique de la paternité divine, dans le poème suivant. Il est construit sur un symbolisme très complexe dans lequel sans cesse se composent le haut et le bas, le mouvement des constellations et le sang des amants :
Lente, coupée de silences, progressant par frissons, la sarabande catalane
Se meut dans les espaces de la nuit. Selon qu’elle dresse ou
Creuse ses spirales, elle se hisse aux feux d’Aldébaran ou plonge au nadir
Dans le branchage haletant des artères traverser les amants réunis
Les yeux clos sur le hennissement de leurs cœurs accordés, ils écoutent
Le sang obscur s’ébrouer vers leur mort en éclaboussures de vivaces étoiles.
La chair est nécessaire.
44Ainsi la femme (le corps de Rachel qui « en des méandres/Incalculables (...) prépare la Pâque de notre espèce ») et la sexualité, comme l’a compris « le rude Luther », sont-elles ineffaçables. La correspondance zénith/nadir (« Bételgeuse au zénith/tremble aussi au fond des puits ») éclairera-t-elle la « nostalgie de l’âme » ?
Comme, vers la maison de sa jeunesse, l’Enfant prodigue, le plus fidèle,
Ainsi, dans le monde en travail prenant sa part, l’âme voulut peut-être
Renaître les yeux bandés, loin du jour, et refaire à tâtons
Le chemin vers la lumière natale. L’heure viendra où le père
Ouvrira les portes de la pesanteur. Passé le dernier combat, franchis
Les derniers feux, l’âme se dénouera dans les échos sans fin
D’un accord sans mémoire37.
45Parfois, certes, c’est un appel adressé au Christ qui vient compenser le sentiment de l’exil :
Il faut rentrer. L’haleine de la nuit descend sur nos visages aveugles.
L’âme écoute approcher tes pas ; entre chez nous, Seigneur ;
Il se fait tard38.
46Mais l’espoir et la louange de Bach sont surtout motivés par l’attente d’un retour de l’âme à Dieu (« Voici la rive du Jourdain/Louons, au seuil du silence, ce corps qui nous fut prêté, ce temps, ce lieu, »), ou encore d’un retour de Dieu à l’âme, comme dans ce texte dont j’ai déjà cité le début (« Que puis-je, aveugle et séparé,/Sinon (...) mesurer encore/L’absence du Seigneur ») :
Et, loin de mon été perdu, comme le chien d’Ulysse,
Ecouter la nuit,
Ecouter le vent, afin d’y reconnaître
Les pas de Son retour39.
47Etait-il vraiment parti ? Pourtant, s’il y a pour nous quelque assurance, seule la présence de « ce Je universel (qui) nous est plus intérieur que nous » semble pouvoir nous l’offrir : au-dessous de toutes les séries d’« êtres de flamme »,
Au-dessous de notre amour de nous-même,
Au-dessous de nos idoles, nos vocables, nos pensées,
Au-dessous de notre peur et de notre demande, au-dessous
De la voix qui me dit que je pense, que je suis, que je crois,
Au-dessous des étendues immémoriales de la patrie spirituelle
Au coeur de notre captivité secrètement le Seigneur se repose en lui-même40.
48Ainsi le dernier mot du musicien pourrait bien être la confiance, même dans l’épreuve :
(...) Ame, ne crains point !
Comme le grain de blé, l’Éternel te tient dans Sa paume.
Il te jette au hasard de l’an. Il t’oublie sous la neige.
Il te lance en pâture aux oiseaux monstrueux de l’espace spirituel.
Il te récolte41.
49« Jonas », lui, est moins enclin à la louange42. Mais les thèmes d’espoir que nous avons rencontrés se retrouvent dans les autres poèmes du recueil, avec une moindre fréquence sans doute, et surtout avec une référence plus constante au Christ qui amène à contester la lecture quelque peu « bouddhique » qu’en fait Baptiste Marrey — sans aucunement ramener Dadelsen à une orthodoxie réformée ou autre dont il se souciait vraisemblablement fort peu. Cet espoir se formule par les images de la porte (associée au détour de la vie terrestre ardue et indispensable), de la patrie (qui va plus loin que le « pays » baudelairien), de la rive (très fréquente, on y reviendra), dans un beau passage des Variations sur un thème de Baudelaire :
Tu connais, je connais cette patrie qui te ressemble,
Cette promesse de la nuit.
Cette terre par-delà les eaux, cette demeure sur l’autre rive.
Ce pays toujours retrouvé.
