Les ventes publiques en Brabant au XVIIIe siècle. Formes et procédures
p. 413-427
Texte intégral
1En 1780, le ministre plénipotentiaire, le prince Georges Adam de Starhemberg1, est saisi d’une demande d’information des autorités autrichiennes. Elle porte sur l’établissement à Vienne d’un « Bureau des Enchères et Ventes publiques dans le goût de ce qui existe aux Pays-Bas ». Le 1er mars, il transmet la requête au procureur général de Brabant, Pierre Reuss2. Il lui précise qu’il attend un rapport détaillé sur les pratiques en usage à Bruxelles et dans les autres principales villes du Brabant. Il esquisse même la structure générale du mémoire à lui fournir en mettant l’accent sur certains aspects en particulier, dont notamment les frais et autres coûts engendrés par le système3. Le 11 mai suivant, Reuss et son collègue, l’avocat fiscal P. Cuylen4, adressent au ministre un mémoire circonstancié. Ils suivent fidèlement la trame qui leur avait été suggérée. Ils y ajoutent quelques annexes le 19 du même mois5. Ils fournissent de la sorte un éclairage bienvenu sur la diversité des pratiques dans les villes et campagnes du duché, tant en matière de ventes volontaires que d’aliénations forcées par décision de justice. L’attention se porte tout particulièrement sur la capitale des provinces Belgiques dont, souvent, les usages, éventuellement adaptés, ont valeur d’exemple.
2Les deux signataires puisent une partie de leurs informations auprès de quelques correspondants contactés le 23 mars. Dès le lendemain, une réponse partielle leur parvient pour Louvain sous la signature de Pierre Bisschop6. Pierre Joseph De Backer, notaire à Anvers7, leur fournit également des éléments de réponse le 13 avril. Il ne manque pas d’y joindre un état d’honoraires d’un total de quatre florins dix sols, couvrant au moins six heures de travail y compris un supplément non autrement précisé. La réponse de Nivelles, formulée par Jean Joseph Mercier8, est mise par écrit le 27 mars. Celle de Tirlemont, due à Jacques Henri de l’Escaille9, est antérieure de trois jours. Pour Bruxelles, quelques renseignements sont couchés sur une feuille volante non datée10. La somme des informations récoltées de la sorte est toutefois moins riche que le contenu du rapport envoyé au ministre. Les deux signataires du mémoire l’ont donc enrichi de science personnelle ou du contenu de lettres aujourd’hui disparues.
Bruxelles
Ventes volontaires
3En matière de ventes décidées par des particuliers, la procédure diffère selon que la transaction porte sur des immeubles ou des meubles.
Immeubles
4Le recours au ministère d’un notaire est permis, mais peu fréquent. La plus grande part des enchères publiques se déroule chaque mardi à l’hôtel de ville dans une salle dite la Chambre d’Uccle11. Ainsi, selon le livre de comptes du fermier du droit dû à la Ville, du 26 février 1770 au 1er octobre 1776, 295 séances hebdomadaires sont tenues. Le nombre de ventes atteint un total de 1.100, soit trois à quatre par vacation12. Les fluctuations au gré des mois ne sont pas négligeables. La plus grande activité règne en mars, août, septembre et octobre avec à chaque fois un peu plus de cent transactions.
5Les atouts du recours à la Chambre d’Uccle sont nombreux : les frais sont modiques, la publicité est assurée, chaque vacation attire de nombreux amateurs et spectateurs. La liste de l’ensemble des biens à vendre est diffusée sous forme d’affiches placardées en ville ou remises à domicile aux abonnés, le samedi13. S’y négocient ainsi la cession de « terres, seigneuries, maisons, livres censaux, féodaux et autres droits, rentes et obligations tant sur la Banque de Vienne que sur tous autres corps, ecclésiastiques ou laïques, ainsi que sur des particuliers et généralement tous les biens fonds situés en Brabant, en Flandre, en Hainaut et ailleurs sous la domination de S. M. ». On y adjuge même des biens sis à l’étranger. La pratique, reflétée par le livre de comptes déjà évoqué, confirme cet éventail de possibilités14.
6L’organisation est confiée à un « greffier commis privativement pour les ventes volontaires des biens et héritages ». Il est nommé à vie par le Magistrat. Lors de son entrée en charge, il s’acquitte d’une médianate de 1.200 florins. Il jouit des émoluments et droits résultant des ventes.
