Une « lecture froide » du Tristan de Béroul
p. 223-245
Texte intégral
1Le Tristan de Béroul1 est daté de la seconde moitié du XIIe siècle. Il nous est malheureusement parvenu amputé de son début et de sa fin. C’est un roman complexe dont l’interprétation passe pour difficile. P. Le Gentil a même pu y voir « un récit composite, rassemblé d’instinct, en dehors de toute idée préconçue » et dans lequel « rien [...] ne révèle une logique architecturale »2. Nous pensons qu’en tout premier lieu il faut y distinguer clairement deux histoires : une histoire « vraie », conforme à la réalité des faits, et une histoire « fausse » dans laquelle les faits véridiques sont niés et leur cause ignorée. La première n’est qu’une histoire en germe que Béroul n’a pas développée, la seconde seulement nous est narrée.
2Les données de l’histoire vraie sont les suivantes : Tristan, neveu et homme d’armes du roi Marc, a avec Yseut, femme de ce dernier, des relations adultères. Les amants ont bu sans le savoir un philtre d’amour qui était destiné à unir Marc et son épouse, philtre dont l’effet dure trois ans. Tous les personnages du roman ignorent ce fait, excepté deux : Brengain, confidente d’Yseut, qui par négligence a versé le breuvage aux amants, et l’ermite Ogrin à qui les amants affirment que la force du philtre les rend incapables de se séparer.
3Quant à l’histoire qui est effectivement racontée, nous voudrions mettre en évidence sa cohésion, sa progression délibérée vers un résultat bien déterminé, et ceci à l’encontre des reproches d’incohérence qui ont souvent été formulés. La structure narrative s’articule selon nous en six étapes clefs :
Marc a interdit les appartements royaux à Tristan car le soupçon d’adultère a été insinué dans son esprit. Quand le fragment commence, il épie un rendez-vous des amants ; ceux-ci s’aperçoivent à son insu de sa présence et jouent les irréprochables ; cette comédie convainc Marc de leur innocence et le décide à rappeler son neveu.
Trois barons, témoins oculaires de l’adultère, réveillent les soupçons du roi. Le nain Frocin tend un piège qui échoue, mâts les draps du lit de la reine sont trouvés ensanglantés et ce sang ne peut être que celui de Tristan : il est dans la chambre, il a été blessé la veille et sa blessure s’est rouverte. Les commentateurs se bornent généralement à conclure au flagrant délit et ce l’est certainement ; toutefois il nous semble très important de remarquer que Béroul opte pour « une cote mal taillée » : Marc est confronté à un faisceau de présomptions si précises, si graves et si concordantes qu’elles fondent légitimement une conviction de culpabilité ; cependant l’évidence de la faute n’est pas absolue car les amants n’ont pas été surpris à l’instant même de leur étreinte mais juste après3. Béroul choisit donc une solution entièrement accablante pour les amants, mais laissant une infime place au doute. Autrement dit, il s’arrange pour que la voie d’un juste châtiment soit ouverte, mais aussi pour que l’adultère puisse être nié avec une ombre de vraisemblance. Aussi les amants nieront-ils constamment l’avoir commis.
Marc condamne les amants sans appel à être brûlés vifs le lendemain. D’après les recherches de P. Jonin4, le roi n’outre- passe pas ainsi ses droits ; seul le choix du bûcher pour appliquer la sentence capitale sort des usages. Marc ne viole les coutumes judiciaires que sur un seul point : il refuse un jugement, c’est-à-dire une comparution publique avant l’exécution. Nous pensons que Béroul ne peut pas ne pas avoir commis sciemment cet écart par rapport au droit de son temps. En effet la foule rassemblée pour l’exécution accepte la sentence mais réclame le respect de ce point de procédure : « Roi, tu ferais très vilaine faute s’ils n’étaient pas d’abord jugés. Ensuite tue-les » (885). Et Dinas, sénéchal ayant dans la compétence de sa fonction l’administration de la justice, intervient, de tout son poids, dans le même sens en faveur d’Yseut : « Vous voulez la brûler en feu sans jugement : ce n’est pas noble, car ce crime, elle ne reconnaît pas l’avoir commis » (1097). Mais le roi, convaincu de la culpabilité et rendu encore plus furieux par la fuite réussie de Tristan, passe outre. Béroul n’était donc nullement ignorant de l’obligation juridique de la comparution et s’il escamote cette scène, nous pensons que c’est à dessein. Cette comparution l’aurait en effet embarrassé : ou bien Yseut persistait à nier le crime, mais ses dénégations auraient eu bien peu de poids face aux charges accablantes qu’elle n’aurait pu ni détruire ni diminuer ; dès lors elle faisait plus que jamais figure de coupable et cette fois en public ; ou bien Yseut avouait en alléguant la cause d’excuse du philtre. Ne voulant orienter son récit ni dans le premier sens ni dans le second, Béroul saute délibérément la scène embarrassante. On sait que finalement Marc décidera de livrer Yseut comme prostituée à une troupe de cent lépreux, mais que Tristan réussira à l’arracher de leurs mains. Les amants fuient dans la forêt de Morois où ils mèneront une existence de fugitifs traqués.
Un jour, Marc, guidé par un forestier, surprend les amants dans leur abri : ils sont endormis tout habillés et leur attitude est chaste. Le roi est bouleversé par ce spectacle inoffensif, car toute apparence d’amour charnel est absente. Il se convainc de leur innocence. C’est aussi l’époque où cesse l’effet du philtre. Les amants prennent l’initiative d’une réconciliation : Tristan envoie à Marc une lettre dans laquelle il réaffirme n’avoir jamais eu de relations adultères ; il explique leur vie dans le Morois par la condamnation à mort qui pèse sur eux, par la chasse à l’homme dont ils sont les cibles et par l’impossibilité morale d’abandonner Yseut, seule, face à une persécution injuste. La cour unanime conseille au roi de reprendre sa femme (2625) et d’éloigner Tristan pour un an (2629, 2901). Yseut est en grande pompe restaurée à sa place de reine. Dans cet épisode qui offrait l’occasion de rechercher et d’établir publiquement la vérité, on remarquera que la question « les amants sont-ils ou ne sont-ils pas coupables d’adultère ? » n’a pas même été posée.
Un mois après la réconciliation, les trois barons exigent qu’Yseut prouve publiquement n’avoir jamais commis l’adultère. Marc finit par s’y résigner, mais en laissant à Yseut le libre choix du moyen. Quinze jours plus tard, en présence du roi Arthur, du roi Marc et de leurs deux cours, Yseut traverse un gué boueux à califourchon sur le dos de Tristan déguisé en lépreux et méconnaissable. Elle prête ensuite son fameux serment : elle n’a jamais eu entre les cuisses que son époux et ce lépreux qui lui a fait traverser le gué. Alors que le schéma narratif offrait une troisième occasion d’examiner le fond de l’affaire, nous observons de nouveau que Béroul l’arrange en telle manière qu’Yseut puisse à bon compte « prouver » son innocence, et ce à la satisfaction unanime.
Le royaume retrouve la paix, mais après quelques jours, un espion propose aux trois barons de leur fournir la preuve que les amants ont repris leurs relations. Effectivement, une nuit, l’un d’eux voit Tristan dans la chambre de la reine ; celle-ci, s’étant aperçue de sa présence dissimulée, en avertit Tristan qui le tue d’une flèche. Ainsi se termine le fragment.
