Introduction
L’ambivalence du risque, entre pratiques et représentations, valeur et menace
p. 7-25
Texte intégral
1Etymologiquement, le terme « risque » viendrait, via l’italien risico ou l’espagnol riesgo, du latin resecum qui signifie ce qui coupe. Le terme aurait désigné à l’origine l’écueil menaçant les navires, puis de manière plus large tous les dangers encourus par les marchands en mer, et serait lié aux premiers contrats d’assurance maritime1. C’est dire si le concept de risque, pris comme epistémè, n’est pas neuf. C’est d’autant plus vrai qu’il s’agit d’un concept profondément ambivalent, tantôt valorisé en tant que valeur, corollaire d’une capacité à faire des choix et d’une éthique de la responsabilité, tantôt perçu comme menace ou danger à conjurer. Depuis des siècles, le risque est pris dans cette ambiguïté, qu’illustrent tant le pari de Pascal d’un côté, le principe de précaution de l’autre : entre « valeur des valeurs » et symbole d’un espace démocratique conçu comme jeu ouvert, idéal de maîtrise et d’anticipation susceptible de déboucher sur des formes renouvelées de clôture et de totalisation, le risque oscille. Entre prise de risque et tentation du risque zéro et selon des modalités différentes en fonction des époques, se déploie une gouvernementalité par le risque, en quête d’équilibre entre les risques à prendre et ceux qu’il faut éviter.
2Si l’on accepte d’envisager que le risque est devenu une grille de lecture du monde et un outil de gouvernementalité, mais que comme savoir et comme pouvoir il a aussi une généalogie, la question revient à se demander ce qui en fait la spécificité aujourd’hui, tant dans le registre des valeurs que dans celui des pratiques de la technologie politique.
Le risque, entre valeur et menace : un art de (se) gouverner
3Dans un premier sens, le risque renvoie à l’idée d’un choix en contexte d’incertitude. Il s’agit ici de faire un pari sur l’avenir, affrontant la possibilité d’une perte, sans certitude de pouvoir y gagner. De ce point de vue, comme le soulignent F. Ewald et D. Kesler, le pari est constitutif de la condition ontologique de l’homme. Dès qu’il advient au monde, l’humain n’a de fait guère le choix : il est « animal condamné à prendre des risques », contraint de prendre des risques et de parier s’il souhaite agir. Pascal le soulignait déjà : « Il faut parier. Cela n’est pas volontaire. Vous êtes embarqués2. » Pourtant, cette obligation renvoie aussi à la part de liberté et de responsabilité qui est en l’homme : qu’est ce qui fait la spécificité de l’humain, comme être de langage, sinon d’être capable de choisir et de décider en contexte d’incertitude ? Parier, c’est faire le choix d’une prise de risque, d’« agir » au sens propre du terme en privilégiant un vouloir propre, en l’absence de toute garantie. C’est aussi poser un acte qui révèle un enjeu de vérité pour le sujet en tant qu’il « se met en jeu » dans une confrontation avec lui-même dans un processus de surgissement et d’auto-institution. Dans l’ordre de la subjectivité, le risque se fait valeur, étroitement associé à un principe de décision, sur le modèle du jeu ou du pari, dans une tradition qui remonte à Pascal et à son fameux pari sur la nécessité de croire en Dieu3. Et ce qui est vrai sur le plan de la subjectivité l’est aussi dans le domaine politique : qu’est-ce qu’une société démocratique sinon une société qui remplace le destin ou les autres ordres de nécessité ou de garantie par le pari, fût-il médiatisé par les catégories de la raison ? Une société du risque, qu’est-ce d’autre qu'une société qui accepte le principe de son autonomie et de son institution imaginaire hors garant fondateur, à travers les seules ressources du langage ? Sur le plan individuel comme collectif, la prise de risque est bien synonyme de liberté et de réflexivité, d’invention et d’émancipation, mise à distance de l’hétéronomie fondatrice et de la reproduction, de la maîtrise et de fixité4.
4A l’inverse, le risque est connoté de manière négative, dès lors qu’il est associé de manière plus classique (et dominante aujourd’hui) à l’idée d’aléa imprévisible ou de menace à conjurer. En ce sens, le risque renvoie soit à la figure de l’accident, cas fortuit contre lequel il faut s’assurer pour obtenir réparation en dehors de toute responsabilité pour faute5, soit à un type particulier de danger en devenir contre lequel il apparaît possible et nécessaire de se prémunir. Détection et traçabilité des risques, risque zéro et principe de précaution traduisent cet idéal de maîtrise d’un risque incertain vécu essentiellement comme danger et menace. Et là où la première acception favorise tant le développement du calcul des probabilités (qui, avec Pascal, se déploie comme « géométrie du hasard » pour apprivoiser l’aléa) que la statistique administrative en tant que tentative de prévoir et d’instaurer des régularités, la seconde encourage l’application de ces deux nouvelles techniques à divers domaines de la vie sociale dans le souci de détecter, de réguler et de contrôler les risques à des fins de prévention et de sécurité.
