Le quotidien utopique ou l’utopie au quotidien : le nœud borroméen de la littérature
p. 71-87
Texte intégral
Faux paradoxes ?
1Utopie et quotidien, deux termes qui paraissent, a priori, aux antipodes l’un de l’autre, voire radicalement antagonistes. Faire de l’utopie l’envers du quotidien, ou du quotidien l’envers de l’utopie – un envers aussi nécessaire, aussi intrinsèquement lié à son endroit que le verso d’une feuille de papier – semble donc, à première vue, soulever une série de paradoxes. En effet, si le quotidien est cousu d’insignifiance, de petits riens sans importance, l’utopie, quant à elle, est supposée faire pleinement sens par sa dimension de projet de société et valoir par son idéalité ; si le quotidien est de l’ordre du détail, du microscopique, l’utopie est une totalité de sens, un projet macroscopique. En outre, si le quotidien est placé du côté de l’effectivité du présent, de ce qui est et peut paraître inexorable, l’utopie au contraire est toujours pensée au futur, dans la tension d’un avenir qui appelle sa réalisation – autant qu’il la repousse.
2A priori donc, tout, aussi bien le sens et l’effectivité que la temporalité, oppose l’utopie et le quotidien. Et pourtant, les travaux de Pierre Macherey, tant sur l’utopie que sur le quotidien, semblent repérer entre ces deux dimensions de la réalité une affinité étroite. Dès l’entame de son ouvrage De l’utopie !, le philosophe recommande en effet de ne pas envisager les utopies sous leur angle « systématique », c’est-à-dire comme des systèmes au sens de totalités closes et macrostructurelles, mais bien à travers l’ensemble des microéléments qui constituent chacun des récits utopiques. On peut ainsi lire, dans la préface, le principe de travail adopté par Macherey, lequel « consiste à aborder des expériences de pensée dans le genre de l’utopie, non sous l’angle direct et massif de leurs constructions systématiques, à la fois grandioses et dérisoires, mais sous celui de certains détails concrets, ces "petits riens" qui, sans qu’on s’en rende compte, comme les petites perceptions chez Leibniz, décident pour l’essentiel du cours de la vie […] S’il y a une vérité de l’utopie, celle-ci se situe à ce niveau, que négligent les autres formes de spéculation théorique, qui privilégient la considération du général sur le particulier. Apprenons avec l’utopie à réfléchir sur les détails concrets de l’existence et de la réalité vécues au quotidien, d’où se dégage avant tout une philosophie pratique, c’est-à-dire une philosophie pour la vie et dans la vie »1.
3« Petits riens », un syntagme qui, chez Macherey, caractérise autant ce qui fait la densité apparemment insignifiante du quotidien2 que la trame où s’origine le sens de l’utopie. À rebours de toute intuition, l’utopie partagerait donc avec le quotidien une même attention à la concrétude du détail et à la singularité du cas. En outre, loin de constituer une totalité de sens qui se donnerait d’un coup comme système, l’utopie, à l’instar de la vie quotidienne, s’avérerait au contraire non synthétisable, tel un ensemble de parties qui toujours débordent leur totalité. On entrevoit, dès lors, que ce qui apparaissait initialement comme une contradiction, voire une impossibilité, à savoir faire de l’utopie et du quotidien l’envers et l’endroit d’une même médaille, relèverait sans doute davantage du faux que du vrai paradoxe. Utopie et quotidien se présenteraient donc bien comme un dedans et un dehors réciproques, telles les deux faces de la bande de Moebius sur lesquelles le doigt peut glisser, passant de l’une à l’autre sans discontinuité.
4Parenthèse : un regard rapide sur l’ouvrage que Macherey consacre à la question de l’identité3 – ou des identités, toujours multiples – nous conforte dans cette voie : ici aussi, face aux abîmes insondables qu’ouvre la question de l’identité quand elle est posée par le biais de la métaphysique, comme identité unique, l’enjeu consiste à poser la question au pluriel et donc à interroger des identités, toujours singulières, contingentes. C’est à travers des expériences quotidiennes de l’identité, banales, ou encore à travers des expériences de vertige, vacillement de l’identité dans le quotidien, qu’un concept tel que celui de la subjectivité peut être appréhendé. Il s’agit, de surcroît, de ne pas cantonner l’identité à l’identique, l’identité dans la permanence, mais à prendre le parti de chercher les traces de l’identité en devenir, d’interroger l’identité d’un sujet par le biais de ce qu’il a à devenir pour être soi4. On voit bien apparaître ici ce que Macherey a retenu, notamment, de la lecture de Deleuze et Guattari : le geste de la philosophie consiste à penser, sur le plan d’immanence, avec des multiplicités, des singularités impersonnelles toujours contingentes et multiples, d’apparence banales ou insignifiantes, indignes du regard du philosophe – invention d’une « pop’ philosophie » ou, dirait Macherey, d’une philosophie du quotidien.