4Si nous sommes dans l’ignorance de la fin du roman, nous pouvons cependant réfléchir sur certaines données5. C’est à trois barons, toujours les mêmes, et exclusivement à eux que Béroul assigne la fonction de s’acharner à dénoncer l’adultère. Un épisode de la forêt de Morois raconte comment Governal, écuyer de Tristan, a massacré le plus redouté des trois (1656). A l’extrême fin du fragment, Tristan tue les deux autres. On pourrait conclure sans problème à la mort de tous les dénonciateurs s’il n’y avait une malencontreuse corruption dans le texte : après la mort du baron assassiné par Governal, mort qui réduit le trio à un duo, la suite du roman continue à parler de trois barons. Ainsi le compte des décès à la fin du fragment est-il quelque peu embarrassant, soit que les trois soient morts, soit qu’il reste un survivant6. Toutefois la seule question importante est de chercher à voir comment s’orientait la suite inconnue du récit. Il existe des indices d’ordre textuel et d’autres d’ordre logique. Passons en revue les indices textuels : 1) la mort des trois barons est annoncée par le conteur : « Deux moururent par l’épée, le troisième fut tué d’une flèche » (2756) ; elle est prédite par Yseut (2824), promise par Tristan (3330, 3337), promise aussi par Governal (1001) et secrètement espérée par le roi (3197) ; 2) Après la justification d’Yseut, une menace de mort exprimée tant par le roi Arthur (4152) que par le roi Marc (4176) pèse sur qui oserait encore parler en mal de la reine. Il semble donc qu’à la fin du fragment la narration est ou va être privée de ce qui a été son unique ressort dans la partie connue du roman : la médisance agressive des trois barons. Examinons encore les trois arguments suivants : 1) Béroul commente ainsi la mort du deuxième baron tué par Tristan : « S’il avait pu s’échapper vivant, il aurait fait à nouveau sourdre mortelle guerre entre le roi Marc et Yseut sa paire » (4445) ; le conteur indique donc indirectement qu’à la fin du fragment les trois ennemis jurés du couple sont bel et bien morts ; en effet ce commentaire serait peu judicieux si après la mort de celui dont il est question ici, il restait encore un survivant tout aussi capable de remettre le feu aux poudres ; 2) Dans le cas même où il y aurait un survivant, Béroul allait-il lui faire réussir seul l’entreprise dans laquelle la conjuration du trio avait constamment échoué, et cela au moment même où Tristan a les mains libres pour parachever son œuvre de vengeance ? 3) Si Béroul ne continuait pas à assurer jusqu’au bout du roman l’innocence publique des amants, il faut bien voir qu’il était contraint de démentir et de ridiculiser le roi Arthur qui s’en est solennellement porté garant : est-ce un sort concevable pour le modèle des rois ?
5De ce faisceau d’observations, on peut conclure que Béroul ne prépare en aucune manière la voie à un revirement vers un dévoilement public de l’adultère. On éprouve au contraire l’impression que l’histoire est en train de se terminer par un retour à la situation initiale — les amants se rencontrent clandestinement — mais à cette grosse différence qu’ils le font à présent dans une sécurité bien plus grande qu’au début puisque la thèse de leur innocence est officielle et intangible, qu’en tout état de cause deux de leurs dénonciateurs sont morts et que Tristan jouit de sa liberté pour massacrer le troisième, ce qu’il a juré et qui par-dessus le marché répond au vœu secret du roi.
6Nous avons dénommé ce récit « histoire fausse » par rapport à une « histoire vraie en germe », parce qu’il se déploie abstraction faite de deux points véridiques et corollaires : 1) l’excuse du philtre n’y est jamais alléguée, 2) la perpétration de l’adultère, loin d’être démasquée, est occultée d’étape en étape, et ce délibérément et de plus en plus sûrement.
7Dans Les romans de Tristan et Yseut, Introduction à une lecture plurielle, Françoise Barteau, au chapitre intitulé Première lecture selon l’éthique de l’ordre7, aperçoit « une thématique du pardon dont l’importance paraît croître au fil du récit », ajoutant : « D’étape en étape, le Pardon se fait plus grandiose, plus total ».
8Pareille lecture est incompatible avec le texte même de l’histoire fausse : d’étape en étape, le conteur accrédite la thèse de l’innocence des amants et la question du pardon ne se pose littéralement à aucun moment. Marc s’est convaincu de leur innocence ; le chaste spectacle qu’il a vu lui fait dire : « Je puis certainement me convaincre, si j’ai toute ma raison, que, s’ils s’aimaient charnellement, ils seraient nus et ne seraient pas séparés par une épée ; autrement serait leur tête-à-tête ; j’avais l’intention de les tuer ; je ne les toucherai pas, j’oublierai ma colère : d’amour charnel, ils n’ont pas le désir » (2007)8. Quant à la cour du roi, elle se satisfait de la version des faits fournie par Tristan. Au moment de la réconciliation, « il n’y a pas de baron de Cornouailles qui ne dise pas :” Roi, reprends ta femme. Ceux qui ont calomnié la reine n’ont jamais eu le sens commun” » (2624, 2627). L’innocence est ainsi devenue la thèse officielle. Fait remarquable : la lettre dans laquelle Marc informe les amants des termes de la réconciliation ne fait aucune allusion à l’acte d’adultère, ni par conséquent à un pardon. Plus loin dans le récit, après le serment purgatoire d’Yseut, aucune preuve supplémentaire corroborant l’innocence ne sera exigée ; bien au contraire, tous estiment à l’unanimité : « Plus que la justification que vous avez entendue, grands et petits, n’est pas souhaitable » (4223). Et le roi Arthur déclare à Marc : « Roi, nous avons vu la justification, nous l’avons bien écoutée et bien entendue. Que maintenant les trois traîtres [...] veillent à ne plus murmurer jamais la moindre parole [...]. Tant qu’ils seront en cette terre, ni paix ni guerre ne me retiendront, dès que j’entendrai le message de la reine Yseut, la belle, d’aller à brides abattues défendre sa cause avec grande raison » (4235).
9Au terme de l’histoire fausse, l’innocence est devenue un fait intangible et pardonner à des êtres que l’on tient pour innocents est logiquement impossible.
10Si la thématique du pardon est exclue de l’histoire fausse, serait-elle à deviner en filigrane dans l’histoire vraie ?
