« Dieu sans Hauteur » dans la poésie de Paul Celan
p. 27-45
Texte intégral
1La question « Qu’est-ce que dieu ? » est-elle encore recevable, ou bien nous condamne-t-elle par sa formulation à nous enfermer dans la clôture d’un questionnement onto-théo-logique, suspect de n’être plus que le refugium peccatorum de quelques théologiens ou métaphysiciens insuffisamment émancipés ? Cependant, dans l’ordre de la pensée plus qu’ailleurs, « il est interdit d’interdire » et il faut savoir résister aux procès d’intention qui paralysent le mouvement de la pensée avant même qu’une question ait réussi à s’articuler. Autre chose est de demander qu’une réponse à une question qui épouse la forme du ti esti ? ne soit pas complètement inconsciente de l’horizon du questionnement dans lequel elle vient s’inscrire. Comme toute question, la question « Qu’est-ce que dieu ? » comporte son Befragtes, son Gefragtes et son Erfragtes, sur lequel il s’agit de s’entendre. Et de ce point de vue au moins, il semble que cette question n’épuise pas toutes les formes possibles du questionnement concernant dieu. Les questions « Comment dieu vient-il au langage ? » ou « comment dieu vient-il à l’idée ? » parlent plus directement à l’esprit de notre époque. Parler au Zeitgeist ou le faire parler est une tâche facile et impossible à la fois. Facile, car tout fonctionne ici selon le principe de la caisse de résonance, impossible, car personne n’a encore réussi à rencontrer le Zeitgeist en personne, ni à pied ni à cheval.
2Parmi les questions qui inquiètent le Zeitgeist théologique, on rencontre depuis quelques décennies le conflit de la verticalité et de l’horizontalité. Tout se passe comme si la question « qu’est-ce que dieu ? » s’inscrivait presque nécessairement dans ce schéma spatial, qui gouverne par exemple l’opposition d’un « dieu des hauteurs » cosmique et d’un dieu des profondeurs de l’inconscient. Une tradition spéculative plus ancienne nous a appris à nous méfier de ce schéma spatial qui caractérise la transcendance extérieure. Mais il faut se demander comment doit être caractérisée l’autre transcendance. L’enquête concerne alors le langage théologique de l’éminence et du superlatif dans son ensemble.
3Pour une vénérable tradition spéculative, la question « qu’est-ce que dieu ? » appartient à une économie plus générale du discours sur dieu, où le déploiement même de la question permet de découvrir sa véritable signification : demander « qu’est-ce que dieu » signifie en réalité demander ce que n’est pas dieu « de deo scrire non possumus quid sit, sed quid non sit ».1 Cette affirmation est le véritable leitmotiv d’une recherche qui commence par la question de l’existence de dieu, pour s’ouvrir à celle de son essence qui à son tour permet d’accéder à celle de la cognoscibilité et de la nomination de dieu. Ce sont sans doute les présuppositions philosophiques commandant l’ordonnancement de cet itinéraire, qui font le plus difficulté pour un esprit contemporain, qui estime que le point de départ doit être pris avec la question de la nomination, non pas pour s’enfermer dans quelque panlingualisme pour lequel tout ne serait que langage, mais parce que la question de la nomination est celle qui livre l’accès à toutes les autres. Nous partons donc de la conviction que pour nous, la question de la nomination de dieu décide d’une certaine façon du sens que peut prendre pour nous la question qu’est-ce que dieu ?
4Un texte garde pour nous toujours une valeur exemplaire : la question treize de Saint Thomas d’Aquin, qui pose la question de la nomination de dieu. Sans doute ici encore, une pensée linguistique et sémiologique contemporaine a-t-elle vite fait de repérer les limites de cette enquête, presque exclusivement centrée sur des questions d’ordre sémantique, négligeant pour ainsi dire complètement la dimension syntaxique et surtout pragmatique du langage de dieu. Il est cependant exagéré de dire que l’enquête se limite au problème du nom. Même si on ne peut pas exonérer Saint Thomas du soupçon wittgensteinien que sa théorie de la signification est fondamentalement construite sur la base du nom, au détriment des autres éléments du langage, son investigation a au moins le mérite de tenter de faire l’inventaire aussi exhaustif que possible des questions et des problèmes qui se posent à ce niveau.