5Par conséquent, il s’agirait de lever ces paradoxes apparents, ces faux paradoxes, au moyen d’un tiers-terme, terme de comparaison qui permettrait de montrer comment s’articulent utopie et quotidien autour de leur rapport commun au singulier, au « petit rien », mais aussi, contre la réduction du quotidien au règne de l’effectif et du permanent, à l’ouverture de l’avenir, du possible, de l’imaginaire. Or les travaux de Macherey, tant sur l’utopie et le quotidien que sur la subjectivité et l’identité, et pour tout dire l’ensemble de son œuvre philosophique, désignent ce terme de comparaison : il s’agit bien entendu de la littérature. C’est en effet à travers la littérature que se construit progressivement chez le philosophe, d’analyses en analyses de récits, une philosophie du quotidien, de même que c’est en replongeant dans les fictions utopiques des origines – More, Bacon, Campanella, etc. – que l’on dessine les contours tant d’une ontologie que d’une éthique de l’utopie. Aussi la littérature reste-t-elle bien pour Macherey « le philosophique de la philosophie, c’est-à-dire la réflexion critique de son propre discours »5.
« Philosopher autrement » ? Du côté de la littérature…
6Ceci nous amène donc à ce détour : quel est le rapport intrinsèque entre l’acte de philosopher et la littérature ? Ou encore, pourquoi la littérature semble-t-elle hanter véritablement la réflexion philosophique de Macherey ? On le sait – cela a été dit souvent : la philosophie, à ses origines, ayant à s’inventer tout en légitimant sa prétention à la recherche de la vérité et de la connaissance, dut se positionner en rivale (victorieuse) du mythe et du poétique. Il est donc un fait que littérature et philosophie ont entretenu, depuis l’Antiquité, des relations très étroites, voire de consanguinité, allant parfois jusqu’à la lutte fratricide. Philosopher avec la littérature propose ainsi de considérer le discours littéraire comme un envers du discours philosophique, vers lequel celui-ci « retourne comme en une secrète origine, où s’abîment les prétentions spéculatives d’une pensée pure et absolue. Faire de la littérature le refoulé de la philosophie, c’est renverser la position traditionnelle d’une herméneutique, qui présente la littérature comme le lieu d’une révélation essentielle, et pose donc la philosophie comme l’impensé, ou le non encore pensé, de la littérature »6.
7Aussi Macherey choisit-il de parler d’une « philosophie littéraire » plutôt que d’une « philosophie de la littérature », évitant ainsi l’écueil du génitif objectif, lequel risquerait potentiellement de réduire la littérature au rang d’« objet de pensée de la philosophie »7 – réduction selon laquelle il reviendrait à la philosophie la tâche, soit thématique soit herméneutique, de débarrasser le philosophique de sa « gangue » littéraire. Macherey entend au contraire restituer de plein droit à la littérature sa tâche d’exercice de la pensée. L’enjeu consiste en réalité à ne plus penser la littérature comme « remplie de philosophie » (boîte contenant de la philosophie), dans le sens où il serait possible d’isoler de ses modalités discursives propres des énoncés à caractère philosophique – modalités discursives qui ne se veulent ni argumentatives ni conceptuelles, débordant toujours tout discours doctrinal ou thétique.
8A contrario, il s’agit de partir du principe selon lequel la littérature constitue par elle-même et en elle-même de la pensée en acte, une manière de philosopher autrement, ou plutôt de faire philosopher la philosophie autrement, en inventant des modes – au pluriel – de praxis philosophiques. En effet, une philosophie littéraire se veut une nouvelle pratique de la philosophie qui, tirant parti du dispositif particulier que constitue la littérature – un dispositif auquel, dit Macherey, « il faut à tout prix préserver la dimension d’arbitraire », puisque la littérature en retire « une capacité d’invention, une plasticité, une ouverture quasiment illimitées »8 –, invite le philosophe à se décaler hors des voies de la spéculation pure pour pencher son regard vers la singularité et la concrétude du cas, de l’expérience de vie, de la trajectoire d’existence. De cette façon, la philosophie pourra véritablement faire droit à la dimension de production de pensée qu’opère la littérature, ou de machine à faire penser, elle qui – et c’est là l’enjeu de sa fonction analytique – a la capacité, en mettant en scène les perceptions et représentations langagières du monde qui constituent le lien social, de démystifier, critiquer et quelquefois de dissoudre ces discours. Car, si l’on veut bien prendre, comme le fait Macherey dans la préface de Philosopher avec la littérature, la mesure de la dimension historique du concept de « littérature » – notion qui émerge progressivement, pour le dire très vite, avec la révolution industrielle en Occident – et que l’on applique ce concept aux œuvres antérieures, on réalise alors pleinement, dans le cadre d’une théorie qui mettra l’accent sur la réception plutôt que sur la production du texte, à quel point « la littérature » est en réalité bien moins un ensemble de contenus ou de thèses véhiculées par des œuvres échelonnées sur la ligne du temps, qu’un certain regard sur des productions discursives, une « attitude interprétative historiquement constituée »9 qui introduit du jeu dans les pratiques de pensée philosophiques. Ainsi envisagée, la littérature apparaît bien, in fine, comme un vecteur de « démobilisation » dans le champ discursif.