7La procédure s’ouvre par la remise d’une procuration au greffier de la Chambre, accompagnée des conditions extraordinaires propres au bien offert en vente (servitudes, charges, rentes éventuelles). Elles s’ajoutent aux conditions ordinaires d’usage à la Chambre. Les premières sont habituellement établies par un notaire, qui s’occupe également de la vérification des titres de propriété et des charges qui grèvent le bien. Á défaut, le greffier peut assumer ces démarches15.
8La vente se déroule en plusieurs séances, de mardi en mardi, sans limitation de leur nombre. Lors de la première vacation, le bien est mis à prix à un montant surfait. Par exemple, le vendeur qui estime celui-ci à 20.000 florins fixe ses exigences à 30.000. Faute d’acquéreur à ce montant, de séance en séance, le prix proposé est diminué d’une somme constante, 1.000, 500 voire 100 florins au gré du vendeur. La vente au rabais se poursuit ainsi au fil des semaines, jusqu’à ce qu’un amateur déclare « à moi pour cette somme ». Le greffier lui attribue alors la paumée16, c'est-à-dire que l’intéressé a par sa démarche fixé le point de départ des enchères. Il dispose alors par préférence du droit d’ajouter autant de hausses qu’il l’entend, une, dix, cent, deux cents ou plus encore à son libre choix. La volonté de hausser le prix se manifeste soit en séance soit par déclaration devant témoins, au domicile du greffier17. La paumée vaut six florins, au profit de l’enchérisseur. Chaque hausse est de trois florins. Le vendeur en perçoit deux tiers, le dernier tiers est acquis à celui qui a pris l’initiative de surenchérir.
9Le vendeur dispose du droit absolu de retirer le bien de la vente avant la prise de la paumée. Après, il ne peut le faire qu’avec le consentement du preneur de celle-ci. Seuls douze florins argent de change sont dus à la Chambre pour les frais.
10Le premier mardi qui suit, le bien est déclaré « à la bougie ». De nouvelles hausses peuvent être introduites. Le deuxième mardi après la paumée, un sergent de ville semonce l’assemblée de la part de S. M. « afin que tout le monde soit tranquille ». Il allume ensuite une petite bougie et, tant qu’elle brûle, les amateurs ont le loisir de mettre des hausses, mais à présent seulement une à la fois et au seul profit du vendeur. Elles s’additionnent et augmentent le prix de la vente. Si à l’extinction de la bougie plus personne ne se manifeste, le dernier enchérisseur est déclaré l’acquéreur. Si au contraire, quelqu’un met encore une hausse, le bien lui est attribué. Si plusieurs amateurs demeurent en compétition, le greffier demande à haute voix si des personnes intéressées souhaitent encore mettre des hausses. Le cas échéant, elles sont acceptées sans limitation jusqu’à ce que personne n’en propose plus. À ce moment, la deuxième bougie est allumée. Le produit des hausses mises entre les deux chandelles se partage comme ci-dessus entre vendeur et « hausseur », celles qui interviennent à la lumière de la flamme demeurent au seul profit du premier. Si nécessaire, de nouveaux tours sont ainsi organisés jusqu’à ce qu’un seul enchérisseur s’impose à l’extinction de la bougie ou immédiatement avant. Devenu l’acquéreur, il doit alors déclarer s’il a agi pour son propre compte ou en qualité de mandataire. Dans ce cas, il doit communiquer l’identité du mandant sous huitaine ou, au plus tard, dans la quinzaine. Après confirmation de ce dernier, les intéressés signent le procès-verbal de la vente. Le greffier dresse copie authentique des conditions de vente, de l’acte de prise de la paumée, de la liste des hausses introduites et du décompte final.
11Outre le principal, l’acheteur est tenu de payer dans les quinze jours, sans diminution du prix de l’achat, la paumée de six florins, toutes les surenchères qui ont été mises et les frais découlant de la vente. Ils comprennent selon le cas les droits de congé, lods et vente, reliefs, actes d’investitures et droits de timbre18. Vingt-quatre sols sont dus pour l’établissement des conditions de la vente, six sols par feuillet pour leur copie, trois florins pour l’impression des affiches hebdomadaires. Cinq florins un sol reviennent au greffier pour les trois jours de séance. S’y ajoutent seize sols par vacation supplémentaire. Un florin va à la ville ou son fermier, apparemment pour la location du local à l’hôtel de ville, et cinq sols au sergent qui semonce le public et allume la bougie. Dans le même laps de temps, l’acheteur doit liquider le tiers qui revient à tous ceux qui ont porté à la hausse le montant de l’adjudication.