Tu sais bien quel couloir nous ramène à la porte
Qui s’ouvrira sur notre ancien soleil.
Tu sais que l’ange te défend de l’ouvrir avant l’heure.
Ce serait trop facile.
Ce serait, dit-il, inutile d’écourter ce voyage, de revenir
Les mains vides (...)43.
50On reconnaît aussi le recours nocturne au Dieu à qui l’on finit toujours par revenir :
Les arbres dorment comme un corps inerte,
Un papillon se hâte vers sa perte
Seul, sans recours, il faut fermer les yeux
Et tout au fond du noir creuser vers Dieu44.
51Ce Dieu, de qui l’on attend qu’il fasse comme Jésus :
Coeur soustrait au soleil comme l’endive
Vieil opiomane invétéré (...)
Crèvent tes émois modérés
Dieu crachera sur toi un peu de sa salive...45.
52De Jésus, il est dit aux vivants comme à ceux qui ne sont plus qu’ombre et cendre qu’ils sont les uns et les autres concernés par la parole :
ET HOMO FACTUS EST
Et fut fait
cendre, fut fait
peur, fut fait
pesanteur et ténèbre, fut fait
proie dans la gueule de la baleine, fut fait
doute, fut fait désespoir46.
53Cette humanité et cette souffrance acceptée viennent témoigner, ensemble avec la foi en la création et en l’omniprésence divine ou avec l’intégrité humaine et la compassion des saints, contre le refus d’une femme distinguée d’entendre parler de tout ce qui se trouve « au-dessous du nombril ». C’est que Dieu n’a « ni largeur ni hauteur, ni haut ni bas » et demeure « pareillement absent pareillement présent dans les lieux supérieurs, lieux inférieurs » ; il est « censé avoir créé le monde » et son « pouvoir plonge/au-dessous du nombril jusque dans la terre femelle ». C’est aussi que le curé d’Ars, chaste, n’était pas plus impuissant qu’un « taureau de village », ni Jeanne la Pucelle brehaigne. Surtout :
« ET HOMO FACTUS EST ».
Où est ici Orphée ? Et quarante jours
dans le désert sont-ils, fût-ce chez le plus
pauvre Bédouin, preuve d’impuissance ?
Qui parle ici de misère localisée au-dessous ou au-dessus du nombril ?
O présomptueux ! c’est notre situation tout entière
qui est ici assumée dans sa nécessaire misère spirituelle (...)
Maître que je ne nomme pas
ô douceur, ô orientale indifférence,
et en tant qu’homme pensant en mots humains, ô sagesse, (...)
jamais un mot concernant la misère de Marthe ou de Madeleine.
54Et le refrain « HOMO FACTUS EST » reprend, mais cette fois pour évoquer la résurrection du Christ-Jonas
du fond de la fosse profonde et marine (...)
du fond de la fosse émerge
les pieds glauques et verts,
la tête solaire
une auréole insoutenable de substance en fusion.
Le Maître voit Madeleine et la connaît de part en part
et ne la rejette pas, ne rejette rien d’elle47.
55Dans les deux versions que je vais citer des [Cinq étapes d’un poème], on retrouve dans la bouche de la femme cette foi et cette image de la résurrection, jointes à celles de l’autre rive que je développerai ensuite grâce à quelques passages différents. Il faudra bientôt, dit-elle, traverser l’eau lisse et sombre, rompre l’amarre des barques noires et plates — personne n’étant revenu de là-bas pour nous réconforter.
Pourtant, toute rivière a deux bords toute rivière
coule entre deux prairies. Je sais je crois
que mon Sauveur est vivant. Au bord du caveau vide
les soldats dorment comme des corps putréfiés déjà. (Version III).
56Dans la version IV, la citation de Job est supprimée, et l’on ajoute :
tandis que se déroule dans une lumière jaune
la chrysalide surnaturelle, la chrysalide parvenue
à l’éclosion de sa nature première et dernière48.
57Si le romain évoqué par la pierre de Vence est « parti vers une île inconnue, entourée d’eaux noires », si la baleine a craché nos amis morts « sur l’autre rivage », s’il est dit de la mère de Jonas qu’elle était « ancienne et fragile, avancée vers l’autre rive du fleuve », si à Pâques 1957 Jonas a encore échappé « aux eaux sombres et souterraines »49, c’est l’image elle-même qui suggère un ailleurs dont la femme de la plaine fait un thème d’espérance en l’associant à la résurrection du Christ. Parole de femme ? A Pâques 1957, Dadelsen écrit :
Pâques est le contraire de Noël.
