Intérêts et justification des normes pratiques
À propos du raisonnement moral selon R. M. Hare
p. 299-318
Texte intégral
1Dans un livre consacré aux justifications politiques du capitalisme avant son apogée, Albert Hirschman met en évidence le fait que les passions et les intérêts constituent aux XVIIe et XVIIIe siècles un thème essentiel dans la pensée morale et politique1. Soucieux de prendre appui sur une connaissance de l’homme tel qu’il est, de nombreux auteurs, de Hobbes à Adam Smith, en passant par Mandeville, Bacon et Hume, évoquent les passions qui influencent la conduite humaine. Par ailleurs, comme le révèle en toute clarté l’exemple de Hobbes, plusieurs de ces penseurs se préoccupent de savoir comment établir et justifier un ordre social et politique à la lumière des connaissances acquises sur la nature humaine.
2Hirschman souligne à cet égard les stratégies proposées et il distingue en particulier celle qui vise à exploiter l’ensemble des passions et celle qui vise à faire jouer certaines passions ou certains intérêts contre d’autres afin de créer un ordre socio-politique durable et légitime. Ainsi, chacun sait que selon Hobbes, la recherche agressive des richesses, de la gloire et du pouvoir peut être neutralisée par l’intérêt que représentent pour les hommes la préservation de leur existence et l’assurance d’une vie agréable.
3Reconstituant la généalogie de cette stratégie de neutralisation des passions par les intérêts, Hirschman évoque la pensée de Machiavel qui est à l’origine d’une première consécration de l’idée d’intérêt, dans un essai du duc de Rohan publié en 1638, De l’intérêt des princes et Etats de la chrétienté. L’intérêt y est conçu comme le mobile qui doit guider l’action rationnelle et calculatrice du Prince cherchant à accroître sa richesse, son pouvoir et son influence. Hirschman analyse ensuite la transition qui s’est opérée, particulièrement en Angleterre, de l’intérêt du souverain aux intérêts des groupes sociaux et des individus, ainsi que l’évolution sémantique du terme dont le sens, au XVIIe siècle, tend à se limiter à la recherche d’avantages matériels ou économiques.
4Hirschman souligne également l’importance qu’acquiert au XVIIIe siècle l’idée que le comportement des hommes est fondamentalement guidé par l’intérêt, quels que soient par ailleurs les jugements portés sur ce fait. Enfin, évoquant entre autres l’exemple de Montesquieu, il relève qu’à cette époque plusieurs auteurs considèrent que les activités finalisées par la recherche du gain présentent des avantages politiques. Ces activités lucratives, et en particulier la pratique du commerce, sont considérées comme des activités calculatrices et prévisibles qui tempèrent les passions destructrices, qui adoucissent les mœurs. Il faudra attendre Adam Smith pour que soit reconnue la valeur proprement économique des activités lucratives privées.
5L’étude d’Albert Hirschman a le mérite de révéler le contexte politique et économique dans lequel la notion d’intérêt est devenue significative à l’époque moderne. Ce contexte est celui de la progression d’un type de rationalité qu’on peut qualifier, avec J. Habermas, de rationalité stratégique2. Cette rationalité relève de la rationalité instrumentale qui caractérise l’action orientée vers le succès. Dans ce type d’activité, le sujet cherche à réaliser les objectifs qu’il a choisis en utilisant les moyens qu’il juge appropriés. La rationalité instrumentale est donc animée par un calcul égocentrique d’utilité. L’action instrumentale se transforme en action stratégique lorsque le sujet, entre autres moyens, cherche à influencer les décisions d’autrui. Habermas donne deux exemples d’activités stratégiques : les relations de pouvoir, établies dans le cadre de rapports de domination, et les relations marchandes. Ces exemples correspondent précisément aux deux domaines, politique et économique, qui sont évoqués par Hirschman pour souligner l’importance de la notion d’intérêt. Tout en suivant la piste que livre la notion d’intérêt, l’ouvrage d’Albert Hirschman révèle, dans le domaine de l’histoire des idées, comment la rationalité instrumentale et stratégique est devenue un modèle essentiel d’analyse et de justification du comportement humain, ainsi que de l’organisation politique et économique. Ce modèle implique certains présupposés parmi lesquels on doit relever :
l’autonomie des agents appelés à choisir leurs objectifs ;
la concurrence entre les agents dans la recherche des moyens nécessaires à la réalisation de leurs objectifs ;
l’aptitude des agents à calculer les conséquences des moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs3.
6Admettant que la notion d’intérêt est liée de manière significative, depuis l’époque moderne, à l’extension de la rationalité instrumentale et stratégique, nous voudrions aborder dans les pages qui suivent le problème de la légitimation ou de la justification éthique des normes pratiques que constituent les normes morales et les normes juridiques. Si l’on admet que les interactions sociales correspondent, au moins partiellement, à ce modèle de rationalité, l’on peut se demander s’il est possible de justifier la force obligatoire des normes pratiques, qu’elles soient morales ou juridiques, en fonction de ce modèle de la poursuite rationnelle des intérêts. Faute de pouvoir traiter ici ce problème dans toute son ampleur, nous voudrions l’aborder en examinant certaines théories contemporaines de l’éthique qui accordent une position centrale à la notion d’intérêt. A cet égard, nous devrons toutefois nous limiter à l’examen des thèses d’un seul auteur. R.M. Hare, telles qu’elles sont exposées dans deux de ses ouvrages principaux : Freedom and Reason4 et Moral Thinking. Its Levels, Method, and Point5. Notre examen ne portera que sur le rôle de la notion d’intérêt dans la justification de la validité des normes pratiques.
I. Les intérêts et le raisonnement moral
7Dans la partie centrale de son livre Freedom and Reason, R.M. Hare propose un type de raisonnement permettant de justifier les jugements moraux. Ce raisonnement est dépendant des deux caractéristiques du jugement moral, à savoir de son caractère prescriptif et de son caractère universalisable. En vertu de son caractère prescriptif, le jugement moral implique un impératif qui requiert de l’agent un comportement déterminé et auquel l’agent est censé adhérer. Par ailleurs, le jugement moral est universalisable parce qu’il consiste à mettre en œuvre un principe moral dont l’agent doit accepter l’application dans toute situation similaire à celle qui est visée par ce jugement, quels que soient le rôle ou la position qu’occuperait l’agent dans une situation de ce genre.
8Nous n’examinerons pas ici la manière dont Hare justifie ces traits et, en particulier, le second6. Rappelons seulement que Hare propose à ce sujet une analyse sémantique et logique qui concerne les termes moraux7. A ses yeux, c’est parce que ces termes ont pour partie une signification descriptive, déterminée par des règles sémantiques, que les jugements qui les mettent en œuvre sont universalisables. A partir du moment où une règle sémantique nous permet d’appliquer un terme descriptif à tel ou tel objet dont il a pour fonction de décrire certains traits, la cohérence nous impose d’appliquer également ce terme à tout autre objet présentant les mêmes traits pertinents. Quoique les règles régissant l’usage des termes moraux ne soient pas de simples règles sémantiques, mais aussi des règles qui relèvent de la morale, elles entraînent la même exigence logique de cohérence et d’universalisation.