5Selon Beck, ce passage au risque comme menace maîtrisable est contemporain de la naissance des sociétés industrielles, époque à laquelle les catastrophes ne s’expliquent plus tant par le destin ou les caprices de la nature que par l’action de l’homme. Emergeant avec la modernité, l’idéal d’un contrôle ou d’une maîtrise possible de dangers prévisibles et calculables se développera tout au long des xixe et xxe siècles. Il sera largement associé à une représentation de l’homme comme individu libre et rationnel, responsable de ses choix et capable du contrôle des conséquences de son action6. Le souci de contrôle donne alors naissance à un art de la gestion des risques, technologie politique à double facette : tantôt, il s’agit de miser sur la répartition solidariste des risques conçus comme phénomènes aléatoires mais « normaux », statistiquement prévisibles et en grande partie inévitables7, dans le cadre de sociétés assurantielles ; tantôt il s’agit de mettre en place des dispositifs de gouvernementalité des populations perçues dans leur dimension de dangerosité ou de risque social selon les principes d’une « biopolitique » (Foucault) qui joue tant sur le gouvernement par les disciplines que sur le gouvernement de soi par soi. Dans les deux cas, sur ses versants de protection sociale ou de défense sociale, le risque apparaît comme un danger prévisible et maîtrisable, mettant en jeu un principe de responsabilité sociale dans sa production comme dans les tentatives de sa domestication.
La société du risque, une métaphore de la société moderne ?
6Si le concept de risque est loin d’être neuf, il n’en connaît pas moins un regain de faveur important ces dernières années. Lié à l’émergence de risques nouveaux, sa popularité traduit aussi la prise de conscience d’un changement de statut des menaces liées à l’activité humaine (dans le domaine de l’environnement d’abord, ailleurs ensuite) : aujourd’hui, le concept de risque s’est progressivement imposé pour désigner la réalité d’une nouvelle génération de dangers non prévisibles et non assurables qui se soustraient aux mécanismes classiques de contrôle et de sécurité8. Mais s’il renvoie à des réalités pragmatiques, le risque s’est également imposé comme catégorie culturelle (M. Douglas9) ou comme grille de lecture des réalités sociales et de leur évolution, que l’on parle de « culture du risque » avec A. Giddens10 ou de « société du risque » chez U. Beck11. Il a en outre donné naissance à un nouveau concept, qui enveloppe en le dépassant celui de prévention associé au risque comme danger indentifiable et prévisible, le principe de précaution12. Expression d’un prudentialisme redoublé, le principe de précaution fait signe vers des risques non encore identifiés, souvent difficiles à tracer, imprévisibles dans leur survenance comme dans leurs conséquences. Face aux incertitudes du discours de la science qui apparaît aujourd’hui plus clairement qu’avant comme un savoir troué, le principe de précaution se focalise souvent sur des « facteurs prédictifs de risques » susceptibles de justifier des prises de position au nom d’un impératif de sécurité.
7Que signifie ce regain d’intérêt pour la catégorie du risque aujourd’hui ? S’agit-il simplement de reconnaître l’existence de nouveaux dangers d’une nature différente de ceux que nous avons connus jusqu’ici ? C’est certainement le cas. Il y a bien prise de conscience de ce qu’une nouvelle génération de risques, produits de l’activité humaine et de la technologie scientifique, est moins localisable qu’auparavant, que ces risques ne sont plus maîtrisables par une science elle-même source d’incertitudes à travers ses avancées et qu’ils sont dès lors aussi moins assurables. Mais privilégier une grammaire des risques comme grille de lecture des réalités physiques et sociales, n’est-ce pas aussi significatif d’un changement de culture ? Ne faut-il pas voir, dans la montée de la « société des risques », des signes de l’émergence d’une « deuxième modernité » ou du passage à la « post-modernité », l’avènement d’un État de guidage ou d’une société réflexive, voire de manière plus ciblée, un symptôme du dépassement de l’État social par l’« État social actif13 » ?
8Si on se situe dans l’ordre des représentations, l’engouement pour le risque traduit sans doute une triple évolution qui fait signe vers une mutation culturelle plus fondamentale. Le statut de la science comme savoir, tout d’abord. Dernier avatar d’une logique référentielle ou métaphysique, la science ne capitonne plus la croyance. Face aux risques, le savoir expert ne fait plus vérité comme autrefois. Concurrencé par d’autres types de savoirs profanes, le discours de la science est amené à s’hybrider avec d’autres logiques14, ce qui revient aussi à reconnaître la relativité de sa rationalité et à accepter, au même titre que les autres grands récits fondateurs, sa dimension de radicale incomplétude. Ensuite, comme le soulignent tant Beck que Giddens, l’émergence d’une société réflexive, qui se traduit par l’éclosion d’un regard critique des sociétés sur elles-mêmes face à un avenir vécu comme ouverture de possibles et espace de profonde incertitude. Avec pour corollaire, un déplacement de la sphère de légitimité de l’action des institutions et de la tradition vers la discussion et l’arbitrage, comme le souligne l’engouement pour de nouvelles formes de démocratie procédurale. Et enfin, derrière le passage d’un modèle d’assurance collective face aux risques, caractéristique de la logique Welfare, à un modèle de responsabilisation individuelle privilégié par le nouvel esprit du capitalisme15, la promotion d’un nouveau type anthropologique : à la figure de l’individu protégé, valorisé dans sa capacité d’obéir et de se conformer aux normes dans une société de rôles, succède partiellement l’idéal d’un sujet « autonome », « authentique », « entrepreneur de soi » ou capable de « gestion de soi », en mesure de se risquer en assumant sa propre destinée, quelques soient les conditions et inégalités de départ. Cette tendance, exemplaire du dépassement d’un « modèle solidariste du risque » par un modèle « responsabiliste du risque », n’est pas idéologiquement neutre. Dès lors qu’elles font assez radicalement l’impasse sur les rapports de pouvoir qui continuent à se déployer derrière une lecture individualisant de la responsabilité, cette nouvelle grammaire du risque pourrait bien aussi signifier, comme le fait remarquer F. Cantelli, la mise à l’épreuve de « la notion même de solidarité16 ».
