« Une œuvre d’étaiement et de reconstruction ». Notes sur la fabrique du droit coutumier, le pouvoir colonial et l’ordre du mariage dans le Congo belge de l’entre-deux-guerres
p. 165-188
Texte intégral
1« Une œuvre d’étaiement et de reconstruction1 »: c’est en ces termes qu’est définie en 1932 la mission des « juridictions indigènes » congolaises par l’un de leurs principaux artisans, quelques années à peine après leur mise en place par le pouvoir colonial belge2. Face à « l’anarchie3 » qui semble alors menacer la famille – et la société – congolaise, les juridictions indigènes et le droit coutumier sur lequel elles s’appuient apparaissent aux autorités coloniales comme des remèdes de premier ordre. Les recommandations émises à l’attention des administrateurs territoriaux chargés d’encadrer ces juridictions ne font d’ailleurs pas mystère de cette vision utilitariste : dans le règlement des litiges conjugaux (qui constituent l’essentiel des affaires soumises aux juridictions indigènes), il s’agit avant tout de « se pénétrer de la nécessité du raffermissement de la famille indigène et de la régularisation des mœurs4 ».
2Depuis près de trois décennies, les historiens du droit et de l’Afrique s’intéressent aux processus de construction du droit coutumier dans l’Afrique coloniale du xxe siècle et à leurs enjeux – juridiques, politiques et sociaux. Tous s’accordent aujourd’hui pour souligner que le droit coutumier colonial n’a jamais été synonyme d’un retour aux droits précoloniaux. Plus qu’une simple découverte ou reconnaissance des traditions juridiques africaines, la construction du droit coutumier relève d’une fabrique, indissociable de l’exercice du pouvoir colonial et de l’ordre juridique qu’il promeut autant que des changements sociaux qui l’accompagnent5. Domaine d’action privilégié du droit coutumier, le droit matrimonial et familial a d’ailleurs fourni aux historiens de nombreux cas d’études. Traités sous l’angle du genre notamment, ceux-ci illustrent de manière particulièrement frappante le caractère recréé – voire inventé6 – des « traditions » coutumières7.
3Ces avancées n’ont malheureusement guère touché la recherche sur le droit colonial congolais, sans que l’on puisse en faire reproche à l’un ou l’autre chercheur. En effet, si le droit et la justice n’ont que peu retenu l’attention des historiens du Congo colonial au cours des trente dernières années, que dire du droit coutumier ? Plus que négligé, il s’agit d’un champ laissé en friches, malgré les travaux de Jacques Vanderlinden8 dont on peut regretter que la qualité n’ait pas inspiré de nouvelles générations de chercheurs, qui auraient peut-être pu dépasser les questions de contenu pour interroger plus avant le contexte de production de ce droit coutumier. Les domaines du mariage et de la famille ne font pas exception à ce constat, eux qui furent pourtant au cœur des préoccupations (et des travaux) des premiers adeptes de l’ethnologie juridique du Congo colonial9 et dont de récents projets de recherche ont montré l’intérêt10.
4Il n’est évidemment pas ici question de combler ces lacunes, et ce texte n’a d’autre vocation que de proposer quelques éléments de réflexion relatifs à l’articulation de la création du droit coutumier au Congo d'une part et des ambitions de régulations morales et familiales de l’administration coloniale belge durant l’entre-deux-guerres d'autre part. Ces pistes sont formulées à partir d’un retour sur les circonstances du développement (et les enjeux de la construction) de ce droit coutumier et des prescriptions proposées par le pouvoir colonial en matière de mariage « traditionnel », via notamment l’exemple de l’adultère. La réflexion ne se veut pas exhaustive et repose sur des données fragmentaires, recueillies dans le cadre d’un travail11 où la justice et le droit ne sont pas au centre du questionnement, mais sont au contraire traités comme des instruments12 – parmi d’autres – mobilisés par le pouvoir colonial (avec des succès divers) au service de la défense du « bon » ordre des mariages et des familles. Un bon ordre qui se trouve au cœur des préoccupations coloniales et qui apparaît comme menacé dès le début de l’entre-deux-guerres, au moment même où les projets de reconnaissance officielle des « juridictions indigènes » se font jour.
I. Les régulations des conjugalités africaines au cœur des projets coloniaux
5Loin d'être des questions marginales réservées aux missionnaires ou à quelques moralistes zélés, le mariage, la sexualité et les rapports de genre ont été des questions stratégiques pour les pouvoirs coloniaux. Parce qu'elles étaient au cœur des définitions des catégories (et des hiérarchies) raciales comme de la « mission civilisatrice », elles ont soulevé de nombreux enjeux liés aux fondements des projets coloniaux autant qu'à leurs justifications : policer, réformer, voire révolutionner les « mœurs » des Africains ont ainsi constitué des ambitions inhérentes aux colonisations des xixe et xxe siècles. Des ambitions qui se sont traduites par des politiques ancrées dans le quotidien de la gestion coloniale13.
6Dans le cas du Congo belge, c'est surtout l'implication des missions religieuses dans ces politiques qui a été mise en évidence – et ce dès la période coloniale. Il est vrai qu'il s'agissait là d'un travail de conversion morale aux succès visibles et surtout cadrant bien avec les grands principes de la « mission civilisatrice » (mariages monogames, familles chrétiennes, normes de la domesticité bourgeoise, etc.)14. Pourtant, ces initiatives ont coexisté avec d'autres formes de régulations certes moins spectaculaires mais qui, à y regarder de plus près, sont tout aussi (voire même plus) importantes, qu'elles se jouent dans le cadre plus « ordinaire » de l'administration territoriale, de la police ou encore de la justice. La décision de l'administration coloniale, en 1926, de confier aux tribunaux coutumiers la responsabilité quasi-exclusive de l'arbitrage des litiges conjugaux des populations congolaises en est un excellent exemple, tant ses implications pour les populations concernées sont évidentes.
7En 1926, la question du règlement des litiges conjugaux congolais et des règles légales censées s'y appliquer n'était ni nouvelle, ni secondaire. Comme le résumait un fonctionnaire colonial en 1918, en en soulignant les enjeux politiques, « le maintien du bon ordre et de la tranquillité des chefferies, tout comme l'entretien des sentiments d'attachement que les noirs doivent avoir pour nous, sont étroitement liés à la façon dont nous nous occupons de ces nombreuses contestations auxquelles donnent lieu les mariages indigènes, ainsi que les paiements et restitutions de dot qui l'accompagnent. Si nous commettons l'imprudence de laisser sans suite les réclamations de ce genre, nous ne tarderons pas à voir naître dans les villages indigènes, un état de mécontentement, [...] d'insécurité susceptible d'entraîner des conséquences graves15. » Si ce souci est demeuré constant tout au long de la période coloniale, les réponses qui y ont été apportées ont quant à elles connu des évolutions notables.
II. Ordre social, ordre de genre, ordre coutumier ? Politiques coloniales et mariage « traditionnel »
8Dans les premières années de colonisation, le mariage africain et ses institutions sont ouvertement décriés. Si dans les discours, civiliser c'est aussi délivrer les Congolais de leur misère morale et des pratiques matrimoniales supposées avilir leurs femmes, dans la pratique, les engagements concrets de l'État indépendant restent cependant limités. Ils s’articulent essentiellement autour de deux éléments : premièrement, la grande liberté d’action laissée aux missions, que ces dernières ont largement mis à profit (notamment en proclamant des dissolutions de mariages polygames par exemple)16 ; deuxièmement, la promotion du mariage « à l’européenne » fondée sur l’introduction, dans le régime légal de la colonie, d’un mariage civil ouvert aux Congolais via un système d’« immatriculation » mis en place en 1895 et destiné à la frange « civilisée » de la population17.