12Le procureur général de Brabant précise que « depuis quelques temps », plusieurs particuliers font stipuler dans les conditions extraordinaires que le montant des hausses reviendra intégralement au vendeur. C’est tout à son avantage. Par ailleurs, souligne le procureur général, il n’est pas juste qu’un tiers qui a mis des hausses sans que le bien lui soit attribué retire quelque bénéfice de sa démarche. Le système pousse aussi à la fraude : un commissionnaire est par exemple chargé de mettre cent hausses. Au lieu de s’acquitter de sa mission, il envoie une autre personne, de mèche avec lui, qui en place nonante. Lui-même en met dix et explique à son mandant qu’à son arrivée au greffe, il y en avait déjà nonante. Les deux complices partagent les nonante florins qui viennent du tiers des nonante hausses. Plusieurs prétendus amateurs, mus par l’appât du gain, se risquent à mettre des hausses dans le seul but de gagner quelque argent. Ils espèrent naturellement que le bien ne leur sera pas attribué. Dans le cas contraire, beaucoup ont été ruinés. De même, lors de la vente de leur maison en 1765, des propriétaires mandatent un notaire pour prendre la paumée et mettre cent hausses. Personne n’ayant surenchéri, le mandataire se voit adjuger le bien. La transaction n’a donc pas lieu et les vendeurs supportent les dépens.
13En cas de folle enchère ou de revirement de l’acquéreur, le vendeur peut faire revendre le bien aux mêmes conditions. Si le montant de la nouvelle adjudication est inférieur au prix précédemment obtenu, le défaillant doit indemniser celui-ci pour le préjudice subi et supporter la somme des frais et des dommages et intérêts exigibles. En cas de vente à un meilleur prix, l’excédent bénéficiera à l’ancien propriétaire.
Meubles
14Deux possibilités s’offrent suivant la qualité du vendeur, les ventes privilégiées et les ventes ordinaires.
15- Ventes privilégiées. Chacun est libre de vendre ses biens « à sa volonté et bon plaisir », sauf à recourir à la vente publique par enchères. Celle-ci se fait au plus offrant et l’adjudication est donnée « au coup de bâton ». La ville exerce ce droit depuis plusieurs siècles. Toutefois, « depuis 35 à 40 ans », s’est imposée l’idée qu’il est régalien. Dès lors, le gouvernement s’est réservé la réglementation de la vente des meubles des personnes privilégiées. Sont telles celles qui ne relèvent pas du Magistrat de Bruxelles ou de l’armée. Il s’agit, entre autres, des nobles, des membres des conseils collatéraux et des juges près les conseils provinciaux de justice. Il en va de même des suppôts de ceux-ci, avocats et procureurs, bref en l’occurrence de tous ceux qui relèvent en première instance du Conseil souverain de Brabant.
16Le droit est mis à ferme. Il a rapporté environ mille florins à ses débuts, mais, vers 1780, il est concédé pour 3.500 florins. Le preneur doit déposer une caution de 30.000 florins argent de change auprès de la Chambre des comptes, par ailleurs chargée de recevoir son serment et de le contrôler. Il s’engage à donner « ses soins et ses attentions à ce que les effets soient vendus au plus haut et au plus juste prix qu’il se pourra, sans dissimulation ni connivence, et encore moins avoir part dans les achats ». Il confie la direction des ventes à un commis « qui tiendra le bâton et criera les hausses et enchères ». Celui-ci est assisté par deux « écrivains », également assermentés. Ces derniers doivent tenir un registre de contrôle de toutes les ventes. Les trois doivent être agréés par la Chambre des comptes. Le commis dirige les vacations « sans pouvoir être d’intelligence ni avoir part avec les acheteurs, vendeurs ou revendeurs ». Il n’y a pas de hausse au profit de l’enchérisseur, l’intégralité revient au vendeur. Avant d’adjuger par le coup de bâton, le commis doit demander plusieurs fois, à haute voix, si quelqu’un désire encore enchérir et, dans la négative, recueillir encore le consentement des deux écrivains. Si la valeur du bien est d’au moins cinquante florins, il ne peut attribuer ce lot, même après quatre interpellations de la salle, sans l’accord du propriétaire ou de son représentant s’ils sont présents.