9C’est donc sans doute à bon droit que l’on peut considérer que la « société des risques » constitue aujourd’hui un nouveau mode de gouvernementalité des individus et des populations et que la question du risque a bien à voir avec la politique dans ses divers registres discursifs et pratiques. Comme l’explique dans un texte récent F. Ewald, « le risque et son discours sont devenus la forme de savoir-pouvoir dominante dans notre société17 ». Dans divers domaines de l’action publique, la gestion ou la réduction des risques est de facto devenue un cadre directeur de l’action et c’est bien ce que soulignent plusieurs contributions de cet ouvrage. Cela ne doit pas nous faire oublier deux choses pour autant : premièrement, que l’expérience du risque a une généalogie et qu’elle ne fait pas irruption avec la deuxième modernité. Dès lors, plutôt que de rupture, c’est de transformation du risque et de son épistémologie qu’il faut parler ; deuxièmement, que si l’engouement pour le risque comme catégorie d’appréhension du réel est significatif, ce mode de savoir-pouvoir n’est pas la seule entrée pour aborder le réel et sa complexité. A travers des images telles que « société des risques » ou « culture des risques », les nouveaux régimes culturels ou de normativité désignés tendent à se présenter comme une modalité globale de saisie de l’essence d’une époque. Or, on peut penser ici que le « nouveau » est rarement hégémonique et qu’il s’entrelace ou se superpose à F « ancien » plus souvent qu’il ne s’y substitue ou ne le remplace18. En outre, le réel des pratiques conduit sans doute à nuancer l’impact du risque comme catégorie totalisante et à relativiser sa portée discursive. Entre réalisme obtu et constructivisme éthéré, la question est alors de chercher à affiner le concept et ses portées pratiques, en examinant de manière plus concrète les réalités différentielles que le risque abrite et les effets que cette catégorie produit selon les champs : entre société réflexive et idéal sécuritaire, démocratisation du savoir et positivisme technique, responsabilité sociale et responsabilisation individuelle, repli précautionneux et prise de risques, le concept renvoie à une diversité de pratiques de gestion des populations et de gestion de soi qui en font bien un indice complexe des nouveaux régimes de gouvernementalité contemporains. Il est également l’objet – et ceci transparaît à travers plusieurs contributions, notament celles qui portent sur les politiques publiques en matière sociale, pénale ou de la santé – ou le révélateur de postures épistémologiques contrastées dont l’impact politique est loin d’être neutre : entre une démarche « réaliste », centrée sur la détection de « facteurs de risques » objectivés et une perspective constructiviste, faible ou forte, qui a vocation à comprendre des trajectoires à risques, les questions posées et les objectifs poursuivis ne sont pas identiques, tout comme divergent considérablement les enjeux normatifs et sociaux mobilisés dans l’analyse du risque et de ses conséquences.
L’économie de l’ouvrage
L’épistémologie du risque, un enjeu politique
10Pour qui s’intéresse à la sociologie du risque, l’ouvrage d’U. Beck, La société du risque, paru en Allemagne en 1986, est une référence difficilement contournable. Pourquoi un tel succès ? Sans doute, comme l’explique J. Pierret, parce que Beck, au-delà de l’ambiguïté méthodologique de son projet, inscrit la question du risque dans le cadre d’une mutation de société qui questionne notre rapport au monde social et aux processus de subjectivation, à la science et au politique, à la morale et à la démocratie. Ce que souligne Pierret dans son analyse des travaux de Beck, c’est au fond que l’avènement de la société du risque, incarnée d’abord à travers le risque écologique, est contemporain d’un changement assez brutal de référentiel en termes de valeurs : mise en question de l’assurance, dépassement d’un idéal welfariste de redistribution égalitaire des ressources, émergence de nouvelles précarités sur fond d’un processus d’individuation et de responsabilisation, ou encore souci de détection et de prévention sécuritaire des risques contaminent l’ensemble des relations sociales. Au prix d’une ambiguïté que souligne l’auteur à l’aide d’un regard porté sur les politiques pénales : là où l’évolution peut se lire comme emblématique de l’avènement d’une société réflexive ou d’une « démocratisation de la démocratie », elle peut aussi, à l’inverse, produire une réification de la catégorie du risque et favoriser un idéal technique de contrôle administratif et scientifique de populations assignées à une place spécifique dans l’espace social en fonction de leurs risques.
