1 Cette rectification de la méthodologie historique libère l’historien des antinomies dans lesquelles il a l’habitude de s’empêtrer. Si l’on veut un exemple grotesque de celles-ci, souvenons-nous du débat sans fin sur l’origine présumée du cogito cartésien chez Saint Augustin. Il s’agit aussi dans ce cas de l’émergence d’une grande Idée : le rationalisme idéaliste. Chaque jour, de plus grandes coïncidences d’expression apparaissent entre Descartes et le Père de l’Eglise par rapport à ce problème radical de l’existence du moi. Et, en même temps, on voit chaque jour plus clairement qu’il s’agit de deux thèses philosophiques complètement distinctes. La seule chose qui unisse vraiment Descartes et Saint Augustin est si basique qu’elle n’apparaît dans aucune thèse, ni aucune formule possible de l’un ni de l’autre ; il s’agit précisément de ce que les historiens n’ont pas vu ou n’ont pas eu le courage de déclarer, à savoir : que la philosophie de Descartes en tant que telle – pas l’individu Descartes, donc, mais sa doctrine formelle – est la suite du christianisme et suppose la grande expérience humaine qu’est celui-ci. Mais, cela est clair, ce christianisme « source » de Descartes n’est ni Saint Augustin, ni Saint Anselme, ni, encore moins, telle ou telle autre idée particulière de tel ou tel Père de l’Eglise. En revanche, parler de Saint Augustin comme source sensu stricto du cogito, qui est une thèse particulière, bien que décisive pour le christianisme, est ridicule, et le deviendra encore plus quand on trouvera de plus grandes coïncidences littérales. Il suffirait, pour refuser cette filiation, d’assumer le fait que les phrases de Saint Augustin étaient là, manifestes pour tous, depuis trois siècles, sans que le cogito n’émane de cette source – sacré hasard – avant la décennie de 1620.
Un autre exemple de la même erreur méthodologique, bien que sur un sujet de moindre ampleur, serait de considérer Aristarque de Samos comme la source de Copernic. À l’inverse de Descartes, qui efface ses propres traces, l’admirable chanoine accumule dans son livre toutes les opinions du passé qui présentent une ressemblance avec sa thèse. Mais l’interposition de dix-huit siècles entre Aristarque et Copernic démontre de manière irréfragable que la thèse copernicienne ne vient pas de l’idée d’Aristarque, et qu’au contraire, elle donne à celle-ci son influence. Le tir d’une grande invention ne produit pas seulement des effets vers l’avant, mais effectue un recul sur le passé et se répercute sur lui, influe sur lui. Cette possibilité d’effet rétroactif, qui n’existe pas dans le monde physique autrement que par une métaphore, est caractéristique et essentielle dans la causalité historique. La vie, qui est création permanente du futur, est, en même temps, réforme permanente du passé ; je m’explique : elle vit le passé en tant que tel, de manière différente à chaque époque. L’histoire, bien plus que la physique, est une science des causes et, comme la physique, elle ne recherche rien d’autre que cela. Ce qui n’est pas processus d’effectuation n’a pas de réalité historique, de la même manière que ce qui ne donne pas lieu à établir une fonction n’a pas de réalité en physique. D’où le fait que l’égalité entre deux idées ne signifie rien en histoire : il est nécessaire, en outre, de démontrer l’influence effective de l’une sur l’autre, et la proportion de ce dynamisme. En ce qui concerne Copernic et Descartes, il est tout à fait manifeste que, au niveau de la cause de leurs découvertes, le rôle des thèses d’Aristarque et de Saint Augustin est pratiquement nul, et que si d’autres causes véritables n’avaient pas existé, les formules de ces derniers auraient continué d’être infécondes, comme elles le furent jusqu’à ces dates. On parlera largement de toutes ces questions méthodologiques dans ce livre.