17Les fripiers et autres marchands ne peuvent acheter aux dites ventes que pour leur propre usage ou pour leur commerce, sans « pouvoir être d’intelligence ou convention ou monopole avec d’autres » sous peine de 50 florins d’amende au profit du souverain. Toutefois, si le prix de l’objet exposé en vente atteint 300 florins carolus au moins, ils peuvent s’associer à deux ou trois.
18L’usage est de payer sitôt la vente achevée. Le commis doit immédiatement remettre la somme aux vendeurs. Si un autre terme a été fixé, le délai ne peut dépasser quinze jours. Le préposé est responsable des sommes encaissées. Le compte est arrêté chaque soir. En cas de défaut de payement de la part de l’acheteur, le commis s’adressera à un huissier de justice territorialement compétent pour faire vendre les effets, sans autre formalité, jusqu’à concurrence des sommes dues et des frais, sans qu’aucun juge puisse s’y opposer sauf par consignation préalable des sommes dues entre les mains du commis.
19Le fermier est rétribué à concurrence de 5 % du montant des enchères. Il lui incombe de rémunérer le commis et les deux « écrivains ». Chaque année, ces derniers doivent produire un état sommaire à la Chambre des comptes, avec les noms des vendeurs et acquéreurs suivis des montants et de l’indication de la durée des vacations. De son côté, le commis doit produire dans le même terme un état détaillé de chaque vente et produire les quittances signées par les propriétaires.
20- Ventes ordinaires. Ces ventes publiques se font aux enchères et au coup de bâton. Beaucoup se déroulent dans une maison nommée la Maison du Saint-Esprit19. Les effets y sont transportés. Le vendeur paye six escalins20 par jour de vente pour les pauvres et huit pour la Maison. Pour éviter ces frais, chacun est libre d’organiser la dispersion des objets à son domicile ou ailleurs. Les ventes organisées par la Ville et les ventes par le mont-de-piété21 des gages surannés se font aux mêmes conditions.
Ventes judiciaires
Immeubles
21La vente par exécution ou décret, dite « sub hasta praetoris », revêt presque autant de formes qu’il y a de coutumes en Brabant. Le procureur général se limite à exposer la procédure qu’il juge « la plus intéressante », celle pratiquée au Conseil dont il relève. Si la vente des meubles et effets du condamné ne rapporte pas une somme suffisante pour indemniser le créancier, il fait procéder à la saisie par huissier des biens immeubles du défaillant. Il sollicite du Conseil la permission de faire procéder à leur vente et il joint les conditions de celle-ci. Le conseiller rapporteur désigné examine leur conformité. Il s’assure aussi qu’elles ne contiennent aucune clause désavantageuse pour le débiteur. En cas d’accord de sa part, un décret autorise la vente aux conditions qu’il a agréées. Elles sont imprimées et affichées dans Bruxelles et au lieu où le bien est situé. Là, en outre, à la sortie de la grand-messe, l’huissier en fait publiquement lecture en présence de deux témoins. L’insinuation en est aussi faite au débiteur de quinze en quinze jours, par trois fois et une quatrième « de grâce ».
22Le jour de la vente, l’une des deux chambres, celle à laquelle le rapporteur appartient, est assemblée dans l’hôtel du Conseil. Dans le grand salon, l’huissier lit les conditions en présence du rapporteur et du greffier. Un procureur dirige la vente. Le bien est mis à prix et celui-ci diminué jusqu’à ce que quelqu’un déclare « à moi ». Ensuite, les amateurs enchérissent. Toutes les enchères augmentent le prix de la vente, sans intéressement donc pour ceux qui les font. Lorsque le silence s’établit, l’huissier proclame à différentes reprises le montant atteint et demande s’il n’y a pas d’offre supérieure. En l’absence de réponse, il avertit par deux ou trois fois qu’il va être procédé à la levée du scel de S. M., c’est-à-dire à l’adjudication. Si le Conseil constate l’absence de surenchère, il prononce celle-ci.