11Approche positiviste versus lecture constructiviste : poursuivant la réflexion, G. Chantraine et J. F. Cauchies s’interrogent sur les états épistémologiques du risque, entre réalisme et constructivisme. Critiques à l’égard du « constructivisme faible » de U. Beck, auquel ils reprochent une approche totalisante, uniformisante et in fine « réaliste » des risques comme réalités à la fois objectives et construites, les auteurs lui opposent le « constructivisme fort » d’une approche en termes de gouvernementalité. Mobilisant les derniers travaux de M. Foucault sur « Sécurité, territoire et population », les auteurs estiment que cette deuxième démarche permet, à l’inverse de la première, de restituer derrière une catégorie volontiers réifiante « l’ensemble des savoirs et des calculs qui sous-tendent la production d’un risque » comme matrice permettant de gouverner les populations. Le risque devient ici représentation construite des événements au service d’un objectif de gouvernementalité, ce qui permet de repolitiser la question du risque en termes d’enjeux de pouvoir là où on en fait volontiers une donnée « scientifique » et/ou « neutre ». Pour les auteurs, cette posture invite aussi, aux antipodes de la démarche totalisante presque métaphysique de Beck, à privilégier une micro-physique du risque, ce dernier devant être étudié en situation à travers des démarches plus empiriques.
12Le questionnement sur le statut épistémologique du risque dans nos sociétés contemporaines glisse vers la figure de « l’homme précautionneux » avec D. Deprins. Choisissant de remonter au pari de Pascal comme allégorie du principe de précaution, l’auteure cherche à éclairer l’anthropologie du « précautionneux », pris entre rationalité et contingence. Pour Deprins, la figure de « Pascal, le précautionneux » est précieuse pour saisir ce qui fait l’ancrage du principe de précaution aujourd’hui : un refus du hasard ou une tentative de domestication de la contingence tout d’abord, que l’on retrouve à travers les règles du pari mathématique puis de la logique probabiliste. N’est-ce pas en effet le même refus que l’on retrouve aujourd’hui, derrière la sacralisation des chiffres pour faire de la probabilité « un savoir rationnel à nouveau consistant » ? Une alliance étrange ensuite, entre la question du pari et la question de Dieu ou de la religion, comme parade à la menace d'un réel sans complétude ici, outil de sécurisation et de réassurance en réponse aux failles d’un savoir troué produit par le discours de la science lui-même là-bas ; la figure du mélancolique enfin, repérable chez Pascal, qui ne serait pas sans résonance avec l’image du précautionneux aujourd’hui : plus mélancolique qu’obsessionnel, ce dernier ferait le choix de s’en remettre à une illusion de maîtrise pour, à travers les chiffres ou la religion, exorciser ses peurs face à l’insupportable de la prise de risque en contexte de radicale incertitude.
Risque et politiques publiques
13Descendre du ciel des réflexions théoriques pour donner un substrat empirique à la réflexion sur le risque, c’est bien l’objet des contributions qui suivent et qui s’inscrivent dans une perspective compréhensive pour étudier la place faite au risque dans les politiques publiques. Introduisant le propos, F. Cantelli s’interroge sur les liens entre science politique et le concept de risque et la place prise par ce concept dans les analyses de l’action publique. L’auteur souligne l’importance des jeux de langage à propos du risque, s’attachant à la « mise en mots » du concept pour souligner la proximité du terme avec d’autres notions qui lui sont régulièrement préférées, telles qu’incertitude, apprentissage ou vulnérabilité. Un jeu de langage n’est pas l’autre : Cantelli souligne lui aussi que l’élaboration du risque comme catégorie renvoie à des modalités de gouvernement qui ne sont pas neutres, qu’elles traduisent les priorités de l’État-gendarme, de l’État social ou, aujourd’hui, d’un État réflexif. C’est précisément à ces priorités que s’intéresse A. Franssen, dans une analyse de la nouvelle grammaire des risques sociaux à l’œuvre derrière « l'État social actif». Pour l’auteur, ce nouveau référentiel souligne en effet un certain nombre de déplacements perceptibles au cœur des politiques sociales dans la manière d’affronter et de gérer les risques sociaux. Là où, en contexte welfare, dominait un principe de responsabilité sociale face aux risques, incarné par un système assurantiel fonctionnant sous « voile d’ignorance », une régulation collective des risques sociaux et une logique de réparation a posteriori des dommages, émerge une nouvelle « déclinaison du risque » fondée sur l’activation, la participation et la responsabilisation des individus. S’impose dès lors une lecture plus personnalisée de risques spécifiques ainsi qu’une logique d’intervention préventive et pro-active des risques, dans un cadre idéologique qui tend à dépasser les antagonismes et à « préfigurer une société idéale débarrassée de toute conflictualité sociale ». Pourtant, il ne faudrait pas s’aveugler estime Franssen : si « ces discours et ces dispositifs correspondent bien à une nouvelle grammaire du risque » et si la thèse, défendue dès le début des années 1980 par le sociologue français R. Castel, du basculement vers une « gestion prévisionnelle des risques » a d’incontestables fondements, l’arbre des nouvelles politiques sociales ne doit pas masquer la forêt touffue des anciens dispositifs. Autrement dit, l’intrication entre les nouveaux dispositifs de gouvernementalité et les anciens est étroite et donne naissance à des formes de continuum ou d’hybridation dont il faut mesurer la complexité.