5Dans l’ensemble bien ordonné des douze questions qui composent cette problématique de la nomination de dieu, une question nous a toujours particulièrement intrigué. Il s’agit de la question suivante : « Les noms qui impliquent une relation avec la créature sont-il attribués à dieu en la dépendance du temps ? » (article 7). Cette question succède à la question « Les mêmes noms sont-ils attribués par priorité à la créature plutôt qu’à dieu ? » (art. 6), et elle fait accéder à la question « Ce nom « dieu » est-il un nom de nature ? » (art. 8). En dépit de son apparence de question spéciale, il semblerait donc qu’elle occupe un rôle-charnière dans l’économie du questionnement. Elle marque pour ainsi dire le seuil permettant d’accéder à la question « que veut dire « dieu » ?, qui est la traduction langagière possible de la « question qu’est-ce que dieu ? »
6On voit bien la difficulté : quel est exactement le prix à payer par l’usage des noms relationnels qui posent l’existence d’une relation entre dieu et la créature ? Ne risquent-ils pas de compromettre l’idée-même de l’éternité divine, en entraînant dieu sur la pente glissante de la temporalité humaine ? « En dieu rien n’est temporel, vu que dieu est au-dessus du temps. Il semble donc bien que ces noms-là ne sont pas attribués à Dieu dans la dépendance du temps ».2 Le penseur a vite fait de nous rassurer, mêlant ici comme souvent l’assurance philosophique et l’assurance théologique : dieu n’a rien à craindre du langage humain, qui est toujours un langage temporel, trop temporel. Εn revanche, nous pouvons tout attendre de l’amour éternel de dieu, qui se signifie à travers les défaillances mêmes du langage humain :
« Qu’on ne craigne pas de ce fait, pour l’immutabilité de Dieu. Comme les relations qui dépendent du temps ne sont en Dieu que selon notre façon de comprendre : ainsi devenir ou être devenu ne sera dit de Dieu à leur sujet que selon notre façon de comprendre, sans qu’on suppose aucun changement en dieu, comme lorsque nous disons « Seigneur, tu nous es devenu un refuge »3.
7L’élégance évidente de la solution qui consiste à établir une distinction entre une relation réelle du côté de la créature et de raison du côté de dieu, est-elle à la hauteur de l’énormité de la question où elle a pris son origine ? Le moins qu’on puisse dire, est que cette question n’a jamais véritablement quitté la scène théologique et nous la voyons de nos jours revenir avec force dans des interrogations théologiques contemporaines, portant sur la tâche de penser ensemble dieu et le « périssable ». C’est bien une tâche de pensée, même si elle comporte un versant linguistique. Et c’est une tâche théologique et ontologique en même temps : le problème ontologique est celui de montrer que la notion du périssable n’exprime pas seulement un manque d’être, un déficit ontologique, mais en même temps une possibilité. Du point de vue théologique, il s’agirait de montrer comment cette possibilité se vérifie dans l’extradition kénotique du Verbe. Ce qui retient notre attention dans cette pensée théologique du Verbe de La Croix, c’est qu’elle essaie d’aller à la rencontre d’une forme extrême de la question « qu’est-ce que dieu » ? » Il s’agit en l’occurrence de la question nietzschéenne : « Wohin ist Gott ? » « Où est parti dieu ? »4 Mais contrairement au théologien nous ne croyons pas qu’il faille nous laisser enfermer dans l’alternative d’un dieu métaphysique et onto-théo-logique qui ne peut pas rencontrer le périssable et qui se décompose nécessairement dans cette tentative, et le Verbum crucis comme seule forme de discours capable de relever ce défi. L’énonciation poétique représente sinon une troisième possibilité, du moins un chemin de traverse qui réussit parfois à croiser ces deux possibilités. Non pas l’énonciation poétique en tant que telle, car celle-ci n’existe pas, mais certaines énonciations poétiques. En effet, une fois qu’on s’est entendu sur quelques généralités formelles concernant la « fonction poétique » en tant que telle, l’expérience poétique elle-même nous rappelle à la singularité des œuvres. Croire que tous les poètes sont habitants d’un même « espace poétique » est une illusion ; chaque œuvre possède son « monde ». Pourquoi ce recours à l’énonciation poétique pour une chose aussi grave que la nomination de dieu ? La « licence poétique » communément attribuée aux poètes (licence qui comporte en général une bonne dose de mensonge comme l’insinue Nietzsche) ne permet-elle pas au poète de dire de dieu tout ce qu’il veut, la contrepartie inévitable de cette licence étant l’absence du rapport à la vérité ? La licence poétique semblerait ainsi se situer aux antipodes d’un discours théologique sur dieu, soumis aux contraintes d’un système de croyance. Qu’on demande au poète tout ce que l’on veut, sauf de « dire le vrai » car d’autres que lui ont compétence de se charger de cette question ! Une tradition plus que millénaire nous a habitués à ce partage des compétences, et le remettre en question n’est pas une chose facile. Car à sa façon il permettait d’honorer l’hétérogénéité des sphères discursives. Personne ne gagnerait rien au brouillage systématique de ces frontières. Mais autre chose est de se demander si l’invocation de l’arbitraire poétique est le dernier mot et le mot le plus profond sur l’expérience poétique de la parole. Si nous acceptons de suivre le poète sur son propre terrain, qui est celui de l’énonciation poétique, nous pouvons découvrir que tout ne s’y résout pas dans « le tourbillonnement des métaphores », que parfois cette parole se montre traversée par une exigence de vérité même si apparemment, cette vérité n’est pas délivrée des métaphores. Le « tourbillonnement des métaphores » mais aussi le « fracas de la vérité » : c’est la poésie de Paul Celan5 qui nous invite à repenser l’énonciation de dieu en son rapport avec l’expérience de la temporalité. Pourquoi justement Paul Celan ? Sans doute faudra-t-il un jour s’interroger sur les affinités électives qui entraînent des penseurs à se mettre à l’écoute de certains poètes. Tous les poèmes ne donnent pas à penser de la même façon et une certaine violence herméneutique est rarement absente de ces choix. Dans le cas de Celan cependant, le choix peut s’autoriser de la « poétique » du poète, telle qu’elle est formulée dans le « Méridien ». Cette poétique est commandée par l’exigence : Elargissez l’art ! Mais cet élargissement doit être pensé selon toutes ses dimensions et d’abord comme l’exposition à l’inquiétante étrangeté sous toutes ses formes. Le poète est celui qui dit : je suis poète, aucune différence ne m’est étrangère. A commencer par la différence de soi à soi : le poème est facteur d’individuation dans la mesure où il suscite la distance par rapport au moi. Oubli de soi ou oubli de l’autre pour laisser parler la parole elle-même sont cependant des formules inadéquates : le poème déroute la réciprocité du moi et du toi, mais il ne s’en affranchit pas. Il n’est pas « acheminement vers la parole », au sens où Heidegger entend cette formule dans ses commentaires de Trakl, il est « détour de toi à toi ».