23Les conseillers présents à la vente reçoivent un émolument de trente sols. Le rapporteur bénéficie du double, soit trois florins, plus trois autres pour l’examen des conditions. L’huissier est défrayé à concurrence de deux florins huit sols par bien vendu. Le procureur reçoit douze sols pour sa vacation. Le droit du grand scel de S. M. est de quatre florins deux sols et demi s’il n’y a qu’un acheteur. La somme est doublée s’il y a deux acquéreurs ou plus, mais mari et femme ne sont considérés que comme une seule et même personne. Tous ces frais se déduisent du prix d’achat. Si le montant de celui-ci est consigné au greffe, par exemple à cause de difficultés entre créanciers, le greffier perçoit durant les deux premières années le 120e denier (0,83 %) et au-delà le 60e denier (1,66 %).
Meubles
24Les ventes par exécution se font, selon le cas, par le fermier de S. M., en présence d’un huissier du Conseil de Brabant, ou par le fermier de la Ville, en présence d’un sergent de celle-ci. Le coût de la prestation du premier est de deux florins huit sols par jour. La confection de l’inventaire revient à six sols par feuillet.
Anvers
Ventes volontaires
Immeubles
25Les ventes se déroulent au Marché du vendredi. Les biens s’y exposent ce jour de la semaine trois ou quatre fois consécutivement. L’adjudication se fait au coup de bâton par un crieur juré du métier des fripiers22. Celui-ci a acquis cette prérogative du roi d’Espagne pour un montant de 80.000 florins. Le bien est mis à prix puis ouvert aux enchères. La paumée est d’un florin au profit des pauvres ainsi que le denier de Dieu, dit arrha, qui se fixe à la volonté du vendeur conformément aux conditions particulières de la vente. Il n’y a pas de hausses, toutes les enchères augmentent le prix de vente. Lorsque les amateurs cessent d’intervenir, le bien est attribué au dernier enchérisseur. Un notaire, rémunéré à concurrence d’un florin, dresse l’acte d’adjudication. Il est fait usage de papier timbré, d’une valeur d’un florin quatre sols par feuillet. Le maximum absolu est de trente florins peu importe le montant du principal. Pour chaque opération, aliénation de maison, rente, obligation, etc., le crieur perçoit dix florins dix sols. Il faut retirer de cette somme deux florins au profit de la Ville et du métier des fripiers. De même, un florin est soustrait au bénéfice du sonneur qui parcourt la ville pour annoncer la vente au son d’une clochette.
Meubles
26Ici aussi un crieur assermenté du métier des fripiers dirige la vacation. Il est assisté par un écrivain-juré, nommé par la Ville moyennant le versement d’une médianate. L’adjudication est prononcée « au coup de bâton » en faveur du plus haut enchérisseur. Le crieur perçoit le prix de la vente. Il en est responsable à l’égard de l’acquéreur et doit le lui remettre dans les six semaines. Il perçoit à charge du vendeur trois florins deux sols et demi par tranche de cent florins du montant adjugé (3,1 %). En sus, la Ville prélève dans la même proportion un droit d’un florin cinq sols, l’écrivain bénéficie de la même indemnité et le métier s’attribue douze sols et demi.
27Les ventes au mont-de-piété sont dirigées par un crieur-juré qui achète son office en versant une médianate. La charge est conférée par la Jointe suprême des monts-de-piété. Les gages non retirés au bout d’un an sont vendus publiquement dans le mois qui suit l’échéance. La mise aux enchères est annoncée par voie d’affiches imprimées tant en français qu’en flamand. L’adjudication se déroule au coup de bâton. Si le montant obtenu dépasse le total de la somme prêtée augmentée des intérêts et des frais, le surplus est payé à la personne qui produit le billet remis par les employés du mont lors de l’engagement du bien. Dans le cas contraire, la perte est à charge soit des priseurs-jurés soit de l’institution. Le crieur perçoit 5 % du prix de vente pour salaire et tantièmes. Il rétrocède un florin cinq sols à l’écrivain-juré du métier des fripiers qui tient les écritures.
Ventes judiciaires
28Les ventes des biens immeubles et meubles s’opèrent également par l’intermédiaire d’un crieur-juré du métier des fripiers. Il est choisi par l’amman. L’officier de justice lui adjoint un écrivain-juré détaché de son office pour établir l’acte d’adjudication. Les vacations se déroulent aussi au Marché du vendredi, devant la maison dite maisonnette de l’amman, en présence de celui-ci. Les tantièmes et droits de la vente des meubles s’élèvent à six florins cinq sols pour cent. Pour les immeubles, il est ramené à huit sols pour cent. L’amman reçoit le soixantième denier du prix d’achat pour le tantième de la recette.