9Si nous avons rappelé cette thèse principale de Hare, c’est pour deux raisons. La première tient dans notre volonté de rejeter une objection préliminaire. Hare soutient en effet que son analyse des jugements et des raisonnements moraux ne peut s’appliquer aux normes juridiques. Les jugements juridiques, concernant la licéité d’un comportement déterminé, ne seraient pas universalisables car ils feraient appel à des nonnes relevant d’un système juridique particulier au-delà duquel leur validité ne s’étend généralement pas8. Dès lors, l’on pourrait considérer que les thèses de Hare ne constituent pas un objet pertinent pour étudier les justifications de la validité des normes juridiques.
10En réalité, si l’on accepte l’analyse logico-sémantique de Hare, cette exclusion des normes juridiques paraît critiquable. Même s’il implique une référence à une norme relevant d’un système juridique déterminé, le jugement juridique contraint logiquement son auteur à admettre que ce jugement est applicable à tout autre acte du même type qui rentrerait dans le champ d’application de normes ayant un contenu équivalent, même si ces normes relèvent d’un ordre juridique différent9. Par ailleurs, Hare admet que l’on puisse être conduit à devoir justifier, du point de vue de la morale, la force obligatoire des normes juridiques10.
11La seconde raison tient dans l’importance que Hare attache à l’universalisabilité des jugements moraux. La personne qui porte un tel jugement sur un acte doit admettre, sous peine d’incohérence, que ce jugement doit être porté sur tout acte similaire11. Ainsi, le jugement moral implique des principes, généraux ou spécifiques, explicites ou implicites, qui doivent être appliqués avec cohérence. Dès lors, la personne qui se demande quelle conduite elle doit adopter d’un point de vue moral, doit être prête à justifier son jugement par un principe applicable dans toute situation analogue. A cet égard, en des termes très kantiens, Hare souligne que l’homme sage doit se demander comment il doit agir, sachant qu’en adoptant telle ou telle conduite, il prescrit à chacun d’agir de la même façon dans les mêmes circonstances12. Ainsi doit-il se demander ce qu’il peut accepter comme règle d’application universelle dans des situations analogues, quel que soit le rôle qu’il pourrait jouer dans ces situations13.
12Le type d’argumentation morale proposé par Hare doit permettre de répondre à cette interrogation. Pour illustrer ce raisonnement, Hare propose deux exemples que nous allons successivement évoquer.
13Le premier exemple14 est celui d’un créancier B qui, sachant que le droit positif lui offre cette faculté, se demande s’il est moralement légitime de faire incarcérer son débiteur A pour le contraindre à exécuter ses obligations. Par ailleurs, B est lui-même débiteur vis-à-vis d’une troisième personne : C. B désire utiliser cette prérogative car elle lui permettra d’obtenir satisfaction. Mais B s’interroge sur la légitimité morale de cette initiative. Selon Hare, puisque B adopte le point de vue de la morale, il doit admettre que la mesure envisagée implique et se justifie par un principe universellement applicable dans des situations de ce genre. Dès lors, B doit se demander s’il peut accepter le principe en vertu duquel tout créancier devrait faire incarcérer son débiteur lorsque ce dernier n’exécute pas spontanément ses obligations. Or, B étant lui-même débiteur vis-à-vis de C, il doit par ailleurs admettre que l’adoption d’un tel principe pourrait avoir pour conséquence qu’il soit à son tour l’objet de cette mesure de contrainte prise à l’initiative de C. Etant donné que B n’est pas prêt à accepter cette conséquence qu’il juge indésirable, il ne pourra pas accepter le principe qu’il se proposait de suivre.
14Hare souligne que cet exemple met en jeu trois conditions : un ensemble de faits, ensuite les implications « logiques » de l’obligation morale (prescriptivité et universalisabilité) et, enfin, certaines inclinations du sujet, en l’espèce le désir de ne pas être incarcéré15.
15Cependant, l’on voit que dans cet exemple, ce sont précisément les inclinations du sujet, et les intérêts qui y sont liés, qui forment la pierre angulaire du raisonnement. Le principe moral est rejeté par le sujet parce que ce dernier juge inacceptables, en fonction de certains de ses désirs ou de ses intérêts, les conséquences que l’application de ce principe entraînerait pour lui. Hare estime néanmoins que ce n’est pas la crainte de B, concernant une éventuelle incarcération, qui justifie le rejet du principe en jeu. Il considère que B devrait aboutir à la même conclusion, même si les circonstances étaient différentes et, en particulier, si B n’était pas débiteur vis-à-vis de C. Selon Hare, il importe seulement, d’un point de vue moral, que B soit capable de faire abstraction de la position qu’il occupe dans le cas d’espèce et d’imaginer quels seraient ses désirs et ses intérêts s’il occupait la position de son débiteur16. Ainsi, il semble que selon Hare, ce soit le caractère universalisable de tout principe moral applicable dans une situation déterminée qui contraigne le sujet à tenir compte, de manière impartiale, des désirs ou des intérêts de toutes les personnes que cette situation concerne, « comme s’ils étaient les siens »17. Dès lors, le raisonnement proposé implique en général une quatrième condition, à savoir la capacité du sujet d’imaginer ce que seraient ses désirs ou ses intérêts s’il occupait la position d’autrui. Il n’en demeure pas moins, et Hare l’admet explicitement18, que le raisonnement proposé est fondé sur l’intérêt personnel du sujet, intérêt qui forme le critère en vertu duquel le sujet acceptera ou refusera l’universalisation des principes moraux19.
16Selon Hare, ce raisonnement tend dès lors à mettre en œuvre la « règle d’or », selon sa formulation négative courante : ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te fasse20. Or, lorsqu’elle est formulée dans ces termes, cette règle fait des préférences du sujet le critère dont dépend le choix d’un mode d’action. Certes, le raisonnement proposé par Hare exige que le sujet imagine ce que seraient les inclinations d’autrui s’il occupait la position de ce dernier et qu’il tienne compte, de manière impartiale, de ces inclinations. Cependant, à ce stade, il s’agit bien pour le sujet d’anticiper ce que seraient ses propres désirs, s’il était à la place d’autrui. Ainsi, puisque les intérêts d’autrui sont saisis à travers le prisme de la sensibilité du sujet, ce sont les intérêts personnels de ce dernier qui demeurent le fondement de l’argumentation. Dans ce premier exemple, le caractère unilatéral de ce point de vue est masqué par le fait que le créancier B et le débiteur A sont supposés avoir le même désir, à savoir celui de ne pas être incarcéré. Afin d’établir la portée générale du raisonnement qu’il propose, Hare avance un second exemple qui, à la différence du précédent, met aux prises les titulaires d’intérêts opposés.