2 Dilthey [1914-1931], tome VII, p. 74. [NdT : ici comme dans la suite des notes, et sans qu’il ne soit nécessairement fait mention de l’abréviation NdT, les crochets indiquent systématiquement une intervention de la traductrice].
3 En quel sens précis on peut dire que la réalité historique dépend de ceci ou de cela, et donc, d’une cause particulière, c’est ce que nous verrons plus loin.
4 Voici les titres des trois principales études : De notre croyance à la réalité du monde extérieur – Contribution relative à la question de son origine et de son bien-fondé (1890) [Dilthey 1947, p. 95-141], Idées sur une psychologie descriptive et analytique (1894) [Dilthey 1947, p. 145-245], Contributions à l’étude de l’individualité (1895-1896) [Dilthey 1947, p. 247-317].
5 Dans la mesure où pas une ligne de Dilthey, que je sache, n’a été traduite en espagnol, et dans la mesure où il n’y a probablement pas plus de quatre ou cinq personnes, si tant est qu’elles existent, qui, dans le monde hispanophone, connaissent son œuvre, je me suis vu obligé à susciter chez le lecteur, par le récit qui précède, cette double impression qui se substitue assez exactement à la connaissance directe des faits. Et ces faits sont très importants pour comprendre ce qui suit.
6 Dans l’« Exposition provisoire », Œuvres complètes, tome V, p. XII, 1924 [Dilthey 1914-1931, tome V, p. 12].
7 Misch, Filosofía de la vida y fenomenología, 1930, p. 1. L’étude citée ci-dessus et cet autre livre de Misch sont les deux seuls travaux appréciables qui aient été faits sur Dilthey.
8 Nous verrons pourquoi, non pas par prétention mais par obligation, plus loin, quand nous nous occuperons de l’herméneutique de Dilthey. C’est précisément là une de ses idées centrales.
9 [NdT] Cet ouvrage n’est pas traduit en français. En espagnol, il est compris dans : Ortega y Gasset 2004-2010, tome I, p. 745-825.
10 [NdT] Ortega fait ici référence à son texte sur « La Philosophie de l’histoire de Hegel et la science historique ». Nous proposons plus loin une traduction de ce texte.
11 [NdT] Il existe plusieurs traductions françaises de ce texte. Nous indiquons ici la plus récente : Ortega y Gasset 2010.
12 [NdT] Ortega y Gasset donne la référence du texte allemand : Dilthey [1914-1931], tome V, p. 7-9. Nous reproduisons ici la traduction de Mesure (S.) : Dilthey 1992, p. 33.
13 [NdT] Sur le sens précis qu’Ortega y Gasset donne à ce terme de consistance, voyez la note 42, infra, p. 92.
14 Vico n’est pleinement efficace qu’un siècle plus tard, mais Copernic tarde également un demi siècle à avoir de l’influence.
15 Voyez Cassirer, Die Philosophie der Aufklärung, 1932, p. 297. Malgré le fait que le chapitre que Cassirer consacre à l’historiographie du dix-huitième siècle soit clairement insuffisant, c’est ce que j’ai vu de mieux sur ce thème. On peut ajouter à cela l’étude de Dilthey lui-même : « Le dix-huitième siècle et le monde historique » : [Dilthey 1914-1931], tome III, p. 209-268. Rigoureusement parlant, il manque une étude décente sur cette étape où l’historiographie initie le fait qu’elle s’instaure comme science. Bien sûr, il manque aussi celle de la physique entre Copernic et Pascal. On dirait un mensonge, mais c’est ainsi.
16 Pour que le tableau soit complet, il faudrait ajouter l’apport des Anglais – Gibbon, Hume. En toute rigueur, les Anglais font plus d’histoire positive que les Français, mais leurs découvertes sont moins décisives que celles de ces derniers. Pour cette raison, et afin de restreindre les étapes du processus à celles qui sont strictement nécessaires, je renonce à parler d’eux. Hume, surtout, appelle une étude très attentive.