11Les amants ne seraient susceptibles d’être pardonnés que s’ils avaient le sentiment d’avoir péché librement et volontairement. Or ils se disent privés de leur libre-arbitre. A l’ermite qui les presse de se repentir, Tristan dit : « Vous ne comprenez pas la raison pour laquelle elle m’aime en bonne foi : si elle m’aime, c’est à cause du philtre » (1382), et d’affirmer à deux reprises : « Je ne peux pas me séparer d’elle, ni elle de moi, je ne veux pas mentir » (1385), « Je ne veux pas parler de la quitter, assurément, car je n’ai pas le pouvoir de le faire » (1407). Quant à Yseut, elle dit à Ogrin : « Il [Tristan] ne m’aime pas, ni moi lui, sinon par l’effet d’un herbé dont je bus et dont il but : ce fut le malheur » (1413). Ici le texte porte : « ce fut pechiez ». Ou bien l’on traduit pechiez par malheur comme P. Jonin9, ou bien par erreur comme H. Braet10, ce mot étant bien attesté dans ces deux sens en ancien français et dans le texte même de Béroul11. Ou bien encore on retient le sens religieux que l’ermite vient d’utiliser, mais alors Yseut le reprend dans un emploi délibérément ironique, en signifiant à rebours : « ce fut cela le péché », sous-entendu : avoir bu par mégarde un vin herbé et être la proie d’une force irrésistible. Lorsqu’aux vers 1652 et s., Yseut craint que « Tristan por lié ne se repente » et que, de son côté, Tristan se tourmente à l’idée « q’el repente de la folie », le v. repentir n’est pas à notre avis utilisé au sens religieux, mais dans un autre sens bien attesté : regretter, déplorer, souhaiter qu’une chose qui est ne soit pas. Chacun craint que l’autre ne soit saisi, non de repentir du péché, mais de la lassitude de la folie, c’est-à-dire de leur condition insensée de fugitifs traqués12. Lorsque le philtre aura cessé d’agir, les amants continueront d’imputer leur conduite, non à leur propre responsabilité, mais à la toute-puissance du breuvage. Yseut dit : « Je suis reine, mais j’en ai perdu le nom par la faute du breuvage » (2205), et plus loin : « Ami Tristan, en grande erreur nous mit celle qui nous donna à boire ensemble le boire d’amour » (2217). De même Tristan dit à Yseut : « Vous pourriez être à l’honneur dans vos appartements avec votre seigneur, si n’avait été le vin herbé qui nous fut donné en mer » (2257). Et le conteur semble faire siens ces propos : « Seigneurs, vous avez entendu parler du vin qu’ils burent, par la faute duquel ils furent si longtemps en si grande peine » (2135). De tout cela, il faut conclure que les amants n’ont pas le sentiment de se livrer à l’adultère librement, de leur propre volonté, et qu’ainsi manque le consentement constitutif du péché. Cette opinion est aussi celle de P. Le Gentil13, J. Frappier14, J. Subrenat15, J.-Ch. Payen16 et T. Hunt17. Par contre, A. Vàrvaro écrit : « La cieca forza impersonata dal filtro non è troppo differente dal fato antico. Essa intanto spiega ma non giustifica le azioni degl’uomini, che per essere a lei sottoposti non vengono privati della loro reponsabilità singola. Quando Tristano e Yseut invocano il filtro non intendono chiarire e giustificare la loro situazione morale »18. L’analyse du texte nous semble interdire un tel nuancement de responsabilité. Les quelques indices textuels sur lesquels s’appuie Vàrvaro sont tous discutables comme nous le montrons ici même.
12Serait-ce à Ogrin — qui est informé à la fois de l’adultère et du philtre — qu’incombe la mission de pardonner ? Effectivement il pardonne, mais observons ceci : 1) il est juge incompétent car il ne prend nullement en compte le véritable problème moral : lorsque les amants le rencontrent pour la première fois et allèguent la force irrésistible du philtre, il continue, imperturbable, à les exhorter au repentir, exactement comme s’il n’avait rien entendu ; 2) son pardon, accordé lors de la deuxième rencontre, se fonde sur la conviction que les amants se repentent. Mais le conteur révèle infiniment plus des pensées et actes de ses héros à l’auditeur du roman qu’il ne le fait à l’ermite ; aussi faut-il se demander si cet auditeur peut se convaincre que les amants, une fois délivrés de l’emprise du philtre, sont dignes de pardon, parce qu’ils éprouveraient un repentir sincère. Sur cette question, les commentateurs se divisent. P. Le Gentil lit le remords dans leurs âmes19. A l’opposé, J. Frappier estime que « Tristan et Yseut sont fort éloignés de la” voire repentance” »20 ; de même, J.-Ch. Payen conclut qu’« il n’y a pas de repentir »21. Sur ce point qui est crucial pour l’interprétation, il importe de réexaminer le texte. A l’instant où le philtre cesse d’agir, Tristan se parle à lui-même et son monologue est introduit par ce vers : « A lui seus senpres se repent » (2160). L’interprétation en est intimement liée au contenu idéologique du monologue : d’abord il ne pense qu’à lui-même, déplore son exil, sa misère matérielle, l’amour que Marc aurait pu lui porter ; il regrette de ne pas exercer son métier de soudoyer, puis de faire vivre Yseut dans la misère, alors qu’elle pourrait vivre avec son mari, mais il déplore aussi que ce mariage soit inattaquable : en effet, il précise qu’il réconciliera Yseut avec Marc « puisque, hélas, elle en est l’épouse selon les rites de l’église romaine ainsi qu’en furent témoins nombre de hauts dignitaires » (2189)22. Lira-t-on dans ces pensées égocentristes et ne témoignant d’altruisme qu’à l’égard d’Yseut, le repentir au sens religieux ? Dès lors que non, le vers 2160 est à comprendre non pas : « Dans son for intérieur, Tristan ne cesse de se repentir »23, mais : « Tristan ne cesse d’éprouver des regrets » (dans le sens qu’il déplore leur situation). Suit le monologue d’Yseut (2201) : elle gémit sur sa jeunesse perdue, sur son existence de serve alors qu’elle devrait être reine entourée et servie, présidant au mariage des demoiselles ; elle déplore que tout ce bonheur ait été perdu par la cause du philtre. Yseut ne verse que des larmes narcissiques sur son propre sort. Aussi souscrivons-nous pleinement à cette opinion de J. Marx : « Les amants évoquent avant tout la perte de leur rang, la déchéance de leur situation, la solitude de leur existence, la misère de leur vie fugitive, beaucoup plus que le remords de leur péché et la trahison de leur adultère »24. Plus loin, lorsque Tristan propose la séparation et implore Dieu de lui en insuffler la force (2185, 2189), ce n’est pas du tout pour des raisons morales : « Je ne voudrais pas la séparation si notre vie commune était possible sans qu’existe, belle, la grande privation que vous souffrez et avez soufferte tant de jours, à cause de moi, par ce lieu désert » (2251), idée reprise encore aux vers 2682 et s. : « Très malheureux est celui qui perd son amie. Il le faut à cause de la privation que vous avez douloureusement endurée à cause de moi : vous ne devez pas souffrir davantage ». A Tristan qui propose la séparation, Yseut dit : « Sire, Jesu soit graciez, Qant degerpir volez pechiez ! » (2263). Si l’on tient compte du contexte général, degerpir pechiez signifie : abandonner l’erreur funeste de leur vie commune, vie dont précédemment, sous l’effet du philtre, « Chascuns disoit : las n’en sui » (2146)25. Un peu plus loin, Yseut ajoute : « Se ja corage vos ert venu de repentir, Or ne peüst mex avenir » (2271), ce qu’il nous semble légitime de comprendre ainsi : « Si vous était venu un sentiment de lassitude, rien de mieux [que cela] ne pourrait survenir à présent »26. Il est important d’observer aussi que jamais Yseut n’exprime un sentiment altruiste ; quant à Tristan, s’il lui arrive — une seule fois — de déplorer le mal qu’il a fait à son oncle (2196), cela se dénote, par contraste avec le contexte, plutôt comme « feux follets de la conscience », selon l’expression de J. Frappier. Peut-on dire enfin que les amants soient résolus à renoncer à leur union