Les juifs d’Algérie et la citoyenneté (1870-1902). Les enjeux d’un statut contesté
p. 97-115
Texte intégral
1La question de la citoyenneté interroge depuis de nombreuses années F historiographie européenne, en particulier dans sa relation au genre, aux étrangers et à la colonisation. Elle symbolise la mise à l’écart de la cité d’un certain nombre de groupes jugés inférieurs ou inaptes. Dans le cas colonial, la limitation de l’accès à la citoyenneté, voire sa quasi-inexistence, est en opposition avec le discours émancipateur des gouvernements français qui se sont succédé sous la IIIe République. Pourtant, ce décalage entre les représentations et la réalité juridico-politique ne doit pas constituer une conclusion à la recherche. Il est nécessaire de continuer à explorer, à l’instar de nombreux travaux contemporains, la citoyenneté en contexte colonial dans sa complexité historique et géographique (diversité des statuts selon les territoires), juridique (création de statuts intermédiaires), sociale (résistance des pratiques), économique et politique (notamment au niveau des intérêts locaux).
2Dans ce paysage, l’Algérie figure parmi les expériences clefs, à l’image des quatre communes du Sénégal ou des comptoirs de l’Inde. Elle constitue en effet un espace où des populations aux statuts politiques divers se côtoient. Pour mieux le comprendre, il faut tout d’abord souligner qu’en 1862, la cour d’appel d’Alger juge que les indigènes d’Algérie sont des sujets français1. Toutefois, ils possèdent la nationalité, mais non la citoyenneté française. Ces nationaux se distinguent des citoyens quant à la jouissance des droits politiques. Ils conservent également certaines de leurs règles propres. En effet, les autorités coloniales se sont engagé à respecter les statuts personnels locaux. En d’autres termes, pour ce qui concerne l’état, la capacité, et plus généralement les relations de famille, les indigènes continuent d’être réglés par leurs droits traditionnels, qu’il s’agisse des droits musulman, mosaïque ou kabyle, tous fortement ou directement liés à des préceptes religieux.
3A partir du sénatus-consulte du 14 juillet 1865, le mur qui sépare la nationalité de la citoyenneté peut être, en théorie, franchi par tous les indigènes sur demande individuelle. Cette politique d’assimilation prend un tournant radical cinq ans plus tard, mais pour une partie seulement de la population. L’un des décrets Crémieux du 24 octobre 1870 impose en effet massivement la citoyenneté française aux israélites. A peine cette mesure se concrétise-t-elle, qu’elle est déjà contestée. L’opposition à l’entrée collective et obligatoire de cette catégorie d’indigènes dans la citoyenneté va connaître l’un de ses points culminants dans la période 1871-1902.
4La construction et les soubassements de cette opposition au décret Crémieux ont fait l’objet d’études2. Toutefois, une analyse globale de la question reste à mener. Nous avons tenté d’en jeter quelques bases et de contribuer ainsi à l’histoire de l’antisémitisme algérien et français. De surcroît, le texte du 24 octobre 1870 et les réactions qu’il a suscitées conduisent à s’interroger sur la définition de la citoyenneté : comment la citoyenneté se construit-elle ? Pourquoi focalise-t-elle les contestations ? Qu’en est-il de la citoyenneté subjective émanant des intéressés eux-mêmes ?
I. L’émancipation des juifs algériens : un projet pré-républicain
5Le premier texte qui énumère de façon générale et précise les conditions d’obtention de la citoyenneté pour les indigènes musulmans et israélites d’Algérie, est le sénatus-consulte du 14 juillet 1865. Les autorités coloniales sont alors convaincues que les israélites, considérés comme plus assimilables, l’utiliseront. C’est pourtant un échec. Il ne décourage ni le conseil général d’Alger3, ni les consistoires algériens dans leur revendication d’« émancipation » des sujets israélites4. Afin d’étayer leur demande d’une « naturalisation » collective, les consistoires soulignent l’incohérence de la jurisprudence et les conflits inextricables qui en découlent5. Ces conflits résultent notamment de l’ordonnance du 28 février 1841 qui modifie l’organisation judiciaire6. Les juges français remplacent les juges rabbiniques en devenant compétents dans les rares matières où le droit mosaïque demeure en vigueur. La difficile et sommaire connaissance qu’ils ont de ce droit, les incite à souhaiter que les sujets israélites acquièrent la pleine citoyenneté. Ils seraient ainsi soumis à la loi commune7. La tâche des magistrats est de fait ardue. Les traductions des textes de référence sont encore peu répandues, en particulier en matière de droit mosaïque. Les auteurs musulmans sont en effet privilégiés, en raison notamment de la prépondérance numérique de ce groupe. Les magistrats français consultent des autorités locales, comme des cadis ou des rabbins, pour les aider à rendre la justice. Outre la difficulté d’accès aux sources, se pose le problème de leur spécificité selon les coutumes propres à telle ou telle ville. Le magistrat français, fervent partisan de l’unification du droit, y voit une instabilité peu propice au bon déroulement de la justice.
6Dans ce contexte, quelques acteurs du droit soutiennent très tôt l’accession en masse des sujets israélites à la citoyenneté. L’exemple le plus frappant à cet égard est sans doute celui de Casimir Frégier. Ce juge ne se limite pas à exprimer ponctuellement son opinion ; il la diffuse sous forme d’opuscules, voire d’ouvrages8. Sans doute son action, relativement exceptionnelle pour un magistrat, est-elle à mettre en relation avec sa personnalité. Né en 1820 dans le Sud de la France, avocat à la cour impériale d’Aix, Frégier est nommé en 1850 juge de paix à Blida. Le départ pour l’Algérie paraît dicté par des raisons personnelles : orphelin de mère à neuf ans, de père à dix-sept, sa première femme décède à Aix en 1848. L’Algérie joue dans son cas le rôle d’un territoire de reconstruction de la vie sentimentale et sociale. Sa vision émancipatrice dépasse le simple cadre de la citoyenneté des israélites. Sous la signature d’« un Algérien progressiste », Casimir Frégier publie entre 1860 et 1869, une série d'Études législatives et judiciaires sur l’Algérie où il met en évidence quelques « bizarreries » de la législation algérienne et se positionne en faveur d’une « naturalisation » future de l’ensemble des indigènes et des étrangers9.