14Portées par une même intuition, deux contributions s’attachent à scruter la portée du risque dans le domaine des politiques pénales. Évoquant le passage à une « culture post-disciplinaire », devenu un lieu commun de la littérature critique en criminologie, Y. Cartuyvels souligne les mutations de la pénalité contemporaine centrée pour une bonne par sur le contrôle de « groupes à risques » qu’il s’agit moins aujourd’hui de corriger ou de moraliser que de détecter et de surveiller. A l’aide de deux recherches empiriques portant sur des populations marginalisées dans leur confrontation à la justice, l’auteur montre l’importance du concept de risque dans le fonctionnement du système pénal : qu’il s’agisse du « risque pour autrui » ou du « risque pour soi-même », du risque comme menace ou de la prise de risque comme valeur paradoxalement dévaluée à l’heure du discours de la responsabilisation, le concept est omni-présent. Prenant appui sur un article prémonitoire de R. Castel19, Cartuyvels cherche encore à identifier les écarts qui séparent une gouvernementalité par la dangerosité qui fait irruption à la fin du xixe siècle de la gouvernementalité par le risque qui se déploie aujourd’hui. Se penchant sur les prisons, G. Cliquennois essaye de penser le statut et l’impact du risque dans le fonctionnement de l’institution pénitentiaire. S’inspirant de la tradition des Governmental studies, qui de M. Foucault à N. Rose, en passant par M. Feeley et J. Simon, lisent volontiers dans l’évolution des politiques pénales le déploiement d’une « nouvelle pénologie » conçue comme gestion actuarielle des risques, l’auteur n’en questionne pas moins, étude empirique à l’appui, la pertinence globalisante d’une telle analyse : « La nouvelle pénologie ne révèle-t-elle pas un excès de rationalisation dans l’interprétation des phénomènes sociaux » demande-t-il ? La rhétorique du risque ne surévalue-t-elle pas l’impact du facteur risque ? A se focaliser sur le risque, n’occulte-t-on pas d’autres déterminants tout aussi importants de la gouvernementalité pénitentiaire ? C’est la conclusion plus nuancée à laquelle aboutit l’auteur, au terme d’une recherche qui l’amène à souligner non seulement la diversité des usages du risque en prison (du risque de suicide au risque de récidive) mais aussi la complexité des logiques d’action repérables selon les rôles et les cultures professionnels en milieu carcéral.
15Dans le champ de la santé comme dans celui des politiques familiales, la prise en compte des « facteurs de risques » se révèle centrale pour comprendre les comportements des individus ou repérer les principes directeurs des politiques publiques. A partir d’une réflexion sur les politiques de santé à destination de personnes précarisées, X. Mattelé souligne l’importance des « facteurs de risques » dans le champ des représentations et des pratiques du corps et de la santé. Selon les types de facteurs de risques mobilisés, « proches » ou « lointains », ce sont en effet des visions différentes de la santé qui se déploient : réduite à sa dimension médicale, technique et adaptative dans un cas, la santé peut au contraire être perçue comme élément d’une question normative et relationnelle, au croisement d’enjeux biologiques, psychiques économiques et sociaux, dans l’autre. Mais c’est aussi, de manière identique à ce qui se perçoit dans le champ de la déviance, une orientation très différente des politiques de prévention qui se dessine : entre une approche sanitaire mono-factorielle, à vocation prédictive et causaliste et une démarche herméneutique multi-facettes, s’intéressant à la trajectoire des individus dans leur contexte familial, social et culturel, la perception du comportement à risques et de sa gestion n’est pas identique. L’écart se traduit encore sur le plan de responsabilité, que celle-ci soit rabattue sur le sujet soumis aux multiples injonctions responsabilisantes d’un discours médicalisant ou qu’elle soit au contraire élargie à d’autres acteurs pour englober les enjeux de pouvoir et d’inégalités sociales qui pèsent sur les parcours de sujets à risques.
16Dans un autre domaine, celui des politiques familiales, M. Norro fait un constat assez similaire. Ici aussi s’affrontent deux regards auxquels s’associent des « systèmes experts différents » sur la famille et les risques familiaux. Ordre symbolique plus fermé de la famille versus logique constructiviste plus ouverte de la filiation, violence symbolique et étiquetage ou pluralisme cognitif s’opposent dans la manière de percevoir les risques familiaux. Et ici encore, selon le prisme privilégié, se penseront différemment les questions de la responsabilité et des rapports de pouvoir au cœur des questions familiales.
17Analysant les comportements face aux risques de contamination par le VIH, L. Van Campenhoudt souligne pour sa part que ces derniers doivent se comprendre dans une perspective relationnelle large. Rejetant le paradigme de « l’individu rationnel », dont la transgression se donnerait à lire comme aveu de faiblesse ou marque d’anomie, l’auteur souligne que le comportement à risque est aussi une manière de se gouverner qui s’explique largement par l’inscription de la prise de risque dans un jeu de rapports sociaux et de normativités symboliques qui pèsent sur l’histoire et la trajectoire d’un sujet en position de vulnérabilité.
18Abordant le concept de risque dans le cadre des expérimentations pharmacologiques, C. Herbrand s’interroge sur la perception du risque dans le cadre des expérimentations pharmaceutiques ainsi que sur la réalité du risque pour les différents acteurs impliqués dans ce type d’expérience. L’auteure souligne d’une part, que la perception du risque est très subjective et d’autre part que si les risques liés à l’expérimentation sont réels, ils sont néanmoins souvent plus faibles que ce que l’on aurait tendance à croire et peut-être différents de ce que l’on imaginerait. Reste cependant à comprendre ce qui justifie l’absence de statistiques globales sur le nombre et l’ampleur des effets secondaires et des accidents liés aux expérimentations cliniques ou encore le secret jalousement gardé par les firmes pharmaceutiques sur les résultats de ces types d’expérimentations...