charnelle ? Si Yseut affirme à l’ermite qu’ils sont à présents chastes et décidés à le rester (2324-30), Tristan par contre ne dit rien de tel : à Ogrin qui l’incite au repentir, il répond à côté, se bornant à déplorer leur destinée qui les accable de maux depuis trois ans (2302) et à lui demander son aide pour « la roïne racorder » (2306). D’autre part, faut-il croire à la sincérité d’Yseut alors qu’elle s’adresse à Ogrin dans le but exprès et avoué de s’en faire un allié (2322) et alors que ni Tristan ni elle n’expriment ailleurs ce renoncement charnel et que toutes leurs paroles et tous leurs actes ultérieurs le démentent ? Voici comment le conteur termine le dialogue qui précède la séparation : « Tristan en baise la roïne Et ele lui par la saisine » (2731). Le mot saisine désigne une possession réelle, une possession immédiate sur un être ou une chose. C’est de ce mot même que se sert Tristan lorsqu’il propose au mari de reprendre possession de sa femme (2362). Et à l’instant de la séparation, que se promettent les amants ? A Tristan qui dit : « Si je vous demande quelque chose, que ce soit à la hâte ou posément, Dame, faites ma volonté » (2789), Yseut répond : « Ni tour ni mur ni château-fort ne me retiendront de faire sur le champ la volonté de mon amant et ce que je saurai lui agréer selon mon honneur et ma loyauté » (2798). Ainsi Yseut se soumet-elle, non à la volonté du mari qu’elle va rejoindre, mais à celle de son amant, et cela en invoquant un code moral qu’elle se forge à elle-même. Quant à leurs actes ? Tristan enfreint son obligation d’éloignement et il reste à proximité, même lorsqu’il est assuré qu’Yseut ne subira plus un mauvais sort. Les amants se retrouvent clandestinement dans la chambre de la reine ; ces entrevues sont assez fréquentes pour avoir pu être remarquées par un espion qui engage sa tête sur l’exactitude de ce fait à quatre reprises27. Soutiendra-t-on, comme le fait T. Hunt28, que ces entrevues sont chastes ? Une telle lecture est trop naïve et efface les indices qui la contrarient et que nous voudrions relever. Tristan continue à regarder Yseut comme sa drue (3322), Yseut continue à se considérer comme sa drue, le conteur lui-même continue à la désigner de ce mot (4409). Sa signification est éclairée par celle de druerie. Or druerie est le terme par lequel Ogrin et les trois barons désignent les rapports adultères (2368, 3044). Et ce qui est plus important encore à remarquer, c’est que Tristan même l’utilise à quatre reprises dans des propos où il dénie précisément avoir commis l’adultère29. Drue signifie donc dans ce roman « femme aimée charnellement ». Aussi lorsque les amants échangeaient leurs drueries avant de se séparer (Tristan laisse à Yseut son chien et elle lui donne un anneau), il ne faut pas y voir la résolution d’un amour désormais platonique et l’échange de simples souvenirs. A la fin du fragment, les trois barons discutent pour décider qui ira surprendre les amants et le texte dit : « voir l’orlois que Tristan en la chambre mène avec celle qui est sa demeine » (4338). L’orlois paraît bien désigner l’ardeur amoureuse30, et l’expression sa demeine identifie Yseut à la serve, à la chose de Tristan. Enfin rappelons ici qu’à la fin du fragment, Béroul commente en ces termes la mort d’un baron : « S’il pouvait s’échapper vivant, il referait sourdre mortelle guerre entre Marc et Yseut sa paire » (4445) ; or, après la justification d’Yseut dont l’innocence a pour garant le roi Arthur, ce n’est que d’une prise en flagrant délit radicale et absolue qu’une mortelle guerre pourrait renaître. Si les amants continuent à trembler (4460), c’est qu’ils se prêtent encore à cette dramatique éventualité.
13En conclusion, à tous égards, les termes d’une thématique du pardon ne sont posés nulle part. Les signes convaincants d’une « voire repentance » sont absents. A la fin du fragment, comme le fait remarquer A. Pauphilet, « les deux amants revenus en somme à leur relative sécurité du début, reprennent leur vie secrète et [...] Yseut y retrouve le même dévouement, total et sournois, à l’amour »31. Nous corrigerions seulement cette conclusion ainsi : « les deux amants revenus à bien plus de sécurité qu’au début ».
14Un autre point crucial de l’interprétation de l’œuvre est de cerner ce que Béroul veut signifier dans sa description du séjour des amants dans la forêt, tandis qu’ils sont sous l’emprise du philtre.
15Lorsqu’ils viennent de s’y réfugier, le conteur dit à ce moment-là exclusivement et en contraste avec les périls hideux auxquels ils viennent d’échapper : « Pour l’instant, Tristan est aussi en sécurité que dans un château-fort » (1277). Mais comment nous dépeint-il la suite ? Les amants sont constamment tenaillés par la peur d’être capturés. Cette peur les oblige à ne passer qu’une seule nuit au même endroit et à éviter tout terrain découvert ; Béroul le souligne à neuf reprises32. Lors de chaque incident qui rompt le cours habituel de leur existence, Béroul réinsiste sur cette panique : lors de l’arrivée du chien33 ; lorsque Tristan aperçoit en se réveillant la tête tranchée de son pire ennemi (1740) ; lorsque les amants se rendent compte de la visite de Marc pendant leur sommeil (2109). En ce qui concerne le vocabulaire descriptif de l’état d’âme des amants, on dénombre cinq occurrences de poor34, quatre du v. criembre35, deux de esfroï36, deux de esfreez37, une de douter (2126), ce qui fait quatorze occurrences de termes exprimant la peur. Si les amants sont épargnés par la faim à cause de l’abondance du gibier, Béroul déplore cinq fois qu’ils doivent se contenter de cette alimentation38. Leur santé s’en ressent : leur teint s’altère (1646) et leurs forces faiblissent : « Lor char pali et devint vaine » (2132) ; il y a deux allusions aux doigts amaigris d’Yseut (1814, 2046). Leurs corps sont couverts de haillons (1647). Tristan se livre à des chasses harassantes : « Tant l’ai chassé [un cerf] que j’en ai le corps tout endolori. Le sommeil me terrasse : je veux dormir » (1799). Le conteur utilise sept fois le mot peine39, une fois peiner (2130), une fois repoise (1635), une fois destroit (1676), deux fois duel40, une fois doloir (1799), une fois ahans (1638), une fois aspre vie et dure (1364).
16Mais il est beaucoup plus important encore de constater que les amants ne souffrent pas seulement de peur et de misère physique : l’angoisse morale est présente. Yseut fait un cauchemar effrayant (2073) et Tristan fait allusion à des insomnies (1402). Lors de la première rencontre avec Ogrin, « Yseut au pié Thermite plore, Mainte color mue en poi d’ore, Mot li crie merci sovent » (1409). Que signifient ces larmes, ce teint qui s’altère violemment, cette merci implorée à genoux, sinon qu’elle éprouve une profonde angoisse morale à entendre Ogrin prêcher le repentir avec une oreille hermétiquement close sur leur véritable drame ? Et ils ressentent aussi une angoisse dont la source est au sein même de la relation qui les unit : « Grande peur a Yseut la noble que Tristan n’éprouve des regrets à cause d’elle ; et Tristan se tourmente violemment à l’idée qu’Yseut ne regrette leur folie, car elle vit dans la discorde à cause de lui » (1651)41. Ainsi malgré la toute-puissance du philtre qui les empêche de se sentir coupables, ils sont assaillis par la crainte confuse que l’autre ne se lasse de l’égarement de leur vie commune. A l’instant où Tristan est libéré de l’emprise du philtre, voici quel regard il jette sur cette existence : « Ah Dieu, fait-il, j’ai tant de douleur ! Aujourd’hui, il y a trois ans que rien n’y manque : jamais n’a manqué la peine, ni les jours de repos, ni les jours de semaine » (2161). Et en abordant l’ermite, il dira d’abord : « Il y a trois ans achevés que le tourment ne nous a jamais quittés, en manière telle qu’il ne nous fasse pas défaut » (2303)42.