9Par conséquent, le littéraire se présenterait in fine comme un « espace du dehors », selon l’expression de Foucault, au sens où il ne cesse de produire du dehors, de la limite : limites du discours philosophique, mais limites plurielles et mobiles, illocalisables, plutôt que frontière unique et fixe10. « L’écrivain serait-il le fou du philosophe ? » se demande Macherey pour conclure son essai. « Et la position de la littérature par rapport à la philosophie lui assignerait-elle la position ambiguë, ni tout à fait dedans ni tout à fait dehors, d’une limite ? »11 Se dessinerait alors, entre le discours littéraire et le discours philosophique, une relation topique, ou plus exactement topologique : relation qui suppose la déformation et la transformation continues des limites, dans une perspective dynamique et non statique – temporelle autant que spatiale. Avec Macherey, on pourrait penser la littérature comme l’envers d’un endroit, celui de la philosophie, le négatif au sens photographique du terme : et nous retrouvons une figure du type de celle de l’anneau de Moebius, figure du dedans et du dehors mutuellement contigus – dont on a dit précédemment qu’elle mettait également en relation utopie et quotidien ; ou encore une figure plus deleuzienne, celle du pli, mouvement ou forme d’« opérateur topique » qui permet de créer de façon modulable des espaces intérieurs et extérieurs, dedans et dehors, à partir d’une même surface plane – un « plan d’immanence ».
Réel, possible : présent et avenir
10Nous pouvons à présent revenir à la figure particulière que forment utopie et quotidien : que l’utopie apparaisse comme l’envers du quotidien et réciproquement, c’est la littérature qui va nous le prouver – ainsi que nous le fait comprendre, dans ses travaux, Macherey. La littérature, en effet, parce qu’elle est elle-même paradoxale, va permettre à l’utopie de prendre pied dans son contraire, le quotidien, de même qu’elle va permettre au quotidien de s’ouvrir vers une dimension utopique.
11La littérature, paradoxale ? Peut-être est-elle plutôt, elle aussi, le vecteur d’une série de faux paradoxes : paradoxe de son caractère indispensable et essentiel alors même qu’elle est et doit rester, on l’a dit, gratuite et arbitraire ; paradoxe de son universalité alors même qu’elle raconte des histoires individuelles ; paradoxe, surtout, de son caractère mensonger et irréel – malgré qu’elle jouisse de multiples procédés pour créer des effets de réel, ou, pour reprendre le terme d’Aristote, de vraisemblance – alors même qu’elle est détentrice de vérité pour les autres discours – la philosophie en particulier – et qu’elle se fait représentation du réel. C’est précisément ce dernier paradoxe que désignerait le terme de « fiction ». Pour le dire en une phrase, le paradoxe de la fiction est celui d’un faire tissé dans le discours qui doit convoquer l’imagination pour mieux s’en prendre au réel.
12Pourquoi, dès lors, parler de faux paradoxe ? Précisément parce qu’il n’y a de paradoxe, dans l’affirmation simultanée des contraires que sont la vérité et le mensonge, ou le réel et l’imaginaire, et qu’opère le travail de la fiction, que si et seulement si réel et vérité s’opposent effectivement à l’imaginaire et au vraisemblable, c’est-à-dire s’ils sont eux-mêmes perçus comme des entités fixes, sans interdépendance aucune avec les perceptions et actes de langage à travers lesquels nous les connaissons. Or il est évident que le réel, comme la vérité, est pris dans les filets du discours12 : de cette évidence découle que le travail de la fiction, ou de la littérature en général, consiste justement, comme dit précédemment, à rejouer, donc à reconfigurer, non pas le réel mais bien ses représentations, les discours via lesquels il tisse nos rapports au monde, à autrui comme à nous-même. Si la littérature (ou la fiction) peut ainsi apparaître comme l’envers d’autres discours, et en particulier de celui de la philosophie, vecteur de « démobilisation » du champ discursif, limite mobile et inassignable, c’est bien parce qu’elle a constamment affaire à un réel qui n’est lui-même que mouvant, illocalisable.
13À mon sens, ce sont les mêmes faux paradoxes qui nouent utopie et quotidien autour de la question du possible et de l’effectif, de la réalité et de l’imaginaire, du présent et de l’avenir, du singulier et de l’universel. Car, si l’utopie apparaît bien comme une idéalité imaginaire, un avenir et un possible traversés tant par son impossibilité que par la tentation de son effectuation dans le réel, de son côté, le quotidien n’est pas condamné à se restreindre à l’insignifiance et à la routine d’un présent effectif qui ne serait pas traversé par la tension vers une ouverture à l’avenir et au possible. Ainsi, à rebours de l’idée d’une utopie qui ne serait que le contraire ou même la négation du quotidien, et d’un quotidien qui ne serait que négation de l’utopie, découle a contrario, des réflexions de Macherey sur l’une et sur l’autre ainsi que de son travail à même les textes littéraires qui les fonde, l’idée d’une utopie au quotidien et d’un quotidien imprégné d’utopie.