8« Elargissez l’art » pourrait être la maxime d’une poétique romantique en quête d’expérimenter les profondeurs infinies et insondables de l’esprit. Mais c’est précisément cette possibilité qui est écartée : la poésie est « diese Unendlichsprecbung von lauter Sterblichkeit und Umsonst ». Tout se passe comme si il n’y avait pas d’autre parole d’infini que celle qui ne désavoue pas son alliance avec la mortalité et la finitude. Par-là, le poème vit d’un argumentum e silentio (I, 138) qui l’installe en marge du silence. L’élargissement de l’art doit être pensé ensemble avec la respiration oppressée et le souffle coupé. Celan utilise la même expression que Heidegger pour désigner ce phénomène : es verschlägt einem das Wort. C’est aux yeux de Heidegger un des signes distinctifs de l’angoisse, qui rend pensable la différence de l’étant et de l’être (ou du rien). C’est chez Celan la définition même de la parole poétique.
9Cette déclaration que le poème s’affirme en marge de lui-même a été souvent mal comprise. Il ne s’agit pas seulement d’arracher le poème au silence ou de l’empêcher d’y sombrer à nouveau, il s’agit de voir comment ce mouvement travaille dans le poème. Par exemple, de penser le poème comme « le lieu où tous les tropes et les métaphores demandent à être réduits à l’absurde ». Un moyen sera cette brisure du ton si caractéristique de la poésie de Celan. Dans ses commentaires des hymnes de Hölderlin, Heidegger insiste sur la nécessité de comprendre le poème à partir de la vibration de son dire enraciné dans une tonalité fondamentale (Grundstimmung). La même exigence vaut pour la poésie de Celan, à cette différence capitale près qu’ici la Verstimmung (y compris sous la forme du halètement de la voix brisée, du « retournement du souffle ») joue un rôle décisif.
10Il faut regarder attentivement les modalités de cette « réduction à l’absurde » des tropes dans leur ensemble et particulièrement des métaphores, pour éviter l’impression d’une « poésie de l’absurde ». Celan n’est pas un poète existentialiste. Une autre formulation du Méridien retient ici notre attention, car elle nous paraît décisive pour situer la façon dont Celan envisage l’énonciation de dieu dans ses poèmes. Une des possibilités les plus inquiétantes et les plus « folles » du poème est celle de « marcher sur la tête ». Le bon sens a évidemment raison de s’affoller devant cette possibilité. Mais paradoxalement, c’est cette possibilité qui accorde la philosophie et la poésie. La philosophie n’est-elle pas die verkehrte Welt, le monde à l’envers, selon la célèbre formule hégélienne ? Le « monde à l’envers » comme possibilité poétique, dit Celan, cela veut dire « avoir le ciel comme abîme sous soi ». Le poème opère la « mise-en-abîme de la hauteur » et de l’ensemble des valeurs qu’elle entraîne. Ce processus affecte nécessairement le métaphorique. Si l’on se souvient que le transfert du sens propre au figuré a été pensé souvent comme un processus d’élévation ou de sublimation, en particulier dans l’ordre théologique, on comprend ce que la mise-en-abîme de ce processus a d’inquiétant. Notre attention porte directement sur ce processus.