17 Voyez, de l’auteur, L’Histoire comme système [Ortega y Gasset 2016, p. 71].
18 [NdT] En français dans le texte.
19 [NdT] En français dans le texte.
20 [NdT] En français dans le texte.
21 [NdT] En français dans le texte.
22 Je vois que le comte de Yorck, grand ami de Dilthey, m’appuierait dans ce jugement. « Son nom [le nom de l’école historique] a quelque chose de trompeur. Cette école n’était nullement une école historique, mais une école antiquaire, construisant esthétiquement ». Cependant, la sentence, comme beaucoup d’autres de ce Prussien incroyable, est en même temps profonde, excessive, et source d’erreur. [Yorck et Dilthey] 1923, p. 69.
23 Le lecteur trouvera dans ce livre, au-delà de Dilthey, une doctrine qui, si elle n’est en rien idéaliste, implique la reconnaissance de toute la vérité qui réside dans l’idéalisme. Il se trouve simplement que toute la vérité de l’idéalisme n’est pas toute la vérité.
24 Voyez mon étude : « La philosophie de l’histoire de Hegel et la science historique » [ infra, p. 123-146].
25 C’est pourquoi l’homme de la génération de Dilthey, en bon empiriste, essaiera de découvrir ce qu’est le monde, l’État, le droit, etc., par une induction historique. Nous verrons comment il n’y parvient pas, parce que la « logique inductive » dont on parlait tant alors, sous la pression de Stuart Mill, est impossible.
26 [NdT] Dilthey 1992, p. 148.
27 Comprenez : de l’humain.
28 [NdT] Dilthey 1992, p. 148-149.
29 Je ne voudrais pas me tromper, mais il se trouve, et cela est stupéfiant, que dans toute son œuvre, Dilthey ne dit pas un mot de la connaissance mathématique. Il est néanmoins clair que l’affirmation de l’empirisme fait référence, chez Dilthey, à la connaissance du réel. Les sciences « pures », comme la logique et la mathématique, seraient donc des instruments pour connaître, plutôt que des connaissances à proprement parler.
30 Tous ces mots – et il faudra encore en ajouter quelques-uns – transcrivent les diverses nuances du mot que Dilthey a le plus écrit dans sa vie : Zusammenhang.
31 Voilà la deuxième divergence radicale de Dilthey avec Kant ; mais cette fois-ci, la divergence ne lui est pas commune avec les hommes de son temps ; elle trouve chez lui son origine et, en outre, le fait diverger non seulement de Kant, mais de presque toute la tradition philosophique intellectualiste. À un moment opportun, je parlerai de ce que l’on peut trouver des antécédents de cette idée qu’est celle de Dilthey.
32 Il est clair que Dilthey n’a jamais dit cela et il est même très probable qu’il ne soit jamais parvenu non plus à penser cela clairement. Cependant, c’est là ce que Dilthey fait, et donc, ce qu’il y avait dans sa pensée, ce que sa pensée était. Quand cela lui vint à l’esprit, là, dans sa jeunesse – on peut préciser très approximativement la date, grâce aux morceaux publiés de son journal intime –, il ne soupçonnait pas, même de loin, que son empirisme le mènerait, avec une simplicité extrême, à la même chose que ce que tenta Hegel, avec son logicisme radical, et au prix de mille fictions et embêtements. Longtemps après, Dilthey sent cette affinité, mais je ne suis pas tout à fait certain qu’il voie dans une clarté complète ce en quoi elle consiste, à savoir en ceci : la condition cyclique de la conscience, le fait de ne rien avoir en notre esprit qui soit un début net ou un terme abrupt, qui soit discontinu ; au contraire, tout, en lui, vient de quelque chose et va vers quelque chose – en somme, la stricte continuité de la conscience humaine. Si Christophe Colomb n’avait pas anticipé avec cette histoire d’œuf, l’œuf de Colomb ne serait qu’un simple œuf.