7Si Frégier est important en raison de ses écrits et de leur diffusion, il n’est pas représentatif d’un hypothétique « libéralisme » de l’ensemble du milieu juridique et judiciaire. Preuve en est que l’affaire qui se conclut par l’arrêt de la Cour d’appel de 1862, oppose précisément un avocat israélite, Enos10, au Conseil de l’Ordre des avocats d’Alger qui refuse de l’inscrire au tableau, au prétexte qu’il n’est pas français. La Cour donne raison à Enos aux motifs que les indigènes d’Algérie sont français, même s’ils ne possèdent pas la pleine citoyenneté.
8Le soutien que le projet d’assimilation des israélites rencontre, ne se limite pas, loin s’en faut, aux juristes. Ses partisans s’appuient également sur l’aide qu’ils ont fournie aux Français dès le début de la conquête de l’Algérie11. En outre, beaucoup de Métropolitains en appellent au « précédent » historique et sont persuadés que les juifs d’Algérie, qu’ils imaginent souvent semblables à ceux qu’ils côtoient en Métropole12, veulent se « confondre avec la nation qui tient le flambeau de la civilisation et dont le premier soin a été de les affranchir du joug sous lequel ils gémissaient13 ». Il faut remarquer que ce préjugé d’une incorporation plus facile des israélites à la nation française, qui se traduit par une assimilation institutionnelle (par exemple au niveau judiciaire)14, se rencontre dans d’autres colonies, telles que la Tripolitaine et la Cyrénaïque, aux tous premiers mois de l’occupation italienne. Cette constatation nous invite à décentrer notre regard, car l’émancipation des israélites dans les colonies est souvent perçue comme une spécificité française.
9Si la perspective d’émanciper les juifs d’Algérie est déjà ancienne15, ce n’est finalement qu’en 1870 qu’est rédigé, à la demande du nouveau ministre de la Justice, Émile Ollivier, un projet de loi donnant massivement la citoyenneté française aux sujets israélites, tout en leur accordant le droit de la refuser. Ce projet ne se concrétise toutefois pas en raison de la chute de l’Empire. Le gouvernement de la « Défense nationale » remplace le régime impérial, et le 24 octobre 1870, le ministre de la Justice Adolphe Crémieux, soumet neuf décrets au Conseil du gouvernement qui les ratifie16. Ces neufs décrets émanent de collaborateurs appelés par Adolphe Crémieux à Tours qui connaissent bien les questions algériennes. L’un de ces textes facilite la procédure d’accession à la citoyenneté aux sujets musulmans17. Un autre, communément nommé « décret Crémieux », impose aux israélites d’Algérie, soit environ 35 000 personnes, la citoyenneté française. Parmi les rédacteurs, se trouve Paul Viguier et, surtout, Aimé Poivre, avocat à la Cour d’Alger, l’un des fondateurs du Bulletin judiciaire de l’Algérie, qui avait, en 1862, publié un opuscule favorable à l’assimilation des israélites18.
10Crémieux avait commencé à s’intéresser au sort des juifs d’Afrique du Nord après son voyage en Egypte et l’affaire de Damas. Entre 1852 et 1870, il fait plusieurs séjours en Algérie pour plaider dans des affaires judiciaires. A ces occasions, il encourage les juifs qui adoptent les mœurs françaises (en particulier la connaissance de la langue) à adhérer à la franc-maçonnerie dont il est lui-même un membre très actif19. Le Grand Orient accepte en effet la participation des sujets indigènes israélites à ses réunions. Cette expérience est pour Crémieux un moyen de les attirer vers la France. Parallèlement, il mène à partir de 1863, année où il est élu président de la jeune Alliance israélite universelle, un vaste mouvement de propagande en direction des communautés juives sépharades et ashkénazes de par le monde. Il y diffuse des principes d’égalité devant la loi et de liberté de culte. Cette propagande se traduit surtout par la création d’écoles au Maghreb et en Orient où l’enseignement est généralement dispensé en français. Son action vers l’enseignement, son combat contre le serment more judaïco, puis en faveur de la citoyenneté, s’inscrivent dans une même logique émancipatrice.
II. Premières oppositions et premières limites légales à l’émancipation (1870-1871)
11A peine promulgué, le décret Crémieux rencontre des oppositions. Elles proviennent tout d’abord d’une partie de la population qui désire conserver son statut personnel mosaïque. Or, en devenant citoyens, les israélites ont pour obligation de se soumettre au statut commun, régi par des logiques différentes en matière notamment de tutelle, de succession et de mariage. Les contraintes sociales, culturelles et psychologiques induites, expliquent que la première génération d’israélites accédant à la citoyenneté se soumet parfois difficilement aux nouvelles règles20. Plusieurs rabbins soutiennent leurs coreligionnaires dans leur résistance21. Certains refusent de se marier civilement, continuent de pratiquer la répudiation et la polygamie. Les tentatives d’intervention des consistoires22 et de l’administration23 n’ont pas les effets escomptés. L’attachement aux règles religieuses concernant la famille se perpétue24. C’est notamment le cas de la lettre de gueth25. Relatif en principe à la sphère privée, ce problème engendre aujourd’hui encore des conflits juridiques26.
12Le mécontentement d’une partie de la population israélite d’Algérie ne constitue toutefois pas l’argument essentiel de l’opposition au décret Crémieux. Des motifs électoraux l’expliquent également27. En devenant citoyens français à part entière, les israélites d’Algérie participent à toutes les élections. Au niveau local, la distribution des fonctions politiques dans la colonie est d’autant plus importante qu’elle a de fortes implications économiques. Michel Abitbol, dans son ouvrage sur les juifs d’Afrique du Nord sous Vichy cite, à ce propos, un rapport du procureur général Pierre Dubuc, qui est en charge de faire la lumière sur les émeutes de 1898. Il y rappelle qu’en Algérie, contrairement à la Métropole, les offices ministériels, comme ceux de notaire par exemple, sont des « fonctions conférées par l’État ». Dans la plupart des cas, c’est « par le canal des hommes politiques qu’on les obtient28 ».