11S’il est besoin d’une justification de notre intérêt pour cette thématique du « dieu sans hauteur », celle-ci nous ramène à la définition kantienne du sublime, comme l’expérience d’une inadéquation de la présentation à elle-même. Même si le mot a disparu de la scène philosophique, la fréquentation de quelques œuvres majeures de la philosophie contemporaine nous apprend que la « chose » est toujours présente, et travaille en profondeur le discours philosophique. Et ce qui retient l’attention, c’est justement la violence presque traumatique de l’incommensurabilité du fini et de l’infini. De cette incommensurabilité la poésie de Celan porte les traces. Et il ne faut pas oublier que pour Kant comme pour Hegel, le judaïsme est l’expression religieuse privilégiée de cette expérience du sublime. Tout se passe en effet comme si cette religion imposait l’idée de cette magnitude incomparable, incommensurable qui définit le sublime. S’ouvre alors la tâche de comprendre en quoi consiste cette magnitude. Pour Emmanuel Lévinas, la réponse est à chercher dans l’ordre éthique, où l’idée de la hauteur s’impose d’elle-même, hors de toute référence cosmologique, et entraînant l’ensemble des valeurs de l’élévation. La poésie de Celan nous oblige peut-être à formuler une autre question dont nous empruntons la formulation à Jacques Derrida. Commentant les passages de la troisième critique qui traitent du sublime, Derrida pose la question « parergonale » suivante : « Pourquoi le sublime serait-il l’absolument grand et non l’absolument petit ? »6. Pourquoi en effet ? La question cesse d’être gratuite, si elle est référée à un corpus déterminé : à nos yeux, ce qu’il est convenu d’appeler la mystique spéculative, représente une tentative d’explorer cet autre chemin. Sur ce chemin, nous rencontrons le motif eckhartien du « dieu sans hauteur » (enthöhter Gott). Que ce motif ait retenu l’attention de Paul Celan, n’est pas un hasard. Bien plus : c’est ce motif qui définit peut-être le mieux la façon dont Celan envisage le dire dieu dans le poème.
12Pour éviter l’impression d’une lecture purement thématique de la poésie de Celan, il faut regarder la façon dont cette « problématique » du « dieu sans hauteur » est mise-en-scène dans le poème lui-même. Par exemple dans le poème suivant de la Niemandsrose :
Zürich, Zum Storchen
pour Nelly Sachs
Nous avons parlé du Trop
et du Trop-peu. Du toi
et du Non-toi, de
la clarté qui trouble, de
choses juives, de
ton Dieu.
De
ça
Le jour d’une ascension, la
cathédrale était sur l’autre bord, avec de l’or
elle vint à nous marchant sur l’eau.
Nous avons parlé de ton Dieu, moi
contre lui, je
laissais le coeur que j’avais
espérer :
en sa suprême, enrâlée
parole de courroux —
Ton œil me regarda, vit plus loin,
ta bouche
prêta sa voix à l’œil, j’entendis :
Mais nous
ne savons pas, tu sais
mais nous ne savons pas
quoi
compte. (N 19)
13Comme tous les poèmes de Celan, celui-ci porte mémoire de ses « dates » et d’abord des dates les plus contingentes et les plus étroitement « autobiographiques » : telle rencontre avec Nelly Sachs à Zürich, au restaurant Turn Storchen, un jour de l’ascension. Mais ces dates qui sembleraient appartenir à la temporalité la plus vulgaire des calendriers, sont également des dates ou des « données » dans un sens plus profond : Datation et Donation sont ici inextricables. Par exemple la « circonstance du temps » : le jour de l’ascension. Elle est également une des données de cet échange où il est question de dieu et des circonstances de son énonciation : le Trop et le Trop-peu, Du et Aber-Du, trouble clarté. Autant de termes d’une coincidentia oppositorum réfractaire à tout traitement dialectique, parce qu’ils portent la marque d’une altérité irréductible. La conversation avec Nelly Sachs se déroule comme sur deux plans distincts et en même temps corrélés : l’entendu et le vu. Alternativement, les strophes passent d’un plan à l’autre. Ce qui frappe le regard, c’est le Münster dressé sur l’autre bord. Comme s’il matérialisait le prestige de cette « ascension » étrangement indéterminée. Il n’est pas interdit d’y voir aussi le prestige d’une certaine via eminentiœ, capable de maîtriser l’abîme, comme celui qui marche sur les eaux. Mais cette possibilité reste sur l’autre bord, elle n’est plus présente que par quelques reflets d’or.
14Ce qui est véritablement présent à l’échange, est tout autre chose : la parole de dieu identifiée à un Verbum Crucis. C’est vers elle et non vers la hauteur du Münster qu’est tendu le coeur du poète. Le seul superlatif du poème apparaît dans la mention de sa « suprême, enrâlée parole de courroux ». Tout se passe comme si cette parole représentait la seule forme tolérable de la via eminentiae. Et également la seule « figure » qui permet au regard et à la parole de se croiser. C’est à partir de là que la bouche prête sa voix à l’œil (« dein Mund/sprach sich dem Aug zu ») et que peut être formulé un « consensus » paradoxal, valable pour le moi comme pour le toi : docte ignorance de ceux qui confessent qu’ils ne savent pas ce qui compte.
15Le mouvement qui porte ce poème se laisse repérer dans d’autres poèmes où il est question de dieu. La via eminentiaœ, si on le la restreint pas à la problématique des noms attribuables à dieu, aura toujours été une énonciation de louange. L’Aréopagite plus que d’autres en porte témoignage. Chez Paul Celan, cette louange est devenue pour ainsi dire impraticable :
... Ils ne louaient pas Dieu
qui — entendaient-ils — voulait tout çà,
qui — entendaient-ils — savait tout ça. (N 13)
16Cela ne signifie pas nécessairement que tout discours de louange soit définitivement interdit. Le Psaume central de la Niemandsrose prononce encore une telle louange, mais son destinataire ne s’appelle plus dieu :
Loué sois-tu Personne.