33 Nous verrons comment deux époques se distinguent chez Dilthey : dans la première, il croit que cette science fondamentale est la psychologie, bien que d’un type légèrement différent à ce qui était appelé ainsi en son temps. Dans la seconde, convaincu qu’il ne parviendra pas à son but par ce chemin, il abandonne la psychologie et recherche ce qu’il appelle la réflexion du sujet sur lui-même, l’autoréflexion, Selbestbesinnung.
34 Cette discipline qui découvre la structure générale et invariable de la conscience humaine et qui, pour cette raison, se présente d’abord sous l’aspect d’une psychologie, viendrait à être pour la masse des faits historiques ce qu’est la mécanique pour les faits observés et observables en physique. Elle aurait comme elle le rôle de discipline régulatrice. L’histoire se constituerait essentiellement selon un mode analogue à celui de la physique. Voyez ce qui a été dit plus haut, et surtout, mon étude antérieurement citée sur « La philosophie de l’histoire de Hegel et la science historique » [ infra, p. 123-146].
35 Dilthey s’occupera plus tard avec insistance de ce cercle vicieux, qui persiste même dans la forme la plus épurée de sa philosophie, et qu’il considère comme constitutif de la connaissance.
36 En corrigeant ces épreuves, je vois l’annonce d’un cycle de trois leçons sur Dilthey, que Don Francisco Romero aura données à cette heure à la Faculté de philosophie et lettres de Buenos Aires. Un tel cours aura été la première contribution hispanique – l’auteur est né en Espagne – à l’étude de Dilthey et il est certain, en outre, que ce sera un travail très estimable, étant données la sérénité et le travail de recherche soigneux de cet excellent professeur. Ces deux qualités, qui, non seulement donnent des dates précises, mais poussent à repenser ce qu’un auteur a vraiment dit, bien qu’il ne l’ait pas formulé solennellement, ni avec une pédanterie affichée, ont permis à monsieur Romero d’être peut-être le seul homme de langue espagnole qui commence concrètement et précisément à se rendre compte du fait que, dans les vingt dernières années, on a pensé en Espagne avec une originalité supérieure à celle qu’on a l’habitude de soupçonner, anticipant au niveau des points les plus décisifs la pensée étrangère. Je déduis cela de ma lecture de la conférence sur les courants philosophiques de l’actualité.
Pour la première fois, on cite là, avec une pleine conscience de sa transcendance, une note que j’ai publiée en 1924 dans la Revista de Occidente sous le titre de « Ni vitalisme ni rationalisme ». Cette transcendance persiste malgré le fait qu’on la freine, et qu’on déforme même mon dessein exclusif qui était d’éliminer une mauvaise interprétation.
J’étais certain de ce que cela arriverait irrémédiablement un jour ou l’autre, parce que cela dépendait, ni plus ni moins, de ce que quelqu’un se mette à lire, au sens vrai du terme, ce qui est écrit et publié depuis longtemps. En Espagne, on ne sait pas encore bien lire, on glisse dans l’obscurité et ceux qui lisent en anglais ou en allemand sont incapables de comprendre quoi que ce soit quand ils lisent en espagnol. Un jour, j’expliquerai par quels secrets des âmes ce phénomène si étrange se produit, même si cela nous obligera à montrer la laideur et la misère intérieure de beaucoup de gens.
J’ai le droit de parler avec aisance de cette affaire pour la simple et bonne raison que, pendant vingt ans, jusqu’à une date récente, je n’avais prononcé un mot de cela ni en public, ni en privé. J’ai gardé le silence pendant l’étape de ma vie où il aurait été souhaitable que je le rompe. J’ai laissé qu’on considère mes écrits comme étant « simplement littéraires » sans protester le moins du monde. Je parle maintenant que ce n’est plus nécessaire.
J’aurais cependant préféré que cette « prise de conscience » se produise avant, et non après que mes livres, qui en tant que livres n’ont jamais prétendu quoi que ce soit, ont été moqués et rejetés par tant de gens.