13Le vote de ces nouveaux citoyens se porte essentiellement sur les candidats républicains. Or, le poids de l’électorat israélite n’est pas négligeable, car au moment où le droit de vote leur est attribué, il y a moins de 150 000 citoyens français29. Quand Adolphe Thiers parvient au pouvoir en 1871, soutenu par une majorité parlementaire conservatrice, le gouverneur de l’Algérie, l’amiral de Gueydon, réclame l’abrogation du décret Crémieux30. Il n’est finalement pas supprimé, mais interprété dans un sens restreint par le décret du 7 octobre 1871, dit « décret Lambrecht », du nom du ministre de l’Intérieur du gouvernement31.
14Afin de limiter la portée du décret Crémieux, le décret « Lambrecht » use d’une technique juridique classique. Le premier texte visait les « indigènes israélites des départements d’Algérie », sans préciser la définition du terme « indigène ». Le décret Lambrecht pallie cette lacune en indiquant que sont « indigènes » les israélites nés en Algérie avant la conquête ou nés de parents établis en Algérie lors de la conquête32. Il devient donc nécessaire d’apporter la preuve de son « indigénat ». Une fois obtenue, la qualité « d’indigène » est transmissible aux descendants directs.
III. Invention et consécration d’un mythe : le décret Crémieux à l’origine de la révolte de 1871
15En 1871, éclate l’un des mouvements insurrectionnels les plus importants de l’Algérie du xixe siècle. Il voit s’opposer 200 000 sujets musulmans à 22 000 soldats français. Les causes de la révolte sont à chercher principalement dans les craintes des grandes familles arabes de voir leur pouvoir contesté, leurs mœurs modifiées, et leurs biens moins protégés par le régime civil qui devait largement s’étendre et remplacer la gestion militaire à partir de 187033.
16En 1875, est publié sous la houlette du député conservateur de l’Orne (centre droit), Léon de la Sicotière, le Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les actes du gouvernement de la défense nationale34. Cette enquête va devenir le point de référence du mythe du décret Crémieux comme déclencheur de la révolte de 1871. Dans plusieurs témoignages d’officiers qui y figurent, il est mentionné que les indigènes musulmans n’ont pas supporté que les israélites obtiennent la citoyenneté – honneur dont, eux, n’ont pas été jugés dignes35. Ils n’ont donc pu tolérer d’être placés dans une situation inférieure à celle des juifs, un peuple dominé au statut inférieur. Cet argument, tout comme les témoignages du rapport de 1875, seront repris dans les écrits antisémites notoires qui foisonnent à partir du milieu des années 1880, parmi lesquels on peut citer le très connu La France juive (1886) d’Edouard Drumont et les adaptations algériennes faites par Georges Meynié : L’Algérie juive (1887) et Les juifs en Algérie (1888).
17En réalité, si le décret Crémieux a joué un rôle dans le soulèvement, ce qui reste à établir de façon certaine, c’est plutôt celui d’avoir participé à la crainte des révoltés, et en particulier d’une élite traditionnelle36. Les notables redoutaient d’être assimilés brusquement, de perdre certaines de leurs prérogatives, d’avoir leurs terres confisquées, de subir une nette augmentation de leurs impôts et/ou de voir transformer leurs mœurs.
18Ce mythe représente l’un des arguments majeurs des opposants à la citoyenneté des juifs. Les critiques vont se multiplier et prendre la forme de pamphlets, notamment à partir de 1882. C’est le début d’une structuration et d’un élargissement du mouvement antisémite (1882-1894). En effet, la citoyenneté est un argument central de l’antisémitisme algérien qui tend à cette période à se mélanger ou à être utilisé par le courant antisémite « national ». Ainsi, comme souvent dans le contexte algérien, enjeux maghrébins et métropolitains s’entremêlent ou se superposent.
IV. Structuration et élargissement du discours antisémite (1882-1894)
19En 1882, le publiciste Émile Roger fait paraître un opuscule au titre explicite : « Nécessité de réviser le décret Crémieux37 ». Il avance trois arguments à l’appui de sa revendication. Le premier est politique (le prétendu achat du « vote juif ») ; le deuxième, économique (l’usure) ; le dernier, religieux et moral (l’assimilation nécessaire des mœurs). Ces arguments ont pour point commun de mettre en avant les notions d’honneur et de dignité du citoyen. Ils constituent le socle de pensée d’une partie de l’opinion publique européenne qui s’exprime à travers plusieurs journaux. La violence de la presse doit toutefois être recontextualisée car beaucoup d’hommes politiques locaux de premier plan possèdent ou ont à leur service un journal, si bien que les échanges politiques et personnels sont particulièrement vifs, parfois injurieux.
20Au fond, l’idée d’Émile Roger est que la citoyenneté se mérite (dignité, honneur) et se désire (volonté d’intégrer la patrie). Elle n’est pas sans rappeler les débats contemporains sur l’accès à la citoyenneté des étrangers et de leurs descendants en France. Roger propose de réformer le décret Crémieux et d’imposer « aux israélites naturalisés en bloc l’obligation individuelle d’opter ou non pour la nationalité française38 », donc de refaire de la citoyenneté un acte volontaire.
21Dans La France juive, publiée en 1886, Drumont s’approprie une partie des arguments des opposants au décret Crémieux. Il les restructure et les systématise – exactement d’ailleurs comme les conceptions des différents courants métropolitains. Ainsi, n’est-il pas surprenant, dans la partie qu’il consacre à l’Algérie, de voir Drumont reprendre le mythe du décret Crémieux comme déclencheur de la révolte arabe. Il affirme que Mokrani, l’un des chefs de l’insurrection, a agi par refus de se « soumettre » aux israélites devenus citoyens. Il ne supportait pas l’idée que les juifs deviennent jurés de cours d’assises en raison de leur nouveau statut politique. Ce mythe va devenir le moyen pour Drumont de créer une représentation en miroir du juif et du musulman. En s’appuyant sur le rapport de 1875, il oppose l’Arabe bienveillant envers les Français, soldat valeureux qui a soutenu la France contre la Prusse en 1871, au juif lâche, auquel le gouvernement de la Défense nationale a donné la citoyenneté.