17Il importe aussi de remarquer que le conteur lui-même insiste sur le caractère extraordinairement douloureux de la vie des amants dans le Morois : « Exista-t-il jamais des êtres qui eurent tant de peine ? » (1784), « Deux êtres ne se sont pas aimés autant et ne l’ont pas payé aussi cher » (1792), « Seigneur, vous avez entendu parler du vin qu’ils burent par quoi ils furent mis longtemps en si grande peine » (2135).
18Un fait également très remarquable est que le conteur n’exprime jamais les sentiments des amants que sous une formulation négative : « Ils s’aiment tant de bonne amour que l’un ne sent pas la douleur à cause de la présence de l’autre » (1365), « Chacun d’eux endure peine égale, l’un ne le sent pas à cause de l’autre » (1649)43, « Exista-t-il jamais gens qui eurent autant de peine ? Mais l’un ne la sent pas à cause de l’autre : ils avaient tout loisir [de s’aimer] » (1784), « Tant que durèrent les trois ans, le philtre avait tellement obnubilé Tristan comme la reine que chacun disait :” Je n’en suis pas las” » (2143). Toutes ces expressions négatives font entendre que la douleur existe, mais que chacun l’oublie par amour de l’autre44.
19Les amants connaissent-ils une plénitude malgré leurs souffrances accablantes ? Nous devons constater que nulle part ne s’exprime un sentiment de joie. Voici des amants enfin libres de s’aimer : n’est-il pas étrange, comme le remarque J. Subrenat45, qu’aucune allusion ne soit faite à la joie d’amour, alors que Béroul l’a suggérée au temps où Tristan rejoignait clandestinement Yseut dans le lit royal (734) ? Si le vocabulaire de la « peine » est riche de seize occurrences, celui de la « joie » est pauvre de cinq occurrences. Ce n’est qu’à l’instant ultime de la séparation qu’Yseut se dira heureuse pour la première fois, et heureuse que Tristan lui ait trouvé une « porte de sortie » : « Or sui je mot boneürée : A grant fin m’avez menée » (2841). Il y a par ailleurs quatre occurrences de joie : deux ont trait à la joie du chien d’avoir retrouvé son maître dans la forêt (1545, 1548) ; la troisième à la joie qu’éprouveraient les amants s’ils réussissaient à le dresser à ne pas aboyer intempestivement (1587) ; la quatrième se trouve aux vers 2275 et s. : « Il [Ogrin] nous donnerait un conseil judicieux grâce auquel nous pourrions à l’avenir46 parvenir à une joie durable ». Ce propos est prononcé par Yseut lorsqu’elle envisage la séparation ; elle y laisse entendre que la « joie pardurable » est une espérance pour l’avenir et non un sentiment éprouvé au cours de leur existence dans le Morois.
20En fait, tant que dure l’emprise du philtre, Béroul n’utilise dans la description de l’état d’âme des amants qu’un seul terme « positif », avoir aaisement : « Mais l’un por l’autre ne le sent [la paine] : Bien orent lor aaisement » (1785). Que signifie cette expression ? Nous la rapprochons de aise atendre employé aux vers 579 et 4281 dans le sens ’attendre le moment propice (pour se rencontrer)’ ; dès lors nous comprenons ainsi les vers 1785-6 : « Mais l’un ne ressent pas sa peine à cause de la présence de l’autre : ils avaient tout loisir de s’étreindre », le second vers étant une explication du premier47.
21F. Barteau, dans sa « lecture subversive »48 « propose une dialectique du Bien et du Mal, mais selon un complet renversement des valeurs » d’une « lecture selon l’éthique de l’ordre ». M. Tyssens en a bien condensé la perspective en ces termes : « Le Bien et le Mal ont changé de place, les amants sont innocents dans un autre monde, le monde du Contre-Ordre, et dès lors victimes du monde de l’Ordre »49. F. Barteau soutient notamment que cet épisode du Morois est une « période heureuse et féconde » où les amants vivent en communion avec la nature, « expérimentent les valeurs d’un travail non alinéant », dans « un accord trouvé ou re-trouvé de l’homme avec lui-même, de l’homme avec le monde ». Cela a tout d’une lecture écologique ; malheureusement Béroul est loin d’estimer bon pour la santé de se nourrir exclusivement de gibier et loin d’estimer enviable cette vie solitaire et sauvage. Glissons sur « les valeurs d’un travail non alinéant » à propos desquelles J. Dufournet pose cette question : « Est-ce possible au moyen âge où le travail manuel passait pour avilissant aux yeux des clercs et des nobles, où c’était peu ou prou un châtiment ? »50. Mais c’est toute la perspective de F. Barteau qui est détachée du texte, sans cohésion avec celui-ci. A notre avis, le roman ne fournit pas d’appui à des assertions telles que « le monde du Contre-Ordre a affirmé non seulement son opposition irréductible au monde de l’Ordre, mais son aptitude à bâtir, à inventer une éthique égale ou même supérieure à l’autre »51, ou bien encore : « le jongleur habitue son auditoire à l’idée que Tristan et Yseut sont des victimes — voire des martyrs — et les apôtres d’une nouvelle religion peu orthodoxe »52. Si l’existence sauvage et solitaire dans le Morois symbolise une plénitude et présente les signes de la Grâce authentique, pourquoi les amants déplorent-ils leur condition ? Pourquoi décident-ils de rentrer au bercail ? Pourquoi le conteur nous incite-t-il à les plaindre ?
22Nous avons intitulé cet article « une lecture froide » précisément par opposition à la « lecture plurielle » de F. Barteau. Eblouie par celle-ci comme par un prodigieux tour de prestidigitation, nous avons éprouvé l’urgente nécessité de revenir à cette simple question : « Mais que dit donc Béroul stricto sensu ? » Une lecture froide ne serait pas une lecture « inventive » dans laquelle le critique en vient insensiblement à ne plus voir dans le texte qu’un prétexte et un incitant pour son propre imaginaire. Une lecture froide au contraire s’asservirait à ce que dit le texte, cherchant ce qu’on peut induire logiquement de sa structure narrative et de la pondération sans gauchissement de tous les indices textuels, sans en omettre certains, sans en hypertrophier d’autres.
23Pour terminer cette étude, nous voudrions tenter de dégager du roman les linéaments d’une interprétation qui, par son adhérence au texte, serait le moins possible contestable.
24Du récit que nous avons appelé l’histoire fausse, nous voudrions souligner les quatre aspects suivants.