La place se vide, l’être disparaît.
C’est la fin de la vie visible et charnelle,
des repas, des heures de sommeil. C’est la fin
de l’action à la fois visible et douteuse, mesurable, mesurée,
tenue secrète, discrète.
Seules deux, trois femmes rencontrent
le Présent. Elles ne se posent pas de questions, elles veulent
savoir ce qui est ou n’est pas. Puis quelques disciples, par groupes
y compris Thomas. Auquel il faut venir montrer.
Il y a ainsi des caractères, des esprits divers.
58Quel est le caractère de Jonas ? Le poème se poursuit aussitôt par l’explosion du printemps, triomphe du visible jusqu’à l’hiver — le chemin de Noël à Pâques est donc inversé50. Peut-être n’y a-t-il plus de place que pour une invocation modeste, incertaine — mais qui est tout de même une prière :
Seigneur, permettez-moi
de garder patience, de ne pas demander trop,
de savoir attendre le non-prévisible,
le non-prévu, sorti brièvement de quelque
naufrage ou catastrophe, si l’on y échappe51.
59Jonas, encore ; de quel côté craché ?
*
60De cet ensemble de poèmes, somme toute restreint, je crois avoir évoqué les principaux thèmes religieux. A la relecture, quelque chose d’essentiel s’avère manquer : la saveur si forte du texte qui naît d’autres images, d’autres rêves, d’autres souvenirs et qui rejaillit aussi sur ceux-là. Que cette étude soit tenue pour un simple déchiffrage.
Notes de bas de page
1 Lettres de 1929 et 1930 à l’oncle Eric, citées dans Goethe, p. 110-111 et 113. Les deux volumes utilisés ici sont Jonas, Paris, Gallimard, 1962 et Goethe en Alsace, Cognac, Le temps qu’il fait, 1982 (abr. Goethe).
2 Seul le Poème pour la naissance de J.L. Hoffet de 1934 est inexplicablement omis. On le trouvera dans la revue Saisons d’Alsace qui a publié un important cahier sur Dadelsen en 1982 (p. 156-7), avec des compléments biographiques auxquels il faut aussi ajouter un article de J. Hurstel dans un numéro d’Elan (Strasbourg, 1983).
3 Aux souvenirs des usages religieux d’Alsace, juifs, protestants ou catholiques, et aux thèmes bibliques directs s’ajoutent (ou plutôt transmettent ces derniers) des réminiscences des cantiques de Paul Gerhardt (1607-1676), auteur universellement connu dans le protestantisme alsacien aujourd’hui encore et auquel Dadelsen avait consacré son diplôme.
4 Le jugement nuancé porté par Dadelsen sur le romantisme allemand s’exprime dans deux études : « Frédéric Schlegel » et « Combat avec l’Ange » (sur le livre d’A. Béguin), publiées dans Goethe. C’est la seconde que je cite ici (p. 61 et 66-67). Voir aussi le poème Hoffet II et III sur la valeur des limites.
5 Il faut lire, sur ce poème, la Lettre à jean Paulhan (1955), Goethe p. 45-47.
6 On doit en rapprocher le texte en prose Ombre (Goethe p. 11-12) le poème anglais Stone in Vence (1954) (traduit par A. de Dadelsen, Goethe p. 32-39) et Les ponts de Budapest (Goethe P. 40-43).
7 Joignons-y les quatre traductions de poèmes alsatiques de N. Katz (Goethe p. 16-21) et surtout le très beau texte en prose Goethe en Alsace (Goethe p. 85-95) dans lequel se retrouvent la plupart des thèmes-souvenirs des poèmes. On a projeté d’en tirer à Strasbourg en 1983 un spectacle théâtral.
8 Rattachons à ce groupe Black out (Goethe p. 25-26), qui contient des esquisses de Bach en Automne VII.
9 Tristan et Iseut (1932) poème en prose (Goethe p. 13-15) et Je vous aime, petit essai (Goethe p. 77-83), sont de la même famille.
10 En rapprocher Les vergers de Tombouctou (Goethe p. 27-30) et [deux épigrammes] (Goethe p. 44). Sans oublier le « poème pour la naissance de J.L. Hoffet » (1934), déjà mentionné.
11 Je pense, entre autres, à la Poétique de St. John-Perse de R. Caillois (Paris, Gallimard 1954) et à la Poétique d’Yves Bonnefoy de J. Thélot (Genève, Droz 1983).