22L’Arabe a donc été trahi et c’est logiquement qu’il méprise à présent les Français. Il est une victime sous d’autres aspects encore. Il est victime des colons européens, car si les révoltés de Mokrani ont été condamnés, c’est parce que les colons ne pouvaient leur rendre les terres confisquées. Le discours prend un angle socialisant. L’Arabe est aussi victime des israélites qui pratiquent l’usure à son égard et qui ont racheté les terres confisquées. Cette approche socialisante est, elle aussi, récurrente chez Drumont et s’écarte, dans son attaque des colons, de l’antisémitisme algérien. Avec l’usure et les spoliations, Drumont avance une argumentation traditionnelle de l’antisémitisme. Il s’agit de la toute puissance économique de l’israélite, même si le cosmopolitisme financier n’est pas aussi développé que pour le discours métropolitain. La puissance économique du juif va de pair avec son omniprésence et sa faculté à dominer les différentes sphères de la société, telles que l’administration, la politique locale, le gouvernement et la justice, particulièrement visée en Algérie39.
23A ce discours, s’ajoutent l’herméneutique et la sémantique traditionnelles de l’antisémitisme de Drumont. On retrouve ainsi dans ses écrits, l’angoisse de la décadence, le sursaut national, le problème juif comme clef d’une compréhension totale de l’Histoire. Sur la forme, Drumont multiplie les exemples précis et la calomnie pour illustrer le propos, ainsi que la fonction prophétique. De fait, l’Algérie est transformée en terre promise de l’antisémitisme car c’est « peut-être [par elle, dit Drumont,] que commencera la campagne antisémitique française ». Et il ajoute : « de sourdes colères s’amassent dans le cœur de ces Arabes si durement foulés aux pieds par les Juifs40 ».
24Cette opposition entre l’Arabe et l’israélite est également sexuée afin de rappeler que le juif n’est pas vraiment un homme, n’a pas de virilité. Drumont l’illustre par le fait que les femmes arabes ne se voilent pas devant les israélites et qu’un musulman se sentirait déshonoré si on l’obligeait à tuer un juif41. Outre l’aspect de la glorification de la « virilité », il faut souligner la symbolique de la comparaison avec les femmes. Elles ne possèdent pas à cette époque le droit de vote aux motifs, entre autres, de leur incompréhension des enjeux politiques et du risque d’être influencées par les autorités religieuses.
V. La contestation violente du décret Crémieux et ses conséquences (1895-1902)
25Les débats sur le décret Crémieux reviennent devant la Chambre des députés en 189542. A partir de l’année suivante des troubles violents agitent l’Algérie. Ils ne cesseront que vers 190043. Plusieurs ligues antijuives, telles que la « Ligue radicale socialiste antijuive » ou la « Ligue antijuive d’Alger » militent en faveur de l’abrogation du texte. L’administration française en Algérie se lance alors dans une campagne de « rationalisation » des inscriptions des israélites étrangers et français sur les listes électorales44. Elle est accusée d’avoir laissé inscrire de nombreux juifs qui venaient des protectorats voisins et ne correspondaient donc pas à la définition légale de « l’indigène ». Le gouverneur s’engage à appliquer strictement le décret de 1871, en maintenant sur les listes électorales uniquement les israélites qui auront pu prouver leur indigénat.
26Le climat délétère qui règne, les pressions de tout ordre, vont aussi avoir des répercussions sur la justice. En avril 1896, la Cour de cassation doit se prononcer sur la citoyenneté des israélites du Mzab. L’affaire est la suivante : les populations israélites de cette région n’ont pu bénéficier en 1870 du décret Crémieux puisque cette dernière n’a été rattachée à l’Algérie française qu’en 1882. Quelques années plus tard, des indigènes juifs demandent logiquement à bénéficier du décret du 24 octobre 1870. L’administration et la justice vont leur présenter une fin de non-recevoir. En effet, en 1890, le conseil de préfecture d’Alger décide que « le décret du 24 octobre 1870, qui a déclaré citoyens français les israélites indigènes des départements de l’Algérie, n’est pas applicable aux israélites nés dans le Mzab ou originaires de ce pays, établis sur le territoire algérien45 ». La cour d’appel d’Alger parvient à des conclusions similaires en 189146. Enfin, en 1895, le gouverneur général de l’Algérie suggère aux sujets israélites du Mzab d’accéder à la citoyenneté au moyen du sénatus-consulte de 186547. La Cour de cassation, allant à l’encontre des conclusions de l’avocat général Sarrut, refuse également de leur donner satisfaction dans son arrêt des 18-27 avril 1896. L’esprit « révolutionnaire » et émancipateur du décret Crémieux est pourtant clair et il est difficilement compréhensible que la haute juridiction ait argué que ce texte ne pouvait s’appliquer qu’à la période où il avait été promulgué. Adolphe Crémieux a en effet inscrit explicitement et à plusieurs reprises son décret dans l’héritage révolutionnaire. Face à cette situation, les autorités judiciaires et administratives sont accusées d’avoir ignoré le droit et de se substituer au législateur48. Dans cette affaire, le contexte politique algérien et ses répercussions en Métropole orientent clairement la décision judiciaire. Il ne faut toutefois pas faire de cet exemple une généralité, d’autant, qu’à l’inverse, la Cour de cassation sut résister aux pressions dans un cas relativement proche quelques dizaines d’années plus tard49. Quant aux israélites du Mzab, malgré des demandes réitérées, ils devront attendre la loi du 29 avril 196150 pour accéder au droit commun, tout comme les israélites des oasis et des confins algéro-marocains annexés progressivement entre 1872 et 190651.