25Premièrement, la peste sociale pour Béroul paraît moins être l’adultère — qu’il semble cependant condamner, du moins d’un point de vue social (nous y reviendrons) — que la médisance qui le dévoile publiquement : c’est celle-ci qui subvertit la société, engendre le chaos et les tensions les plus meurtrières. Les trois barons dénonciateurs sont voués à l’exécration, non seulement parce qu’ils démasquent la vérité pour des motifs personnels bas et politiques, mais surtout parce qu’ils provoquent l’envenimement exacerbé des relations sociales : par leur faute, « Molt est torné a grant haine » (808). C’est à plusieurs reprises et sous divers angles que Béroul souligne le fléau social de la médisance. Les trois barons y trouvent la justification de leur conseil d’éloigner Tristan pour un an : « S’ils les amants] sont de nouveau ensemble à ta cour, à notre avis, l’on dira assurément qu’on a de la complaisance pour leur trahison : il y en aura peu pour ne pas le dire » (2897). La réaction populaire à l’annonce du flagrant délit et de la condamnation à mort est très significative : la foule ne s’interroge nullement sur la culpabilité, elle n’exprime même aucun doute, mais elle déplore que les amants aient été surpris : « Quel dommage que ces gloutons vous ont fait prendre traîtreusement ! » (835) et elle se lamente sur le mal social qui en résulte : « Quel deuil ont répandu dans le pays ceux par qui cette affaire a été mise au jour ! » (1078). Béroul peint dans le personnage du roi un être qui devient le jouet des mauvaises langues ; il le fait dire par un chevalier de la cour d’Arthur : « Du roi joent si losangier » (3494), et par Yseut : « Le roi, mon seigneur, est très courtois : jamais il n’aurait songé par lui-même que nous soyons tous deux en une pensée coupable, mais l’on peut dévoyer un homme, lui faire mal agir et délaisser le bien. Ainsi a-t-on fait de mon seigneur » (86). Le roi Arthur fera à Marc ce reproche : « Tu es facile à émouvoir : tu ne dois pas croire parole fausse » (4145) et, après la justification d’Yseut, il le priera encore « qu’il ne croie plus jamais un félon » (4259). Marc lui-même prendra conscience d’avoir été « tot sorpris » (3066), c’est-à-dire entièrement obnubilé, jusqu’à agir contre son gré (4180) ; à plusieurs reprises, il déplore le crédit donné aux accusations comme une folie : « Je le crus [le nain] et je fis ainsi ce que fair un fou » (273), « Il est complètement fou celui qui croit tout le monde » (308), « Il est fou celui qui croit les envieux » (3494)53. Il importe de bien voir qu’en somme le fléau de la médisance est le seul ressort de l’action : sans la malignité active des mauvaises langues et le crédit que le roi leur fait, l’histoire n’existerait pas.
26Deuxièmement, Béroul montre à quelle persécution sont exposés des amants qui, par imprudence, par « fole atenance », loin de se dérober aux yeux de la société, agissent de telle manière que « savoir le puet qui c’onques veut » (608). Et le conteur de déplorer leur conduite : « Ah ! Dieu ! Qui peut tenir un an ou deux sans se découvrir ? Car amour ne peut se cacher : l’un est attiré souvent vers son âme sœur, souvent ils ont des rencontres et en cachette et au vu de tous, ils ne peuvent attendre le moment propice, ils ont besoin de nombreuses rencontres » (573). Mais Béroul nous démontre aussi comment l’entêtement des amants à nier l’adultère, leur habileté dans le mensonge et la simulation54 les conduisent finalement à être blanchis et à se faire réaccepter au sein de la société. Nous pensons qu’il y a dans ce roman une véritable éthique sociale du mensonge. Ogrin la pratique et la formule en ces termes : « Pour empêcher la honte et cacher le mal, on doit un peu recourir au bel mentir » (2353). Autrement dit, si les amants avaient respecté la loi du secret et s’ils avaient pratiqué cette éthique, ils n’auraient pas été persécutés, Marc n’aurait pas souffert, la paix sociale n’aurait pas été déchirée et Béroul n’aurait pu écrire son histoire.
27Troisièmement, bien que le conteur jette un œil sans illusion sur la société (point de vue que nous ne pouvons développer ici), il indique que l’individu — même sous l’emprise de la plus intense des passions — ne saurait s’épanouir sans elle. Dans l’épisode du Morois, il signifie que la passion vécue dans le retranchement de la société et ne se nourrissant que de sa propre satisfaction est un leurre. Quand les amants sont sous l’emprise du philtre, Béroul nous peint comme pénible et non enviable leur condition physique et morale. Seul le désir charnel qui est insatiable et l’aaisement de le satisfaire les empêchent d’être excédés de leur misère et de leurs angoisses. Dès que le philtre cesse d’agir, c’est-à-dire en clair dès que le désir charnel cesse de dominer et d’obséder les amants, Béroul leur fait exprimer une insatisfaction profonde et leur fait prendre l’initiative de réintégrer la société. Comme le dit bien Vàrvaro, cette existence solitaire et sauvage dans le Morois « non basta, non può loro bastare. Per Béroul, la situazione dell’uomo nel mondo non permette evasioni, neppure pagate cogli stenti »55. Dès lors le conteur ménage de bout en bout les conditions nécessaires à un retour au sein de la société : en faisant triompher le mensonge, il préserve à dessein l’ordre social d’une tache indélébile : si Marc était apparu publiquement comme le mari cocu, le roi cocu, l’oncle cocu, et solidairement, si les amants avaient fait irrémédiablement figure de parjures à la leauté conjugale, féodale et familiale (toutes trois bafouées en ce qu’Yseut trompe son mari, et Tristan son seigneur et son oncle), le conteur se serait placé dans l’impossibilité de rendre aux amants leur place dans la société. C’est ce qu’il a soigneusement évité en édifiant un récit qui progresse, sciemment et pas à pas comme nous l’avons montré plus haut, vers le triomphe du mensonge et la thèse de l’innocence.
28En résumé, les thèmes majeurs de l’histoire fausse sont à nos yeux le fléau social de la médisance, la loi du secret comme éthique sociale de l’amour illégitime, l’échec final de l’évasion par la passion solitaire et sauvage, l’emprise de la société sur l’individu, tant parce qu’elle lui impose cruellement le respect de ses conventions que parce que l’individu se révèle incapable de s’accomplir pleinement hors d’elle.
29Reste à cerner ce qu’on pourrait conclure de moins contestable de ce que nous avons appelé l’histoire vraie.