9Bien qu’encouragé dans ses premières années parmi les populations de soldats, miliciens et autres travailleurs convertis installés dans les postes coloniaux, ce mariage civil est rapidement tombé en complète désuétude18. A l’aube du xxe siècle, l’écrasante majorité des mariages congolais est donc – en théorie du moins – toujours régie par le droit coutumier et ses instances judiciaires (sans pour autant que le contenu du premier et le fonctionnement des deuxièmes soient clairement définis). En pratique, aussi bien les missionnaires que les représentants de l’administration prennent de grandes libertés par rapport au règlement coutumier des litiges conjugaux. Les uns et les autres n’hésitent pas à s’improviser juges face aux « palabres » qui se présentent à eux ou dont ils se saisissent d’office. Ces interventions sont alors considérées de manière positive, le droit coutumier apparaissant comme un des fondements majeurs des mœurs « primitives » des populations congolaises : parce qu’ils représentent « chaque fois, un nouveau pas vers la réalisation de l’œuvre civilisatrice confiée au blanc en Afrique », ces jugements apparaissent comme ayant une « influence bienfaisante [...] sapant insensiblement, mais sûrement, ces coutumes, si pas toujours barbares, au moins souvent aussi immorales qu’injustes19. » Quelques années plus tard, au sortir de la première guerre mondiale, ces mêmes interventions feront l’unanimité contre elles : c’est d’ailleurs aussi pour les contrer qu’a été élaboré le décret sur les juridictions indigènes de 1926.
10Le principal reproche qui leur est alors adressé est symptomatique de l’évolution des perceptions coloniales du mariage congolais « traditionnel » et de l’ordre coutumier supposé le régir : seule « l’autorité indigène », garante des « règles certaines de la coutume », peut assurer les autorités coloniales de ce que « le moral des noirs, le respect des chefs [soient] maintenus debout20. » Que ces propos émanent de l’un des principaux partisans de l’instauration d’une administration plus indirecte au Congo est également significatif. L’idée qu'il ne faut pas essayer de façonner « artificiellement » les Africains à l'image des Européens, y compris dans le domaine des relations de genre et de la famille, et qu'un encadrement « traditionnel » est ce qui convient le mieux à leur « nature » (et à leur contrôle) fait en effet partie intégrante de cette doctrine. Outre qu'elles permettent de réaffirmer plus strictement les frontières des catégories raciales, ces évolutions s'inscrivent aussi et avant tout dans le pragmatisme d'une gestion coloniale qui s'appuie, de manière croissante après la première guerre mondiale, sur les élites locales « traditionnelles » et leurs structures de l'autorité.
11Le basculement rapide dans l’appréciation des coutumes qui entourent le mariage « traditionnel », désormais considérées comme de « sains » gages de stabilité et d’ordre des familles congolaises, est l’une des déclinaisons les plus frappantes de ces évolutions. A leur image, il est fondé sur le constat de l’existence d’une menace pour l’ordre colonial : celle que pose la « désagrégation » de la famille congolaise pour l’ordre des liens familiaux et avec eux pour l’ordre social. Une désagrégation qui serait le fruit des premières années de colonisation marquées par les interventions intempestives des missionnaires et de certains représentants de l’administration et de la magistrature coloniale, ainsi que par le mépris témoigné aux règles « coutumières » du mariage africain au profit d’une idéologie européenne du mariage moderne toute « imbue de nos principes de liberté individuelle ». Pour les autorités coloniales, le constat est à la fois amer et inquiétant : « Force nous est de constater que nous avons détruit ou laissé détruire, sans les remplacer, toutes les coutumes et les croyances qui protégeaient la famille indigène. Nous avons laissé prendre par la femme indigène et parfois même nous l’avons amenée à prendre une liberté dont elle devait abuser parce que rien ne la préparait à en jouir21. »
12Il faut dire que même si elles ne s’étaient pas révélées aussi libératrices que ce que certains observateurs coloniaux ont bien voulu laisser croire, les premières instructions relatives au mariage congolais et au règlement des litiges y relatifs avaient ouvert quelques fenêtres d’opportunités dont certaines femmes avaient su profiter. A côté des bouleversements sociopolitiques et économiques engendrés par la présence coloniale, les recours offerts par les tribunaux européens, les interventions des missionnaires ou les administrateurs s’improvisant magistrats ont permis à certaines (et à certains) de négocier de nouveaux espaces de liberté et d’opportunité, notamment en termes de mariage et d’obligations conjugales. Le flou et les ambiguïtés des prescriptions officielles22 comme des compétences en matière d’arbitrage des « palabres de femmes » ont généré des interstices et des incertitudes. Et au Congo belge comme dans de nombreux autres territoires de l’Afrique coloniale23, les populations colonisées ne se sont pas privées de jouer avec les contradictions qu’offrait ce paysage juridique et réglementaire complexe. Les archives de l’administration territoriale foisonnent d’affaires où des Congolaises souhaitant se dégager des liens d’un mariage ou en contester certains termes s’adressent successivement aux différents échelons de pouvoir (administration, magistrature, autorités coutumières) afin d’obtenir satisfaction, profitant dans certains cas des dissensions locales, et ce dès les années 1910.
13Ce sont précisément ces opportunités (pourtant toutes relatives) qui, au début de l’entre-deux-guerres, inquiètent de manière grandissante les autorités coloniales belges et les amènent à rechercher de nouvelles solutions pour contrer ce « chaos24 » matrimonial et de genre.
III. Restaurer la coutume et encadrer les unions : les juridictions coutumières au service de « l’affermissement de la famille indigène »
14C’est donc dans ce contexte que le droit coutumier et ses juridictions vont apparaître aux autorités coloniales du Congo comme des alliés incontournables. Echaudée par les « dégâts » causés par les interventions « libératrices » des premières années de colonisation, l’administration coloniale se montre de plus en plus sceptique face aux perspectives de renforcement et/ou de création de législations d’influence européenne sur le sujet. Qu’ils concernent la répression de l’adultère, de la polygamie, des abandons de domicile conjugal ou tout autre manquement des époux aux devoirs du mariage, les projets de ce type sont tous écartés. A l’exception d’un décret sur les mariages précoces25, aucune nouvelle mesure législative relative au mariage n’est donc prise durant l’entre-deux-guerres, et ce malgré un contexte de débats intenses qui s’étalent à la une des journaux coloniaux26, sur les bancs du Conseil colonial27 ou dans les rangs d’une institution telle que la Commission pour la protection des indigènes28.
15Pour autant, ce n’est pas un statu quo qui est proposé, mais bien un autre type d’intervention : c’est aux autorités coloniales qu’il revient d’encourager le respect des coutumes et de veiller au maintien des traditions matrimoniales congolaises désormais perçues comme garantes du bon ordre des mariages et des familles – et plus globalement de la société. Edicté le 15 avril 1926, le décret sur les juridictions indigènes consacre la matérialisation de ce principe : en confiant la responsabilité de l’arbitrage des litiges et des délits coutumiers (pour autant qu’ils ne soient pas aussi prévus par la loi et qu’ils ne contreviennent pas à l’ordre public) aux tribunaux coutumiers, il attribue de fait la gestion de l’essentiel des litiges associés au mariage à ces instances29.