27A la fin des années 1890, la propagande antisémite relayée par plusieurs journaux destinés parfois uniquement au combat contre les israélites52, attise les troubles. Ils opposent antisémites et citoyens israélites et se soldent par des blessés, des commerces et des maisons saccagés, voire des morts. Beaucoup de Radicaux adhèrent au discours antisémite, souvent par calcul politique, car il semblerait que le vote israélite se soit davantage porté sur les Opportunistes. Une histoire de leur comportement électoral reste toutefois à écrire afin de le prouver. Une partie de la population européenne est en pleine hystérie. Elle se traduit tout autant par une idolâtrie féminine autour de la figure de Max Régis, dont l’effigie orne divers objets du quotidien, que par des humiliations et des quolibets envers la population israélite. Les antisémites les plus notoires sont alors Drumont, Firmin Faure, Marchai et Morinaud, tous élus députés en 1898, et surtout Max Régis53, qui devient maire d’Alger la même année54. Avec leurs hommes, ils excluent, par l’intermédiaire des conseils municipaux, les israélites de certaines fonctions ou du bénéfice d’institutions de secours. Ainsi, des employés sont révoqués et des malades restent à la porte des hôpitaux55. Les meneurs antisémites vont même jusqu’à s’interroger sur l’opportunité d’expulser tous les israélites présents sur le territoire algérien56.
28Deux ans plus tard, la situation a changé. La vague antisémite s’est considérablement ralentie. Ce déclin est le résultat d’une conjonction de facteurs. Tout d’abord, la redistribution des cartes politiques avec l’affaire Dreyfus57. La participation des indigènes musulmans aux rixes engendre parallèlement la crainte qu’ils se retournent ensuite contre les colons. S’y ajoute la menace du séparatisme, c’est-à-dire la revendication d’une Algérie indépendante, dirigée par les colons européens. De surcroît, des divisions internes ont émergé pour des raisons électorales entre Max Régis et les Radicaux, le premier ayant placé ses hommes dans les municipalités au détriment des seconds. Enfin, la révolte de Margueritte, le 26 avril 1901, opère une diversion dans l’opinion publique. 1902 marquera la fin politique de cette vague antisémite du tournant du siècle avec l’élection, à Alger, du professeur à l’École de Droit, Maurice Colin.
VI. Citoyenneté et race
29La rencontre de l’antisémitisme algérien et de l’antisémitisme métropolitain engendre une forme de retournement de la perception de « l’étranger ». Pour Drumont, l’étranger doit être jeté hors de France. Mais, en Algérie, il existe un danger devenu plus imminent (le juif) qui induit un glissement, courant en situation coloniale, dans l’échelle des hiérarchies et la désignation des boucs émissaires. Les « hordes latines » qui menaçaient après la loi de 1889, se sont donc momentanément transformées en alliées. Cette association inédite avec les étrangers – qui plus est les étrangers venant du Sud, donc les plus pauvres et les plus dépréciés – a toutefois ses limites. Ainsi, Meynié ne peut-il s’empêcher, dans le chapitre entier qu’il consacre à un magistrat algérien prétendument à la solde des juifs, de mettre en relation son comportement déviant avec son origine corse. La même constatation s’applique à « l’islamophilie » de Drumont qui rencontre également des limites en 1898 : s’il se dit toujours l’« ami » des indigènes musulmans, il les présente dorénavant comme de « grands enfants », mais certainement pas comme des électeurs à qui l’on pourrait offrir une citoyenneté qu’ils ne désirent d’ailleurs pas, selon lui58.
30L’alliance entre drumontistes et étrangers ou citoyens d’origine étrangère en Algérie va opérer un autre retournement. Elle fait éclore un discours xénophobe provenant des progressistes métropolitains. Ainsi, « L’Aurore dénonce "ces bandes d’aventuriers cosmopolites" tandis que Les droits de l’homme accuse Drumont de "donner des gages à cette tourbe fanatisée d’exotiques, d’Arabes, Espagnols, Maltais et autres trimardeurs de nationalités étrangères, acoquinés de filles, ribaudes trop hospitalières et de vertu douteuse"59 ».
31Dans ce jeu complexe, émerge en réalité un questionnement de fond sur ce qu’est la citoyenneté pour l’individu, comment il se sent citoyen et surtout par rapport à qui, donc sur la citoyenneté subjective. La population européenne d’Algérie, dont l’assimilation à la France a été facilitée par la loi de 1889, se forge une identité propre. Elle se construit sur un habitus, une culture populaire, une langue, parfois différents de ceux de la métropole. Cette singularité est le fruit de la démographie particulière de l’Algérie et de l’éloignement de la métropole. Émerge alors l’idée d’une « race latine » ou d’une race « franco-algérienne », dominante sur les autres catégories de la population locale. Ainsi, Félix Dessoliers prône en Algérie la « fusion des races européennes par les mariages croisés60 ». Ce docteur en droit de l’université de Paris, ancien député61 étiqueté « gauche républicaine » (1882-1885), réclame parallèlement, pour des raisons commerciales, l’autonomie de l’Algérie, en s’appuyant sur le modèle anglais62.
32Un pas est franchi dans le rapport entre race et citoyenneté avec la thèse de médecine de Victor Trenga, soutenue à l’université de Montpellier et publiée en 1902. Un lien est explicitement établi entre biologie, politique et droit. Trenga remet en question le sentiment d’appartenance des juifs d’Algérie à la nation française en affirmant que la « fierté » affichée d’être français est un leurre, une forme d’hystérie propre à cette population. Mais surtout, Victor Trenga, en se fondant sur des cas dits « cliniques », et une étude que l’on pourrait qualifier de « psychanalyse historique », conclut que le juif est, par nature, nomade. L’obsession de l’exil auquel il est soumis accrédite ainsi, sur une base qui se veut médicale, la thèse de l’identité juive comme supérieure à toute identité politique ou nationale.