30En introduisant le philtre, le conteur signifie sans doute que la passion saisit parfois des êtres avec une intensité si extrême qu’elle paralyse le libre-arbitre et annihile, au moins temporairement, la responsabilité. Cependant, T. Hunt nous semble aller trop loin en écrivant que « Béroul attempts to communicate a favorable view of the morality of the lover’s behaviour »56. Lorsque le conteur nous apprend que les amants ont été vus dans une position telle « que nus hon consentir ne doit » (592), ne condamne-t-il pas l’adultère du point de vue social ? Mais à l’exception de cette seule assertion, Béroul se borne à peindre, sans juger en moraliste ni dans un sens ni dans un autre. Tout au plus pourrait-on conclure qu’en s’abstenant de porter un jugement moral et en nous montrant un Dieu qui n’est pas vengeur, mais patience et miséricorde à l’égard du pécheur, il invite ses contemporains à s’abstenir de trancher à l’emporte-pièce. T. Hunt a d’ailleurs mis en évidence les indices d’une « bifocal vision of events, man’s eye and God’s eye »57, ce qui implique, comme l’a aussi remarqué J. Subrenat, qu’il pourrait « y avoir des distorsions entre la vérité que Dieu connaît et ce qu’en jugent les hommes »58. Plus exactement encore, il y aurait d’un côté la vie en société dont les impératifs ne peuvent être impunément ignorés et bafoués, et de l’autre le secret des consciences que pénètre Dieu seul. D’autre part, notre démontage de la structure a mis en évidence une articulation narrative qui, dans l’histoire fausse, dérobe la vérité aux yeux de la société : au départ, un flagrant délit qui ne constitue pas une preuve radicale de culpabilité, ensuite trois occasions successivement manquées d’établir publiquement l’exactitude des faits, c’est-à-dire la réalité de l’adultère et la cause d’excuse du philtre. Il importe de bien voir que Béroul s’est systématiquement refusé à confronter la société de son roman avec les véritables données du problème moral ; celles-ci sont en quelque sorte déposées entre les pages de l’histoire fausse à l’intérieur de laquelle elles ne jouent aucun rôle ; elles ne sont donc destinées qu’à inciter l’auditeur à une réflexion par devers soi. Pourquoi Béroul s’est-il dérobé à traiter le vrai drame en thème central ? Peut-être craignait-il un phénomène de rejet de la part de ses contemporains ? On peut en relever un indice à travers l’épisode de la première rencontre avec l’ermite. Cet épisode ne remplit aucune fonction dans la structure narrative. D’autre part, Béroul pouvait nous informer du philtre et de ses conséquences morales dans un dialogue entre les amants et, s’il voulait rappeler la doctrine de l’Eglise sur l’adultère, il pouvait le faire lors de la deuxième rencontre avec l’ermite. A quoi sert donc cette séquence ? Ogrin, homme religieux et de très grand cœur, est frappé d’une surdité complète à l’égard du vrai problème moral : comment escompter mieux de la part du commun des mortels ? Ainsi cet épisode pourrait n’avoir d’autre but que de faire deviner l’imperméabilité probable de la société du temps à un thème qui la heurtait de plein fouet : l’aliénation de la liberté par la passion et les conséquences qui en découlent du point de vue de la responsabilité et du châtiment. A propos de l’impact de notre mythe sur le public du XIIe et du XIIIe s., J.-Ch. Payen a montré que les romanciers ont cherché à en conjurer l’aspect inquiétant et que « la disparition totale ou partielle des plus anciens Tristan pourrait être l’effet d’une sorte de censure »59. N’est-ce pas une manière de conjurer le rejet des auditeurs que de les inciter constamment à une sympathie tout humaine pour les amants ? N’est-ce pas une astuce très habile destinée à la même conjuration que de rendre, dans un premier temps, les amants moralement inattaquables puisqu’ils sont la proie d’un enchantement magique ? Il ne doit pas nous échapper qu’ensuite Béroul transforme le thème de l’histoire vraie : les amants délivrés de l’emprise du philtre demeurent impuissants à renoncer à l’union charnelle et sont même incapables d’une séparation provisoire60 ; mais c’est seulement lorsque l’effet de choc sur l’auditeur est amorti que Béroul introduit ce nouveau thème, et il le fait d’une manière insidieuse et inavouée. L’auditeur pris au piège songe alors à ne plus voir dans le philtre qu’une simple figure médiatrice de la passion qui peut saisir les êtres sans qu’ils aient eu à boire un vin herbé.
31Finalement, nous ne pouvons pas voir dans le roman de Béroul un hymne à la passion exaltée comme une Grâce, ni encore moins une apologie masquée des droits de celle-ci face aux conventions religieuses et sociales. Il nous apparaît plutôt comme une histoire écrite par un esprit libre et réaliste pour nous donner à vivre et à méditer la peine insoluble de certaines destinées, peine dont la juste appréciation n’est pas du ressort des hommes.
Notes de bas de page
1 Nos citations reproduisent l’édition d’E. Muret revue par L. M. Defourques (Béroul, Le roman de Tristan, Paris, Champion, 1974). Nous ne signalons le texte de l’édition d’A. Ewert (The Romance of Tristan by Béroul, Oxford, Blackwell, 1971) que si une divergence entraîne un sens différent.
2 P. LE GENTIL, La légende de Tristan vue par Béroul et Thomas in Romance Philology, VII, 1953, p. 117 et 111.
3 A notre connaissance, seule R. Lejeune parle plutôt de « présomption de flagrant délit » (Les « influences contemporaines » dans les romans français au XIIe siècle in Le Moyen Age, LXVI, 1960, p. 147) ; comme elle ne cite que les taches de sang sur la farine répandue entre le lit royal et celui de Tristan, il est à craindre qu’elle n’ait gravement sous-estimé la charge de culpabilité : ce sont en effet les draps ensanglantés qui constituent un indice accablant ; Béroul y insiste à deux reprises (732, 750) et ajoute encore : « Ha ! Dieu, quel malheur que la reine n’ait pas ôté les draps du lit : cette nuit-là, ils n’auraient pas été convaincus de culpabilité » (752).
4 P. JONIN, Les personnages féminins dans les romans français de Tristan au XIIe, Gap, Orphrys, 1958 : voir surtout les p. 66, 61, 69, 70, 72.
5 En accord par exemple avec A. Vàrvaro (La teoria dell’archetipo Tristaniano in Romania, 88, 1967, p. 13) et avec T. Hunt (Aberlardian Ethics and Béroul’s Tristan in Romania, 98, 1977, p. 538, no 1), mais en désaccord par exemple avec J.-Ch. Payen (Le motif du repentir dans la littérature française médiévale (Des origines à 1230), Genève, Droz, 1968, p. 335) et avec M. Tyssens (Une « lecture plurielle » de Tristan et Yseut in Notes critiques de Cahiers d’analyse textuelle, XV, 1973, p. 113), nous pensons qu’il n’existe pas d’argument décisif pour interdire de lire et d’interpréter Béroul comme tel et en lui-même, c’est-à-dire sans asservir toute interprétation à l’archétype littéraire reconstitué par Bédier.
6 Pour se tirer d’embarras, on a évidemment songé à voir dans l’assassinat du premier baron par Governal un passage interpolé (voir A. EWERT, op. cit., vol. II, p. 174).
7 Paris, Larousse, 1972, chap. II, p. 53-82, et particulièrement p. 81.
8 Sans doute C. A. Van Coolput a-t-elle perdu de vue ces vers lorsqu’elle affirme : « Le roi n’est pas dupe de ce qu’il voit » et édifie là-dessus tout un développement hasardeux (Le roi Marc dans le Tristan de Béroul in Le Moyen Age, LXXXIV, 1978, p. 42-45).
9 P. JONIN, Le Roman de Tristan traduit de l’ancien français, Paris, Champion, 1974, p. 78.
10 H. BRAET, Béroul, le Roman de Tristan, version complète en français moderne, Gand, Ed. scientifiques E. Story-Scientia, 1974, p. 39.
11 Voir par exemple les occurrences les plus évidentes selon nous : 1550, « malheur » et 2016, « erreur funeste » ; voir aussi J. H. CAULKINS, The Meaning of « pechié » in the Romance of Tristan by Beroul, in Romance Notes, XIII, 1971, p. 545-9.
12 T. B. W. Reid (The « Tristan » of Beroul, A textual commentary, Oxford, Basil Blackwell, 1972, p. 63) restitue la leçon du manuscrit « qu’il repente » dans le vers 1655, leçon généralement corrigée en « q’el repente de la folie » ; d’où le sens : « Tristan se tourmente si fort qu’Yseut vive à cause de lui dans la discorde, qu’il regrette la folie ».
13 P. LE GENTIL, op. cit., p. 112, et L’épisode du Morois et la signification du Tristan de Béroul, in Studia philologica et litteraria in honorent L. Spitzer, Berne, 1958, p. 272.
14 J. FRAPPIER, Structure et sens du Tristan : version commune, version courtoise, in Cahiers de Civilisation médiévale, VI, 1963, p. 268.