Pour l’amour de toi nous voulons
fleurir.
Contre
toi. (N 39)
17La vocation du poète est liée aux multiples significations de ce « parler contre », qui œuvre toujours aux limites du langage. Cette limite peut être le silence, mais elle se manifeste aussi autrement. Par exemple comme retournement du langage de la prière dans le poème
Tenebrae : Bete, Herr,
bete zu uns,
wir sind nah. (I, 163)
18La proximité évoquée ici doit être pensée comme un corps-àcorps presque animal. Elle n’a rien de l’allure intimiste et cordiale de certaines dévotions de la passion. Comment ne pas évoquer ici l’insoutenable spectacle des charniers d’Auschwitz, tous corps confondus ?
19Le même passage à la limite permet au poète de se comparer à un « chevaucheur de dieu » :
Par le vin et par la perte, par
le lie de l’un et l’autre :
je chevauchais à travers la neige, entends-tu,
je chevauchais Dieu dans le lointain — le proche, il chantait,
c’était
notre dernière chevauchée par-dessus
les haies des hommes.
Ils se baissaient, quand
ils nous entendaient au-dessus d’eux, ils
transcrivaient,
trahissaient notre hennissement
dans une
de leurs langues à images. (N 17)
20Les langues à images, littéralement les « langues illustrées » (bebilderten Sprachen) sont des langues de la représentation qui n’admettent pas la violence quasi-animale qui noue le poète à dieu. Et c’est pourquoi elles sont déjà en passe de devenir des langues à idoles.
21Les commentateurs de Celan ont remarqué qu’une espèce de césure sépare les poèmes de la Niemandsrose des recueils ultérieurs et d’abord du recueil Atemwende. Tout se passe comme si ce titre, dont nous avons reconnu l’importance dans la poétique de Celan, définissait exactement de quoi il s’agit dans ce « tournant » : d’un nouveau « retournement du souffle » qui marque une fin et un commencement. Que ces poèmes aient été composés approximativement quand Celan approchait de la quarantaine, l’âge supposé du milieu de la vie, n’est pas nécessairement une référence « biographique » extrinsèque, pas plus que le fait que ces poèmes précèdent de trois ans seulement la mort du poète. A plusieurs reprises, le poète déclare que la donation des noms est à bout « das Namengeben hat ein Ende » (I, 57), « es gab keinen Namen mehr für/das was uns trieb » (II, 63). Et à chaque fois cela concerne le destin et la destination, également la langue comme destination. « Atemwende » dit peut être la manière dont cette fin de la nomination vient au langage. Ici encore il faudrait analyser la Verstimmung inséparable de ce processus. Par exemple la mélancolie évoquée (« Die Schwermutsschnellen hindurch » (II, 16)). Mais aussi la « fureur royale » qui apparaît comme tout ce qui reste des « prières évaporées ». Le « massif biblique » qui ne semble plus fournir de thème ni de contenu, n’est pas délaissé et abandonné. Il impose encore un ton et un rythme, l’élan saccadé des « sabots de psaumes » (II, 81). Voilà quelques données de « Atemwende » dont il faut tenir compte avant de constater l’éclipse du nom de dieu dans ces poèmes. Le « dieu anonyme » n’est pas simplement absent. Mais les modalités de son absence et de sa présence doivent être repensées :
Einmal
da hörte ich ihn,
da wusch er die Welt,
ungesehn, nachdang,
wirklich.
Eins und Unendlich,
vernichtet
ichten.
Licht war. Rettung. (II, 107)
22Tout se passe en effet comme si à partir de Atemwende, le nom de dieu disparaissait de la scène de l’énonciation poétique. Il ne nous appartient pas de spéculer sur les causes de cette éclipse du Nom, nous ne pouvons que l’enregistrer comme un fait. S’il n’était pas interdit de comparer l’incomparable, nous pourrions rapprocher l’évolution poétique de Paul Celan et celle de Rainer Maria Rilke. Du Livre d’Heures aux Elegies à Duino, on note la même éclipse qui ne porte pas seulement sur la fréquence du mot dieu, mais plus profondément sur le fait que dieu n’est plus un destinataire possible du dire poétique. Est-ce à dire que désormais l’homme se retrouve enfin seul, parmi ses semblables ? Est-ce à dire qu’il est définitivement quitte de dieu ? Quelque chose dans l’acte poétique lui-même, tel que le conçoivent Rilke et Celan, semble interdire cette hypothèse. Dans les Elégies à Duino, l’Ange devient le « lieu-tenant » (non le porte-parole :) d’un dieu absent. Il est inutile de répéter que cet ange n’est pas un ultime transfuge d’une angeologie chrétienne. Plus important est de se demander à quelle nécessité correspond cette figure de l’Ange. Est-on si sûr que cette nécessité est absolument étrangère à l’exigence kantienne de se tenir très précisément à la limite qui oblige de restreindre notre jugement à la relation que le monde peut bien avoir avec un être, dont le concept même est au-dehors de toute connaissance dont nous sommes capables à l’intérieur du monde ? Pour Celan aussi, même quand il ne nomme plus dieu, le poème maintient la référence à l’Autre dans tous les sens du mot. Le poète continue d’affirmer qu’il « reste encore à chanter des poèmes, au-delà de l’homme » (II, 26).