Conclusion
33Cette étude a donc démontré comment le débat sur la citoyenneté des israélites d’Algérie s’est trouvé au carrefour d’enjeux juridiques, politiques, économiques et sociaux, ainsi que de préjugés moraux et raciaux. Mais des questions restent encore à éclaircir, en particulier au niveau des pratiques électorales, administratives et judiciaires63. Parallèlement, cet article permet aussi de mesurer combien est vaine l’opposition quelquefois caricaturale entre juristes et sociologues sur le rôle du droit. Le droit n’entérine pas systématiquement les comportements sociaux, tout comme il ne les induit ou ne les dirige pas nécessairement. Le droit peut jouer tour à tour ou concomitamment ces deux rôles. Ainsi le décret Crémieux correspond-il à une demande issue d’une partie de la société, mais c’est le droit (soutenu par une organisation politique) qui le maintient coûte que coûte, du moins jusqu’en 1940.
34En effet, le 7 octobre 1940, à la date anniversaire du « décret Lambrecht », le décret Crémieux est abrogé. C’est la concrétisation, avec le régime autoritaire du maréchal Philippe Pétain, d’une revendication qui a émergé pendant la période républicaine. C’est également l’un des premiers actes du gouvernement de Vichy pour l’Algérie. On mesure dans cette précipitation, l’ampleur de la défaite que le maintien du texte du 24 octobre 1870 représentait pour les milieux antisémites algériens.
Notes de bas de page
1 « Cour d’appel d’Alger, 24 février 1862 », Journal de Robe, 1862, p. 86-94 et Dalloz Périodique (D.P.), t. 2, 1862, p. 178. On en trouve les prémices en 1836, lorsque le tribunal supérieur d’Alger précise, dans un jugement du 20 juin, que la qualité d’étranger « ne peut appartenir aux habitants d’Alger, qui obéissent au roi des Français et reconnaissent la même souveraineté que la France » (« Tribunal d’Alger, 20 juin 1836 », in Estoublon, Robert (dir.), Bulletin judiciaire de l’Algérie. Jurisprudence algérienne de 1830 à 1876, Jourdan, Alger, 1890-1891, année 1836, p. 15).
2 Notamment Ansky M., Les juifs d’Algérie du décret Crémieux à la Libération, C.D.J.C., Paris, 1950 ; Abitbol M., Les juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Maisonneuve et Larose, Paris, 1983 (réédité en 2006 et en 2008) ; Msellati H., Les juifs d’Algérie sous le régime de Vichy, L’Harmattan, Paris, 1999 ; Zytnicki C., Les juifs du Maghreb. Naissance d’une historiographie coloniale, Presses universitaires Paris Sorbonne, Paris, 2011 ; Assan V., Les consistoires israélites d’Algérie au xixe siècle. « L’alliance de la civilisation et de la religion », A. Colin, Paris, 2012.
3 Recueil des vœux d’intérêt général, exprimés par les Conseils généraux des trois provinces de l’Algérie dans la session de 1869, Imprimerie impériale, Paris, 1870, p. 52-55.
4 Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer (A.N.O.M.), 18MIOM/80. Lettre du Consistoire central des israélites de France au gouverneur général de l'Algérie à Alger, Paris, 14 décembre 1871.
5 « Note sur le projet de loi relatif à la naturalisation des israélites indigènes de l’Algérie », in Uhry I., Recueil des lois, décrets et ordonnances, avis du Conseil d’Etat, arrêtés, règlements et circulaires concernant les israélites depuis 1850, Imprimerie Crugy, Bordeaux, 1887, p. 166. La description de ces conflits est reprise dans Schreier J., « Napoléon’s Long Shadow : Morality, Civilization, and Jews in France and Algeria, 1808-1870 », French Historical Studies, vol. 30 (2007), p. 93-102.
6 Pinson De Ménerville Ch.-L., Dictionnaire de législation algérienne. Code annoté et manuel raisonné des lois, ordonnances, décrets, décisions et arrêtés publiés au Bulletin Officiel des Actes du Gouvernement, t. 1, vol. 1, Jourdan/Durand, Alger/Paris, 1860-1866, p. 388 et s.
7 Martin Cl., Les israélites algériens de 1830 à 1902, thèse, Paris, 1936, p. 113. Concernant le rôle de la Cour de cassation dans l’assimilation des sujets israélites d’Algérie, lire aussi Larcher É., Traité élémentaire de législation algérienne, t. 2, 2e éd., Rousseau/Jourdan, Paris/Alger, 1911, p. 353-355.
8 Frégier C., La question juive en Algérie ou De la naturalisation des Juifs algériens, Alger, 1860. Lire également : Frégier C., Les Juifs algériens, leur passé, leur présent, leur avenir juridique, leur naturalisation collective, Michel Lévy frères, Paris, 1865.
9 Frégier C., Etudes législatives et judiciaires sur l’Algérie. De la naturalisation des indigènes et des étrangers en Algérie, Alger, 1860-1869.
10 On le retrouve également orthographié « Aïnos » ou « Eïnos ».
11 Forest L., La naturalisation des juifs algériens et l’insurrection de 1871, Société française d’imprimerie et de librairie, Paris, 1897, p. 6.
12 Cette similitude rendait les israélites plus assimilables que les musulmans : « Cette religion [hébraïque] était-elle, comme celle des musulmans, inconciliable avec l’état social, politique et civil de la France ? Nullement, puisqu’elle s’exerce librement sur tout le territoire continental français à côté du catholicisme et du protestantisme, sans qu’il en résulte aucune atteinte aux lois, à l’ordre public et aux bonnes mœurs » (Plaidoyer de l’avocat Larnac, « Cour de cassation, 15 février 1864 », D.P., 1864, t. 1, p. 70).
13 Charles-Alphonse Delangle, ministre de la Justice entre 1859 et 1863, cité par Tissier A., « De l’application du décret du 24 octobre 1870 sur les israélites indigènes de l’Algérie », Revue algérienne, et tunisienne de législation et de jurisprudence (R.A.), 1891, t. 2, p. 67. La vision de Delangle ne constitue pas une exception. Louis Forest cite, par exemple, un autre ouvrage en faveur de l’accession des israélites à la citoyenneté française : Delsieux J., Essai sur la naturalisation collective des israélites indigènes, Imprimerie Duclaux, Alger, 1860.