14Du côté de l’utopie, en effet, l’enjeu du travail de l’imagination consiste dans l’invention d’un espace-temps fictif, « u-topique », sans lieu – donc a fortiori, un lieu « éloigné » du réel, qui ne se fasse pas miroir de celui-ci. Dans le même temps, l’utopie entretient un rapport ambivalent avec sa propre réalisation : si elle semble – ou s’il a pu sembler qu’elle semble – l’appeler de ses vœux, il faut toutefois se garder de tenir le récit utopique, tel que le récit fondateur de Thomas More, par exemple, pour la préfiguration d’un projet sociétal ou d’un programme de gouvernement en attente de sa réalisation. L’utopie – et c’est là sa différence essentielle avec l’idéologie –, constituée d’un noyau d’imaginaire, n’a pas valeur de prophétie tendant vers son accomplissement, encore moins de modèle ou de leçon à suivre, mais bien celle d’une lecture critique du temps présent, c’est-à-dire d’une remise en cause des systèmes de représentations et des discours qui lui sont contemporains. Comme le montre, avec d’autres, Miguel Abensour, s’il est bien un point de « passage » entre le récit de Thomas More et les travaux de Walter Benjamin sur l’utopie et son dangereux voisin, le mythe, c’est qu’ils prennent tous deux pleinement la mesure de l’ambiguïté de l’utopie : « l’un et l’autre ne visent-ils pas, en empruntant des chemins différents, à inventer une relation étrange à l’utopie, faite à la fois de proximité et de distance ou de déplacement, comme si l’utopie était une attitude, une disposition, une forme de pensée, voire un exercice spirituel auquel on ne pourrait se livrer qu’à la condition de maintenir, de ménager une irréductible distance »13. Aussi toute la difficulté consiste-t-elle, d’un côté comme de l’autre, à préserver chez le lecteur une vigilance critique, une inquiétude fondamentale l’engageant à demeurer en permanence sur ses gardes face au « charme de l’utopie »14.
15Mise à distance de l’ordre existant, certes, mais également mise à distance à l’égard de l’« accomplissement » dont elle dessine les contours : l’utopie se tient donc sur la ligne de crête entre éloignement et proximité par rapport au contemporain, représentation inversée ou déformée d’un réel qui, on l’a dit, est lui-même tissé de représentations discursives et de leurs interprétations. C’est pourquoi il importe de conserver à l’utopie son statut d’entre-deux : sans tomber dans les illusions ni d’un imaginaire déconnecté du réel ni d’une réalité à l’état de projet, l’utopie doit demeurer dans la modalité du possible, d’un possible « actuel » au sens où il agit, se confronte à notre « réel ». Interrogée à la lumière du couple actuel/virtuel tel que le conçoit Deleuze, l’utopie, toujours à contretemps du présent qu’elle met à distance, tirerait son effectivité et donc son actualité de sa virtualité même, une virtualité « intempestive » : puisqu’elle excède toujours tout présent effectif, elle est de part en part virtuelle, forte d’une temporalité qui court-circuite le présent qu’elle dénonce en connectant l’atemporalité d’un passé « qui n’a jamais eu lieu » à celle d’un avenir « qui ne se produira jamais » – ce que traduit bien, sur le plan spatial, son étymologie.
16De son côté, en outre, le quotidien n’en entretient pas moins un rapport ambivalent avec l’imagination et le possible. Si elle paraît cantonnée à la rigidité de l’ordre établi, à la routine d’une sempiternelle répétition de l’identique, à l’insignifiance de la banalité, la vie quotidienne – ou « ordinaire » – est pourtant, au même titre que l’utopie, sous-tendue par une tension : tension, dans ce cas-ci, vers un ailleurs imaginaire, un surcroît de sens, une ouverture à la variation – Guillaume le Blanc, cité par Macherey, parle de « contaminations du réel par le possible »15. Ainsi les « ornières et dérives du quotidien » (sous-titre de l’ouvrage de Macherey), devenues l’objet de nombreux travaux philosophiques – à cet égard, Macherey passe en revue l’historique de la philosophie du quotidien, depuis l’avènement de la Modernité et la fin de la métaphysique jusqu’à la philosophie du langage ordinaire, en passant par Heidegger et par la phénoménologie, et se demande si une ontologie du quotidien pourrait avoir un sens – mais aussi psychanalytiques, sociologiques, etc., semblent non pas tant cloîtrées dans l’immuabilité et la permanence de structures rigides qu’ouvertes à la mobilité, à la pluralité et à la différence, à la transformation voire à la révolution.