23Il serait évidemment abusif d’interpréter cet « au-delà » ou ce « par-delà » en référence à une transcendance religieuse. En ce sens, il faut résister à la tentation de faire de Celan un chercheur paradoxal de dieu, voire même un « chrétien anonyme ». De telles récupérations apologétiques ont été tentées avec Hölderlin, Rilke et Trakl. Leur faillite est patente : elles méconnaissent la spécificité de l’énonciation poétique. Dans son commentaire de Trakl, Heidegger souligne à sa façon le malentendu qui rend possible toutes ces mésinterprétations : de tels poèmes croisent le langage religieux et biblique. Mais ce qui pour une conscience religieuse apparaît comme le lieu même de l’acte de foi, n’est ici qu’un lieu de transit pour aller vers une destination inconnue de la conscience religieuse. Mais notre question initiale n’en devient que plus urgente : le reste, ici encore, serait-il silence ? Et si c’était le cas,ce silence est-il encore qualifiable ?
24En ce point de notre interrogation, l’adjectif « mystique » s’impose presque naturellement. Si en effet l’énonciation poétique est caractérisée par « l’opposition entre la récession de la confiance faite aux discours et l’affirmation théologale que la parole ne saurait manquer », si le dire mystique correspond à la nécessité de « fonder la place d’où il parle », si enfin tous les mots de ce dire « s’en vont vers ce qu’ils ne disent pas ».7, il nous paraît possible de vérifier la validité de toutes ses caractérisations dans la poétique de Celan lui-même. Mais dans le cas particulier de la poésie de Paul Celan, la référence se précise. Sa propre énonciation poétique se réfère à un dire mystique déterminé : le discours de Maître Eckhart. Le cycle Lichtzwang s’achève sur trois poèmes ou cette référence est particulièrement explicite :
Treckschutenzeit,
die Halbverwandelten schleppen
an einer der Welten,
der Enthôhte, geinnigt,
spricht unter den Stirnen am Ufer :
Todes quitt, Gottes
quitt. (II, 326).
25De quoi s’agit-il dans ce poème ? D’une double expérience contrastée, comme si les deux strophes du poème se tenaient sur deux rivages opposés. D’une part, le « temps des péniches » de ceux qui trament derrière eux un monde, ceux qui ne sont changés qu’à moitié. D’autre part, comme sur l’autre rive, se tient celui que le poète désigne comme der Enthöhte. Ce mot est directement emprunté au lexique mystique du maître rhénan. Il connote un mouvement kénotique qui inverse l’élévation. C’est celui qui vit pleinement dans l’attitude de la Gelassenheit et de l’Abgeschiedenheit qui est désigné ainsi. Son « intériorité » a vaincu le monde. Cette victoire s’énonce lapidairement par une formule eckhartienne : « quitte de dieu, quitte de mort ». Quelque chose comme un programme s’énonce dans cette double formule. Mais en même temps, cette formule est la transition qui relie les deux strophes précédentes, comme le pont invisible qui permet d’enjamber deux rives du temps. Peut-être faut-il ici se souvenir de l’antique définition de l’homme reprise par maître Eckhart : l’homme est « horizon et confinium ».
26Le poème suivant développe davantage une signification possible de cette traversée du temps :
Du sei wie du, immer.
Stant up Jherosalem inde
erheiff dich
Auch wer das Band zerschnitt zu dir hin,
inde wirt
erluchtet
knüpfte es neu, in der Gehugnis,
Schlammbrocken schluckt ich, im Turm,
Sprache, Finster-Lisene,
Kumi
ori. (II, 327).
27De même que pour le poème précédent, il est essentiel de prêter attention à la structure syntaxique au moins autant qu’à la distribution sémantique de ce poème. Un adverbe se détache d’emblée : « toujours ». Le poème serait-il aussi une méditation sur les multiples significations de cet adverbe, autrement dit, sur la question du sens même de la permanence qui traverse toute l’histoire de l’occident.8 Si tel est le cas, l’énonciation poétique poursuit cette question par une remontée du temps où se superposent plusieurs états synchroniques de la langue.