16Même si le décret prévoit une surveillance et un encadrement européens des juridictions indigènes30, il ne peut donc plus être question, pour les administrateurs et les magistrats européens comme pour les missionnaires, d’intervenir dans les contestations liées aux mariages coutumiers portées à leur connaissance. Le renvoi devant les juridictions indigènes s’impose, même s’il convient toujours, au début des années 1930, de ménager certains principes (possibilité de dissolution des mariages conclus de manière illicite – par voie de rapt ou d’héritage – par exemple) et certaines susceptibilités (celles des missionnaires notamment, qui devront être « entendus » puis « informés » des décisions des tribunaux coutumiers)31. Aux administrateurs qui seraient réticents à laisser agir les juridictions indigènes, particulièrement dans les cas de mariages polygames, le Recueil à l’usage des fonctionnaires et agents de la colonie (le « Rufast », bible officielle de l’administration territoriale du Congo) rappelle qu’il reste impossible de combattre cette forme d’union « par voie de mesures législatives draconiennes. Ce serait provoquer des troubles profonds dans la société indigène. Il en serait de même si tout en respectant les unions polygamiques existantes, on interdisait qu’il s’en créât de nouvelles. Trop étrangère aux conceptions indigènes, trop peu en harmonie avec leur état social actuel, l’interdiction, dans ses effets préventifs, resterait lettre morte. Des sanctions rigoureuses pourraient faire plus de mal que de bien. [...] Le mariage des indigènes sous la forme polygamique est, malgré ses inconvénients, préférable à la licence des mœurs32. » Par la même occasion, il est aussi rappelé aux administrateurs au nom de quels motifs le droit coutumier doit prévaloir, à savoir la préservation de l’ordre de genre et des familles : quitte à prendre quelques libertés avec les principes de la « mission civilisatrice », il s’agit d’éviter à la société congolaise de plus grands dangers en la matière car « la femme libre de tout lien conjugal devient une proie facile pour la prostitution33 ». Quelques années plus tard, le gouverneur général de la colonie Pierre Ryckmans ne dit pas autre chose : « Bien des contraintes coutumières attentent à la personnalité humaine ; mais faites sauter les contraintes coutumières, vous tombez dans l’anarchie morale... L’injustice est parfois préférable au désordre34. »
17Car il ne s’agit pas de donner un blanc-seing aux tribunaux coutumiers et à leurs magistrats. Le décret prévoit un encadrement et une surveillance de leurs activités par les administrateurs territoriaux notamment, qui doivent en faire rapport à leur hiérarchie. De manière à les guider dans cette tâche, des instructions sont donc fournies de façon périodique, qui reflètent les enjeux qui s’attachent à ces juridictions. Il s’agit généralement de grandes tendances qui doivent être communiquées aux juges coutumiers afin de leur indiquer la voie à suivre. N’en donnons qu’un exemple : en 1942, à la suite des inquiétudes grandissantes autour de la multiplication des plaintes relatives au « dévergondage de la jeunesse indigène », le gouvernement de la Province orientale recommande explicitement à ses administrateurs de convaincre les juges congolais locaux de sévir et de saisir « toutes les occasions (conseils de notables, tribunaux de territoire, conversations, etc.) pour faire toucher aux autorités indigènes la profondeur de la plaie et tenter de provoquer chez elles la réaction désirée », avant de conclure sur l’importance de l’autorité paternelle et maritale (« il est aussi important pour l’avenir de relever le prestige du père que de maintenir celui du chef35 »).
18Parallèlement, les administrateurs territoriaux ont à leur disposition, dès 1932, un véritable manuel des juridictions indigènes : c’est en effet bien ce rôle que joue la Pratique des juridictions indigènes36 publiée en 1932 par celui qui est alors le grand spécialiste du droit coutumier – et l’un de ses principaux défenseurs – Antoine Sohier37. La Pratique des juridictions indigènes, citée en ouverture de ce texte, a été conçue par son auteur comme un guide à destination des fonctionnaires et des magistrats concernés. C’est une « pratique judiciaire38 » qui propose des directives tant sur les procédures liées à l’exercice de la justice coutumière, que sur le fond des décisions à rendre.
19Dans ce dernier domaine, les directives se rassemblent autour d’un même principe, celui de « la consolidation de l’ordre familial et social39 » des Congolais, un principe auquel on sait que la création du droit colonial coutumier a été au service dans toute l’Afrique subsaharienne. Au Congo comme dans de nombreux autres régions, les prescriptions coloniales encouragent les administrateurs – et avec eux les juges autochtones – à rechercher la coutume « authentique », celle qui était d’application avant que la rencontre coloniale ne vienne pervertir les « saines » règles originelles. La Pratique des juridictions indigènes recommande d’ailleurs la plus grande méfiance à l’égard des « cas d’inobservance de la règle due, non à une évolution de la coutume, mais à la licence des mœurs qui laisse la coutume complètement debout40 ». Comme on le verra dans quelques lignes avec l’exemple des instructions en matière d’adultère, la recherche de la coutume « authentique » a souvent été synonyme d’une rigidification de l’ordre social et surtout de l’ordre de genre qui rejoignait les intérêts des notables traditionnels (au détriment de ceux des femmes et d’autres catégories sociales). Se référant précisément à ces hommes détenteurs de l’autorité pour leur entreprise de redéfinition de la « vraie » tradition, les ethnologues (et avec eux les agents du pouvoir colonial) se sont révélés être des collaborateurs efficaces, contribuant à développer une image des systèmes sociaux africains « as fixed and functionalist rural paradises in which every one knew their place and political power was unchallenged41 ».
20Les instructions d'un Sohier laissent entrevoir ce que d'autres historiens ont déjà constaté pour l'ensemble de l'Afrique coloniale : la montée en puissance des juridictions indigènes et du droit coutumier se traduit par des redéfinitions du mariage et des obligations respectives qu'il implique plus strictes par comparaison aux droits précoloniaux, et au désavantage des femmes. La fluidité des droits précoloniaux, leurs subtilités, leurs capacités d'adaptation sont autant d'éléments qui ne convenaient pas aux colonisateurs et à leurs logiques du droit et de la vie judiciaire. Partout en Afrique, « the invention and eventual codification of custom solidified fluid cultural and legal ideas and relationships into reproducible raies42. » En matière de droit matrimonial et familial, de tels mouvements de rigidification qui tendent à renforcer l’autorité du père et du mari correspondaient également bien aux visions patriarcales des Européens dans la grande tradition du droit romain. Il faut dire que dans beaucoup de régions, le mariage africain et sa nature progressive, le fait même qu’il puisse exister différents niveaux d’engagement conjugal apparaissait intolérable à beaucoup de colonisateurs et progressivement, « in the courts, women went from being wives to husbands to being wives of husbands [...]43 ». Dans le cas du Congo, la contribution de la construction coloniale du droit coutumier à ces tendances générales est visible dans de nombreux domaines (abandons de domicile conjugal, dissolution des mariages polygames, règlement des litiges dotaux, etc.), mais celui de la question de la répression de l’adultère en est particulièrement révélateur.
IV. S’assurer de la fidélité des femmes : relations extraconjugales et logiques coloniales du droit coutumier
21La répression de l’adultère est une question qui a préoccupé le monde colonial belge dès le début du XXe siècle. L’impunité dont les relations extraconjugales jouissent dans le droit colonial en est une des raisons majeures. Alors qu’en Belgique métropolitaine, le code pénal prévoit des sanctions pour les époux adultères, son équivalent congolais demeure silencieux sur le sujet44. La raison principale de cette exception coloniale est simple : le législateur a voulu éviter que les Européens mariés mais ayant laissé leur épouse en métropole ne soient poursuivis pour des adultères commis avec des femmes africaines (elles-mêmes éventuellement mariées)45. Ce silence empêche donc toute poursuite de la justice européenne contre des époux adultères, que ceux-ci soient européens ou africains (dans le cas où les mariages concernés ont été conclus selon le droit civil et non – seulement – selon la coutume).