15 J. SUBRENAT, Sur le climat social, moral, religieux du Tristan de Béroul, in Le Moyen Age, LXXXII, 1976, p. 235 et 241.
16 J.-Ch. PAYEN, op. cit., p. 341.
17 T. HUNT, op. cit., p. 511.
18 A. VARVARO, Il « Roman de Tristan » di Beroul, Turin, Bottega d’Erasmo, 1963, p. 108.
19 P. LE GENTIL, op. cit., respectivement p. 112 et 272.
20 J. FRAPPIER, op. cit., p. 270.
21 J.-Ch. PAYEN, op. cit., p. 354.
22 J. Subrenat étudie la validité objective du mariage de Marc et d’Yseut et conclut qu’il est entaché de nullité par suite du consentement vicié d’Yseut (op. cit., p. 229). L’auteur précise d’autre part que cela ne signifie pas que Béroul y ait songé (p. 226). Remarquons en outre que, selon les vers 2193 et 2563, Béroul semble plutôt considérer la publicité comme élément essentiel de la validité de l’acte.
23 Ce qui est le sens retenu tant par P. Jonin (op. cit., p. 103) que par H. Braet (op. cit., p. 58).
24 J. MARX, Observations sur un épisode de la légende de Tristan, in Recueil Clovis Brunel, Paris, 1955, p. 271.
25 Le vers 2264 est traduit « puisque vous voulez abandonner le péché » par P. Jonin (op. cit., p. 107) et « que vous vouliez renoncer au péché » par H. Braet (op. cit., p. 61).
26 H. Braet traduit : « Si l’envie vous est venue de vous repentir, ce ne pouvait arriver plus opportunement » (op. cit., p. 61) ; P. Jonin : « Si maintenant vous étiez pris de remords, cela ne pourrait arriver plus à propos » (op. cit., p. 107) ; T. B. W. Reid : « The meaning intended must be either” If the desire to repent were ever to come to you, it could not come at a better time than now” or” If the desire to repent has now come to you, it could never have come at a better time” » (op. cit., p. 83).
27 Vers 4276, 4280, 4288, 4332.
28 T. Hunt : « As the potion wanes the act of adultery is discontinued... » et « with the waning of the potion and the introduction of the concent the adultery ceases » (op. cit., p. 531) et « As the force of the potion abates, honewer, Tristan expresses consent only to the divine will » (p. 530).
29 Vers 128, 800, 2229, 2854.
30 A. EWERT, op. cit., vol. II, p. 256 : « orlois not attested elsewhere ; orlage is recorded in Tobler-Lommatzsch with the meaning” sexual excitement demeine denotes that which is owned as of right or by title. Translate : ”with her who is his very own”. »
31 A. PAUPHILET, Le legs du moyen âge, Paris, MCML, p. 129.
32 Vers 1360, 1430, 1639, 1648, 1272, 1424, 1770, 2121, 2128, 2599.
33 Vers 1535, 1538, 1562, 1600.
34 Vers 1300, 1562, 1651, 2123, 2128.
35 Vers 1535, 1538, 1600, 2108.
36 Vers 1535, 2073.
37 Vers 1740, 2079.
38 Vers 1297, 1425, 1644, 1645, 1789.
39 Vers 1594, 1597, 1604, 1638, 1676, 1783, 1784, 2131, 2135.
40 Vers 1425, 1562.
41 Voir note 12.
42 T. B. W. REID, op. cit., p. 84 : à propos de si que n’i falle du vers 2303.
43 C’est la traduction de l’éd. Muret-Defourques (op. cit., p. 144), commentée en ces termes : « Aucun des deux ne sent sa souffrance à cause de la présence de l’autre ». Cette traduction est la plus littérale mais elle ne tient pas compte du qar qui commence le vers 1650 et qui est très embarrassant. Les traductions de P. Jonin (op. cit., p. 86) et de H. Braet (op. cit., p. 45) sont plus libres et de sens équivalent. L’explication de E. Vinaver (Cahiers de civilisation médiévale, XI, 1968, p. 7) est à notre avis peu convaincante. Elle est aussi rejetée par T. B. W. Reid (op. cit., p. 62) qui conclut à la nécessité de certaines corrections du manuscrit aboutissant, nous semble-t-il, au sens suivant : « Chacun d’eux souffre une peine égale, mais l’un éprouve la douleur à cause de l’autre » (idée qui est expliquée par les vers suivants).
44 E. Vinaver (op. cit., p. 7-8) nous paraît exagérer lorsqu’il prend l’expression ne sent mal au sens littéral et aboutit à conclure que les amants sont insensibles à la douleur et indifférents aux périls.
45 J. SUBRENAT, op. cit., p. 237.
46 Dans leur traduction des vers 2276-7, « Par qoi a joie pardurable Porron ancore bien venir », P. Jonin (op. cit., p. 107) et H. Braet (op. cit., p. 61) se bornent à transposer ancore par encore. Selon nous, il est opportun de le traduire par « un jour, à l’avenir » (voir Ph. MÉNARD, Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux, Sobodi, 1973, no 310, 1°).
47 aaisement est traduit par Muret-Defourques (op. cit., p. 158) : « aise, bien-être matériel » ; par A. Ewert : « comfort » (op. cit., vol. I, p. 135) et « they had their solace » (op. cit., vol. II, p. 181) ; les deux vers sont traduits par H. Braet (op. cit., p. 48) : « mais grâce à l’autre, aucun des deux n’en souffre et ils ont bien leurs joies » ; par P. Jonin (op. cit., p. 90) : « Mais en raison de l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre, les deux amants ne souffrent pas. Il partagent un grand bonheur ».
48 F. BARTEAU, op. cit., p. 131-180, et particulièrement les p. 152, 159, 160.
49 M. TYSSENS, op. cit., p. 112.
50 J. DUFOURNET, Notes à propos d’une lecture plurielle des romans de Tristan et Yseut, in Revue des langues romanes, LXXX, 1972, p. 424.
51 F. BARTEAU, op. cit., p. 140.
52 Ibid., p. 150.
53 T. Hunt (op. cit., p. 505) met en évidence que les indices extérieurs servent à Marc de critère de jugement ; toutefois, il ne fait cette observation qu’à l’appui d’une argumentation qui blanchit les amants et noircit à outrance le roi, entreprise qui nous paraît irrecevable et dont P. S. Noble a montré la faiblesse (Le roi Marc et les amants dans le Tristan de Béroul, in Romania, 406, 1981, p. 221).
54 Cet aspect a été remarqué par T. Hunt (op. cit., p. 528), mais nous ne pouvons accepter la perspective par trop simpliste et naïve dans laquelle il est intégré, à savoir que les mensonges des amants ne sont que péché véniel, car ils ne mentent que dans l’intention de sauver l’honneur de Marc. Comme s’ils ne sauvaient pas d’abord leur tête, leur propre honneur, leurs chances de réinsertion sociale.
55 A. VARVARO, op. cit., p. 176.
56 T. HUNT, op. cit., p. 506.
57 J. SUBRENAT, op. cit., p. 261.
58 T. HUNT, op. cit., p. 529.
59 J.-Ch. PAYEN, Lancelot contre Tristan : la conjuration d'un mythe subversif (Réflexions sur l’idéologie romanesque au moyen âge), in Mélanges Le Gentil, p. 617-32.
60 La thèse de T. Hunt (op. cit.) tendant à démontrer l’innocence des amants selon la doctrine d’Abelard a la faiblesse de nier l’existence de ce nouveau thème.
Auteur
Chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis
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