17Soit deux voisins, A et B, dont le premier souhaite écouter de la musique classique, tandis que le second désire interpréter à la trompette des morceaux de jazz. Selon Hare, B ne saurait admettre la solution qui consisterait à lui permettre d’exercer sans restrictions ses talents de trompettiste, même lorsque son voisin A écoute de la musique classique. En effet, cette solution impliquerait le principe selon lequel chacun peut ignorer les désirs d’autrui. Or, si ce principe était admis, il pourrait être appliqué à l’encontre des intérêts de B, ce qui est une conséquence que B juge indésirable. Dès lors, B doit dans une certaine mesure tenir compte des intérêts de A, comme s’il s’agissait des siens. Par conséquent, selon Hare, B ne peut donner son accord qu’à une solution tendant à partager entre A et lui-même, dans des proportions qui restent à déterminer, le temps disponible pour la pratique de leurs occupations favorites21.
18Hare souligne désormais que cette argumentation implique que B se place en imagination dans la position de A, avec les préférences de ce dernier. C’est précisément en cela qu’il s’agirait d’une argumentation morale qui contraindrait B à renoncer à une attitude purement égoïste. Néanmoins, comme dans l’exemple précédent, l’on constate que la solution repose sur la volonté de B tendant à sauvegarder ses propres intérêts, dans les limites qu’impose la situation et, en particulier, le voisinage de A et de ses intérêts opposés. Si B accepte la solution tendant à restreindre la satisfaction de ses intérêts, c’est parce qu’une solution différente impliquerait un principe moral dont l’application pourrait entraîner des conséquences encore plus défavorables pour ses intérêts22.
19Selon Hare, le type de raisonnement proposé permet de résoudre les conflits d’intérêts opposant un grand nombre de parties. Conduisant à une solution qui est à la fois prescriptive et universalisable, le raisonnement moral exige du sujet qu’il prenne en considération, de manière impartiale, les intérêts de toutes les parties en cause23. De plus, Hare prétend que l’exigence d’universalisabilité implique que le sujet donne en principe un poids égal aux intérêts des diverses parties24. Cette exigence formelle (?) serait à la base de l’utilitarisme, dans la mesure où elle conduirait le sujet à admettre que la meilleure solution morale est celle qui favorise dans toute la mesure du possible les intérêts de toutes les parties en jeu25.
20Après avoir présenté le type de raisonnement proposé par Hare pour justifier les jugements moraux, nous voudrions évoquer les limites de son champ d’application. L’examen de ces limites nous permettra, non seulement de préciser le sens de la notion d’intérêt utilisée par Hare, mais aussi d’ouvrir la voie à la critique du raisonnement en cause, critique qui formera l’objet de la seconde partie de notre exposé.
21Dans Freedom and Reason, Hare reconnaît que ce raisonnement ne semble pas permettre de résoudre tous les problèmes moraux26. Dans les deux exemples précédents, l’on était confronté avec des conflits qui mettaient en jeu des intérêts. Or, il existe par ailleurs des conflits qui mettent en jeu, non plus des intérêts, mais des idéaux opposés. A cet égard, Hare souligne le fait qu’un même comportement peut être jugé de manière différente selon que l’on tient compte, soit des intérêts des personnes en cause, soit d’un idéal déterminé. Ainsi, pour prendre l’exemple avancé par Hare, un spectacle de strip-tease peut être considéré comme répondant aux intérêts des parties en cause ou, en tout cas, de la jeune femme qui, moyennant rétribution, dévoile ses charmes au public et des spectateurs qui paient pour pouvoir les admirer. Cependant, cette même activité risque d’être jugée « dégradante », non pas en fonction des intérêts en jeu, mais à la lumière d’un idéal déterminé.
22Selon Hare, l’idéal est un modèle de perfection humaine27 qui, à en juger selon les exemples donnés, concerne notamment le comportement individuel en général, les activités professionnelles ou la vie politique. Un tel modèle peut être fondé sur des doctrines morales, religieuses ou politiques.
23Par contre, les intérêts recouvrent seulement l’objet des désirs individuels. « Avoir un intérêt », nous dit Hare, « désigne quelque chose que l’on désire ou que l’on désirera probablement dans l’avenir, ou encore ce qui est (ou sera vraisemblablement) un moyen nécessaire ou suffisant pour l’acquisition de ce que l’on désire ou de ce que l’on désirera probablement »28. Certes, le fait d’adopter un idéal engendre un intérêt pour la réalisation de cet idéal. Mais, selon Hare, il importe de distinguer ces deux types de critères ou de justifications qu’il qualifie d’utilitaires et d’idéalistes. Pour expliciter cette distinction, Hare se réfère également à la notion d’intérêt définie, non plus en termes de désir ou de volonté, mais en termes de besoins (needs), ce qui correspond d’ailleurs à un autre sens du verbe to want. Ainsi déclare-t-il que, même s’il peut y avoir des relations entre eux, les idéaux sont « logiquement indépendants » des « besoins » humains et que les premiers ne correspondent pas nécessairement aux seconds29.
24Or, selon Hare, les conflits qui portent, non sur des intérêts divergents, mais sur des idéaux incompatibles, ne semblent pas pouvoir être résolus grâce au type de raisonnement précédemment analysé30. La diversité des idéaux qui sont adoptés par les individus peut engendrer des conflits d’appréciation à propos desquels le philosophe ne peut proposer de solution rationnelle et définitive.
25Pour rendre compte de cette difficulté, Hare invoque deux ordres de raisons. Il souligne d’abord que les désirs ne sont pas nécessairement universalisables, en ce sens que si le sujet désire une chose déterminée, cela ne le contraint pas à désirer qu’autrui, placé dans les mêmes circonstances, obtienne également cet objet. Dès lors, par cela qu’ils ne sont pas universalisables en eux-mêmes, les intérêts se plient aisément à l’exigence d’universalisabilité que la morale leur impose et qui permet de résoudre les conflits par la voie des restrictions et des compromis précédemment évoqués. Par contre, les idéaux impliquent une prétention d’universalisabilité qui fait obstacle aux restrictions qu’impose le raisonnement moral31.
26Par ailleurs, Hare relève qu’à la différence d’une personne dont l’action est motivée par des considérations d’intérêt personnel et qui peut donc être sensible au sort qui serait réservé à ses intérêts si elle occupait la position d’autrui, le partisan d’un idéal, pour peu que ses convictions soient passionnées, tend à écarter toute considération d’intérêts dans la poursuite de son idéal. Un tel idéalisme n’a rien à voir avec « une moralité qui peut être créée grâce à l’universalisation de l’intérêt personnel »32.
27Le caractère irréductible des conflits d’idéaux suscite précisément des difficultés lorsque ces conflits risquent d’avoir des conséquences pour les intérêts, non seulement des adeptes de ces croyances, mais aussi des tiers. Nous venons de rappeler que les partisans d’idéaux, pour autant qu’ils soient fermement attachés à leurs croyances, ont une propension à être indifférents à l’égoïsme rationnel qui sous-tend l’argumentation morale proposée par Hare. Cette tendance est portée à son comble chez ceux qui sont fanatiquement attachés à leur idéal. Hare donne à ce sujet l’exemple d’un nazi qui est prêt, pour assurer la réalisation de son idéal, à sacrifier non seulement les intérêts d’autrui, et en particulier des juifs, mais aussi ses propres intérêts33. Selon Hare, l’argument qu’un libéral pourrait opposer au nazi, à savoir l’argument selon lequel ce dernier devrait tenir compte des intérêts qui seraient les siens s’il était à la place de ses victimes, est un argument qui risque de demeurer vain. Dans la mesure où le fanatique est prêt à tout sacrifier pour faire triompher son idéal, il ne peut que rester sourd aux arguments fondés sur l’universalisation de l’intérêt personnel. Tout en déclarant que les fanatiques de cette espèce sont extrêmement rares, Hare doit reconnaître que l’argumentation morale est impuissante devant des croyances extravagantes que leurs adeptes jugent supérieures, non seulement à tout autre idéal, mais aussi à tout intérêt individuel34.