12 Les alexandrins épars sont difficiles à mesurer en raison du grand nombre d’élisions incertaines. Deux poèmes sont à la fois rimés et mesurés : [Aveuglément le sang...], avec alternance 12/4, et [Il y a beau temps...] en décasyllabes. Plusieurs poèmes du groupe C sont rimés en vue d’un effet comique, avec de nombreuses altérations de mots.
13 Définis par le Robert comme « phrases ou suites de phrases rythmées d’une seule respiration, découpées dans un texte poétique à la façon des versets d’un psaume » : le meilleur exemple est évidemment Claudel. Voir dans Jonas p. 49-et 50. Seule exception, le poème Hoffet.
14 Par exemple p. 55. Le poème Jonas est divisé de façon beaucoup plus irrégulière.
15 Un comptage rapide permet de réaliser que si dans Jonas le mot « animal » (en y ajoutant les divers noms d’animaux) totalise quelques 75 occurrences, l’eau et les eaux (sans les fleuves et rivières) 37, les arbres (mot « arbre » ou diverses essences) 38, les « anges » 17, le vocabulaire religieux est en bonne place lui aussi : Dieu, sous divers noms, revient une centaine de fois (Dieu : 41, Seigneur : 26 Eternel : 14, Il : 13, autres mots : 8).
16 Comme Jonas (lui-même, Dadelsen : Epigraphe p. 76), celui que la baleine (la guerre, mais aussi la vie, p. 67 et 76), et encore le sein de sa mère (p. 77 et 79) a recraché sur notre rivage (p. 77), par opposition à ceux qu’elle « a crachés sur l’autre rivage » (p. 64 ; Jonas est aussi Jésus (p. 71).
17 Par exemple, il y a bien plus de puissance suggestive dans une image liminaire comme celle de la « fenêtre heureuse » que les « gens de la plaine » voient « briller dans un instant de soleil » du côté de la montagne (et qui s’associe au sanctuaire de sainte Odile, sur le rebord vosgien) (p. 95, 97, 101), que dans tout un développement hagiographique versifié.
18 Il ne s’agira pas d’un inventaire exhaustif. Je laisserai de côté les allusions à des attitudes populaires juives ou chrétiennes ou à l’alternative catholicisme/réforme, les thèmes des amis morts et cependant présents et - non sans hésitation - celui de l’ange (proche cependant du thème Dieu : p. 58 et Goethe p. 25-6).
19 Bach en automne IV, Jonas p. 16.
20 Id. VII, p. 21.
21 [Comment en soi jamais découvrir...], Jonas p. 47.
22 Jonas, Invocation liminaire, Jonas p. 66-68.
23 Jonas [Fragments 3. Cantique de Jonas], Jonas p. 79-81. Même tonalité dans l’ultime poème, si triste, où le malade se propose de reprendre un travail quotidien, peu importe lequel. Peu importe « le but (...) où tu finis peut-être parfois, par arriver./Mais il n’y a pas de but non plus. Le but recule toujours vers les sables non/atteints. » [Pâques 1957], Jonas p. 113.
24 La femme de Loth, Jonas p. 44-5. Dans « Bach en automne » déjà (VI p. 18), la femme de Loth, regardant en arrière, devient plus faible mais aussi plus tendre, « plus entraînée vers les eaux de l’amertume et de la séparation ».
25 Grand livre, Jonas p. 41.
26 Bach en automne, VII, p. 21. Ce n’est pas là un discours extérieur au poète : « ange de la Mélancolie, que puis-je contre toi ?/ Tu me connais mieux que moi-même » (Ibid.). On reconnaît cette même voix dans le poème [Ame, tu n’es que panse...] (Jonas p. 49), où elle ridiculise la communion et la prière de demande, affirmant à nouveau qu’elle seule sait adorer Dieu « dans sa plénitude première avant toute cette comédie d’univers inutile (...) et de plan divin ».
27 [Le faux oisif...], Jonas p. 46.
28 [Cinq étapes d'un poème], III Mort de la femme du percepteur, Jonas p. 104.
29 La fin du jour, Jonas p. 55.
30 Peupliers et trembles, Jonas p. 56-7. Le « Pays ancien » était déjà évoqué p. 52 : « La nuit rouvre en secret les portes du pays ancien » (Amérique du Sud...). Les « confitures » piétistes, quiétistes ou bouddhistes le seront à nouveau dans Oncle Jean, p. 87 : « confitures du néant délicieusement irritantes ».