22Ce n’est pourtant pas l’impunité persistante des Européens adultères qui inquiète les autorités coloniales au début de l’entre-deux-guerres, mais bien celle des femmes congolaises infidèles. Si les perceptions européennes de l’adultère dans les sociétés congolaises oscillent au départ entre, d’une part, celles de pratiques socialement et juridiquement banales (l’absence de sanctions autres que de modestes indemnisations n’apparaissant que comme la traduction juridique de la grande liberté de mœurs des Congolais) et, d’autre part, celle de délits graves réprimés de manière impitoyable (mutilations, exécutions, etc.), leur focalisation sur l’adultère féminin les rassemblent très largement. Les infidélités des hommes congolais ne sont en effet que rarement mentionnées par les apprentis-ethnologues et autres voyageurs, et lorsque c’est le cas, ce n’est en général que pour souligner leur impunité.
23Au sortir de la première guerre mondiale, la question se fait d’autant plus pressante que, de toutes parts, émergent des critiques alarmistes sur l’infidélité croissante des femmes. On y retrouve tous les éléments de la rhétorique de la « crise du mariage » : les milieux urbains et leur « régime matrimonial anarchique46 » mais aussi les milieux ruraux, victimes de la déliquescence des traditions coutumières, déliquescence dont les interventions « civilisatrices » européennes sont – en partie – présentées comme responsables. L’exemple de l’adultère a cependant ceci de spécifique qu’il semble faire l’unanimité parmi les autorités coloniales. Même les missions catholiques regrettent, au début des années 1920, l’affaiblissement des sanctions « traditionnelles » des adultères47, présentées comme constituant « la digue la plus forte contre le débordement des mœurs qu'on déplore. L’ordre et la tranquillité dans les villages, la nécessité de défendre les familles contre la débauche, d’éviter la propagation de maladies vénériennes, de sauvegarder la vitalité de beaucoup de clans, la moralité publique exigent impérieusement que l’administration maintienne et fasse observer partout dans les chefferies les sanctions coutumières, qui ne sont pas contraires aux lois répressives de la colonie, ni à la Charte coloniale, et que dans les villages extracoutumiers des peines sévères et appropriées soient statuées contre le viol et l’adultère48. » De manière générale, même les plus farouches opposants au droit coutumier, pourfendeurs de la polygamie, du système dotal et autres pratiques « claniques » jugent la répression de l’adultère comme une « saine coutume ». Malgré les progrès croissants des connaissances ethnographiques (les études sur le sujet se multiplient dès les années 1930)49, il y a là peu de place pour les nuances. La complexité des fines analyses d’un Gustave Hulstaert (qui souligne par exemple dès 1937 l’existence d’« actes sexuels complets avec une personne mariée » qui ne sont pas considérés comme « illicites » par des groupes qui répriment pourtant durement certaines formes d’adultères50) trouve peu d’échos.
24Cette absence de complexité et de nuances est l’une des caractéristiques les plus frappantes des recommandations coloniales aux juridictions indigènes en matière d’adultère, qui représentent par ailleurs les seules avancées dans ce domaine durant l’entre-deux-guerres malgré de nombreux projets de décrets (qui aboutiront finalement en 1948)51. Les directives formulées par Antoine Sohier dans la Pratique des juridictions indigènes sont à cet égard frappantes : « Toutes les coutumes prévoient de façon plus ou moins stricte le devoir de fidélité. Des coutumes en sens contraire devraient être déclarées contraires à l'ordre public52. » Le délit d’adultère se trouve ainsi établi en tant que règle coutumière pour l’ensemble du Congo. Désormais, toutes les situations impliquant des relations sexuelles entre une personne mariée et une personne autre que son conjoint sont catégorisées comme étant contraires à l’ordre public et donc répréhensibles. Cela représente une extension, par principe, d’un usage existant dans certaines populations et/ou dans certains groupes sociaux53 seulement, à l’ensemble de la colonie et de ses habitants- congolais bien entendu54 : l’adultère est en effet une catégorie européenne qui ne correspond pas forcément à un ensemble de réalités congolaises diverses, où la nature de l’union, les protagonistes et le contexte des relations « adultérines » entrent en jeu et peuvent conférer, selon les cas, des natures (et des impacts) très différents aux relations que les observateurs européens rangent sous le label général d’adultère. Surtout, cela révèle les procédés de sélection (voire d’invention) de coutumes à l’œuvre dans la construction du droit coutumier colonial et les logiques sur lesquelles ils se fondent. La comparaison avec les recommandations du même Sohier sur la polygamie est à cet égard édifiante. Celles-ci insistent en effet sur l’importance du respect des traditions polygamiques congolaises, même si elles apparaissent odieuses aux observateurs européens, et cela au nom du respect des coutumes et... de l’ordre des familles. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : détruire la polygamie comme tolérer l’adultère, c’est travailler « en faveur de la débauche et du dérèglement des mœurs55 ». Pour Sohier comme pour beaucoup d’autres acteurs du pouvoir colonial de l’entre-deux-guerres, le rôle premier des juridictions indigènes était d’être « un facteur prépondérant du progrès moral de la colonie56 », et la répression de l’adultère comme la tolérance à l’égard de la polygamie ont en commun de permettre un contrôle des femmes – et de leur sexualité, élément central de « l’ordre des familles » tel qu’il était conçu à l’époque.
25A y regarder de plus près, les contradictions des principes émis par Sohier (respect des « traditions » congolaises mais répression inconditionnelle des adultères) ne sont d’ailleurs visibles que dans les cas d’adultères féminins. Dans le chapitre « Adultère et Prostitution » de son ouvrage, les adultères masculins sont traités en... quatre lignes ! Quatre lignes qui mettent en avant l’indulgence de la coutume pour ces cas de figure qui ne seraient jamais réprimés pénalement. Les adultères féminins sont quant à eux abondamment évoqués et présentés comme punis de sanctions pénales « dans la plupart des coutumes » : « En effet, le mari avait sur elle un droit de punition allant souvent jusqu’à la mutilation et la mort. Par assimilation, des peines peuvent être prononcées qui, selon le système établi par nous, seront des peines de prisons dans les limites fixées par le décret57. » Le juriste conseille également de veiller à la réconciliation des époux, et de ne pas se contenter de faire appliquer la peine. C’est d’autant plus le cas que la semaine passée en prison par l’épouse adultère serait dans bien des cas « très douce » et ne suffirait pas à calmer ses ardeurs. Dans ces cas, il ne faut pas, selon Sohier, se décourager : en tant que « récidive d’une infraction », ces écarts doivent être punis d’une peine plus lourde pouvant atteindre le maximum légal, et ce à plusieurs reprises. A ceux qui pourraient nourrir l’un ou l’autre scrupule, il est précisé que malgré la rigueur du système, « on évitera toute sensiblerie en se rappelant combien il est bénin par comparaison aux mœurs indigènes anciennes58 ». Une sensiblerie toute européenne, en partie responsable du supposé laxisme des autorités indigènes car « en matière d’adultère, la licence des mœurs et l’absence de répression se sont souvent introduites uniquement parce que les autorités indigènes n’osaient plus appliquer ou laisser appliquer les sanctions coutumières prohibées par les Européens à raison de leur barbarie, et n’apercevaient pas la possibilité de prononcer d’autres sanctions par équivalence. Leur conviction que le blanc est favorable aux infidélités est si forte, que même lorsqu’on les a averties de leurs droits, elles n’en usent qu’avec une certaine timidité, craignant que leur sévérité ne soit réprouvée59. » Il ne faut donc pas craindre de « rappeler » aux responsables « indigènes » la gravité du délit et le panel d’outils répressifs dont ils disposent pour condamner les femmes adultères (et éventuellement leurs complices60).