14 Allouche-Benayoun J., « Les enjeux de la naturalisation des Juifs d’Algérie : du dhimmi au citoyen », in Luizard P.-J. (dir.), Le choc colonial et l’islam, La Découverte, Paris, 2006, p. 179-195.
15 Sur ce point lire Shurkin M., « French Liberal Governance and the Emancipation of Algeria’s Jews », French Historical Studies, vol. 33, 2010, p. 259-280.
16 Sur le rôle de Crémieux, voir Hœxter M., « Les Juifs Français et l’assimilation politique et institutionnelle de la communauté juive en Algérie (1830-1870) », in Miège J.-L. (dir.), Les relations intercommunautaires juives en Méditerranée occidentale xiiie- xxe siècles. Actes du colloque international de l’Institut d’histoire des pays d’Outre-Mer et du Centre de recherches sur les Juifs d’Afrique du Nord (abbaye de Sénanque, 1982), C.N.R.S., Paris, 1984, p. 157.
17 Ménerville, op. cit., t. 2, vol. 3, p. 228.
18 Poivre A., Les indigènes algériens, leur état civil et leur condition juridique, Dubos, Alger, 1862.
19 Il existait de nombreuses loges en Algérie : « Bélisaire » (Alger), l’« Union africaine » (Oran), « Les hospitaliers » (Mostaganem), « La fraternité dans la Mitidja » (Blidah), « Les frères unis du Chélif » (Orléansville). Sur ce sujet : Yacono X., Un siècle de Franc-maçonnerie algérienne, Maisonneuve et Larose, Paris, 1969.
20 Sur ce point, nous rejoignons l’analyse d’Elizabeth Friedman sur l’existence d’un mythe assimilateur dans l’historiographie qui a eu tendance à nier ces réticences (Friedman E., Colonialism and after. An Algerian Jewish Community, Bergin and Garvey, Massachussets, 1988, p. 10).
21 « Instructions du 5 novembre 1872 du consistoire central aux consistoires algériens, au sujet des mesures prises pour assurer en Algérie le respect de la loi française en ce qui concerne les mariages civils », in Uhry I., op. cit., p. 71.
22 Martin Cl., op. cit., p. 175.
23 « Lettre du procureur général au gouverneur général d’Algérie (1873) », in Uhry I., op. cit., p. 87.
24 Stora B., Les trois exils des juifs d’Algérie, Stock, Paris, 2006.
25 Il s’agit de l’acte prouvant que la femme est libérée de son union religieuse et qui ne peut être remis que par son mari. A ce sujet, lire Bontems Cl., « Un mal social séculaire : la lettre de gueth ou Les tribulations amoureuses du citoyen Pariente », in Harouel J.-L. (dir.), Histoire du droit Social. Mélanges en hommage à Jean Imbert, Paris, PUF, 1989, p. 73 et s. ; Kadouch L., Divorce juif et tribunaux civils français, thèse, Dijon, 1935.
26 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à notre article : « Les solutions aux conflits en matière de divorce religieux du xixe siècle à nos jours. Le cas de refus de délivrance du gueth en droit interne », in Actes de la journée d’étude « Résolution des conflits familiaux » (Lille, mai 2007), Centre d’Histoire Judiciaire éditeur, 2011, disponible en ligne http://chj-cnrs.univ-lille2.fr/spip.php?article441
27 Dermenjian G., La crise anti-juive oranaise : 1895-1905. L’antisémitisme dans l’Algérie coloniale, L’Harmattan, Paris, 1986, p. 49.
28 Cité par Abitbol M., Les juifs d’Afrique du Nord sous Vichy, Riveneuve édition, Paris, 2008, p. 29.
29 Larcher E., Traité élémentaire..., op. cit., 1911 (2e éd.), t. 2,p. 379. Kamel Kateb avance pour sa part un chiffre de « Français d’origine ou naturalisés » plus proche des 126 000-127 000 (Kateb K., Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-1962), INED/PUF, Paris, 2001, p. 187).
30 Au sujet des conceptions de l’amiral de Gueydon, lire Ansky M., op. cit., p. 42.
31 Décret du 7 octobre 1871, Journal officiel (J.O.), 9 octobre 1871, p. 3885.
32 L’article premier indique : « [...] seront considérés comme indigènes, et à ce titre demeureront inscrits sur les listes électorales, s’ils remplissent d’ailleurs les autres conditions de capacité civile, les israélites nés en Algérie avant l’occupation française, ou nés depuis cette époque de parents établis en Algérie à l’époque où elle s’est produite ».
33 Yacono X., « Kabylie : L'insurrection de 1871 », in Encyclopédie berbère, t. 26, Judaïsme – Kabilie, Edisud, Aix-en-Provence, 2004, p. 4022-4026, également disponible en ligne : http://encyclopedieberbere.revues.org/1410. Lire également Ayoun R., « Le décret Crémieux et l’insurrection de 1871 en Algérie », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, no 35-1, 1988/1, p. 61-87.
34 Assemblée nationale, 1872, Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur les actes du gouvernement de la Défense nationale. Algérie, Cerf, Versailles, 1875, 2 vol.
35 Bugeaud observait que les Arabes « détestaient les Français du fait qu’ils traitaient les juifs mieux qu’eux » (Shurkin M., op. cit., p. 267). Cette idée était donc ancrée chez des militaires avant 1871.