28Dans son livre plus récent. Moral Thinking, Hare ne souligne plus la distinction entre intérêt et idéal. Intérêts et idéaux semblent réduits à un commun dénominateur, celui des préférences individuelles. Selon Hare, la pensée critique, qui permet de justifier des principes moraux ou de résoudre d’éventuels conflits entre eux35, requiert de prendre en considération de manière impartiale les préférences de toutes les personnes en cause36, afin de choisir les principes permettant d’assurer leur plus grande satisfaction possible. Cela implique que nous tenions compte des préférences d’autrui. A ce sujet, Hare souligne à nouveau que nous devons essayer de savoir comment autrui apprécierait les conséquences de telle ou telle action, compte tenu des préférences qui sont les siennes37 : nous devons nous placer en imagination dans la situation d’autrui, avec ses préférences. Néanmoins. Hare nous dit que nous ne pouvons savoir comment autrui apprécierait les conséquences d’un comportement déterminé, si nous n’avons pas nous-mêmes des préférences ou des aversions équivalentes à celles d’autrui38. Il nous semble que cette conception ne s’écarte pas d’un certain égocentrisme puisque la reconstitution des préférences d’autrui reste tributaire des préférences du sujet. Hare reconnaît d’ailleurs que c’est grâce à un raisonnement analogique que nous pouvons imaginer les expériences d’autrui39.
29Quoi qu’il en soit, la justification des principes moraux suivant la démarche proposée par Hare paraît évidemment malaisée lorsque les préférences des personnes en cause sont en conflit. Nous savons que le sujet doit tenir compte, non seulement de ses propres préférences, mais aussi des préférences opposées qu’il aurait s’il était à la place d’autrui et s’il avait les inclinations de ce dernier. Or, selon Hare, le sujet devra résoudre ce conflit de préférences en tenant compte de leur intensité respective, de manière à accorder la priorité aux désirs de « force supérieure »40. En effet, du point de vue de la pensée critique, les préférences des intéressés sont prises en considération en tenant compte de leur force ou de leur intensité, sans qu’aucune distinction ou hiérarchie soit établie entre ces préférences en fonction de leur contenu41.
30En donnant à la pensée morale critique l’objectif de maximiser la satisfaction des préférences. Hare estime pouvoir montrer que l’attitude du fanatique ne constitue plus une limite pour l’argumentation morale42.
31Si l’on laisse de côté l’hypothèse dans laquelle le fanatique est incapable ou refuse de justifier ses principes grâce à la pensée critique (fanatique « impur »), l’on peut voir que la démarche du fanatique qui accepte de mettre ses principes à l’épreuve de la critique (fanatique « pur ») peut être analysée dans les termes proposés par Hare. En l’espèce, le fanatique qui veut justifier sa conduite doit d’abord prendre en considération les préférences d’autrui, et en particulier celles des personnes dont la situation serait transformée si le fanatique agissait conformément à son idéal. Le fanatique doit imaginer quelles seraient ses préférences s’il était précisément dans la situation d’autrui, compte tenu des désirs de ce dernier. Ensuite, le fanatique doit mettre en balance, d’une part, ses propres préférences visant à la réalisation de son idéal, et, d’autre part, les préférences qu’il aurait s’il était à la place d’autrui. Or, selon Hare, cette comparaison des préférences conduit le fanatique à un dilemme43. Soit il peut constater que les préférences d’autrui, qui sont devenues les siennes en imagination, ont une intensité supérieure à celle de son désir de respecter son idéal. Il doit alors donner la priorité aux préférences d’autrui. Mais, ce faisant, il cesse par là même d’être un fanatique. Soit il constatera que son désir de réaliser l’idéal qu’il a adopté est plus fort que les préférences d’autrui. Alors, selon Hare, la pensée critique autorise le fanatique à donner la priorité à ses préférences personnelles. Mais, dans ce cas, pour aboutir à cette conclusion, le fanatique n’a pas besoin d’être un fanatique. Il apparaît seulement comme un être doté de préférences fantastiquement fortes. Dès lors, ce dilemme suffit à prouver que le raisonnement proposé est apte à rendre compte des attitudes du fanatique, et que ce dernier ne représente ni une limite, ni une objection par rapport à ce raisonnement. Hare concède que la conclusion de la seconde branche du dilemme risque de heurter nos intuitions morales. Mais il estime que cela ne permet pas de justifier une objection. Si cette conclusion heurte nos intuitions, cela ne résulte pas du raisonnement mis en œuvre, mais seulement de l’hypothèse retenue qui apparaît comme absolument anormale ou exceptionnelle. Si cette conclusion peut sembler rebutante, cela n’est pas imputable à la démarche suivie, mais à l’hypothèse envisagée dans laquelle une personne est dotée de préférences extraordinairement intenses et rigides. Une telle hypothèse, dont la réalisation est tout-à-fait improbable, ne saurait servir d’objection contre le raisonnement moral proposé. Ainsi, tandis que la démarche du fanatique pur peut être réduite au raisonnement exposé par Hare, l’existence d’un tel fanatique paraît empiriquement exclue44.
II. Réflexions critiques
32Dans les remarques qui suivent, nous n’aborderons pas les problèmes de cohérence interne posés par les thèses de Hare. A ce sujet, plusieurs auteurs ont critiqué la manière dont Hare prétend déduire du principe logique d’uni versalisabilité le principe selon lequel l’agent doit tenir compte, de façon impartiale, des intérêts de toutes les parties45, ou encore le principe utilitariste qui requiert de prendre en considération les préférences de toutes les parties et de comparer leur intensité respective46. Laissant de côté la question de la cohérence de la démarche suivie par Hare, nous n’aborderons que le problème de la justification des jugements moraux en fonction des intérêts.
33En exposant les thèses développées dans Freedom and Reason, nous avons souligné que l’argumentation morale proposée par Hare fait dépendre le choix de principes d’action, non seulement de la contrainte logique que représente l’universalisabilité, mais surtout des intérêts de l’agent, intérêts qui sont conçus en termes d’inclinations et de désirs. Hare reconnaît d’ailleurs que ce qui nous empêche d’accepter certains jugements moraux, ce n’est pas la logique à elle seule, mais le fait que ces jugements ont certaines conséquences que nous ne pouvons accepter47. Or, nous avons vu que, du point de vue de l’agent, la possibilité d’accepter ces conséquences se mesure en fonction de ses intérêts personnels, même s’il s’agit d’intérêts qui seraient les siens s’il occupait la position d’autrui et s’il adoptait les préférences de ce dernier. Ainsi Hare peut-il déclarer que ce qui limite le choix des prescriptions morales, ce sont les désirs et les inclinations du genre humain48.