Pour tout cela, je choisis ce thème, d’une importance radicale par sa matière, et d’une précision extrême par sa forme, incompatible avec les digressions ou les imprécisions, pour assurer, dans un engagement solennel à monsieur Romero, que s’il suit cette conduite exemplaire, il découvrira bien plus que ce qu’il imagine lui-même maintenant. Et pour ne pas tomber dans les généralités, j’ajoute, à titre d’exemple, que cette même citation de ma note à laquelle il procède contient vraiment beaucoup plus que ce qu’il ne fait remarquer dans sa conférence. L’étude postérieure sérieuse que monsieur Romero aura faite de Dilthey, unie à la lecture des pages ici présentes, lui feront voir que, dans cette citation, on ne suggère rien de moins que ce qui suit :
L’irrationalité des principes sur laquelle débouche le rationalisme – thèse encore non exprimée formellement dans ce sens décisif par personne – vient du fait que par raison, on comprend la raison « pure », c’est-à-dire la raison seule et coupée du reste ; mais elle disparaît si on ancre la raison « pure » dans la totalité de la raison « vitale ». L’irrationalisme auquel se voit précisément condamnée la fière « raison pure » se transforme en un clair et ironique rationalisme de la « raison vitale ». C’est pourquoi, depuis de nombreuses années, je qualifie mon attitude philosophique de ratiovitalisme. Or cette tâche de fusion et d’intégration est celle que Le thème de notre temps pose. C’est ce que Dilthey a voulu dire et a voulu penser, sans achever de le posséder. Maintenant, nous l’entrevoyons grâce à la publication posthume de ses papiers, qui s’est produite plusieurs années après que mon œuvre a paru. Dans le tome VIII de ses Œuvres Complètes, paru en 1931, on trouve une phrase que jamais, ni même approximativement, Dilthey n’avait faite publique, et qui semble extraite de mon vieil article : « ce qui s’offre à nous [das uns Gebotene] est irrationnel ; les éléments qui servent à nos représentations sont irréductibles » [NdT : nous reproduisons ici la traduction en français de Sauzin (L.) : Dilthey 1946, p. 219. C’est dans cette traduction que nous continuerons de citer Dilthey, qu’Ortega y Gasset traduit en espagnol sans toujours donner les références exactes des textes auxquels il fait appel]. La phrase est dirigée contre Hegel.
Mais monsieur Romero, qui connaît bien tout ce qui s’est passé en philosophie dans les dernières trente années, sait qu’en 1924, personne en Allemagne, ni, bien sûr, moi non plus depuis l’Espagne, ne soupçonnait que c’était là le sens futur que Dilthey allait acquérir dans la philosophie de l’histoire. Ce qui signifie, platement et simplement, qu’on le veuille ou non, que nous avons été plusieurs à avoir alors construit originairement ce futur, à la lumière duquel Dilthey prend un sens fécond – sans cette construction, cela n’aurait pas été le cas. Voilà pour ce qui touche son idée initiale, mais nous verrons que la raison vitale signifie une chose encore plus décisive que Dilthey n’entrevit pas.
La pure vérité est que celui-ci est resté prisonnier de l’irrationalisme vital face au rationalisme intellectuel, et qu’il n’est pas parvenu à découvrir ce nouveau rationalisme de la vie. On peut expliquer ainsi que dans ses dernières années encore, il écrivît des phrases telles que celles-ci : « dans toute compréhension de la vie, se trouve quelque chose d’irrationnel, de la même manière que la vie elle-même l’est ».
37 Ces notes ratées, et que l’on a retrouvées parmi ses papiers, ont vu la lumière publique en 1931 : [Dilthey 1914-1931], tome VIII, p. 174-193. Voyez également sa lettre à York de juillet 1896 : [Yorck et Dilthey] 1923, p. 219-221. C’est tout. En complément, l’étude sur l’Essence de la philosophie, d’abord publiée en 1907 dans les Gesammelte Schriften ([Dilthey 1914-1931], tome V, p. 339 & s.), est utile.