31 Jonas, Invocation liminaire, Jonas p. 69.
32 Ibid. p. 71-2. Faut-il lire par ou pas ordre ?
33 [Seigneur donnez-moi seulement...], Jonas p. 50. Dans le poème Stone in Vence (Goethe p. 36) on retrouve cette image : « La tunique de notre nuit sans points ni coutures/s’étend par-delà les limites de notre être de chair et de sang », qui marque ici la communion avec les morts.
34 Bach en automne VII p. 20 et p. 19 — voir aussi le « Je universel » p.22.
35 Bach en automne I, Jonas p. 13.
36 Bach en automne II, Jonas p. 14. L’allusion christologique semble évidente.
37 Bach en automne III, Jonas p. 15-16. Voir aussi le refus de l’âme « Quand elle se complaît à elle-même dans les ténèbres de sa capitivité » (VI p. 18). Pareillement, dans Black out, il est promis à l’esprit qu’il recevra la visite des anges messagers « Avant qu’il ne rentre avec toutes les images créées,/Avec toutes les choses anciennes et partielles/Dans la jeunesse inimaginable de Dieu » (Goethe p. 26), et dans Stone in Vence, avec une figure différente et très belle : « Pour que, comme la femme païenne qui rend hommage pour la courte journée,/ nous puissions désirer la brise montante avec laquelle nous hissions les voiles./Pour la rentrée vers le pays dont nous sommes issus. « (Goethe, p. 38, avec une allusion aussi à « l’enfant qui a pris goût aux voyages », p. 39.
38 Bach en automne IV, Jonas p. 16.
39 Bach en automne IV, Jonas p. 16
40 Bach en Automne VII, Jonas p. 22 et p. 20. Voir cette « présence dans une première version : Black out, Goethe p. 25.
41 Bach en automne VII, p. 20.
42 Pourtant tout être, si ordinaire soit-il, peut faire l’objet d’une concentration mentale libératrice, car chacun « honore le nom divin » (Exercice pour le soir, Jonas p. 38) — ce nom que « Bach » disait « indéchiffrable » (VII, p. 22). « Jonas », qui souvent s’attriste « puisque l’Esprit si rarement si brièvement (le) visite », ne saurait se plaindre dès lors que la baleine l’a rendu à la vie et même il « remercie l’Eternel qui (le) tient dans le creux de sa main » (Jonas [Fragments 3. Cantique de Jonas], p. 80).
43 Variation 8, Jonas p. 33. Image plus classique (et biblique) dans le [Cantique de Jonas] : « Sentinelle, dis-nous la fin de la nuit » (p. 80).
44 [Il y a beau temps...], Jonas p. 51. Le souvenir du père de l’enfant prodigue, tel que le voit Rembrandt « peignant (...) les dessous des/ sandales de l’Enfant Prodigue et les/ épaules courbées vers lui du Père », revient également ici (« La fin du jour », Jonas, p. 55).
45 Itinéraire de Londres à Valparaiso, Jonas p. 28.
46 Jonas Invocation liminaire, p. 71. La référence du prêtre anglican au devoir de marcher à la suite du Christ semble rencontrer moins de conviction que le chant du Credo : [Pâques 1957] p. 11.
47 Jonas, [Fragments I. Bénédiction]. Après avoir conclu qu’il y a beaucoup à dire pour ou contre le Maître, « mais certainement pas qu’il était calotin », la diatribe reprend en évoquant l’amour des petites sœurs des pauvres et de Vincent de Paul qui « embrasse l’être tout entier » et ne fait pas la fine bouche devant la création (p. 72-76). L’apparition solaire du Ressuscité, rapprochée du passage qui va être cité à présent, évoque irrésistiblement la Résurrection du retable d’Issenheim aux Unterlinden.
48 [Cinq étapes d’un poème] III : Mort de la femme du percepteur, Jonas p. 104 ; Version IV, p. 106-7.
49 Stone in Vence, Goethe p. 36 ; Jonas Invocation liminaire, p. 64 ; Jonas [Fragments I. Bénédiction], p. 76 ; [Pâques 1957] 11, p. 119.
50 [Pâques 1957] 2, p. 114.
51 [Pâques 1957] 9, p. 119. Voir aussi 6, p. 116-117 ; qui est donc « celui qui vraiment veille » ?
Auteur
Recteur honoraire du Saulchoir.
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