34Cette thèse suscite un premier ordre d’objections qui ont d’ailleurs été soulevées par plusieurs auteurs. En premier lieu, l’on peut se demander si le raisonnement proposé par Hare, et en particulier l’usage qu’il fait de la « règle d’or », permet de justifier des principes moraux. Ce raisonnement, fondé sur l’universalisation du self-interest, ne semble pas dépasser les limites de la prudence, c’est-à-dire des contraintes inhérentes à la poursuite rationnelle des intérêts personnels49. Les préceptes qu’un tel raisonnement permet de justifier sont des préceptes hypothétiques dont la force contraignante dépend de la satisfaction des intérêts de l’agent. Il ne suffit pas de dire que, dans la mesure où l’agent doit prendre en considération les intérêts d’autrui comme s’ils étaient les siens, le raisonnement proposé transcende les limites de la prudence. En effet, nous avons vu que la reconstitution imaginaire des intérêts d’autrui se réalisait en fonction du point de vue du sujet. Le raisonnement repose donc effectivement sur l’universalisation de l’intérêt personnel du sujet. De plus, nous avons constaté que les restrictions ou les compromis auxquels conduit le raisonnement proposé se justifient fondamentalement par la volonté de l’agent d’assurer, dans toute la mesure du possible, la sauvegarde de certains de ses intérêts.
35Cette première objection n’est cependant pas décisive car l’analyse de Hare tend par ailleurs à s’émanciper d’un subjectivisme trop étroit. En effet, sous réserve des problèmes de cohérence qu’elle suscite, l’on doit créditer Hare de la thèse selon laquelle l’exigence d’universalisabilité implique, non seulement que le sujet se place en imagination dans la situation d’autrui, mais encore qu’il s’y place en faisant siennes les préférences d’autrui et qu’il adopte finalement le point de vue d’un arbitre impartial chargé de prendre en considération et de mettre en balance les préférences de toutes les parties en jeu50.
36Cependant, c’est à ce propos que l’on doit soulever une deuxième objection qui paraît beaucoup plus importante. Dans la mesure où Hare ne propose aucun critère permettant d’apprécier la légitimité morale des intérêts ou des préférences en jeu, le raisonnement qu’il défend risque de conduire à « justifier » des prescriptions qui sont en réalité arbitraires parce qu’elles correspondent à des intérêts dont la légitimité morale paraît douteuse51. Ce danger d’arbitraire est encore plus manifeste dans le raisonnement proposé dans Moral Thinking. Nous avons en effet relevé que Hare refuse d’établir des distinctions parmi les préférences en fonction de critères moraux portant sur leur contenu52.
37Dès lors, l’argumentation proposée par Hare conduit les individus à choisir des principes d’action qui, tout en assurant dans toute la mesure du possible la satisfaction de leurs intérêts personnels, vont leur imposer des restrictions et des compromis fondés sur la prise en considération des intérêts d’autrui. Mais, quoi qu’il en soit, cette argumentation ne livre aucun critère permettant de justifier la légitimité morale des intérêts qui font l’objet de tels compromis.
38Au-delà de ces premières difficultés qui ont trait au rôle de la notion d’intérêt prise en elle-même, il faut évoquer d’autres problèmes qui découlent de la distinction entre intérêts et idéaux.
39L’opposition entre idéal et intérêt soulignée par Hare dans son premier ouvrage comporte sans doute une part de vérité. Il est en effet possible de concevoir un idéal de manière telle que sa poursuite et sa réalisation entraînent le sacrifice de certains intérêts, ceux-ci étant conçus comme l’objet de désirs individuels.
40Cependant, ainsi qu’on l’a fait justement observer, la notion d’intérêt est souvent liée à celle d’idéal. Ce sont précisément des idéaux qui servent souvent de critères pour déterminer les intérêts légitimes d’une personne53. De ce point de vue, la notion d’intérêt apparaît comme fondamentalement ambiguë. Le terme intérêt peut certes être défini par référence aux désirs ou aux inclinations du sujet. Mais il peut aussi être défini par référence aux besoins individuels54. Et ces besoins peuvent à leur tour être déterminés en fonction de critères variables parmi lesquels peuvent figurer des idéaux concernant le « bien » de la personne en cause. Il est inutile de dire que les intérêts d’une personne, entendus dans ces deux sens, peuvent diverger. Quoi qu’il en soit, si l’on tient compte de la définition de l’intérêt en termes de besoins, l’on doit admettre que la notion d’intérêt peut être étroitement liée à celle d’idéal.
41Si cette remarque tend à relativiser l’opposition entre idéal et intérêt, elle fait surtout naître un certain scepticisme au sujet de l’efficacité du raisonnement moral proposé par Hare. En effet, dans Freedom and Reason, l’opposition entre idéal et intérêt permettait à Hare de montrer que la mise en œuvre de ce raisonnement peut servir à résoudre au moins les conflits d’intérêts. Par contre, les conflits d’idéaux paraissaient se soustraire à ce mode de solution qui met en jeu la « règle d’or ». Or, si l’on admet qu’en réalité intérêts et idéaux sont fréquemment liés, il en résulte que la difficulté de résoudre les conflits d’idéaux risque de s’étendre aux conflits d’intérêts. Le caractère irréductible de la liberté qui est nôtre lorsqu’il s’agit d’embrasser un idéal risque de faire obstacle à toute solution rationnelle des conflits d’intérêts, dans la mesure où ces intérêts sont définis à la lumière d’idéaux incompatibles.
42De ce point de vue, l’on aperçoit l’utilité qu’il y avait pour Hare d’abandonner la distinction intérêt/idéal et de substituer à ces deux termes la notion de préférence55. Nous avons vu que grâce à cette démarche, Hare peut montrer que l’attitude du fanatique pur est compatible avec le raisonnement moral, même si, d’un point de vue empirique, cette hypothèse est absolument irréaliste et ne saurait être retenue à titre d’objection sérieuse.
43Toutefois, même si l’on ne tient pas compte des difficultés qui concernent son utilisation (comparaison des préférences en jeu, mesure d’intensité,...), ce raisonnement, qui tend à comparer les préférences de l’agent et celles d’autrui du point de vue de leur intensité respective, nous paraît se heurter à l’objection précédemment évoquée, à savoir celle du danger des préférences arbitraires.
44Hare est sensible à cette objection tirée de l’existence de préférences qui, d’un point de vue intuitif, paraissent immorales ou, au moins, de valeur inférieure56. A ce sujet, Hare écarte d’abord les hypothèses irréalistes57 dans lesquelles le raisonnement proposé autoriserait une solution qui s’oppose à nos principes intuitifs. Quoique l’utilisation de ce raisonnement dans un tel sens soit logiquement possible, cela ne doit pas conduire à rejeter nos principes intuitifs car la réalisation de ces hypothèses est absolument improbable58.