38 Définitive, bien entendu, en ce qui concerne la structure générale de la connaissance philosophique, non par rapport à la dimension particulière des doctrines antérieures à lui. Concernant ces dernières, Dilthey fait l’expérience d’une modification décisive après 1900, où il parvient à la forme la plus profonde et la plus fertile de sa pensée. Autrement dit, après soixante-dix ans !
39 Par exemple, Hume dit, dans son Enquête sur l’entendement humain, alors même qu’il est le moins rationaliste de tout son siècle : « Tout le monde reconnaît qu’il y a beaucoup d’uniformité dans les actions humaines, dans toutes les nations et à toutes les époques, et que la nature humaine reste toujours la même dans ses principes et ses opérations » [NdT : nous reproduisons ici la traduction française de Beyssade (M.) : Hume 1983, section VIII, I, 1ère partie, § 152, p. 151-152].
40 Nous ne pourrions-nous souvenir si le morceau de vie auquel se réfère le souvenir réapparaissait avec tous ses détails, et, par conséquent, occupait le même laps de temps que celui qui lui était imparti lorsqu’il était vécu à l’origine. Le souvenir est donc par lui-même une abréviation de la vie.
41 Lorsque nous en arriverons plus particulièrement à l’idée que Dilthey s’est faite de l’histoire, j’étudierai en détail chacun de ces sens et apporterai tous les textes qui se réfèrent à ce sujet – rares, éparpillés, comme toujours chez Dilthey, et parfois enfouis dans les lieux les moins attendus.
42 La philosophie traditionnelle distingue en toute chose son essence et son existence. Mais le terme d’essence porte plusieurs significations ensemble, qu’il conviendrait de maintenir séparées, afin qu’elles ne se nuisent pas les unes aux autres quand les choses se compliquent. Eh bien la signification primaire et la moins exigeante de l’essence est que toute chose, en plus d’exister, consiste en quelque chose. J’appelle consistance ce en quoi elle consiste, face à son existence.
43 [NdT : Dilthey 1946, p. 233-234]. Il convient que, outre le texte retranscrit dans le chapitre antérieur, celui-ci soit également mis sous les yeux du lecteur espagnol afin qu’il constate l’étrange manière d’exprimer ses pensées que Dilthey a employée toute sa vie. On peut observer justement que le paragraphe cité appartient à un brouillon intime trouvé parmi ses papiers et qu’il y a toujours plus de polissage et une plus grande luminosité dans les travaux publiés. Mais le manque de plasticité dans la tournure, l’impalpabilité du concept, la ténuité spectrale de l’élocution – qualités de style que je commenterai au chapitre suivant – dominent presque toujours.
44 Il m’importe de faire remarquer que Dilthey n’utilise jamais cette expression de « conscience vivante », mais celle de « vie spirituelle » – Seelenleben –, ou, tout au plus, de « vitalité » – Lebendigkeit. La différence semble minime. Elle est cependant décisive et, comme nous le verrons, elle suppose de franchir le seuil que Dilthey ne parvint jamais à franchir ; c’est pour ne l’avoir pas franchi que ce philosophe génial de la « vie » ne parvint jamais à s’installer en elle.
45 [NdT] Dilthey 1946, p. 234.
46 [NdT] Dilthey 1946, p. 234.
47 Depuis de nombreuses années, j’expose dans mes cours le sens de la philosophie comme ce faire humain poussé par ces deux impératifs : la pantonomie et l’autonomie. Cependant, à la différence de Dilthey, je considérais, et considère toujours ces deux caractères comme secondaires. Une question préalable, plus décisive, que Dilthey n’entrevit pas et dans laquelle nous pénétrerons plus tard, les fonde.
48 [NdT] Dilthey 1946, p. 234.