19Enfin, dans une critique acerbe des discours publicitaires autour des « Oméga 3 », entre science, magie et profit, A.-M. Polomé, chimiste, dénonce les dérives du marketing autour d’une molécule qui permettrait de se prémunir contre les multiples risques de la vie. C’est ici « l’enfer du risque imaginaire » qui plane derrière un principe de précaution associé à l’alimentation, au prix d’une surestimation du danger, d’un idéal de perfection purificatrice qu'incarne le fantasme de traçabilité parfaite des aliments ou de la promotion d’adjuvants tels que les Omega 3. Et lorsque profit et pseudo-science font alliance, constate l’auteure, c’est bien souvent pour surestimer un risque, ce qui permet de promouvoir discours prophétiques et faux palliatifs pour le plus grand bénéfice de firmes peu scrupuleuses.
Le droit face au risque : responsabilité sans faute et procéduralisation de la décision en contexte d’incertitude
20Dans une contribution solidement documentée, J. Van Meerbeeck retrace les évolutions du principe de la responsabilité civile et le remplacement progressif d’un principe de responsabilité pour faute, tel que conçu par les pères du Code civil de 1804, par un principe de responsabilité sans faute dans le cadre des sociétés assurantielles à partir de la fin du xixe siècle. L’auteur souligne que si le principe de l’assurance est ancien, le xxe siècle lui donnera un essor particulier en construisant une véritable assurantialisation de la société face au risque, dont le droit s’est fait le vecteur par excellence : tant dans les domaines du droit pénal, avec l’émergence de l’école positive italienne et son souci de remplacer la responsabilité morale subjective par une responsabilité sociale face à la dangerosité, que du droit du travail confronté à la multiplication des accidents du travail, émerge « une théorie du risque (qui) repose sur l’idée que celui qui tire profit d’une activité ou celui qui en a la direction doit en payer les conséquences dommageables », même en l’absence de faute de sa part. Le développement des assurances sera donc la réponse à cet idéal croissant d’indemnisation des victimes, en même temps qu’il favorisera le déploiement de régimes de responsabilités objectives pour risques que l’existence du dispositif assurantiel rend possible. « Assurance oblige » : le principe semble s’être imposé en jurisprudence, même s’il avance parfois masqué derrière des justifications impersonnelles telles que le « devoir », la « faute », l’« illéicité » ou la « cause légale ». Pour Van Meerbeeck, cette évolution n’est pas anodine : d’une part, la priorité à l’indemnisation, thème porteur dans nos sociétés victimaires, amène une telle extension des éléments constitutifs de la responsabilité qu’elle en altère la nature, au point d’entraîner un processus radical de déresponsabilisation ; d’autre part, la mutualisation des risques produit une « dépersonnalisation de la responsabilité civile », en imposant aux acteurs en conflit de s’effacer derrière les acteurs de l’assurance. C’est alors l’inscription symbolique de la responsabilité comme celle du dommage qui s’effacent, au point de provoquer – ce que soulignent également un certain nombre de pénalistes critiques – un déplacement vers la scène pénale : vécu par la victime comme espace de reconnaissance de substitution, le procès pénal propose aussi un verdict de culpabilité, perçu comme seule expression véritable de la responsabilité.
21A travers l’étude de la prise en compte par le droit des risques environnementaux, D. Misonne rappelle que c’est par la problématique de l’environnement que les thèmes du risque et du principe de précaution ont fait retour sur les scènes sociale et juridique. Se focalisant plus spécifiquement sur l’évaluation du risque, l’auteure souligne ici, en écho aux analyses d’U. Beck, une autre facette du droit face au risque, qui est la manière dont le droit « organise l’effort d’analyse des risques » en contexte d’incertitude : si risk assessment et risk management reposent bien toujours sur des données scientifiques, la science n’apparaît cependant plus en mesure ni de tout prévoir, ni de tout savoir. Dès lors, souligne D. Misonne, exemple du protocole de Kyoto à l’appui, il est clair que la norme qui définit les risques acceptables est une « construction sociale », fruit de compromis entre des intérêts (économiques, sociaux, environnementaux) en conflit et arbitrage entre des légitimités multiples bien plus que l’expression d’une vérité scientifique de surplomb. De même, dans la gestion du risque, mesures de prévention (dès lors que le risque est certain), de précaution (dès lors que le risque reste incertain mais n’est plus purement hypothétique) ou de substitution (dès lors qu’un produit semble porteur de risques plus acceptables qu’un autre) font une place plus grande à la dimension procédurale du droit pour arbitrer les décisions à prendre.
22Dans une analyse du régime juridique des OGM (organismes génétiquement modifiés), D. de Beer souligne lui aussi cette évolution du type de légitimité qui affecte l’élaboration de la règle de droit censée pacifier un champ largement conflictuel et incertain : à propos des OGM et de leur réglementation, c’est à un feu nourri d’argumentations croisées que l’on assiste, mêlant controverses scientifiques, implication du public, prise en compte d’effets socio-économiques, intérêts commerciaux ou encore considérations éthiques. Fidèle traducteur des évolutions sociales, le droit semble bien ici se chercher un nouveau registre d’autorité propre à assurer la croyance, celui de la discussion et de la négociation, de la proportionnalité et de la subsidiarité, du cas et de l’arbitrage selon une modélisation qui affecte considérablement les représentations classiques de la dogmatique juridique.