45Pour le reste, Hare soutient que le raisonnement critique conforte souvent les distinctions morales intuitives, bien que ce raisonnement ne fasse pas appel à des critères de discrimination concernant le contenu des préférences59. Ainsi, par exemple, la condamnation de spectacles cruels peut se justifier d’un point de vue critique car les préférences des spectateurs pourraient tout autant être satisfaites par d’autres spectacles qui n’entraînent pas de souffrances pour des êtres humains ou pour des animaux60. De même, l’utilisation de ressources pour satisfaires des préférences jugées plus « élevées », mais propres à une minorité, peut-elle se justifier par le raisonnement critique utilitariste. Il est en effet très probable que ces préférences sont plus intenses que celles des personnes qui ont des préférences moins nobles car la satisfaction des premières procure aux intéressés un plaisir beaucoup plus grand. Ainsi, la comparaison de l’intensité des préférences suffit à justifier, non seulement l’allocation de certaines ressources permettant de satisfaire les préférences considérées intuitivement comme plus élevées, mais aussi le développement d’une politique visant à élargir le cercle de ceux qui adopteront ces préférences.
46Il n’en demeure pas moins, et Hare le reconnaît explicitement, qu’à partir du moment où le raisonnement critique fait abstraction de tout critère autre que celui de l’intensité pour apprécier les préférences en jeu, ce type de raisonnement laisse subsister une marge considérable d’arbitraire quant au contenu de ces préférences. Certes, l’exigence d’universalisabilité limite notre liberté puisqu’elle nous oblige à ne retenir comme principe d’action que la norme dont nous pouvons accepter l’application dans toute situation analogue et dont nous pouvons accepter les conséquences, quels que soient notre rôle ou notre position dans cette situation. Mais Hare reconnaît qu’au-delà de cette contrainte, « nous conservons, et les autres aussi, la liberté de préférer quoi que ce soit que nous préférions... il subsiste un minimum important et irréductible de préférences tout-à-fait autonomes que la pensée rationnelle ne peut qu’accepter pour ce qu’elles sont ou seront... La conséquence de l’universalisabilité est de nous contraindre à trouver des principes qui maximisent, de manière impartiale, la satisfaction de ces préférences ; elle ne soumet les préférences elles-mêmes à aucune restriction »61. Ainsi, le raisonnement moral préconisé par Hare implique la reconnaissance d’une large autonomie dans la formation des préférences individuelles. Mais dans la mesure où ce raisonnement ne met en jeu aucun critère permettant de justifier la légitimité du contenu de ces préférences, il ne nous paraît pas apte à conjurer le risque d’arbitraire qui est inhérent à cette autonomie62.
Conclusions
47A l’issue de ces réflexions sur la pensée de R.M. Hare, nous voudrions revenir sur la question que nous posions au départ et qui concerne la possibilité de justifier, du point de vue de l’éthique, la validité des normes morales ou juridiques, dans la perspective de la rationalité instrumentale.
48Dans cette perspective, le sujet est considéré comme un agent qui poursuit, à l’aide des moyens adéquats, la réalisation d’objectifs qu’il désire atteindre. Or, il semble que si l’on adopte exclusivement cette perspective dans laquelle les agents cherchent à porter au plus haut point la satisfaction de leurs intérêts, la tentative de justifier d’un point de vue éthique la force obligatoire des normes pratique se heurte à des obstacles considérables. La pensée de R.M. Hare illustre cette difficulté. Dans une telle perspective, il apparaît possible de justifier le caractère impératif de normes qui, conformément aux exigences du principe d’universalisabilité, imposent aux individus des restrictions ou des transactions dans la recherche de la satisfaction de leurs intérêts. Mais ce caractère impératif reste conditionnel au sens où l’individu ne peut l’admettre que dans la mesure où l’application généralisée de ces normes entraîne des conséquences que l’individu peut accepter en fonction de ses intérêts. Dès lors, puisque dans cette perspective la force obligatoire des normes pratiques repose finalement sur des considérations d’intérêt, ces normes paraissent plus relever de la prudence que de la morale.
49Mais, si l’analyse des thèses de Hare ne conduisait qu’à cette conclusion, elle n’aurait que peu de valeur. En réalité, la pensée de R.M. Hare est beaucoup plus instructive. En effet, grâce à la distinction entre intérêt et idéal, l’analyse développée dans Freedom and Reason met elle-même en lumière les limites de toute tentative de justification éthique entreprise du point de vue de la rationalité instrumentale. En se référant à la notion d’idéal, Hare est contraint de reconnaître, non seulement que les individus ne cherchent pas toujours à maximiser la satisfaction de leurs intérêts, mais aussi que les raisonnements fondés sur des considérations d’intérêt sont inaptes à résoudre les conflits opposant les adeptes d’idéaux incompatibles.
50De ce point de vue, les thèses développées dans Freedom and Reason nous paraissent plus fécondes que celles développées dans Moral Thinking. En effet, la démarche suivie par Hare dans ce second ouvrage pour démontrer que l’attitude du fanatique est réductible au raisonnement moral utilitariste, nous paraît peu satisfaisante. Cette démarche révèle qu’à partir du moment où l’on renonce à rechercher des critères permettant de justifier la légitimité morale des préférences en cause, l’on est contraint de faire appel à des raisonnements qui impliquent un danger d’arbitraire. En l’espèce, nous avons vu qu’en prenant appui sur le seul critère de l’intensité des préférences, le raisonnement proposé par Hare conduit à devoir s’incliner devant les préférences les plus fortes, quel que soit leur contenu. Ainsi, le raisonnement exposé dans Moral Thinking ne fait qu’accentuer le risque d’arbitraire qui apparaissait déjà dans l’argumentation développée dans Freedom and Reason63. Dans cette argumentation fondée sur la prise en considération impartiale des intérêts en jeu, ceux-ci étaient en effet déjà soustraits à toute critique tendant à vérifier leur légitimité morale.
51Finalement, il semble qu’en adoptant exclusivement la perspective de la rationalité instrumentale, l’on se prive de toute possibilité de dégager des principes dont l’objectivité permettrait de justifier la force impérative des normes morales et juridiques. L’analyse que Hare consacre aux rapports entre le libéral et le fanatique est tout-à-fait révélatrice à cet égard. C’est sans doute parce qu’il attache à la rationalité instrumentale une importance décisive que le libéral, tel qu’il est conçu par Hare64, tend à considérer les idéaux comme des intérêts, c’est-à-dire à accorder une égale considération aux divers idéaux qu’embrassent les individus. Guidé par la tolérance, le libéral permet à chacun de poursuivre librement la réalisation de ses intérêts et de ses idéaux, pour autant que dans cette activité, nul ne porte atteinte aux intérêts et aux idéaux d’autrui. Même s’il adopte un modèle de perfection humaine, le libéral tend à séparer ce modèle de l’idéal de la bonne société qu’il défend par ailleurs. Le libéral ne cherche pas à imposer aux autres, par la contrainte, son idéal de perfection humaine. Certes, il ne saurait tolérer l’intolérable et, de ce point de vue, il ne peut admettre que le fanatique cherche à réaliser son idéal par n’importe quel moyen. Cependant, puisque le libéral ne peut user de la contrainte pour lutter contre le fanatique, il ne lui reste qu’à pratiquer une guerre d’usure tendant, notamment, à mieux informer les gens à propos des données socio-historiques et à leur faire imaginer les effets de la réalisation de tel ou tel idéal concurrent. Néanmoins, Hare reconnaît que cette guerre d’usure laissera subsister un noyau de fanatiques irréductibles.