26Si les lois du Congo belge interdisent effectivement les sanctions « barbares » (mutilations, mise en esclavage, etc.), le règlement des juridictions indigènes offre cependant à leurs juges la possibilité d’infliger des peines d’amendes, de prison et de fouet (« chicotte »). Cette dernière option ne peut toutefois s’appliquer aux femmes61. Ce que certains semblent regretter : même une institution « humaniste » comme la Commission pour la protection des indigènes prônait l’application de peines corporelles aux femmes adultères62. De manière similaire, Sohier lui-même a fait état de critiques lui reprochant sa modération et dénonçant la généralisation du versement d’indemnités (qui favoriserait la prostitution, le Congolais étant « alléché par l’indemnité à toucher ») et de peines de servitude pénale au détriment de la chicotte qui « paraît devoir être recommandée aux tribunaux indigènes63 ». Précisons ici que Sohier est explicitement opposé aux peines de fouet dans les affaires d’adultère (y compris lorsqu’elles visent des hommes complices donc), bien qu’il soit douteux que sur ce point précis, son avis ait été suivi64.
27S’il ne fait aucun doute que, de manière générale, les prescriptions de Sohier aient fait autorité parmi une frange importante de l’administration – et de la magistrature – coloniale, il convient toutefois d’en mentionner les limites. Certes, elles nous éclairent sur les recommandations faites aux acteurs européens des juridictions indigènes, mais elles ne nous apprennent pas grand-chose sur la manière dont, au quotidien, les juges congolais réglaient les affaires d’adultère. Même si le décret de 1926 instaure des écritures plus régulières et favorise la surveillance exercée par les autorités coloniales sur les tribunaux coutumiers, on reste cependant loin d’un contrôle systématique du travail des juridictions et encore moins des décisions prises par elles. A côté des assemblées « clandestines » qui, en dehors de tout contrôle colonial, tranchent les litiges soumis par les populations locales, de nombreux témoignages attestent du rôle joué par des instances de « conciliation » agissant en amont des tribunaux officiels (et dont Sohier lui-même reconnaît l’existence)65. De même, si les conseils de la Pratique des juridictions indigènes font autorité, les ambigüités de leur contenu contribuent également à limiter leurs effets. Partagés entre le souci du respect de la coutume que prescrivent les recommandations – et le décret – d’une part, et le besoin de restaurer l’ordre moral de la société congolaise qui sous-tend ces mêmes recommandations d’autre part, les administrateurs territoriaux et les magistrats européens ont fort à faire dans leur rôle de « guide » des juridictions indigènes. D’une certaine manière, Sohier lui-même n’échappe pas à ses propres contradictions. En 1933, répondant à certains de ses lecteurs qui lui suggèrent quelques innovations coutumières en matière de règlements d’adultère, il s’offusque : « Il y a là une erreur fondamentale qu’on ne doit pas se lasser de la relever. Ni le procureur général, ni l’administrateur n’ont le pouvoir législatif et ne peuvent créer des coutumes par voie d’autorité. [...] Particuliers, missionnaires, qui approuvez cette fois l’administrateur, de quelles fantaisies d’un de ses collègues pourrez-vous souffrir dans d’autres cas ? Ce qu’un administrateur fait, son successeur, son adjoint, peut-être, pourra le défaire. Et où vous arrêterez-vous ?66 » Ses textes montrent pourtant qu’il était le premier concerné par ce type de contradictions.
Conclusions
28On pourrait développer de nombreux exemples des limites des logiques coloniales du droit coutumier. Récemment, certains travaux ont d’ailleurs remis en cause l’efficacité des processus d’inventions de traditions et de coutumes, notamment en soulignant les capacités de résistance et de camouflage des juridictions africaines face aux règles que tentent d’imposer les colonisateurs67. Néanmoins, le cas de l’adultère – comme celui du mariage et de l’indiscipline des femmes en général – présente une spécificité : il constitue un point de rencontre potentiel des intérêts des colonisateurs et de certains groupes de colonisés. On sait en effet que les élites traditionnelles africaines ont été parties prenantes des processus d’innovation ou d’invention à l’œuvre dans la construction du droit coutumier68, et la répression systématique des adultères féminins constitue un point où les intérêts patriarcaux des notables africains rejoignent largement ceux du pouvoir colonial. L’hypothèse reste à vérifier dans le cas du Congo belge, mais sa pertinence ne serait pas surprenante au regard de ce qui s’est passé dans d’autres colonies d’Afrique centrale et australe69, même s’il ne faut pas sous-estimer l’habile utilisation, par les femmes, des recours qu’ont pu leur offrir les contradictions persistantes du droit coutumier et de sa place au sein de la justice coloniale.
29De manière générale, les contradictions et ambiguïtés des logiques coloniales du droit coutumier en matière de « mariage indigène » ne font que refléter les contradictions et ambiguïtés des projets coloniaux de redéfinition des normes conjugales et de genre des populations colonisées, et c’est en ce sens qu’elles sont génératrices d’interstices qui permettent à l’ensemble des acteurs concernés de négocier (ou du moins d’essayer de négocier) des opportunités au sein de l’appareil du droit coutumier que constituent les « juridictions indigènes ». Parmi les autorités coloniales mêmes, missionnaires, magistrats et administrateurs usent de ces contradictions et ambiguïtés pour promouvoir leurs visions respectives du « bon » ordre du mariage : il est à cet égard particulièrement intéressant d’observer, dans les archives coloniales, la diversité des décisions prises sur base d’un même principe coutumier ou d’une même recommandation tout droit sortie de la Pratique des juridictions indigènes (qui, il est vrai, s’adressait à l’ensemble du Congo, un pays dont la diversité juridique est à la mesure de la diversité humaine). Si la présente contribution s’est surtout attachée à la manière dont la construction du droit coutumier a pu être envisagée par le pouvoir colonial comme un outil au service de la défense d’un certain ordre des mariages et des familles, d’autres recherches pourront explorer les multiples usages faits par les colonisés de ce qui fut aussi, au moins pour certaines catégories d’entre eux, un véritable outil. De nombreuses questions restent donc ouvertes, non seulement sur les enjeux de la fabrique de cette composante essentielle du droit colonial, mais aussi sur les pratiques quotidiennes de cette justice coutumière et surtout sur les changements sociaux qui s’y négocient.
Notes de bas de page
1 Sohier, A., Pratique des juridictions indigènes. Notes sur l'application du décret du 15 avril 1926, Bruxelles, 1932, p. 5.
2 Via le décret du 15 avril 1926 sur les juridictions indigènes, in Bulletin Officiel du Congo belge, 1926, p. 448 et s.
3 Sohier, A., op. cit., p. 5.
4 Ibidem, p. 6.
5 Comme l’ont démontré les travaux pionniers de Martin Chanock qui ont inspiré toute une génération de chercheurs. Voir notamment Chanock, M., « Making Customary Law : Men, Women, and Law in Colonial Nothern Rhodesia », in Hay, J. et Wright, M. (dir.), Africain Women and the Law, Boston University Press, Boston, 1982, et Chanock, M., Law, Custom and Social Order : The Colonial Experience in Malawi and Zambia, Cambridge University Press, Cambridge, 1985.
6 Selon l’expression et le concept proposés par Terence Ranger et Eric J. Hobsbawm. Voir Ranger, T., « The Invention of Tradition in Colonial Africa », in Ranger, T. et Hobsbawm, E. (dir.), The Invention of Tradition, Cambridge University Press, Cambridge, 1983.
7 On trouvera un bilan de ces désormais nombreuses études (essentiellement anglophones) dans Coquery-Vidrovitch, C., « Genre et justice. Les recherches avancées en langue anglaise » Cahiers d’études africaines, nos 187-188, « Les femmes, le droit et la justice », 2007.