28La diachronie de la langue se reflète dans ce poème dans la superposition de plusieurs formulations, qui chaque fois disent la même chose : l’invitation à Jérusalem de se lever, citée d’abord dans deux extraits du sermon « Surge illuminate » de maître Eckhart. Evidemment, on pourrait dire que le poète recourt ici à une technique du « collage ». Mais la façon dont est effectuée ce « collage » manifeste la façon dont le poème traverse le temps, et si nous nous souvenons des multiples significations de la racine indo-germanique « per »9 nous pouvons dire que ce poème plus que d’autres, décrit une « expérience » poétique du temps. C’est cette expérience que nous visons par l’expression « dia-chronique » du poème. En effet, dans tous ses éléments, ce poème manifeste et exhibe une « dia-chronie » qui ne se laisse aucunement relever dans un sentiment d’identité. Des liens sont rompus et coupés, mais en même temps, le langage fait de « coupures » établit de nouvelles liaisons : une continuité paradoxale est ainsi affirmée, qui n’a rien en commun avec le postulat herméneutique d’une continuité du temps rendue possible par la distance temporelle. On pourrait dire que pour une pensée herméneutique, le langage en tant que tel est le milieu universel de la compréhension. Le triomphe du sens est alors obtenu par la négation de la différence temporelle. En qualifiant le langage comme « Finster-Lisene » et en y inscrivant une fois de plus une subjectivité qui n’est porte-parole du sens que dans la mesure où elle se sait également avalant des « morceaux de vase », Celan à son tour manifeste une exigence de sens qui arrive à se dire à travers la différence temporelle. Cette exigence de sens s’affirme à travers un mot du maître rhénan, qui n’a plus cours aujourd’hui, le mot Gehugnis qui signifie en moyen-allemand : penser à, quêter, désirer. Le poème s’ouvre sur une quasi-tautologie, dans laquelle il invite le lecteur à entrer. Il se ferme sur deux mots empruntés dans leur littéralité, au prophète Isaïe. Le plus nouveau : le toi du lecteur : se trouve renvoyé au plus ancien : une littéralité qui se perd dans la nuit des temps. Ainsi, et par le truchement du dire mystique, le poème arrive à communiquer la signification de la seule permanence dont il porte témoignage, de la seule identité mais toujours déjà altérée, dont il ait l’expérience.
29Y-a-t-il place ici pour une Gelassenheit et une Abgeschiedenheit comparable à celle du mystique ? Le dernier poème de Lichtzwang semble l’évoquer :
Wirk nicht voraus
sende nicht aus,
steh
herein :
durchgründet vom Nichts,
ledig allen Gebets,
feinfügig, nach
der Vor-Schrift,
unüberholbar,
nehm ich dich auf,
statt aller
Ruhe. (I, 328).
30La tranquillité vers laquelle tend tout le poème est « affectée » d’une étrange particule adversative incompatible avec l’indifférence. L’indifférence se trouve remplacée par l’altération par l’autre. De même l’ancrage dans le Rien doit être pensé comme obéissance à une « archi-écriture ». Il est bien remarquable que le poète qui se déclare « débarrassé de toute prière », comme le fait également le mystique, parle néanmoins d’une « Feinfügigkeit ». Un commentaire « ontologique » de la Gelassenbeit reconnaîtrait ici la docilité et la disponibilité à l’appel de l’être et la présence d’une Seynsfuge. Le poète avoue simplement son obéissance à une « archi-trace » qui l’ouvre à l’autre. Rien ne nous autorise à l’identifier purement et simplement avec la Gelassenheit du mystique, de même qu’elle ne nous met pas sur le chemin d’une compréhension ontologique. Le « dieu sans hauteur » tel qu’il est défini ici, ne se rencontre probablement nulle part ailleurs que dans le poème.
31Le « dieu sans hauteur » accompagne le dire poétique de Celan jusqu’au bout, les poèmes du recueil Zeitgehöft.
Gott gibt die Stimmgabel ab
als einer der Kleinen
Gerechten
aus der Lostrommel fällt
unser Deut. (Z 46)
32C’est la dernière occurrence du mot « dieu » dans la poésie de Celan. Comme dans de nombreux autres poèmes du même recueil, cette parole répond à Holderlin. Celan s’identifie au destin de Holderlin, en même temps qu’il revendique une différence irréductible : « la césure royale ». Le « dieu sans hauteur », cédant le diapason, apparaît ici sous la figure du petit juste, que Gershom Scholem présente comme une figure mystique de la déité. Le propre du juste est de se tenir dans le Rien de dieu. Son œuvre est de changer le quelque-chose en Rien10. On reconnaît ici le motif central de la « Rose de Personne ». Que cet abaissement divin affecte également le destin de l’homme apparaît dans la dernière strophe du poème. Alea jacta est. Du « tambour du destin » tombe « unser Deut ». Le « Deut » est une chose insignifiante, à la limite sans valeur. Rien n’autorise de lui conférer le prestige d’une « Bedeutung » d’une signification plénière, non entamée, susceptible d’être reprise dans un mouvement herméneutique de réappropriation. En ce sens, la parole ultime de Celan est bien une parole d’éclatement et d’éparpillement, « der zerscherbte Wahn » comme le dit un autre poème du même recueil. Si ces débris de signification appellent encore un travail d’interprétation, celui-ci ramène à Holderlin : « ein Zeichen sind wir/deutungslos... » Dieu cède le diapason, qui épouse la forme de la lyre héraclitéenne, de l’en diapheron eauto. C’est sans doute la fin de toute Stimmung ontologique, accordée à la différence des différences, la différence ontologique.