17Autrement dit, ce qui apparaîtrait comme le « drame caché » du quotidien, ou peut-être son tragique, son fatum ou son destin, à savoir la tension permanente qui l’habite et l’entraîne vers un excès ou un débordement hors de lui-même, c’est bien, in fine, l’utopie. L’utopie serait, sous ce rapport, le salut de la quotidienneté, la sauvegarde de la vie ordinaire contre le danger d’un présent, d’une effectivité et d’une répétition sclérosées et stériles. On pourrait même aller jusqu’à soutenir, avec Abensour, qu’un quotidien sans dimension utopique, sans perspective imaginaire, courrait le risque de s’enfoncer dans un certain totalitarisme, totalitarisme engendré par la clôture de cette forme de vie sur elle-même. Pour citer Abensour, qui répond par cet argument aux voix qui s’élèvent par principe contre l’utopie, « aucune société ne peut faire l’économie d’une relation à une société meilleure, à l’idée d’une société meilleure, comme si le social dans sa manifestation s’interrogeait sur lui-même et était irrésistiblement travaillé par un "mieux", par l’aspiration à un "mieux", comme s’il y avait une utopie originaire du social »16. Or ce que dit Abensour d’une société meilleure me semble pouvoir être appliqué à l’idée d’une « vie meilleure », de la nécessité de « changer le quotidien » pour aspirer à un mieux-être. C’est pourquoi, force est de constater que le quotidien lui aussi se tient sur une ligne de crête, à savoir qu’il est travaillé par une série de tensions entre des polarités opposées qui en font toute la complexité et même la richesse parfois insoupçonnée : polarité entre le réel et le possible, la clôture et l’ouverture, l’immuable et le fluant, la répétition et le devenir, le présent et l’avenir, la passivité et l’activité17, puis pour finir et surtout, polarité entre l’universel et le singulier, l’abstrait et le concret18.
Réel, possible : universel et singulier
18On le voit, la relation d’opposition, qui est en même temps un lien de proximité étroite, entre utopie et quotidien, tient davantage du faux que du vrai paradoxe. En outre, et qui plus est, la littérature, avec comme instrument la fiction, nous permet de percevoir comment passer de l’envers à l’endroit de cet anneau que forment utopie et quotidien, et réciproquement. En effet, on l’a vu, la littérature entretient avec le possible, le réel et l’irréel un rapport de tensions dynamiques, fluctuantes et mobiles. Ni totalement « vraies » ni totalement « fausses », mais vraisemblables, la littérature ou la fiction n’ont point à se soucier de leur « réalisabilité », comme si elles n’étaient que du réel en puissance : en aucun cas, elles ne se réduisent à un possible ou à un virtuel en attente de son actualisation, puisqu’a contrario, elles se présentent comme la critique intempestive et « démobilisante » des représentations d’un réel dans lequel elles ouvrent en permanence de nouveaux horizons.
19Or, ce rapport qu’entretient la littérature avec le réel n’est pas sans rappeler le rapport, d’une part, de l’utopie au possible, tissé de l’ambiguïté générée par l’appel et le rejet à la fois de son effectuation, et d’autre part, le rapport du quotidien au possible, dont il serait trop facile de se contenter de prétendre qu’il est de simple exclusion. Autrement dit, utopie, quotidien et littérature seraient entrelacés par le nœud borroméen de l’imaginaire et du possible. Tandis que l’utopie courrait le risque de tomber, comme le faisait remarquer Walter Benjamin, du côté de l’idéologie ou du mythe, si elle n’évitait pas toute tentation de dogmatisme en ayant recours au discours littéraire pour prendre distance par rapport à l’invention sociétale dont elle nous renvoie l’image idéalisée – ce qui justifie d’autant mieux que le texte fondateur du genre de l’utopie, celui de Thomas More, soit de fiction19 –, de son côté le quotidien se réduirait à une passive obédience à la loi de la nécessité, de la répétition et de l’enfermement dans le présent, s’il ne trouvait pas nécessairement un prolongement, grâce à l’imagination, dans la variété de possibles que peut ouvrir la fiction.
20S’ajoute en outre, au nœud formé avec le possible, le lien que tous trois, utopie, quotidien et littérature, tissent avec la polarité entre l’universel et le singulier. Si la littérature parvient à faire surgir de l’intersubjectif alors même qu’elle prête voix à des expériences de vie individuelles, de la même façon, l’utopie et le quotidien articulent de manière inversement symétrique universel et singulier. L’utopie, d’une part, se doit d’être inventée dans un mode de discours qui soit de l’ordre de la narration, du récit nécessairement singulier et contextualisé – d’où l’importance de la remise en contexte de chacun des textes utopiques. Ce mode de discours, celui de la fiction, quitte l’ordre de l’affirmation générale, ou de la spéculation théorique et systématique, pour se construire sur un plan à la fois plus interrogatif et plus attentif à la concrétude du cas particulier. C’est ainsi, du fait de son attention à la singularité du cas concret, que le récit utopique peut, sur fond de toute contemporanéité, faire rupture, être novateur et porteur d’une force de résistance et de changement par rapport à la trame continue et figée du présent quotidien. L’utopie tire alors réellement parti du discours littéraire, plus précisément du rapport toujours critique et ironique que ce discours noue avec la question de la vérité : comme le montre bien Macherey à travers sa « philosophie littéraire », l’objet même de la littérature revient toujours, en définitive, à exhiber le vide ou l’écart qui sépare les mots dont elle se joue d’un réel dont elle n’a, pour ainsi dire, que faire20. Ni reflet d’une réalité auquel elle ne se doit pas d’être assujettie, ni réfugiée dans un imaginaire qui n’aurait aucun ancrage dans notre expérience vécue, la littérature, in fine, ouvre à l’utopie un espace mobile et « démobilisant » qui lui permet de se situer à la fois nulle part et ici-maintenant, dans notre vie quotidienne.