52A cet égard, l’intérêt de l’analyse développée par Hare est de révéler la faiblesse relative de la position du libéral. A nos yeux, cette faiblesse procède du fait que le libéral demeure prisonnier du modèle de la rationalité instrumentale selon lequel chaque individu poursuit librement la satisfaction de ses intérêts. Ce modèle empêche le libéral de justifier d’autres solutions que celles fondées sur la prise en considération des intérêts de toutes les parties en cause, quel que soit le contenu de ces intérêts. Et loin de renforcer la position du libéral, le raisonnement proposé dans Moral Thinking en accroît encore la faiblesse puisqu’il le contraint à s’incliner devant les préférences les plus fortes.
53Dès lors, l’obligation de prendre en considération, de manière impartiale, les préférences de toutes les parties en cause, obligation que Hare prétend pouvoir déduire du principe d’universalisabilité, de même que l’obligation de départager les préférences inconciliables en fonction de leur intensité respective, ne semblent pas constituer des critères suffisants pour justifier la validité des normes pratiques. En effet, ces critères ne permettent pas de réduire le danger d’arbitraire qui est inhérent à toute analyse de l’action en termes de rationalité instrumentale, dans la mesure où ce genre d’analyse ne livre par elle-même aucun moyen permettant de justifier la légitimité des intérêts ou des préférences des agents.
54Si les thèses de Hare illustrent bien ce type de difficulté, nous aurions cependant pu développer une critique analogue à propos d’autres théories de l’éthique qui se heurtent à des obstacles similaires parce qu’elles prennent également appui sur une conception trop restrictive de l’action. Nous songeons en particulier à la théorie proposée par A. Gewirth65, selon laquelle l’activité instrumentale, la poursuite de buts personnels, présupposent la reconnaissance, par l’agent, de certains principes moraux contraignants. En réalité, bien qu’elle fasse également appel au principe formel d’universalisabilité, une telle théorie semble inapte à fonder les principes moraux qu’elle propose, en prenant appui sur certaines conditions génériques ou intérêts fondamentaux, inhérents à toute activité instrumentale. Si nous avons choisi d’examiner les thèses de Hare, c’est parce que, tout en étant tributaires d’une conception de l’action fondée sur la rationalité instrumentale, elles ont le mérite de révéler par elles-mêmes les insuffisances de cette perspective, et ce par le biais de la distinction intérêt/idéal et de la discussion du problème suscité par le fanatisme.
Notes de bas de page
1 A.O. HIRSCHMAN, Les passions et les intérêts. Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, trad. de P. Andler, Paris, 1980, p. 16 et suiv.
2 V. notamment sur ce type de rationalité : J. HABERMAS, Explicitations du concept d’activité communicationnelle, in Logique des sciences sociales et autres essais, trad. de R. Rochlitz, Paris, 1987, p. 415 et suiv.
3 Cf. H. NEUENDORFF, Der Begriff des Interesses. Eine Studie zu den Gesellschaftstheorien von Hobbes, Smith und Marx, Frankfurt a. M., 1973, p. 25 et 26.
4 R.M. HARE, Freedom and Reason. Oxford, 1963. Les références à cet ouvrage seront désormais faites à l’aide de l’abréviation FR.
5 R.M. HARE, Moral Thinking. Its Levels, Method, and Point, Oxford, 1981. Les références à cet ouvrage seront désormais faites à l’aide de l’abréviation MT.
6 V. à ce sujet, critiquant les thèses de Hare sur l’universalisabilité des jugements moraux : D. LOCKE, The Trivializability of Universalizability, in Philosophical Review, 77, 1968, p. 25 et suiv, ; Cl. PANACCIO, Hare et l’universalisation des jugements moraux, in Canadian Journal of Philosophy, 2, 1973, p. 345 et suiv. ; R. WIMMER, Universalisierung in der Ethik. Analyse, Kritik und Rekonstruktion ethischer Rationalitätsansprüche, Frankfurt a. M., 1980, p. 216 et suiv.
7 FR, p. 7 et suiv.
8 FR, p. 36.
9 V. dans ce sens : M.G. SINGER, Universalizability and the Generalization Principle, in Morality and Universality. Essays on Ethical Universalizability (N.T. POTTER and M. TIMMONS eds.), Dordrecht. 1985, p. 55 et 56.
10 FR, p. 125.
11 FR, p. 33 ; MT, p. 42.
12 FR, p. 47 et 48.
13 FR, p. 71 et 72.
14 FR, p. 90 et suiv. L’on peut penser que cet exemple aurait été mieux présenté en termes de permission qu’en termes d’obligation morale. Mais cela aurait empêché Hare d’en dégager une prescription univoque, apte à résoudre le dilemme du créancier B. V. à cet égard : D.P. GAUTHIER. Hare’s Debtor, in Mind, 77, 1968, p. 400 et suiv.
15 FR, p. 92 et 93.
16 FR, p. 94.
17 FR, ibidem (« as if they were his own ») ; v. également p. 123.
18 FR, p. 104 et 105 (« ... the appeal to universalized self-interest which is the foundation of the argument that we have been considering »).
19 V. dans ce sens, soulignant que le raisonnement proposé implique un lien étroit entre les inclinations du sujet et l’acceptation des principes qui justifient les jugements moraux : L. VERSENYI, Prescription and Universalizability, in Journal of Value Inquiry, 6,1972, p. 30 et suiv. ; N. HOERSTER, R.M. Hares Fassung der Goldenen Regel, in Philosophisches Jahrbuch, 81, 1974, p. 188 et 194.
20 Cf. FR, p. 108.
21 FR. p. 113.
22 FR, p. 194 où Hare déclare que le trompettiste « lui-même ne veut pas prescrire universellement qu’on ne tienne aucun compte des désirs des gens, parce que prescrire ceci reviendrait à prescrire qu’on ne fasse aucun cas de ses propres désirs » (« ... himself is unwilling to prescribe universally that people’s desires should be disregarded, because to prescribe this would be to prescribe the disregarding of his own desires »).
23 FR, p. 117, 118 et 123.
24 FR, p. 118 et 123.
25 FR, p. 123.
26 FR, p. 104, 105, 113, 114, 147 et suiv.
27 FR, p. 147 (« ideals of human excellence »).
28 FR, p. 122 : « To have an interest is,..., for there to be something which one wants, or is likely in the future to want, or which is (or is likely to be) a means necessary or sufficient for the attainment of something which one wants (or is likely to want) ». V. aussi p. 157.
29 FR, p. 149 (« the ideals are logically independent of the needs ») et 150. V. cependant infra, n. 55, sur la position actuelle de Hare à propos de la notion de besoin.
30 FR, p. 150 et 151.
31 FR, p. 157 et 158.
32 FR, p. 161 : « His ideals have,..., nothing to do with self-interest or with a morality which can be generated by universalizing self-interest ».