Louvain
29Les adjudications s’opèrent par le ministère d’un notaire, dans un cabaret ou un autre lieu public. Il n’existe pas d’institution analogue à la Chambre d’Uccle. Le chancelier de Brabant Gilles François de Streithagen23 avait tenté de convaincre le Magistrat d’aménager un local à cette fin au sein de l’hôtel de ville et d’établir un greffier préposé aux transactions, comme à Bruxelles, afin de réduire les frais souvent importants exigés par certains notaires. Son décès survenu peu après a entraîné l’oubli du projet.
30Les notaires procèdent aux ventes d’immeubles à l’extinction de la chandelle, en observant les formalités de la Chambre d’Uccle. Les hausses sont également de trois florins, dont un tiers pour l’enchérisseur et les deux autres pour le vendeur. Une différence est toutefois à relever par rapport à la pratique bruxelloise. L’adjudicataire doit payer le total des hausses au vendeur et il ne déduit pas le tiers de celles qu’il a mises lui-même. Pour chaque lot aliéné, le notaire réclame un florin douze sols par jour de séance, six sols par feuillet pour l’établissement des conditions de la vente et un montant identique pour la copie authentique.
31Les meubles et effets peuvent être vendus librement par chacun. Généralement cependant, la personne qui désire se défaire de ce genre de biens s’adresse à un notaire ou aux priseurs-jurés du métier des fripiers. Pour salaire et tantièmes, 10 % sont réclamés en invoquant le fait que l’organisateur de la vacation est responsable des sommes versées par les acheteurs. En justice, le droit de recette n’est que de 5 %.
32Il n’y a pas de mont-de-piété. C’est une société de particuliers qui a obtenu par octroi le droit de prendre les effets en gage. Ceux qui sont surannés sont vendus publiquement au coup de bâton. Le préposé de la société dirige les enchères. Lui aussi perçoit un droit, jugé excessif, de 10 % de la valeur du bien.
Nivelles
33Les ventes publiques d’immeubles sont confiées à un notaire. Il n’est pratiquement jamais fait appel aux échevins. Trois séances, chaque fois à huit jours d’intervalle, sont nécessaires, mais il n’est pas rare que l’adjudication ne survienne qu’à l’issue d’un quatrième « passement ». Il n’est pas d’usage de faire des hausses. Toutes les enchères augmentent le prix du bien, au seul bénéfice du vendeur.
34L’officier public est rémunéré à douze sols par heure de vacation, auxquels s’ajoutent neuf sols pour le déplacement. L’établissement des conditions revient à six sols par feuillet. Chaque affiche coûte de trois à six sols selon sa grandeur. Le correspondant du procureur général dénonce un abus que celui-ci se garde de relever : dans les conditions de la vente, surtout à la campagne, les notaires stipulent souvent que l’acquéreur devra payer en leurs mains, outre le prix d’achat, 10 % de celui-ci sans toutefois préciser au bénéfice de qui. Certains, de temps en temps, retiennent cette somme à leur profit, « sous le prétexte de tantième et de répondre des deniers ». « C’est bien une contravention à la loi, mais on ne sauroit les convaincre de la manière dont le contrat est couché », conclut l’interlocuteur du procureur général.
35Les ventes aux enchères de meubles semblent réservées à un fermier juré nommé par l’abbesse de Nivelles. Son monopole est toutefois mis en cause par certains. Il ne serait établi que « pour le bien et la sureté du public », sans cependant pouvoir exclure les notaires publics si quelqu’un désire s’adresser à eux. La justice n’a encore jamais été appelée à trancher ce conflit de compétence.
36Il adjuge « au coup de bâton ». Il donne un crédit de six semaines aux débiteurs. Il perçoit le seizième denier (6,25 %) pour tantièmes et la responsabilité des sommes perçues pour compte des vendeurs. S’y ajoutent le remboursement du salaire du clerc et les frais de boisson pendant les « passées ». Le commis aux écritures qui tient le rôle perçoit deux florins seize sols par jour de vacation.