21D’autre part, le quotidien trouve dans la littérature et les procédés de la fiction le moyen de dégager du général au départ du particulier : toute grande œuvre témoigne bien de ce que c’est au plus près de la trajectoire singulière, de l’histoire individuelle racontée, que se tient l’universel. Ainsi en va-t-il des œuvres avec lesquelles Macherey travaille sa philosophie littéraire. De l’Ulysse de Joyce, par exemple, il montre qu’il s’agit du grand roman de la porosité entre relatif et absolu, infime et grandeur – thématique très pascalienne : en jouant incessamment sur les différences de focalisation interne et externe, sur les variations d’échelle entre l’individu et la condition humaine toute entière, Joyce réussit à faire apparaître, comme en une épiphanie, l’universel à même la singularité du réel. « Épiphaniser le réel », explique ainsi Macherey, « c’est faire ressortir dans ce qu’il comporte de plus singulier ce qui le transporte sur le plan de l’universel, qui l’habite au plus intime de sa singularité »21. Aussi la tâche de raconter le quotidien – ou philosopher le quotidien, c’est tout un – s’avère-telle être une tâche sans fin, mais une tâche néanmoins essentielle, vitale à proprement parler.
22Tout, par conséquent, nous amène à constater que le discours utopique comme celui du quotidien entretiennent un lien très intime avec le discours littéraire. S’il y a bien nouage de l’utopie et du quotidien autour de la polarité singulier-universel – le quotidien donnant à chaque récit utopique un ancrage dans la singularité, et la perspective utopique ouvrant un horizon universalisant dans le quotidien – c’est à la littérature que revient la tâche, non pas de refléter mais bien de « produire », pour utiliser un terme qu’emploie Macherey22, ce nouage dans des formes de discours multiples et toujours à réinventer. Consécutivement, il en résulte que le soi-disant miroir du réel que serait la littérature, simple reflet d’une réalité existante bien avant elle et sur laquelle la littérature aurait toujours un temps de retard, s’avère en fait être une formidable machine à reconfigurer le réel et, partant, à créer du possible. En effet, le réel que nous donne à voir la littérature, celui que met en scène la fiction, n’est jamais une entité abstraite et figée, mais bien un tissage de perceptions, d’expériences singulières, de « microcosmes » de vécu qui font de la réalité un mélange mouvant et concret. C’est à cette réalité-là, nimbée d’imaginaire, de possible autant que d’effectif, de singulier autant que d’universel que nous confronte la littérature, une réalité qui est tout autant en prise avec la vie quotidienne qu’ouverte à l’utopie.
Pour ne rien conclure : hétérotopie et non-lieu
23On le voit, ce que l’utopie, de même que la littérature, apporte à la trame de la vie quotidienne, c’est une ouverture dans sa routine, laquelle anesthésie le sens, et une mise en suspens des évidences reçues. Si l’utopie, tout autant que la littérature, peut être considérée comme « un formidable dispositif à faire penser »23, ce n’est en effet pas que l’une ou l’autre livreraient des contenus de pensée « prêts à l’emploi » et, partant, dogmatiques. À cet égard, Abensour nous rappelle qu’Emmanuel Levinas ôte l’utopie « à l’ordre du savoir et à ses effets de pouvoir pour l’assigner à l’ordre de la socialité, mieux, de la proximité, afin qu’elle assume pleinement ce qu’elle est, une pensée, une forme de pensée "autrement que savoir" »24. Arrachées à la sphère du pouvoir, dont elles n’ont pas à donner les lignes de conduite, l’une comme l’autre, utopie et littérature, le sont également à la sphère du savoir, dans la mesure où elles produisent, plutôt qu’un surcroît de savoir, une forme de levée d’immunité, un suspens, un trou dans la couche des savoirs – « un manifeste de moins », disait Deleuze à propos du théâtre de Carmelo Bene. Autrement dit, si tant est que l’on puisse parler d’un espace littéraire, la littérature, discours par lequel s’écrivent le récit utopique et son envers, le récit du quotidien, offrirait à la production de savoir, en guise d’espace de pensée – espace toujours fluide, mobile, topologie de la limite –, quelque chose comme un non-lieu.
24À cet égard – et c’est sur ces propositions que j’achèverai ces réflexions –, un concept opératoire pour tenter de penser le nœud borroméen entre utopie, quotidien et littérature me semble être celui que propose Michel Foucault, le concept d’hétérotopie. « Espaces absolument autres », « contre-espaces », « contestations mythiques et réelles de l’espace où nous vivons », voilà comment Foucault définit ses hétérotopies, en précisant qu’« elles sont la contestation de tous les autres espaces »25. Les exemples qu’il envisage sont aussi bien les asiles psychiatriques ou les prisons que les jardins, les foires, les villages de vacances, les colonies, etc., ou encore, plus proches de mon propos, le cinéma, le théâtre et les jeux que s’inventent les enfants. En ce sens, l’hétérotopie, toujours ailleurs, décalée, délocalisée, toujours « démobilisant » les topoï structurels de notre lien social, ne serait-elle pas également un concept apte à désigner ce non-lieu qu’est la littérature, « contre-espace » de pensée qui est à la fois disséminé dans l’espace du quotidien et, simultanément, qui pose l’utopie dans un lieu « autre », jamais tout à fait « dedans » ni tout à fait « dehors » ? En d’autres termes, l’hétérotopie littéraire, ne serait-ce pas l’ouverture utopique du quotidien que peut offrir la littérature à notre société ?