33 FR, p. 159 et suiv.
34 FR, p. 172 et 173.
35 MT, p. 49 et 50.
36 MT, p. 91.
37 MT, p. 92, 94 et 95.
38 MT, p. 94 et 95. Ainsi. Hare déclare à propos de la souffrance d’autrui : « ... je ne peux connaître l’étendue et la qualité des souffrances des autres et, en général, leurs motivations et préférences, sans avoir des motivations équivalentes concernant ce qui m’arriverait si j’étais à leur place, avec leurs motivations et leurs préférences » (p. 99) (« ... I cannot know the extent and quality of others’ sufferings and, in general, motivations and preferences without having equal motivations with regard to what should happen to me, were I in their places, with their motivations and preferences. »).
39 MT, p. 119 et 127.
40 MT, p. 110, 111 et 116 où Hare souligne que le raisonnement en cause requiert une comparaison du degré ou de l’intensité des préférences. Hare réaffirme cette thèse dans : Some Reasoning about Preferences : A Response to Essays by Persson, Feldman, and Schueler, in Ethics, 95, 1984-1985, p. 83.
41 MT, p. 145 et 146.
42 Il s’agit précisément là de la différence la plus importante entre Freedom and Reason et Moral Thinking : dans ce second ouvrage, Hare ne considère plus l’existence d’idéalistes fanatiques comme une limite du champ d’application du raisonnement moral utilitariste qu’il préconise. Cf. J.W. ROXBEE COX, From Universal Prescriptivism to Utilitarianism, in Philosophical Quarterly, 36, 1986, p. 2.
43 MT, p. 181 et 182 ; R. M. HARE, Comments, in Hare and Critics : Essays on Moral Thinking (D. SEANOR and N. FOTION eds.), Oxford, 1988, p. 203.
44 Cf. W.D. HUDSON, Modern Moral Philosophy, 2nd ed., Londres, 1983, p. 407.
45 Cf. L. VERSENYI, op. cit., p. 31-32 ; R.K. FULLINWIDER, Fanaticism and Hare’s Moral Theory, in Ethics, 87. 1976-1977, p. 171 et suiv. ; H. STUDER, Ansätze der Begründung moralischer Normen : Habermas, Hare und Rawls, in Theorie der Normen. Festgabe für O. Weinberger zum 65. Geburtstag (W. KRAWIETZ, H. SCHELSKY, G. WINKLER, A. SCHRAMM Hrsg.), Berlin, 1984, p. 329 ; Th. NAGEL. The Foundations of Impartality, in Hare and Critics, op. cit.. p. 102 et suiv., et sur les divers sens de l’universalisabilité : J. L. MACKIE, Ethics : Inventing Right and Wrong, Harmondsworth, 1977, p. 83 et suiv., qui estime que la prise en considération impartiale des préférences ne constitue pas un principe fondé sur la logique.
46 Cf. J.W. ROXBEE COX, op. cit.. p. 2 et suiv.
47 FR, p. 193.
48 FR, p. 195.
49 Cf. L. VERSENYI, op. cit., p. 32.
50 V. sur ces implications du principe d’universalisabilité chez Hare : R.K. FULLINWIDER, op. cit., p. 166 et 167.
51 Cf. W.G. LYCAN, Hare, Singer and Gewirth on Universalizability, in Philosophical Quarterly, 19, 1969. p. 136 et 137 ; R.N. BERKI, Interests and Moral Ideals, in Philosophy, 49, 1974, p. 267, 268-270 ; Fr. RICKEN, Die Begründung moralischer Urteile nach R.M. Hare, in Théologie und Philosophie, 51. 1976, p. 356 et 357 ; D.L. NORTON. Can Fanaticism be Distinguished front Moral Idealism ?, in Review of Metaphysics, 30, 19761977, p. 499-501 ; H. STUDER, op. cit., p. 329-330.
52 MT, p. 145. Si Hare estime que, sur le plan de la pensée critique, les idéaux et les intérêts doivent être simplement considérés comme des préférences, indépendamment de leur contenu, c’est parce qu’il estime, dans une perspective non cognitiviste, que les jugements moraux sont prescriptifs et non seulement descriptifs, et qu’ils ne peuvent donc exprimer aucune vérité objective. Dans cette perspective, on ne peut faire appel au contenu des préférences pour les disqualifier ou, au contraire, leur attribuer une supériorité quelconque. V. dans ce sens : P. SINGER, Reasoning towards Utilitarianism, in Hare and Critics, op. cit., p. 149 et suiv. ; R.M. HARE, Comments, op. cit., p. 269 et 270 (adoptant cette interprétation).
53 Cf. R.N. BERKI, op. cit., p. 269, 270 et 272 ; D.L. NORTON, op. cit., p.498-505 ; H.J. McCLOSKEY, Universalized Prescriptivism and Utilitarianism : Hare’s Attempted Forced Marriage, in Journal of Value Inquiry, 13, 1979, p. 67.
54 Cf. R.N. BERKI, op. cit., p. 268-270 ; H.J. McCLOSKEY, op. cit., p. 70 et 71 ; v. également J. GRIFFIN, Well-being and its Interpersonal Comparability, in Hare and Critics, op. cit., p. 73 et suiv., qui distingue divers critères de définition du bien-être individuel.
55 Dans un texte récent, Hare rejette d’ailleurs la notion autonome de besoin. A ses yeux, le besoin dépend toujours d’une fin préalable qui est l’objet de nos préférences ou désirs (cf. R. M. HARE, Comments, op. cit., p. 214).
56 MT, p. 140-146.
57 Hare évoque l’exemple de la relation entre un tortionnaire et sa victime, lorsque la préférence du bourreau pour la torture est beaucoup plus forte que la préférence de la victime à ne pas subir un tel traitement.
58 MT, p. 141 et 142.
59 MT, p. 145 et 146.
60 MT, p. 142.
61 MT, p. 226 : « ... we, and others too, retain the freedom to prefer whatever we prefer... there remains an irreducible and large minimum of sheer autonomous preferences which rational thinking can only accept for what they are, or will be... The effect of universalizability is to compel us to find principles which impartially maximize the satisfaction of these preferences ; it does not constrain the preferences themselves ».
62 Pour écarter ce risque, J. Harsanyi, par exemple, propose de ne pas prendre en considération les préférences « anti-sociales » (cf. Problems with Act-Utilitarianism and with Malevolent Preferences, in Hare and Critics, op. cit., p. 90, 96 et suiv.).
63 V. dans ce sens : R.K. FULLINWIDER, op. cit., p. 167 et suiv., soulignant que Hare est désormais obligé de donner la priorité aux préférences du fanatique dans certaines circonstances. Cette critique porte en l’espèce sur des textes antérieurs de Hare, en particulier Wrongness and Harm, in Essays in the Moral Concepts, Berkeley, 1972, p. 92 et suiv., et Ethical Theory and Utilitarianism, in Contemporary British Philosophy (H.D. LEWIS ed.), IV, Londres, 1976, p. 113 et suiv., dans lesquels Hare a tenté de résoudre le problème du fanatique en des termes qui ont été repris dans Moral Thinking.
64 FR, p. 177-180.
65 Cf. A. GEWIRTH, Reason and Morality, Chicago, 1978.
Auteur
Chargé de cours aux Facultés universitaires Saint-Louis
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