La prise de risque : regards philosophiques et psychanalytiques
23Si le risque a été surtout travaillé jusqu’ici dans sa dimension de menace, il émerge aussi dans sa valeur positive, comme aventure ou prise de risque. Psychanalyste, M. Garcia se penche sur le désir de risque qui se donne à lire dans des conduites à risques, où le sujet cherche l’émotion forte ou la montée d’adrénaline. Que se joue-t-il derrière cette recherche du risque pour lui-même ? Plutôt que d’y voir une tentative de dépasser un traumatisme antérieur, une forme de dénégation face au danger ou à la mort, Garcia propose de lire la prise de risque liée à ces conduites de défi comme une opération de subjectivation, une manière de s’affirmer « vivant » dans un univers parfois anésthésiant. La prise de risque est ici désir et, peut-être, une réponse vitale chez certains sujets confrontés aux injonctions prudentielles de nos sociétés de sécurité.
24Pour Ph. Szafarz, le risque est au contraire associé à l’angoisse, celle-ci se lisant comme signal d’un risque subjectif. Thème travaillé tant par Freud que par Lacan, mais avec des lectures différentes, l’angoisse serait le signe d’un « risque subjectif », sorte d’inquiétude particulière sans véritable objet. Et l’auteur de conclure, après avoir déplié le concept d’angoisse chez Freud et Lacan, que la tentation sécuritaire n’est pas une réponse pour apaiser ce « risque subjectif » qui a besoin, au contraire, de se dire et de se formuler pour se dépasser.
25Dans un texte qui n’est pas sans résonance avec celui de D. Deprins, E. Faivre D’Arcier interroge le rapport de la raison à la liberté comme prise de risque. L’auteure cherche ici à distinguer l’attitude de « l’homme prudent » de celle de « l’homme précautionneux » dans leurs rapports respectifs à la prise de risque, à la lumière d’une réflexion sur la raison philosophique elle-même. En ce sens, partant de la critique formulée par Horkheimer et Adorno à l’égard de la raison philosophante, l’auteure fait émerger la soif de contrôle, de sécurité et de nécessité quantifiable d’une raison qui, au cœur même du projet fondateur des Lumières, se déploie au prix d’un certain sacrifice de la liberté. Or, en voulant « réduire la figure du risque à celle d’une probabilité prévisible », en privilégiant la certitude du mesurable, l’« homme précautionneux » ne renoue-t-il pas avec un tel projet ? La question n’est-elle pas, se demande l’auteure, de réhabiliter le risque et la prise de risque comme question philosophique pour redonner un espace à la liberté ? C’est au cœur de cette même modernité philosophique que se dessine alors la possibilité de penser cet espace et, lui faisant écho, la figure de l’« homme prudent » : moins enfermé dans un idéal de clôture lié à un souci de la conservation de soi, ce dernier se dévoile plus ouvert à l’expérience de la prise de risque du dépassement de ses limites, en vue non pas d’une domination par la connaissance, mais d’une maîtrise morale de soi.
26Enfin, L. Van Eynde, se penche sur le risque comme aventure à travers la création artistique. A l’aide d’une étude du Vertigo d’A. Hitchkock, Van Eynde oppose deux modèles de création artistique qui ne traduisent pas le même rapport au risque dans la création et qui ne mettent pas en jeu de la même manière la nature aventurière de l’artiste à travers son geste créateur. Le premier registre, héritage de la tradition kantienne, pense l’œuvre comme « auratique » : expression d’une singularité, certes, elle est aussi en rapport avec un original, point d’origine qui fait référence, ce qui relativise le risque pris par l’artiste dont le geste s’enracine dans un sol signifiant. Le second, théorisé par W. Benjamin et historiquement lié à l’invention de la photographie et au déploiement de l’art cinématographique, inscrit l’œuvre dans un univers de reproductibilité technique qui affecte substantiellement la nature de la prise de risque de l’artiste : le risque devient ici nettement plus consistant, dans un mode de création où le lien entre copie et original se distend, avec une œuvre – c’est le cas de Vertigo – qui « échappe toujours, n’a ni d’origine, ni de terme et ne peut être maîtrisée dans sa fuite en avant ». Autant le risque est-il relativisé dans l’esthétique kantienne, avec l’illusion d’une maîtrise de l’œuvre, autant il est au principe même de la création dans l’art cinématographique, avec une création qui est toujours aussi dépossession.