49 [NdT] Dilthey 1946, p. 234.
50 [NdT] Dilthey 1946, p. 235.
51 [NdT : Dilthey 1946, p. 235]. Voyez à nouveau comment Dilthey, par le chemin de l’empirisme le plus radical, en arrive aux mêmes positions que celles de Hegel. Pour ce dernier, la philosophie commence également par une propédeutique, la « phénoménologie de l’esprit », dont la tâche consiste à mener l’esprit de l’attitude la plus naïve et élémentaire qui soit – celle qui croit trouver la vérité dans le sensible, en voyant, touchant, entendant – à une attitude pleinement philosophique : la conscience comme dialectique. Ces formes scolaires de la conscience sont, en même temps, des étapes de l’histoire pour Hegel.
52 Notez comment, à la fin du siècle passé encore – c’est-à-dire lorsque Dilthey formule ces pensées – l’histoire n’avait pas encore établi de liens avec l’ethnologie.
53 [Dilthey 1914-1931], tome VIII, p. 181. Dans ce qui suit, je tente de traduire quasiment au pied de la lettre le texte de Dilthey.
54 [NdT] Dilthey 1946, p. 223.
55 [NdT] Dilthey 1946, p. 223-224.
56 [NdT] Dilthey 1946, p. 224-225.
57 [NdT : Dilthey 1946, p. 225]. Comprenons-le bien : parce qu’elle avait été arrachée de manière unilatérale par les sciences naturelles et absorbée par elles, infidèle à sa mission d’affronter toute la réalité, et non seulement un de ses aspects – le monde sensible ou corporel.
58 [NdT : Dilthey 1946, p. 217]. J’informe que, comme dans toutes les traductions des textes diltheyens présentés dans ce texte, il ne manque pratiquement jamais un coup de pouce [NdT : en français dans le texte] qui donne aux expressions originales une plus grande plénitude. Qu’il en soit entendu ainsi. Quant à ce qui n’est pas du texte, mais qui correspond à l’exposition que j’en fais, le lecteur ne doit oublier à aucun moment ce que j’ai annoncé au chapitre II : « Il importe donc que le lecteur entre dans ce qui suit, prévenu du fait que dans ce cas, exposer consiste à compléter ». À la fin de ce livre, on comprendra très clairement le pourquoi de tous ces avertissements, réserves et précautions que j’accumule.
59 Voyez comment, vers 1895, Dilthey possédait, en principe, ce qui allait exploser en 1901 dans le monde philosophique sous le nom de « phénoménologie ». Cependant, il lui manqua l’instrument méthodique que celle-ci apporte, et qui rend possible ce que Dilthey avait vu en toute clarté. Cet instrument a permis à certains de ma génération de situer le problème bien au-delà de Dilthey. Le reste du livre apportera une entière clarté sur cela.
60 La différence radicale entre la mécanique et cette science de l’esprit humain réside dans le fait que la mécanique est une pensée constructive et a priori, dont la relation aux faits est pour le moins relâchée, tandis que cette science de la conscience devra aussi être empirique et s’en tenir rigoureusement aux faits.
61 D’où son œuvre philosophique la plus connue, et la seule qui eut une influence véritable – une influence qui, curieusement et injustement, concerna le domaine de la psychologie uniquement, et non celui de la philosophie : Idées pour une psychologie analytique et descriptive, 1894.
62 [autognosis en espagnol]. Je me suis vu forcé d’armer ce terme pour traduire de manière relativement adéquate celui de Selbstbesinnung.
63 [Dilthey 1914-1931] tome II, p. 259. [Dilthey 1946, p. 225].
64 [NdT] En français dans le texte.
65 [Dilthey 1914-1931], tome V, p. 194.
66 L’attitude dernière de Dilthey, à ce stade de la méthode, n’affecte pas la ligne générale de sa philosophie et c’est pourquoi elle reste maintenant hors de considération.