Petites villes, bourgs et campagnes du duché
37Les ventes publiques d’immeubles et de meubles se font à l’intervention d’un notaire ou des gens de loi du lieu. Faute d’un emplacement officiel, elles se déroulent habituellement dans un cabaret. À la campagne, les meubles, grains, bestiaux et autres se vendent « ordinairement sur le crédit de trois mois » et en un seul jour de siège « signifié par billets d’affiche ». Lors de la dispersion de meubles, toutes les enchères concourent à augmenter le prix d’adjudication au profit du vendeur. Pour les immeubles, les conditions établies pour la vente fixent le partage des hausses. Ainsi, à Tirlemont par exemple, celles-ci sont fixées à deux florins, répartis par moitié entre l’enchérisseur et le vendeur24. En d’autres lieux, elles le sont à trois florins, dont un au bénéfice du premier et le solde au profit du second. Quelquefois elles sont intégralement attribuées au vendeur.
38Les officiers appelés à instrumenter sont payés en fonction du temps passé à la tâche. Les honoraires du notaire sont de six florins par jour. La personne qui encaisse pour compte des vendeurs les sommes provenant des enchères est rémunérée à concurrence de 5 % s’il s’agit de meubles et du soixantième denier (1,66 %) dans le cas d’immeubles. Pour la première catégorie de biens, dans les environs de Nivelles, l’indemnité d’usage est même de 7 %, voire 10 % « quand les ventes ne sont pas si considérables ». « Ce qu’on voit de plus singulier », ajoute J. J. Mercier, « c’est que le vendeur, s’il se trouve en pressant besoin, paye au notaire 4 ou 5 pour cent pour toucher l’import de la vente le jour de la passée ou quelques jours après ». Enfin, certains organisent des ventes sans avoir la compétence légale pour le faire, signale le même correspondant. Dès lors, « pour revêtir le contrat d’une authorité, ils font faire la passée pardevant deux échevins de l’endroit »25.
Conclusion
39En 1780, à la demande du ministre plénipotentiaire, chargé d’informer Vienne, le procureur général de Brabant dresse un inventaire détaillé des pratiques en usage dans son ressort en matière de ventes publiques, volontaires, judiciaires ou du chef des monts-de-piété. Il expose les procédures et les frais qu’elles engendrent. À Bruxelles, la Chambre d’Uccle donne le ton en matière d’aliénation d’immeubles. Son influence dépasse les murs de la capitale des Pays-Bas. Anvers, elle, se distingue par le rôle dévolu aux fripiers dans les différents types de transactions. Dans les autres villes et campagnes du duché, les notaires prennent généralement la direction des opérations non sans, parfois, quelques dérives. Beaucoup plus rarement appel est fait à l’échevinage du lieu.
Notes de bas de page
1 Diplomate, né à Londres en 1724 et décédé à Vienne en 1807 (Biographie nationale, t. 23, Bruxelles, 1924, col. 646-649).
2 Né à Bruxelles en 1738 et décédé après le 17 janvier 1797. Procureur général de 1777 à 1781, puis successivement conseiller au Conseil privé et au Conseil du gouvernement général. Bruneel (C.) avec la collab. de Hoyois (J.-P.), Les grands commis du gouvernement des Pays-Bas autrichiens. Dictionnaire biographique du personnel des institutions centrales, Bruxelles, 2001, p. 529-531 (Archives générales du Royaume. Studia, 84).
3 Original aux Archives de l’État à Anderlecht (AÉA), Office fiscal du Conseil de Brabant (OFCB), registres, no 82, non fol. Minute aux Archives générales du Royaume à Bruxelles (AGR), Secrétairerie d’État et de guerre (SEG), no 1924.
4 Né à Anvers en 1720 et décédé à Bruxelles en 1792. Conseiller et avocat fiscal près le Conseil de Brabant depuis 1765. de Ryckman de Betz (F.-B.) et de Jonghe d’Ardoye (F.), Armorial et biographies des chanceliers et conseillers de Brabant, t. IV, Hombeek, 1956, p. 1101-1102.
5 Original aux AGR, SEG, no 1924 ; minute aux AÉA, OFCB, registres, no 82.
6 Notaire admis par le Conseil de Brabant le 6 mai 1758, en activité à Kortenberg et Louvain jusqu’en 1786. Galesloot (L.), Inventaire du notariat général de Brabant et des protocoles qui y ont été réunis, Bruxelles, 1862, p. CXXIX.