8 Jacques Vanderlinden a consacré une large part de ses recherches au droit coutumier, notamment dans l’espace du Congo ex-belge. Ses premiers travaux sur le sujet datent de la fin des années 1950 et se sont poursuivis depuis lors. Parmi de nombreuses références, voir notamment Vanderlinden, J., Essai sur les juridictions de droit coutumier dans les territoires d’Afrique centrale, Bruxelles, Académie royale des sciences d’outre-mer, 1959 ; Id., « Vers la rédaction des droits coutumiers congolais », in La rédaction des coutumes dans le passé et dans le présent, Éditions de l’Institut de sociologie, Bruxelles, 1962 ; Id., Coutumier, manuel et jurisprudence de droit Zande, Éditions de l’Institut de sociologie, Bruxelles, 1969 ; et plus récemment Id., « Regards sur la rencontre d’un ordre colonial et d’ordres précoloniaux. Fragments relatifs au destin des droits originellement africains dans le système colonial belge », in L’ordre juridique colonial belge en Afrique centrale, Académie royale des sciences d’outre-mer, Bruxelles, 2004.
9 Comme en témoigne le nombre de travaux consacrés à ce sujet dès les années 1930. On en trouvera un aperçu dans Maquet, J., « Droit coutumier traditionnel et colonial en Afrique centrale. Bibliographie commentée », Journal de la Société des africanistes, t. 35, vol. 2, 1965, et dans Vanderlinden, J., « L’ethnologie juridique en Belgique de Post à Lévi-Strauss », in Rapports belges au 10e Congrès international de droit comparé, Bruylant, Bruxelles, 1978. Pour plus de détails du contexte plus général de cette production, voir Poncelet, M., L’invention des sciences coloniales belges, Karthala, Paris, 2008.
10 Voir les recherches en cours de Charlotte Braillon et notamment Braillon, C. et Falcone, E., « Mariage, droit et colonisation(s) en Amérique hispanique et au Congo belge : quelle concurrence ? », in Concurrences en missions : propagande, conflit et cœxistence ( xixe – xxe siècles), Karthala, Paris, 2010.
11 Lauro, A., Les politiques du mariage et de la sexualité au Congo belge (1908-1945). Genre, race, sexualité et pouvoir colonial, thèse de doctorat en histoire, Université libre de Bruxelles, 2009.
12 Selon l’expression de Headrick, D., The Tools of Empire. Technology and Imperialism in the Nineteenth Century, Oxford University Press, Oxford, 1981.
13 Les travaux sur ces politiques et leurs enjeux se sont multipliés au cours de ces vingt dernières années. Parmi de nombreuses références, voir notamment Stoler, A.-L., Carnal Knowledge and Impérial Power. Race and the Intimate in Colonial Rule, University of California Press, Berkeley-Los Angeles, 2002 ; Levine, P., Gender and Empire, Oxford University Press, Oxford, 2004 ; Phillips, R., Sex, Politics and Empire : A postcolonial Geography, Manchester University Press, Manchester, 2006.
14 Sur ce sujet, voir Hunt, N. R., « Colonial Fairy Taies and the Knife and Fork Doctrine in the Heart of Africa », in Transberg Hansen, K. (dir.), African Encounters with Domesticity, Rutgers University Press, New Brunswick, 1992, et ID., « Domesticity and Colonialism in Belgian Africa : Usumbura’s Foyer Social, 1946-1960 », Signs : Journal of Women in Culture and Society, t. 15, vol. 3,1990.
15 Note sur le règlement des palabres ressortissant au mariage coutumier, du commissaire de district du Sankuru, 31 juillet 1918, AA (Archives africaines, Bruxelles), GG (Fonds du Gouvernement général) (19656) et AA, GG (8315).
16 Sur ce sujet, voir Hunt, N. R., « Noise over Camouflaged Polygamy. Colonial Morality Taxation, and a Woman-naming Crisis in Belgian Africa », Journal of African History, no 32, 1991 et Lauro, A., op. cit., p.161 et s. Pour une étude détaillée des mesures prises par l’État indépendant du Congo sur la polygamie, voir Bochon, A., « Moraliser pour servir ». Aspects juridiques de la lutte contre la polygamie dans l’État indépendant du Congo (1885-1908) et au Congo belge (1908-1960), mémoire de fin d’études de master en droit, Université libre de Bruxelles, 2010.
17 Décret du 4 mai 1895, in Bulletin Officiel de l’État indépendant du Congo, Bruxelles, 1895, p. 138 et s. Pour plus de détails sur ce système, voir Lotar, P., « L’immatriculation des indigènes à l’état civil », Bulletin des séances de l’Institut royal colonial belge, t. 8, 1937, p. 54-58.
18 Vanderlinden, J., 1959-1960. La crise congolaise, Complexe, Bruxelles, 1985, p. 42. En 1898, Félicien Cattier résumait déjà les deux « vices essentiels » du système : « Le premier est de traiter absolument comme des civilisés des indigènes qui ont perdu un peu de leur barbarie primitive ; et le second est de considérer comme une preuve de civilisation l'accomplissement d'une formalité administrative. » Cattier, F., Droit et Administration de l'État Indépendant du Congo, Larcier, A. Pedone, Bruxelles, Paris, 1898, p. 358.
19 Gervais, L., « Les Palabres » in Cercle Africain. Causeries du mercredi. Mœurs et coutumes, Bruxelles, 1907, p. 20-21.
20 Salkin, P., Études africaines, Larder, Bruxelles, Challamel, Paris, 1920, p. 399.
21 Courrier du Gouverneur général au ministre des Colonies, 11 août 1926, AA, AI (Fonds Affaires indigènes ») (1396), dossier « Puissance maritale et paternelle, organisation de la famille, mariage indigène AIII8 ».
22 Ces prescriptions sont essentiellement contenues dans la circulaire du 22 juin 1914 du Gouverneur général rappelant aux autorités territoriales leurs obligations dans la lutte contre la polygamie et traçant les directives qu'ils ont à suivre pour modifier progressivement les mœurs de la population à cet égard, in Recueil mensuel des circulaires, instructions et ordres de service, Borna, 1914, p. 159 et s. Sur leur flou et leurs ambiguïtés, voir Hunt, N. R., « Noise over camouflaged polygamy... », op. cit., p. 473.
23 Voir notamment les travaux pionniers de Chanock, M., « Making Customary Law : Men, Women, and Courts in Colonial Nothern Rhodesia », in Hay, M. et Wright, M. (dir.), African Women and the Law : Historical Perspectives, Boston University Press, Boston, 1982, p. 57-60, et de Schmidt, E., « Negociated Spaces and Contested Terrain : Men, Women, and the Law in Colonial Zimbabwe, 1890-1939 », Journal of Southern African Studies, t. 16, vol. 4, 1990. Voir aussi Parpart, J. L., « Sexuality and Power on the Zambian Copperbelt : 1926-1964 », in Stichter, S. et Parpart, J. L. (dir.), Patriarchy and Class. African Women in the Home and the Workforce, Westview Press, Boulder, 1988, p. 117-119, et Byfield, J., « Women, Marriage, Divorce and The Emerging Colonial State in Abeokuta (Nigeria) 1892-1904 », in Hodgson, D. L. et McCurdy, S. A. (dir.), ‘Wicked’ Women and the Reconfiguration of Gender in Africa, Heinemann, James Currey, David Philip, Postmouth, Oxford, Cape Town, 2001. Des constats plus ou moins similaires ont également été posés en ce qui concerne certains territoires de l’Afrique française, voir Roberts, R., Litigants and Households : African Disputes and Colonial Courts in the French Soudan, 1895-1912, Heinemann, Portsmouth, 2005, chap. 5 et 6 ; Rodet, M., « Genre, coutumes et droit colonial au Soudan français (1918-1939) », Cahiers d’études africaines, no 187-188, op. cit., 2007.
24 J’emprunte cette expression à Allman, J., « Rounding up Spinsters : Gender chaos and Unmarried Women in Colonial Asante », Journal of African History, vol. 37, 1996.