25Dans le prolongement de cette question, je terminerai ces quelques propos sur une brève note plus concrètement littéraire. À l’heure actuelle, une veine importante de la littérature française contemporaine – veine dont les contours ne sont d’ailleurs qu’imprécisément définis – a fait de la « littérature du quotidien » son enjeu. Il s’agit de parler de « l’homme sans qualité », comme l’aurait dit Musil, de s’attacher à décrire, souvent avec minutie et gravité, le détail anodin, examiné à la loupe, la banalité en apparence insignifiante. Je pense tout particulièrement à certains romanciers publiés aujourd’hui aux Éditions de Minuit, pour le travail d’écriture desquels on a pu parler de « roman minimaliste », ou encore de « roman infinitésimaliste », selon l’expression inventée par Jean-Philippe Toussaint : « […] Je suggère de parler de "roman infinitésimaliste". Le problème, quand on parle de "roman minimaliste", c’est que c’est quand même très réducteur. Le terme "minimaliste" n’évoque que l’infiniment petit, alors qu’"infinitésimaliste" fait autant référence à l’infiniment grand qu’à l’infiniment petit : il contient ces deux infinis qu’on devrait toujours trouver dans les livres »26. La jointure entre l’infime et l’infiniment grand, voilà ce qu’opérerait très exactement l’alchimie littéraire, en ce qu’elle permet d’exhaler du microscopique la grandeur de l’universel. Ne serait-ce donc pas de cette façon que la littérature devient l’une de nos hétérotopies, lorsqu’elle se glisse dans les anfractuosités invisibles du quotidien, espace marginal, « contre-espace » de notre époque, pour en dévoiler les germes d’un sens qui toujours nous échappe ? Alors lui revient la tâche d’ouvrir le présent aux utopies de demain…
Notes de bas de page
1 Macherey (P.), De l’utopie !, Lille, De l’incidence éditeur, 2011, p. 18.
2 Il s’agit en effet du titre de son essai consacré au quotidien.
3 Macherey (P.), Identités, Lille, De l’incidence éditeur, 2013.
4 Macherey parvient en ce sens au constat suivant, au terme de trois enquêtes sur l’identité : « C’est pourquoi [...] il n’y a pas une bonne façon de définir l’identité, qui, il faut s’y résigner, représente une énigme insoluble. Avoir une identité personnelle, qui n’est pas seulement un état mais aussi le résultat d’un effort, c’est apprendre à exister tant bien que mal, sous tension permanente, entre deux pôles irréductibles, en inventant, et éventuellement en bricolant, les moyens pratiques qui permettent de supporter, autant que possible au moindre frais, leur opposition. C’est la raison pour laquelle le présent ouvrage est intitulé Identités, au pluriel du mot, dont l’utilisation au singulier peut être diagnostiquée comme étant privée de sens » (ibid., p. 12 et 13).
5 Macherey (P.), Philosopher avec la littérature. Exercices de philosophie littéraire, Paris, Hermann Éditeurs, 2013, p. 32. Cet ouvrage est une réédition d’un ouvrage plus ancien (À quoi pense la littérature ? Exercices de philosophie littéraire, Paris, PUF, 1990), lequel s’est vu adjoindre, à l’occasion de cette réédition, une importante préface.
6 Ibid., p. 32.
7 Ibid., p. 380.
8 Ibid., p. 25.
9 Ibid., p. 23.
10 Nous pourrions également aborder cette même question de l’espace et des limites tracées par la littérature en regardant du côté de Qu’est-ce que la philosophie ? de Deleuze et Guattari. S’interrogeant sur l’art en général, les deux auteurs mettent en effet l’accent sur « l’événementialité » de l’œuvre : il ne s’agit pas tant de se demander comment l’œuvre – littéraire notamment – « ajoute » du savoir, ou quel est son rapport à la vérité, que de percevoir comment elle fait trou dans le savoir en se constituant comme événement. Ainsi l’événementialité de l’œuvre consiste dans la création de singularités qui sont conçues comme des « blocs de percepts et d’affects », sorte de précipités issus du chaos, lui-même pensé comme réserve virtuelle, « vitesse infinie de naissance et d’évanouissement » (Deleuze (G.) et Guattari (F.), Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991, p. 111). Il n’est pas sans intérêt de constater que c’est bien l’idée de mobilité inhérente à l’œuvre (littéraire par exemple) que l’on rencontre à nouveau, puisque celle-ci ne se présente pas tant comme une réalisation commémorative – représentation achevée destinée à conserver affections et perceptions passées –, que comme un devenir continu. En outre, l’événement de l’œuvre n’est jamais envisagé comme production d’un ajout, d’un surcroît de savoir ou de sens mais au contraire comme « un manifeste de moins » : sur le mode de la minoration, la création authentique procède par soustraction, amputation, épuisement, assèchement, les signes artistiques provoquant par leurs effets d’intensité un choc dans la pensée, une « nouvelle image de la pensée » – image que la philosophie doit capter plutôt qu’interpréter.