7 Admis le 24 avril 1771, en activité jusqu’en 1793. Ibid., p. CXXXIII.
8 Avocat en cette ville, admis par le Conseil de Brabant le 11 juin 1767. Nauwelaers (J.), Histoire des avocats au Souverain Conseil de Brabant, t. II, Bruxelles, 1947, p. 203, no 1917.
9 Notaire admis le 3 décembre 1757. Le protocole s’étend jusqu’en 1785. Galesloot (L.), op. cit., p. CXXIX.
10 AÉA, OFCB, portefeuilles, grands numéros, 1160.
11 Henne (A.) et Wauters (A.), Histoire de la ville de Bruxelles, nlle. éd. […] par Martens (M.), t. II, Bruxelles, 1969, p. 443, note 1 et p. 456.
12 Archives de la Ville de Bruxelles (AVB), Archives historiques, no 2449. La médiane est de 3, la moyenne de 3,73, le coefficient de variation de 57 %.
13 L’abonnement annuel est de 3 florins 10 sols au profit de l’imprimeur. Spécimens d’affiches dans AVB, liasse 552.
14 À titre d’exemple, relevons, outre les maisons, terres et rentes à Bruxelles, la vente d’un étal à la Grande boucherie de la capitale, d’une ferme près de Nivelles, d’un bois à Ohain, des seigneuries de Haren, Orp-le-Petit et Orp-le-Grand. Cf. aussi les affiches : vente de la seigneurie de Pool et Panheel à une heure de Ruremonde (AVB, liasse 552, 27 juillet 1790).
15 Le livre de comptes du fermier indique les noms des notaires intervenus. La rémunération est identique : 12 sols par heure de travail.
16 Appelée aussi proficiat.
17 Son bureau est ouvert tous les jours de 8 à 12 et de 14 à 16 heures.
18 Britz (J.), Code de l’ancien droit Belgique, t. II, Bruxelles, 1847, p. 585-586 et 591 ; Godding (Ph.), Le droit privé dans les Pays-Bas méridionaux du 12e au 18e siècle, Bruxelles, 1987, p. 159-160 et 451-456 (Académie royale de Belgique. Classe des Lettres. Mémoires. Collection in-4 – 2e série, 14/1).
19 Il s’agit de la maison des pauvres de la paroisse des Saints-Michel et Gudule.
20 Soit 2 florins 2 sols argent courant de Brabant.
21 Cf. ci-après pour Anvers. De manière générale, cf. Soetaert (P.), De bergen van barmhartigheid in de Spaanse, de Oostenrijkse en de Franse Nederlanden (1618-1795), Bruxelles, 1986, p. 195-197 (Pro Civitate, in-8, 67).
22 Sur le rôle de ce métier dans les ventes, cf. Deceulaer (H.), Pluriforme patronen en een verschillende snit. Sociaal-economische, institutionele en culturele transformaties in de kledingsector in Antwerpen, Brussel en Gent, 1585-1800, Amsterdam, 2001, p. 47-48 ; Id., « Second-hand Dealers in the Early Modern Low Countries : Institutions, Markets and Practices », in Alternative Exchanges. Second-hand Circulations from the Sixteenth Century to the Present, éd. L. Fontaine, New-York - Oxford, 2008, p. 19 et 23 ; Van Damme (I.), Verleiden en verkopen. Antwerpse kleinhandelaars en hun klanten in tijden van crisis (ca. 1648-ca. 1748), Amsterdam, 2007, p. 66-69, 89-91, 242-247 et 252-254 (Studies Stadgeschiedenis).
23 Né à Louvain en 1708 et décédé à Bruxelles en 1769. Conseiller d’État de robe. Bruneel (C.) avec la collab. de Hoyois (J.-P.), op. cit., p. 578-579.
24 Certaines ventes ont cependant lieu sans qu’on y pratique des hausses.
25 Deceulaer (H.), « Dealing with diversity : pedlars in the Southern Netherlands in the eighteenth century », in Buyers & Sellers. Retail circuits and practices in medieval and early modern Europe, éd. Blondé (B.) et al. Turnhout, 2006, p. 180 (Studies in European urban history), dresse le même constat pour le Namurois.
Auteur
Professeur émérite de l'Université catholique de Louvain, président de la Commission royale d'histoire.
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