36 Yacono X., op. cit.
37 Roger E., Nécessité de réviser le décret Crémieux, Imprimerie du Publieur Oranais, Oran, 1882.
38 Ibidem, p. 13.
39 Meynié G., Les juifs en Algérie, Albert Savine éditeur, Paris, 1888, p. 193 et s.
40 Drumont E., La France juive : essai d’histoire contemporaine, Marpon et Flammarion, Paris, 1886, vol. 2, p. 47.
41 Drumont E., op. cit., p. 14.
42 J.O., Déb. Parl. Ch., séances des 19, 21 février et 12 décembre 1895, 1895, p. 457-459, 464-466 et 2874-2875. Sur la question plus générale de l’antisémitisme à la Chambre durant cette période : Joly L., « L’entrée de l’antisémitisme sur la scène parlementaire française. Le débat sur l’"infiltration juive" à la Chambre en 1895 », Archives juives, vol. 38 (2005), p. 114-128.
43 Allouche-Benayoun J. et Bensimon D., Juifs d’Algérie, hier et aujourd’hui. Mémoires et identité, Privat, Toulouse, 1989, p. 183 ; Joly B., « Algérie », in Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (1880-1900), Honoré Champion Classiques, Paris, 2005, p. 667. Les rixes furent particulièrement violentes à Oran (Dermenjian G., La crise anti-juive oranaise : 1895-1905. L’antisémitisme dans l’Algérie coloniale, op. cit.). La crise resurgit à la veille de la seconde guerre mondiale (à ce sujet lire : Begaud C., La Troisième République française coloniale en Algérie. Pour une histoire politique d’Oran de 1930 à 1939, thèse, Paris VIII, 1999).
44 « Circulaire du gouverneur général du 28 décembre 1895 », R.A., 1896, t. 3, p. 70.
45 Conseil de préfecture d’Alger, 11 avril 1890, R.A., II, p. 391, et 11 août 1890, R.A., 1891, II, p. 399.
46 Cour d’appel d’Alger, 25 février 1891, R.A., 1891, II, p. 220. Cf. également : tribunal de Mostaganem, 25 juillet 1888, R.A., 1888, II, p. 436, et tribunal d’Alger, 18 juillet 1907, op. cit., p. 228.
47 Circulaire du 28 décembre 1895, op. cit, p. 70.
48 En particulier Mary P., Influence de la conversion religieuse sur la condition juridique des personnes en Algérie, thèse, Paris, 1910, p. 20.
49 « Le débat sur le statut politique des israélites en Algérie et ses acteurs (1870-1943) », Contributions du séminaire sur les administrations coloniales (2009-2010), Institut d’histoire du temps présent, 2011, p. 39-40, disponible sur : http://www.ihtp.cnrs.fr/sites/ihtp/IMG/pdf/Contributions_au_prog-_Ad-_col-_2009-2010.pdf ou http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00599296/fr/
50 Sur l’élaboration du texte et les échanges entre les différentes administrations, consulter le carton 81F, dossier 12 aux A.N.O.M.
51 Bensimon-Donath D., L’intégration des Juifs nord-africains en France, Mouton, Paris/La Haye, 1971, p. 12.
52 Les principaux journaux étaient : Le Petit Colon édité par Ch. Marchai, Le Radical Algérien fondé par F. Grégoire ; Le Petit Africain, Le Républicain de Constantine édité par Émile Morinaud, et L’Antijuif fondé en 1897 par M. Régis. Ce dernier avait entrepris une vaste campagne de dénonciation dont le but était de ruiner les commerces israélites.
53 Maximilien Régis (Sétif, 8 juin 1873 – Hautes-Pyrénées, 1950) : de père italien, il devint français grâce à la loi militaire. Étudiant à la faculté de droit d’Alger, il s’en fait renvoyer pour avoir organisé des incidents contre un professeur de droit romain, Lévy. Le 14 juillet 1897, il fonde l'Antijuif d’Alger et devient également président de la Ligue antijuive d’Alger. En 1898, il convainc Drumont de venir se présenter aux élections en Algérie. « Max Régis », in Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français (1880-1900), op. cit., p. 342.
54 Hebey P., Alger 1898 : la grande vague antijuive, Nil, Paris, 1996 (la première édition date de 1899 et avait été publiée par l’imprimerie commerciale sous le titre L’œuvre des antijuifs d’Alger).
55 Msellati H., op. cit., p. 40.
56 « Les conseillers généraux d’Alger ont voulu affirmer hier leurs sentiments antisémitiques. Pendant plusieurs heures, ils ont discuté sur le point de savoir s’il fallait demander l’abrogation du décret Crémieux ou l’expulsion en masse des juifs » (A.N.O.M., Fonds ministériel (F.M.), F80/1688. La Vigie Algérienne (Alger), 19 octobre 1898).
57 Certains Républicains modérés, partisans de Dreyfus, cessent de soutenir l’antisémitisme algérien.
58 Kauffman G., Edouard Drumont, Paris, Perrin, 2008, p. 368.
59 Ibidem.
60 Dessoliers F., De la fusion des races européennes en Algérie par les mariages croisés et ses conséquences politiques, Fontana, Alger, 1899.
61 Dessoliers a également enseigné très brièvement en tant que chargé de cours à l’École de Droit d’Alger avant d’être député.
62 Dessoliers F., L’Algérie libre. Etude économique sur l’Algérie, Gojosso, Alger, 1895.
63 Pratiques administratives et judiciaires qui suscitent encore aujourd’hui des interrogations dans le cadre du renouvellement des cartes nationales d’identité de citoyens français nés en Algérie. Ainsi, en 2007, le sénateur Richard Yung avait interpelé la ministre de la Justice sur « les demandes faites par certains greffes de tribunaux d’instance aux personnes nées en Algérie et portant un patronyme à consonance israélite de produire un acte religieux ». Cf. J.O. des 23 août 2007, p. 1449 et du 3 janvier 2008, p. 39, consultable en ligne : http://www.senat.fr/basile/visio.do?id=qSEQ070801539
Auteur
Actuellement chercheure CNRS au Centre d’histoire judiciaire (UMR 8025). Elle a soutenu son habilitation à diriger des recherches et réalisé une vingtaine de publications sur le thème de l’histoire du droit colonial et de ses acteurs. Elle est co-rédactrice du carnet de recherches « Colonialcorpus » et membre fondatrice du Réseau interdisciplinaire colonisation et décolonisation – Ricode.
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