Pour conclure. Interdisciplinarité et risque : possibilités et limites d’une démarche
27Prenant du recul à l’égard de la démarche dont cet ouvrage est le produit, Ch. Schinckus s’interroge sur les possibilités et les limites d’une approche interdisciplinaire du risque. A partir d’une réflexion sur « l’intertextualité », conçue comme intersection ou mouvement d’intégration de plusieurs textes ou discours à propos d’un objet, l’auteur s’interroge sur les conditions de possibilité même de la démarche interdisciplinaire ici projetée. Existe-t-il, à propos du risque, une « zone langagière » et une « zone référentielle » commune suffisante entre les trois grands types d’approches mobilisées (compréhensive, juridique et pragmatique, même si ce sont essentiellement les deux premières qui ont cherché à dialoguer) pour qu’une rencontre sur l’objet soit possible ? Le concept de risque n’est-il pas trop fragmenté, objet de discours trop spécialisés pour répondre aux conditions minimales de l’intertextualité, source de possible interdisciplinarité ? Comme le souligne l’auteur, tout est ici jeu de langage et dépend de ce que l’on pose comme exigences derrière les concepts d’intertextualité et d’interdisciplinarité. Ceux qui adoptent une position « forte » de l’intertextualité concluent rapidement à « l’incommensurabilité des jeux de langages » et à l’impossibilité de « traduire les concepts d’un jeu de langage à l’autre ». Cette vision des disciplines scientifiques comme pluralité des langages cloisonnés conduit alors à considérer que l’interdisciplinarité est impossible. Par contre, une position plus « souple » admettra plus facilement l’existence des conditions de possibilité d’une zone langagière commune et qu’une « traduction partielle entre les différents langages est possible », sans tomber nécessairement pour autant dans le fantasme de la création d’une nov-langue ou d’une nouvelle « super-science ».
28A partir d’une réflexion théorique sur le concept de risque, l’auteur en conclut que la démarche poursuivie dans notre cadre relève sans doute plus de la pluridisciplinarité, « pratique consistant à rassembler des résultats de diverses disciplines scientifiques autour d’un thème commun sans viser de projet précis », que de l’interdisciplinarité, même si le mérite de l’ouvrage est « d’oser faire le pas, d’oser proposer une approche interdisciplinaire sur un thème large et mouvant tel que celui du risque ».
29A la relecture des diverses contributions, je ne suis pas sûr de partager cette conclusion : si les constructions d’objet sont clairement différentes, les zones référentielles et langagières communes à propos du risque semblent bien présentes. De même, ce dont témoigne cet ouvrage, c’est que les écarts entre les jeux de langage mobilisés dans la construction d’objet ne recoupent pas nécessairement les frontières des disciplines : en sciences humaines, c’est aujourd’hui peut-être plus entre paradigmes qu’entre disciplines que se creusent les régimes d’incommensurabilité – réalisme/constructivisme, positivisme/herméneutisme...– et qu’apparaît la possibilité ou non d’un espace de dialogue et d’interpellation, de traduction et de restructuration des concepts.
Notes de bas de page
1 P. Peretti-Watel, La société du risque, Paris, La découverte, 2001, p. 6.
2 Pascal, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1936, p. 1213, cité in F. Ewald, D. Kessler, « Les noces du risque et de la politique », Le Débat, mars-avril 2000, no 109, p. 62.
3 F. Ewald, D. Kessler, ibidem, p. 62. Sur le pari de Pascal, voyez la contribution de D. Deprins dans ce volume.
4 C. Castoriadis, « Psychanalyse et politique », dans Le monde morcelé. Les carrefours du labyrinthe, III, Paris, Seuil, 1990, p. 173-190.
5 P. Perretti-Watel, op. cit., p. 8.
6 U. Beck, « Fabriquons-nous une société du risque ? », Le Monde des débats, novembre 1999, p. 12.
7 Voyez F. Ewald, L’État providence, Paris, Grasset, 1986.
8 U. Beck, « D’une théorie critique de la société vers la théorie d’une autocritique sociale », Déviance et Société, 1994, no 3, p.333-348.
9 M. Douglas, Risk and Blame. Essays in Cultural Theorv, Londres, Routledge, 1992.
10 A. Giddens, Modernity and Self-Identity, Stanford University Press, 1991.
11 U. Beck, Risk Society. Towards an New Modernity, Londres, Sages Publication, 1992.
12 F. Ewald, Ch. Gollier, N. de Saedeleer, Le principe de précaution, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2001.
13 Voyez par exemple la contribution d’A. Franssen dans ce volume.
14 Voyez M. Callon, P. Lascoumes, Y. Barthes, Agir dans un monde incertain, Paris, Seuil, 2001.
15 L. Boltanski, E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.
16 Voyez notamment les contributions de F. Cantelli et d’A. Franssen dans cet ouvrage.
17 F. Ewald, L’évidence sécuritaire, in A.M Dillens (dir.), La peur. Émotion, passion, raison, Bruxelles, Publications des FUSL, 2006, p. 199-204.
18 Voyez entre autres la contribution de A. Franssen dans cet ouvrage.
19 R. Castel, « De la dangerosité au risque », Actes de la Recherche en sciences sociales, 1983, no 47-48, p. 119-127.
Auteur
Professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Soigner ou punir ?
Un regard empirique sur la défense sociale en Belgique
Yves Cartuyvels, Brice Chametiers et Anne Wyvekens (dir.)
2010
Savoirs experts et profanes dans la construction des problèmes publics
Ludivine Damay, Denis Benjamin et Denis Duez (dir.)
2011
Droit et Justice en Afrique coloniale
Traditions, productions et réformes
Bérangère Piret, Charlotte Braillon, Laurence Montel et al. (dir.)
2014
De la religion que l’on voit à la religion que l’on ne voit pas
Les jeunes, le religieux et le travail social
Maryam Kolly
2018
Le manifeste Conscience africaine (1956)
Élites congolaises et société coloniale. Regards croisés
Nathalie Tousignant (dir.)
2009
Être mobile
Vécus du temps et usages des modes de transport à Bruxelles
Michel Hubert, Philippe Huynen et Bertrand Montulet
2007