11 Ibid., p. 377.
12 Macherey précise, à ce sujet : « car ce "réel", considéré comme une totalité donnée, est lui-même une entité abstraite, une fiction sans contenu effectif, avancer que le monde est réel n’étant en fin de compte qu’un pléonasme privé de sens » (ibid., p. 17).
13 Abensour (M.), L’utopie de Thomas More à Walter Benjamin, Paris, Sens & Tonka, 2009, p. 17.
14 Ibid., p. 18.
15 Le Blanc (G.), Les maladies de l’homme normal, Paris, Le Passant ordinaire, 2004, p. 211, cité par Macherey (P.), Petits riens. Ornières et dérives du quotidien, Bordeaux, Le Bord de l’eau, 2009, p. 21.
16 Abensour (M.), L’utopie de Thomas More à Walter Benjamin, op. cit., p. 15.
17 « Ce qui rend philosophiquement prégnante la thématique de la vie ordinaire, c’est précisément qu’elle se déploie entre ces deux pôles d’activité et de passivité, ce qui lui restitue son caractère foncièrement ambigu et révèle les tensions dont elle est porteuse » (Macherey (P.), Petits riens, op. cit., p. 16).
18 « D’une part, la vie quotidienne est faite de stéréotypes répétitifs, que leur retour lancinant contribue paradoxalement à rendre irrepérables, tant ils se fondent dans la grisaille des comportements coutumiers ; et en même temps elle est un monde coloré et même bigarré, ouvert à des sollicitations indéfinies de variation, de changement, même si celles-ci s’opèrent le plus souvent de façon imperceptible » (ibid, p. 18).
19 Ainsi que, par ailleurs, le fait qu’Utopia soit composée de deux parties, dont la deuxième est la fiction utopique proprement dite, c’est-à-dire le récit d’un voyageur racontant en détails la configuration et l’organisation de la société installée sur l’île d’Utopia ; mais dont la première, débat critique sous la forme d’un dialogue à trois voix sur la société et le gouvernement de l’Angleterre d’Henry VIII, parvient à mettre en perspective la deuxième en lui donnant le statut de contrepoint, de miroir déformant ou, comme le dirait Macherey, de « provocation », incitant le lecteur à envisager les choses sous d’autres aspects. Cette composition en deux temps montre bien, par conséquent, que « l’utopie est donc l’exposé d’un problème, et non l’énoncé de sa solution » (Macherey (P.), De l’utopie !, op. cit., p. 124).
20 « En dernière instance, tous les textes littéraires auraient pour objet, et là serait véritablement leur “philosophie”, la non-adhésion du langage à soi, l’écart qui sépare toujours ce qu’on dit de ce qu’on en dit et de ce qu’on en pense : ils font apparaître ce vide, cette lacune fondamentale sur laquelle se construit toute spéculation, qui conduit à en relativiser les manifestations particulières » (Macherey (P.), Philosopher avec la littérature. Exercices de philosophie littéraire, op. cit., p. 386).
21 Macherey (P.), Petits riens, op. cit., p. 192.
22 Dans la préface de Philosopher avec la littérature. Exercices de philosophie littéraire, Macherey nuance néanmoins la pertinence de l’utilisation du terme de « production » en lien avec la littérature : penser les œuvres littéraires comme des « produits », de l’histoire principalement, c’est inévitablement rentrer dans un paradigme marxiste qui suppose que l’œuvre soit déterminée de part en part par l’époque de son écriture. Cependant, on notera que le terme de « production » est davantage utilisé, dans Philosopher avec la littérature, pour parler de l’action de la littérature (la littérature produit, de la pensée par exemple) plutôt que de l’œuvre comme résultat (la littérature comme produit de son époque).
23 Macherey (P.), Philosopher avec la littérature. Exercices de philosophie littéraire, op. cit., p. 25.
24 Abensour (M.), L’utopie de Thomas More à Walter Benjamin, op. cit., p. 14. La référence à Lévinas est tirée de sa préface à l’ouvrage de Buber (M.), Utopie et socialisme, Paris, Aubier-Montaigne, 1977, p. 10.
25 Foucault (M.), « Les hétérotopies », in Foucault (M.), Le corps utopique suivi de Les hétérotopies, Paris, Nouvelles Éditions Lignes, 2009, p. 24, 25 et 34.
26 Toussaint (J.-Ph.), « Pour un roman infinitésimaliste » (entretien réalisé par Laurent Demoulin à Bruxelles le 13 mars 2007), in Toussaint (J.-Ph.), L’appareil-photo, Paris, Minuit, 2007, p. 140 et 141.
Auteur
Université Saint-Louis - Bruxelles
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