25 Décret sur la protection de la jeune fille non-pubère du 9 juillet 1936, in Bulletin Officiel du Congo belge, 1936, p. 941 et s. L’édiction de cette mesure n’est par ailleurs pas si exceptionnelle au regard de son contenu, qui vise à réprimer une forme de sexualité jugée déviante et nuisible à la natalité plus qu’une forme d’union conjugale. Sur le sujet, voir Lauro, A., op. cit., p. 252-306.
26 N’en donnons que deux exemples : « Le régime dotal chez les noirs », L’Avenir colonial belge, 26 novembre 1932, p. 1, et « Tribune libre. A propos de la polygamie », L’Essor Colonial et Maritime, 18 mars 1934, p. 1.
27 Durant l’entre-deux-guerres, le Conseil colonial est en effet régulièrement agité par des débats sur divers aspects de ces questions (adultère, bigamie, manquements des époux aux obligations conjugales, etc.) qui, malgré de longues discussions, n’aboutissent à rien durant cette période. Le Conseil colonial était un conseil consultatif chargé de donner son avis sur les projets de décrets élaborés (le plus souvent) par le ministère des Colonies. Très influent, il a constitué une sorte d’antichambre législative du pouvoir colonial. Voir Durieux, A., Institutions politiques, administratives et judiciaires du Congo belge et du Ruanda-Urundi, Éditions Bieleveld, Bruxelles, 1955, p. 28-29.
28 Entre 1911 et 1947, pas un seul rapport de cette commission ne s’abstient d’évoquer la question du « mariage indigène ». La commission pour la protection des indigènes a été fondée en 1908. Son rôle était de veiller à la protection des autochtones et à l’amélioration de leurs conditions morales et matérielles d’existence. Elle adressait des rapports au Roi (publiés) présentant un état des lieux et des revendications à intervalles réguliers. Voir Guebels, L., Relation complète des travaux de la commission permanente pour la protection des indigènes au Congo belge (1911-1951), Duculot, Gembloux, 1991.
29 Sur les compétences, l’organisation et le fonctionnement des juridictions indigènes tels que prévus dans la législation, voir Magotte, R., Les juridictions indigènes. Commentaire des décrets des 15 avril 1926, 22 février 1932, 14 décembre 1933 et 17 mars 1938 coordonnés par l’arrêté royal du 13 mai 1938, Bruxelles, 1939, et Dembour, M.-B., « La peine durant la colonisation belge », in La Peine/Punishment, Recueils de la Société Jean Bodin pour l'histoire comparative des institutions (4e partie : Mondes non-européens), De Bœck Université, Bruxelles, 1991, p. 75 et s.
30 Qui sont assurés à la fois par la magistrature et par l’administration territoriale. Tandis que la première a une mission générale de surveillance et de contrôle sur tous les tribunaux « indigènes » (et les décisions qu’ils prennent) de son ressort géographique, les principaux représentants de la deuxième (commissaire de district, administrateur territorial et administrateur territorial assistant) peuvent présider, avec voix délibérative, l’ensemble de ces mêmes tribunaux. Et ce ne sont là que quelques aspects de cet encadrement et contrôle des juridictions indigènes. Pour plus de détails, se reporter à Magotte, J., op. cit., et au Recueil à l’usage des fonctionnaires et des agents du service territorial au Congo belge, Bruxelles, ministère des Colonies, 1930, p. 196 et s. Pour un aperçu du rôle et de la pratique des juridictions indigènes dans leurs rapports avec le pouvoir colonial, voir Vanderlinden, J., « Regards sur la rencontre d’un ordre colonial et d’ordres précoloniaux... », op. cit., p. 382 et s.
31 Recueil à l’usage des fonctionnaires et des agents du service territorial, op. cit., p. 367.
32 Recueil à l’usage des fonctionnaires et des agents du service territorial, op. cit., p. 368.
33 Ibidem, p. 376.
34 Ryckmans, P., La politique coloniale, Éditions Rex, Louvain, 1934, p. 41.
35 Instructions du Commissaire provincial de Stanleyville pour le gouverneur absent, 17 août 1942, AA, GG (13544), dossier « Problème matrimonial indigène ».
36 Même s’il ne s’agit pas d’une publication officielle de l’administration coloniale, les archives de l’administration coloniale témoignent de ce que la Pratique des juridictions indigènes a la valeur d’un manuel quasi officiel jusqu’au milieu des années 1940 au moins. Les administrateurs sont nombreux à citer l’ouvrage dans leurs rapports et à justifier leurs décisions au nom des recommandations qui y sont proposées.
37 Antoine Sohier (1885-1963). Docteur en droit, Antoine Sohier entre dans la magistrature coloniale en 1910. Il y restera jusqu'en 1934, terminant sa carrière congolaise comme procureur général pour la province du Katanga. De retour en Belgique, il entame une deuxième carrière dans la magistrature métropolitaine. Antoine Sohier a été une figure incontournable du monde colonial belge de l'entre-deux-guerres, publiant des travaux de référence sur les problèmes juridiques coloniaux et notamment sur le droit coutumier, domaine dans lequel ses activités ont été fondatrices. Pour en savoir plus, voir Lamy, E., « Antoine Sohier », in Biographie belge d’outre-mer, Bruxelles, 1998, t. 8, col. 392-408.
38 Sohier, A., Pratique des juridictions indigènes..., op. cit., p. 4.
39 Ibidem, p. 5.
40 Sohier, A., Pratique des juridictions indigènes..., op. cit., p. 9-10.
41 Jeater, D., Marriage, Perversion and Power. The Construction of Moral Discourse in Southern Rhodesia 1894-1930, Clarendon Press, Oxford, 1993, p. 20. De manière plus générale, comme l’a souligné Martin Chanock, « It is not simply that customary law has changed in both content and form during the colonial period. It is that the circumstances of its development made it a part of an idealisation of the past developed as an attempt to cope with social dislocation. It was defensive in spirit, defensive not only against British rulers but against those Africans whose growing involvement in wage labour and market agriculture was leading them towards different interpretations of obligations and proprieties. » Chanock, M., Law, Custom and Social Order..., op. cit., p. 4.
42 Roberts, R. et Mann, K., « Introduction », in Roberts R. et Mann, K. (eds), Law in Colonial Africa, Heinemann, Postmouth, 1991, p. 4.
43 Hawkins, S., « ‘The Woman in Question’ : Marnage and Identity in the Colonial Courts of Northern Ghana, 1907-1954 », in Allman, J., Geiger, S. et Musisi, N. (eds), Women in African Colonial Histories, Indiana University Press, Bloomington, 2002, p. 133.
44 Et ce dès ses premières versions promulguées sous l’État indépendant. Le Code civil congolais mentionne bien que « les époux se doivent mutuellement fidélité », mais rien n'est précisé quant aux cas où l'un des époux s'avérerait défaillant. Code civil congolais, livre Ier, titre VI, chapitre VI « Des droits et des devoirs respectifs des époux », décret du 4 mai 1895 repris dans Strouvens, L. et Piron, P., Codes et lois du Congo belge, 1945, p. 26-27
45 Si cette justification est rarement formulée telle quelle, le grand juriste colonial Octave Louwers (1878-1959) n'éprouve pourtant aucun scrupule à en rendre compte, se basant sur le principe du « autre temps autres mœurs » : « Cette lacune n'était pas involontaire. Les blancs se rendant au Congo étaient pour la plupart des célibataires ou laissaient leurs familles dans la métropole ; ils étaient exposés à bien des dangers moraux et cela commandait une certaine indulgence pour les fautes qu'ils pourraient commettre. Une répression publique de ces fautes aurait pu souvent jeter le trouble dans des familles. » Louwers, O., « La répression de l'adultère et de la bigamie et la protection du mariage monogamique au Congo belge », in Zaïre, 1948, p. 1067-1068.