33Rien ne nous autorise à confondre le vertige spéculatif de la mystique négative et le vertige poétique qui « anime » les poèmes de Celan. Est-il possible de préciser le point où ils s’écartent ? Peut-être s’agit-il de l’énoncé anthropologique que « chaque être humain est accidentel par rapport à la nature humaine », qui conduit à l’audacieuse réponse à la question « Cur deus homo ? » Pour le mystique, dieu s’est fait l’homme « pour que dieu naisse dans l’âme et l’âme en dieu » ; d’où l’emphase particulière de l’avertissement : « Gardez-vous de vous accepter en aucune façon selon que vous êtes cet homme-ci ou cet homme-là, mais selon la nature humaine, libre, indivise ». La mise-en-garde n’a pas seulement une signification ascétique, mais elle détermine la façon dont le mystique formule le problème de langage de la prière et particulièrement de la prière de demande. L’herméneutique du langage de la prière s’autorise de la prière sacerdotale du Christ. L’invitation d’être « un seul Fils avec le Christ » a pour corrélat une exigence : « Si vous devez être un seul Fils, il faut que vous soyez détachés et séparés de tout ce qui introduit en vous une différence. » Pour la prière de demande, cela veut dire que toute demande qui demande à dieu autre chose que lui-même est déjà idolâtrique :
Quand je demande quelque-chose, je ne prie pas. Quand je ne demande rien, je prie véritablement. Quand je suis uni là où toutes choses sont présentes, celles qui sont actuelles et celles qui sont futures, toutes sont également proches et égales, elles sont toutes en Dieu et sont toutes en moi. On ne doit se souvenir ni de Conrad ni d’Henri.
34Dans l’abîme insondé et insondable de la Déité il n’y a pas de place pour Henri et Conrad, ces noms propres qui sembleraient désigner une propriété inaliénable. La Déité serait-elle le lieu de la mise-en-abîme de tout nom propre, à commencer par celui de dieu lui-même ? « Sachez que dans l’Unité il n’est pas de Conrad ni de Henri ». Cet avertissement n’interdit pas encore absolument toute forme de Andenken, de « penser à autrui » devant dieu.
35« Tout ce qui touche au temps et au goût du temps, tout cela doit disparaître, si l’on veut voir dieu » déclare le maître rhénan. C’est de ce détachement que le dire poétique de Celan n’est pas capable. Le « penser à l’Autre » de ses poèmes suit un « penchant temporel » : Neingungswinkel der Kreaturlichkeit. Ce penchant détermine une attitude métaphysique différente. S’il est vrai que la pensée de maître Eckhart reste dominée par l’opposition aristotélicienne de la génération et de l’altération, la poésie de Celan oblige de penser l’altération elle-même à partir de l’altérité11.
36Aujourd’hui moins que jamais, le moderato cantabile du dire poétique ne saurait remplacer des certitudes dogmatiques défaillantes, qui tiennent leur assurance d’un autre sol de croyance. C’est pourquoi toute interprétation « religieuse » du poème est une mystification. Le poète n’est pas un croyant anonyme. Paul Celan avait une conscience très aiguë de cette limitation de son propre dire. C’est pourquoi il pouvait dire que « le chiasme dit plus sur la croix que le thème « la croix ». Dans cette poésie, qui cherche cependant à chanter des chants au-delà des hommes, « personne ne témoigne en faveur du témoin » (II, 72). Mais il n’est pas interdit de suivre le poète sur le chemin de traverse de son énonciation de dieu, car ce chemin est aussi le chemin d’une pensée, qui appelle la « lèvre dépossédée » à signaler que « quelque chose advient/non loin de toi ». (II, 36).
Notes de bas de page
1 Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica, la pars, q. 13 à 7.
2 Saint Thomas d’Aquin, op. cit., Ia pars, q 13 a7.
3 Ibid.
4 Cf. E. JUENGEL, Gott als Geheimnis der Welt, Tübingen, Mohr, 1977, p. 248-270.
5 Les poèmes de Celan sont cités d’après l’édition Paul CELAN, Gedichte I et Gedichte II, Frankfurt, Suhrkamp, 1975. Les poèmes de la Niemandsrose sont cités dans la traduction de Martin Broda, éd. bilingue, Le Nouveau Commerce (N).
6 Cf. J. DERRIDA, La vérité en peinture, Paris, Flammarion, 1978, p. 156.
7 M. de CERTEAU, La fable mystique, Paris, Gallimard, 1982, pp. 241-273.
8 Cf. E. LEVINAS, L’au-delà du verset, Paris, Ed. de Minuit, 1983, pp. 29-50.
9 Cf. H. MALDINEY, p. 17, infra.
10 Cf. H. MALDINEY, La prise, in : Qu’est-ce que l’homme ? Hommage à Alphonse De Waelhens, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires St. Louis, 1982, pp. 135-157.
11 Pour les passages de Maître Eckhart cités plus haut cf. Emilie ZUM BRUNN/Alain de LIBERA, Maître Eckhart, Métaphysique du Verbe et théologie négative, Paris, Beauchêne, 1984, pp. 46-70.
Auteur
Professeur à la Faculté de philosophie de l’Institut catholique de Paris.
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