46 Grevisse, F., « Quelques aspects de l'organisation des indigènes déracinés résidant en territoire de Jadotville », Le Trait d'Union. Organe de l'Association des étudiants de l'Université coloniale de Belgique, 1936, p. 50.
47 « On a bien protégé le droit à la polygamie, mais nulle part nous n’avons vu mentionner le maintien des sanctions coutumières contre l’adultère. » Mémoire sur la politique indigène et les missions catholiques du Congo belge faisant suite à la réunion des supérieurs ecclésiastiques des missions catholiques du Congo belge, 10 octobre 1923, transmis au Gouverneur général, AA, AI (1385).
48 Mémoire sur la politique indigène..., op. cit.
49 Parmi les plus importantes, on peut citer : Sohier, A., « A propos de l'indemnisation en matière d'adultère », in Bulletin des juridictions indigènes et du droit coutumier congolais, mars-avril 1933 ; Decapmaker, J., « Sanctions coutumières contre l'adultère chez les Bas-Congo de la région de Kasaï », in Congo, vol. 2, 1939 ; Bogaerts, H., « Gewoontelijke strafbepalingen tegen overspel bij de Babindi », in Congo, vol. 2, 1939 ; Husltaert, G., Les sanctions coutumières contre l’adultère chez les Nkundo, Bruxelles, Institut royal colonial belge, 1937 ; Id., « Note sur l’indemnité en matière d’adultère », in Bulletin des juridictions indigènes et du droit coutumier congolais, janvier 1934.
50 « Le mari peut céder son droit ou permettre des relations passagères. » Hulstaert, G., Les sanctions coutumières contre l'adultère chez les Nkundo, op. cit., p. 9.
51 Avec le décret du 25 juin 1948 sur la répression de l'adultère et de la bigamie en cas de mariage de droit civil et assimilé, in Bulletin Officiel du Congo belge, 1948, p. 818 et s. ainsi que le décret du 5 juillet 1948 sur la répression de l'adultère et de la bigamie et la protection du mariage monogamique, in Bulletin Officiel du Congo belge, 1948, p. 969 et s. Pour une analyse détaillée de ces mesures (qui malgré trente années de préparations n’ont été que peu appliquées), voir l'article de Louwers, O., « La répression de l'adultère et de la bigamie et la protection du mariage monogamique au Congo belge », in Zaïre, vol. 2, 1948.
52 L'auteur précise même que « la licence des mœurs n'a pas pour effet de l'abolir. » Sohier, A., Pratique des juridictions indigènes..., op. cit., p. 39.
53 De manière similaire, dans une étude sur l'adultère et sa répression dans l'Asante colonial, Jean Allman a bien montré qu'alors que certaines formes d'« adultère » ne se concevaient dans le droit précolonial que lorsqu'elles impliquaient des épouses d'un certain statut (les épouses de chefs essentiellement), la colonisation a étendu le champ du délit à toutes les femmes. Allman, J., « Adultery and the State in Asante : Reflections on Gender, Class, and Power from 1800 to 1950 », in Hunwick, J. O. et Lawler, N. (eds.), The Cloth of Many Colored Silks : Papers on History and Society, Northwestern University Press, Evanston, 1996, p. 57.
54 Comme dans le cas de la chicotte d’ailleurs, comme l’a montré Dembour, M-B., « La peine durant la colonisation belge », op. cit., p. 85-90.
55 Sohier, A., Pratique des juridictions indigènes..., op. cit., p. 37.
56 Ibidem, p. 3.
57 Sohier, A., Pratique des juridictions indigènes..., op. cit., p. 49.
58 Ibidem, p. 50.
59 Ibid., p. 10.
60 En droit coutumier indigène tel qu’il s’élabore dans les années 1930, la complicité est le seul moyen d’atteindre les hommes.
61 Déjà en 1910, la législation sur les chefferies (qui délimite entre autres les pouvoirs des chefs coutumiers en matière judiciaire) précisait que des peines de fouet ne pouvaient être appliquées aux vieillards, aux infirmes, aux enfants et... aux femmes (article 20 du décret du 2 mai 1910 sur les chefferies et les sous-chefferies indigènes, in Bulletin Officiel du Congo belge, 1910, p. 456 et s). Cette restriction sera maintenue telle quelle dans le décret du 15 avril 1926 sur les juridictions indigènes. Sur le sujet, voir Dembour, M-B., « La chicotte comme symbole du colonialisme belge », Canadian Journal of African Studies, vol. 26, t. 2, 1992.
62 Rapport de la sixième session (1931) de la commission pour la protection des indigènes, in Guebels, L., op. cit., p. 422-423.
63 Retranscription d'une lettre de critique dans Sohier, A., « A propos de l'indemnisation en matière d'adultère », op. cit., p. 17-18.
64 Les archives témoignent largement de l’effectivité de ce type de peine dans la répression des complices masculins d’adultère. Voir par exemple F « Enquête sur la polygamie et la prostitution », de l'administrateur territorial de Bumba au commissaire de district Mongala, s.d. [1938], AA, GG (13418), dossier « Questions polygamie et prostitution. Enquêtes faites en 1937-1938 ».
65 Sohier, A., Pratique des juridictions indigènes..., op. cit., p. 14. Sans parler des nombreux conflits vraisemblablement réglés dans le cercle de la famille étendue et qui ne vont devant aucun tribunal de quelque espèce soit-il. Dans une recherche sur le Niger colonial, Barbara Cooper a d'ailleurs montré que la plupart des litiges matrimoniaux étaient réglés en dehors de tout tribunal (Cooper, M., Marriage in Maradi : Gender and Culture in a Hausa Society in Niger, 1900-1989, Portsmouth, Heinemann, 1997, p. 18), un constat également posé par d'autres historiens de l'Afrique coloniale (voir notamment Jean-Baptiste, R., « ‘The Option of the Judicial Path’. Disputes over Marriage, Divorce and Extra-Marital Sex in Colonial Courts in Libreville, Gabon (1939-1959) », Cahiers d'études africaines, no 187-188, op. cit., p. 644).
66 Sohier, A., « A propos de l'indemnisation en matière d'adultère », op. cit., p. 19.
67 Voir notamment Spear, T., « Neo-traditionalism and the limits of invention in British colonial Africa », Journal of African History, vol. 44, t. 1, 2003.
68 Parmi les études de cas sur le sujet, épinglons Jean-Baptiste, R., « ‘These Laws Should Be Made By Us’ : Customary Marriage Law, Codification And Political Authority in Twentieth-Century Colonial Gabon », Journal of African History, vol. 49, t. 2, 2008.
69 Prenons par exemple le cas de la Zambie, étudiée par Martin Chanock : les décisions des juridictions coutumières en matière d'adultère y sont bien moins dictées par les conceptions du droit précolonial que par les intérêts très contemporains des chefs et notables et leurs soucis quant à l'indiscipline des femmes. Chanock, M., Law, Custom and Order..., op. cit., p. 192 et s. Dans d'autres cas comme celui de la Rhodésie, les notables autochtones ont même largement poussé les autorités européennes à promulguer une ordonnance criminalisant l'adultère, voir Jeater, D., Marriage, Perversion and Power..., op. cit., chap. 5, « “The Problem with Women”. The Natives Adultery Punishment Ordinance, 1916 ».
Auteur
Après avoir consacré sa thèse aux politiques du mariage et de la sexualité au Congo belge, les recherches d’Amandine Lauro portent actuellement sur les stratégies de maintien de l'ordre dans l'Afrique coloniale. Depuis 2012, elle est chargée de recherches au FRS-FNRS et professeure invitée à l’Université Saint-Louis, elle a été chercheure aux universités de Paris VII et de Cambridge.
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